A. J. tourné vers ses invités : « … l’honneur de vous présenter ce soir l’imprésario mondialement connu des courts mais bons métrages pour cinés de salon et télés à mauvaise fréquence, le seul et unique, le Grand Slashtabitch ! »
Il tend la main vers un rideau de velours rouge haut de vingt mètres. Un éclair déchire l’étoffe du haut en bas et le Grand Slashtabitch apparaît en majesté. Son visage est démesuré, immobile et froid comme une urne funéraire des Grand-Chimus péruviens. Il est en habit bleu, cape bleue et monocle bleu. Grands yeux gris aux minuscules pupilles noires crachant des aiguilles (seul un Positiviste Coordamné pourrait soutenir leur regard). Quand il est en colère, il lui suffit d’un coup d’œil pour projeter son monocle à vingt pas. Maint coureur de cachet mal inspiré a senti le souffle glacial de son déplaisir : « Fiche le camp du plateau, cabotin ! Tu crois que tu vas me faire avaler ces orgasmes en toc ? Moi le Grand Slashtabitch ! Moi qui pressens l’éjacule rien qu’en regardant l’orteil de l’artiste ! Crétin ! ! Écervelé ! ! ! Utilité ! ! ! ! Va te faire voir ailleurs et sache qu’il faut de la sincérité et du talent et du loyalisme pour travailler chez moi. Point de faux-semblant minable, point de soupirs en surimpression, point d’étrons de plastique ni de fioles de lait cachées dans l’oreille ni de décoctions de yohimbine dans les coulisses. » (N.B. — La yohimbine, dérivée de l’écorce du yohimbé d’Afrique tropicale, ou corynanthe, est un aphrodisiaque aussi efficace qu’inoffensif. Elle agit par dilatation des vaisseaux capillaires de l’épiderme, notamment dans la région génitale.) Slashtabitch éjecte son monocle qui disparaît à l’autre bout du studio et revient comme un boomerang se ficher dans son orbite. Le Grand S fait demi-tour et s’estompe dans une nuée bleutée, froide comme l’air liquide… Fondu…
Sur l’écran. Un rouquin aux yeux verts, à la peau blanche piquetée de taches de son… Il embrasse une petite brune en pantalons. Coiffure et vêtements évoquent les bars existentialistes de toutes les capitales du monde. Ils sont assis sur un lit bas recouvert de soie blanche. La fille déboutonne la braguette du rouquin avec des doigts câlins et en extirpe son sexe menu mais dur comme du bois, couronné d’une perle de lubrifiant qui scintille. Elle le caresse tendrement.
— Déshabille-toi, Johnny.
Il obéit prestement et se poste devant elle, pointant au ciel. Elle lui fait signe de se retourner et il pirouette de-ci de-là, main sur la hanche à la façon d’un mannequin… Elle ôte son chemisier. Ses seins sont petits et plantés haut, le bout durci et palpitant. Elle fait glisser son slip. Sa toison est d’un noir brillant. Il s’assied à côté d’elle et tend la main vers ses seins, mais elle retient son poignet.
— Je veux te plumer, mon chéri, souffle-t-elle.
— Non, pas maintenant.
— Je t’en prie, j’en ai si envie. Viens…
Elle l’entraîne dans la chambre. Il s’allonge jambes en l’air, les bras croisés autour des tibias. Elle, à genoux, lui caresse la face interne des cuisses, suit du doigt le tracé périnéal, puis se penche, lui écarte les joues et darde la langue, de plus en plus profond, avec un lent mouvement circulaire de la tête, et de nouveau le périnée, ses petites bourses tendues… Il ferme les yeux, se tortille. Elle referme la bouche sur la goutte qui perle à son gland circoncis, va et vient en cadence, pausant un instant en haut de course, la tête remuant toujours en cercles lents. De la main elle joue doucement avec ses bourses, puis glisse plus bas et le sodomise du majeur, lui taquinant la prostate. Il sourit, pète moqueusement. Elle le tient englouti presque jusqu’à la garde, suce avec une frénésie croissante. Le corps de Johnny se contracte vers son menton, les contractions sont de plus en plus longues. « Aiiiiiiiiie ! » crie-t-il, les muscles bandés, et son corps tout entier tente de s’échapper par la queue. Mary avale les grandes giclées brûlantes qui lui emplissent la bouche. Il laisse retomber ses jambes sur le lit, creuse les reins et bâille…
Mary se harnache avec un godemiché :
— Danny Bras-de-Fer le champion de Yokohama, dit-elle en flattant le caoutchouc. (Un jet de lait pisse à travers la chambre.)
— Tu es sûre que ce lait est pasteurisé ? Va surtout pas me filer une maladie de vache, comme le charbon ou la morve ou la fièvre aphteuse…
Il contemple le plafond, mains jointes sous la nuque, le dard au vent.
— Je me demande si on peut rigoler et s’envoyer en l’air en même temps ? Je me souviens… c’était pendant la guerre, au Jockey-Club du Caire, moi et mon copain de tranchette, Lou qu’il s’appelait, deux vrais gentlemen nommés par Acte spécial du Congrès… fallait rien moins que ça pour que ce scandale arrive : on se met à rigoler si fort qu’on se compisse de la tête aux orteils et le barman rouspète : « Foutez le camp d’ici, sales pisse-kif ! » Eh bien, si j’arrive à pisser de rire je devrais être capable de jouir idem. Dis-moi une blague, quelque chose de franchement rigolo au moment où ça vient – tu devineras quand à certains frétillements prémonitoires de la glande prostatique…
Elle met un disque, be-bop grinçant à la cocaïne. Elle lubrifie le gode, lève au ciel les jambes de Johnny et le plante en tirebouchonnant des hanches. Elle pivote lentement sur l’axe de la godille, frotte ses seins durcis contre la poitrine du garçon, lui rembrasse le cou et le menton et les yeux. Il lui caresse le dos, laisse courir ses mains jusqu’aux fesses, presse Mary contre lui. Elle s’agite plus vite, plus vite encore. Il se crispe et se tord en spasmes convulsifs.
— S’il te plaît, dit-elle, dépêche-toi, le lait refroidit.
Il ne l’entend pas. Elle écrase sa bouche contre celle de Johnny, leurs deux visages chevauchent ensemble. Le sperme gicle sur les seins de Mary, chaud comme des petits coups de langue.
… Mark apparaît sur le seuil de la porte. Chandail noir à col roulé. Visage fin, froid, narcissique, cheveux noirs et yeux verts. Il regarde Johnny avec un sourire railleur, la tête légèrement penchée, les mains dans les poches de son blouson. Le ballet du truand. Il hoche brusquement la tête et Johnny le précède dans la chambre voisine, Mary sur leurs talons.
— Assez bavardé, dit-elle, allez-y.
Elle s’assied nue sur une estrade tapissée de soie rose qui domine le lit.
Mark se déshabille avec des mouvements fluides, de gracieux roulements de hanches, il se contorsionne pour ôter son chandail, dévoilant son torse blanc en une parodie de danse du ventre. Johnny impassible, les traits figés, le souffle court, les lèvres sèches. Mark fait glisser son caleçon sur sa cheville gauche, puis il lance la jambe comme une girl de cabaret et expédie le chiffon à travers la pièce. À présent il est nu, la verge battant l’air. Il coule un long regard sur le corps de Johnny, sourit et se pourlèche les lèvres. Il se laisse tomber sur un genou, attire Johnny contre lui et le plaque sur son dos d’un seul bras, se relève et le projette sur le lit. Johnny décrit une trajectoire de deux mètres, atterrit sur le dos et retondit. Mark saute sur lui, l’attrape par les chevilles et lui lève les jambes au menton.
— Au travail, Johnny ! souffle-t-il, les dents serrées sur un demi-sourire menaçant.
Il bande son corps, calmement, sans à-coups, une machine bien huilée, et s’enfouit entre les fesses de Johnny qui soupire et se convulse d’extase. Mark noue les mains sous ses épaules et le presse contre lui, l’empalant jusqu’au diaphragme. L’air siffle bruyamment entre ses dents. Johnny piaille comme un oiseau. Mark se frotte à lui, joue contre joue, rictus effacé, son visage soudain innocent, presque enfantin, et il se liquéfie, s’écoule tout entier au tréfonds frémissant de Johnny.
Un train gronde à travers son corps… sifflet de la locomotive auquel répondent une sirène de navire et une corne de brume, le crépitement de fusées éclairantes au-dessus de marais pétrolifères… une salve d’honneur qui tonne dans le port… un long hurlement raillant la blancheur d’un couloir d’hôpital… le sifflement s’amplifie tout au long d’une grande rue poussiéreuse bordée de palmiers, traverse le désert comme une balle de fusil (froissement végétal des ailes de vautours dans l’air torride), souffle sifflant des milliers d’adolescents qui jouissent à la fois dans leurs antres secrets – cabane de jardin, morne pissoir d’école communale, grenier ou cave, cachette de branches, Grande Roue de manège, villa abandonnée, grotte de dolomite, barque et hangar et garage, derrière le mur de torchis d’un terrain vague cinglé par le vent (relents d’excréments desséchés)… poussière fuligineuse sur de jeunes corps sveltes et cuivrés… culottes en guenilles tombant sur des pieds nus écorchés (non loin les charognards se disputent des têtes de poissons)… aux bords de mares tropicales où des poissons happent férocement les traînées de sperme blanc flottant sur l’eau noire, les mouches des sables piquent les chairs bronzées, les singes hurleurs filent comme le vent entre les feuilles (toujours cet univers de grands fleuves boueux charriant des arbres entiers aux branches chargées de serpents d’eau bariolés et de lémuriens pensifs qui contemplent tristement la rive)… un petit avion rouge trace des arabesques dans la substance trop bleue du ciel, un serpent à sonnettes frappe sa proie, un cobra se cabre, se détend, crache son venin blanc, perles d’opale et de nacre qui retombent en pluie silencieuse dans l’air calme et transparent, comme glycériné. Le temps tressaute – machine à écrire disloquée – les gamins sont changés en vieillards, leurs hanches qui palpitaient hier au rythme de spasmes à peine nubiles s’affaissent et se distendent, retombent flasques sur la tinette du jardin, sur un banc de square, sur une murette de pierre dans l’éclat du soleil espagnol, sur un lit défoncé de garni (dehors, un mur de taudis, briques rouges dans le pâle soleil d’hiver), ils frissonnent de froid et de souffrance dans leurs sous-vêtements crasseux, fouillent leurs veines dans l’aube malade de la drogue, bavent et gémissent au fond d’un café maure. Les Arabes murmurent « Madjoub ! » et s’esquivent dans l’ombre (le Madjoub est une sorte de fanatique de l’islam, un peu simple d’esprit et souvent, entre autres, épileptique). « Le musulman a besoin de sang et de foutre… Voyez… voyez le sang du Christ ruisseler dans le spirmament ! » hurle le Madjoub. Il se redresse avec un cri d’épouvante (une érection ultime crachant un jet de sang noir et coagulé), s’immobilise enfin – statue blême, reposant après un long voyage, après avoir franchi la Grande Barrière, aussi candide qu’un gamin escaladant une clôture pour aller pêcher dans la mare interdite… Quelques secondes à peine et il attrape un poisson-chat, le Vieux surgit de sa masure noire, jurant et brandissant une fourche, et le gamin détale en riant à travers le champ du Missouri, il ramasse au passage une jolie pointe de flèche rose, se baissant en pleine course, souplesse fluide de ses muscles, de ses jeunes os – ces os qui se mêleront à la terre du champ, futur cadavre gisant au pied de la palissade une carabine à son côté, son sang coulant goutte à goutte sur l’argile gelée, peignant de carmin le chaume de l’hiver de Géorgie. Le poisson-chat ondule habilement à sa suite. Le garçon arrive devant la clôture, saisit le poisson-chat et le jette par-dessus, dans l’herbe striée de sang, saute à son tour, ramasse le petit corps agité de soubresauts et disparaît sur le chemin d’argile rouge piquetée de silex, entre une double muraille de chênes et de plaqueminiers aux feuilles rouge-brun voletant au vent de ce crépuscule d’automne, vertes et brillantes de rosée à l’aube de l’été, se découpant noires et précises sous le ciel d’hiver. Le Vieux le pourchasse en vociférant des jurons son dentier s’échappe de sa bouche, siffle au-dessus de la tête du gamin. Le Vieux court plié en avant, les tendons de son cou bandés comme des torons d’acier. Une grande giclée de sang noir au passage de la clôture et il retombe dans l’herbe, momie décharnée, des ronces poussent entre ses côtes, les fenêtres de sa cahute volent en éclats (barbes de verre poussiéreux fichées dans le mastic noirci), les rats sillonnent le plancher et, les après-midi d’été, les voyous viennent se masturber dans cette pénombre suffocante, cueillent les baies qui fleurissent sur les os de son cadavre et se barbouillent de jus violacé…
Le vieux camé a trouvé la veine… le sang s’épanouit dans le compte-gouttes comme une fleur chinoise… l’héroïne court en lui et soudain l’enfant qui jouissait au creux de sa main il y a un demi-siècle resplendit, immaculé, à travers la chair délabrée, embaumant la cabane d’un parfum sucré de noisettes, l’odeur des adolescents en rut…
Combien, combien d’années ainsi enfilées sur cette aiguillée de sang ? Il est assis, les mains éployées sans force sur ses genoux, contemplant le matin d’hiver avec les yeux abolis de la drogue… Un pédé chenu vibre confusément sur un banc de pierre du parc de Chapultepec, de jeunes Indiens passent devant lui en se tenant par la taille et le cou, et il raidit sa chair agonisante, violant du regard ces jeunes cuisses, ces bourses gonflées, ces verges cascadantes…
… Mark et Johnny, de nouveau, assis face à face dans un fauteuil à vibreur, Johnny planté sur la queue de Mark.
— Prêt, Johnny ?
— Mets la sauce.
Mark pousse la manette et le fauteuil commence à trépider… Mark lève la tête pour regarder Johnny, le visage calme, distant, scrutant l’autre d’un œil ironique… Johnny gémit, hurle, ses traits se dissolvent peu à peu, comme liquéfiés de l’intérieur…
Une grande salle, un gymnase, le sol tapissé de caoutchouc mousse recouvert de soie blanche, un mur entièrement vitré… Le soleil levant peint la salle d’une lueur rosée. Johnny apparaît, les mains liées, entre Mark et Mary. Il aperçoit le gibet et s’écroule avec un grand cri, le menton pointant sur le ventre, les jambes repliées sous lui, et il éjacule, flèche blanche filant à la verticale devant son visage. Mark et Mary paraissent soudain excités, impatients… Ils poussent Johnny sur l’estrade jonchée de vieux maillots et de suspensoirs tachés de moisissure. Mark ajuste le nœud coulant.
— Bonne route, dit-il, s’arc-boutant pour précipiter Johnny dans le vide.
— Non, laisse-moi faire, dit Mary.
Elle noue ses doigts sous les fesses de Johnny, appuie le front contre le sien, le sourire aux yeux, recule d’un pas et l’entraîne avec elle… Ils s’envolent de l’estrade. Le visage de Johnny se gonfle de sang… Mark tend vivement le bras et lui brise la nuque, bruit de branche morte rompue entre des serviettes mouillées. Un long soubresaut parcourt le corps de Johnny, un de ses pieds palpite comme un oiseau pris au lacet… Mark, vautré sur une balançoire, singe ses saccades affolées, les yeux fermés et la langue pendante… Le pénis de Johnny se détend comme un ressort, et Mary le guide des doigts jusqu’au fond de son ventre, elle se love contre lui avec des gestes liquides de danseuse berbère, geignant et hurlant son plaisir, le corps dégoulinant de sueur, le front encollé de mèches moites. « Coupe la corde, Mark ! » crie-t-elle. Mark se penche en avant et tranche la corde avec un couteau à cran d’arrêt. Il attrape Johnny au vol, l’allonge tendrement sur le dos, Mary toujours agrippée à lui et frétillant à bout de harpon. De ses dents, elle déchiquette les lèvres et le nez de Johnny, aspire ses yeux avec un bruit de succion, arrache les joues par lambeaux… Puis elle s’attaque à la pine, déjeune… Mark s’approche et elle lève la tête du sexe à demi dévoré, son visage couvert de sang, les yeux phosphorescents. Mark pose le pied sur son épaule et la retourne brutalement sur le dos, se jette sur elle et l’enfourne avec une violence insane… ils roulent d’un bout à l’autre de la salle, décrivent des soleils, bondissent comme d’énormes poissons embrochés…
— Laisse-moi te pendre, Mark… Laisse-moi te pendre… Mark, je t’en prie, laisse-moi te pendre…
— Bien sûr, ma jolie.
Il la remet debout d’un geste brusque et lui croise les mains derrière le dos.
— Non, Mark ! Non ! Non ! crie-t-elle, giclant de terreur tandis qu’il l’entraîne sur l’estrade.
Il la ligote et la couche sur un lit de préservatifs usagés, s’éloigne pour préparer la corde. Il revient, portant la boucle sur un plateau d’argent. Il relève Mary, lui passe le nœud coulant autour du cou, serre légèrement, puis il lui enfonce sa queue à plein ventre. Il presse Mary contre lui, esquisse avec elle un pas de valse et se lance dans le vide. Leurs deux corps dessinent un grand arc de cercle dans l’espace. « Aïïïïïe ! » crie-t-il et soudain il se métamorphose en Johnny. On entend le claquement sec du cou de Mary qui se brise, une grande vague souple fait tanguer son corps. Johnny se laisse choir à terre en souplesse, les muscles bandés, comme un jeune animal à l’affût.
Il saisit une grande jarre de jade Chimu à la forme obscène et arrose d’essence le corps de Mary… il s’asperge à son tour, prend Mary dans ses bras et roule avec elle sous une loupe gigantesque encastrée dans la verrière de la salle… une flamme jaillit… un cri strident fait éclater le mur de verre, les deux corps empalés roulent dans l’espace, jouissant et hurlant toujours, puis se désintègrent en flammes et en sang et en traînées de suie sur les rochers d’un désert écrasé de soleil…
… Dans la grande salle de gymnastique, Johnny fait des bonds de requin à l’agonie. Avec un cri strident qui fait éclater le mur de verre, il se dresse les bras en croix devant le soleil levant, éjaculant des torrents de sang… Dieu de marbre blanc, il sombre dans le vide, éclaboussant l’air d’explosions épileptiques, redevient le vieux Madjoub qui se convulsé dans les ordures au pied d’un mur de torchis, sous un soleil brûlant qui taraude son corps et hérisse sa peau de chair de poule… il est redevenu un enfant assoupi contre le mur de la mosquée, polluant de ses rêves lubriques des milliers de vulves roses et lisses comme des conques marines, éprouvant l’exquis chatouillement de poils drus courant le long de son sexe raidi dans le sommeil…
John et Mary dans une chambre d’hôtel (bribes de Bye Bye Saint Louis la itou). Devant la fenêtre ouverte les rideaux d’un rose délavé flottent à la brise printanière… Coassements de grenouilles en bordure des terrains vagues où poussent des épis de maïs sauvage, où des bambins attrapent des couleuvres sous les ruines de stèles tavelées d’excréments et cernées de barbelés brunis de rouille…
(Néon clignotant – éclairs orange, violets, vert chlorophylle…)
Johnny extirpe avec un forceps un candirou du con de Mary et le jette dans un flacon de mescal où il se transforme en ver d’Agave… il prépare un lavement d’émollient tropical et canule Mary… elle ouvre les cuisses, expulse son dentier vaginal dans un flot de sang et de kystes… sa toison luit doucement, fraîche et tendre comme un gazon de printemps… Johnny lui lèche le sexe à petits coups… bientôt plus vite… il écarte les lèvres avec une excitation grandissante, sentant le picotement des poils sur sa langue turgide… les bras rejetés en arrière, les seins pointés, Mary gît à la renverse, percée de clous de néon… Johnny remonte le long de son corps, darde son pénis perlant d’une guttule de lubrifiant opalin devant la faille entrebâillée, franchit le rideau de poils et s’enfonce jusqu’à bout de course, aspiré par la succion des muqueuses affamées… son visage se congestionne, des lueurs émeraude brûlent derrière ses yeux, il dévale d’un trait la rampe du scenic railway, s’abîme dans un essaim de jeunes filles terrorisées… une dernière explosion lacère leurs corps… la masure s’effondre… l’homme s’est changé en statue de calcaire coquillier, une longue fleur germant au bout de son sexe, les lèvres ouvertes sur un demi-sourire de camé stupéfié…
La Mouche a planqué son héroïne dans un billet de loterie.
Seringuette ultime – demain la cure.
La route est longue. Érections et dépressions se succèdent sans discontinuer.
De longues heures à travers la caillasse du reg pour atteindre la palmeraie (les petits Arabes font caca dans le puits, dansent le rock’n’roll sur les plages pour athlètes du dimanche, se gavent de hot dogs et recrachent des dents en or à pleines pépites).
Édentés, rongés par la longue faim, les côtes en planche à laver leurs propres haillons, ils débarquent en titubant de la barge à balancier, arpentent la plage de l’île de Pâques, les jambes raides et cassantes comme des échasses… Ils dodelinent du chef à la fenêtre du club, empâtés par la fausse graisse des corps privés-sevrés qui n’ont plus de jeunesse à vendre…
Le planeur glisse dans l’air, silencieux comme une érection, comme une vitre enduite de graisse qui se brise sous les doigts fripés d’un jeune voleur aux yeux dissous par la came… explosion ultrasonique du verre… il se faufile dans la maison violée, évitant les éclats de carreaux graisseux… tic-tac sonore d’une pendule dans la cuisine… soudain, un souffle brûlant ébouriffe ses cheveux et une charge de chevrotine lui fait jaillir la cervelle… le Vieux éjecte la douille vermillon, fait une pirouette en brandissant son fusil de chasse…
— Merde, les gars, c’était facile comme tout… pareil que de pêcher un poisson rouge dans un aquarium… Quand même ! Un môme bien sapé, compte en banque et tout… Là-dessus un pruneau bien graissé et flac ! salut ma tête, il s’affale le cul ouvert… Hé le môme, tu m’entends bien là où tu es ?
« Faut dire que j’ai été jeune moi aussi, j’ai entendu l’appel des sirènes… le fric facile et les femmes et les petits gitons au cul serré, et nom de Dieu m’échauffez pas le sang ou je vous en raconte une si raide qu’elle va vous mettre le paf au garde-à-vous et vous partirez à japper après la coquillette rose du con tout neuf ou la jolie chansonnette gicleuse d’un petit cul brun d’écolier qui vous joue sur la bite comme sur un pipeau… Désolé, môme, je voulais pas te tuer… On peut pas être et avoir été… si je veux garder mon public, faut que ça pète et tant pis si ça craque… tout comme un vieux lion qu’aurait les dents cariées, il lui faut la vraie bonne pâte machin qui vous fait mordre la vie à belles dents… ces vieux bâtards deviennent tous des mangeurs d’hommes et de garçonnets… et c’est pas étonnant vu que les morgues sont pleines à craquer de jolis gitons crevés… Allons môme, me fais pas le coup de la rigor mortis je connais pas le latin. Un peu de respect devant les rides de ma queue… le jour viendra où tu seras tout-décati de la braguette toi aussi… hum, peut-être pas après tout… Bah, il y a des mômes qu’on peut pas tuer… on les a pendus si souvent qu’ils résistent comme un gonocoque à moitié châtré par la pénicilline et qui retrouve assez de santé pour se multiplier en style géométrique… C’est pourquoi je propose de voter l’acquittement légal et de mettre fin à ces exhibitions dégoûtantes pour lesquelles le shérif perçoit sa livre de chair…
Le môme tape du pied sur la trappe, nœud coulant au cou :
— Bon sang, qu’est-ce qu’il faut pas supporter dans ce métier ! Y a toujours un vieux cochon vicieux pour faire des discours…
La trappe s’ouvre, la corde hante comme un fil télégraphique dans le vent, le cou se brise avec un fracas clair et sonore de gong chinois.
Le pendu coupe la corde avec son couteau de poche et galope à travers la foire à la poursuite d’un pédé piauleur. Le pédé plonge à travers le carreau d’une visionneuse à films pornos et fait une pipe à un vieux nègre qui se la fend…
Fondu…
(Mary, Johnny et Mark viennent saluer. Ils ont tous trois la corde au cou. Ils n’ont pas l’air aussi jeune que dans le film, ils paraissent épuisés et à bout de nerfs.)