Maintenant qu’il ne me restait plus rien à désirer, je me sentais devenir injuste. Je m’affectais de ce que Marthe pût mentir sans scrupules à sa mère, et ma mauvaise foi lui reprochait de pouvoir mentir. Pourtant l’amour, qui est l’égoïsme à deux, sacrifie tout à soi, et vit de mensonges. Poussé par le même démon, je lui fis encore le reproche de m’avoir caché l’arrivée de son mari. Jusqu’alors, j’avais maté mon despotisme, ne me sentant pas le droit de régner sur Marthe. Ma dureté avait des accalmies. Je gémissais : « Bientôt tu me prendras en horreur. Je suis comme ton mari, aussi brutal. – Il n’est pas brutal », disait-elle. Je reprenais de plus belle : « Alors, tu nous trompes tous les deux, dis-moi que tu l’aimes, sois contente : dans huit jours tu pourras me tromper avec lui. »

Elle se mordait les lèvres, pleurait : « Qu’ai-je donc fait qui te rende aussi méchant ? Je t’en supplie, n’abîme pas notre premier jour de bonheur.

— Il faut que tu m’aimes bien peu pour qu’aujourd’hui soit ton premier jour de bonheur. »

Ces sortes de coups blessent celui qui les porte. Je ne pensais rien de ce que je disais, et Pourtant j’éprouvais le besoin de le dire. Il m’était impossible d’expliquer à Marthe que mon amour grandissait. Sans doute atteignait-il l’âge ingrat, et cette taquinerie féroce, c’était la mue de l’amour devenant passion. Je souffrais. Je suppliai Marthe d’oublier mes attaques.