Le beau raisonnement de Margie en cet instant solennel, beaucoup de gens le tenaient, après avoir fait au début des inhibitions sexuelles dues à la présence des Martiens.
Quand on avait su (et on le sut vite) qu’ils voyaient non seulement dans le noir, mais à travers draps, couvertures, édredons et murs même, la vie amoureuse du genre humain (même légitime et maritale) en avait pris un sérieux coup.
Exception faite de quelques abominables dépravés il était difficile à un couple à l’état de nature et prêt à se rendre mutuellement hommage, de se faire à l’idée qu’il pouvait toujours être surveillé. D’autant plus que, si leur méthode de procréation demeurait un mystère, les Martiens semblaient excessivement intéressés, amusés et dégoûtés à la fois par notre méthode à nous.
Les premières semaines, il y eut des personnes pour craindre que la race fût condamnée à l’extinction faute de se reproduire.
Cet effet désastreux devait se refléter dans le taux de la natalité au début de 1965.
En janvier 1965 (dix mois après l’Arrivée), ce taux avait baissé aux États-Unis de 97 % par rapport à la normale ; et la plupart des naissances qui s’étaient produites étaient consécutives à des grossesses prolongées, l’instant de la conception se situant avant la nuit du 26 mars 1964. Dans tous les autres pays, la chute de la natalité était presque aussi grande. En Angleterre, elle était encore pire. Enfin, même en France, elle était de 82 %.
Et puis, dès février, la natalité amorça une reprise. Elle était de 30 % par rapport à la normale aux États-Unis, de 22 % en Angleterre, de 49 % en France.
En mars, elle était de 80 %, par rapport à la normale dans tous les pays. Et de 137 % en France, ce qui montrait que les Français s’étaient déjà mis à rattraper le temps perdu quand les autres pays en étaient encore à ressentir un dernier reste d’inhibition.
On était des êtres humains, si les Martiens n’en étaient pas.
Plusieurs rapports du type Kinsey indiquèrent en mai 1964 que tous les couples mariés avaient pratiquement repris, au moins occasionnellement, leurs relations sexuelles. Et comme les Martiens (qui connaissaient les faits) ne démentirent pas ces conclusions au cours des interviews publiques, ce qu’ils n’auraient manqué de faire si elles avaient prêté le flanc à la critique, on pouvait en déduire leur véracité.
Seule nouveauté : tout le monde prit l’habitude de pratiquer l’amour la nuit seulement, et en pleine obscurité. Les caresses les yeux dans les yeux, les effusions au petit matin, l’attrait de l’élément visuel, autant de choses hors de mise et appartenant au passé. Et les boules pour les oreilles devenaient d’un usage universel, même chez les sauvages de l’Afrique centrale, qui découvraient l’efficacité en la matière des boulettes de boue pétries entre deux doigts. Ainsi équipés et plongés dans une obscurité bienheureuse, il ne restait plus aux deux partenaires qu’à s’oublier en oubliant la présence des Martiens, sans avoir à entendre leurs commentaires habituellement paillards.
Par contre, les relations sexuelles pré-et extramaritales n’avaient plus la même vogue, à cause du danger d’être montré du doigt par les petits censeurs toujours en éveil. Seuls s’y risquaient les éhontés à cent pour cent.
Et même dans le mariage, elles étaient quand même moins fréquentes, car on garde toujours un certain degré de self-conscience. Et que dire de la raréfaction du plaisir : invisible, le corps plaisant à boire des yeux ! — bouchées, les oreilles où murmurer d’audacieuses câlineries !…
Non, l’amour n’était plus ce qu’il avait été au bon vieux temps, mais au moins subsistait-il suffisamment pour assurer la continuité de la race.