— Qui es-tu ? Qu’est-ce que tu fais là ? lui demanda-t-il.

— Je suis le mousse du Whitebird, répondit l’enfant. Je voulais m’enfuir de ce bateau où j’étais malheureux. Hier pendant que je servais à la table du commandant, vous m’avez regardé avec bonté. Ensuite j’ai entendu que vous ne partiez pas. J’ai décidé de me cacher dans l’île et de rester avec vous.

— Et Vendredi ? As-tu vu Vendredi ? insista Robinson.

— Justement ! Cette nuit, je m’étais glissé sur le pont et j’allais me mettre à l’eau pour essayer de nager jusqu’à la plage, quand j’ai vu un homme aborder en pirogue. C’était votre serviteur métis. Il est monté à bord avec une petite chèvre blanche. Il est entré chez le second qui paraissait l’attendre. J’ai compris qu’il resterait sur le bateau. Alors j’ai nagé jusqu’à la pirogue et je me suis hissé dedans. Et j’ai pagayé jusqu’à la plage.

— C’est pour cela que les deux bateaux sont là ! s’exclama Robinson.

— Je me suis caché dans les rochers, poursuivait le mousse. Maintenant le Whitebird est parti sans moi, et je vivrai avec vous !

— Viens avec moi, lui dit Robinson.

Il prit le mousse par la main, et, contournant les blocs, il commença à gravir la pente menant au sommet du piton rocheux qui dominait le chaos. Il s’arrêta à mi-chemin et regarda son nouvel ami. Un pâle sourire éclaira le visage maigre, semé de tâches de rousseur. Il ouvrit la main et regarda la main qui y était blottie. Elle était mince, faible, mais labourée par les travaux grossiers du bord.

Du haut du piton rocheux, on voyait toute l’île qui était encore noyée dans la brume. Sur la plage, le canot et la pirogue commençaient à tourner, atteints par les vagues de la marée montante. Très loin au nord sur la mer, on distinguait un point blanc qui fuyait vers l’horizon : le Whitebird.

Robinson tendit le bras dans sa direction.

— Regarde-le bien, dit-il. Tu ne verras peut-être jamais plus cela : un navire au large des côtes de Speranza.

Le point s’effaçait peu à peu. Enfin il disparut. C’est alors que le soleil se leva. Une cigale chanta. Une mouette se laissa tomber sur l’eau et s’éleva à grands coups d’ailes, un petit poisson dans le bec. Les fleurs ouvraient leurs calices, les unes après les autres.

Robinson sentait la vie et la joie qui entraient en lui et le regonflaient. Vendredi lui avait enseigné la vie sauvage, puis il était parti. Mais Robinson n’était pas seul. Il avait maintenant ce petit frère dont les cheveux – aussi rouges que les siens – commençaient à flamboyer au soleil. Ils inventeraient de nouveaux jeux, de nouvelles aventures, de nouvelles victoires. Une vie toute neuve allait commencer, aussi belle que l’île qui s’éveillait dans la brume à leurs pieds.

— Comment t’appelles-tu ? demanda Robinson au mousse.

— Je m’appelle Jean Neljapaev. Je suis né en Estonie, ajouta-t-il comme pour excuser ce nom difficile.

— Désormais, lui dit Robinson, tu t’appelleras Dimanche. C’est le jour des fêtes, des rires et des jeux. Et pour moi tu seras pour toujours l’enfant du dimanche.