{p. 63}   À MONSIEUR CHARLES NODIER
Membre de l’Académie française, bibliothécaire à l’Arsenal

Voici, mon cher Nodier, un ouvrage plein de ces faits soustraits à l’action des lois par le huis-clos domestique ; mais où le doigt de Dieu, si souvent appelé le hasard, supplée à la justice humaine, et où la morale, pour être dite par un personnage moqueur, n’en est pas moins instructive et frappante. Il en résulte, à mon sens, de grands enseignements et pour la Famille et pour la Maternité. Nous nous apercevrons peut-être trop tard des effets produits par la diminution de la puissance paternelle. Ce pouvoir, qui ne cessait autrefois qu’à la mort du père, constituait le seul tribunal humain où ressortissaient les crimes domestiques, et, dans les grandes occasions, la Royauté se prêtait à en faire exécuter les arrêts. Quelque tendre et bonne que soit la Mère, elle ne remplace pas plus cette royauté patriarcale que la Femme ne remplace un Roi sur le trône ; et si cette exception arrive, il en résulte un être monstrueux. Peut-être n’ai-je pas dessiné de tableau qui montre plus que celui-ci1 combien le mariage indissoluble est indispensable aux sociétés européennes, quels sont les malheurs de la faiblesse féminine, et quels dangers comporte l’intérêt personnel quand il est sans frein. Puisse une société basée uniquement sur le pouvoir de l’argent frémir en apercevant l’impuissance de la justice sur les combinaisons d’un système qui déifie le succès en en graciant tous les moyens ! Puisse-t-elle2 recourir promptement au catholicisme pour purifier les masses par le sentiment religieux et par une éducation autre que celle d’une Université laïque. Assez de beaux caractères, assez de grands et nobles dévouements brilleront dans les Scènes de la Vie militaire, pour qu’il m’ait été permis d’indiquer ici combien de dépravations3 causent les nécessités de la guerre chez certains esprits, qui dans la vie privée osent agir comme sur les champs de bataille. Vous avez jeté sur notre temps un sagace coup d’œil dont la philosophie se trahit dans plus d’une amère réflexion qui perce à travers vos pages élégantes, et vous avez mieux que personne apprécié les dégâts produits dans {p. 64}   l’esprit de notre pays par quatre systèmes politiques différents. Aussi ne pouvais-je mettre cette histoire sous la protection d’une autorité plus compétente. Peut-être4 votre nom défendra-t-il cet ouvrage contre des accusations qui ne lui manqueront pas : où est le malade qui reste muet quand le chirurgien lui enlève l’appareil de ses plaies les plus vives ? Au plaisir de vous dédier cette Scène se joint l’orgueil de trahir votre bienveillance pour celui qui se dit ici

Un de vos sincères admirateurs,

DE BALZAC.