Un après-midi, Carmen entra précipitamment dans la chambre de la mère en lui réclamant le diamant.

— C'est Joseph, cria Carmen, c'est Joseph qui a trouvé à le vendre !

La mère se leva comme un ressort et cria qu'elle voulait voir Joseph. Carmen lui dit qu'il n'était pas venu à l'hôtel mais qu'il lui avait téléphoné de venir le rejoindre immédiatement dans un café du haut quartier. Il valait mieux qu'elle ne l'accompagne pas. Joseph pourrait croire qu'elle venait pour le presser de les ramener à la plaine. Or, d'après Carmen, il était clair que Joseph ne l'avait pas encore décidé.

La mère se résigna et donna le diamant à Carmen qui courut rejoindre Joseph en un lieu de rendez-vous inconnu.

Lorsque Suzanne revint du cinéma, le soir même, elle trouva la mère tout habillée qui faisait les cent pas dans le couloir, devant sa chambre. Elle avait dans sa main une liasse de billets de mille francs.

— C'est Joseph, annonça-t-elle triomphalement.

Et elle ajouta à voix plus basse.

— Vingt mille francs. Ce que j'en voulais.

Puis, aussitôt elle changea de ton et se plaignit. Elle dit qu'elle en avait marre de rester au lit et qu'elle aurait voulu aller tout de suite dans les banques pour payer les intérêts de ses dettes, mais qu'elle avait eu l'argent trop tard, que maintenant les banques étaient fermées et que c'était bien là sa déveine habituelle. Dès qu'elle entendit la mère parler à Suzanne, Carmen sortit de sa chambre. Elle paraissait très contente et elle embrassa Suzanne. Mais il n'y avait pas moyen de calmer la mère. Carmen lui proposa de dîner très vite et de sortir après le dîner. La mère mangea à peine. Elle parlait sans arrêt soit des mérites de Joseph, soit de ses projets. Après le dîner, elle suivit Suzanne et Carmen dans un café du haut quartier mais elle refusa d'aller au cinéma en prétextant qu'elle devait se trouver à l'ouverture des banques le lendemain matin.

Lorsqu'elles furent seules, Carmen apprit à Suzanne que c'était à la femme qu'il avait rencontrée que Joseph avait vendu le diamant. Elle l'avait vu très peu de temps. Il n'avait demandé des nouvelles ni de la mère ni d'elle, Suzanne. Il paraissait tellement heureux, qu'elle ne lui avait pas parlé de l'impatience de la mère. Elle était sûre que n'importe qui aurait agi de même. Personne n'aurait troublé le bouleversant bonheur de Joseph. Lorsqu'ils s'étaient quittés, il lui avait dit qu'il reviendrait très bientôt à l'hôtel pour les reconduire à la plaine. Il ne savait pas exactement le jour. Carmen conseilla à Suzanne de ne pas en parler à la mère. Elle disait que Joseph lui-même n'était pas sûr de revenir.

C'est ainsi que la mère eut, pendant quelques heures au moins, la somme de vingt mille francs entre les mains.

Dès le lendemain, elle courut à la banque payer une partie de ses dettes. Carmen le lui avait déconseillé mais elle ne l'avait pas écoutée. C'était, disait-elle, pour redonner confiance et pouvoir réemprunter, par la suite, les sommes nécessaires à la construction de nouveaux barrages. Une fois cela réglé, elle fit successivement deux sortes de démarches. Les premières pour obtenir un rendez-vous du directeur de la banque afin de lui demander de nouveaux crédits, les employés subalternes acceptant bien de recevoir l'argent qu'elle tenait à rembourser, mais se refusant à prendre l'initiative d'approuver sa demande d'emprunt nouveau. Les secondes pour faire avancer le rendez-vous qu'elle avait obtenu à la suite des premières, certes, mais à une échéance si lointaine que l'attente aurait suffi à absorber le maigre reliquat de la vente de la bague, une fois ses intérêts payés.

Les secondes démarches furent les plus longues et d'ailleurs parfaitement inutiles. Quand la mère le comprit, elle s'adressa à une seconde banque auprès de laquelle elle fit de nouveau deux séries de démarches. Et de nouveau, celles-ci s'avérèrent parfaitement inutiles à cause de la solidarité irréductible qui régnait entre les banques coloniales.

Les intérêts étaient beaucoup plus élevés que ce que la mère croyait. Et les démarches, beaucoup plus longues aussi.

Au bout de quelques jours, il ne restait plus à la mère que très peu d'argent. Alors elle se coucha, prit des pilules et dormit tout le jour. En attendant Joseph, dit-elle. Joseph, cause de tous ses maux.