PEEBLES
Peebles 1.
Il n’y a pas d’autre solution.
Oui, Peebles ! Elle lui en parlera dès son retour.
L’après-midi touche à sa fin lorsqu’elle le repère : Zander à ses côtés, il vient de sortir du bois de mélèzes au bout du champ. Froid et laiteux, le soleil est bas dans le ciel. Des ombres enchevêtrées glissent des arbres. Des ombres intenses, menaçantes, bleu-noir, des ombres qui s’étirent à travers le champ ainsi que des doigts, des ombres qui semblent vouloir garder pour elles les deux hommes, qu’un instant elle perd de vue. Jusqu’à ce que, oui, là-bas… l’éclair de ses cheveux lorsqu’il regarde le soleil, sa démarche allongée, et Zander qui fait tout ce qu’il peut pour rester à sa hauteur… Une seconde plus tard, les voilà qui remontent le chemin charretier.
— Ohé ! lance-t-elle.
Ils lui font des signes.
— Soif ?
— Si fait !
Lorsqu’ils arrivent devant la terrasse, elle leur a déjà préparé deux chopes de bière. Ils se jettent sur leurs sièges de bois avec l’aisance et la grâce animale de deux hommes venant d’accomplir un exploit. Zander a le col trempé de sueur. Et un coup de soleil sur le nez.
— Et où êtes-vous donc allés aujourd’hui ?
— Jusqu’à la lande d’Ancrum, répond Zander.
— Jusqu’à la lande d’Ancrum ! Mais cela fait au moins quatorze milles aller-retour !
— Dix-sept.
— Et vous n’avez probablement pas cessé de parler crocodiles et Mandingues pendant tout le trajet, c’est ça ?
Zander sourit. Le bébé, qui jouait par terre, vient de pousser un petit cri d’extase devant on ne sait quoi ; Mungo tourne la tête et regarde son fils d’un air lointain, comme s’il ne le reconnaissait pas. Thomas observe son père avec insistance, puis s’enfourne une saleté dans la bouche. Il a le menton luisant de salive et de poussière.
Les hommes s’occupent de leur bière ; un ange passe. Ailie prend son tricot.
— Aujourd’hui, papa est allé faire un tour, dit-elle.
Pas de réaction.
— Il m’a parlé d’un endroit à Peebles. La propriété d’un médecin… avec une belle maison ancienne… Qu’en penses-tu ?
Mungo lève le nez de dessus sa bière.
— À Peebles ? Mais c’est à une journée de cheval d’ici !
— C’est vrai que cela nous obligerait à quitter nos parents et nos amis. Mais nous ne pouvons pas rester ici à attendre… éternellement. Non ?
Zander a passé toute sa vie à attendre. Il repose sa chope.
— Je ne vois pas pourquoi. Mieux vaut attendre l’occasion de se relancer dans une belle aventure que de s’embourber à jamais dans la vie de médecin de campagne. Tu n’as qu’à voir comment ça a rendu le vieux…
Mungo lui lance un regard douloureux.
— Je ne sais pas, dit-il.
Tout à coup, Zander part d’un grand éclat de rire.
— C’est quoi, ce qu’on dit de Peebles, déjà ?
— Comment ça ?
— Tu sais bien, l’expression que le vieux Fergusson n’arrêtait pas de nous sortir à tout bout de champ…
Le visage de l’explorateur s’éclaire : il se rappelle, en effet !
— Ah oui ! oui !… voyons… c’est ça : « C’était par une nuit drôlement tranquille… une nuit aussi calme que la tombe, ou que Peebles ! »
1. Ce nom de lieu-dit peut se traduire par « cailloux » – ceux-là mêmes que Mungo jette dans la rivière.