EXTRAIT DES CARNETS DE VOYAGE
DE L’EXPLORATEUR

Immédiatement après la découverte de ce fleuve magnifique sur lequel on a raconté tant d’histoires – il est, à mon idée, en tous points supérieur à la Tamise, voire au Rhin –, mon factotum et moi-même nous sommes rendus au palais du souverain de l’endroit, Mansong de Bambara. Accueillis avec une chaleur et une civilité qui nous réjouirent le cœur après tous ces jours passés à lutter contre l’inanition et les assauts impitoyables du désert des Maures. Mansong n’a pas de lions attachés avec des chaînes en or et les rues de sa capitale ne sont pas davantage pavées de ce métal précieux : cela n’empêche pas que son château et les terres attenantes offrent l’image même de l’opulence. Nous avons découvert des patios à l’ibérique, des fontaines bondissantes et des jardins exotiques aux arbres surchargés de tous les fruits et boutons de fleurs imaginables. Après nous en avoir fait traverser toute une série, notre guide nous a enfin introduits au Saint des Saints : Mansong nous y attendait en personne.

Ce potentat est un homme solidement bâti et d’aspect fort jovial. Il était assis sur un trône d’or qu’entourait sa garde d’élite composée de sauvages tous très féroces, taillés comme des chevaux de course et n’ayant pas moins de six à sept pieds de haut. Je lui ai prêté obéissance et offert les cadeaux apportés d’Angleterre. Entre tous a retenu son attention le portrait de son homologue à l’autre bout du monde : notre propre fils de la Maison de Hanovre, oui, de Sa Majesté le roi George III d’Angleterre. Sans mouvement et les traits embrasés par les lumières de la rationalité, il est resté un long moment à contempler le visage et les formes de notre auguste monarque.

Après m’avoir remercié avec profusion, Mansong m’a fait à son tour un cadeau plein de munificence et, du fond du cœur, exprimé l’espoir qu’il m’aiderait à poursuivre ma quête de la vérité. Après s’être lourdement levé de son trône, il m’a enlacé comme un fils enfin retrouvé en me tendant un sac en cuir rempli de cauris – il y en avait là plus de cinquante mille ! Imaginez quelle gratitude fut la mienne devant le geste si altruiste d’un homme qui n’est peut-être pas un modèle de raffinement, mais n’en demeure pas moins un vrai prince de la jungle : me donner ainsi une petite fortune !… une petite fortune qui va me permettre de poursuivre mon voyage, de remonter le fleuve jusqu’à Tombouctou et d’aller jusqu’aux sources mêmes du puissant Niger !

Il nous a pressés de rester, nous a offert des logements princiers et un festin de pains et de mets exquis, bref, de tout ce que la mode locale propose de meilleur, et préparé spécialement pour nous par ses esclaves ; mais, fort désireux de continuer notre voyage, nous l’avons quitté le soir même après lui avoir très fermement serré la main et avoir bu avec lui un dernier verre en grande cérémonie…