Ô MAMA ! SERAIT-CE DONC VRAIMENT LA FIN ?

Quand Ned Rise se réveille, il a mal à la tête. Ou plutôt non : une espèce de douleur lancinante et généralisée qui lui donne l’impression d’avoir les pores qui saignent et la cervelle qui lui coule des oreilles. Aussi faible qu’un nonagénaire, il prend appui sur son coude et tend l’oreille aux bruits dont résonne le sombre dortoir : les bagnards sifflent et gémissent et ne cessent de se retourner sur leurs paillasses trempées de sueur ; cette crécelle, c’est le râle d’un de ses compagnons de labeur, Jemmie Bird ; ces flatulences orales, c’est Samuel Purvey ; et ces intermittents piaulements sibilants que l’on distingue à peine de la rumeur des moustiques, c’est Boyles. Il fait noir comme dans une tombe. 2 heures du matin ? Trois ? Il tend la main pour attraper sa gourde de rhum et soudain se retrouve plié en deux sur le plancher : féroces et démoniaques, ses crampes se sont remises à lui tordre les intestins. Brusquement raidi sous les spasmes, il ne peut plus que mordre le bois de son lit en attendant qu’ils veuillent bien cesser. Rien à faire : ils s’enflent comme des vagues qui se brisent sur la plage. Enfin ils le laissent, pantelant et gémissant, à se tenir le ventre ainsi qu’une femme sur le point d’accoucher d’un monstre.

Il se réveille de nouveau et se retrouve étendu au milieu de la salle. Il est couvert de sueur et les humeurs peccantes qu’il exsude ont depuis quelques jours formé sur sa culotte des croûtes jaunâtres. Autour de lui, ça pue la maladie – la maladie catastrophique et qui dévore tout, la maladie qui ressemble à une faim jamais rassasiée. À l’autre extrémité de la pièce, quelqu’un gémit doucement. Les frissons le reprennent, délicatement au début, comme un chien serrant un rat entre ses dents. Puis ils l’attaquent avec fureur et le voilà contraint de ramener ses jambes contre sa poitrine. Il claque des dents, sa tête s’agite au bout de son cou comme un diable sorti de sa boîte. Le froid qui le gagne est terrible, pire que le feu. Il sent des bancs de glace le cogner par tout le corps, les froids de la Tamise l’empoignent, des ours blancs lui dansent sur les côtes. Il relève la tête et dans les ténèbres, ce sont des igloos de cristal qu’il aperçoit, des cadavres d’Esquimaux jonchant la neige. Il essaie de se relever, il lutte pour regagner sa paillasse, pour retrouver la maigre chaleur de la couverture que l’armée lui a allouée. Sans y parvenir. Il ne peut que rester là, pelotonné, tandis qu’autour de lui s’étire la bouche immense de l’ombre.