XVI

Le front scientifique contre les Martiens était moins organisé que le front psychologique, mais encore plus actif. Les psychologues et psychiatres, les mains pleines de clients, ne pouvaient que consacrer un temps épisodique à la recherche et l’expérimentation. Les savants, au contraire, étudiaient les Martiens sans discontinuer.

La recherche dans tout autre domaine était au point mort.

Chaque grand laboratoire du monde était sur la brèche : Brookhaven, Los Alamos, Harwich, Braunschweig, Sumigrad, Troitsk et Tokuyama, pour n’en citer que quelques-uns.

Sans parler des greniers, des caves ou des garages de tous les particuliers qui avaient des prétentions dans n’importe quelle branche de la science ou de la pseudo-science. Électricité, électronique, chimie, magie blanche et magie noire, alchimie, radiesthésie, biotique, optique, sonique et supersonique, typologie, topologie et toxicologie : tels étaient quelques moyens d’attaque utilisés entre cent.

Il fallait bien que les Martiens eussent un point faible. Il existait certainement quelque chose dont l’effet sur un Martien serait de lui faire dire : « Ouf. »

Ils furent bombardés de rayons alpha, et de rayons bêta, gamma, delta, zêta, êta, thêta et oméga.

Ils furent, quand l’occasion s’en présentait (il leur était indifférent de servir de sujets d’expériences), soumis à des décharges électriques de l’ordre de multi-millions de volts, à des champs magnétiques forts et à des champs magnétiques faibles, à des microvagues et à des macrovagues.

Ils furent plongés dans un froid proche du zéro absolu et dans la plus haute chaleur à laquelle nous pouvions atteindre : celle de la fission nucléaire. (Non, cette dernière expérience ne fut pas réalisée en laboratoire… Une expérience avec la bombe H prévue pour avril eut lieu malgré leur arrivée, après délibération des autorités. Puisqu’ils connaissaient tous nos secrets, il n’y avait rien à perdre. Et on espérait plus ou moins qu’il se trouverait des Martiens à proximité quand la bombe serait lâchée. Le résultat dépassa les espérances : la bombe tomba avec un Martien assis dessus. Après l’explosion, il couima sur le pont d’un navire amiral, l’air profondément dégoûté, et demanda au commandant : « C’est tout ce que tu as de mieux en fait de pétard, Toto ? »)

Ils furent photographiés, à titre d’étude, avec toutes les catégories de lumières qui peuvent être imaginées : infrarouges, ultraviolets, éclairage fluorescent, lampe sodium, arc au carbone, bougie, phosphorescence, soleil, clair de lune, clarté des étoiles.

Ils furent arrosés de tous les liquides connus, y compris l’acide prussique, l’eau lourde, l’eau bénite et le fly-tox.

Les sons qu’ils émettaient – vocaux ou autres – furent enregistrés avec tous les procédés existants.

On les étudia au microscope, au télescope, au spectroscope et à l’iconoscope.

Résultats pratiques : nuls. Aucun savant ne fit à aucun Martien le moindre effet, même d’inconfort passager.

Résultats théoriques : négligeables. On apprit sur eux très peu de choses outre ce que l’on savait déjà.

Ils reflétaient la lumière seulement dans les longueurs d’onde comprises à l’intérieur du spectre visible. Toutes les radiations pourvues d’une autre longueur d’onde les traversaient sans en être affectées ni déviées. Ils ne pouvaient être détectés ni par les rayons X, ni par les ondes radio, ni par le radar.

Ils n’avaient aucun effet sur les champs magnétiques ou gravitationnels. Et aucune forme d’énergie ou de matière solide, liquide ou gazeuse n’avait d’effet sur eux.

Ils n’absorbaient pas les sons et ne les réfléchissaient pas, mais ils pouvaient en produire. On pouvait photographier la lumière réfléchie par eux comme on enregistrait leurs sons. C’était là le côté le plus stupéfiant, puisqu’ils n’étaient pas là au sens réel et tangible.

Aucun savant, par définition, ne croyait qu’ils fussent des démons ou autre chose de ce genre. Mais beaucoup pensaient qu’ils ne venaient pas de Mars, ni même de notre univers. Ils représentaient une autre sorte de « matière » (si ce mot peut être employé) et ils devaient être issus de quelque autre univers où les lois de la nature fussent totalement différentes. Peut-être même d’une autre dimension.

Ou bien c’était eux-mêmes qui possédaient moins ou plus de dimensions que nous.

Ils pouvaient être à deux dimensions et sembler en posséder une troisième, effet d’illusion dû à leur existence dans un univers tridimensionnel. Les personnages sur un écran de cinéma ont l’air d’avoir trois dimensions jusqu’à ce qu’on veuille en saisir un par le bras.

Ou bien ils pouvaient être les projections, dans notre univers tridimensionnel, d’êtres à quatre ou cinq dimensions, et leur intangibilité aurait alors été le fait de ces dimensions supplémentaires inconcevables pour notre esprit.