Postface
En 1925, j'écrivais dans la Préface de Moravagine : « ... En Isle-de-France, il est un vieux clocher. Au pied du clocher, une petite maison. Dans cette maison, un grenier fermé à clé. Derrière la porte fermée à clé, une malle à double fond. Dans le compartiment secret, il y a une seringue Pravaz; dans le coffre même, des manuscrits... » Et je concluais : « ... Je ne vais pas continuer cette Préface, car le présent volume est lui-même une Préface, une trop longue Préface aux Œuvres complètes de Moravagine que j'éditerai un jour, mais que je n'ai pas encore eu le temps de mettre en ordre. C'est pourquoi les manuscrits resteront dans la malle à double fond, la malle dans le grenier, le grenier, fermé à clé, dans la petite maison, au pied du vieux clocher, dans un petit village de l'Isle-de-France aussi longtemps que moi, Blaise Cendrars, je rôderai encore de par le monde, à travers les pays, les livres et les hommes... »
J'y suis retourné l'autre jour après douze ans d'absence.
Elle était vide.
C'est toujours de la même maison qu'il s'agit. La seconde guerre avait passé par là. Ma petite maison des champs avait été pillée. Sur les vingt-cinq mille volumes qu'elle contenait, c'est à peine si j'ai pu en récupérer deux ou trois mille, et dans quel état, bon Dieu! salis, déchirés, dépareillés.
Mais ceci n'est rien. Le drame c'est que la malle à double fond de Moravagine avait disparu et que jamais, jamais plus je ne pourrai mettre de l'ordre dans ses papiers et publier ses Œuvres complètes, dont L'an 2013, cette anticipation prémonitoire de l'ère atomique ou Apocalypse d'aujourd'hui.
Mais ceci n'est rien. La honte c'est que tous mes dossiers avaient été vidés, voire secoués par les fenêtres et que le plancher de chaque chambre et même le sol du jardin étaient recouverts d'une épaisse couche de papiers souillés.
C'est ainsi que j'ai pu tirer de ce fumier la pincée des notes qui précèdent entre tant d'autres papiers et manuscrits maculés et rendus illisibles.
Mais ceci n'est pas encore le comble de l'ignominie. La flétrissure indélébile c'est que chacune de ces pages retrouvées porte l'empreinte des semelles cloutées des bottes de la police allemande qui a piétiné tout cela, tout cela, et même la seule et unique photographie qui me restait de ma mère et que j'ai retrouvée dans le jardin, enterrée dans la boue !...
BLAISE CENDRARS.
Paris, le 20 septembre 1951.
FIN