31. Depuis sa plus petite enfance,
Depuis sa plus petite enfance, Robinson était sujet au vertige. Monter debout sur une chaise suffisait à lui donner un malaise. Un jour il avait voulu visiter le clocher de la cathédrale de sa ville natale, York. Après une longue escalade dans l’escalier raide et étroit qui tournait en colimaçon, il avait brusquement quitté l’ombre des murs et s’était retrouvé en plein ciel, sur une plate-forme d’où on voyait toute la ville et ses habitants gros comme des fourmis. Il avait hurlé de peur, et il avait fallu le redescendre comme un paquet, la tête enveloppée dans sa cape d’écolier.
Aussi chaque matin s’efforçait-il de monter dans un arbre pour s’aguerrir. Autrefois, il aurait trouvé cet exercice inutile et ridicule. Depuis qu’il vivait en prenant Vendredi pour modèle, il jugeait important de se débarrasser de son terrible vertige.
Il avait choisi ce matin-là un araucaria, un des plus grands arbres de l’île. Il empoigna la branche la plus basse et se hissa sur un genou. Il gravit ensuite les étages successifs du branchage en songeant qu’il jouirait du lever du soleil un peu plus tôt en se trouvant au sommet de l’arbre. À mesure qu’il grimpait, il sentait davantage l’arbre vibrer et se balancer dans le vent. Le vertige commençait à lui contracter l’estomac. Il approchait de la cime quand il se trouva tout à coup suspendu dans le vide : sous l’effet de la foudre sans doute le tronc se trouvait ébranché sur une hauteur de deux mètres. Là, il commit une erreur qu’on évite difficilement quand on craint le vertige : il regarda à ses pieds. Il ne vit qu’un fouillis de branches qui s’enfonçaient en tournant comme une spirale. L’angoisse le paralysa et il serra le tronc dans ses bras et entre ses jambes. Enfin il comprit qu’il fallait regarder non pas au-dessous de lui, mais au-dessus de lui. Il leva les yeux. Dans le ciel bleu un grand oiseau d’or en forme de losange se balançait au gré du vent. Vendredi avait exécuté sa mystérieuse promesse : il faisait voler Andoar.