Ce fut une femme maigre et pâle que Rhett alla conduire au train de Jonesboro un mois plus tard. Wade et Ella, qui devaient accompagner leur mère, se taisaient et éprouvaient un sentiment de gêne devant le visage figé et blême de Scarlett. Ils ne quittaient pas Prissy d’une semelle, car, même pour leur petit cerveau d’enfants, il y avait quelque chose d’effrayant dans l’atmosphère froide et neutre qui régnait entre leur mère et leur beau-père. Malgré sa faiblesse, Scarlett partait pour Tara. Elle avait l’impression que, si elle restait un jour de plus à Atlanta, elle étoufferait. Elle n’en pouvait plus de tourner et de retourner en vain dans son esprit les mêmes pensées qui invariablement la ramenaient à constater le gâchis de sa vie. Son corps était malade et son âme dolente. Elle était comme un enfant égaré au milieu d’un pays de cauchemar, et elle n’avait aucun point de repère pour se guider.
Elle fuyait Atlanta comme elle l’avait fui autrefois devant l’armée des envahisseurs et reléguait ses soucis à l’arrière-plan grâce à sa vieille formule de défense « Je ne veux pas y penser maintenant. Si j’y pense, je n’y résisterai pas. J’y penserai demain à Tara. Après tout, la nuit porte conseil. » Il lui semblait que, si elle pouvait retrouver le calme et les verts champs de coton de sa terre natale, tous ses soucis s’évanouiraient et qu’elle arriverait à rassembler ses pensées éparses.
Rhett suivit le train du regard jusqu’à ce qu’il eût disparu, et son visage prit une expression amère qui n’avait rien d’agréable à voir. Il soupira, renvoya la voiture et, sautant sur son cheval, se dirigea vers la rue au Houx où habitait Mélanie.
La matinée était chaude et Mélanie était assise sous sa véranda tapissée de feuillages. Dans sa corbeille à ouvrage s’entassait une pile de chaussettes à raccommoder. Confuse et effrayée, elle vit Rhett mettre pied à terre et passer les rênes de son cheval au bras du négrillon de fonte posté à l’entrée de l’allée. Elle ne l’avait pas vu depuis ce jour terrible où Scarlett avait été si malade et où il avait été si… eh bien ! mettons si ivre. Mélanie s’en serait voulu de prononcer le mot qui lui venait à l’esprit. Elle n’avait échangé avec lui que de menus propos pendant la convalescence de Scarlett et, en ces occasions, elle avait eu bien du mal à le regarder en face. Néanmoins il avait continué à faire preuve de la même amabilité que par le passé et rien en lui n’aurait permis de croire qu’il y avait eu une telle scène entre eux. Ashley lui avait raconté une fois que les hommes oubliaient souvent ce qu’ils avaient dit en état d’ivresse, et Mélanie souhaitait de tout son cœur que le capitaine Butler eût perdu la mémoire de ces événements. Plutôt mourir que d’apprendre un jour qu’il se rappelait ses épanchements. Gênée, intimidée, le feu aux joues, elle le regardait monter l’allée. Peut-être n’était-il venu que pour lui demander si Beau pouvait passer l’après-midi avec Bonnie. En tout cas, il ne pouvait sûrement pas avoir le mauvais goût de venir la remercier de ce qu’elle avait fait ce jour-là !
Elle se leva pour aller au-devant de lui et, comme toujours, remarqua avec surprise qu’il avait la démarche légère pour un homme de sa carrure.
« Scarlett est partie ?
— Oui, Tara lui fera du bien, dit-il en souriant. Il m’arrive de penser qu’elle est comme le géant Antée dont la force augmentait chaque fois qu’il touchait la terre nourricière. Ça ne vaut rien à Scarlett de rester trop longtemps éloignée du lopin de glaise rouge qu’elle aime. La vue des cotonniers en pleine croissance lui fera plus de bien que tous les reconstituants du docteur Meade.
— Vous ne voulez pas vous asseoir ? » fit Mélanie, troublée. Il était si large, si mâle, et auprès des êtres débordants de vigueur elle se sentait toujours décontenancée. Ils paraissaient dégager une force et une vitalité qui la rendaient à ses propres yeux plus petite et plus faible qu’elle n’était. Il était si basané, si impressionnant ! Les muscles épais de ses épaules roulaient sous sa veste de toile blanche d’une façon qui l’effrayait. Il lui semblait impossible d’avoir vu toute cette force orgueilleuse s’abaisser devant elle. Et dire qu’elle avait tenu cette tête noire sur ses genoux !
« Oh ! mon Dieu ! » pensa-t-elle et, de nouveau, elle rougit.
« Madame Melly, fit Rhett d’une voix douce, ma présence vous ennuie-t-elle ? Préférez-vous que je m’en aille ? Dites-le-moi franchement. »
« Oh ! songea Melly. Il se souvient ! Et il sait combien je suis troublée. »
Elle leva vers lui un regard implorant, mais tout d’un coup sa gêne et sa confusion disparurent. Il y avait tant de paix, de bonté et de compréhension dans les yeux de Rhett qu’elle se demanda comment elle avait pu être assez bête pour s’émouvoir. Il avait les traits tirés et Mélanie trouva non sans surprise qu’il avait plutôt l’air triste. Comment avait-elle bien pu penser qu’il serait assez mal élevé pour ramener sur le tapis des sujets que tous deux souhaitaient d’oublier ? « Le pauvre, il s’est fait tellement de soucis pour Scarlett », pensa-t-elle. Et, avec un sourire, elle ajouta tout haut : « Je vous en prie, asseyez-vous, capitaine Butler. »
Il s’assit lourdement et observa Mélanie qui reprenait son raccommodage.
« Madame Melly, je suis venu pour vous demander une grande faveur, et, fit-il avec un sourire qui lui tira le coin de la bouche, je voudrais que vous me promettiez votre concours pour mener à bien une supercherie dont la seule idée, je le sais, vous fera reculer d’horreur.
— Une supercherie ?
— Oui. En fait, je suis venu pour vous parler d’affaires.
— Oh ! mon Dieu ! En ce cas, c’est M. Wilkes que vous devriez voir. Je suis une vraie buse en affaires. Je n’ai pas l’intelligence de Scarlett.
— Je crains que Scarlett ne soit trop intelligente pour son bien, et c’est exactement de cela que je désire vous entretenir. Vous savez combien elle a été… malade. Lorsqu’elle reviendra de Tara, elle sera tout feu tout flamme pour reprendre son activité au magasin et à ses scieries que j’aimerais tant voir sauter une belle nuit. Je crains pour sa santé, madame Melly.
— Oui, elle en fait beaucoup trop. Vous devriez l’obliger à s’arrêter et à se surveiller. » Rhett se mit à rire.
« Vous savez combien elle a la tête dure. Je n’essaie même jamais de discuter avec elle. Elle est comme une enfant têtue. Elle ne veut pas me laisser l’aider… elle ne veut l’aide de personne. Je me suis efforcé d’obtenir d’elle qu’elle vende sa part dans les scieries, mais elle ne veut rien entendre. Maintenant, madame Melly, j’aborde la question affaires. Je sais que Scarlett serait disposée à vendre le reste de ses intérêts dans les scieries à M. Wilkes, mais à personne d’autre, et je veux que M. Wilkes lui achète sa part.
— Oh ! mon Dieu ! ce serait merveilleux, mais… »
Mélanie s’arrêta net et se mordit la lèvre. Elle ne pouvait pas parler des finances du ménage à un étranger. Malgré ce qu’Ashley gagnait à la scierie, elle et lui semblaient n’avoir jamais assez d’argent. Elle était désolée de faire si peu d’économies. Elle ne savait pas où passait l’argent. Ashley lui donnait assez pour faire marcher la maison, mais c’était à cause des dépenses imprévues qu’ils étaient souvent enfoncés. Bien entendu, les honoraires de médecin étaient si élevés et puis les livres et les meubles qu’Ashley commandait à New York finissaient par représenter une certaine somme. Ils avaient nourri et habillé pas mal de sans abris qu’ils hébergeaient dans leur cave. Ashley ne refusait jamais de prêter de l’argent à un homme qui avait servi dans les rangs confédérés et…
« Madame Melly, j’ai l’intention de vous prêter la somme nécessaire.
— C’est très aimable à vous, mais nous risquerions de ne jamais vous rembourser.
— Je ne tiens pas à être remboursé. Ne vous mettez pas en colère contre moi, madame Melly ! Je vous en prie, écoutez-moi jusqu’au bout. Je serai bien assez remboursé si je sais que Scarlett ne se fatigue plus à faire des milles et des milles chaque jour pour aller aux scieries. Le magasin suffira à son bonheur… Ne comprenez-vous pas ?
— C’est-à-dire… oui… fit Mélanie, peu convaincue.
— Vous voulez offrir un poney à votre fils, n’est-ce pas ? Vous voulez également qu’il aille à l’Université, puis à Harvard, puis en Europe ?
— Oh ! bien sûr, s’écria Mélanie dont le visage s’éclaira comme toujours lorsqu’il était question de Beau. Je veux qu’il ait tout ce qu’il lui faut, mais… enfin, tout le monde est si pauvre aujourd’hui que…
— M. Wilkes pourrait gagner beaucoup d’argent avec les scieries, insinua Rhett. Et il me serait agréable de voir Beau profiter de tous les avantages qu’il mérite.
— Oh ! capitaine Butler, vous êtes un malin, s’exclama Mélanie en souriant. En appeler à l’orgueil d’une mère ! Je lis en vous comme dans un livre !
— J’espère bien que non, dit Rhett et, pour la première fois, une petite flamme pétilla dans ses yeux. Allons, voulez vous me laisser vous prêter l’argent ?
— Mais où y a-t-il supercherie dans tout cela ?
— Attendez ! il faut que nous nous conduisions comme des conspirateurs et que nous roulions à la fois Scarlett et M. Wilkes.
— Oh ! mon Dieu ! Je ne pourrai jamais !
— Si Scarlett savait que je trame quelque chose derrière son dos, même pour son propre bien… allons, vous connaissez son caractère ? Et je crains que M. Wilkes n’accepte pas que je lui prête de l’argent. Il faut donc que ni l’un ni l’autre ne sache d’où vient cette somme ?
— Oh ! mais je suis sûre que M. Wilkes ne refuserait pas si on lui expliquait de quoi il s’agit. Il aime tant Scarlett.
— Oui, j’en suis persuadé, fit Rhett avec douceur. Mais il refuserait quand même. Vous savez combien les Wilkes sont fiers.
— Oh ! s’exclama Mélanie d’un ton lamentable. Je voudrais… vraiment, capitaine Butler, je ne peux pas mentir à mon mari.
— Même pas pour aider Scarlett ? » Rhett eut l’air très peiné. « Et dire qu’elle vous aime tant ! »
Des larmes tremblèrent au bord des cils de Mélanie.
« Vous savez bien que je ferais n’importe quoi pour elle. Je ne pourrais jamais, jamais lui rendre la moitié de ce qu’elle a fait pour moi. Vous le savez.
— Oui, acquiesça Rhett laconiquement. Je sais ce qu’elle a fait pour vous. Ne pourriez-vous pas dire à M. Wilkes qu’un de vos parents vous a couchée sur son testament ?
— Oh ! capitaine Butler, tous les membres de ma famille en sont réduits à la portion congrue.
— Alors, si j’envoie l’argent à M. Wilkes par la poste sans qu’il sache le nom de l’expéditeur, ferez-vous en sorte qu’il s’en serve pour acheter les scieries et non pas… eh bien, pour qu’il ne le distribue pas aux anciens Confédérés dans la misère ? »
Sur le moment Mélanie parut choquée par ces derniers mots comme s’ils étaient dirigés contre Ashley, mais Rhett sourit d’un air si compréhensif qu’elle sourit à son tour. « Entendu, je veillerai à cela.
— Alors, l’affaire est conclue ? Nous garderons le secret pour nous ?
— Mais je n’ai rien de secret pour mon mari !
— J’en suis certain, madame Melly. »
Tout en regardant Rhett, Mélanie pensa combien elle avait vu juste en lui alors que tant de personnes s’étaient trompées sur son compte. On avait dit qu’il était brutal, méprisant, mal élevé et même malhonnête, quoique bien des gens parmi les plus comme il faut commençassent à revenir sur leur opinion. Allons ! Elle au moins, dès le début, avait deviné que c’était un homme admirable. Il ne l’avait jamais traitée qu’avec la plus grande amabilité et le plus grand respect, et comme il avait montré qu’il la comprenait bien ! Et puis, comme il aimait Scarlett ! C’était charmant de sa part d’employer ce moyen détourné pour débarrasser Scarlett d’un de ses fardeaux.
Dans un élan de sympathie envers lui, elle dit : « Scarlett a de la chance d’avoir un mari aussi gentil pour elle !
— Vous croyez ? Je craindrais qu’elle ne fût pas de votre avis si elle pouvait vous entendre. D’ailleurs, je tiens également à être gentil pour vous, madame Melly. Je vous donne plus que je ne donne à Scarlett.
— À moi ? interrogea-t-elle, étonnée. Vous voulez dire à Beau. »
Rhett ramassa son chapeau et se leva. Il resta un moment à regarder le visage sans attraits de Mélanie, ce visage en forme de cœur avec ses cheveux plantés très bas sur le front et dessinant une pointe accentuée, avec ses yeux sombres et graves, le visage d’une femme sans défense contre la vie.
« Non, pas pour Beau. J’essaie de vous donner quelque chose d’encore plus précieux que Beau, si vous pouvez concevoir cela.
— Non, ça m’est impossible, fit Mélanie au comble de la surprise. Je n’ai rien au monde de plus précieux que Beau sauf Ash… sauf M. Wilkes. »
Rhett ne dit rien et, les traits immobiles, continua de regarder Mélanie.
« Comme vous êtes gentil, capitaine Butler, de vouloir faire quelque chose pour moi, mais vraiment j’ai tant de chance, je possède tout ce qu’une femme peut désirer au monde.
— C’est parfait, déclara Rhett, soudain rembruni, et j’ai bien l’intention de veiller à ce que vous conserviez tout ce à quoi vous tenez. »
Lorsque Scarlett revint de Tara, son visage avait perdu sa pâleur maladive, ses joues étaient rebondies et légèrement rosées. Ses yeux verts avaient retrouvé leur éclat et leur vivacité, et pour la première fois depuis des semaines elle rit tout haut devant l’accoutrement de Rhett et de Bonnie venus la chercher au train qui la ramenait ainsi que Wade et Ella. Deux plumes de dindon ornaient le chapeau de Rhett ; quant à Bonnie non seulement sa robe de gala était toute déchirée, mais ses joues étaient barbouillées d’indigo et une plume presque aussi grande qu’elle était plantée dans ses boucles. Sans aucun doute le père et la fille jouaient aux Indiens lorsque l’heure de se rendre au train avait sonné et, à la mine contrite de Rhett et à l’air indigné de Mama, on devinait sans peine que Bonnie avait refusé qu’on remédiât à sa toilette, même pour aller au-devant de sa mère.
« Vous voilà dans un bel état ! » fit Scarlett en embrassant la petite et en tendant la joue à Rhett. La gare était noire de monde, sans quoi elle ne se fût jamais prêtée à cette caresse. Malgré la gêne que lui causait la tenue de Bonnie, elle ne put s’empêcher de remarquer que les gens, bien loin de se moquer du père et de la fille, riaient de bon cœur au spectacle qu’ils offraient et les trouvaient charmants. Tout le monde savait que la benjamine de Scarlett menait son père par le bout du nez et chacun approuvait et s’en amusait. Le grand amour de Rhett pour son enfant avait beaucoup contribué à le faire remonter dans l’estime des gens d’Atlanta.
Dans la voiture qui la ramenait chez elle, Scarlett n’arrêta pas de raconter des histoires du comté. Le temps sec et chaud était favorable au coton qui venait si vite qu’on pouvait presque l’entendre pousser. Malheureusement Will annonçait que les prix seraient bas à l’automne. Suellen attendait un autre bébé, chuchota Scarlett pour ne pas être entendue des enfants. Ella avait déployé un rare courage en mordant la fille aînée de Suellen. Ce n’était pas beau, mais c’était pourtant tout ce que la petite Susie méritait, car elle était tout le portrait de sa mère. Suellen d’ailleurs s’était fâchée et les deux sœurs avaient eu une violente altercation qui avait rappelé à Scarlett le bon vieux temps. Wade avait tué tout seul un mocassin d’eau. Randa et Camilla Tarleton étaient institutrices. La plaisanterie était bien bonne. Aucune des Tarleton n’avait jamais été capable d’épeler correctement le mot « chat ». Betsy Tarleton avait épousé un gros homme de Lovejoy, le ménage cultivait le coton à Joli Coteau. Mme Tarleton avait une poulinière et un poulain et elle était aussi heureuse que si l’on lui avait donné un million de dollars. La maison des Calvert était occupée par un essaim de nègres qui l’avaient achetée en vente publique. La propriété était dans un état pitoyable et on avait envie de pleurer quand on passait devant. Personne ne savait où étaient Cathleen et son triste mari. Alex allait épouser Sally, la veuve de son frère ! Avait-on idée de cela après avoir vécu tant d’années sous le même toit. Tout le monde disait que c’était un mariage de convenance, parce que les gens commençaient à jaser sur eux parce que la vieille grand-mère et Mme Jeune étaient mortes et qu’ils habitaient seuls ensemble. Dimity Munroe avait failli en mourir de chagrin, mais tant pis pour elle. Si elle avait eu un peu plus de nerf, elle aurait déniché un autre homme depuis longtemps au lieu d’attendre qu’Alex eût de l’argent pour l’épouser.
Scarlett bavardait allégrement, mais il y avait beaucoup de choses qu’elle passait sous silence, beaucoup de choses pénibles quand on y songeait. Elle avait parcouru tout le comté en voiture avec Will et s’était efforcée de ne pas se rappeler l’époque où les cotonniers verdissaient ces milliers d’arpents fertiles. Maintenant, les plantations retournaient les unes après les autres à la forêt. Les genêts, les chênes et les pins avaient envahi petit à petit les ruines et les anciens champs de coton. C’était sinistre à voir. Sur cent arpents de terre labourée jadis, il n’y en avait plus qu’un de cultivé désormais. On avait l’impression de traverser une région morte.
« Cette contrée en a pour cinquante ans à se remettre… si jamais elle s’en remet, avait déclaré Will. Grâce à vous et à moi, Scarlett, Tara est la meilleure ferme du comté, mais ce n’est qu’une ferme qu’on exploite avec deux mules, ce n’est pas une plantation. Après Tara, il y a la propriété des Fontaine et puis celle des Tarleton. Tous ces gens-là ne gagnent pas beaucoup d’argent, mais ils ont de l’énergie. Les autres fermes… » Non, Scarlett n’aimait pas beaucoup à se rappeler l’aspect du comté désert qui paraissait encore plus lugubre quand on le comparait à Atlanta en plein essor.
« Il ne s’est rien passé ici ? » demanda Scarlett lorsqu’elle se fut installée sous la véranda avec Rhett et Bonnie. En chemin, Scarlett avait parlé sans arrêt de peur que le silence ne s’abattît entre elle et Rhett. Depuis le jour où elle était tombée à la renverse dans l’escalier, elle ne s’était jamais trouvée seule avec Rhett, et l’idée d’un tête-à-tête avec lui ne lui plaisait pas outre mesure. Elle ignorait quels étaient ses sentiments à son égard. Durant sa convalescence, il avait été la bonté même, mais sa bonté avait été celle d’un étranger. Il avait prévenu ses moindres désirs, empêché les enfants de la déranger, et dirigé pour elle le magasin et les scieries. Mais jamais il ne lui avait dit : « Je regrette. » Peut-être ne regrettait-il rien du tout. Peut-être continuait-il à penser que l’enfant qui ne devait jamais naître n’était pas de lui. Comment aurait-elle pu lire ce qui se passait derrière ce visage hermétique ? Cependant, pour la première fois depuis leur mariage, il avait manifesté une certaine tendance à être correct et le désir de vivre comme s’il ne s’était rien produit de fâcheux entre eux… oui, comme s’il ne s’était rien passé entre eux, se disait Scarlett, sans enthousiasme. Allons, si c’était cela qu’il voulait, elle aussi pourrait tenir son rôle.
« Tout va bien ? demanda-t-elle de nouveau. Avez-vous fait mettre de nouveaux bardeaux au magasin ? Avez-vous échangé les mules ? Pour l’amour de Dieu, Rhett, ôtez ces plumes de votre chapeau. Ça vous donne un air idiot et vous êtes capable de les oublier et de sortir en ville comme ça.
— Non, fit Bonnie en ramassant le chapeau de son père pour le protéger.
— Tout marche à souhait ici, répondit Rhett. Bonnie et moi nous nous sommes bien amusés et je ne pense pas qu’on l’ait peignée une seule fois depuis votre départ. Ne suce pas ces plumes, ma chérie, c’est mauvais. Oui, on a mis les bardeaux au magasin et j’ai fait une bonne opération avec les mules. Non, il n’y a rien de neuf. Tout est très calme. »
Puis, comme s’il venait de se rappeler soudain quelque chose, il ajouta : « L’honorable Ashley est venu faire un tour à la maison hier soir. Il voulait savoir si je pensais que vous seriez disposée à lui vendre votre scierie et la part d’intérêts que vous avez dans la sienne. »
Scarlett qui était en train de se balancer dans son fauteuil et de s’éventer avec un éventail de plumes s’arrêta net.
« Vendre ? Mais où diable Ashley a-t-il trouvé de l’argent ? Vous savez bien qu’ils n’ont pas un sou. Mélanie dépense tout l’argent qu’il gagne. »
Rhett haussa les épaules.
« Je m’étais toujours imaginé que Mme Melly était une petite femme aux goûts simples, mais je ne suis pas aussi au courant des faits et gestes du ménage Wilkes que vous semblez l’être. »
Ce coup latéral était bien dans l’ancien style de Rhett, et Scarlett en fut ennuyée.
« Sauve-toi, ma chérie, dit-elle à Bonnie, Maman veut parler à papa.
— Non », répondit catégoriquement Bonnie qui grimpa sur les genoux de Rhett.
Scarlett fronça les sourcils et la petite, la regardant de travers, ressembla tellement à Gérald O’Hara que Scarlett faillit pouffer de rire.
« Laissez-la là, fit Rhett. Oui, reprit-il, quant à savoir d’où il tient cet argent il paraîtrait que la personne qui le lui a envoyé est un homme qu’il a guéri d’un cas de variole à Rock Island. Ça renouvelle ma foi en la nature humaine de savoir que la gratitude existe encore.
— Qui était cette personne ? Quelqu’un que nous connaissons ?
— La lettre n’était pas signée et venait de Washington. Ashley s’est creusé la tête dans tous les sens pour savoir qui l’avait expédiée. Mais quoi, les gens qui, comme Ashley, ont l’âme charitable, s’en vont de par le monde et accomplissent tant de bonnes actions qu’il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils se les rappellent toutes. »
Si elle n’avait pas été aussi éberluée par la bonne aubaine d’Ashley, Scarlett eût relevé le gant, bien qu’à Tara elle eût pris la ferme résolution de ne plus jamais se laisser entraîner dans une querelle avec Rhett au sujet d’Ashley. Le terrain sur lequel elle se mouvait en ce moment était trop peu sûr et, jusqu’à ce qu’elle sût exactement à quoi s’en tenir avec les deux hommes, elle n’avait aucune envie d’aligner ses troupes.
« Ainsi, il veut acheter mes scieries ?
— Oui, mais bien entendu je lui ai dit que vous ne les vendriez pas.
— J’aimerais que vous me laissiez m’occuper de mes affaires.
— Voyons, vous savez bien que vous ne vous séparerez pas de ces scieries. Je lui ai dit qu’il savait aussi bien que moi que vous ne pouviez pas supporter de ne pas fourrer votre nez dans les affaires des autres et que si vous lui vendiez vos scieries vous ne pourriez plus lui donner de conseils sur la façon de mener sa barque.
— Vous avez osé lui dire cela de moi ?
— Pourquoi pas ? Ce n’est pas la vérité ? Je crois qu’il a été entièrement de mon avis, mais, bien entendu, il est trop galant homme pour rien en laisser paraître.
— C’est un mensonge ! Dans ces conditions, je lui vends mes scieries ! » s’écria Scarlett avec colère.
Jusqu’à ce moment-là, elle n’avait eu aucune envie de se débarrasser des scieries. Elle avait plusieurs raisons d’y tenir, et parmi ces raisons la valeur monétaire qu’elles représentaient était la moins importante. Au cours des dernières années, elle aurait pu s’en défaire à n’importe quel moment pour une grosse somme, mais elle avait refusé toutes les offres. Les scieries étaient la preuve tangible de ce qu’elle avait réalisé sans l’aide de personne après avoir surmonté de rudes obstacles, et elle en était aussi fière que d’elle-même. Enfin et surtout, elle ne voulait pas les vendre parce qu’elles étaient le seul chemin qui lui permettait de se rapprocher d’Ashley. Si les scieries passaient entre d’autres mains que les siennes, elle ne verrait probablement plus jamais Ashley en tête-à-tête. Elle avait besoin de le voir seul. Elle ne pouvait plus continuer comme cela à se demander quels étaient ses sentiments envers elle, à se demander si tout son amour pour elle n’était pas mort, étouffé sous le poids de la honte depuis la terrible réception de Mélanie. La gestion de ses affaires lui fournirait maintes occasions de bavarder avec Ashley sans avoir l’air de courir après lui. Et, avec le temps, elle se savait en mesure de regagner tout le terrain qu’elle risquait d’avoir perdu dans son cœur. Mais si elle vendait les scieries…
Non, elle ne voulait pas s’en débarrasser, mais, fouaillée par la pensée que Rhett l’avait dépeinte à Ashley sous un jour aussi véridique et aussi peu flatteur, elle s’était instantanément décidée. Ashley aurait donc les scieries et à un prix si bas qu’il ne pourrait pas s’empêcher de remarquer combien elle était généreuse.
« Je les vendrai ! s’écria-t-elle, furieuse. Hein ! que pensez-vous de cela ? »
Rhett se pencha pour relacer la chaussure de Bonnie et dans ses yeux brilla une imperceptible lueur de triomphe.
« Je crois que vous le regretterez », dit-il.
C’était exact. Déjà, elle regrettait ses paroles hâtives. Si elle les avait prononcées devant n’importe qui, excepté Rhett, elle les aurait rétractées sans vergogne. Pourquoi s’était-elle laissé emporter comme cela ? Elle regarda Rhett les sourcils froncés et s’aperçut qu’il l’observait avec son air de chat aux aguets. En remarquant le froncement de ses sourcils, Rhett partit d’un brusque éclat de rire qui découvrit ses dents étincelantes de blancheur. Scarlett eut l’impression désagréable qu’il venait de lui jouer un mauvais tour.
« Auriez-vous quelque chose à voir dans tout cela ? lança-t-elle d’un ton sec.
— Moi ? Les sourcils de Rhett se relevèrent en signe de surprise. Moi ? Vous devriez mieux me connaître. Je ne m’en vais jamais de par le monde accomplir de bonnes actions lorsque rien ne m’y force. »
Ce même soir Scarlett vendit à Ashley ses scieries et tous les intérêts qu’elle y avait. Elle n’y perdit pas, car Ashley refusa de profiter de l’offre trop basse qu’elle lui avait fixée tout d’abord et fixa de lui-même le prix en se basant sur la somme la plus élevée qu’on lui eût proposée. Après qu’elle eut signé les papiers et renoncé irrévocablement aux scieries, après que Mélanie se fut mise en devoir de servir de petits verres de vin à Ashley et à Rhett pour célébrer l’opération, Scarlett se sentit dépossédée comme si elle avait vendu un de ses enfants.
Elle avait aimé ses scieries, elles avaient été sa fierté, l’œuvre de ses petites mains cupides. Elle était partie avec une scierie de rien du tout en ces jours sombres où Atlanta commençait à peine à se relever de ses ruines et de ses cendres. Elle avait lutté et combiné pour elles, elle les avait protégées aux temps sinistres où rôdait le spectre de la confiscation, où l’argent était rare, où les hommes intelligents perdaient pied. Et maintenant qu’Atlanta pansait ses blessures, que l’on construisait partout, que chaque jour la ville recevait de nouveaux contingents d’étrangers, elle avait deux belles scieries, deux chantiers de bois, une douzaine d’attelages de mules et des forçats qui lui fournissaient de la main-d’œuvre à bon marché. Dire adieu à tout cela, c’était fermer à jamais une porte sur un passé pénible et amer dont elle ne se souvenait pas sans satisfaction nostalgique.
Elle avait monté elle-même cette affaire et, maintenant qu’elle l’avait vendue, elle était oppressée par la certitude que, sans elle à la barre, Ashley allait gâcher son œuvre, tout ce qu’elle avait eu tant de mal à édifier. Ashley ne se méfiait de personne et il en était encore à apprendre la différence entre du deux sur quatre et du six sur huit. Et, pour comble de malheur, elle ne pourrait même pas le faire profiter de son expérience, le guider de ses conseils… tout cela parce que Rhett avait raconté à Ashley qu’elle aimait à régenter tout le monde. « Oh ! que le diable emporte ce Rhett ! » pensa-t-elle et, plus elle l’observait, plus elle acquérait la conviction qu’il avait manigancé toute l’affaire. Comment il s’y était pris et à quels motifs il avait obéi, c’était ce qui lui restait à savoir. Il bavardait avec Ashley et ses paroles arrachèrent brusquement Scarlett à ses réflexions. « Je suppose que vous allez vous débarrasser tout de suite des forçats », dit-il.
Se débarrasser des forçats ? Mais il n’était pas question de cela. Rhett savait pertinemment que, si les scieries réalisaient de gros bénéfices, c’était à cause de la main-d’œuvre à bon marché fournie par les forçats. Enfin, pourquoi Rhett parlait-il avec autant d’assurance de la future ligne de conduite d’Ashley ? Que savait-il de lui ? « Oui, je vais les renvoyer sans tarder, répondit Ashley en évitant le regard stupéfait de Scarlett.
— Est-ce que vous êtes fou ? s’exclama celle-ci. Vous allez perdre tout l’argent que j’ai versé à l’État lorsque j’ai embauché les forçats. Et puis, quel genre de main-d’œuvre allez-vous avoir ?
— J’embaucherai des affranchis, fit Ashley.
— Des affranchis ! Vous en avez de bonnes ! Vous savez ce qu’ils demandent comme salaire, et par-dessus le marché vous aurez toute la journée les Yankees sur le dos pour voir si vous leur donnez du poulet aux trois repas et si vous les bordez dans leur lit. Si jamais vous avez le malheur d’administrer à un fainéant une ou deux taloches pour le secouer un peu, vous entendrez les Yankees pousser les hauts cris d’ici à Dalton et vous finirez en prison. Mais voyons, les forçats sont les seuls… »
Mélanie baissa la tête et contempla ses mains croisées sur ses genoux. Ashley avait l’air malheureux et buté. Il se tut pendant un moment. Alors ses yeux rencontrèrent ceux de Rhett et l’on eût dit qu’il y puisait de la compréhension et du réconfort, car il reprit la parole. Cet échange de regards ne fut pas perdu pour Scarlett.
« Je n’emploierai pas de forçats, Scarlett, dit-il d’un ton tranquille.
— Ça, par exemple ! Elle en avait le souffle coupé. Et pourquoi pas ? Auriez-vous peur que les gens ne disent du mal de vous comme ils en disent de moi ? » Ashley releva la tête.
« Je ne crains pas ce que peuvent dire les gens tant que je suis dans mon bon droit, et je n’aurai jamais l’impression d’être dans mon bon droit en employant des forçats.
— Mais voyons…
— Je ne peux pas gagner de l’argent en exploitant les malheurs d’autrui.
— Mais vous avez bien eu des esclaves !
— Ils n’étaient pas malheureux et d’ailleurs, après la mort de père, je les aurais tous affranchis si la guerre ne s’en était chargée. Mais pour les forçats ce n’est pas la même chose, Scarlett. Le système se prête trop aux abus. Vous l’ignorez peut-être, mais moi je sais à quoi m’en tenir. Je sais parfaitement que Johnnie Gallegher a tué au moins un homme à son camp, peut-être davantage… Qui s’en inquiétera, hein ? un forçat de plus ou de moins, ça ne compte pas. Gallegher prétend que le malheureux a été tué alors qu’il cherchait à s’évader, mais ce n’est pas ce que j’ai entendu dire ailleurs. Je sais également qu’il emploie des hommes trop malades pour travailler. Appelez ça de la superstition si vous voulez, mais je ne pense pas qu’on puisse tirer son bonheur de sommes gagnées en exploitant les souffrances des autres.
— Cornebleu ! Vous voulez dire… nom d’un chien, Ashley, vous n’avez tout de même pas avalé tous les sermons ronflants du révérend Wallace sur l’argent souillé ?
— Je n’en ai pas eu besoin. Il y a beau temps que je partageais ses idées.
— Alors, vous devez croire que tout mon argent est maudit, s’écria Scarlett, qui commençait à s’emporter. Parce que j’ai fait travailler des forçats, parce que je fais gérer un café… », elle s’arrêta net. Les deux Wilkes paraissaient fort gênés tandis que Rhett s’amusait franchement. « Que le diable l’emporte ! pensa Scarlett pour la seconde fois. Ça y est, il est encore en train de se dire que je fourre mon nez dans les affaires des autres, et Ashley est de son avis. Je voudrais pouvoir casser leurs têtes l’une contre l’autre. »
Elle ravala sa colère et s’efforça de prendre un air à la fois digne et détaché, mais ses efforts ne furent guère couronnés de succès.
« Bien entendu, dit-elle, ça m’est totalement indifférent.
— Scarlett, n’allez pas croire que je vous blâme ! Ce n’est pas vrai. Cela vient uniquement de ce que nous ne considérons pas les choses sous le même angle. Ce qui est bien pour vous peut ne pas l’être pour moi. »
Tout à coup Scarlett eut une envie folle de se trouver seule avec Ashley, d’envoyer promener Rhett et Mélanie à l’autre bout du monde afin de pouvoir s’écrier sans contrainte : « Mais je veux considérer les choses sous le même angle que vous ! Dites-moi exactement quelles sont vos idées, que je puisse vous comprendre et vous ressembler ! »
Mais, en présence de Mélanie, que cette scène faisait trembler, et de Rhett avec ses airs nonchalants et ses sourires, elle n’eut plus qu’une ressource, prendre son ton le plus pincé et déclarer : « Je sais bien que ça ne me regarde pas, Ashley, et loin de moi la pensée de vous donner des conseils. Néanmoins, je dois avouer que je ne comprends ni votre attitude ni vos remarques. »
Oh ! si seulement ils étaient seuls tous les deux, elle ne serait pas obligée de lui dire ces paroles glaciales qui le rendaient malheureux.
« Je vous ai offensée, Scarlett, et je n’en avais pas l’intention. Croyez-moi et pardonnez-moi. Il n’y a rien d’énigmatique dans ce que j’ai dit. J’ai simplement voulu vous montrer que, pour moi, l’argent qu’on se procure par certains moyens n’apporte pas le bonheur.
— Mais vous vous trompez ! s’exclama Scarlett, incapable de se contenir davantage. Prenez mon exemple. Vous savez d’où vient mon argent. Vous savez dans quelle situation j’étais avant d’en gagner. Vous vous souvenez de cet hiver à Tara où il faisait si froid que nous découpions des morceaux dans les tapis pour nous en faire des chaussons, où nous n’avions pas assez à manger, où nous nous demandions comment nous nous y prendrions pour assurer l’éducation de Beau et de Wade. Vous vous rap…
— Oui, je me rappelle, fit Ashley d’un air las, mais j’aimerais mieux oublier.
— Voyons, vous ne pouvez tout de même pas dire que l’un de nous était heureux à cette époque, n’est-ce pas ? Bon ! Regardez-nous maintenant. Vous avez une jolie maison et l’avenir s’annonce bien. Connaissez-vous quelqu’un qui possède une demeure plus belle que la mienne, de plus jolies robes, de plus beaux chevaux ? Personne n’a une table mieux servie que la mienne, personne ne donne de plus belles réceptions que moi et mes enfants ont tout ce qu’ils désirent. Eh bien ! comment ai-je obtenu l’argent nécessaire pour réaliser tout cela ? En attendant que les alouettes me tombent toutes rôties dans le bec ? Eh ! non, pardi ! Des forçats, un bar et…
— Et n’oubliez pas l’assassinat de ce Yankee, coupa Rhett d’une voix suave. C’est bien grâce à lui que vous avez pris le départ. »
Scarlett se tourna vers lui, des mots blessants aux lèvres.
« Et l’argent vous a rendue très, très heureuse, n’est-ce pas, ma chérie ? » demanda-t-il avec une douceur empoisonnée.
Scarlett qui allait riposter s’arrêta court et jeta un regard rapide autour d’elle. Mélanie était sur le point de pleurer tant elle était gênée. Ashley, le visage blême, semblait s’être réfugié dans une région inaccessible ; quant à Rhett, il observait sa femme par-dessus son cigare et semblait fort se divertir. Scarlett voulut s’écrier : « Mais bien sûr l’argent m’a rendue heureuse ! » mais les paroles s’étranglèrent dans sa gorge.