CHIRURGIE ORTHOPÉDIQUE

— Arrêtez !

Mungo n’y voit rien (la coiffe semble être munie d’une visière et chaque fois qu’il va pour l’ôter, une main lui saisit le poignet), mais il reconnaît la voix dans l’instant. C’est Johnson. Ce cher vieux Johnson, son guide et interprète, est venu à sa rescousse !

— Arrêtez ! répète la voix de Johnson, avant de dégringoler tête la première dans le flot débordant des laryngales et des fricatives arabes.

Dassoud lui répond. Dans un registre suraigu, le Borgne déploie aussitôt des harmoniques où s’enchaînent à l’envi grognements et emphases. Johnson réfute. C’est ensuite à la voix d’Ali de se faire entendre dans un coin. Elle est dure et granuleuse. Un coup qui résonne, et Johnson déboule sur la natte à côté de l’explorateur.

— Monsieur Park, murmure-t-il. Pourquoi c’est-y que vous avez ce machin sur la tête ? Vous comprenez donc pas ce qu’y sont en train de vous faire !

— Johnson, ah ! mon cher vieux Johnson ! Ça fait du bien d’entendre ta voix !

— Y sont en train de vous crever les yeux, m’sieur Park !

— Comment ça ?

— Grand Chacal ici présent, y dit que vous avez des yeux de chat… et m’est avis que c’est pas ce qu’il y a de mieux porté dans la région, vu qu’y sont présentement en train de vous les écrabouiller. Ç’aurait pas été mon intervention fortuite, j’parie que vous seriez aussi aveugle qu’un mendiant à l’heure qu’il est.

Les idées de Mungo s’éclaircissent comme un matin de brume laissant la place au grand soleil de midi. Plus les choses avancent, plus il devient agité ; à la fin il se dresse d’un bond et tente d’arracher sa coiffe d’airain en beuglant comme un veau qui a perdu sa mère. Dassoud l’expédie à terre, fait claquer le fouet en queues de gnou une ou deux fois dans les airs et crie qu’on lui apporte d’autres instruments de torture. Un bruit de pieds qui détalent, le sifflement de l’auvent de la tente et puis, tout près, le cri d’un être humain pris dans les affres de la mort. Cela semble émaner de Johnson. L’explorateur en est alarmé et tire sur sa coiffe avec une vigueur nouvelle. Il a vraiment l’impression d’être un gamin de dix ans qui s’est coincé la tête entre les barreaux d’une rampe d’escalier en fer.

— Johnson ! suffoque-t-il, qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?

— Rien pour l’instant. Mais y viennent juste d’envoyer chercher une rapière à double tranchant.

La coiffe relâche enfin son étreinte, saute de dessus la tête de l’explorateur comme le bouchon d’une bouteille de spumante. Mungo regarde autour de lui en clignant des yeux. Ali, Dassoud et le Borgne sont accroupis à l’autre bout de la pièce et bavardent en gesticulant. La foule s’en est allée, l’auvent de la tente est rabaissé. Bras croisés sur la poitrine, un énorme Noir en turban et robe rayée bloque l’entrée.

— Une rapière ? Qu’est-ce que ça signifie ? chuchote Mungo.

— Qu’on va être tous les deux comme le singe, tu sais : ne pas voir le mal, et ne pas parler mal non plus… Y prétendent que je jacasse comme une pie, monsieur Park. Y vont m’arracher la langue !