… Iris – mi-Chinoise mi-Négresse – se défonce à la dihydro-oxyhéroïne, une seringuette tous les quarts d’heure, aussi laisse-t-elle aiguilles et compte-gouttes piqués en permanence un peu partout dans sa chair. Les aiguilles ont fini par rouiller sous sa peau desséchée qui, çà et là, a complètement remblayé l’outil et formé une sorte de kyste tout lisse d’une teinte brun-vert. Sur la table, à portée de sa main, un samovar et une provision de dix kilos de sucre de canne. On n’a jamais vu Iris manger autre chose. Elle ne parle ou n’entend ce qu’on lui dit qu’au moment de sa piqûre. Elle fait alors une brève remarque, d’une froideur et d’une objectivité totales, relative à sa propre personne : « J’ai le trou du cul bouché… » ou : « Regarde cet horrible jus vert qui me dégouline du chat… »

Iris est un des cas favoris de Benway. « Nom de Dieu, l’organisme humain peut tenir le coup en se nourrissant exclusivement de sucre de canne… Je n’ignore pas que certains de mes éminents collègues, qui s’évertuent à minimiser tout ce que mon œuvre a de génial, insinuent que j’ajoute en cachette des vitamines et des protéines au sucre d’Iris… Je défie ces culs de s’arracher à leurs tinettes pour venir analyser le sucre et le thé de ma patiente. Cette andouille est en pleine santé, c’est la fierté de l’Amérique. Je démens catégoriquement les bruits selon lesquels elle se nourrirait de sperme, et je me permets de saisir cette occasion pour réaffirmer que je suis un savant de réputation honorable, et non pas un charlatan, un lunatique et même, comme il a été dit, un thaumaturge… Je n’ai jamais prétendu qu’Iris subsiste uniquement par un phénomène de photosynthèse… Je n’ai pas dit qu’elle peut respirer de l’anhydride carbonique et restituer de l’oxygène… J’avoue que j’ai été tenté de risquer l’expérience… mais le serment d’Hippocrate m’a retenu… En bref, les viles et lâches calomnies de mes détracteurs se retourneront inexorablement contre eux-mêmes – comme un indicateur qu’on fait passer sous le train dont il a dénoncé le passage… »