Faute de vernis ou même de goudron pour enduire la coque, Robinson entreprit de fabriquer de la glu. Il dut pour cela raser presque entièrement un petit bois de houx qu’il avait repéré dès le début de son travail. Pendant quarante-cinq jours, il débarrassa les arbustes de leur première écorce, et recueillit l’écorce intérieure en la découpant en lanières. Puis il fit longtemps bouillir dans un chaudron ces lanières d’écorce, et il les vit peu à peu se décomposer en un liquide épais et visqueux. Il répandit ce liquide encore brûlant sur la coque du bateau.
L’Évasion était terminée. Robinson commença à rassembler les provisions qu’il embarquerait avec lui. Mais il abandonna bientôt cette besogne en songeant qu’il convenait d’abord de mettre à l’eau sa nouvelle embarcation pour voir comment elle se comporterait. En vérité il avait très peur de cette épreuve qui allait décider de son avenir. L’Évasion allait-elle bien tenir la mer ? Serait-elle assez étanche ? N’allait-elle pas chavirer sous l’effet de la première vague ? Dans ses pires cauchemars, elle coulait à pic à peine avait-elle touché l’eau, et Robinson la voyait s’enfoncer comme une pierre dans des profondeurs vertes…
Enfin il se décida à procéder au lancement de L’Évasion. Il constata d’abord qu’il était incapable de traîner sur l’herbe et sur le sable jusqu’à la mer cette coque qui devait bien peser cinq cents kilos. À vrai dire, il avait complètement négligé ce problème du transport du bateau jusqu’au rivage. C’était en partie parce qu’il avait trop lu la Bible, et surtout les pages concernant l’Arche de Noé. Construite loin de la mer, l’arche n’avait eu qu’à attendre que l’eau vînt à elle sous forme de pluie et de ruissellements du haut des montagnes. Robinson avait commis une erreur fatale en ne construisant pas L’Évasion directement sur la plage.
Il essaya de glisser des rondins sous la quille pour la faire rouler. Rien ne bougeait, et il parvint tout juste à défoncer l’une des planches de la coque en pesant sur elle avec un pieu qui basculait en levier sur une bûche. Au bout de trois jours d’efforts inutiles, la fatigue et la colère lui brouillaient les yeux. Il songea alors à creuser depuis la mer une tranchée dans la falaise jusqu’à l’emplacement du bateau. Celui-ci pourrait glisser dans cette tranchée et se retrouver ainsi au niveau du rivage. Il se jeta au travail. Puis il calcula qu’il lui faudrait des dizaines d’années de travaux de terrassement pour réaliser ce projet. Il renonça.