7.

Quand ils descendirent au soixante-douzième, le jeune garçon les entraîna sur la gauche, dépassant les entrées d’une société d’importation et d’un fabricant de postiches pour se diriger vers une porte dont la vitre en verre opaque portait l’inscription CRÈMES INVISIBLES KORNBLUM. Le collégien se retourna pour les regarder, un sourcil levé, se demandant, songea le capitaine, s’ils comprenaient la plaisanterie, même si Lieber ne savait pas au juste quelle était censée être la plaisanterie. Puis le jeune garçon frappa. Personne ne répondit. Il frappa une nouvelle fois.

— Oh est-il passé ? s’écria-t-il.

— Capitaine Harley.

Ils firent volte-face. Un deuxième flic de l’immeuble, Rensie, les avait rejoints. Il porta un doigt à son nez, comme s’il allait leur communiquer une information délicate ou embarrassante.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Harley avec circonspection.

— Notre gars est là-haut, répondit Rensie. Le sauteur. Là-haut, sur le diamètre extérieur.

— Comment ?

Lieber fixa le gamin, plus perplexe qu’il ne jugeait acceptable de l’être pour un inspecteur.

— En costume ? s’enquit Harley.

Rensie hocha la tête.

— Un beau costume bleu, précisa-t-il. Un grand nez, maigre. C’est lui.

— Comment est-il monté là ?

— Nous l’ignorons, capitaine. Devant Dieu ! on surveillait tout. Nous avions un homme chargé de l’escalier, un autre des ascenseurs. Je ne sais pas comment il a pu entrer. Il est apparu, en quelque sorte.

— Venez, ordonna Lieber, déjà en marche vers les ascenseurs. Et emmenez votre fils, lança-t-il à Sammy Clay.

Il fallait apporter un piquet pour les y attacher solidement ! Le visage du gamin était devenu inexpressif et exsangue sous l’effet de ce que Lieber croyait faire de la surprise. D’une façon ou d’une autre, son canular s’était réalisé.

Ils montèrent dans l’ascenseur, avec ses élégants chevrons et rayons de marqueterie.

— Il est sur le parapet ? demanda le capitaine Harley.

Rensie inclina la tête.

— Attendez une minute, intervint Sammy. Je suis perdu.

Lieber reconnut que lui aussi était un tantinet perdu. Il avait cru le mystère de la lettre au Herald Tribune résolu ; c’était une blague inoffensive, bien qu’impénétrable, montée par un potache de douze ans. Lui-même avait sans doute été plutôt impénétrable au même âge. Le jeune garçon voulait se rendre intéressant ; il tentait de marquer un point que nul ne pouvait saisir en dehors de la famille. Puis, mystérieusement, on avait compris que ce cousin perdu depuis longtemps, et que Lieber avait supposé jusque-là être un homme mort, écrasé sur l’épaulement d’une petite route à la périphérie de Cat Butt, dans le Wyoming, était en réalité plus ou moins terré dans une enfilade de bureaux au soixante-douzième étage de l’Empire State Building. Et tout portait à croire maintenant que le gamin n’était finalement pas l’auteur de la lettre. L’Artiste de l’évasion avait tenu sa sinistre promesse envers la ville de New York.

Ils étaient montés de quatorze étages – avec un ascenseur express jusqu’en haut – quand Rensie lâcha d’une petite voix réticente :

— Il y a des orphelins.

— Il y a quoi ?

— Des orphelins, répéta Clay, qui avait recourbé son bras autour du cou de son fils dans un geste paternel de reproche qui voulait passer pour de la sollicitude. (C’était une accolade qui signifiait « Attends un peu qu’on soit rentré à la maison ».) Pourquoi sont-ils là… ?

— Oui, caporal, dit Harley. Pourquoi sont-ils là ?

— Enfin, on ne pensait pas que le… euh… monsieur au costume bleu allait se montrer, répondit Rensie. Et ces petits ont fait tout le chemin depuis Watertown. Dix heures d’autocar…

— Un public de petits enfants, tonna Harley. Parfait.

— Et toi ? s’adressa Lieber au jeune garçon. Tu es perdu, toi aussi ?

Le jeune garçon écarquilla les yeux, puis hocha lentement la tête.

— Garde l’œil ouvert, Tom, reprit Lieber. Nous avons besoin que tu parles à ton oncle.

— Cousin issu de germain, rectifia Clay.

Il s’éclaircit la voix.

— Peut-être pourrais-tu parler de ses élastiques à ton cousin issu de germain, suggéra Rensie. Pour moi, c’est une nouveauté.

— Des élastiques, murmura le capitaine Harley. Et des orphelins… (Il frictionna la moitié accidentée de son visage.) Je parie qu’il y a aussi une bonne sœur.

— Un curé.

— D’accord, s’écria le capitaine Harley. Bon, c’est déjà quelque chose.