VII
L’ESSOR DE L’ÉPERVIER
Maintenant que le jour était levé sur les pierres noires, il fallait, avant tout, faire boire et manger les bêtes. Philippe le comprit sans consulter personne. Ensuite, il aviserait, avec ou sans Igricheff, sur la direction à prendre.
Haïlé, Omar et Moussa chargèrent, sellèrent les mulets. Le point d’eau le plus proche était celui où Youssouf avait découvert la veille, le parti issa.
Youssouf courut de nouveau vers la colline en éclaireur.
— Je voudrais qu’ils fussent là encore, grommela le bâtard kirghize, énervé par la vaine attente de la nuit. Nous les fusillerions comme des brutes.
Mais, sur la crête, Youssouf tira deux coups de feu. C’était le signal de la sécurité. La caravane se mit en marche. Il faisait encore frais. Pourtant, les mulets avançaient en trébuchant. Et les hommes semblaient vides, flasques. Les uns et les autres, malgré la dure étape de la veille, n’avaient pas pris de nourriture depuis vingt-quatre heures. De plus, les gourdes étaient vides.
“Repos jusqu’à midi, au moins, pensa Philippe quand ils eurent péniblement atteint la flaque tiède à fleur de sol vers laquelle, de loin, Youssouf les avait menés. Et qu’importe ! Il n’est plus question de rejoindre à temps Daniel.”
Les mulets se précipitèrent vers l’eau. Leurs conducteurs durent les frapper à toute volée sur les naseaux pour les empêcher de piétiner, de souiller complètement le liquide trouble.
Près de la mare poussaient des herbes blanches, des mousses jaunâtres. Yasmina se mit à les arracher, à les entasser. Une main puissante la souleva comme un jouet et la bonne voix de Moussa lui dit :
— Repose-toi, enfant. Si les hommes sont fatigués, tu dois être morte.
Elle eut un sourire peureux, plein de charme et de tristesse. Moussa regarda ce visage bronzé par le soleil et l’air des montagnes, mais qu’il devinait si blanc, si chaud sous le hâle. Il n’avait jamais connu de fille parée des grâces de l’Orient. Et elle était si petite auprès de lui, si fort. Sa poitrine d’hercule se gonfla un instant, puis, sauvagement, il écarta, arracha les pierres pour mieux trouver les racines de la végétation misérable.
Avec elles, Omar alluma le feu entre trois galets. C’était le foyer éternel du désert et de la brousse. Il plaça dessus une marmite, l’emplit de riz, jeta dedans du beurre de conserve, des dattes. Igricheff et Philippe mangèrent en silence, puis les noirs et Yasmina. Comme Philippe cherchait une place pour s’étendre, Moussa le conduisit vers celle qu’il avait débarrassée de cailloux. Bientôt tous dormirent sur la terre sombre, tous, sauf Igricheff et Youssouf qui avaient demandé à veiller.
Ils chuchotèrent longtemps ensemble, appuyés sur leurs fusils.
Les dernières paroles du Dankali furent :
— Je suis d’accord. Mais il faut arriver chez les miens et je ne sais pas la route.
Sur l’ordre d’Igricheff, il s’allongea à son tour. Le bâtard kirghize resta seul en sentinelle. Au-dessus des pierres noires du désert issa, au-dessus de la caravane endormie dans la lumière de feu et d’or, flotta bientôt un air déchirant et sauvage qui venait de Mongolie.
Vers onze heures, Igricheff réveilla Philippe.
— Ce n’est pas pour que vous preniez votre tour de garde, lui dit-il. Je voudrais vous parler.
Philippe cligna des yeux, ébloui. Sa tête était lourde, mais il sentit son corps dispos, détendu. Il murmura avec naïveté :
— Comme on dort bien sur le sol.
Igricheff sourit. Cette lueur qui, très vaguement, rappelait une lueur d’amitié, brilla une seconde dans ses yeux d’épervier.
— Mettez-vous un peu d’eau sur le front, dit-il doucement.
Ainsi qu’il le faisait chaque fois qu’un conseil lui était donné avec bonté, Philippe obéit. Il revint auprès du bâtard kirghize l’esprit lucide. Mais cette lucidité même l’attrista. Car elle lui fit concevoir brutalement toute son impuissance. Il se laissa tomber sur une caisse et dit :
— Quelle honte ! Demain lundi, Daniel sera au Gubbet-Kharab. Et nous…
— C’est la vraie question, interrompit Igricheff. Où serons-nous demain ? Laissez Mordhom en paix. Il risque seulement de ne pas vendre pour cette fois ses armes. Tandis que nous…
Il montra d’un geste la poignée d’hommes endormis près des bêtes et tout autour le champ funèbre, brûlant, sans piste, inconnu.
— Vous voulez dire que nous sommes complètement égarés ? demanda Philippe et que nous ne pourrons même pas trouver le prochain point d’eau ?
— Pour continuer, certes.
— Et pour revenir ?
— C’est différent. Votre Moussa retrouvera sûrement la route. Et même Youssouf, même Omar la reconnaîtraient ; les hommes de brousse, lorsqu’ils ont une fois fait un chemin, l’ont dans la peau.
— Alors, il faut regagner Daouenlé, vaincus, battus, déshonorés après deux jours de caravane !
— Décidez !
— Eh bien ! non ! s’écria furieusement Philippe. On ira en avant, on crèvera de soif, on passera sur les Issas, mais on arrivera quelque part.
— C’est très bien, dit Igricheff. Je suis avec vous. Et nous réussirons.
— Comment ?
— Je n’en sais rien, mais nous réussirons.
Il y avait chez le bâtard une assurance si forte et si simple qu’elle galvanisa Philippe. Il secoua Omar, lui ordonna de réveiller tout le monde, d’abreuver les bêtes, de faire la cuisine, de préparer le départ. Puis, prenant la carte dessinée par Mordhom, il dit à Igricheff :
— Rien à tirer de ce morceau de papier, n’est-ce pas ?
— Il faudrait, pour s’en servir, savoir si l’abane nous a déportés vers l’Est ou vers l’Ouest. Je pense qu’il nous a menés dans ce dernier sens. Dans l’autre, il se fût rapproché de Dekkel et on ne cherche pas les alentours d’un poste pour massacrer une caravane.
— Alors, nous serions à peu près dans l’alignement du pointillé de Mordhom qui part d’Abaïtou ?
— Sans doute.
— Et en marchant vers le Nord d’après le soleil, on peut y arriver ?
— Avec beaucoup de chance… à cause des points d’eau. Vous avez bien vu qu’il faut avoir le nez dessus pour les découvrir.
Philippe allait répondre lorsque Omar le tira par la manche et l’entraîna à quelques pas.
— Moussa veut te parler, chuchota-t-il, mais à toi seul, parce que toi seul tu es bon pour lui.
L’athlète noir, ayant fini de charger les caisses, inspectait minutieusement l’horizon, la main en visière sur ses yeux, le torse infléchi en avant. Ses muscles tendus, immobiles, semblaient saisir tout son corps dans une gaine de métal.
— Je vois que tu veux continuer ta route, fit-il dire à Philippe par le jeune Somali. Tu te perdras sûrement sans guide, parce que toutes les collines noires et tous les champs noirs se ressemblent, mais moi, je te mènerai jusqu’à la terre des Danakils, car je connais la piste.
Il jeta un regard furtif vers Youssouf qui s’entretenait avec Igricheff et reprit :
— J’ai fait la guerre contre ces hyènes et tu le vois (il touchait les minces bandes de cuir qui ceignaient son biceps saillant), j’en ai tué deux. Mais je n’ai pas le cœur cruel et quand j’ai montré que j’étais un homme, je suis allé travailler au chemin de fer. J’y retournerai quand tu ne seras plus sur le territoire de mon peuple.
Le plat de riz que Yasmina avait fait cuire était prêt. Ils le mangèrent rapidement, puis la caravane, ayant, cette fois, Moussa en tête, quitta le point d’eau. Haïlé, Omar et la petite Bédouine s’occupaient des mulets Philippe, Igricheff et Youssouf à l’écart de la file et le fusil au guet surveillaient les alentours. Ils sentaient tous que de loin, invisibles parmi les pierres noires dont leurs corps avaient la couleur, des ennemis patients, tenaces, inexorables, suivaient la marche du convoi.
“Aussi longtemps que le terrain sera plat ou régulièrement ondulé, pensait Philippe, ils n’oseront pas s’approcher à portée de balle. Mais s’il faut passer un défilé…”
Pourtant, par deux fois, la caravane s’enfonça dans de brèves gorges où l’embuscade eût été facile sans que se produisit la moindre alerte. Et il était près de quatre heures de l’après-midi lorsque le sol noir sur lequel, depuis Daouenlé, marchait sans répit la caravane, commença de se modifier.
Les pierres, les galets, le gravier couleur de charbon couvraient encore les collines, mais entre elles s’apercevait une piste de sable où les bêtes et les hommes enfoncèrent légèrement, sable sombre d’abord, puis cendré, fauve enfin. Il avait la nuance et la désolation des déserts de dunes, mais, au milieu du désert des roches d’encre, il semblait une terre vivante. Philippe respira plus librement, sauta de selle pour sentir à travers ses espadrilles le contact favorable de ce terrain nouveau.
Les collines peu à peu fondirent. Un grand plateau s’étendit, poudreux, bistré. Sur lui, par touffes assez serrées, le long d’un cours d’eau à sec qui creusait profondément le sol, poussaient des arbustes épineux, dont la pâle verdure parut miraculeuse au jeune homme. La caravane s’engagea dans le lit de l’oued.
— Encore un peu de temps, dit Moussa, et nous serons au point d’eau où s’abreuvent les Issas et les Danakils lorsqu’ils sont en paix. Là, jeune chef, tu attendras de nouveaux guides. Ils peuvent venir dans un jour, ou deux, ou dans dix, mais ils viendront, car la piste est passante.
Comme une dérision, les noms qu’il s’était tant de fois répétés sonnèrent aux oreilles de Philippe :
— Samedi : Abaïtou ; dimanche : Nehellé ; lundi : Alexitane.
Mais il secoua ses pensées. Il fallait se soumettre à la grande loi de ces terres maudites et des hommes qui les hantaient : la patience et la résignation.
La caravane s’arrêta brutalement. Moussa venait de s’incruster au sol, les bras en croix, comme pour barrer le chemin de tout son poitrail déployé. En même temps Youssouf qui suivait en éclaireur une des rives escarpées de l’oued, abaissa son fusil vers une haie touffue de jujubiers poussant sur le bord opposé. À travers leurs branches sèches et d’un vert très faible s’apercevaient des points noirs. Le Dankali tira, tira, tira encore. Une clameur furieuse lui répondit. Alors, il acheva de vider son magasin, bondit dans le lit de l’oued tout en rechargeant son arme et cria à Igricheff :
— Les Issas.
Déjà, l’on voyait courir vers la caravane des silhouettes farouches.
— À terre les caisses, les selles et les bâts, commanda Igricheff. Barrez l’oued des deux côtés. Moussa, Yasmina, faites coucher les bêtes et tenez-les.
En quelques secondes, la manœuvre fut exécutée et la caravane se trouva enfermée dans un quadrilatère formé par les escarpements de l’oued et par la barricade. On ne pouvait attaquer cette forteresse improvisée que de face ou de dos, les pentes étant trop abruptes pour que l’ennemi les dévalât rapidement. Les Issas le virent aussitôt et leurs imprécations farouches s’élevèrent vers le ciel. Puis le silence se fit et les sombres silhouettes disparurent à la vue des assiégés, cachées par l’escarpement de la rive.
— Vont-ils se dérober une fois encore ? demanda Igricheff à Youssouf.
— Je ne pense pas, dit celui-ci d’un air préoccupé. Ils sont plus nombreux que la nuit dernière. Ils ont dû retrouver une autre bande et prendre du courage.
— Alors ?
— Ils vont attaquer des deux côtés en même temps.
Igricheff communiqua cette réponse à Philippe.
— Gardez-vous de face avec votre revolver et avec Youssouf, dit le jeune homme. Donnez votre fusil à Omar, je donne le mien à Haïlé et nous veillerons à l’arrière.
— Je suis d’accord, dit le bâtard kirghize.
À peine Philippe et ses deux hommes avaient-ils pris position, que retentit un cri de guerre barbare et que des deux côtés du réduit les Issas se ruèrent à l’assaut. La carabine de Youssouf, le revolver d’Igricheff arrêtèrent les ennemis au pied de la barricade. Mais, du côté de Philippe, les tireurs étaient moins fermes et moins adroits. Philippe abattit trois hommes, Omar ne fit qu’une victime et Haïlé déchargea en vain son fusil. Et la bande hurlante fut sur eux, escalada les caisses.
Le muletier et le Somali saisirent leurs armes par le canon, écartèrent un instant, à coups de crosses, les lances dardées sur eux, sur Philippe. Mais environnés, ils allaient être percés de coups. Et, face à Youssouf et au bâtard kirghize, l’attaque recommençait. D’eux, il n’y avait pas d’aide à attendre. Une lame brilla devant les yeux de Philippe. Il baissa les paupières. Mais une sorte de bolide le renversa. Et Moussa surgit sur la barricade. Il avait ouvert une caisse et parmi les ustensiles qu’elle contenait, pris une lourde hache. Sa force était telle qu’il brisait les lances, les côtes, les crânes, tout à la fois. Les assaillants avaient beau être de sa race, il ne pouvait laisser égorger le jeune chef si joyeux et si doux qui lui avait sauvé la vie.
Un instant, sous sa pesée, les Issas refluèrent… Philippe était déjà debout, ayant rechargé son arme. Il tira à bout portant, touchant à chaque coup. Mais, quand son revolver fut vide, l’ennemi attaqua avec une rage redoublée. Et, de l’autre côté, Igricheff luttaient déjà au couteau et à coups de crosse.
— Avez-vous gardé une balle pour vous ? cria le bâtard kirghize en se repliant vers Philippe.
Celui-ci, couvert encore par les moulinets terribles de Moussa, essaya de recharger son revolver.
Mais, à cet instant, un hurlement plus strident, plus inhumain encore que celui qu’avaient poussé les Issas, se lançant à l’attaque, couvrit soudain la rumeur de la bataille. Et, des talus de l’oued, de nouveaux démons fondirent vers la barricade.
“Tout est fini”, pensa Philippe.
Mais au lieu de foncer avec l’acharnement du triomphe sur leur proie toute prête, les Issas, soudain, se retournèrent vers les nouveaux assaillants.
Et Youssouf cria :
— Victoire, victoire ! Ce sont les Danakils, mes frères !
La mêlée fut sanglante, mais brève. Les Issas fatigués par la lutte qu’ils avaient déjà soutenue, désemparés par la surprise, fusillés dans le dos par Igricheff et Youssouf, se débandèrent. Mais les nouveaux démons noirs, aussi agiles qu’eux, les rejoignaient, les égorgeaient, les clouaient au sol à coups de lance. Pas un n’échappa.
Quand furent achevées la tuerie et les mutilations viriles, la bandes des Danakils entoura la caravane. L’excitation du combat brillait dans leurs yeux agiles. Les bras qui s’appuyaient aux lances, trempés de sang, avaient encore des frémissements de meurtre. Et, sur tous leurs corps minces, flexibles, des muscles étroits, durs et lisses tressaillaient comme des serpents irrités.
— Sans Youssouf, ils nous chargeaient à notre tour, dit Igricheff à Philippe. J’ai vu les Yéménites et les Zaranigs au combat. J’ai vu également les Bachkires et les Kirghizes. Je n’ai jamais vu de bêtes aussi sauvages.
Il se retourna vers les profils aigus que le carnage semblait avoir rendus plus acérés encore et murmura :
— Ce sont des Adéhemaro.
En effet, beaucoup de guerriers avaient les cheveux blanchis à la chaux. Tous étaient glabres, avec des traits de rapaces, sauf le plus grand d’entre eux qui portait une barbe en collier.
Il menait avec Youssouf un entretien animé. La conversation fut longue. Tant qu’elle dura, les Danakils demeurèrent en cercle, immobiles, appuyés à leurs lances.
Enfin, Youssouf vint à Igricheff et lui dit :
— J’ai raconté au chef toute la route. J’ai demandé la vie sauve pour Moussa parce qu’il s’est bien battu avec nous. Le chef m’a dit que, depuis ce matin, il suivait à la piste les Issas et voulait les attaquer au coucher du soleil. Mais il a profité de notre bataille. Et parce que nous l’avons aidé, il nous laisse libre passage sur son territoire de Gobad et donnera deux guerriers pour guides jusqu’à Gubbet-Kharab.
— Où sommes-nous donc ? lui demanda Philippe lorsqu’il connut la situation.
— Près de Douddé, répondit Youssouf. C’est un point d’eau voisin de celui d’Abaïtou.
— Mais alors, répondit Philippe, nous n’avons qu’un jour de retard. Rien n’est perdu peut-être. En route, vite !
Les mulets furent sellés, bâtés, chargés. Haïlé et Omar déchirèrent un lambeau de leur pagne pour panser les blessures superficielles qu’ils avaient, l’un à la nuque, l’autre au bras gauche. La file se reforma.
Seule Yasmina ne put se lever. Dans le piétinement du combat, elle avait eu une cheville foulée. Sans dire un mot, Moussa la posa sur ses épaules et ferma la marche.
Les guerriers danakils s’étaient égaillés sur les rives de l’oued. Dans le lit desséché demeurèrent, face au ciel et affreusement mutilés, des cadavres noirs.
Deux feux de brousse flambaient dans l’obscurité profonde. L’un éclairait les guerriers danakils qui parlaient de leur victoire. Autour du second s’était disposée la caravane. Les mulets broutaient l’herbe humide qui poussait dans la dépression de Douddé. Omar et Haïlé dormaient déjà d’un sommeil fiévreux. Moussa, accroupi près de la petite Bédouine, chantonnait doucement. Igricheff et Philippe, ayant achevé l’éternel plat de riz, allumèrent des cigarettes.
— Tout est pour le mieux, dit le bâtard kirghize. Vous avez deux guides pour rejoindre Mordhom. La piste passe entièrement en territoire dankali. Donc pas de surprise à craindre. Vous avez un interprète dévoué : Omar. Je suis tranquille pour vous.
Philippe se mit à rire et répliqua :
— Vous êtes vraiment drôle, Igricheff. Vous me parlez comme si nous devions nous séparer demain. Pas demain, ce soir. Quoi ?
— Je dis bien : nous allons nous quitter ce soir.
— Mais vous êtes fou. Il n’y a que deux routes : celle du Gubbet et celle de Daouenlé. Vous n’allez tout de même pas me faire croire que vous êtes fatigué et que vous voulez rentrer.
Le bâtard kirghize eut un sourire bref.
— Fatigué, je le suis, et d’avance, de marcher encore deux jours ou trois pour vendre la marchandise de Mordhom.
— Alors, où irez-vous ?
— Dans l’Haoussah, chez les Cheveux-Rouges. Il y a sûrement quelque chose à faire dans ce pays. Personne ne le connaît. Avec Youssouf, j’y arriverai bien.
— Youssouf aussi ? murmura Philippe.
— C’est un homme de mon bord et pas du vôtre, ni même de celui de Mordhom. Je vous laisse mon fusil. Vous voyez, je suis large. Adieu, Philippe. J’ai de l’amitié pour vous.
Le bâtard kirghize secoua la cendre de sa cigarette et se dirigea vers le campement des Danakils. Philippe resta pétrifié devant le feu. Le sommeil le surprit assis sur une caisse.
Et ce fut la troisième nuit de la caravane.