{1} L’existence actuelle de Domingue m'avait déjà été confirmée par plusieurs autres voyageurs. Ils m’ont assuré même qu'un habitant de l'Île de France le faisait voir sur un théâtre pour de l'argent.

{2} Quelques journalistes me reprocheront peut-être encore que je parle toujours de moi. Mais puisque j’ai commencé mes Études de la nature par l’histoire d’un fraisier et des insectes qui l’habitaient, pourquoi ne parlerais-je pas dans ce préambule de ma maison de campagne et de ma famille ? Aimeraient- ils mieux que je parlasse d’eux ? c’est ce que je pourrai faire encore s’ils m’y obligent. Il n’y a que mes souscripteurs qui auraient droit de se plaindre que je les ennuie. Mais je les prie de considérer que je leur fais présent de ce préambule, que je ne leur ai pas promis. Je le leur donne comme un dédommagement de leur longue attente, ainsi que je l’ai dit.

{3} Ce trait de sagacité du noir Domingue, et de son chien Fidèle, ressemble beaucoup à celui du sauvage Téwénissa et de son chien Oniah, rapporté par M. de Crevecœur, dans son ouvrage plein d'humanité, intitulé, Lettre d'un Cultivateur américain.

{i} Note de l’auteur.

Mon opinion sur ces diverses périodes du développement du globe s’accorde avec toutes les traditions orientales. Les unes divisent les temps de sa création en six jours, d’autres en plusieurs âges, d’autres, comme celles des Indiens, en périodes de siècles. On peut fournir d’ailleurs des preuves évidentes de ces révolutions des pôles, par les productions des zones torrides que nous retrouvons dans notre zone tempérée et dans notre zone glaciale ; par les corps marins de l’hémisphère austral qui sont fossiles dans notre hémisphère boréal ; par divers déluges occasionnés par la fonte des glaces lorsque les anciens pôles parcoururent l’équateur ; par les zones sablonneuses, les découpures des îles, les golfes profonds, dont un grand nombre ont aujourd’hui des directions différentes de celles dont les pôles étaient alors les foyers, comme on le peut voir sur les cartes de géographie ; par les traditions des Chinois, dont les annales attestent que le soleil resta fixe plusieurs semaines consécutives dans une seule constellation ; ce qui occasionna, non un embrasement, comme on l’avait craint, mais un déluge dont la Chine fut inondée ; enfin par les traditions des prêtres de l’Égypte, qui assurèrent à Hérodote que le soleil s’était levé deux fois à l’occident et deux fois à l’orient ; ce que l’on ne peut attribuer qu’aux diverses inclinaisons des pôles de la terre, et à ses mers, qui en varient, dans le cours des siècles, les pondérations et les mouvements.

Les planètes, qui tournent autour du soleil, paraissent soumises à des harmonies semblables. Elles ont leurs axes différemment inclinés ; leurs moteurs sont les mêmes, mais ils ont d’autres directions ; chacune a un ou plusieurs océans, non pas dirigés du nord au sud, comme notre Atlantique, mais d’orient en occident, à proportion qu’elles s’enfoncent dans les zones célestes glaciales. Mais avant d’aller plus loin, je prendrai la liberté de réfuter quelques erreurs de physique accréditées, depuis longtemps, parmi les astronomes. Ils prétendent que les parties resplendissantes des planètes en sont les montagnes et les rochers, et que les parties sombres en sont les mers. Pour moi, je pense que c’est le contraire. Si on découvre une île, en pleine mer, elle apparaît comme un nuage obscur, et la mer qui l’environne comme un lac argenté. Il en est de même d’un fleuve ; on l’aperçoit au milieu des campagnes comme un long serpent d’argent et d’azur, tandis que les collines de l’horizon sont d’un bleu noirâtre. Enfin si on met, dans une chambre au soleil, de l’eau, dans un vase non vernissé, elle renverra au plancher ses mobiles reflets. L’eau, et non le vase, réfléchit la lumière. J’excepte cependant les montagnes à glace des continents, qui réfléchissent encore plus dans l’état de congélation que dans celui de fluidité. Ce n’est pas comme corps opaques, mais comme corps polis et demi-transparents qu’ils affluent et refluent la lumière.

Ceci posé, je prends pour exemple dans les planètes, les cinq bandes parallèles blanches et noires de Jupiter qui changent d’éclat tous les six ans, c’est-à-dire dans le cours alternatif de son été et de son hiver. Cette variation périodique prouve que chacune d’elles est composée alternativement d’une zone de terre et d’une zone de mers. Quand un de ces deux hémisphères est lumineux, c’est qu’il est dans son hiver ; alors les vapeurs de la zone maritime couvrent de neige les deux zones terrestres latérales, et l’hémisphère paraît tout blanc. Quand ce même hémisphère est barré d’une zone blanche entre deux obscures, il est dans son été, car les neiges des deux zones terrestres sont fondues, et il ne reste plus que la maritime brillante. Pour ses pôles, qu’on croit aplatis, n’est-ce point par une erreur d’optique ? est-il vraisemblable d’ailleurs que la force centrifuge ait agi sur Jupiter seul parmi les planètes, et qu’elle soit restée sans action sur les pôles même du soleil, ce corps si sphérique, quoique demi-liquéfié, source de cette même force expansive et de la matière molle qui produisit, dans l’origine, toutes les planètes, suivant nos astronomes ? Pour moi, si j’ose le dire, je crois que les pôles de Jupiter, n’ayant point de zones maritimes dans leur voisinage, n’en reçoivent ni exhalaisons, ni neiges, et par conséquent étant sans éclat, échappent à notre vue. Au reste, il est possible que les trois méditerranées, disposées en anneaux autour de Jupiter, soient cause de la rapidité de sa rotation sur lui-même, qui est de 9 heures 36 minutes, quoiqu’il soit la plus grosse de nos planètes. Si notre terre, beaucoup plus petite et plus voisine du soleil, ne tourne sur elle-même qu’une fois en vingt-quatre heures, ne serait-ce pas parce que ses deux océans n’ont que des cours obliques qui se croisent en partie ?

Je ne m’engagerai pas plus avant dans cette question, quoique le célèbre Mairan ait été plus loin. Il a calculé que « la différence qui est entre le poids de la partie inférieure d’une planète tournée vers le soleil, et celui de la supérieure qui ne l’est pas, est capable de produire sa rotation d’occident en orient. »

On peut appliquer ce que je viens de dire des bandes de Jupiter, aux échancrures périodiques de Mars, aux bandes de Saturne, etc. Je ne parlerai point des satellites ni des anneaux qui réchauffent les planètes de leurs reflets. Il paraît que dans tous ces astres il y a des océans ou fluides, ou glacés, ou en évaporation, qui sont les moteurs de leurs mouvements et de leur fécondité. Le soleil en est le premier agent ; c’est l’Apollon de notre système. Comme je l’ai déjà dit, il varie sans cesse les cordes de sa lyre pour en tirer de nouveaux airs. Si j’en avais le temps je me permettrais quelques réflexions sur le satellite que nous connaissons le mieux, et sur lequel nous sommes le moins d’accord. Comment la lune peut-elle attirer nos mers, sans attirer en même temps l’air, élément plus étendu, plus léger, plus mobile, plus élastique, qui les environne ? Si elle soulevait et laissait retomber deux fois par jour notre océan atlantique, elle en ferait autant de notre atmosphère. Alors nos baromètres, si sensibles au moindre poids des nuages, nous annonceraient deux fois par jour des marées aériennes en harmonie avec des marées pélagiennes. « Notre air est trop léger, me répondit un jour un professeur de mathématiques, pour être attiré par la lune ». « Pourquoi donc, lui dis-je, est-il attiré par la terre, au point que son poids fait monter l’eau dans une pompe vide, à trente-deux pieds de hauteur ? »

Mais comment la lune peut-elle soulever l’océan, malgré l’attraction même de la terre, qui, d’un autre côté, ne lui permet pas d’attirer à elle les méditerranées, les lacs, les fleuves etc. ? Et en supposant qu’elle ne puisse attirer que l’océan, pourquoi produit-elle sur nos côtes deux marées en vingt-quatre heures, puisque, quand elle est au zénith, et surtout au nadir de notre méridien, le long continent de l’Amérique s’oppose évidemment aux communications directes de la mer du sud et de l’océan atlantique ? Comment, après avoir produit deux marées de six heures chacune par jour dans notre hémisphère boréal, n’en opère-t-elle qu’une de douze heures en vingt-quatre dans l’hémisphère austral, où l’océan est si étendu, et où aucun continent ne s’oppose aux effets de son attraction ?

On sait que par toute la terre elle nous montre toujours la même face : comment donc peut-on supposer aujourd’hui qu’elle tourne, comme notre globe, sur elle-même ? Mais comment, par un prodige encore plus étrange, peut-elle, chemin faisant, nous jeter de petites pierres brûlantes, à quatre-vingt-dix mille lieues de distance, avec des mortiers volcaniques de quatre lieues de largeur ? Comment des mortiers si larges ont-ils pu les chasser si loin et si chaudes, à travers des régions glacées ? Nos plus terribles volcans, avec de bien moindres ouvertures, et par conséquent bien plus de détonation, ne lancent pas leurs projectiles à deux lieues de hauteur. Les volcans de la lune jettent, dit-on, leurs pierres à cinq mille lieues, c’est-à-dire aux limites de sa sphère d’attraction, d’où elles sont emportées par l’attraction de la terre à quatre vingt-cinq mille lieues plus loin. Mais comment arrive-t-il que cette incroyable explosion ne dérange pas, par sa réaction, le cours d’un astre qui est en équilibre ? Comment se fait-il alors que la lune, qui n’attire qu’à cinq mille lieues ses propres pierres, attire notre océan à quatre-vingt-dix mille, et que la terre, qui, de son côté, entraîne la lune entière dans sa sphère d’attraction, n’y entraîne pas aussi toutes les pierres qui en couvrent la surface ? Si on dit que les sphères d’activité des deux planètes restent en équilibre, l’une à cinq mille lieues, l’autre à quatre-vingt-cinq mille, elles n’exercent donc point d’action l’une sur l’autre. Tout ce que nous savons de plus assuré de la lune, c’est qu’elle a des éléments semblables à ceux de la terre. Les astronomes lui ont refusé longtemps l’air et l’eau, quoiqu’ils sussent qu’elle avait des volcans ; mais ils ne se rappelaient pas que le feu ne pouvait exister sans air, et les volcans sans mers. Pour moi, s’il m’est permis de le dire, je regarde la lune comme un astre en harmonie passive avec le soleil, et active avec la terre. Son mois est une petite année qui a dans ses quatre phases, quatre saisons. Ses harmonies forment la douzième partie de celles du soleil, et elle les exerce sur les sept puissances de la nature qui règnent sur notre globe. Je m’en suis convaincu par un grand nombre d’observations. Je la considère donc avec sa forme variable et dans sa course oblique comme une navette céleste, chargée de lumière par le soleil. Elle forme de ses fils d’argent, dans le cours du mois, la trame de ce magnifique réseau dont le soleil fournit la chaîne d’or, dans le cours de l’année. La providence y attacha les germes de tout ce qui est organisé, en environna notre globe ; et, par des harmonies lunisolaires et solilunaires qui s’entrelacent sans cesse, en développe, dans le cours des siècles, les formes, la vie, et les générations.

Si de la lune nous nous élevons jusqu’au soleil, nous verrons combien nous sommes encore nouveaux dans l’étude de la nature. Les anciens croyaient que cet astre était un dieu jeune et charmant, monté sur un char attelé de quatre superbes coursiers, par la main des Heures, et devancé de l’Aurore, qui répandait devant lui des corbeilles de roses, sur l’azur des cieux. Il parcourait ainsi la terre d’orient en occident, et allait se reposer, tous les soirs, dans les bras de la belle Thétis. Les modernes pensent aujourd’hui que c’est une fournaise d’un million de lieues de circonférence, qui tourne sur elle-même. De temps en temps cet astre demi-liquéfié détache de sa circonférence, dans son mouvement de rotation, à l’aide du choc d’une comète, quelques gouttes d’une matière vitrifiée, qui s’arrondissent en planètes, et se mettent aussitôt à tourner autour de lui. Au reste, cet astre ne les éclaire que par hasard, car il est, par rapport à elles, dans une proportion de grosseur telle que celle de la plus volumineuse citrouille comparée à une douzaine de petits pois. C’est ici qu’il faut se servir contre le grand Newton de sa propre devise, devenue depuis celle de la société royale de Londres, et qui est sans doute celle de tout ami de la vérité, Nullius in verba : « Ne jurons par les paroles de qui que ce soit ». Newton a calculé la chaleur d’une comète dans le voisinage du soleil, et il l’a trouvée deux mille fois plus ardente que celle d’un fer rouge. Selon lui, les comètes sont destinées, pour la plupart, à alimenter ses feux. Cependant il aurait dû se rappeler que les rayons du soleil n’avaient point de chaleur en eux-mêmes, qu’ils n’en acquéraient sur notre terre qu’en s’harmoniant avec notre atmosphère, et qu’il gèle perpétuellement dans nos zones torrides, sur les sommets des hautes montagnes qui ont seulement une lieue de hauteur perpendiculaire, parce que l’air trop raréfié ne peut s’échauffer par ses rayons. On pourrait encore objecter l’océan, les végétaux, et les animaux de notre globe, qui n’ont jamais pu sortir d’un soleil liquéfié.

Enfin un musicien allemand, Herschel, perfectionne en Angleterre le télescope de Newton. Il en grossit six mille fois les objets qu’il observe, et il découvre que le soleil n’a rien qui ressemble à une fournaise. Il voit distinctement que c’est une planète d’un ordre supérieur à la nôtre, entourée d’un atmosphère de lumière, de quinze cents lieues de hauteur, ondoyante, qui s’entr’ouvre de temps en temps, et laisse apercevoir à travers une perspective admirable de nuages lumineux, de magnifiques montagnes de cent cinquante lieues de hauteur et de trois à quatre cents de longueur. Herschel réitère si souvent ces observations qu’il ne doute pas que le soleil ne soit une planète habitable.

Ainsi un bon observateur, secondé d’un bon instrument, renverse tous les calculs de Newton et des Newtoniens, sur les écumes flottantes du soleil, sur les planètes terrestres qui en étaient sorties, sur la mollesse primitive de ces mêmes planètes, et sur la force centrifuge qui en avait déprimé les pôles en soulevant leur équateur, quoiqu’elle n’ait plus aujourd’hui la force de soulever une paille sur notre globe, et qu’au lieu d’y trouver ses plus hautes montagnes projetées d’orient en occident, on n’y voit que le plus grand diamètre de ses mers, et par conséquent la partie la moins élevée de sa circonférence.

Je pense que le système de Newton, qui a décomposé la lumière en sept couleurs primitives, quoiqu’il n’y en ait réellement que trois, et que son système de l’attraction universelle, éprouveront des objections encore plus fortes que celui du mouvement des comètes qui vont servir de pâture aux feux d’un soleil qui ne brûle point. Herschel, à l’aide de son télescope, a découvert à six cent millions de lieues de nous une nouvelle planète avec des volcans, huit ou dix satellites, un anneau double comme celui de Saturne, et si bien double que l’intervalle des deux moitiés concentriques lui a servi de lunette pour observer une étoile qu’il apercevait au-delà. Notre astronomie, trop rarement reconnaissante, a donné à cette planète le nom d’Herschel. Mais combien de noms d’amis ne pourrait-il pas donner lui-même à ce nombre prodigieux d’étoiles qu’il découvre toutes les nuits à des distances incalculables, groupées deux à deux, trois à trois, quatre à quatre, par milliers et par millions, sur les mêmes plans, ou à la suite les unes des autres dans la profondeur du firmament ! Pouvons-nous bien croire que ces soleils lointains se maintiennent immobiles à des distances infinies, seulement par la loi unique et universelle d’une mutuelle et réciproque attraction ?

Si j’ose en dire ma pensée, je trouve cette idée, qui a aujourd’hui tant de partisans en France, remplie de contradictions. Il faut d’abord supposer que l’univers est infini, et qu’il est rempli d’étoiles attirantes et attirées ; car s’il avait des limites, ou seulement çà et là quelques déserts, les astres qui se trouveraient dans leur voisinage s’écrouleraient nécessairement vers le centre du système, n’ayant aucun corps attirant qui les maintînt fixes sur ses bords.

Ce n’est pas tout : en accordant aux Newtoniens que l’attraction est une propriété universelle de la matière, ils doivent convenir eux-mêmes que toutes les parties de cette matière qui s’attiraient de toutes parts n’ont dû faire, avant de se séparer, qu’une seule masse de l’univers. Il a donc fallu, 1° qu’une multitude de forces particulières et centripètes l’ait divisée par blocs, et ait arrondi ces blocs en globes ; 2° que des forces centrifuges aient succédé aux centripètes pour chasser ces globes à des distances prodigieuses les uns des autres, non seulement dans une même direction, comme le cours d’un fleuve, mais comme des vents déchaînés qui bouleversent une mer ; 3° il a fallu une force d’inertie qui les ait fixés chacun dans le lieu où ils sont à présent, immobiles dans les cieux, dans toutes sortes de projections, comme des vaisseaux surpris après une tempête dans la mer glaciale, parle vent du nord. Qu’était devenue alors la force d’attraction universelle, unique, inhérente à la matière, et qui devait la rendre inséparable ? Il me semble que si elle eût agi seule, entre les astres supposés dans un état de mollesse, loin de les fixer en blocs, en globes, en points fixes dans le ciel, et en équilibre, ils se fussent, en s’attirant mutuellement, allongés et croisés les uns vers les autres par rayons, comme ceux de nos soleils de feux d’artifice. Mais ce n’est pas tout : parmi tant d’étoiles fixes que l’attraction rend immobiles aujourd’hui, comment se trouve-t-il des planètes qui se sont soustraites à son pouvoir, qui, au contraire, tournent sans cesse autour d’un soleil immobile qui les attire ? Il a donc fallu encore une nouvelle force oblique qui les empêchât de s’y précipiter, de manière que de ses deux forces il en résultât une troisième qui les obligeât de circuler autour de lui.

Que de lois diverses et contraires à la loi unique de l’attraction permanente et réciproque des astres ! que de nouvelles objections à faire !

Bayle raconte que, de son temps, un habile physicien essaya de mettre un petit corps dans un simple équilibre, au moyen de l’attraction. Il disposa donc, dans le repos de son cabinet, plusieurs aimants au foyer desquels il mit en l’air un globule de fer ; mais jamais il ne put l’y maintenir un seul instant. Comment donc pourrions-nous croire que tant d’astres mobiles et immobiles, grands et petits, attirants et attirés, se maintiennent à des distances infinies les uns des autres, depuis des siècles, par la seule projection du hasard ? Le judicieux Bayle reproche en général aux astronomes leur ignorance en physique, et d’en négliger l’étude pour celle du calcul. Il prétend même que ces deux études sont incompatibles. Il leur déclare, malgré son scepticisme sur la plupart des opinions humaines, que leur système s’écroulera de lui-même, et qu’ils seront forcés, tôt ou tard, pour le soutenir, d’admettre une intelligence dans chacun des astres dont ils veulent expliquer le mouvement ou le repos.

Ce fut Voltaire qui apporta en France l’attraction Newtonienne, dont elle était repoussée depuis vingt-sept ans par les tourbillons Carthésiens. Ce n’était pas une petite gloire pour lui de renverser un système et d’en édifier un autre. Il aurait pu faire honneur de celui-ci à Keppler, son inventeur, et même aux anciens, comme on le voit dans un morceau très curieux de Plutarque. Mais il préféra d’en donner des leçons à la belle Émilie du Châtelet, de lui en dédier un traité, et de le faire paraître sous ses auspices, par une fort belle épître en vers. Il y parle de Newton comme d’un demi-dieu :

Confidents du Très-Haut, substances éternelles,

Qui brûlez de ses feux, qui couvrez de vos ailes

Ce trône où votre maitre est assis parmi vous,

Parlez, du grand Newton n’étiez-vous point jaloux ?

Il y a apparence que dans cet élan il était beaucoup plus enthousiasmé de son écolière que de son précepteur ; car voici comme il s’exprimait plusieurs années après, quand il fut d’un sens rassis :

Ces cieux divers, ces globes lumineux

Que fait tourner René le songe-creux

Dans un amas de subtile poussière,

Beaux tourbillons que l’on ne prouve guère,

Et que Newton, rêveur bien plus fameux,

Fait tournoyer, sans boussole et sans guide,

Autour de rien, et tout autour du vuide.

Je ne sais si l’attraction passera un jour sur la terre, comme dans les cieux, pour la loi unique qui en a formé tous les êtres. Mais que deviendront alors les lois morales qui doivent régir les hommes ? N’est-elle pas une loi morale elle-même, cette loi de la raison universelle qui a créé dans la nature les lois mécaniques, les emploie, les développe, et les perfectionne ? L’architecte d’un palais en a, sans doute, précédé les maçons.

Oh ! combien nos doctrines humaines ont dégradé parmi nous la science divine ! Les unes nous représentent ce globe comme un ouvrage céleste, dévasté par les démons ; d’autres nous montrent les cieux comme une habitation d’animaux. C’est sous leurs noms et sous leurs images qu’elles font briller les constellations célestes ; et le mécanisme dont elles les font mouvoir renferme, sans contredit, beaucoup moins d’intelligence que les bêtes n’en emploieraient elles-mêmes pour se conduire sur la terre. Qu’en résulte-t-il pour notre instruction et notre bonheur ? Nos premiers documents épouvantent notre enfance et nous rendent, pendant toute la vie, la mort effroyable ; les seconds paralysent notre raison et nous rendent la vie insipide. Souvent les uns et les autres se succèdent pour nous tourmenter et nous abrutir tour-à-tour.

Heureux ceux qui, forts de leur conscience première, ne cherchent l’auteur de la nature que dans la nature même, avec les simples organes qu’elle leur a donnés ! Ils n’étudient point en tremblant les destinées du genre humain, dans une polyglotte. Ils ne cherchent point, à la faveur d’un télescope, à travers le Serpent, le Cancer, et les autres monstres des cieux, le retour assuré d’une comète, pour confirmer une théorie du hasard. Les objets de la nature les plus communs sont pour eux les plus dignes d’admiration et de reconnaissance. Dès l’aurore, ils voient le soleil repousser vers l’orient le voile sombre de la nuit, et ranimer de ses rayons une terre couverte de végétaux et d’êtres sensibles ; à midi, l’astre qui fait tout voir disparaît enseveli dans une splendeur éblouissante ; mais vers le soir, déployant à l’occident le voile de sa lumière, il découvre sur l’horizon qu’il abandonne des cieux tout étincelants de constellations. Qu’admireront-ils de plus ? Sera-ce la lunette astronomique, qui, pour en nombrer les étoiles, s’allonge en vain toutes les nuits dans les airs, depuis des siècles ; ou les yeux que leur donna la nature, pour en embrasser le spectacle infini, dans un instant ?