Le dimanche matin, vers neuf heures, les joyeux fêtards arrivèrent chez Rachel, après une nuit de cambriolage et de flâneries dans le jardin public. Aucun n’avait fermé l’œil. Sur le mur, il y avait une note :
« Je m’en vais du côté de Whitney. Dans le chouette, Profane. »
— Mané, Thécel, Pharès, dit Stencil.
— Heuh hum, dit Profane, qui songeait à piquer un somme sur le plancher.
Là-dessus, arriva Paola, un foulard noué autour de la tête et un sac de papier brun tintinnabulant dans les bras.
— Eigenvalue s’est fait cambrioler cette nuit, dit-elle. C’est à la première page du Times.
Ils s’attaquèrent tous au sac de papier brun, pour en extraire le Times en plusieurs morceaux et quatre canettes de bière.
— Ça par exemple, fit Profane en examinant la première page. La police annonce une arrestation imminente. Audacieux exploit matinal des monte-en-l’air.
— Paola, prononça Stencil, derrière lui.
Profane tressaillit. Paola, maîtresse de la situation, se retourna pour regarder, au-delà de l’oreille gauche de Profane, l’objet qui scintillait au creux de la main de Stencil.
Elle resta muette, les yeux fixes.
— On est trois dans le coup. Désormais.
Enfin, elle reporta son regard sur Profane.
— Tu viens à Malte, Ben ?
— Non. (Mais faiblement.)
— Pourquoi ? reprit-il. J’ai jamais rien trouvé, à Malte. Autour de la Méd’ c’est partout pareil, y a toujours une rue du Goulet, un Boyau.
— Qu’est-ce que j’en ai à fiche, des flics ? C’est Stencil qui les a, les dents.
Il était terrifié. Car il venait seulement de comprendre qu’il avait enfreint la loi.
— Stencil, dis, mon pote, si l’un de nous retournait là-bas avec une rage de dents, et s’il trouvait moyen de…
Il laissa sa phrase en suspens. Stencil garda le silence.
— Alors, tout ce cirque avec la corde, c’était simplement un truc pour m’obliger à partir avec vous ? Qu’est-ce que j’ai de si spécial ?
Personne ne dit mot. Paola regardait autour d’elle, prête à sortir des rails, semblait-il, à chialer, guettant l’instant où Profane la prendrait contre lui.
Brusquement il y eut du bruit sur le palier. Des coups ébranlèrent la porte. « Police », fit une voix.
Stencil fourra vivement le dentier dans sa poche, et s’élança vers l’échelle d’incendie.
— Merde, qu’est-ce qui vous prend, dit Profane.
Quand, enfin, Paola ouvrit la porte, Stencil avait depuis longtemps disparu. Ten Eyck, celui-là même qui avait mis fin à l’orgie chez Mafia, se tenait sur le seuil, un bras passé sous les reins d’un Roony Winsome blindé à zéro.
— Rachel Owlglass, dit-il, c’est-y qu’elle est là ?
Il expliqua qu’il avait trouvé Roony, fin saoul, sur le parvis de la cathédrale Saint-Patrick, la braguette ouverte, la figure décomposée, objet de terreur pour les petits enfants et de scandale pour les honnêtes citoyens.
— Y a qu’ici qu’il a bien voulu venir, fit Ten Eyck, presque implorant. Pas moyen de le faire rentrer chez lui. L’est sorti de Bellevue depuis hier soir.
— Rachel ne va pas tarder, déclara Paola d’une voix grave. En attendant, nous allons nous en charger.
— Je lui tiens les pieds, dit Profane.
Ils transbahutèrent Roony dans la chambre de Rachel et le balancèrent sur le lit.
— Merci, monsieur l’inspecteur.
Flegmatique comme un voleur de bijoux international dans un film muet, Profane regrettait de ne pas porter la moustache.
Ten Eyck se retira, le visage impassible.
— Benito, tout se disloque. Plus vite je rentrerai chez moi…
— Bonne chance.
— On n’est pas amoureux.
— Non.
— On se doit rien, tous les deux. L’est même pas question d’un vieux béguin qui pourrait se rallumer à la longue.
Elle secoua la tête : de vraies larmes, cette fois-ci.
— Alors pourquoi ?
— Parce qu’on est partis de chez Teflon, à Norfolk.
— Non, non.
— Pauvre Ben.
Tous, ils le traitaient de pauvre. Mais, pour épargner ses sentiments, ils n’expliquaient jamais, ç’aurait pu être un terme d’amitié.
— Tu n’as que dix-huit ans, dit-il, et tu t’es entichée de moi. Tu verras, quand t’auras mon âge…
Elle l’interrompit, en se jetant sur lui comme on se jette contre un mur d’assaut, elle l’enlaça, et se mit à imbiber sa veste de daim de toutes ces larmes trop longtemps retenues. Il lui tapa dans le dos, désemparé.
Ce fut à ce moment-là, bien entendu, que Rachel fit son entrée. Comme cette jeune personne récupérait vite, elle dit, tout à trac :
— Aha. Voilà donc ce qui se passe quand j’ai le dos tourné. Pendant que je suis à l’église à prier pour toi, Profane, et pour nos petits…
Il eut le bon sens de jouer le jeu :
— Je te jure qu’on n’a rien fait de mal.
Rachel haussa les épaules, pour indiquer que le sketch à deux répliques était terminé : elle avait profité de ces quelques secondes pour réfléchir.
— Tu n’es pas allé à Saint-Patrick, n’est-ce pas ? T’aurais dû. (Agitant le pouce vers la chose qui ronflait dans la pièce voisine.) C’est vu.
Et nous savons avec qui Rachel passa le reste de la journée, et aussi la nuit. A soutenir sa tête, à le border, à toucher le chaume de sa barbe et la crasse de son visage, à le regarder dormir et à observer toutes ces lignes chagrines qui peu à peu s’adoucissaient.
Au bout d’un moment, Profane s’en retourna à la Cuiller. Et, là, il annonça à la Tierce qu’il partait pour Malte. Tout naturellement, ils improvisèrent une soirée d’adieu. Profane se retrouva, à la fin, aux prises avec deux suiveuses qui, pleines d’adoration, le travaillaient au corps, les yeux brillant d’une sorte d’amour. Comme vous vous en doutez, c’étaient des prisonnières au fond du trou, qui par procuration se réjouissaient de voir un codétenu redécouvrir l’air libre.
Profane ne voyait aucune rue devant lui, sauf le Boyau ; songea que ce ne pouvait guère être pis qu’East Main.
Il y avait aussi la route de la mer. Mais celle-là, c’était tout autre chose.
Stencil, Profane et Pig Bodine firent un saut à Washington DC, au cours d’un week-end : l’aventurier du monde, pour hâter les formalités du départ proche ; le jocrisse, pour s’offrir une dernière perm’ ; Pig, pour l’assister. Ils élurent pour pied-à-terre un boxon du quartier chinois, et Stencil fila au ministère pour voir où en étaient les choses.
— Moi, j’y crois pas à cette histoire, déclara Pig. Stencil, c’est un truqueur.
— Patience, fut la laconique réponse de Profane.
— J’ai idée qu’on devrait se blinder, dit Pig.
Ainsi fut fait. Mais, en prenant de l’âge, Profane avait peut-être perdu sa capacité d’absorption, ou alors ce fut la pire cuite de son existence ; toujours est-il qu’il y eut des passages à vide qui, bien sûr, sont toujours terrifiants. Pour autant que Profane pût se le rappeler plus tard, ils s’étaient tout d’abord rendus à la National Gallery1, Pig ayant décidé qu’il leur fallait des partenaires. Et, comme de juste, devant la Cène de Dali, ils trouvèrent deux jeunes fonctionnaires.
— Moi, je suis Flip, déclara la blonde, et ça, c’est Flop.
Pig gémit, à l’évocation éphémère et nostalgique de Hanky et de Panky.
— A la bonne heure, dit-il. Ça, c’est Benny, et moi… hieuf… hieuf… j’ suis Pig.
— Sans aucun doute, répondit Flop.
Mais, à Washington, la proportion filles/garçons est, d’après les experts, de l’ordre de huit pour un. Aussi empoigna-t-elle le bras de Pig, en parcourant la salle des yeux, comme si elle redoutait la présence fantomatique de congénères rôdant parmi les statues.
Leur logis se trouvait du côté de la rue P, et elles y avaient amassé tous les disques de Pat Boone qu’on peut trouver sur le marché. Pig n’eut même pas le temps de poser le gros sac en papier contenant le produit de leur tournée de l’après-midi dans la capitale aux sources de gnole autorisées ou non que 25 watts de cet honorable organe, en train de chanter Be bop a Lula, leur explosaient au visage. Après cette ouverture, le week-end se poursuivit par flashes : Pig, sombrant dans le sommeil au beau milieu de l’ascension du monument de Washington, dégringolait une demi-volée de marches sur une troupe de boy-scouts prévenants ; les quatre, installés dans la Mercury de Flip, tournaient sans fin autour du rond-point Dupont à trois heures du matin, pour être rejoints, en cours de rotation, par six nègres en Oldsmobile, désireux d’organiser une course ; plus tard, les occupants des deux voitures se rendaient à un appartement de New York Avenue, occupé exclusivement par un système inanimé de diffusion acoustique, par cinquante fanas du jazz et par on ne sait trop combien de bouteilles de vin, transitaires ou communautaires. Puis Profane était réveillé sous une couverture de la baie d’Hudson, qu’il partageait avec Flip, aux marches d’un temple maçonnique, quelque part au nord-ouest de Washington, par le directeur d’une compagnie d’assurances, nommé Iago Saperstein, qui se proposait de les emmener à une autre soirée.
— Où est Pig ? se demandait Profane.
— Il a volé ma Mercury et il a filé avec Flop à Miami, déclara Flip.
— Ah.
— Ils vont se marier là-bas.
— C’est une lubie que j’ai, poursuivit Iago Saperstein, de découvrir des jeunes gens comme ça, qui apportent quelque chose à une réunion d’amis.
— Benny, c’est un jocrisse, déclara Flip.
— Les jocrisses sont très intéressants, dit Iago.
La soirée avait lieu du côté de Maryland. Profane trouva, dans l’assistance, un échappé de l’île du Diable qui se rendait à l’université de Vassar, sous le pseudonyme de Maynard Basilisk, pour y enseigner l’apiculture ; un inventeur qui fêtait son soixante-douzième rejet du Bureau des Brevets des États-Unis d’Amérique, cette fois, pour un projet de bordel à distribution automatique, fonctionnant dans les gares et aux arrêts de car, et dont il expliquait le principe à l’aide de plans et à grand renfort de gestes à un groupe de tyrosemiophiles (collectionneurs d’étiquettes de fromages français) que Iago avait kidnappés au beau milieu de leur congrès annuel ; une douce personne, spécialisée dans la pathologie des plantes, originaire de l’île de Man, remarquable par le fait qu’elle était la seule monoglotte mannoise du monde et qui, en conséquence, n’adressait la parole à personne ; un musicologue en chômage, nommé Pétard, qui consacrait sa vie à la recherche du Concerto pour mirliton de Vivaldi, dont l’existence lui avait été révélée par un certain Quasimodeo, ancien fonctionnaire du régime mussolinien, maintenant fin saoul et couché sous le piano, personnage qui non seulement était au courant du vol de la partition, perpétré dans un monastère par quelques mélomanes fascistes, mais qui avait même entendu une vingtaine de mesures du mouvement lento que Pétard, tout en circulant parmi l’assistance, modulait, de temps en temps, sur un mirliton en plastique ; plus d’autres personnalités intéressantes.
Profane, qui ne songeait qu’à dormir, ne parlait à personne. Il fut réveillé, au lever du jour, dans la baignoire de Iago par les gloussements d’une blonde qui ne portait sur elle qu’un bonnet blanc de la marine et qui arrosait Profane avec du bourbon, à l’aide d’une cafetière géante. Profane voulut ouvrir la bouche et intercepter le flot, quand, à son immense surprise, il vit entrer Pig Bodine.
— Rends-moi mon bonnet blanc, dit Pig.
— Je te croyais en Floride, dit Profane.
— Ha ha, fit la blonde, faut que tu m’attrapes.
Et les voilà partis, l’un poursuivant l’autre, le satyre et la nymphe.
Ensuite, et on ne sait trop comment, Profane se retrouva avec les autres dans l’appartement de Flip et de Flop, la tête sur les genoux de Flip et Pat Boone sur le tourne-disque.
— Vous avez les mêmes initiales, susurrait Flop, à l’autre bout de la pièce. Pat Boone, Pig Bodine.
Profane se releva, gagna la cuisine d’un pas incertain et vomit dans l’évier.
— Dehors ! hurla Flip.
— Mais, bien sûr, dit Profane.
Au pied de l’escalier, il y avait deux vélos, dont se servaient les filles pour se rendre à leur travail en économisant les frais de transport. Profane s’empara d’un de ces engins et le porta au bas de la rampe qui débouchait sur la rue. Un vrai désastre : la braguette ouverte, la brosse de ses cheveux aplatie de part et d’autre sur le crâne, le maillot de corps troué qui, sous la poussée de la panse, sortait de la fente de la chemise à moitié déboutonnée, il pédalait en tanguant, cap sur le boxon.
Mais il n’avait pas franchi 500 mètres que des cris s’élevèrent derrière lui. C’était Pig sur l’autre vélo, avec Flop sur le guidon. Loin derrière venait Flip, à pied.
— Oho, dit Profane.
Il actionna les vitesses et bientôt roula en première.
— Voleur, braillait Pig, avec des éclats de rire obscènes. Voleur !
Une voiture de ronde, surgie de nulle part, manœuvrait pour barrer le chemin à Profane. Celui-ci réussit enfin à passer en troisième et fila dans une rue latérale. Et la poursuite continua ainsi à travers la ville, dans le froid automnal, au long des rues dominicales et désertes, leur cavalcade exceptée. Les flics et Pig finirent par rattraper Profane.
— Ce n’est pas grave, inspecteur, déclara Pig. C’est un ami. Je ne porte pas plainte.
— Parfait, répondit le flic. Mais moi, je le fais.
On les traîna au commissariat et on les fourra dans le trou aux ivrognes. Pig s’endormit et deux occupants du trou se mirent en devoir de lui enlever ses chaussures.
— Hé ! fit un joyeux poivrot, de l’autre côté de la salle. Vous voulez jouer à « Hache et cogne » ?
Sous le timbre bleu, de chaque côté d’un paquet de Camel, on trouve un H ou un C, suivi d’un numéro. Chacun devine à son tour quelle est cette lettre. En cas d’erreur et selon que vous avez choisi l’une ou l’autre lettre, votre adversaire « cogne » (avec son poing) sur votre biceps ou le « hache » (avec la tranche de la main), et le nombre de coups est déterminé par le numéro accompagnant la lettre. Les mains du poivrot évoquaient des pavés de moyenne grandeur.
— Je ne fume pas, déclara Profane.
— Ah ? fit le pochard. Et que diriez-vous de « pierre-ciseau-papier » ?
Ce fut à ce moment-là, ou à peu près, qu’un détachement de la police du port et des policiers en civil firent leur entrée, traînant un quartier-maître d’un mètre quatre-vingt-quinze de haut qui avait piqué une crise de folie furieuse, persuadé qu’il était King-Kong, le grand singe bien connu du public.
— Aïah ! braillait-il. Moi King-Kong. Faut pas m’ casser les pieds !
— Allons, allons, dit un gars de la police du port. Il parle pas, King-Kong. Il grogne.
Le quartier-maître grogna, en conséquence, puis il bondit et empoigna le ventilateur électrique accroché au plafond. Il tournait, il tournait, en poussant des cris de singe et en se tapant la poitrine. Les policiers du port et les policiers du commissariat s’agitaient tout en bas, désemparés, et les plus braves tentaient parfois d’attraper l’homme par les pieds.
— Et alors ? fit un flic.
Réponse lui fut donnée par le ventilateur, qui céda sous le poids, laissant choir le quartier-maître au beau milieu du groupe. Ils lui sautèrent dessus et parvinrent à le maîtriser, à l’aide de trois ou quatre ceinturons. Un flic alla chercher un petit diable, dans le garage à côté ; il y chargea le quartier-maître et le voitura dehors.
— Hé, fit un policier du port, regardez voir, là-bas, dans la cuve à poivrots. Si c’est pas Pig Bodine… Çui qu’est recherché par les gars de Norfolk pour désertion !
Pig ouvrit un œil et les vit. Il fit : « C’est bon », ferma l’œil et se replongea dans le sommeil.
Les flics vinrent annoncer à Profane qu’il pouvait rentrer chez lui.
— Salut, Pig, dit Profane.
— T’en fileras six à Paola de ma part, gronda Pig, déchaussé, dormant à moitié.
Au boxon, Stencil était engagé dans une partie de poker qui, d’ailleurs, tirait à sa fin, car il fallait laisser la place à la nouvelle équipe.
— Tant mieux, tout compte fait, déclara Stencil. Stencil est ratissé, ou peu s’en faut.
— Vous êtes trop faible, dit Profane. Vous les laissez gagner exprès.
— Non, répondit Stencil. Il faut de l’argent pour le voyage.
— C’est fait ?
— Tout est paré.
Et Profane eut le sentiment que jamais les choses n’auraient dû aller si loin.
Une soirée d’adieu eut lieu, un tête-à-tête Profane-Rachel, à peu près deux semaines plus tard, après les séances des photos, de passeport et des piqûres, et les autres démarches, où Stencil avait joué auprès de Profane le rôle d’un valet de chambre, déblayant sur son chemin tous les obstacles, par quelque vertu magique qui lui était propre.
Eigenvalue garda son calme. Stencil lui rendit même visite, peut-être pour mettre à l’épreuve sa force d’âme, cette force d’âme qui lui était nécessaire pour affronter à Malte ce qui pouvait encore subsister de V. Ils parlèrent du concept de la propriété et convinrent que le véritable propriétaire n’avait pas nécessairement la possession physique de l’objet. Si le dentiste de l’âme savait à quoi s’en tenir (et Stencil en était presque convaincu), le propriétaire, défini par Eigenvalue, était Eigenvalue. Et, défini par Stencil, V. Ce fut, pour ce qui concerne la communication, un échec complet. Ils se quittèrent amis.
Profane passa la nuit du dimanche dans la chambre de Rachel, en compagnie d’un magnum sentimental de champagne. Roony dormait dans la chambre d’Esther. Depuis deux semaines, d’ailleurs, il passait le plus clair de son temps à dormir.
Plus tard, Profane se coucha, la tête sur les genoux de Rachel, dont les longs cheveux retombaient sur lui pour le couvrir et le réchauffer. Comme on n’était qu’au mois de septembre, le propriétaire de l’immeuble se faisait tirer l’oreille pour allumer le chauffage. Tous deux étaient nus. Profane avait appuyé l’oreille sur ses labia majora, comme s’il y avait là une bouche qui pouvait lui parler. Rachel écoutait vaguement le bruit de la bouteille de champagne.
— Écoute, chuchota-t-elle, en penchant le goulot vers son oreille libre.
Il entendit le bioxyde de carbone qui s’échappait du liquide, amplifié par la chambre à écho à double fond.
— C’est un bruit gai.
— Oui.
Était-ce bien utile de lui dire à quoi ce bruit ressemblait vraiment ? A « Anthrorecherches », il y avait des compteurs de radiations, des radiations aussi, si bien que, dans cet endroit, on évoquait irrésistiblement une invasion de sauterelles en délire.
Le lendemain, ils prirent la mer. Des personnages à la Full-bright les coincèrent contre les bastingages du Susanna Squaduc-ci. Des serpentins de papier crêpe, des averses de confettis et une fanfare spécialement engagée donnèrent à l’événement un air de fête.
— Ciao ! criait la Tierce. Ciao.
— Sahha, dit Paola.
— Sahha, fit Profane en écho.
Musée. (N. d. T.)