19. La vie reprit son cours

 

La vie reprit son cours tant bien que mal. Robinson faisait toujours semblant d’être le gouverneur et le général de l’île. Vendredi faisait semblant de travailler durement pour entretenir la civilisation dans l’île. Il n’y avait que Tenn qui ne faisait pas semblant de faire la sieste toute la journée. En vieillissant, il devenait de plus en plus gros et lent.

Vendredi, lui, avait trouvé un nouveau passe-temps. Il avait découvert la cachette où Robinson dissimulait le barillet à tabac et la longue pipe en porcelaine du capitaine van Deyssel. Chaque fois qu’il en avait l’occasion, il allait fumer une pipe dans la grotte. Si Robinson le découvrait, il le punirait sans doute lourdement, parce qu’il n’y avait presque plus de tabac. Fumer était un plaisir que Robinson ne s’accordait plus que très rarement, dans les grandes occasions.

Ce jour-là Robinson était descendu sur le rivage inspecter des lignes de fond que la marée descendante venait de découvrir. Vendredi mit le barillet sous son bras, et il alla s’installer au fond de la grotte. Là, il s’était construit une sorte de chaise longue avec des tonneaux couverts de sacs. À demi renversé en arrière, il tire de longues bouffées de la pipe. Puis il chasse de ses poumons un nuage bleu qui s’épanouit dans la faible lumière provenant de l’entrée de la grotte. Il s’apprête à tirer une nouvelle bouffée de la pipe, quand des cris et des aboiements lointains lui parviennent. Robinson est revenu plus tôt que prévu, et il l’appelle d’une voix menaçante. Tenn jappe. Un claquement retentit. Robinson a donc sorti son fouet. Sans doute s’est-il enfin aperçu de la disparition du barillet de tabac ? Vendredi se lève et marche vers le châtiment qui l’attend. Soudain il s’arrête : que faire de la pipe qu’il tient toujours dans sa main ? Il la jette de toutes ses forces dans le fond de la grotte, là où sont rangés les tonneaux de poudre. Puis, bravement, il va rejoindre Robinson. Robinson est furieux. Quand il voit Vendredi, il lève son fouet. C’est alors que les quarante tonneaux de poudre font explosion. Un torrent de flammes rouges jaillit de la grotte. Robinson se sent soulevé, emporté, tandis qu’il voit avant de s’évanouir les gros rochers qui surmontent la grotte rouler les uns sur les autres comme les pièces d’un jeu de construction.