9.

Les brancardiers le descendirent jusqu’au garage souterrain de l’immeuble, où une ambulance attendait depuis quatre heures de l’après-midi. Sammy les accompagna dans l’ascenseur, ayant confié Tommy à son grand-père et au capitaine de la police de l’immeuble, qui avait défendu au petit garçon de le suivre. Sammy hésitait un peu à abandonner Tommy, mais cela lui semblait de la folie de laisser Joe être emporté ainsi, moins de dix minutes après sa réapparition. Que le gamin passe quelques minutes aux mains des policiers ! Cela lui donnerait peut-être une leçon.

Chaque fois que Joe fermait les yeux, les brancardiers lui demandaient avec une certaine brusquerie de se réveiller. Ils redoutaient une commotion cérébrale.

— Réveille-toi, Joe, le supplia Sammy.

— Mais je suis réveillé.

— Comment vas-tu ?

— Bien, répondit Joe. (Il s’était mordu la lèvre, et du sang avait coulé sur sa joue et son col de chemise. C’étaient les seules traces de sang que Sammy voyait.) Et toi, comment vas-tu ?

Sammy inclina la tête.

— J’ai lu Weird Date tous les mois, reprit Joe. C’est très bien enlevé, Sam.

— Merci, dit Sammy. Les compliments sont si précieux, venant d’un dingue.

— Sea Yarns est bon aussi.

— Tu trouves ?

— J’y apprends toujours quelque chose sur les bateaux ou je ne sais quoi.

— Je me documente pas mal. (Sammy sortit son mouchoir et tamponna la goutte sanglante sur la lèvre de Joe, se remémorant la période de la guerre de Joe contre les Allemands de New York.) À propos, j’ai tout pris au visage, ajouta-t-il.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Le poids dont tu as parlé. J’ai tout pris au visage. Mais je manie encore les haltères chaque matin. Touche mon bras !

Joe leva la main, en tressaillant légèrement, et tâta le biceps de Sammy.

— Énorme, murmura Joe.

— Toi-même tu n’as pas l’air si rupin dans ce vieil accoutrement miteux…

Joe sourit.

— J’espérais qu’Anapol me verrait là-dedans. Ç’aurait été comme un mauvais rêve qui se serait réalisé.

— J’ai comme l’impression qu’un tas de ses mauvais rêves sont en train de se réaliser. Quand l’as-tu subtilisé, d’abord ?

— Il y a deux soirs. Excuse-moi. J’espère que tu ne m’en veux pas. Je comprends qu’il… a une valeur sentimentale pour toi.

— Il ne représente rien de spécial à mes yeux.

Joe inclina la tête, en scrutant son visage, et Sammy détourna les yeux.

— Je voudrais bien une cigarette, dit Joe.

Sammy en pêcha une dans son veston et la glissa entre les lèvres de Joe.

— Je suis désolé, poursuivit Joe.

— Toi, désolé ?

— Pour Tracy, je veux dire. Je sais que c’était il y a longtemps, mais…

— Ouais, le coupa Sammy. Tout était il y a longtemps…

— En tout cas, je suis désolé pour tout.