Un parfum de provisoire excitait mes sens. D’avoir goûté à des joies plus brutales, plus ressemblantes à celles qu’on éprouve sans amour avec la première venue, affadissait les autres.

J’appréciais déjà le sommeil chaste, libre, le bien-être de se sentir seul dans un lit aux draps frais. J’alléguais des raisons de prudence pour ne plus passer de nuits chez Marthe. Elle admirait ma force de caractère. Je redoutais aussi l’agacement que donne une certaine voix angélique des femmes qui s’éveillent et qui, comédiennes de race, semblent chaque matin sortir de l’au-delà.

Je me reprochais mes critiques, mes feintes, passant des journées à me demander si j’aimais Marthe plus ou moins que naguère. Mon amour sophistiquait tout. De même que je traduisais faussement les phrases de Marthe, croyant leur donner un sens plus profond, j’interprétais ses silences. Ai-je toujours eu tort ; un certain choc, qui ne se peut décrire, nous prévenant que nous avons touché juste. Mes jouissances, mes angoisses étaient plus fortes. Couché auprès d’elle, l’envie qui me prenait, d’une seconde à l’autre, d’être couché seul, chez mes parents, me faisait augurer l’insupportable d’une vie commune. D’autre part, je ne pouvais imaginer de vivre sans Marthe. Je commençais à connaître le châtiment de l’adultère.

J’en voulais à Marthe d’avoir, avant notre amour, consenti à meubler la maison de Jacques à ma guise. Ces meubles me devinrent odieux, que je n’avais pas choisis pour mon plaisir, mais afin de déplaire à Jacques. Je m’en fatiguais, sans excuses. Je regrettais de n’avoir pas laissé Marthe les choisir seule. Sans doute m’eussent-ils d’abord déplu, mais quel charme, ensuite, de m’y habituer, par amour pour elle. J’étais jaloux que le bénéfice de cette habitude revînt à Jacques.

Marthe me regardait avec de grands yeux naïfs lorsque je lui disais amèrement : « J’espère que, quand nous vivrons ensemble, nous ne garderons pas ces meubles. » Elle respectait tout ce que je disais. Croyant que j’avais oublié que ces meubles venaient de moi, elle n’osait me le rappeler. Elle se lamentait intérieurement de ma mauvaise mémoire.