II

RETOUR À NEAUPHLE

Était-elle donc si petite, la maison de banque de Neauphle, et si basse l’église de l’autre côté du minuscule champ de foire, et si étroit le chemin montant qui tournait pour aller vers Cressay, Thoiry, Septeuil ? Le souvenir et la nostalgie agrandissent étrangement la réalité des choses.

Neuf années écoulées ! Cette façade, ces arbres, ce clocher, venaient de rajeunir Guccio de neuf années ! Ou plutôt non ; de le vieillir, au contraire, de tout ce temps écoulé.

Guccio avait retrouvé instinctivement son geste de jadis pour s’incliner en passant la porte basse qui séparait les deux pièces de négoce du comptoir, au rez-de-chaussée. Sa main avait cherché d’elle-même la corde d’appui, le long du madrier de chêne qui servait d’axe à l’escalier tournant, pour monter à son ancienne chambre. Ainsi, c’était là qu’il avait tant aimé, comme jamais avant, comme jamais depuis !

La pièce exiguë, collée sous les solives du toit, sentait la campagne et le passé. Comment un logis si resserré avait-il pu contenir un aussi grand amour ? Par la fenêtre, à peine une fenêtre, une lucarne plutôt, il apercevait un paysage inchangé. Les arbres étaient fleuris en ce début de mai, comme au temps de son départ, neuf ans plus tôt. Pourquoi les arbres en fleurs dispensent-ils toujours une si forte émotion ? Entre les branches des pêchers, roses et arrondies comme des bras, apparaissait le toit de l’écurie, cette écurie dont Guccio s’était enfui devant l’arrivée des frères Cressay ! Ah ! La belle peur qu’il avait eue cette nuit-là !

Il se retourna vers le miroir d’étain, toujours à la même place sur le coffre de chêne. Chaque homme, au souvenir de ses faiblesses, se rassure à se regarder, oubliant que les signes d’énergie qu’il lit sur son visage ne font impression qu’à lui-même, et que c’est devant les autres qu’il fut faible ! Le métal poli aux reflets de grisaille renvoyait à Guccio le portrait d’un garçon de trente ans, brun, avec une ride assez profondément creusée entre les sourcils, et deux yeux sombres dont il n’était pas mécontent, car ces yeux là avaient vu déjà bien des paysages, la neige des montagnes, les vagues de deux mers, et allumé le désir dans le cœur des femmes, et soutenu le regard des princes et des rois.

… Guccio Baglioni, mon ami, que n’as-tu continué une carrière si bellement commencée ! Tu étais allé de Sienne à Paris, de Paris à Londres, de Londres à Naples, à Lyon, à Avignon ; tu portais messages pour les reines, trésors pour les prélats. Pendant deux grandes années tu as circulé ainsi, parmi les plus grands seigneurs de la terre, chargé de leurs intérêts ou de leurs secrets. Et tu avais à peine vingt ans ! Tout te réussissait. Il n’est que de voir les attentions dont on t’entoure à présent, au retour de neuf années d’absence, pour juger des souvenirs que tu as laissés. Le Saint-Père lui-même te le prouve. Aussitôt qu’il te sait de retour en Avignon pour un banal recouvrement de créance, lui, le souverain pontife, du haut du trône de saint Pierre et submergé par tant de tâches, il demande à te voir, il s’intéresse à ton sort, à ta fortune, il a la mémoire de se rappeler que tu as eu un enfant jadis, il s’inquiète de te savoir privé de cet enfant, il consacre à te conseiller quelques-unes de ses précieuses minutes… « … Un fils doit être élevé par son père », te dit-il ; et il te fait délivrer sauf-conduit de messager papal, le meilleur qui soit.

… Et Bouville ! Bouville que tu viens trouver, porteur de la bénédiction du pape Jean, et qui te traite ainsi qu’ami depuis longtemps attendu, et qui a de grosses larmes dans les yeux en te voyant, et qui te délègue un de ses propres sergents d’armes pour t’accompagner dans ta démarche, et te remet une lettre, cachetée de son sceau, adressée aux frères Cressay, afin qu’on te laisse voir ton enfant !…

Ainsi, les plus hauts personnages s’occupaient de Guccio, sans aucun motif intéressé, pensait celui-ci, simplement pour l’amitié qu’inspirait sa personne, pour l’agilité de son esprit, et sans doute pour une certaine façon de se conduire avec les grands de ce monde qui lui était un don de nature.

Ah ! Que n’avait-il persévéré ! Il aurait pu devenir l’un de ces grands Lombards, puissants dans les États à l’égal des princes, comme Macci dei Macci, gardien actuel du Trésor royal de France, ou bien comme Frescobaldi d’Angleterre qui entrait, sans se faire annoncer, chez le chancelier de l’Échiquier.

Était-il trop tard, après tout ? Bien au fond de lui-même, Guccio se sentait supérieur à son oncle, et capable d’une plus éclatante réussite. Car le bon oncle Spinello, à froidement juger, faisait un négoce assez courant. Capitaine général des Lombards de Paris, il l’était devenu à l’ancienneté. Il possédait du bon sens, certes, et de l’habileté, mais point un exceptionnel talent. Guccio considérait tout cela de façon impartiale, à présent que, passé l’âge des illusions, il se sentait un homme de raisonnement pondéré. Oui, il avait eu tort autrefois. Or sa malheureuse aventure avec Marie de Cressay, il ne pouvait se le cacher, était la cause de ses renoncements.

Car pendant de longs mois, sa pensée n’avait été occupée que de ce déplorable événement, tous ses actes commandés par la volonté de dissimuler cet échec. Ressentiment, déception, abattement, honte de revoir ses amis et ses protecteurs après un dénouement peu glorieux, rêves de revanche… Son temps s’était usé à cela tandis qu’il s’installait dans une nouvelle vie, à Sienne, où l’on ne savait de ses amours de France que ce qu’il voulait bien en dire lui-même. Ah ! elle ignorait, cette ingrate Marie, la grande destinée dont elle avait brisé le cours en refusant autrefois de fuir avec lui ! Que de fois, en Italie, il y avait amèrement songé. Mais maintenant, il allait se venger…

Et si Marie, soudain, lui déclarait qu’elle l’aimait toujours, qu’elle l’avait attendu sans faiblesse et qu’un affreux malentendu avait été la seule cause de leur séparation ? Oui, si cela était ? Guccio savait qu’en ce cas il ne résisterait point, qu’il oublierait ses griefs aussitôt qu’exprimés, et qu’il emmènerait sans doute Marie de Cressay à Sienne, dans le palais familial, pour présenter sa belle épouse à ses concitoyens. Et pour montrer à Marie cette ville neuve, moins grande que Paris ou que Londres, certes, mais qui l’emportait en magnificence architecturale, avec son Municipio édifié depuis peu et dont Simone Martini terminait actuellement les fresques intérieures, avec sa cathédrale noire et blanche qui serait la plus belle de Toscane, une fois sa façade achevée. Ah ! le plaisir de partager ce que l’on aime avec une femme aimée ! Et que faisait-il à rêver devant un miroir d’étain, au lieu de courir à Cressay et de profiter de l’émotion de la surprise ?

Et puis il réfléchit. Les amertumes pendant neuf ans remâchées ne pouvaient pas s’oublier d’un coup, ni la peur non plus qui l’avait chassé, un matin, de ce jardin même. Les cris furieux des deux frères Cressay qui voulaient lui rompre l’échine… Sans un bon cheval, il était mort. Mieux valait envoyer le sergent d’armes, avec la lettre du comte de Bouville ; la démarche aurait plus de poids.

Mais Marie, après neuf ans, était-elle toujours aussi belle ? Serait-il toujours aussi fier de se montrer à son bras ?

Guccio pensait avoir atteint l’âge où l’on se conduit par la raison. Or, si une ride s’enfonçait entre les sourcils, il était toujours le même homme, le même mélange d’astuce et de naïveté, d’orgueil et de songes. Tant il est vrai que les années changent peu notre nature et qu’il n’est pas d’âge pour nous délivrer des erreurs. Les cheveux blanchissent plus vite que les faiblesses.

On rêve d’un événement pendant neuf années ; on l’espère et on le redoute, on prie la Vierge chaque nuit qu’il s’accomplisse et l’on prie Dieu chaque jour de l’empêcher ; on s’est préparé, soir après soir, matin après matin, à ce que l’on dira s’il se produit ; on a murmuré toutes les réponses que l’on donnera à toutes les questions que l’on a imaginées ; on a prévu les cent, les mille façons dont cet événement pourrait survenir… il survient. On est désemparé.

Ainsi se trouve Marie de Cressay ce matin-là, parce que sa servante, qui fut autrefois confidente de son bonheur et de son drame, est venue tout à l’heure lui chuchoter à l’oreille que Guccio Baglioni était de retour. Qu’on l’a vu arriver au village de Neauphle. Qu’il semble avoir train de seigneur. Que des sergents du roi lui servent d’escorte. Qu’il doit être messager du pape… Les gamins sur la place ont regardé, bouche bée, le harnais de cuir jaune brodé des clés de saint Pierre. À cause de ce harnais, cadeau du pape au neveu de ses banquiers, toutes les cervelles du village se sont mises à travailler.

Et la servante est là, essoufflée, les yeux brillants d’émoi au-dessus de ses joues rouges, et Marie de Cressay ne sait ce qu’elle doit ni va faire.

Elle dit :

— Ma robe !

Cela lui est venu tout seul, sans y réfléchir, et la servante a aussitôt compris, parce que Marie a peu de robes, et qu’elle n’en peut demander d’autre que celle-là qui fut cousue naguère dans le beau tissu de soie donné par Guccio, celle qu’on sort du coffre chaque semaine, qu’on brosse avec soin, qu’on défroisse, qu’on aère, devant laquelle on pleure parfois, et qu’on ne revêt jamais.

Guccio peut apparaître d’un moment à l’autre. La servante l’a-t-elle aperçu ? Non. Elle ne rapporte que des nouvelles qui couraient de seuil en seuil… Peut-être est-il déjà en chemin ! Si seulement Marie avait une pleine journée pour se préparer à cette arrivée ! Elle a attendu neuf années, et cela revient à n’avoir qu’un seul instant !

Qu’importe que l’eau soit froide dont elle s’asperge la gorge, le ventre, les bras, devant la servante qui se détourne, surprise de l’impudeur subite de sa maîtresse, et puis coule un regard vers ce beau corps dont c’est pitié vraiment qu’il soit sans homme depuis si longtemps, et qu’elle se met à jalouser un peu en voyant comme il est demeuré plein, et ferme, et pareil à une belle plante sous le soleil. Pourtant les seins sont plus lourds qu’autrefois et s’affaissent légèrement sur la poitrine ; les cuisses ne sont plus aussi lisses, le ventre est marqué de quelques petites stries laissées parla maternité. Allons ! Le corps des filles nobles s’abîme aussi, moins que le corps des servantes, certes, mais il s’abîme quand même, et c’est justice de Dieu, qui fait toutes les créatures pareilles.

Marie a du mal à entrer dans la robe. L’étoffe a-t-elle rétréci d’être restée si longtemps sans usage, ou bien est-ce Marie qui a grossi ? On dirait plutôt que la forme de son corps s’est modifiée, comme si les contours, les rondeurs n’étaient plus à la même place. Elle a changé. Elle sait bien aussi que le duvet blond est plus fourni sur sa lèvre, que les taches de rousseur dues à l’air des champs se sont incrustées plus largement sur son visage. Ses cheveux, cette brassée de cheveux dorés dont il faut en hâte retisser les tresses, n’ont plus leur souplesse lumineuse d’antan.

Et voici que Marie se retrouve dans sa robe de fête qui la gêne aux entournures ; et ses mains rougies par les travaux de la maison sortent des manches de soie verte.

Qu’a-t-elle fait de toutes ces années qui maintenant ne semblent plus qu’un soupir du temps ?

Elle a vécu de se souvenir. Elle s’est nourrie quotidiennement de ses quelques mois d’amour et de bonheur, comme d’une provision trop rapidement engrangée. Elle a écrasé chaque instant de ce passé au moulin de la mémoire. Elle a revu mille fois le jeune Lombard arrivant pour réclamer sa créance et chassant le méchant prévôt. Mille fois elle a reçu son premier regard, refait leur première promenade. Elle a mille fois répété son vœu dans le silence et l’ombre nocturne de la chapelle, devant le moine inconnu. Mille fois elle a découvert sa grossesse. Mille fois elle a été arrachée par violence au couvent des filles du faubourg Saint-Marcel et conduite en litière fermée, tenant son nourrisson serré contre sa poitrine, à Vincennes, au château des rois. Mille fois on a devant elle revêtu son enfant des langes royaux, et on le lui a ramené mort, et elle en a encore le cœur poignardé. Et elle hait toujours la feue comtesse de Bouville, et elle l’espère en proie aux tourments infernaux. Mille fois, elle a juré sur les Évangiles de garder le petit roi de France, et de ne rien révéler des atroces secrets de la cour, même en confession, et de ne jamais revoir Guccio ; et mille fois elle s’est demandé : « Pourquoi est-ce à moi que cela est arrivé ? »

Elle l’a demandé au grand ciel bleu des jours d’août, aux nuits d’hiver passées à grelotter seule, entre des draps raides, aux aurores sans espérance. Pourquoi ?

Elle l’a demandé aussi au linge compté pour la buanderie, aux sauces remuées sur le feu de la cuisine, aux viandes mises en saloir, au ruisseau qui court au pied du manoir et au bord duquel on cueille les joncs et les iris, les matins de procession.

Elle a, par instants, haï Guccio, furieusement, pour le seul fait d’exister et d’avoir traversé sa vie comme le vent d’orage traverse une maison aux portes ouvertes ; et puis aussitôt elle s’est reproché cette pensée comme un blasphème.

Elle s’est prise tour à tour pour une très grande pécheresse à laquelle le Tout-puissant a imposé cette perpétuelle expiation, pour une martyre, pour une sorte de sainte tout exprès désignée par les volontés divines à dessein de sauver la couronne de France, la descendance de Saint Louis, tout le royaume, en la personne de ce petit enfant à elle confié… C’est de cette façon qu’on peut devenir folle, lentement, sans que les autres autour de vous s’en aperçoivent.

Des nouvelles du seul homme qu’elle ait aimé, des nouvelles de son époux auquel personne ne reconnaît ce titre, elle n’en a eu que de loin en loin, par quelques paroles du commis de la banque à la servante. Guccio était vivant. C’était tout ce qu’elle savait. Comme elle a souffert de l’imaginer, d’être impuissante à l’imaginer plutôt, en un pays lointain, une ville étrangère, parmi des parents, d’elle inconnus, auprès d’autres femmes sûrement, d’une autre épouse peut-être… Et voilà que Guccio est à un quart de lieue ! Mais est-ce vraiment pour elle qu’il est revenu ? Ou simplement pour régler quelque affaire du comptoir ? Ne serait-ce pas le plus affreux qu’il fût si proche et que ce ne fût pas pour elle ? Et pourrait-elle lui en faire reproche, puisqu’elle a refusé de le voir, voici neuf ans, elle-même lui a si durement signifié de ne plus jamais l’approcher, et sans pouvoir lui révéler la raison de cette cruauté ! Et soudain elle s’écrie :

— L’enfant !

Car Guccio va vouloir connaître ce petit garçon qu’il croit le sien ! Ne serait-ce pas pour cela qu’il a reparu ?

Jeannot est là, dans le pré qu’on aperçoit par la fenêtre, le long de la Mauldre, ce ruisseau bordé d’iris jaunes et trop peu profond pour qu’on s’y noie, jouant avec le dernier fils du palefrenier, les deux garçons du charron et la fille du meunier ronde comme une boule. Il a de la boue sur les genoux, sur le visage et jusque dans l’épi de cheveux blonds qui se tord sur son front. Il crie fort. Il a des mollets fermes et roses, celui qu’on croit un petit bâtard, un enfant du péché, et qu’on traite comme tel !

Mais comment ne s’aperçoivent-ils pas tous, les frères de Marie, les paysans du domaine, les gens de Neauphle, que Jeannot n’a rien de la blondeur dorée, presque rousse, de sa mère, et moins encore de la noirceur profonde, du teint couleur d’épices, de Guccio ? Comment ne voit-on pas qu’il est un vrai petit capétien, qu’il en a le visage large, les yeux bleu pâle, un peu trop écartés, le menton qui deviendra fort, la blondeur de paille ? Le roi Philippe le Bel était son grand-père. C’est miracle que les gens aient le regard si peu ouvert et ne reconnaissent dans les choses et les êtres que l’idée qu’ils s’en font !

Quand Marie a demandé à ses frères d’envoyer Jeannot chez les moines Augustins d’un couvent voisin afin qu’il y apprenne à lire et écrire, ils ont haussé les épaules.

— Nous savons lire un peu et cela ne nous sert guère ; nous ne savons pas écrire, et cela ne nous servirait de rien, a répondu Jean de Cressay. Pourquoi veux-tu que Jeannot ait besoin d’en apprendre plus long que nous ? C’est bon pour les clercs d’étudier, et tu ne peux même point le faire clerc puisqu’il est bâtard !

Dans le pré aux iris, l’enfant suit en rechignant la servante qui est venue le chercher. Il jouait au chevalier, la gaule en main, et était au moment d’enfoncer les défenses de l’appentis où des méchants retenaient prisonnière la fille du meunier.

Mais voici justement que les frères de Marie rentrent d’inspecter leurs champs. Ils sont poudreux, sentent la sueur de cheval et ont les ongles noirs. Jean, l’aîné, est déjà pareil à ce que fut leur père ; il a l’estomac lourd par-dessus la ceinture, la barbe broussailleuse, et les deux crocs lui manquent parmi ses dents gâtées. Il attend une guerre pour se révéler ; et chaque fois que devant lui on parle de l’Angleterre, il crie que le roi n’a qu’à lever l’ost et que la chevalerie saura bien montrer ce dont elle est capable. Il n’est point chevalier, du reste ; mais il pourrait le devenir à la faveur d’une campagne. Il n’a connu des armées que l’ost boueux de Louis Hutin, et l’on n’a pas fait appel à lui pour l’expédition d’Aquitaine. Il a nourri un moment d’espoir lors des intentions de croisade de Monseigneur Charles de Valois ; et puis Monseigneur Charles est mort. Ah ! que ce baron-là eût fait un bon roi !

Pierre de Cressay, le cadet, est resté plus mince et plus pâle, mais ne soigne guère davantage sa mise. Sa vie est un mélange d’indifférence et de routine. Ni Jean ni Pierre ne s’est marié. Leur sœur veille au ménage, depuis la mort de leur mère, dame Eliabel ; ils ont ainsi quelqu’un pour assurer leur cuisine, réparer leur gros linge ; et contre Marie ils peuvent s’emporter à l’occasion, plus aisément qu’ils n’oseraient le faire envers une épouse. Si leurs chausses sont déchirées, il leur est toujours loisible de tenir Marie pour responsable de ce qu’ils n’ont pas trouvé femme à leur convenance, à cause du déshonneur par elle jeté sur la famille.

À cela près, ils vivent dans une aisance limitée grâce à la pension que le comte de Bouville fait régulièrement servir à la jeune femme sous le prétexte qu’elle fut nourrice royale, et grâce aussi aux cadeaux en nature que le banquier Tolomei continue d’envoyer à celui qu’il croit son petit-neveu. Le péché de Marie a donc pour les deux frères été de quelque avantage.

Pierre connaît à Montfort-l’Amaury une bourgeoise veuve qu’il va visiter de temps à autre, et ces jours-là, il fait toilette avec un air coupable. Jean préfère ne chasser qu’en ses labours, et se sent seigneur à peu de frais parce que quelques gamins, dans les hameaux voisins, ont déjà sa tournure. Mais ce qui est honneur pour un garçon de noblesse est déshonneur pour une fille noble ; cela se sait, il n’y a pas à y revenir.

Les voilà tous deux bien surpris, Jean et Pierre, de voir leur sœur atournée de sa robe de soie, et Jeannot trépignant, parce qu’on le débarbouille. Est-ce donc jour de fête, dont la mémoire leur a manqué ?

— Guccio est à Neauphle, dit Marie.

Et elle recule, parce que Jean serait bien capable de lui envoyer un soufflet.

Mais non, Jean se tait ; il regarde Marie. Et Pierre de même, les bras ballants. Ils n’ont pas la cervelle modelée pour l’imprévu. Guccio est revenu. La nouvelle est de taille et il leur faut quelques minutes pour s’en pénétrer. Quels problèmes cela va-t-il leur poser ?… Ils aimaient bien Guccio, ils sont forcés d’en convenir, lorsqu’il était compagnon de leurs chasses, qu’il leur apportait des faucons de Milan ; ils ne voyaient pas que le gaillard faisait l’amour à leur sœur, presque sous leur nez. Puis ils ont voulu le tuer quand dame Eliabel a découvert le péché au ventre de sa fille. Puis ils ont regretté leur violence après qu’ils eurent visité le banquier Tolomei en son hôtel de Paris, et compris, mais trop tard, qu’ils eussent mieux préservé leur honneur à laisser leur sœur s’éloigner mariée à un Lombard qu’à la garder mère d’un enfant sans père.

Ils n’ont guère longtemps à s’interroger car le sergent d’armes à la livrée du comte de Bouville, trottant un grand cheval bai et portant cotte de drap bleu dentelée autour des fesses, entre dans la cour du manoir qui se peuple aussitôt de visages ébaubis. Les paysans mettent le bonnet à la main ; des têtes d’enfants surgissent des portes entrebâillées ; les femmes s’essuient les mains à leur tablier.

Le sergent vient délivrer deux messages au sire Jean, l’un de Guccio, l’autre du comte de Bouville lui-même. Jean de Cressay a pris la mine importante et hautaine de l’homme qui reçoit une lettre ; il a froncé le sourcil, avancé les lèvres en lippe à travers sa barbe et ordonné d’une voix forte qu’on fasse boire et manger le messager, comme si celui-ci venait de fournir quinze lieues. Puis il se retire auprès de son frère, pour lire. Ils ne sont pas trop de deux ; il leur faut même appeler Marie qui sait mieux déchiffrer les signes d’écriture.

Et Marie se met à trembler, trembler, trembler.


— Nous n’y comprenons mie, messire. Notre sœur s’est soudain mise à trembler, comme si Satan en propre personne avait surgi devant elle, et elle a refusé tout net de même vous entrevoir. Aussitôt ensuite, elle fut secouée de gros sanglots.

Ils étaient bien embarrassés, les deux frères Cressay. Ils avaient fait brosser leurs bottes, et Pierre avait revêtu la cotte qu’il ne mettait d’ordinaire que pour aller visiter la veuve de Montfort. Dans la seconde pièce du comptoir de Neauphle, devant un Guccio qui leur opposait figure sombre et ne les avait même pas invités à s’asseoir, ils se tenaient plutôt penauds, et l’esprit partagé de sentiments contraires.

Au reçu des lettres, deux heures auparavant, ils avaient cru pouvoir négocier comme une bonne affaire le départ de leur sœur et la reconnaissance de son mariage. Mille livres comptant, voilà ce qu’ils demanderaient. Un Lombard pouvait bien débourser cela. Mais Marie avait mis en déroute leurs espérances par son étrange attitude et son obstination à ne pas revoir Guccio.

— Nous avons tâché à la raisonner, et bien contre notre avantage ; car si elle venait à nous quitter elle nous manquerait fort puisqu’elle tient tout notre ménage. Mais enfin, nous comprenons bien que si, après tant d’années, vous revenez la demander, c’est bien qu’elle est votre épouse véritable, quand même le mariage s’est-il fait en secret. Et puis le temps s’est écoulé…

C’était le barbu qui parlait et sa phrase s’embrouillait un peu. Le cadet se contentait d’approuver de la tête.

— Nous vous le disons tout franc, reprit Jean de Cressay, nous avons commis une faute en vous faisant refus de notre sœur. Mais cela n’est pas tant venu de nous que de notre mère… Dieu l’ait en garde !… qui s’était fort butée. Chevalier se doit de reconnaître ses torts, et si Marie notre sœur a passé outre notre consentement, nous portons une part de la coulpe. Tout cela devrait être effacé. Le temps est notre maître à tous. Or, maintenant, c’est elle qui vous refuse ; et pourtant je jure Dieu qu’elle n’a pas d’autre homme en tête, cela non ! Ainsi, je ne comprends plus. Elle a la cervelle faite de curieuse façon, notre sœur, n’est-il pas vrai, Pierre ?

Pierre de Cressay hocha le front.

Pour Guccio, c’était une belle revanche que d’avoir sous ses yeux, repentants et la langue entortillée, ces deux garçons qui jadis étaient arrivés, en pleine nuit, l’épieu en main, pour l’occire, et l’avaient obligé à fuir la France. À présent, ils ne souhaitaient rien tant que lui donner leur sœur ; pour un peu, ils l’auraient supplié de brusquer les choses, de venir à Cressay, d’imposer sa volonté et faire valoir ses droits d’époux.

Mais c’était mal connaître Guccio et son ombrageux orgueil. Des deux benêts, il faisait peu de cas. Marie seule avait de l’importance pour lui. Or Marie le repoussait alors qu’il était là, tout proche d’elle, et qu’il arrivait si consentant à oublier toutes les injures passées.

— Monseigneur de Bouville devait bien penser qu’elle agirait ainsi, dit le barbu, puisqu’il me mande dans sa lettre : « Si dame Marie, comme il est à croire, refuse de voir le seigneur Guccio… » Savez-vous quelle raison il avait d’écrire cela ?

— Non, je ne sais vraiment, répondit Guccio, mais il faut croire qu’elle en a dit bien long et bien fermement sur mon compte, à messire de Bouville, pour qu’il ait vu si clair !

— Et pourtant, elle n’a pas d’autre homme en tête, répéta le barbu.

La colère commençait d’envahir Guccio. Ses sourcils noirs se serraient sur la ride qui lui marquait le front. Cette fois, vraiment, tout lui donnait droit d’agir sans scrupules. Marie serait payée de sa cruauté par une cruauté pire.

— Et mon fils ? demanda-t-il.

— Il est là. Nous l’avons amené.

Dans la pièce voisine, l’enfant regardait le commis faire des comptes et s’amusait à caresser les barbes d’une plume d’oie. Jean de Cressay ouvrit la porte.

— Jeannot, approche, dit-il.

Guccio, attentif à ce qui se passait en lui-même, se forçait un peu à l’émotion. « Mon fils, je vais voir mon fils », se disait-il. En vérité, il ne ressentait rien. Pourtant, que de fois il avait espéré cet instant ! Mais il n’avait pas prévu ce petit pas lourd, campagnard, qu’il entendait approcher.

L’enfant entra. Il portait des braies courtes et un sarrau de toile ; son épi rebelle se tordait sur son front clair. Un vrai petit paysan !

Il y eut un moment de gêne pour les trois hommes, gêne que l’enfant perçut fort bien. Pierre le poussa vers Guccio.

— Jeannot, voici…

Il fallait bien dire quelque chose, dire à Jeannot qui était Guccio ; et l’on ne pouvait dire que la vérité.

— … voici ton père.

Guccio, sottement, attendait un élan, des bras ouverts, des larmes. Le petit Jeannot leva vers lui des yeux bleus étonnés :

— Mais on m’avait dit qu’il était mort ? dit-il.

Guccio en eut un choc ; une grande fureur mauvaise s’éleva en lui.

— Mais non, mais non, se hâta de couper Jean de Cressay. Il était en voyage et ne pouvait envoyer de nouvelles. N’est-il pas vrai, ami Guccio ?

« De combien de mensonges ne l’a-t-on pas abreuvé ! pensa Guccio. Patience, patience… Lui dire que son père était mort, ah ! Les méchantes gens ! Mais patience… » Pour meubler le silence, il dit :

— Comme il est blond !

— Oui, tout à fait semblable à l’oncle Pierre, le frère de notre défunt père, répondit Jean de Cressay.

— Jeannot, viens vers moi, viens, dit Guccio.

L’enfant obéit, mais sa petite main rugueuse restait étrangère dans la main de Guccio, et il s’essuya la joue après avoir été embrassé.

— Je souhaiterais le garder quelques jours avec moi, reprit Guccio, afin de pouvoir le conduire à mon oncle Tolomei, qui désire le connaître.

Et ce disant, Guccio avait machinalement, comme Tolomei, fermé l’œil gauche.

Jeannot, la bouche entrouverte, le regardait. Que d’oncles ! Autour de lui, on n’entendait parler que de cela.

— Moi, j’ai un oncle à Paris qui m’envoie des présents, dit-il d’une voix claire.

— C’est justement celui-ci que nous irons visiter. Si tes oncles n’y voient pas d’obstacles. Vous n’y voyez pas d’obstacles ? demanda Guccio.

— Certes non, répondit Jean de Cressay. Monseigneur de Bouville nous en prévient dans sa lettre, et nous engage à ne point nous opposer…

Décidément les Cressay ne bougeaient pas le doigt sans l’accord de Bouville !

Le barbu pensait déjà aux cadeaux que le banquier ne manquerait pas de faire à son petit-neveu. Il fallait s’attendre à une bourse d’or qui serait particulièrement bienvenue, car justement, cette année-là, la maladie s’était mise sur le bétail. Et qui sait ? Le banquier était vieux ; peut-être avait-il l’intention de coucher l’enfant sur ses volontés…

Guccio savourait déjà sa vengeance. Mais la vengeance a-t-elle jamais consolé d’un amour perdu ?


L’enfant fut d’abord ébloui par le cheval et le harnachement papal. Jamais il n’avait vu si belle monture, et sa surprise fut grande de s’y trouver juché, sur le devant de la selle. Puis il se mit à observer ce père tombé du ciel, ou plutôt les détails qu’il en pouvait apercevoir en se penchant ou en tordant le cou. Il regardait les chausses collantes qui ne faisaient aucun pli sur le genou, les bottes souples de cuir foncé, et cet étrange vêtement de voyage, couleur de feuilles rousses, à manches étroites, et fermé jusqu’au menton par une série de minuscules boutons.

Le sergent d’armes avait une tenue bien plus éclatante, bien plus flatteuse par sa couleur gros bleu luisant sous le soleil, ses découpures festonnées aux manches et sur les reins, et ses armes seigneuriales brodées sur la poitrine. Mais l’enfant se rendit compte bien vite que Guccio donnait des ordres au sergent, et il prit grande considération pour ce père qui parlait en maître à un personnage si brillamment vêtu.

Ils avaient parcouru déjà près de quatre lieues. Dans l’auberge de Saint-Nom-la-Bretèche où ils s’arrêtèrent, Guccio, d’une voix naturellement autoritaire, commanda une omelette aux herbes, un chapon rôti sur broche, du fromage caillé. Et du vin. L’empressement des servantes augmenta encore le respect de Jeannot.

— Pourquoi parlez-vous d’autre façon que nous, messire ? demanda-t-il. Vous ne dites point les mots pareillement.

Guccio se sentit blessé de cette remarque faite sur son accent de Toscane, et par son propre fils.

— Parce que je suis de Sienne, en Italie qui est mon pays, répondit-il avec fierté ; et toi aussi, tu vas devenir siennois, libre citoyen de cette ville où nous sommes puissants. Et puis, ne m’appelle plus messire, mais padre.

— Padre, répéta docilement le petit.

Ils s’attablèrent, Guccio, le sergent et l’enfant. Et tandis qu’on attendait l’omelette, Guccio commença d’apprendre à Jeannot les mots de sa langue pour désigner les objets de la vie.

— Tavola, disait-il en saisissant le bord de la table, bottiglia, en soulevant la bouteille, vino…

Il se sentait embarrassé devant cet enfant, manquait de naturel ; la crainte de ne pas s’en faire aimer le paralysait, la crainte également de ne pas l’aimer. Car il avait beau se répéter : « C’est mon fils », il n’éprouvait toujours rien d’autre qu’une profonde hostilité envers les gens qui l’avaient élevé.

Jeannot n’avait jamais bu de vin. À Cressay, on se contentait de cidre, ou même de frênette, comme les paysans. Il en prit quelques gorgées. Il était habitué à l’omelette et au lait caillé, mais le chapon rôti avait un air de fête ; et puis ce repas pris au bord de la route, en milieu d’après-midi, lui plaisait bien. Il n’avait pas peur, et l’agrément de l’aventure lui faisait oublier de penser à sa mère. On lui avait dit qu’il la reverrait dans quelques jours… Paris, Sienne, tous ces noms n’évoquaient pour lui aucune idée précise de distance. Samedi prochain il reviendrait au bord de la Mauldre et pourrait déclarer à la fille du meunier, aux garçons du charron : « Moi, je suis siennois » sans avoir besoin de rien expliquer, puisqu’ils en savaient encore moins que lui.

La dernière bouchée avalée, les dagues essuyées sur un morceau de mie et remises à la ceinture, on remonta à cheval. Guccio souleva l’enfant et le posa devant lui, en travers de sa selle[40].

Le gros repas et le vin surtout, dont il venait de goûter pour la première fois, avaient alourdi l’enfant. Avant une demi-lieue franchie, il s’endormit, indifférent aux secousses du trot.

Rien n’est plus émouvant qu’un sommeil d’enfant, et surtout dans le grand jour, à l’heure où les adultes veillent et agissent. Guccio maintenait en équilibre cette petite vie déjà pesante, cahotante, dodelinante, abandonnée. Instinctivement, il caressa du menton les cheveux blonds qui se nichaient contre lui et il referma plus étroitement son bras, comme pour obliger cette tête ronde et ce gros sommeil à se coller plus étroitement à sa poitrine. Un parfum d’enfance montait du petit corps endormi. Et brusquement Guccio se sentit père, et tout fier de l’être, et les larmes lui brouillèrent les yeux.

— Jeannot, mon Jeannot, mon Giannino, murmura-t-il en posant les lèvres sur les cheveux soyeux et tièdes.

Il avait mis sa monture au pas et fait signe au sergent de ralentir aussi, afin de ne pas réveiller l’enfant et de prolonger son propre bonheur.

Qu’importait l’heure à laquelle on arriverait ! Demain Giannino se réveillerait dans l’hôtel de la rue des Lombards qui lui paraîtrait un palais ; des servantes l’entoureraient, le laveraient, l’habilleraient en seigneur, et une vie de conte de fées commencerait pour lui !


Marie de Cressay replie sa robe inutile devant la servante muette et dépitée. La servante aussi rêve d’une autre existence où elle suivrait sa maîtresse, et il y a un peu de blâme dans son attitude.

Mais Marie a cessé de trembler et ses yeux sont secs ; sa décision est prise. Elle n’a plus que quelques jours à attendre, une semaine au plus. Car ce matin, la surprise a provoqué de sa part une réponse absurde, un refus dément !

Parce que, saisie de court, elle n’a pensé qu’au serment d’autrefois que madame de Bouville, cette mauvaise femme, l’avait forcée de prononcer… Et puis aux menaces. « Si vous revoyez ce jeune Lombard, il lui en coûtera la vie… »

Mais deux rois se sont succédé et personne n’a jamais parlé ! Et madame de Bouville est morte. D’ailleurs était-il même conforme à la loi de Dieu, cet affreux serment ? N’est-ce pas un péché que d’interdire à la créature humaine d’avouer à un confesseur ses troubles d’âme ? Les religieuses elles-mêmes peuvent être relevées de leurs vœux. Et puis, nul n’a le droit de séparer l’épouse de l’époux ! Cela non plus n’est pas chrétien. Et le comte de Bouville n’est pas évêque, et d’ailleurs il n’est point aussi redoutable que l’était sa femme.

Toutes ces choses, Marie aurait dû y penser ce matin, et savoir reconnaître aussi que sans Guccio elle ne pouvait vivre, que sa place était auprès de lui, que Guccio venant la chercher, rien au monde, ni les serments anciens, ni les secrets de la couronne, ni la crainte des hommes, ni le châtiment de Dieu s’il devait survenir, ne l’empêcheraient de le suivre.

Elle ne mentira pas à Guccio. Un homme qui, au bout de neuf ans, vous aime encore, qui n’a pas repris femme, et revient vous chercher, est de cœur droit, loyal, pareil au chevalier qui franchit toutes les épreuves. Un tel homme peut partager un secret et en demeurer le gardien. Et l’on n’a pas le droit non plus de lui mentir, de lui laisser croire que son fils est vivant, qu’il le serre dans ses bras, alors que ce n’est point vrai.

Marie saura expliquer à Guccio que leur enfant, leur premier-né… car déjà cet enfant mort n’est plus dans sa pensée que leur premier-né… a été, par un enchaînement fatal, donné, échangé, pour sauver la vie du vrai roi de France. Et elle demandera à Guccio de partager son serment, et ils élèveront ensemble le petit Jean le Posthume qui a régné les cinq premiers jours de sa vie, jusqu’au moment où les barons viendront le chercher pour lui rendre sa couronne ! Et les autres enfants qu’ils auront seront un jour comme des frères pour le roi de France. Puisque tout peut arriver dans le mal, par les agencements incroyables du sort, pourquoi tout ne pourrait-il pas arriver dans le bien ?

Voilà ce que Marie expliquera à Guccio, dans quelques jours, la semaine prochaine, lorsqu’il ramènera Jeannot ainsi qu’il en est convenu avec les frères.

Alors le bonheur si longtemps différé pourra commencer ; et si toute chose heureuse sur la terre doit être payée d’un poids égal de souffrance, alors ils auront l’un et l’autre payé par avance toutes leurs joies futures ! Guccio voudra-t-il s’installer à Cressay ? Certes pas. À Paris ? Le lieu serait trop dangereux pour le petit Jean, et il ne faudrait point tout de même aller braver de trop près le comte de Bouville ! Ils iront en Italie. Guccio emmènera Marie dans ce pays dont elle ne connaît que les belles étoffes et l’habile travail des orfèvres Comme elle l’aime, cette Italie, puisque c’est de là qu’est venu l’homme que Dieu lui destinait ! Marie est déjà en voyage aux côtés de son époux retrouvé. Dans une semaine ; elle a une semaine à attendre…

Hélas ! En amour, il ne suffit pas d’avoir les mêmes désirs : faut-il encore les exprimer au même moment !