Mon père, d’ailleurs, était inconsciemment complice de mon premier amour. Il l’encourageait plutôt, ravi que ma précocité s’affirmât d’une façon ou d’une autre. Il avait aussi toujours eu peur que je tombasse entre les mains d’une mauvaise femme. Il était content de me savoir aimé d’une brave fille. Il ne devait se cabrer que le jour où il eut la preuve que Marthe souhaitait le divorce.

Ma mère, elle, ne voyait pas notre liaison d’un aussi bon oeil. Elle était jalouse. Elle regardait Marthe avec des yeux de rivale. Elle trouvait Marthe antipathique, ne se rendant pas compte que toute femme, du fait de mon amour, le lui serait devenue. D’ailleurs, elle se préoccupait plus que mon père du qu’en-dira-t-on. Elle s’étonnait que Marthe pût se compromettre avec un gamin de mon âge. Puis, elle avait été élevée à F... Dans toutes ces petites villes de banlieue, du moment qu’elles s’éloignent de la banlieue ouvrière, sévissent les mêmes passions, la même soif de racontars qu’en province. Mais, en outre, le voisinage de Paris rend les racontars, les suppositions, plus délurés. Chacun y doit tenir son rang. C’est ainsi que pour avoir une maîtresse, dont le mari était soldat, je vis peu à peu, et sur l’injonction de leurs Parents, s’éloigner mes camarades. Ils disparurent par ordre hiérarchique : depuis le fils du notaire, jusqu’à celui de notre jardinier. Ma mère était atteinte par ces mesures qui me semblaient un hommage. Elle me voyait perdu par une folle. Elle reprochait certainement à mon père de me l’avoir fait connaître, et de fermer les yeux. Mais, estimant que c’était à mon père d’agir, et mon père se taisant, elle gardait le silence.