ANIMAUX OBSCENES

 

 

Pour éviter l’ennui d’une enquête, nous décidâmes de gagner l’Espagne. Simone comptait sur le secours d’un richissime Anglais, qui lui avait proposé de l’enlever et de l’entretenir.

Nous quittâmes la villa dans la nuit. Il était facile de voler une barque et d’atterrir en un point désert de la côte espagnole.

Simone me laissa dans un bois pour aller à Saint-Sébastien. Elle revint à la nuit tombante, conduisant une belle voiture.

Simone me dit de Sir Edmond que nous le retrouverions à Madrid, qu’il lui avait toute la journée posé sur la mort de Marcelle les questions les plus minutieuses, l’obligeant même à faire des plans et des croquis. Il envoya pour finir un domestique acheter un mannequin à perruque blonde. Simone dut pisser sur la figure du mannequin étendu les yeux ouverts dans la position de Marcelle. Sir Edmond n’avait pas touché la jeune fille.

Simone, après le suicide de Marcelle, changea profondément. Elle ne fixait que le vague, on aurait cru qu’elle était d’un autre monde. Il semblait que tout l’ennuyât. Elle ne demeurait liée à cette vie que par des orgasmes rares, mais beaucoup plus violents qu’auparavant. Ils ne différaient pas moins des joies habituelles que le rire des sauvages, par exemple, ne diffère de celui des civilisés.

Simone ouvrait d’abord des yeux las sur quelque scène obscène et triste...

Un jour, Sir Edmond fit jeter et enfermer dans une bauge à porcs basse, étroite et sans fenêtres, une petite et délicieuse belle-de-nuit de Madrid ; elle s’abattit en chemise-culotte dans la mare à purin, sous le ventre des truies. Simone se fit longuement baiser par moi dans la boue, devant la porte, tandis que Sir Edmond se branlait.

La jeune fille m’échappa en râlant, saisit son cul à deux mains, cognant contre le sol sa tête violemment renversée ; elle se tendit ainsi quelques secondes sans respirer, ses mains de toutes ses forces ouvraient son cul avec les ongles, elle se déchira d’un coup et se déchaîna à terre comme une volaille égorgée, se blessant dans un bruit terrible aux ferrures de la porte. Sir Edmond lui donna son poignet à mordre. Le spasme longuement continua de la révulser, le visage souillé de salive et de sang.

Elle venait toujours après ces accès se mettre dans mes bras ; son cul dans mes grandes mains, elle restait sans bouger sans parler, comme une enfant, mais sombre.

Toutefois, à ces intermèdes obscènes, que Sir Edmond s’ingéniait à nous procurer, Simone continuait à préférer les corridas. Trois moments des courses la captivaient : le premier, quand la bête débouche en bolide du toril ainsi qu’un gros rat ; le second, quand ses cornes plongent jusqu’au crâne dans le flanc d’une jument ; le troisième, quand l’absurde jument galope à travers l’arène, rue à contre temps et lâche entre ses jambes un paquet d’entrailles aux ignobles couleurs, blanc, rosé et gris nacré. Quand la vessie crevant lâchait d’un coup sur le sable une flaque d’urine de jument, ses narines tremblaient.

D’un bout à l’autre de la corrida, elle demeurait dans l’angoisse, ayant la terreur, expressive au fond d’un insurmontable désir, de voir l’un des monstrueux coups de corne qu’un taureau précipité sans cesse avec colère frappe aveuglément dans le vide des étoffes de couleur, jeter en l’air le torero. Il faut dire, d’ailleurs, que si, sans long arrêt et sans fin, la redoutable bête passe et repasse à travers la cape, à un doigt de la ligne du corps du torero, on éprouve le sentiment de projection totale et répétée particulière au jeu physique de l’amour. La proximité de la mort y est sentie de la même façon. Ces suites de passes heureuses sont rares et déchaînent dans la foule un véritable délire, les femmes, à ces moments pathétiques, jouissent, tant les muscles des jambes et du bas-ventre se tendent.

À propos de corrida, Sir Edmond raconta un jour à Simone qu’encore récemment, c’était l’habitude d’Espagnols virils, toreros amateurs à l’occasion, de demander au concierge de l’arène les couilles grillées du premier taureau. Ils les faisaient porter à leur place, c’est-à-dire au premier rang, et les mangeaient en regardant mourir le suivant. Simone prit à ce récit le plus grand intérêt et comme, le dimanche suivant, nous devions aller à la première grande corrida de l’année, elle demanda à Sir Edmond les couilles du premier taureau. Mais elle avait une exigence, elle les voulait crues.

— Mais, dit Sir Edmond, qu’allez-vous faire de couilles crues ? Vous n’allez pas les manger crues ?

— Je les veux, devant moi, dans une assiette, dit-elle.