Voilà qu’une ambulance déboule. En Amérique, l’ambulance se faufile dans la circulation sirène hurlante ; les planétaires ambulances des Indiens fellahin déchirent les rues de la ville à cent vingt à l’heure, et il faut leur dégager le passage, pas de danger qu’elles s’arrêtent un seul instant sous aucun prétexte, elles te foncent dessus bille en tête. On la voit disparaître sur les chapeaux de roues. Les gens, même les vieilles dames, courent après des bus qui ne s’arrêtent jamais. Les jeunes hommes d’affaires de la ville parient entre eux, leur courent après en cohorte, et les attrapent au vol. Les chauffeurs sont pieds nus ; accroupis très bas devant leur volant énorme, avec des images pieuses au-dessus de leur tête. À l’intérieur du bus, les lampes sont brunâtres, verdâtres, des visages foncés s’alignent sur les banquettes de bois. Dans le centre ville, des milliers de hipsters en chapeau de paille souple et vestes à larges revers portées à même la peau traînent sur l’artère principale, certains vendent des crucifix et de l’herbe dans les ruelles, d’autres prient à genoux dans des chapelles beat, à côté des théâtres burlesques mexicains, sous des auvents. Il y a des ruelles de terre battue, avec égouts à ciel ouvert, des petites portes qui donnent accès à des bars grands comme des placards, entre des murs de torchis. Il faut sauter par-dessus un fossé pour aller chercher sa boisson, et on ressort dos au mur, pour regagner la rue avec circonspection. On y sert du café avec du rhum et de la noix muscade. Partout résonne le mambo. Des centaines de putes s’alignent le long des façades, dans les ruelles sombres ; on voit luire leurs prunelles tristes qui nous appellent, dans la nuit. On marche à l’aventure, dans la frénésie, dans le rêve. On mange des steaks superbes pour 48 cents dans de drôles de cafétéria mexicaines dallées de tomettes, avec des joueurs de marimbas et des guitaristes itinérants. Rien ne s’arrête. Les rues vivent toute la nuit. Des mendiants dorment, entortillés dans des affiches publicitaires. Des familles entières sont assises sur le trottoir, à jouer de petites flûtes, et rire tout bas, dans la nuit. On voit dépasser leurs pieds nus. Au coin des rues, des vieilles découpent des têtes de vache bouillies, et les servent sur du journal. Telle est la grandiose, l’ultime cité, que nous savions trouver au bout de la route. Neal marche bras ballants comme un zombie, la bouche ouverte et l’œil allumé ; il mène ce pèlerinage dépenaillé qui va durer jusqu’à l’aube, sur un terrain où un gamin en chapeau de paille vient rire et causer avec nous, et veut qu’on joue au ballon, car il n’y a jamais de fin à rien. On a essayé de trouver Bill Burroughs, aussi, pour apprendre qu’il venait de partir en Amérique du Sud avec femme et enfants ; ainsi donc, il avait fini par disparaître à nos yeux, il était parti. Et puis j’ai attrapé une fièvre, je me suis mis à délirer, j’ai perdu connaissance. En levant les yeux du maelström noir de mon cerveau, j’ai compris que je me trouvais dans un lit à trois mille mètres d’altitude, sur le toit du monde, j’ai compris que j’avais vécu une vie complète et bien d’autres dans la pauvre gangue atomisée de mon corps, et que j’avais fait tous les rêves. Et puis j’ai vu Neal penché sur la table de cuisine. Plusieurs nuits étaient passées, il quittait Mexico. « Qu’est-ce que tu fais, mec ? » j’ai gémi. « Mon pauvre Jack, mon pauvre Jack, tu es malade, Frank va s’occuper de toi. Maintenant écoute-moi bien, si tu peux, dans ta maladie… Je viens d’obtenir le divorce d’avec Carolyn, et je rentre retrouver Diane à New York, si la voiture tient le coup. — Tu remets ça ? » j’ai crié. « Je remets ça, mon brave pote. Faut que je retourne à ma vie. Je regrette de pas pouvoir rester avec toi. Prie pour que je puisse revenir. » Moi je me tenais le ventre à deux mains en gémissant. Quand j’ai levé les yeux, Neal était là avec sa vieille valise-épave, et il me regardait. Je ne le reconnaissais plus, et il le savait ; avec compassion, il a remonté la couverture sur mes épaules. « Oui, oui, oui, faut que j’y aille. » Et il est parti. Douze heures plus tard, dans ma fièvre de chagrin, j’ai enfin compris qu’il était parti. À l’heure qu’il était, il roulait tout seul, de nouveau, à travers la montagne aux bananiers, et de nuit cette fois, nuit noire, nuit secrète, nuit sacrée.
LIVRE CINQ : Une semaine plus tard, la guerre de Corée éclatait. Neal a quitté Mexico en voiture, il est repassé voir Gregor à Victoria, et il a même réussi à pousser jusqu’à Lake Charles, en Louisiane, où le train arrière a carrément dégringolé sur la chaussée comme il l’avait prévu ; moyennant quoi, il a télégraphié à Diane de lui envoyer les 32 dollars du billet, et il est rentré à New York en avion. Une fois là-bas, papiers du divorce en mains, lui et Diane sont allés se marier à Newark sans plus attendre ; le soir même, il lui a dit qu’il n’y avait pas de problème, qu’il ne fallait pas s’inquiéter, et il s’est lancé dans des démonstrations logiques là où il n’y avait rien d’autre que des angoisses et des chagrins insondables, il a sauté dans un car, et il a retraversé dare-dare le formidable continent jusqu’à San Francisco, où il a rejoint Carolyn et les deux petites. Il s’était donc marié trois fois, il avait divorcé deux fois et il vivait avec sa deuxième femme. À l’automne, j’ai quitté Mexico à mon tour, et un soir, sitôt passée la frontière à Laredo, je me trouvais à Dilley, au Texas, le long d’une route brûlante, sous une lampe contre laquelle venaient s’écraser des papillons d’été, quand j’entends des pas, dans le noir, et voilà qu’un grand vieux à la chevelure blanche flottante vient à passer, sac au dos. En me voyant sur son passage, il me crie : « Va-t’en pleurer sur l’homme », et il disparaît dans le noir. Est-ce que ça veut dire que je devrais au moins poursuivre mon pèlerinage à pied sur les routes d’Amérique, la nuit ? Je réussis à rentrer à New York, à force de batailler, et un soir, je suis dans une rue sombre de Manhattan, et j’appelle en direction de la fenêtre d’un loft où je crois que des amis à moi sont en train de faire la fête. Mais c’est une jolie fille qui passe la tête par la fenêtre et qui me lance : « Oui ? Qui est-ce ? — Jack Kerouac », je réponds, et mon nom résonne dans la tristesse de la rue déserte. « Montez, me dit-elle, je suis en train de faire du chocolat chaud. » Alors je suis monté, et je l’ai trouvée, la fille aux yeux purs et innocents, que j’avais toujours recherchée, que je cherchais depuis si longtemps. Cette nuit-là, je lui ai demandé de m’épouser, et elle a accepté, elle a consenti. Cinq jours plus tard, on se mariait. Puis, au cours de l’hiver, on a projeté d’émigrer à San Francisco, en emportant nos meubles branlants et nos hardes dans un camion. J’ai écrit à Neal, et je lui ai dit ce que j’avais fait. Il m’a répondu une lettre-fleuve de 18 000 mots, où il disait qu’il allait venir me chercher, et qu’il choisirait le camion lui-même, pour nous conduire chez nous. On avait six semaines pour économiser l’argent du camion, alors on s’est mis à travailler et à compter le moindre centime. Et puis, tout à coup, voilà que Neal arrive, avec cinq semaines et demie d’avance, si bien qu’aucun de nous n’a les fonds pour mettre le projet à exécution. J’étais parti me balader, je rentrais raconter à ma femme les pensées qui m’étaient venues en marchant, et je la trouve dans la pénombre du salon, avec un drôle de sourire aux lèvres. Je lui raconte choses et autres, mais je perçois un silence insolite, et puis j’avise un livre en triste état sur le poste de télévision. Je comprends qu’il appartient à Neal. Comme dans un rêve, je le vois sortir de la cuisine obscure sur la pointe des pieds, en chaussettes. Il ne peut plus parler. Il sautille, il rit, il bégaie avec des petits gestes de la main, et il dit : « Ah, ah, il faut écouter pour entendre. » On écoute, mais il a déjà oublié ce qu’il voulait dire. « Écouter pour de bon, hum… tu vois, mon cher Jack… mignonne Joan… je suis venu… je suis allé… attendez voir… Ah oui. » Et il regarde ses mains, comme pétrifié dans sa mélancolie. « Peux plus parler… vous comprenez que c’est… que ça pourrait être… écoutez-moi ! » On écoute tous. Il tend l’oreille aux bruits de la nuit. « Oui ! » il chuchote, frappé d’étonnement. « Mais vous voyez… plus besoin de parler… et en plus. — Mais pourquoi tu arrives si tôt, Neal ? — Ah », il dit en me regardant pour la première fois, « si tôt, oui. — Nous… nous allons le savoir… enfin, je ne sais pas. Je suis venu avec mon passe de chemin de fer… les wagons… le passe du serre-freins… joué de la flûte et de la patate douce en bois sur tout le trajet. » Il sort sa nouvelle flûte en bois, et il en tire quelques grincements tout en sautant à pieds joints sur ses chaussettes. « Vous voyez ? » il dit. « Mais bien sûr, Jack, je peux parler aussi vite qu’avant et j’ai des tas de choses à te raconter, en fait j’ai passé mon temps à lire en traversant le continent, et j’ai maté des tas de trucs que j’aurai jamais le TEMPS de te décrire, sans compter qu’on a TOUJOURS pas parlé du Mexique et de notre séparation en pleine fièvre… mais plus besoin de parler. Plus du tout, à présent, non ? — D’accord, on parlera pas. » Là-dessus, il commence à me raconter par le menu ce qu’il a fait à L.A., sur le chemin ; qu’il a rendu visite à une famille, qu’il a dîné, parlé avec le père, les fils, les sœurs (ils sont cousins) ; à quoi ils ressemblent, ce qu’ils mangent, leur mobilier, leurs idées, ce qui les intéresse, le fond de leur âme même, et, après avoir conclu sur ce chapitre, il dit : « Ah, mais tu vois, ce que je voulais VRAIMENT te dire… beaucoup plus tard… Arkansas, par le train… joué de la flûte… joué aux cartes avec les gars, mes cartes porno… gagné de l’argent, patatedouce en bois… Long long voyage, cinq jours et cinq nuits, voyage effroyable, rien que pour te VOIR, Jack. — Et Carolyn ? — Elle m’a donné la permission, bien sûr… m’attend… Carolyn et moi, on est nickel, pour toujours-toujours… — Et Diane ? — Je… je… je veux qu’elle vienne vivre à Frisco avec moi, à l’autre bout de la ville… tu crois pas ? Sais pas pourquoi je suis venu. » Un peu plus tard, dans un instant d’ébahissement, il a déclaré : « Oui, mais bien sûr, je suis venu pour te voir, avec ta charmante épouse… tu as réussi, mec… content de toi… t’aime toujours autant. » Il est resté trois jours à New York, et il s’est empressé de faire des préparatifs pour rentrer par le train avec ses passes, histoire de retraverser le continent qui gémit, cinq jours et cinq nuits dans des wagons poussiéreux, des fourgons aux banquettes dures, et il ne savait toujours pas pourquoi il était venu, et, bien entendu, on n’avait pas d’argent pour le camion, et on ne pouvait pas rentrer avec lui, à présent. Il n’avait pas la moindre idée de ce qui l’avait poussé à venir, sinon qu’il voulait me voir avec ma charmante épouse — charmante, elle l’était, nous étions d’accord. Diane était enceinte ; il a passé une nuit à se disputer avec elle, et elle l’a jeté dehors. Une lettre pour lui m’est arrivée, et j’ai pris le parti de l’ouvrir pour voir ce qui s’annonçait. Elle venait de Carolyn. « Ça m’a brisé le cœur de te voir partir sur les traverses, avec ton sac. Je prie jour et nuit pour que tu rentres sain et sauf… je voudrais bien que Jack et sa nouvelle femme viennent vivre dans notre rue. Je sais que tu vas t’en sortir, mais je ne peux pas m’empêcher de m’inquiéter… Maintenant qu’on a tout décidé. Neal chéri, c’est la fin de la première moitié du siècle. Tu es le bienvenu si tu veux passer la deuxième avec nous, affectueusement, baisers. Nous t’attendons toutes. (Signé :) Carolyn, Cathy, et petite Jami. » Ainsi, la vie de Neal s’était stabilisée avec Carolyn, son épouse la plus constante, la plus amère et la plus avisée, et j’ai remercié Dieu pour lui. La dernière fois que je l’ai vu, c’était dans des circonstances bizarres et tristes. Henri Cru venait d’arriver à New York après avoir fait plusieurs fois le tour du monde sur des bateaux. Je voulais qu’il rencontre Neal, qu’il fasse sa connaissance. Ils se sont bien rencontrés, en effet, mais Neal ne parlait plus, il n’a rien dit, alors Henri s’est désintéressé de lui. Il avait pris des billets pour le concert de Duke Ellington au Metropolitan Opéra, et il tenait absolument à ce que Joan et moi, on vienne avec lui et sa nana. Henri avait grossi, il était devenu triste, mais c’était toujours un gentleman vibrant d’enthousiasme et à cheval sur les formes, qui voulait que les choses se fassent dans les règles, il le soulignait volontiers. Il avait donc demandé à son bookmaker de nous conduire au concert en Cadillac. C’était une froide nuit d’hiver. La Cadillac nous attendait, prête à démarrer. Neal était devant ma portière, avec son sac, il allait à Penn Station, d’où il traverserait le continent. « Au revoir, Neal », j’ai dit. « Je regrette bien de devoir aller à ce concert. — Tu crois pas que je pourrais monter avec vous jusqu’à la 40e ? » il a chuchoté, « je veux rester avec toi le plus longtemps possible, et en plus il fait un froid de canard, dans c’te ville… ». J’en ai touché un mot tout bas à Henri. Il n’en était pas question, il m’aimait bien, mais il n’aimait pas mes amis. Je n’allais pas recommencer à lui bousiller ses soirées comme je l’avais fait chez Alfred, en 1947, à San Francisco, avec Allan Temko. « C’est absolument hors de question, Jack ! » Pauvre Henri, il s’était fait faire une cravate pour la circonstance, sur laquelle étaient peints nos billets, aux noms de Jack et Joan, Henri et Vicki, la fille, ainsi qu’une série de blagues tristes, avec ses formules favorites comme « Le vieux maestro connaît la musique ». Donc Neal ne pouvait pas monter avec nous pour aller en ville. Je n’ai pu que lui faire un petit signe, depuis l’arrière de la Cadillac. Le bookmaker qui conduisait n’avait pas davantage voulu avoir affaire à lui. Neal, dans son pardessus mité et dépenaillé, acheté tout spécialement pour les températures glaciaires de l’Est, est parti tout seul, et je le revois, dernière image, au coin de la 7e Avenue, regardant droit devant lui, tête baissée, en route. Ma femme, la pauvre petite Joan, à qui j’avais tout dit de Neal, était au bord des larmes : « Oh, on peut pas le laisser partir comme ça. Qu’est-ce qu’on va faire ? » Moi j’ai pensé : « Il est parti, Neal, mon pote » et j’ai dit à voix haute : « T’en fais pas pour lui. » Nous sommes allés à ce concert de la tristesse et du désenchantement, où je n’avais nulle envie de me rendre, et pendant toute la durée du spectacle j’ai pensé à Neal qui rentrait en train, cinq mille kilomètres ou presque à travers ce terrible continent, sans même se rappeler pourquoi il était venu, sinon pour me voir, avec ma charmante épouse. Et il était parti. Si je n’avais pas été marié, je serais reparti avec lui. Alors, en Amérique, quand le soleil décline et que je vais m’asseoir sur le vieux môle délabré du fleuve pour regarder les longs longs ciels du New Jersey, avec la sensation de cette terre brute qui s’en va rouler sa bosse colossale jusqu’à la côte Ouest, de toute cette route qui va, de tous ceux qui rêvent sur son immensité, et dans l’Iowa je sais qu’à cette heure l’étoile du Berger s’étiole en effeuillant ses flocons pâle sur la prairie, juste avant la tombée de la nuit complète, bénédiction pour la terre, qui fait le noir sur les fleuves, pose sa chape sur les sommets de l’Ouest et borde la côte ultime et définitive, et personne, absolument personne ne sait ce qui va échoir à tel ou tel, sinon les guenilles solitaires de la vieillesse qui vient, moi je pense à Neal Cassady, je pense même au vieux Neal Cassady, le père que nous n’avons jamais trouvé, je pense à Neal Cassady, je pense à Neal Cassady.
FIN
[1] Dans la distribution de personnages d’un manuscrit intitulé « “On the Road” tel qu’il a été reconçu en février 1950 », Chadwick « Chad » Gadwin, joueur de base ball à Brooklyn, universitaire, taulard et vagabond, est le demi-frère de Dean Pomeray Jr., « hipster, coureur automobile, chauffeur, taulard et fumeur de thé ». Les deux hommes sont demi-frères de sang — avec un seizième de sang comanche.
[2] Le recto du feuillet de couverture de ce manuscrit de 297 pages porte, écrit avec soin, le titre holographe « The Beat Génération », titre barré au profit de celui, écrit au-dessus et avec moins de soin, de « On the Road ». Au verso du même feuillet, « on the road » est tapé en majuscules, et il y a un sous-titre de cinq mots (dont les trois premiers sont « On the Road ») barré ; sous le titre, l’auteur a tapé « par John Kerouac », puis il a barré « John » pour écrire à la main, au-dessus et en majuscules, « jack ». Au Bas de la page, à droite, il a dactylographié son nom, en barrant de nouveau le « John ». Au-dessous, son adresse est dactylographiée : « Chez Paul Blake », son beau-frère ; suivi aune adresse partiellement lisible en Caroline du Nord ; adresse ensuite barrée, et Kerouac a écrit à la main : « Chez Allen Ginsberg, 206 E., 7e Rue, New York, N.Y. »
Sur une autre page, il a écrit à la main les titres des cinq livres qui composent le roman : « Se défoncer sans redescendre » (au-dessus d’un autre titre illisible, tapé à la machine et barré), « Je peux rester au volant toute la nuit », « Cent soixante à l’heure », « Le bout de la route » et « Peux plus parler ».
Le texte, à double espacement, commence par un paragraphe de huit pages, abondamment corrigé, qui s’ouvre en ces termes : « J’ai rencontré Dean peu après [dactylographié] la mort de mon père, quand je pensais que tout était mort [écrit à la main]. »
La version de 347 pages est dactylographiée, à double interligne, sur un papier qui n’est pas uniforme. Le texte est revu et corrigé par Kerouac, avec des ajouts et des suppressions de sa main et d’autres, plus abondants encore, de celle d’un éditeur de chez Viking, qui pourrait bien être Helen Taylor. Page 347, en bas à droite, on peut lire : « JEAN-LOUIS, chez Lord & Colbert, 109, 36e Rue E., New York, N.Y. » Le manuscrit commence ainsi : « J’AI RENCONTRE DEAN peu après que ma femme et moi nous sommes séparés. »
[3] Interviewé dans le documentaire On the Road to Désolation (réalisation David Steward, coproduction BBC/NVC Arts, 1997), Giroux raconte : « Ça se passait, je dirais, au cours du premier semestre 1951, j’étais dans mon bureau chez Harcourt Brace et le téléphone sonne. C’est Jack qui me dit : “Bob, j’ai fini ! — Formidable, je réponds, c’est une merveilleuse nouvelle. — Je veux passer, il me dit. — Quoi, tout de suite ? — Ouais, il faut que tu voies, il faut que je te montre. — Eh bien d’accord, passe, viens au bureau.” Nos bureaux étaient sur Madison Avenue, au niveau de la 46e. Il arrive et il a l’air… il a l’air euphorique, comme quelqu’un qui a bu, quoi. Et il a sous le bras un rouleau de papier qui ressemble à ces essuie-tout qu’on trouve dans les cuisines, un gros rouleau de papier sous son bras gauche, il est dans un état… enfin, disons que c’est un grand moment pour lui, je l’ai bien compris. Il attrape le rouleau par un bout, et il me le jette à travers la pièce comme un gros serpentin, pour qu’il atterrisse sur mon bureau. La, je me dis : drôle de manuscrit, des comme ça, je n’en ai jamais vu. Lui, il me regarde, il guette ma réaction. Alors je dis : “Jack, tu comprends bien qu’il va falloir découper, ce rouleau, il va falloir le travailler.” Et là je le vois rougir, et il me répond : “Ce manuscrit-là, pas question d’y toucher. — Et pourquoi ? — Ce manuscrit-là, il a été dicté par le Saint-Esprit.” »
[4] Le tapuscrit revu et corrigé de Visions de Cody exposé à la Berg Collection porte sur la page de titre cette inscription holographe : « Visions of Cody, Jack Kerouac, 51-52 ». Une seconde page de titre holographe indique : « On the Road », inscrit à l’encre, raturé et réintitulé « Visions of Neal (Cody) » au crayon. La première page du tapuscrit est intitulée : « Visions of Enal » ; il comprend 558 feuilles. Il n’existe pas de version intégrale de Sur la route qui excède 347 pages.
[5] À Londres, en avril 1957, impressionné par la culture des Teddy Boys, Kerouac écrit à Sterling Lord qu’on « doublerait peut-être les ventes en changeant le titre pour Rock and roll road ».
[6] En français dans le texte. (N.d.T.)
[7] En français dans le texte. (N.d.T)