Cependant, le Rideau de fer était secoué comme une fragile feuille d’arbre dans un tremblement de terre.
Les dirigeants du peuple rencontraient en effet une opposition interne contre laquelle aucune épuration, aucune intimidation n’était susceptible d’agir.
Non seulement ils ne pouvaient en rejeter la responsabilité sur le dos des capitalistes fauteurs de guerre, mais ils découvrirent même bientôt que les Martiens étaient pires que lesdits capitalistes fauteurs de guerre.
Non contents de n’être pas marxistes, ils n’admettaient pas la moindre philosophie politique, quelle qu’elle fût, et crachaient sur toutes avec la même hilarité. Même réaction à l’égard de toutes les formes de gouvernement, aussi bien théoriques que mises en pratique. Ils prétendaient avoir, eux, le système gouvernemental parfait, mais refusaient d’en dire une seule chose – sinon que cela n’était pas nos oignons.
Ils n’étaient pas des missionnaires ; aucun désir chez eux de nous venir en aide. Leur seul but : tout savoir sur tout et se montrer aussi intolérables que possible.
Le résultat, derrière le Rideau ébranlé, fut merveilleux.
Impossibilité absolue de bourrer le crâne à l’opinion ! Les Martiens s’intéressaient tellement à la propagande…
Impossible en fait pour n’importe qui de dire quoi que ce fût. Les Martiens étaient trop bavards. Nul ne sut jamais le nombre des exécutions sommaires dans les pays communistes durant les premiers mois. Paysans, directeurs d’usines, généraux, membres du Politburo… une hécatombe.
Au bout d’un temps, d’ailleurs, la situation s’adoucit. Il le fallait bien. On ne peut pas tuer tout le monde, pour la bonne raison qu’à ce moment-là les capitalistes fauteurs de guerre n’auraient plus eu qu’à venir envahir le pays. On ne peut pas non plus expédier tout le monde en Sibérie : où mettrait-on les gens ?
L’ère des concessions était inévitable. Menus délits d’opinion et déviations mineures de la ligne du parti furent tolérés, sinon même approuvés. Triste, triste chose…
Mais le pire de tout, c’était la mort de la propagande, même sur le plan national. Les faits, les chiffres, dans les journaux comme dans les discours, devaient être exacts. Les Martiens se faisaient un plaisir de souligner à grand renfort de publicité le plus léger coup de pouce donné à la réalité.
Je vous le demande un peu, comment voulez-vous mener la barque d’un gouvernement dans de telles conditions ?