La nuit descendait de plus en plus tôt ; et la fraîcheur des soirs empêchait nos promenades. Il nous était difficile de nous voir à J... Pour qu’un scandale n’éclatât pas, il nous fallait prendre des précautions de voleurs, guetter dans la rue l’absence des Marin et du propriétaire.
La tristesse de ce mois d’octobre, de ces soirées fraîches, mais pas assez froides pour permettre du feu, nous conseillait le lit dès cinq heures. Chez mes parents, se coucher le jour signifiait : être malade, ce lit de cinq heures me charmait. Je n’imaginais pas que d’autres y fussent. J’étais seul avec Marthe, couché, arrêté, au milieu d’un monde actif. Marthe nue, j’osais à peine la regarder. Suis-je donc monstrueux ? Je ressentais des remords du plus noble emploi de l’homme. D’avoir abîmé la grâce de Marthe, de voir son ventre saillir, je me considérais comme un vandale. Au début de notre amour, quand je la mordais, ne me disait-elle pas : « Marque-moi » ? Ne l’avais-je pas marquée de la pire façon ?
Maintenant Marthe ne m’était pas seulement la plus aimée, ce qui ne veut pas dire la mieux aimée des maîtresses, mais elle me tenait lieu de tout. Je ne pensais même pas à mes amis ; je les redoutais, au contraire, sachant qu’ils croient nous rendre service en nous détournant de notre route. Heureusement, ils jugent nos maîtresses insupportables et indignes de nous. C’est notre seule sauvegarde. Lorsqu’il n’en va plus ainsi, elles risquent de devenir les leurs.