5. Dans une clairière parfaitement plane,

 

Dans une clairière parfaitement plane, Robinson mit à jour sous les herbes un beau tronc de myrte sec, sain et de belle venue qui pourrait faire la pièce maîtresse de son futur bateau. Il se mit aussitôt au travail, non sans continuer à surveiller l’horizon qu’il pouvait voir de son chantier, car il espérait toujours la survenue d’un navire. Après avoir ébranché le tronc, il l’attaqua à la hache pour lui donner le profil d’une poutre rectangulaire. Malgré toutes ses recherches dans La Virginie, il n’avait pu trouver ni clous, ni vis, ni vilebrequin, ni même une scie. Il travaillait lentement, soigneusement, assemblant les pièces du bateau comme celles d’un puzzle. Il escomptait que l’eau en faisant gonfler le bois donnerait à la coque une solidité et une étanchéité supplémentaires. Il eut même l’idée de durcir à la flamme l’extrémité des pièces, puis de les arroser après l’assemblage pour mieux les souder dans leur logement. Cent fois le bois se fendit sous l’action soit de l’eau, soit de la flamme, mais il recommençait toujours sans ressentir ni fatigue ni impatience.

Dans ces travaux c’était le manque d’une scie dont Robinson souffrait le plus. Cet outil – impossible à fabriquer avec des moyens de fortune – lui aurait épargné des mois de travail à la hache et au couteau. Un matin, il crut rêver encore en entendant à son réveil un bruit qui ne pouvait être que celui d’un scieur en action. Parfois le bruit s’interrompait, comme si le scieur changeait de bûche, puis il reprenait avec une régularité monotone. Robinson sortit doucement du trou de rocher où il avait l’habitude de dormir, et il avança à pas de loup vers l’endroit d’où provenait le bruit. D’abord il ne vit rien, mais il finit par découvrir au pied d’un palmier un crabe gigantesque qui sciait avec ses pinces une noix de coco serrée dans ses pattes. Dans les branches de l’arbre, à six mètres de haut, un autre crabe cisaillait la queue des noix pour les faire tomber. Les deux crabes ne parurent pas du tout gênés par l’arrivée de Robinson et ils poursuivirent tranquillement leur bruyant travail.