LXXIX
Dans le petit salon aux volets fermés, assis sur le sofa, il bouclait ses cheveux, les débouclait. Ces fleurs, ces cigarettes, c'était pour le type. Sûrement, oui, les deux sur ce sofa, en face de la psyché qui avait tout vu. Pourtant, quoi, elle avait accepté de se marier avec lui, alors pourquoi ? Les fortifiants qu'elle achetait pour lui, et à table elle lui rappelait d'en prendre, alors pourquoi ?
Il se leva, sortit, erra dans le vestibule, effleura les revers de l'imperméable pendu, s'arrêta devant le baromètre, l'ausculta. Ils auraient beau temps pour leur voyage. En Italie peut-être, pays de l'amour. Par un doux hymenée au temple de l'amour, de notre destinée viens embellir le cours, murmura-t-il en entrant dans la cuisine.
Il s'assit devant la table, déplia la lettre, en fit un cornet, le déroula, essaya de l'aplatir, se rappela comme il recouvrait soigneusement ses cahiers de classe lorsqu'il était enfant. Il ne savait pas alors ce qui l'attendait. La bouche entrouverte, il leva la tête, considéra le fil de fer galvanisé tendu d'un mur à l'autre. Parfaitement droit, vraiment bien tendu, ce fil de fer. C'était lui qui l'avait tendu. Jamais plus il n'aurait de plaisir à le regarder.
Des biscuits devant lui. Il en prit deux d'un coup, les mâcha lentement. Cette bouillie dans sa bouche, c'était le malheur. De l'index, il désigna le frigidaire. Ils l'avaient choisi ensemble, au début du mariage, un samedi après-midi. En sortant du magasin, elle lui avait pris le bras, d'elle-même, et ils s'étaient promenés bras dessus bras dessous, mari et femme. Et maintenant avec un autre, un autre qui pouvait la toucher comme il voulait, et elle se laissait faire. Et pourtant elle était toujours sa femme, elle portait toujours son nom. De nouveau, il enroula la lettre en cornet, la déroula, la relut à haute voix.
« Dimanche matin, six heures. Mon pauvre chéri, j'ai mal à la pensée que tu dors paisiblement, sans savoir encore. Toi si bon, te faire souffrir, c'est affreux. Tout à l'heure, lorsque je l'ai quitté pour revenir ici, c'était pour te parler, pour t'expliquer, mais lorsque j'ai été devant ta porte, je n'ai pas eu le courage. Pardonne-moi de t'avoir caché la vérité hier soir, j'étais si bouleversée. Lui aussi revenait de voyage, et c'était lui que j'attendais lorsque tu es arrivé. Je voudrais t'écrire longuement pour que tu comprennes que je ne peux faire autrement. Mais je lui ai promis d'être de retour très vite car nous prenons un train très tôt, à neuf heures déjà.
« Tout à l'heure, en entrant, je me suis arrêtée devant ton imperméable pendu dans le corridor, et il m'a étrangement émue. J'en ai caressé les revers et puis j'ai vu que le bouton du milieu tenait à peine. Je te l'ai recousu. C'était doux de faire encore quelque chose pour toi. J'ai regardé dans le frigidaire. Il y a tout ce qu'il faut pour aujourd'hui. Fais chauffer ton repas, ne mange pas froid. Reprends ton travail dès demain, déjeune avec tes collègues. Le soir ne reste pas seul, va chez des amis, et surtout télégraphie à tes parents de revenir immédiatement. Pardonne-moi, mais j'ai besoin d'être heureuse. Il est l'amour de ma vie, le premier, le seul. Je t'écrirai de là-bas.
« Ariane. »
Il se leva, ouvrit le frigidaire, s'empara d'une tarte au fromage, mordit dans la pâte glacée. Il, il, lui, lui, comme s'il n'y avait que ce type au monde. Et puis cette gentillesse de lui dire qu'ils partiraient à neuf heures. Téléphoner à la gare pour savoir où allait ce train ? Même pas le droit de savoir où elle allait, avec qui elle allait. Tout de même, elle aurait pu lui dire qui c'était, ce type. Mauvaise, cette tarte. Et puis ce culot de lui dire mon chéri.
Il haussa les sourcils en jugement sévère, puis ouvrit les robinets du gaz, les referma, déambula, le bras arrondi comme le jour où ils s'étaient promenés bras dessus bras dessous, et c'était elle-même qui lui avait pris le bras, spontanément. Il arrondit davantage le bras, pour mieux se rappeler, haussa de nouveau les sourcils et alla, les pieds traînants, avec la dignité justicière des faibles offensés. S'arrêtant devant la pile de linge posée sur une chaise, il prit le carnet du blanchissage, parcourut la liste. Rien que du linge de maison. Évidemment, ses choses à elle étaient trop délicates, c'était Mariette qui les lavait. Contrôlant chaque fois sur la liste, il compta le linge, le rangea dans le buffet. Six draps de lit, c'était trop pour quinze jours. Donc, c'était pour le type. Il, il, lui, lui. Naturellement, des draps impeccables chaque fois. Tout de même, avoir fait ça chez lui, sur les draps offerts par Mammie, sur le cadeau de mariage de Mammie ! Au fond, Mammie serait contente. Vraiment bien tendu, ce fil de fer. Ces nouveaux tendeurs à vis étaient bien supérieurs aux anciens à crémaillère.
Il frotta une allumette, la posa sur la table, la reprit lorsqu'elle fut sur le point de s'éteindre, la fit tourner, parvint à la raviver. Victoire, elle lui reviendrait ! Mais non, cette chance de l'allumette, il savait bien que c'était une méchanceté du sort, un espoir qui serait déçu.
— À partir de maintenant, indifférence.
Il ouvrit la porte du buffet, examina le rayon des confitures. On allait passer un moment avec ces dames. Toutes ces dames au salon. Parfait, un peu d'humour. Confiture de pêches, trop doux. Confiture de pruneaux, ordinaire, pas digne d'un membre A. Confiture de griottes ? D'accord, bon petit goût acide. Griottes adoptées à l'unanimité. On va vous manger mes petites. Voilà, prendre les choses à la légère, être fort dans l'adversité. Il frappa du pied pour être fort, fredonna l'air du toréador de Carmen, puisa ensuite dans le pot de confiture avec une fourchette pour faire passoire, pour ne prendre que des cerises, sans le sirop. Heureuse ? Eh bien, lui aussi, voilà, et cambronne pour elle.
— Tu vois, je mange des confitures.
II repoussa le pot, s'empara d'une boîte en aluminium, en dévissa le couvercle. Commode pour le camping, fermeture vraiment hermétique. Ça au moins lui restait, c'était du solide, ça ne trompait pas. Vingt francs pour une épaule d'agneau roulée et désossée, c'était exagéré, il allait fort, le bonhomme. Il traça deux points d'exclamation sur la facture du boucher, empocha le bout de crayon. Très bon l'épaule d'agneau, tendre, un peu trop gras peut-être. Il, il, lui, lui. Il avait bien fait de renvoyer Mariette quand elle avait sonné. Complice sûrement, cette vieille.
— M'habiller et sortir.
Une promenade, puis déjeuner en ville. Toréador, en garde. Oui, sortir. Complet fresco, cravate bleue. Quand elle lui faisait son nœud de cravate, elle lui donnait une petite tape sur la joue, après. C'était l'autre qu'elle attendait hier soir. Et lui, le couillon à lui lire son manuscrit ! Pour l'autre, les boiseries repeintes, le nouveau tapis. Trois mille francs au moins, ce tapis. Toutes ces dépenses pour rien. Lui, presque jamais il ne l'avait vue nue, et si ça arrivait, elle se couvrait tout de suite, elle disait que ça la gênait. Mais avec l'autre ça ne la gênait pas. Toute nue et elle le toucherait à un endroit et ça ne la dégoûterait pas.
— Une grue, voilà.
Et pourtant, non, elle n'était pas une grue, elle était une femme bien. C'était ça justement qui était affreux, une femme bien qui acceptait de faire des saletés avec un homme. Aller tout à l'heure à la gare avec un taxi, demander quel quai le train de neuf heures ? Peut-être qu'elle aurait pitié en voyant sa bonne volonté lorsqu'il leur passerait les bagages par la fenêtre. Il ne lui dirait rien, il la regarderait avec des yeux brillants de larmes, des yeux émouvants, et alors peut-être qu'elle descendrait du wagon. Il murmura : « Adrien, mon chéri, je ne pars pas, je reviens à toi. »
Mais non, elle ne reviendrait pas. L'autre savait y faire. C'était un amant, il la rendait jalouse, sûrement Tandis que lui, il avait été honnête avec elle. Lui, rien que de l'affection sérieuse, des attentions. Elle l'en avait puni. Oui, de l'affection sérieuse, de l'affection de cocu, des attentions de cocu. Il se cura le nez devant la petite glace de Mariette, considéra sa cueillette, en fit une boulette qu'il jeta. Quelle importance désormais ? D'ailleurs, en qualité de cocu, il avait le droit. Monter, ôter ce pantalon mouillé qui lui tenait froid. À Florence peut-être, dans le même hôtel peut-être, l'hôtel de leur voyage de noces, près de l'Arno. Dans la même chambre peut-être, et elle se laisserait toucher, le toucherait sans dégoût. Il haussa les sourcils. Il avait toujours eu tellement confiance en elle. Pourquoi lui écrire de là-bas ? Pour lui dire combien de fois ils auraient fait leurs saletés depuis leur départ ? C'était son imperméable qui l'avait émue, mais lui, il pouvait crever, elle s'en foutait. Assez, assez.
— Je t'ordonne de monter t'habiller.
Dans sa chambre, il s'agenouilla devant le lit défait, demanda à Dieu de la lui rendre, puis se leva, regarda ses mains. Bien sûr, sa prière ne servirait de rien, il le savait bien. Il s'approcha de la table de nuit. Près de la montre-bracelet, elle souriait dans son cadre de vieil argent. Il retourna la photographie. Si content lorsqu'il avait trouvé ce cadre chez l'antiquaire. Vite rentrer à la maison pour le lui montrer, pour y mettre sa photo ! Huit heures et quart. Il mit la montre à son poignet. Si au moins il savait où elle était en ce moment, il lui téléphonerait, il la supplierait de retarder son départ, de discuter la situation ensemble, en amis, il lui dirait d'attendre, de voir si vraiment elle ne pouvait pas se passer de cet homme.
— Chérie, attends, vois si vraiment tu ne peux pas te passer de lui.
Tout à l'heure il avait trop chaud, maintenant il avait froid. Il passa un manteau sur son pyjama. Oh, le pantalon sécherait vite, pas besoin de le changer. Dans la glace de l'armoire, il se trouva minable avec sa barbe. Une tête trop ronde, une tête de mari. Il ouvrit le tiroir de la table de nuit, s'empara de l'automatique, lut l'inscription gravée. Fabrique nationale d'armes de guerre, Herstal, Belgique. Il le laissa tomber dans la poche du manteau. Elle avait eu peur lorsqu'il le lui avait montré, un matin, au morning tea. Mais c'est indispensable, chérie, quand on habite à la campagne. Alors, elle lui avait recommandé de faire attention, d'être prudent. Elle tenait à lui en ce temps-là. C'était un bon moment, le morning tea, cette tasse qu'il lui apportait au lit. Voilà le bon thé pour la chouquette ! Une fois, quand il lui avait apporté le morning tea, elle lui avait cligné de l'œil pour rien, pour lui montrer qu'on était amis, qu'on s'entendait bien. Devant l'armoire à glace, les mains jointes, il lui demanda de revenir, se rappela la chanson d'un vieux disque de Papi, en chanta tout bas le refrain, ému par sa supplication : « Reviens, veux-tu, car ma souffrance est infinie, je veux retrouver tout mon bonheur perdu, reviens, reviens, veux-tu ? »
Un peu plus tard, il se retrouva dans la salle de bains. Il l'avait fait installer pour elle, cette salle de bains. Quatre mille francs. Exprès pour elle parce qu'elle voulait une salle de bains attenant à sa chambre. J'ai besoin de privacy, elle avait dit. Cette manie qu'elle avait de dire des mots anglais. Toutes ces robes, toutes ces cigarettes dans la baignoire, jamais il ne saurait pourquoi. Pourtant c'était une chose d'elle. Il ne saurait pas non plus pourquoi cette robe déchirée chez elle, par terre, la robe verte qu'il lui avait achetée, à Florence justement. Ce matin-là, il faisait beau, ils étaient sortis de l'hôtel, et elle lui avait donné la main. La même main qui, ce soir, dans le lit. Et pourtant, mon Dieu, elle était toujours madame Adrien Deume. Son passeport, moralement elle n'y avait plus droit. Qu'est-ce qu'ils penseraient, les gens de l'hôtel, en voyant qu'elle ne s'appelait pas comme le type ? Oh, il savait bien pourquoi il était dans cette salle de bains. C'était pour voir des choses d'elle, pour être avec elle. Voilà, c'était sa brosse à dents. Il l'approcha de son nez, pour la sentir, résista à la tentation d'ouvrir la bouche, de s'en frotter les dents.
— Pourtant, elle ne peut rien me reprocher.
Quand elle avait ses règles, elle n'était pas commode. Il faisait tellement attention de ne pas la contrarier, ces jours-là. Enfin, si tu crois, chérie, c'est comme tu voudras, c'est à toi de juger. Alors, elle a très mal, ma chouquette ? Est-ce que je peux faire quelque chose pour elle ? Et si tu prenais une aspirine ? Veux-tu que je te fasse une bouillotte ? Elle appelait ça les jours du Dragon. Ces jours-là, elle était mystérieuse, elle lui faisait un peu peur. Il la respectait de souffrir, il avait pitié. Le type, lui, il s'en ficherait, il ne la soignerait pas, c'était un amant. Lui, les bouillottes de caoutchouc qu'il lui apportait, bien chaudes, et puis il faisait bien sortir l'air avant de visser le bouchon. Voilà, ma chérie, ça te fera du bien à ton ventre. Le quatrième jour, il était content parce qu'elle n'avait presque plus mal. Elle devait lui en vouloir de tellement s'occuper d'elle, ces jours-là. Ça devait l'agacer quand il lui demandait où elle avait mal, si c'était au ventre ou bien à la tête. Au fond, il s'en doutait, mais il ne pouvait pas s'empêcher de s'occuper d'elle. Le type ne lui posait sûrement pas de questions quand elle était comme ça, et puis il ne lui disait pas chouquette. Alors, elle le respectait, elle l'aimait. Tandis que lui, elle le méprisait de faire l'infirmière. Et puis peut-être qu'elle lui en voulait de savoir qu'elle avait mal au ventre. Un tas de choses qu'il comprenait tout à coup. Je deviens moins couillon. Si pressée de partir qu'elle avait oublié d'emporter sa brosse à dents, son peigne, de la poudre. Ils achèteraient tout ça à Florence, dans une pharmacie, en se tenant par la main. Autrefois, elle ne se poudrait pas. C'était à cause du type, cette poudre. Les commérages au Secrétariat, les regards des collègues. Grand sûrement, le type. Où est-ce qu'elle l'avait trouvé ?
Devant la glace du lavabo, il s'empara du peigne, fit soigneusement une raie qu'il supprima aussitôt. Aller à la gare et se battre ? Mais le type serait sûrement plus fort, lui casserait les lunettes, et il serait ridicule. Mais si elle le trouvait ridicule, elle aurait peut-être pitié, et elle descendrait juste avant le départ du train. Il vida la boîte de poudre dans la baignoire, rompit en deux le manche de la brosse à dents. Dégradée pour trahison, murmura-t-il. Assez, descendre maintenant.
Dans la cuisine, il ouvrit les volets pour faire entrer du courage, prit la bouteille déposée par le laitier sur le rebord, versa le lait dans une casserole, alluma le gaz. Le jour où il lui avait apporté un lait de poule parce qu'elle toussait, elle lui avait dit qu'il était mignon, et il en avait été tout fier. Mignon mais cocu. Tous les cocus étaient mignons. Tous les mignons étaient cocus. À son type elle ne disait sûrement pas qu'il était mignon.
Il se pencha à la fenêtre. Deux amoureux endimanchés qui faisaient des saletés avec leurs bouches, puis riaient. Attends un peu, toi, tu seras bientôt cocu. Il se retourna pour ne plus les voir, s'aperçut que le lait avait débordé, éteignit, vida lentement la casserole dans l'évier. Elle avait recousu le bouton de l'imperméable, et puis elle avait filé vers les baisers et le reste. Toute fière d'avoir recousu le bouton du milieu. Mais si demain un autre bouton se détachait, il pourrait toujours courir.
Devant l'évier, il se savonna les mains pour se débarrasser du malheur, pour faire toutes choses nouvelles. Demain lundi, reprise du travail, dicter le rapport sur la mission, se faire valoir, reprendre contact avec le S.S.G. Désormais, rien que l'ambition, voilà. Il saisit une des noix du compotier, la rompit entre ses dents, sortit. Dans le vestibule, il s'arrêta devant son imperméable pendu, tira sur le bouton du milieu, l'arracha.
— Monter prendre un bain.
Mais ce fut chez elle qu'il entra, après avoir frappé à la porte. Voilà, c'était la chambre où ils avaient causé ensemble, où il lui avait apporté le thé. Par terre, la robe verte, la théière, les deux tasses, des ficelles, des souliers et le gros ourson de peluche, les jambes en l'air. Patrice, elle l'appelait. Quelquefois, quand il lui apportait le thé, elle avait Patrice contre elle, elle avait dormi avec. Sans embauchoirs, tous ces souliers. Il lui avait pourtant dit tant de fois que c'était indispensable. Par terre aussi, ses lunettes de soleil. Quand elle les mettait, elle avait l'air d'une star incognito, et lui tout fier. Sut la table de chevet, un autre ours tout petit, avec des bottes. Il ne le connaissait pas, celui-là.
Sur le fauteuil, sa robe d'hier soir. Il l’étala, en arrangea les plis. Elle aurait dû tout lui dire, avoir confiance en lui. Il l'aurait laissée continuer à voir l'autre, mais au moins elle serait restée ici, près de lui, il l'aurait vue tous les jours, elle aurait pris ses repas à la maison, enfin presque tous les repas, il l'aurait vue le soir en rentrant du travail, enfin presque tous les soirs, parce que quelquefois, bien sûr, mais personne n'aurait su qu'eux trois. Il caressa la robe, lui parla.
— Chérie, j'aurais tout arrangé pour toi.
Neuf heures moins quatre. Il ouvrit les volets, se pencha. La route était déserte. Pas d'auto la lui ramenant. Il se retourna, donna un faible coup de pied à un soulier, ramassa une ficelle, revint à la fenêtre. Neuf heures moins trois. Déjà installés dans leur compartiment, leurs valises au-dessus d'eux. De luxe, ces valises. Elle, gantée, élégante, heureuse, tout près du type.
Debout devant la fenêtre, il manipula sa ficelle. La compliquant, la défaisant, la tourmentant avec des saccades, il regardait tour à tour la route déserte et le ciel désert. Neuf heures sonnèrent au premier étage. Le train s'était mis en marche, la lui enlevait pour toujours. Perdu, il était perdu.
— Perdu, perdi, perda, perdo, murmurait-il en tirant sur sa ficelle, murmurait-il en s'efforçant de rompre sa ficelle. Perdu, perdi, perda, perdo, murmurait-il sans cesse, car il faut essayer de se divertir lamentablement dans le malheur, affreusement se divertir en tirant sur une ficelle, en prononçant des mots idiots, se divertir pour supporter le malheur, pour continuer à vivre.