GÉNÉRAL CUMMINGS, UN ÉNONCÉ SPÉCIFIQUEMENT AMÉRICAIN
A première vue son aspect n'était guère différent de celui des autres officiers généraux. D'une taille légèrement au-dessus de la moyenne, bien en chair, le visage plutôt beau, la peau hâlée, les cheveux grisonnants ; mais il y avait des différences. Quand il souriait, il ressemblait beaucoup à nombre de sénateurs et d'hommes d'affaires américains, avec leur apparence dure, rougeaude, satisfaite d'elle-même. Mais, lui, il ne gardait pas toujours leur halo de braves types un peu costauds. Il y avait une certaine vacuité dans son visage… une apparence de vacuité peut-être. Hearn avait toujours le sentiment que son visage souriant était figé.
Il y a longtemps que la ville existe dans cette partie du Middlewest, plus de soixante-dix ans aux environs de 1910, mais elle n'est devenue une vraie cité que depuis peu. « Oui, il n'y a pas si longtemps, disent les gens. Je me rappelle quand y avait tout juste le bureau de poste dans cette ville et le bâtiment de l'école, la vieille église presbytérienne et le Main Hôtel. Vieux Ike Cummings tenait alors sa boutique et pendant un temps nous avions un type qui faisait la barbe aux gens, mais il a fini par déménager. Et puis — clignement appréciatif de l'œil et puis y avait une ville à côté qui faisait des affaires dans le canton. »
Et, bien sûr, quand Cyrus Cummings (nommé d'après l'aîné des McCormick) s'en allait dans ses voyages de banque, il ne gaspillait pas son temps. « Croyez-moi, disaient les gens, fallait bien qu'ils la montent ici, cette usine. Cy Cummings n'a pas aidé pour rien McKinley dans ces années quatre-vingt-seize ; c'est un marchand Yankee. Il avait peut-être pas beaucoup de banque dans ces jours-là, mais quand il a fait rentrer toutes les dettes des fermiers la semaine d'avant les élections, ce pays-ci est devenu un canton à McKinley. Cy est même plus malin que le vieux Ike, et vous vous rappelez que quand Ike avait sa boutique personne a jamais pu lui vendre un cheval avec un crapaud à la patte. » Et, tassé sur une caisse à biscuit, le vieillard file un crachat dans un coin de son mouchoir de couleur qui sent le renfermé. « Sûr — une grimace — je dis pas qu'y-a des gens qui aiment Cy plus que de raison, mais la ville… (autre grimace) je veux dire la cité lui doit une fière chandelle, en gratitude ou en vrais bons dollars. »
La ville est sise au milieu de la grande plaine américaine. De rares monticules la bordent, petits accidents de terrain sur le plat visage du Middlewest où l'on peut voir quelques arbres le long des rails du chemin de fer, du côté où le ballast les abrite du vent. Les rues sont larges où l'orme et le chêne fleurissent en été, levant un jeu d'ombres qui adoucissent l'âpre et le revêche contour des maisons fin de siècle surmontées de lucarnes et de toits tronqués. Dans la Central Street, qui regorge maintenant de boutiques, il ne reste que fort peu d'immeubles flanqués de fausses façades, et tant de fermiers viennent à la ville les samedis après-midi que l'on commence de paver les rues pour que les chevaux ne s'embourbent pas dans la vase.
Bien que Cy Cummings soit l'homme le plus riche de la ville, sa maison ne diffère pas beaucoup des autres maisons. Les Cummings l'ont bâtie il y a trente ans, à une époque où elle se tenait toute seule à l'extrémité de la ville, et en ce temps-là, pour s'y rendre lors de la fonte des neiges ou des pluies de l'automne, il fallait patauger à mi-cuisse dans la boue. Mais maintenant la ville l'environne, et Cy Cummings ne peut plus grand-chose pour améliorer la situation de sa demeure.
Ce qu'il y a de pire dans les transformations qui y ont été apportées, vous pouvez l'imputer à sa femme. Les gens qui les connaissent disent que c'est sa faute — -une de ces femmes maniérées de l'Est avec de la Culture. Cy est un homme dur mais nullement maniéré, et leur nouvelle porte d'entrée avec toutes ces vitres de travers est quelque chose qui vient de France. Elle en a mentionné le nom pendant une réunion à l'église, Newvelle ou quelque chose comme ça. Et Cy s'est même converti à cause d'elle à l'église anglicane, et il a contribué à la construction du temple épiscopal.
Drôle de famille, vous diront les gens, drôles de pistolets.
Dans le petit salon avec ses portraits aux murs, ses sombres paysages dans des cadres festonnés d'or, ses sombres draperies, ses meubles couleur noisette, dans le petit salon la famille est assise en rond.
Cet homme Debs fait de nouveau des histoires, dit Cy Cummings. (Une face aux traits aigus, une tête partiellement chauve, des verres cerclés d'argent.)
Comment, mon cher ? La femme retourne à son ouvrage, brode un autre point doré sur la fesse du cupidon, au centre du napperon. (Une femme jolie, se trémousse un peu, robe longue et giron impressionnant de l'époque.) Eh bien, pourquoi fait-il des histoires ?
Aaah, s'ébroue Cy, manifestant sa répugnance fondamentale pour des questions de femme.
Pends-les, dit Ike Cummings de la voix chevrotante des vieillards. Pendant la guerre (la guerre civile) nous leur passions la corde au cou, puis hop sur la jument, pan sur a croupe de la bête, et on les regardait gigoter du talon.
Cy froisse son journal. Pas besoin de les pendre. Il regarde ses mains, fait entendre un rire froid. Edward est allé au lit ?
Elle lève la tête, répond hâtivement, nerveusement, je crois, c'est-à-dire il l'a dit. Lui et Matthew ont dit qu'ils allaient se coucher. (Matthew Arnold Cummings est le puîné des garçons.)
Je vais voir.
Dans la chambre des garçons Matthew dort, et Edward, sept ans, assis dans un coin, coud des bouts de fil dans un bout d'étoffe.
Le père s'approche, son ombre se projette sur le visage du garçonnet. Qu'est-ce que tu fais, petit ?
Le regard de l'enfant est pétrifié. Je couds. Maman a dit que je peux.
Donne-moi ça. Les bouts d'étoffe, le fil, prennent le chemin de la corbeille à papiers. Monte ici,'Lizabeth.
L'enfant assiste à la dispute qui fait rage à son propos, chuchotements rauques et passionnés — eu égard à son frère endormi. Je ne veux pas qu'il se conduise comme une imbécile de femme, cesse de lui donner tous ces livres à lire, tous ces boniments de… femmelette. (Le bat et les gants de base-ball se couvrent de poussière au grenier.)
Mais je n'ai pas… je ne lui ai rien suggéré.
Tu ne lui as pas dit de coudre ?
Cyrus, s'il te plaît, laisse-le tranquille. La gifle rougit la joue de l'enfant de l'oreille à la bouche. Il s'assied par terre, répandant des larmes qui tombent sur ses genoux.
Et tu te conduiras comme un homme à partir de maintenant, compris ?
Mais, resté seul, trop de choses assaillent son cerveau. La mère lui a donné le fil à coudre, elle lui a dit de ne pas faire de bruit.
A l'église le sermon tire à sa fin. Nous sommes tous des enfants de Notre-Seigneur, des instruments de Sa compassion, envoyés sur la terre pour être les instruments de Sa bonté, pour semer les germes de la fraternité et de la charité.
Un beau sermon, dit la mère.
Hé-hème.
C'est vrai ce qu'il a dit ? demande Edward.
Certainement, dit Cyrus, mais il faut y mettre un grain de prudence. La vie est difficile, et personne ne te donnera rien pour rien, Tu dois tout faire toi-même. Tu as tout le monde contre toi, voilà ce qu'il faut que tu apprennes.
Alors ça n'est pas vrai ce qu'il a dit, père.
Je n'ai pas dit ça. Il a raison et moi j'ai raison, seulement tu agis en religion d'une manière, et dans les affaires, qui est une chose moins importante, eh bien, tu agis d'une autre manière. C'est chrétien, ça.
La mère lui caresse l'épaule. Ça a été un sermon merveilleux, Edward.
Presque tout le monde me hait dans cette ville, dit Cyrus. Toi aussi ils te haïssent, Edward, autant que tu l'apprennes assez tôt, y a rien qu'ils haïssent comme les gens qui ont réussi et à coup sûr tu réussiras dans la vie, s'ils t aiment pas ils peuvent toujours te lécher les bottes.
Mère et fils emballent couleurs et chevalet et se mettent en route par le frais après-midi du printemps ; ils rentrent de leur excursion aux abords de la ville, où ils ont croqué les maigres collines de la plaine.
Tu t'es amusé, Eddie chéri ? Quand elle est seule avec lui, sa voix se donne un nouvel accent, une nouvelle chaleur.
Beaucoup, maman.
Quand j'étais petite fille je rêvais toujours que j'avais un petit garçon et que je sortais avec lui pour faire de la peinture, comme nous venons de le faire. Viens, je vais l'apprendre une amusante chanson pendant que nous rentrons.
Comment c'est Boston ? demande-t-il.
Oh ! c'est une grande ville, sale, frrroide, on y est toujours habillé de pied en cape.
Comme papa ?
Elle a un rire hésitant. Oui, comme papa. Mais ne lui dis rien de ce que nous avons fait cet après-midi…
C'était mal ?
Non, mais maintenant rentrons à la maison, et tu ne lui dis pas un mot en arrivant, c'est un secret.
Il la hait tout à coup, et il est taciturne et maussade sur leur chemin de retour. Cette nuit-là il dit tout à son père, puis assiste avec une sorte de terreur et de transport délicieux à la querelle qui s'ensuit.
Je te dis que cet enfant est tout de ta faute, tu le gâtes, tu cultives ce qu'il y a de pire en lui, tu n'as jamais pu te pardonner d'avoir quitté Boston, n'est-ce pas, dis, ça n'est vraiment pas assez chic ici pour toi.
Cyrus, s'il te plaît.
Peste et damnation, je vais l'envoyer dans une école do préparation militaire, il est assez grand pour changer de place, il est temps pour un garçon de neuf ans d'agir comme un homme.
Ike Cummings approuve du chef. L'école militaire c'est ce qu'il faut, cet enfant aime écouter les choses de la guerre.
Ce qui se clache en partie là-dessous c'est la conversation que Cyrus a eue avec le médecin du pays. Sa barbe fabuleuse, le clignotement dur et sagace de ses yeux, jouissaient de la situation. Eh bien, monsieur Cummings, je ne vois pas la plus petite chose pour y remédier en ce mo ment, je n'y peux rien, s'il était un peu moins jeune je vous aurais dit emmenez le garçon chez Sally pour lui faire remonter la queuquette.
L'au-revoir conventionnel quand on a dix ans, le train, l'adieu aux chemins boueux à la périphérie de la ville, aux lugubres maisonnettes de la banlieue, à l'odeur de la banque paternelle et du linge qui sèche sur les ficelles.
Au-revoir, fils, et conduis-toi bien, tu m'entends ?
Il a accepté la décision paternelle sans la moindre réaction, mais il frissonne imperceptiblement sous le toucher de la main sur son épaule.
Au-revoir, maman. Elle pleure, et il ressent un léger mépris, presque une trace de compassion.
Au-revoir, et il va, plonge et se perd dans la routine monacale de l'école, asticotant ses boutons et faisant son lit.
Des changements se produisent en lui. Il n'a jamais été intime avec les autres garçons, mais maintenant il est plutôt froid que timide. Il attache bien moins d'importance à ses aquarelles, à des livres comme Little Lord Fauntleroy et lvanhœ et Oliver Twist ; ils ne lui manquent jamais. Pendant des années il obtient les meilleures notes de sa classe, devient un sportif passable, troisième en force au tennis. Comme son père, il est respecté à défaut d'être aimé.
Et les corvées bien sûr : il se tient contre sa couchette aux inspections du samedi matin, raide comme un piquet, claquant des talons au passage du colonel-proviseur. Suit le cortège des officiers-instructeurs et il attend, tout engourdi, l'arrivée du colonel-adjoint, un long jeune homme aux cheveux noirs.
Cummings, dit le colonel-adjoint.
Oui, mon colonel.
Il y a du vert-de-gris dans les œillets de votre ceinturon.
Oui, mon colonel. Il le suit du regard, et parce qu'il a été remarqué il oscille entre l'angoisse et une troublante excitation. Une réaction inconsciente, car, au point de se singulariser par son abstinence, il ne prend aucune part aux jeux si spéciaux qui se pratiquent parmi les internes.
Neuf ans de ce régime, baraques ascétiques, dortoirs collectifs, crainte des gradés, crainte des inspections, marches exténuantes, vacances idiotes. En été, pendant six semaines, il visite ses parents, les trouve étranges, traite de haut son frère. Mme Cyrus Cummings l'ennuie avec ses nostalgies.
Tu te rappelles, Eddie, quand nous sommes allés peindre sur la colline ?
Oui, mère.
L'école finie, il obtient son certificat de cadet-colonel.
Son uniforme crée une petite sensation dans la ville. Les gens savent qu'il ira à l'école militaire de West-Point, et on le désigne aux jeunes filles à l'égard de qui il n'a que politesse et indifférence. Il a belle prestance maintenant, pas trop grand mais bien bâti par contre, et un regard net et intelligent éclaire son visage.
Cyrus lui parle. Eh bien, fils, tu es prêt pour West-Point, hein ?
Oui, monsieur, je pense que oui.
Humm. Content d'avoir été dans une école de préparation militaire ?
J'ai essayé de faire du mieux que j'ai pu, monsieur.
Cyrus approuve. West-Point lui plaît. Voilà longtemps qu'il a décidé que le petit Matthew Arnold continuera la banque, et que ce fils bizarre, tout roide dans son uni forme, se trouvera mieux loin de la maison. Bonne idée de t'envoyer là bas, dit-il.
Mais… Un vide se fait dans sa tête, tandis qu'une puis santé angoisse grimpe le long de son dos. Les paumes de ses mains sont toujours moites quand il parle à son père. Mais oui, monsieur. (Sachant obscurément que c'est ce que Cyrus veut lui entendre dire.) Oui monsieur. J'espère travailler de mon mieux à West-Point, monsieur.
Certainement, si tu es le fils de ton père. (Riant de bon cœur, un rire grosse-affaire-cordialement-conclue, puis il lui assène une claque dans le dos.)
Encore… Oui monsieur. Et, réaction fondamentale, il se replie sur lui-même.
Un jour d'été, au cours de sa deuxième année à West Point, il fait connaissance de la jeune fille qu'il devra épouser. Faute de vacances assez longues pour entre prendre le voyage il n'est pas allé chez lui pendant ces deux années, mais l'absence des siens ne lui a pas pesé. Il met à profit ses premières longues vacances pour aller en visite à Boston, chez des parents de sa mère.
La ville de Boston l'enchante ; après le parler cru, inquisiteur. dont il a l'habitude, les manières de ses parents lui sont une révélation. Il est très poli d'abord, très réti cent, conscient qu'il ne saura parler librement que s'il connaît les bévues à ne pas commettre. Mais il est ému. Il se promène dans les rues de Beacon Hill, grimpe avec ardeur les trottoirs resserrés qui mènent au State House où il tombe en arrêt, regardant le jeu des lumières sur la Charles qui coule à un demi-mile dans le contrebas. Les heurtoirs de cuivre, les lourds marteaux de cuivre noir l'intriguent ; il observe les portes étroites, touche son képi au passage des vieilles dames vêtues de noir qui esquissent un sourire plaisant, un peu incertain, à l'adresse de son uniforme de cadet.
Voilà un air qui me plaît.
J'aime beaucoup Boston, dit-il quelques semaines plus tard à sa cousine Margaret. Ils sont devenus des confidents.
Vraiment ? dit-elle. Ça devient un peu miteux ici Papa dit qu'il y a de moins en moins des endroits où on peut aller. (Son visage est délicatement long, plaisamment froid. Son nez, malgré sa longueur, est retroussé du bout.)
Oh ! les Irlandais bien sûr, fait-il avec une moue ; mais, conscient de la banalité de sa réponse, il se sent vaguement mal à son aise.
Oncle Andrew se plaint toujours qu'on nous a pris le gouvernement. Je l'ai entendu dire l'autre nuit que nous ressemblons à la France, il a été là bas tu sais, les seules carrières qui vous restent c'est l'administration ou l'armée, et même là-dessus on ne peut pas trop compter. (Consciente d'une maladresse, elle ajoute vivement). -Il t'aime beaucoup.
Ça me fait plaisir.
Tu sais, c'est bizarre, dit Margaret, il y a seulement quelques années Andrew était très intolérant à propos de tout ça. Je te dirai un secret. (Elle rit, -passe son bras sous le sien.) il a toujours préféré la marine. Il dit qu'ils ont meilleure tenue dans la marine.
Oh ! (Pendant un moment il se sent perdu. Toute leur politesse, leur façon de l'accepter comme parent, lui apparaissent à l'autre bout de la lorgnette. Le temps d'u^ instant il essaie de renverser le sens de tout ce qu'il leur a entendu dire, d'examiner leur attitude d'un nouveau point d'approche.)
Ça 11e veut rien dire, fait Margaret, nous sommes tous de tels imposteurs. C'est terrible à dire, mais tu sais nous n'acceptons comme bon que ce qui fait partie de la famille. J'ai été terriblement choquée quand je m'en suis aperçu pour la première fois.
Alors je suis parfaitement en règle, dit-il d'un air badin.
Oh ! non, tu n'ès pas en règle du tout. (Elle rit, et il l'imite, un rien hésitant.) Tu n'es que notre cousin au deuxième degré, un cousin de l'Ouest. Ça ne suffit pas. (Son long visage semblé gai pendant un moment.) Sérieusement, c'est que nous n'avons connu que la marine jusqu'à présent. Tom Hopkinson et Thatcher Lloyd, je crois que tu l'as rencontré à Dennis, eh bien, ils sont tous dans la marine et oncle Andrew connaît si bien leurs pères. Mais il t'aime bien. Je crois qu'il a eu le béguin pour ta mère.
Et bien, voilà qui arrange les choses. (Ils rient de nouveau, s'assoient sur un banc et lancent des cailloux dans la Charles.)
Tu es si admirablement enjouée, Margaret.
Oh ! moi aussi je suis un imposteur. Si tu me connaissais, tu dirais que je suis horriblement cafardeuse.
Je parie que tu ne l'es pas.
Oh ! j'ai pleuré, tu sais j'ai complètement pleuré quand Minot et moi nous avons perdu le course des canots, il y a deux ans. Ça a été si bête. Père voulait que nous gagnions, et j'étais terrifiée par ce qu'il allait dire. On ne peut rien faire, il y a toujours une raison, qui fait que ceci ou cela n'est pas convenable. (Pour un instant sa voix est presque amère.) Toi tu n'es pas du tout comme les autres, tu es sérieux, tu es important. (Sa voix redevient chantonnante.) Père m'a dit que tu es le deuxième de ta classe. Ça n'est pas des bonnes manières de se pousser comme ça.
Est-ce que bon troisième serait plus respectable ?
Pas pour toi. Tu seras un général.
Je ne crois pas. (Pendant ces semaines à Boston sa voix a acquis le ton qui convient, elle est devenue un peu plus haute, un peu plus paresseuse. Il ne peut pas exprimer l'excitation, ou l'exaltation peut-être, qu'il doit à Boston. Tout le monde est si parfait ici.)
Tu te paies simplement ma tête, dit-il. (Une abominable expression, il s'en rend compte trop tard, et ça le désarçonne pour un instant.)
Oh ! non, je suis convaincue que tu seras un grand homme.
Je t'aime bien, Margaret.
C'est la moindre des choses, après les éloges que je t'ai prodigués. (Elle rit de nouveau, dit ingénument) Je crois que je veux que tu m'aimes.
Quant il repart à la fin de l'été elle l'étreint, chuchote dans son oreille, j'aurais voulu que nous soyons fiancés pour de bon alors tu aurais pu m'embrasser.
Moi aussi. Mais c'est la première fois qu'il la regarde en femme et il est un peu choqué, un peu effrayé. Dans le train, sur son chemin de retour, déjà elle perd pour lui de son inquiétante individualité pour redevenir l'aimable personnification de sa famille et de la ville de Boston à l'arrière-plan. Il éprouve une inhabituelle, une vivifiante identification avec ses compagnons de classe quand il leur parle de son flirt. Il est important d'avoir un flirt, décide t-il.
Il ne cesse pas d'apprendre, comprenant déjà que son esprit demande à fonctionner sur plusieurs registres à la fois. Il y a des choses qu'il pense être vraies en soi, la situation objective que son esprit doit démêler ; il y a ce qu'il appelle « la couche profonde », une couche suspendue dans les nuages et dont il se soucie fort peu de connaître le point d'appui ; il y a, et ceci est très important, il y a le registre d'après lequel il doit faire et dire des choses pour l'effet qu'elles exercent sur ceux avec qui il vit et travaille.
Ce dernier point lui devient clair au cours d'une expérience plutôt dramatique qui a lieu dans la classe de Tactique et Histoire Militaire. (La pièce récurée peinte en marron, les tableaux noirs, les bancs où les cadets sont assis en carrés d'échiquier selon une ancienne symétrie à jamais inamovible,)
Mon capitaine (il a permission de parler), est-il juste de dire que Lee était un meilleur général que Grant ? Je sais qu'on ne saurait comparer leurs tactiques, mais Grant était un stratège. A quoi bon la tactique, mon capitaine, si le… l'ensemble du mécanisme qui embrasse hommes et ravitaillement n'est pas correctement conçu, puisque après tout la tactique n'est qu'une partie de cet ensemble ? De ce point de vue Grant n'était-il pas le plus grand des deux, lui qui s'efforçait de tenir compte des intangibles ? Il n'était pas très fort au jeu voyant des claquettes, mais par contre il concevait le spectacle dans sa totalité. (La classe rugit.)
Ça a été une triple erreur. Il a porté la contradiction, il s'est montré rebelle, et il a été facétieux.
Cummings, la prochaine fois vous tâcherez d'exposer vos arguments avec plus de concision.
Oui, mon capitaine.
Il arrive que vous vous trompez. Vous finirez tous par apprendre que l'expérience est bien plus précieuse que la théorie. Il est impossible de tout prévoir dans votre stratégie, les choses ont leur propre façon de s'équilibrer, comme ça a été le cas à Richmond, comme c'est le cas actuellement dans la guerre des tranchées en Europe. La tactique demeure toujours l'élément déterminant. (Il l'écrit au tableau noir.)
Et, Cummings…
Mon capitaine ?
Comme vous aurez bien de la chance si vous commandez un bataillon d'ici une vingtaine d'années, vous feriez bien mieux de vous préoccuper des problèmes stratégiques d'une section plutôt que (un rire en sourdine répond à ce sarcasme) de ceux d'une armée. (Voyant le consentement dans les yeux de l'instructeur, la classe laisse libre cours à sa gaieté, une gaieté qui roussit la peau de Cummings.)
Il en entend parler pendant des semaines. Hé, Cum mings, combien d'heures il te faudrait pour prendre Richmond ?
Et, j'ai entendu dire qu'ils t'envoient comme expert auprès des Français. Avec tes conceptions correctement appliquées, la ligne Hindenburg serait défoncée en un rien de temps.
Cet incident lui apprend bien des choses ; avant tout il comprend qu'il n'est pas aimé, qu'il ne le sera jamais, et qu'il ne peut pas se permettre des erreurs qui l'exposent à la meute. Il lui faudra patienter. Mais il est froissé, et il ne peut pas s'empêcher d'en parler à Margaret par écrit. Et son mépris pour ses compagnons n'est pas exempt de récompenses : — il y a tout un monde d'usages dont ils ne savent rien.
Ses études terminées, la publication estudiantine The Howitzer reproduit son brevet sous le titre « Le Stratège » ; et, pour dorer la pilule avec une couche de douceâtre sentimentalité qui sent trop son almanach, on a ajouté avec un rien d'ambiguïté : « Il Fait Bien comme il est Bien Fait. »
Courte permission qu'il passe avec Margaret, annonce de leurs fiançailles, départ hâtif sur un transport pour l'Europe en guerre.
Il prend ses quartiers dans l'aile d'un château, service stratégique du G. Q. G., où il a une pièce blanchie à la chaux jadis occupée par une fille de chambre, mais cela il l'ignore. La guerre l'a surpris agréablement, l'enlevant à la routine mortelle des formulaires, des corvées qui consistent à mettre au point des mouvements de troupe. Le bruit de la canonnade l'excite au travail, le cru chemin de gravier sous sa fenêtre souligne la valeur de ses calculs.
Une nuit la guerre lui apparaît dans sa totalité, nette comme le tranchant d'une lame, — une nuit où tout s'équilibre dans son esprit.
Il accompagne son colonel dans une inspection au front ; deux autres officiers et un chauffeur sont avec eux. Ça vous a l'air d'un pique-nique avec sandwiches et thermos de café chaud. On emporte même des provisions de conserve, mais il est peu probable qu'ils aient l'occasion de les utiliser. Ils voyagent sur des chemins de terre battue qui mènent vers les premières lignes, rebondissant avec lenteur dans les trous et les ornières, clapotent lourdement dans la boue. Ils se déplacent pendant une heure le long d'une vaste plaine désolée, sous un ciel terne que seul le feu de l'artillerie illumine d'un cru et maléfique clignotement de flamme pareil à celui des éclairs de chaleur par un soir d'été suffocant. A un mille des tranchées ils arrivent en vue d'une crête qui leur masque l'horizon, s'arrêtent, enfilent lentement une tranchée de communication que la pluie du matin a submergée sous un demi-pied d'eau. Le boyau zigzague et s'approfondit à mesure qu'ils s'avancent. Tous les cent mètres Cummings monte sur le parapet et risque un coup coup d'œil précautionneux dans les ténèbres du No Man's Land.
Ils prennent position dans un abri blindé, prêtant une oreille respectueuse à la conversation entre le colonel et le commandant en charge de ce secteur du front. Lui aussi est venu en vue de l'attaque. Une heure avant la tombée du jour l'artillerie déclenche un feu de barrage rasant qui se rapproche de plus en plus des tranchées ennemies, et c'est alors un bombardement de plein fouet qui dure quinze minutes. L'artillerie allemande répond, et de temps à autre un obus perdu s'égare du côté de leur poste d'observation. Les mortiers de tranchée sont entrés en action et le bruit augmente de volume, noie tout, les forçant à crier pour se faire entendre.
Ça y est, ils y vont, mugit quelqu'un.
Cummings ajuste ses jumelles, regarde par une fente dans le mur de béton. Couverts de boue, les hommes ressemblent dans la lueur crépusculaire à des ombres argentées sur le fond blême d'une prairie d'argent. Il pleut de nouveau, et ils vacillent entre la marche et la course, tombent la face la première, chancellent à reculons, rampent à plat ventre dans les lignes allemandes d'où l'on rend coup pour coup, d'où lumière et bruit jaillissent avec une rage devenue si énorme que ses sens annihilés ne perçoivent plus qu'une seule toile de fond pour l'avance de l'infanterie à travers la plaine.
Les hommes, à présent, se déplacent avec lenteur, penchés en avant comme s'ils luttaient contre une bourrasque, Il est fasciné par l'inertie de tout cela, par la somnolence avec laquelle ils s'avancent et s'écroulent. L'attaque semble informe, les hommes sans volonté ; ils s'égaillent dans toutes les directions, pareils à des feuilles mortes sur un lac agité, et cependant ils progressent. En dernière analyse les fourmis prennent toutes le même chemin.
Il suit avec ses jumelles un soldat qui court de l'avant, qui plonge la tête la première dans la boue, se relève, reprend sa course. C'est comme d'observer une foule d'une fenêtre haut perchée, ou comme de séparer un chiot du restant de la portée qui se harpaille à l'étalage d'un marchand de chiens. Il y a quelque chose de bizarre, d'irréel, à se rendre compte que la masse est faite d'individus.
Le soldat tombe, frissonne dans la boue, et Cummings ajuste ses jumelles sur un autre objectif.
Ils arrivent dans les tranchées allemandes, crie quelqu'un.
Il regarde hâtivement, aperçoit quelques hommes qui s'élancent par-dessus le parapet, leur baïonnette en avant, comme des sauteurs à la perche à l'instant d'atteindre la barre. Leur allure paraît si peu pressée, si rares sont ceux qui les suivent, qu'il en est tout perplexe. Où sont les autres ? est-il sur le point de dire, quand le commandant pousse un cri : Ils l'ont prise, les braves gars, ils l'ont prise.
Les obus allemands se mettent à tomber sur les positions fraîchement acquises, et des colonnes d'hommes s'avancent avec lenteur dans l'obscurité qui recouvre le champ redevenu quiet, contournent leurs morts, descendent dans les tranchées allemandes. Il fait presque noir, et à l'est, où une maison brûle, le ciel a pris un éclat rosâtre. On ne voit plus avec les jumelles el il les range, regardant la plaine avec un étonnement silencieux,'l'ont s'y présente sous un aspect rudimentaire, inhabituel, comme on s'imaginerait la surface de la lune. L'eau luit dans les cratères, avec de longs glissements d'ombre ridée qui marquent la chute d'un homme.
Que pensez-vous de ça ? dit le colonel en le poussant du coude.
Oh ! c'était… Mais les mots lui manquent. Ça a été trop immense, trop écrasant. Les batailles longuement et sèchement décrites dans les manuels revivent el s'ordonnent dans son esprit, mais il ne peut penser qu'à l'homme qui a donné l'ordre d'attaquer -— un homme qui l'émerveille. Quel… courage. Quelle responsabilité. (Faute d'un mot plus riche, il se rabat sur l'expression militaire.)
Il y a tous ces hommes, et il y a eu quelqu'un au-dessus d'eux, quelqu'un pour les commander, pour changer peut-être à jamais la texture de leur vie. Il regarde le champ noir, déconcerté par la plus grande vision qui se soit encore emparée de son âme.
Les choses que l'on pourrait faire.
Commander tout cela. Il étouffe sous l'intensité de son émotion, de sa rage, de son exaltation, de l'énormité indéfinissable de son appétit.
Il revient de la guerre avec le grade de capitaine (temporaire), est dégradé au rang de lieutenant (permanent). C'est son mariage avec Margaret contre la subtile opposition des parents de celle-ci, leur brève lune de miel, leur établissement dans la place où il est cantonné, leurs fréquentations mondaines, plaisantes et insipides, et ce sont les soirées dansantes du samedi soir au club des officiers.
Pendant un temps leur vie sexuelle est fantastique :
Il doit la soumettre, l'absorber, la déchirer en pièces et la dévorer.
Le caractère de leurs rapports leur échappe d'abord, obscurci par leur inexpérience commune, par l'étrangeté, la singularité de la chose. Mais ils ne tardent pas à s'y abandonner. Et pendant une demi-année, pendant toute une année presque, il leur arrive de faire l'amour avec une intense exaltation, puissante et rageuse, qui le laisse épuisé et sanglotant de frustration sur le sein de sa femme.
M'aimes-tu, es-tu à moi, aime-moi.
Oui oui.
Je te mettrai en pièces, je te mangerai, oh ! je te ferai mienne, je te ferai mienne, espèce de garce.
Et de surprenantes vulgarités, des mots qu'il s'effraie de s'entendre aire.
Margaret en est exaltée pour un temps, elle en est embrasée, elle y voit une passion qui la fait rayonner, qui la fait s'épanouir, mais pour un temps seulement. Au bout d'un an les choses lui apparaissent dans leur nudité — qu'il s'isole, qu'il se livre des batailles à lui-même sur son corps à elle — et quelque chose se fane en elle. L'autorité contre laquelle elle s'est insurgée, la famille et les rues de Boston et l'histoire qui les étoffe, elle a tout quitté pour tomber sous la coupe d'une autorité plus terrifiante et bien plus inexorable.
Tout cela,, naturellement, transcende les mots ; ces choses, une fois dites, rendraient leur vie insupportable, mais leur mariage s'en ressent, assume l'aspect d'une camaraderie hypocrite, vidée de tout contenu, et leur commerce sexuel est désormais assez rare pour faire péniblement saillie. Il se retire d'elle, lèche ses plaies, et se tortille dans un cercle dont il est incapable de briser les limites. Leur vie sociale prend bien plus de place dans leur existence.
Elle s'occupe à faire marcher sa maison, à tenir la délicate balance des doit-et-avoir de leurs obligations sociales. Il leur faut chaque fois deux heures pour dresser la liste des invités pour leurs réceptions mensuelles.
Une fois ils passent toute une semaine à se demander s'ils peuvent inviter le général, discutant les arguments compliqués du pour et du contre. Ils concluent que cela serait de mauvais goût, que cela pourrait leur nuire alors même que le général viendrait, mais quelques jours plus tard le capitaine Cummings reconsidéré la question, se réveille à l'aube, et connaît que c'est un risque qu'il lui faut prendre.
Ils conçoivent leur plan très soigneusement, choisissent une fin de semaine où le général n'a pas d'obligations et où il semble bien que rien d'inattendu ne viendra l'accaparer au dernier moment. Grâce à l'ordonnance du général, Margaret apprend quels sont ses plats préférés ; au cours d'une soirée dansante elle bavarde avec la femme du général pendant une bonne vingtaine de minutes, découvre qu'une connaissance de son père n'est pas inconnue du général.
Ils font partir les invitations et le général accepte. Semaine qui précède l'événement, toute en nerf, puis l'état de tension pendant la réception. Le général arrive, prend position à la table du buffet froid, picore non sans zèle la dinde fumée pour laquelle Margaret a fait venir des crevettes de Boston.
Tout se révèle finalement un succès, et le général, mis de bonne humeur par son huitième scotch, par les meubles rembourrés garnis de houppes (il s'était attendu à de l'érable), par la douce morsure des sauces doublée de liqueurs, le général adresse à Cummings un brumeux sourire. En disant au revoir il tapote Cummings sur l'épaule et pince la joue de Margaret. La tension s'évanouit, les officiers cadets et leurs épouses se mettent à chanter. Mais tout le monde est trop exténué et la soirée finit tôt.
Cette nuit-là, quand ils se félicitent l'un l'autre, Cummings est content.
Mais Margaret lui gâche sa satisfaction ; elle a acquis le don de gâcher les choses. Tu sais, Edward, je me demande vraiment quel est l'intérêt de tout ça, tu ne peux pas espérer brûler les étapes, et le vieux pet (elle a pris l'habitude de jurer modérément) sera mort quand la question se posera de te pistonner pour tes étoiles de général.
Il faut commencer de soigner sa réputation tôt le matin, dit-il hâtivement. Il a accepté toutes ces mœurs, il s'efforce de s'y soumettre dévotieusement, mais il n'aime pas qu'on les mette en doute.
Qh ! quelle chose parfaitement vague à dire. Tu sais, j'ai bien le sentiment que nous avons fait une bêtise de l'avoir invité. Ça aurait été bien plus gai sans lui.
Gai ? (Cela l'atteint au plus profond de son être, le laisse de fait tremblant de colère.) Il y a des choses plus importantes que la gaieté. Il se sent comme s'il avait refermé une porte sur lui.
Tu es en danger de devenir un raseur.
Ça suffit, crie-t-il presque, et, devant sa rage, elle bat en retraite. Mais la chose est entre eux, formulée de nouveau.
Je ne sais pas ce qui te prend, grommela-t-il.
D'autres mouvements encore, d'autres directions le sollicitent. Pendant un temps il fréquente les beuveries au club des officiers, joue au poker, se laisse aller à quelques aventures galantes. Mais, simple réédition de ses rapports avec Margaret, elles ne lui procurent qu'humiliation en fin de compte, et il se replie sur lui-même, se consacre dans les deux années qui suivent au commandement de sa compagnie.
Il y fait preuve de talent. Il embrasse ses problèmes sous tous leurs aspects, pense, de nuit, à la meilleure façon de procéder avec ses hommes, au moyen le plus effectif de les commander ; de jour, il passe presque tout son temps avec sa compagnie, surveillant les corvées, faisant inspections sur inspections. Les compagnies qu'il commande successivement se signalent par leur tenue ; les quartiers de ses soldats brillent par leur propreté.
Les samedis matin chaque section fournit une équipe pour arracher les mauvaises herbes autour des baraques.
Il fait essayer nombre d'encaustiques pour cuivre, choisit le meilleur, et fait afficher un ordre enjoignant aux hommes d'avoir à ne se servir que du produit en question.
Quelque peine que ses hommes se donnent pour tenir en état les latrines, il les trouve toujours en défaut lors de ses inspections quotidiennes. Un matin, il se met à quatre pattes, soulève la plaque de drainage, et punit la section parce que le tuyau d'écoulement est graisseux.
Il fait passer une aiguille dans les fissures des marches pour dépister une trace de poussière.
Dans les épreuves sportives qui ont lieu tous les étés, ses hommes remportent toujours la palme. Il les met à l'entraînement dès le début de février.
Le plancher du mess est récuré à l'eau bouillante après chaque repas.
Il est toujours après ses hommes. Un samedi, jour de grande inspection, comme on s'attend à la visite d'un général, il instruit son sergent-chef à l'effet de voir que tes hommes graissent les semelles de leurs chaussures de réserve, lesquelles seront exposées au pied de leur lit.
Il lui arrive, même au cours d'une revue, de démonter un fusil afin de vérifier la propreté du ressort qui actionne la gâchette.
La plaisanterie qui court sur son compte dans sa compagnie c'est qu'il songe à mander à ses hommes d'avoir a se déchausser avant que d'entrer dans la caserne.
Les officiers supérieurs s'accordent à dire que le capitaine Cummings est le meilleur officier subalterne de la place.
Lors d'une visite dans sa famille à Boston, Margaret est interrogée.
Tu ne comptes toujours pas avoir des enfants ?
Non, je ne pense pas, dit-elle en riant. J'ai peur d'en avoir. Edward leur ferait récurer leur berceau.
Ne crois-tu pas que sept années c'est un long temps ?
Oh ! je suppose que oui. Et puis je ne sais pas, ù vrai dire.
Il n'est pas bon d'attendre si longtemps.
Margaret soupire. Les hommes sont très bizarres, positivement bizarres. Ils ne correspondent jamais à l' idée qu'on se fait d'eux.
Les lèvres étroites de sa tante se pincent. J'ai toujours eu le sentiment, Margaret, que tu aurais mieux fait d'épouser quelqu'un de notre monde.
C'est un préjugé terriblement vieillot. Edward sera un grand général. Tout ce qu'il nous faut c'est une guerre, et je me sentirai comme Joséphine.
(Les coups d'œil sagaces,) Ta désinvolture n'est pas de mise, Margaret. J'avais espéré qu'après toutes ces années le mariage te rendrait plus… féminine. Il n'est pas très sage d'épouser quelqu'un dont on ne sait rien, et j'ai toujours soupçonné que tu as épousé Edward précisément pour cette raison. (La pause significative.) Ruth, la femme de Thatcher, attend son troisième enfant.
(Margaret est en colère.) Je me demande si je serai aussi obscène que toi quand je serai vieille.
J'ai peur que tu sois toujours une impertinente, ma chère.
Aux soirées dansantes du samedi soir Margaret s'enivre un peu plus fréquemment. Il y a des moments où elle frise l'inconvenance.
Tout seul, capitaine ? remarque la femme de l'un des officiers.
Oui. J'ai peur que je suis un peu trop vieux jeu. La guerre et… (Son mari a pris du service après 1918.) Je regrette souvent de n'avoir jamais appris a bien danser. (Sa manière d'être, qui devra le distinguer des autres officiers de carrière, commence de se préciser dans ces années.)
Votre femme danse.
Oui. (A l'autre bout du club des officiers un groupe d'hommes forme cercle autour de Margaret. Son rire est très haut, sa main repose sur l'avant-bras d'un sous-lieutenant.) Il la regarde avec dégoût.
Du Webster : haine, s, forte aversion ou détestation ; mauvaise volonté ou malveillance invétérées.
Fil qui traverse la plupart des mariages ; qui commence de prédominer chez les Cummings.
La froideur de cette haine. Pas de querelles. Pas d'invectives.
Il est tout application maintenant, tout étude. Chez lui, dans les demeures successives qu'il occupe au gré de ses nominations, il s'enferme dans une pièce et passe cinq ou six nuits par semaine à lire. Il rattrape à pas de géant ce qu'il y a de négligé dans son éducation. La philosophie, d'abord, puis les sciences politiques, la sociologie, la psychologie, l'histoire, et même l'art et la littérature. Il absorbe tout grâce à la puissance fantastique de sa mémoire, absorbe et immédiatement transmue ses acquisitions en quelque chose d'autre, en quelque chose qui satisfasse les tendances dominantes de son esprit.
Cela se manifeste un peu à l'occasion des rares discussions intellectuelles qui ont lieu au niveau d'une place d'armes. Je trouve Freud plutôt stimulant, dit-il. L'idée est que l'homme est un bâtard sans valeur, et le seul problème consiste à savoir comment le contrôler le plus efficacement possible.
En 1931 Spengler lui est particulièrement proche. Il fait de courtes et prudentes causeries à ses hommes.
Hommes, je n'ai pas besoin de vous dire à quel point les choses vont mal. Certains d'entre vous ont pris du service précisément pour cette raison. Mais je voudrais vous faire remarquer que nous pouvons être appelés à remplir un rôle important. Si vous lisez les journaux vous n'ignorez pas qu'il y a des mouvements de troupes partout dans le monde. De grands changements peuvent avoir lieu, et votre devoir sera alors d'obéir aux ordres du gouvernement, tels qu'ils vous parviendront par mon intermédiaire.
Ses conceptions, pas tout à fait claires encore, jamais mises sur le papier, commencent enfin de se préciser, lin 1934 le commandant Cummings s'intéresse bien plus à la politique étrangère.
Je vous dis que ce Hitler n'est pas un feu de paille, argumente-t-il. Une idée germe en lui, et de plus en plus il faut rendre justice à son flair politique. Il manœuvre le peuple allemand avec une adresse achevée. A leurs yeux cette affaire de la Ligne Siegfried est d'une importance capitale.
En 1935 Cummings est remarqué pour avoir introduit quelques innovations à l'Ecole d Infanterie de Fort Benning.
En 1936 il est considéré come le plus brillant officier supérieur de l'année au War College de Washington. Et il fait de petites étincelles dans la société washingtonienne, lie amitié avec quelques sénateurs, fréquente Tes salons les plus en vue de la Capitale. Pour un moment il est en passe de devenir le conseiller militaire auprès du beau monde-de Washington.
Mais il se déprend toujours. Il dissimule ses confusions, les tendances contradictoires de son être, il les ensevelit sous la concentration avec laquelle il travaille. En 1937,
Pendant un congé de trente jours, il rend visite il son beau-frère qui passe ses vacances d'été dans l'Etat du Maine. Leurs relations sont devenues très amicales lors du séjour de Cummings à Washington.
Un après-midi, à bord d'un canot à voiles :
Vous savez, Edward, j'ai toujours été en désaccord avec la famille. Sans qu'il y ait de votre faute, ils ne vous ont jamais tout à fait accepté. Je pense que leur attitude rétrograde est un peu affligeante, mais naturellement vous comprenez ça.
Je crois que je comprends, Minot. (Il y a cet autre réseau d'émotions et d'ambitions où il se trouve repris de temps à autre. L'ineffable perfection de Boston qui l'avait affriandé le laisse toujours curieusement satisfait et troublé, la fois. Il le sait, il s'est servi de Boston pour trafiquer à Washington, consciemment, cyniquement, mais il continue d'en subir l'attrait déroutant.) Le son de sa parole lui semble fleuri. Margaret a été très bien dans tout ça.
Femme admirable, cette mienne sœur.
Oui.
C'est une honte que je ne vous aie pas mieux connu pendant toutes ces années. Vous auriez été tout à fait à votre place aux Affaires Etrangères. Je vous ai suivi dans votre évolution, Edward. Je pense que, quand il le faut, vous témoignez d'autant-de perception, de tact, de capacité à saisir rapidement l'essentiel d'une situation, que tous ceux que je connaisse. Quel dommage qu'il soit trop tard maintenant.
Je me dis parfois que j'aurais pu me rendre utile, acquiesce Cummings. Mais, vous savez, dans un an ou deux je serai lieutenant-colonel, après quoi j'avancerai à l'ancienneté. Il n'est peut-être pas très politique de se donner des gants, mais je devrais avoir mes cinq galons dans l'année qui suivra.
Mmm. Est-ce que vous parlez le français ?
Assez bien. Je l'ai appris là-bas, en 17, et je me suis perfectionné depuis.
Le beau-frère se touche le menton. Vous savez, Edward, tout gouvernement à sa doctrine, mais bien des points de vue s'affrontent aux Affaires. Voyez-vous, je me suis demandé si on ne pourrait pas vous envoyer pour une petite joute en France, dans votre capacité d'officier bien entendu. Rien d'officiel.
A quel propos, Minot ?
Oh ! c'est nébuleux. Des conversations çà et là. Certains éléments, aux Affaires, s'emploient à faire changer notre politique espagnole. Je ne crois pas qu'ils y parviennent, cela serait désastreux et équivaudrait à livrer Gibraltar aux Russes. Ce qui me préoccupe c'est la France. Aussi longtemps que les Français ménagent la chèvre et le chou, je ne pense pas qu'il soit de notre intérêt d'intervenir.
Serait-ce à moi de leur persuader de persévérer ?
Rien de cette grandeur. J'ai obtenu des assurances, certains contrats financiers susceptibles d'exercer une petite pression sur qui de droit. Il ne faut pas oublier que tout le monde en France est à vendre, que personne n'y a les mains propres.
Je me demande si j'obtiendrai le congé nécessaire.
Nous faisons partir une mission militaire pour la France et l'Italie : Je peux arranger ça avec le ministre de la Guerre. J'aurai à vous exposer l'affaire en détail, mais vous n'aurez aucun mal à vous y familiariser.
Ça m'intéresse beaucoup, dit Cummings. Les problèmes de manipulation…, Il se tait sans terminer sa phrase.
L'eau clapote contre la coque, se referme derrière le gouvernail, doucement, paisiblement, comme un chat qui se pourlèche. Tout autour de l'embarcation le soleil s'éparpille sur la baie, faisant courir un bruit de tintement sur l'eau.
Nous ferons aussi bien de rentrer, dit le beau-frère.
Le rivage est boisé, vert-olive, genre anse préhistorique.
Une sensation que je ne surmonte "jamais, dit-il à Cummings. Je m'attends toujours à voir des Peaux Rouges dans la forêt. Pur pays, le Maine.
Le bureau est plus petit qu'il ne s'y attendait, plus rébarbatif, plus huileux en quelque sorte. La carte de France est écornée et barbouillée de coups de crayon.
Je m'excuse de vous recevoir dans cette pièce, dit l'homme. (Son accent est imperceptible, une certaine précision de la parole peut-être.) Quand vous avez suggéré la nature de notre entretien, je me suis dit qu'il serait sans doute mieux de nous rencontrer ici, non pas que notre réunion soit en rien clandestine mais parce que vous auriez attiré l'attention à mon bureau de la Bourse. Il y a $es espions partout.
Je comprends. Il a été difficile de vous rencontrer. Le parti que vous avez avait mentionné monsieur de Vernay, mais je crois qu'il se tient un peu trop éloigné « les affaires pour en juger.
Vous affirmez qu'il y a des crédits ?
Plus que suffisamment. Je dois insister sur le fait quo rien de ceci n'est officiel. Il y a une entente tacite-
Tacite ? Tacite ?
Une entente avec Leeway Chemical en vue de placer des fonds dans telles entreprises françaises que le parti en question jugera utile. Pas question de pots-de-vin. (Il se demande si son argot est correct.) Une affaire légitime, dont les profits, je pense, sont assez conséquents pour que Sallevoisseux Frères y trouvent leur compte et soient à même de procéder à tels ajustements qu'il appartiendra.
On s'arrangera.
Naturellement, il me faudra connaître certains détails quant aux moyens que vous allez employer.
Ah ! commandant Cummings, je puis vous garantir le vote de vingt-cinq membres de la Chambre des députés.
Je pense qu'il serait préférable de se passer de vote. Il y a d'autres voies.
Je ne crois pas être autorisé à dévoiler mes voies d'accès.
(Le noyau de la situation.) Monsieur Sallevoisseux, un homme de votre… intelligence ne saurait manquer de voir que l'envergure de l'entreprise que Leeway Chemical soumet il votre considération exige quelque chose de plus concret de votre part. La décision de créer une filiale en France a été prise il y a déjà quelques années ; reste à savoir qui décrochera la concession. J'ai le pouvoir — subordonné à des garanties financières de votre part — j'ai le pouvoir de négocier avec Sallevoisseux Frères. Si vous ne pouvez pas me fournir des assurances plus catégoriques, je me verrai malheureusement obligé de prendre en considération d'autres possibilités, que j'ai actuellement à l'étude.
J'en serais désolé, commandant Cummings.
J'en serais désolé à mon tour.
Sallevoisseux se tortille sur sa chaise, regarde par la haute et étroite fenêtre la rue empierrée. La sonorité des klaxons français semble aiguë à Cummings.
Il s'agit de suivre une certaine filière. Par exemple -— je vous présenterai les assurances, les documents, plus tard les personnes intéressées — par exemple j'ai des amitiés chez les Cagoulards qui peuvent influencer certaines maisons 7 — par la Chemical — grâce à des services rendus dans le passé. Ces maisons pourraient à leur tour contrôler, si nécessaire, (a décision d'un bloc de soixante-quinze députés. (Il lève la main.) Je sais que vous préférez ne pas en venir au vote, mais cela personne ne peut vous le garantir. Je suis à même d'ôter au vote tout élément d'incertitude. Nombre de ces députés sont en état d'influencer les membres du cabinet.
Il marque une pause. Cette politique est complexe.
Je m'en rends compte.
Il y a plusieurs radicaux-socialistes haut placé aux Affaires Etrangères, que je puis influencer. Je sais par un de nos services que certaines informations les concernant sont négociables. Ils se montreront raisonnables. J'ai en ma possession des dossiers confidentiels sur des douzaines de journalistes, sur plusieurs personnages à la Banque de France. Un bloc de socialistes est contrôlé par un chef syndicaliste avec lequel j'ai mes ententes. Ces filières, toutes indirectes, s'additionnent, créent la dispersion voulue. Vous comprenez bien que je n'agis pas tout seul. Je puis vous donner l'assurance qu'il n'y aura aucune volte face politique dans les prochains dix-huit mois ; au-delà c'est à l'histoire de se prononcer, et elle, personne au monde ne la peut détourner indéfiniment.
Ils parlent pendant plusieurs heures, élaborent les premiers termes d'un accord.
En prenant congé, Cummings sourit. Nous œuvrons, en fin de compte, au bien de la France et de l'Amérique.
Sallevoisseux sourit lui aussi. Cela va de soi, commandant Cummings. Un énoncé spécifiquement américain savez-vous ?
Vous me communiquerez les dossiers en votre possession. Demain, cela vous va ?
D'accord !
Un mois plus tard, ayant accompli la part qui lui incombe dans la mission, Cummings va à Rome. IJn télégramme l'y attend de son beau-frère.
Dispositions préliminaires satisfaisantes. Excellent travail. Félicitations.
Il a une conversation avec un colonel italien qui fait partie de la mission. J'aimerais que vous voyiez, signor maggiore, ce que nous avons fait pour combattre la dysenterie dans notre brillante campagne africaine. Nous avons mis au point une série de mesures sanitaires soixante-treize pour cent plus effectives contre la terrible, la maligne propagation de cette maladie.
La chaleur est étouffante. En dépit des tirades du colonel italien il souffre de la diarrhée, et il pâtit d'un gros rhume. Une lettre lui parvient de son beau-frère.
Je pense qu'il est honteux de venir gâter la légitime joie que vous devez ressentir après avoir si bien œuvré à Paris, mais je me sens vraiment tenu à vous écrire, comme vous savez Margaret est descendue chez moi à Washington depuis une quinzaine de jours, et pour juger les choses aussi indulgemment que possible, son comportement est très bizarre. Il y a un certain laisser-aller dans son attitude, qui ne convient pas à une personne de son âge ; je dois confesser qu'il m'est parfois difficile d'admettre qu'elle est ma sœur. Si ce n'était pas par égard pour vous, je lui dirais de quitter ma maison. Je regrette de ruiner ce que vous devez considérer à juste titre comme vos vacances, mais je pense qu'il ne serait pas mauvais que vous songiez à rentrer. Ne manquez pas de voir Monsignor Truffenio et de lui transmettre mes hommages.
Haine lassée, désormais sans passion. J'espère seulement qu'elle ne fera pas d'esclandre, se dit-il en jurant. Il a un cauchemar cette nuit-là, et se réveille tout fiévreux dans son lit. Pour la première fois depuis une couple d'années il songe à son père, se souvient de sa mort survenue quelques années plus tôt, et un restant de vieille angoisse s'empare de lui. Minuit passe, obéissant à une impulsion, il se rhabille, marche dans les rues, échoue dans un bar où il s'enivre.
Un petit homme lui flatte le dos, Signor maggiore, vous venir chez moi, maintenant ?
Il titube, vaguement conscient de désirer quelque chose qu'il ne peut définir. Dans une traverse le petit bonhomme et un comparse, lui sautent dessus, lui font les cloches, et le laissent sur le pavé où il revient à lui dans l'âpre éclat de l'aube et la vive puanteur que le premier soleil lève dans les ruelles de Rome jonchées d'ordures. Il réussit à regagner son hôtel sans se faire trop remarquer, se change, prend un bain, et se couche pour vingt-quatre heures. Il se sent comme s'il tombait en morceaux.
Je dois confesser, Votre Eminence, que je suis un vieil admirateur de l'Eglise. Votre grandeur réside dans l'immensité de vos-conceptions.
Le cardinal baisse la tête. Je suis aise de vous recevoir en audience, mon fils. Vous avez travailler pour la bonne cause. J'ai entendu parler de votre activité à Paris contre les menées de l'Antéchrist.
J'ai travaillé pour le bien de mon pays. (Ces mots, pris dans leur contexte, ne lui causent aucun embarras.)
Il y a des travaux plus nobles.
Je ne l'ignore pas. Votre Eminence… Il y a des moments où je sens une grande lassitude.
Vous êtes peut-être à la veille de prendre une importante décision.
Je le pense parfois. J'ai toujours regardé l'Eglise avec admiration.
Il traverse la grande cour du Vatican, regarde pendant un long temps le dôme de Saint-Pierre. La cérémonie à laquelle il vient d'assister l'a ému, submergeant tout son être de musique.
Je ferai peut-être bien de me convertir.
Mais, sur le navire qui le ramène, il pense à autre chose ; en lisant les journaux qu'il a apportés avec lui à bord il apprend avec une paisible satisfaction que Leeway Chemical a ouvert des négociations avec Sallevoisseux Frères.
Dieu, je suis content de laisser les Macaronis et les Mangeurs-de-grenouilles, lui dit un des officiers qui a été de la mission.
Oui.
Cette Italie est un beau pays arriéré malgré son Musso qui, dit-on, lui a fait un tas de bien. Très peu pour moi. Tous les pays catholiques sont arriérés.
Sans doute.
Tout s'ordonne et se clarifie dans sa tête. La chose qui lui est arrivée dans cette ruelle de Rome est un signe de danger, et il devra être très prudent à l'avenir. Ne plus permettre que cela se manifeste de nouveau. Son attitude envers l'Eglise catholique s'éclaire pour lui — une démarche éminemment déplacée dans ce moment critique. Je serai bientôt colonel. Je ne peux pas prendre le risque de me convertir.
Il soupire. J'ai énormément appris.
Oui, moi aussi.
Il regarde l'eau, lève les yeux, embrasse l'horizon. Lieutenant-colonel… colonel… général de brigade… général de division… général de corps d'armée… général en chef ?
S'il y a une guerre avant longtemps cela arrangerait bien des choses.
Mais après. Les politiciens deviendront encore plus puissants. Après la guerre…
Il ne faut pas encore qu'il se commette politiquement. Il y a trop de tournants. Cela pourrait être Staline, cela pourrait être Hitler. Mais, en Amérique, la route qui mènera au pouvoir aura toujours pour nom anticommunisme.
Il faut que j'aie les yeux ouverts, décide-t-il.
LE CHŒUR