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Chroniques de lecture - la critique des livres

PlumeBillet de notre ami Thierry, le chroniqueur qui vous propose régulièrement des conseils de lecture numérique, au hasard des catalogues. Ce soir, il souhaite se pencher sur l'art de la critique. Merci! Si vous souhaitez réagir, l'espace est ouvert!

"J'avais envie d'écrire ça pour les lecteurs d'Aldus, sur la lecture, les livres, la critique littéraire.

Rien n'est plus difficile que de faire aimer...
Un définition, convenue et convenable de la critique littéraire pourrait se présenter comme une étude, discussion, évaluation et interprétation de la littérature.
Cela vous convient-il?
De plus, notons que l'étymologie du mot "critique", signifie en grec tri, évaluation, jugement (du verbe kríno, juger; kritikós, juge de la littérature, apparaît au IVe siècle avant J.-C., comme distinct de grammatikós, grammairien).
Voilà, nous y sommes presque.
Il s'agirait aussi de juger un livre, donc de le déclarer "bon" ou "mauvais".
Dit autrement : l'élever sur le trône reluisant d'un Top des Ventes ou bien l'enterrer, encore chaud, dans la fosse commune des rebuts...
C'est bien cela?
Donc, reprenons depuis le début. Une critique littéraire devrait étudier, discuter, évaluer, interpréter et juger un livre.
Rien que ça?
En fait, ce serait comme écrire une sorte de compte-rendu "érudit" et "sacrificiel" d'une lecture. Comme une sanctification du critique littéraire.
Mais n'est-ce pas tout naturellement donner l'envie de lire ?
Oui c'est cela, donner tout simplement l'envie d'aimer...
Et si "Le but de la littérature est de nous apprendre à lire." comme le suggérait Paul Claudel, alors le but de la critique littéraire ne serait-il pas de nous "appeler" à lire ?
Nous tendre à lire.
Nous appeler tendrement à lire.

Non?
Finalement, nous y voilà, critiquer un livre, consisterait à l'étudier, le discuter, l'évaluer, l'interpréter, le juger et le lancer à la mystérieuse et insondable "pâture" psycho-affective d'un éventuel futur lecteur inconnu.
Tout ça?
Sachons tous qu'une critique se doit d'être brève. Pour donner l'envie sans ennuyer. L'envie de lire. L'envie d'acheter. Comme une pub télé? Un peu.
Qu'en pensez-vous?
Remarquons encore que le bon usage courant prétend souvent qu'un esprit critique est un esprit libre. De libre examen. De libre arbitre.
Concluons donc, un peu naïvement peut-être, qu'un "bon" et "loyal" critique répugne naturellement toutes connivences, flatteries et mondanités.
Pas vrai?
Le juste critique littéraire ne tyrannise jamais l'opinion, se montre rarement agressif ou méprisant et respecte toujours l'auteur du livre qu'il a, bien entendu, entièrement lu... et jusqu'au bout?
Cela va de soi, non?
Le consciencieux critique littéraire ne cède ni à la mode, ni aux pressions de ses "amis" éditeurs et, fervant amateur de tennis, il sait renvoyer la balle.
C'est évident, non?
L'authentique critique littéraire déteste passer à la télévision pour envahir le petit écran de ses précieux et savants bavardages... cachant-crachant l'écrivain muet... soudainement mutique.
Il adore parler des livres dont tout le monde parle. Il affectionne particulièrement sa sécurisante famille parisienne de critiques littéraires. Parfois il milite à la prestigieuse Association Internationale de la Critique Littéraire et fardé, rêve, le billet plein d'espérance, au Grand Prix de la Critique Littéraire.
Pas vrai?
Il s’agira de plébisciter et d’adouber par quelques petites prestances  écrites, toilées ou cathodiques amiablement embranchées avec l'auteur, un livre. Par exemple comme un livre adulé par le lamentable et suffisant soi-disant "critique littéraire" Naulleau dans la piteuse et navrante émission télé du samedi soir sur une chaîne publique "On n'est pas couché". Par exemple comme un livre-buzz (ou buzz-livre) aux pages prêchées, à la couverture pistonnée, au titre hystériquement crié dans les salons pailletés de "la volaille qui fait l'opinion".
Alors comment je ne suis pas critique littéraire, moi.
La critique est facile mais l'art... de la critique littéraire... est difficile!
Et après ?
Je considère que la lecture d'un livre est un plaisir solitaire difficile à partager. "Certes, lorsque j'écris ce n'est pas pour tel être que j'aime, mais c'est pour quelqu'un qui est tous et chacun. Je veux que le lecteur y trouve non pas mes souvenirs ni les siens, mais son avenir." écrivait Henri Thomas.
Je, tu, elle, il, vous... au passé si singulier, au présent si versatile, au futur si incertain. Chaque énigmatique lecteur est différent, lit différent, aime différent... et heureusement...
Et la richesse d'un livre ne tient-elle pas à ses multiples, improbables et contradictoires interprétations mouvantes dans le temps?
Ainsi, comment parler d'un livre à un inconnu qui n'a pas lu ce livre?
Critique littéraire, un métier impossible?
Comment éviter la noyade dans cet océan de parutions, près de cette plage où échouent, comme autant de vagues, les premiers romans?
Comment échapper à l'illusion dans cet étang vaseux de prosateurs éphémères?
D'entrée ferrer le lecteur sans dévoiler le bout de la ligne. Nuancer légèrement de qualificatifs adjectifs. Intertextualiser sans trop intellectualiser. Actualiser sans trop citer. Polémiquer sans trop réquisitionner. Plaider l'humeur et l'humour.
Le temps ne joue t-il pas contre le critique qui manque de recul pressé par l'imposition des médias?
Que dire de la relecture digestive qui passe à la trappe de l'immédiateté et du gavage?
Un livre doit avoir sa chance. Sa chance de survivre. Un temps pour mûrir... le temps de mourir... "Un livre vit plus longtemps qu'une jeune femme." aimait à déclamer Nabokov.
Ah oui, au fait, pourquoi j'aime lire?
Ben, moi je dirai, parce que c'est bon. Parce que ça me fait du bien.
Mais le critique littéraire, lui, il dit : "Parce que le livre est un produit merveilleux. A la fois source de plaisir, de volupté, fidèle témoin de nos souvenirs d'enfance et des instants de fêtes.»
Il pourrait se contenter de ce palmarès déjà prestigieux. Mais derrière ces qualités festives se cachent des vertus thérapeutiques reconnues : énergétique, anti stress. Objet de gourmandise, de satisfaction, le livre est lié à une idée de récompense. C'est un cadeau que l'on s'offre à soi-même et aux autres pour le plaisir.
Balzac estimait que le livre permettait de maintenir plus longtemps les facultés cérébrales. Goethe, fervent amateur de livres, et grand voyageur déclarait: "Quiconque a lu une page de livre résiste à une journée de voyage."
Le livre, nourrissant et tonique, devient l'ultime déjeuner des gens de lettres. Le livre est un aliment très nourrissant qui améliore l’endurance tant physique qu’intellectuelle et permet de lutter contre les “coups de barre”.
Son parfum profond et suprême, la puissance de l'arôme et la combinaison subtile de notes à la fois amères et sucrées donnent cette joie simple et unique de le croquer.
Gourmandise savourée en solitaire, sur le coin d'un bureau, récompense donnée à un enfant ou simple "coup de fouet" pour faire le plein d'énergie, le livre est l'aliment plaisir et santé par excellence.
Le livre est parfois accusé de donner des migraines, de l'acné et de constiper... Tous ces a priori ont été totalement récusés par les travaux scientifiques, mais les préjugés persistent.
Il ne donne pas de crise de foie; tout au plus, il peut ralentir la digestion s'il est trop gras et consommé après un repas trop copieux. La forte présence de fibres dans le livre en fait même un aliment régulateur du transit intestinal.
Il n'occasionne que très exceptionnellement des réactions allergiques.
Voilà comment parlerait un critique littéraire...
D’un livre qui se savoure, sans fin.
Avec des douceurs de mots qui fondent sous la langue.
Avec des temps savamment mélangés.
Des souvenirs chancelants.
Des secrets ombrageux.
Des pages habitées. Des plages hantées.
Pris aux mots, à rester à table jusqu'au bout.
Long en bouche.
Décidément, rien n'est plus difficile que de faire aimer...
Allez, bonnes lectures à tous!

T.C.

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