1.
En 1941, la meilleure année qu’elle eût jamais connue, l’association de Kavalier & Clay rapporta 59 832 dollars 27 cents. Le montant des recettes perçues cette année-là par Empire Comics Inc. – au titre des ventes de tous les comics ayant pour vedettes des personnages créés pour totalité ou partie par Kavalier & Clay, des ventes de deux cent mille exemplaires chacun des deux Whitman’s Big Little Books* dont l’Artiste de l’évasion était le héros, et des ventes de Clefs de la liberté, de porte-clefs, de lampes électriques de poche, de tirelires, de jeux de société, de figurines en caoutchouc, de jouets à ressort et divers autres articles de l’évasion, ainsi que des rentrées issues de l’accord d’une licence de l’intrépide fiancée de l’Artiste à Choffee Cereals pour leurs Frosted Chaff-Os et aussi de l’émission radio de l’Artiste que N.B.C. commença à diffuser en avril –, bien que difficile à estimer, s’élevait à près de 12 à 15 millions de dollars. Sur ses 29 000 et des poussières, Sammy en donnait un quart au gouvernement, puis la moitié de ce qui restait à sa mère pour ses dépenses personnelles et celles de sa grand-mère.
Avec le reliquat, il vivait comme un roi. Il se régala donc de saumon fumé tous les matins au petit déjeuner pendant sept semaines. Il assistait aux matches de base-ball à Ebbet Fields et siégeait dans les tribunes. Il pouvait dépenser jusqu’à deux dollars pour dîner, et une fois même, un jour où il ne tenait plus sur ses jambes, il traversa dix-sept pâtés de maisons en taxi. Il possédait l’équivalent de toute une semaine d’immenses complets voyants : cinq « gratte-ciel » gris à rayures fines et en worsted, taillés sur mesure à vingt-cinq dollars pièce. Il s’offrit même un phonographe Capehart Panamuse. Celui-ci lui coûta 645 dollars, presque autant que la moitié d’une Cadillac 61 neuve. Décoré dans un style Hepplewhite{78} au charme un peu ridicule, érable et bouleau incrusté de frêne, il trônait de façon inquiétante dans l’appartement sinon moderne, plutôt Spartiate, des cousins – peu après s’être liée d’amitié avec Joe, Rosa avait commencé à faire pression sur lui pour qu’il déménage du Trou à rats de Chelsea. L’appareil exigeait qu’on passe de la musique, puis qu’on garde le silence respectueux du pécheur qui se fait sermonner. Sammy l’adorait, comme il n’avait jamais rien adoré dans sa vie. La triste palpitation de la clarinette de Benny Goodman sortait de manière si poignante de ses somptueux haut-parleurs « panamusicaux » que Sammy avait envie de pleurer. Le Panamuse était entièrement automatique : on pouvait empiler vingt disques et les jouer dans n’importe quel ordre, sur les deux faces. Les merveilleuses opérations du mécanisme du changement de disque, dans la manière de l’époque, étaient fièrement exposées à l’intérieur de la vitrine, et les nouveaux invités de l’appartement, à l’instar des visiteurs de l’Hôtel américain de la Monnaie, avaient toujours droit à un coup d’œil aux rouages. Sammy en fut toqué des semaines durant. Pourtant, chaque fois qu’il contemplait le phono, la mauvaise conscience et même l’horreur le tenaillaient à cause du prix. Sa mère devait mourir sans jamais avoir eu vent de son existence.
Le plus drôle, c’est qu’après avoir mis sur la table la somme importante, bien qu’encore négligeable, que Sammy dépensait chaque mois en livres, revues, disques, cigarettes et distractions, plus sa moitié des cent dix dollars de loyer mensuel, il lui restait encore tant d’argent qu’il ne savait qu’en faire. Celui-ci s’accumulait donc sur son compte bancaire, ce qui le rendait nerveux.
— Tu devrais te marier, lui répétait à l’envi Rosa.
Son nom avait beau ne pas figurer sur le bail, Rosa était devenue la troisième occupante de l’appartement et, de fait, son âme. Elle les avait aidés à le dénicher (c’était un immeuble neuf de la Cinquième Avenue, juste au nord de Washington Square), à le meubler, et quand elle s’aperçut qu’elle ne pourrait jamais, sinon, partager une salle de bains avec Sammy, à s’assurer les services hebdomadaires d’une femme de ménage. Au début, elle passait seulement une ou deux fois par semaine, après son travail. Elle avait quitté sa place à Life pour un petit boulot : retoucher, dans des teintes atroces, des photos en couleurs de casseroles de pruneaux-et-nouilles{79}, d’horribles gâteaux mousseline et de canapés au bacon pour un éditeur de livres de cuisine bon marché qui étaient offerts en prime dans les bazars. C’était un travail fastidieux, et quand les choses allaient vraiment mal, Rosa aimait donner libre cours à de minutieuses pulsions surréalistes. À l’aérographe elle ornait un ananas en arrière-plan d’un tentacule noir et luisant, ou elle cachait un minuscule explorateur polaire dans les pics glacés d’un désert de meringue. Les bureaux de l’éditeur étaient situés dans la Quinzième Rue Est, à dix minutes de l’appartement. Rosa passait souvent à cinq heures avec un plein sac de feuilles et de tubercules improbables, et d’étranges recettes culinaires auxquelles son père avait pris goût pendant ses voyages : tagine, mole, un machin vert et gluant qu’elle qualifiait d’« aérodynamique ». En général, ces plats avaient une saveur exquise, et leur garniture exotique servait à masquer assez bien, songea Sammy, les avances assez rétrogrades de Rosa pour conquérir le cœur de Joe grâce à la cuisine. Elle-même n’y touchait presque pas.
— Il y a une fille au bureau, lança Rosa au petit déjeuner un matin, en posant devant Sammy une assiette d’œufs brouillés au chorizo. (Elle était régulièrement invitée au petit déjeuner, si « invitée » était le terme adéquat pour désigner quelqu’un qui faisait les courses pour le repas, préparait celui-ci, vous le servait et rangeait la cuisine quand vous aviez fini. Leurs voisins de palier étaient visiblement outrés par cet anticonformisme, et les yeux du portier pétillaient d’un air égrillard quand il tenait la porte à Rosa le matin.) Barbara Drazin. Elle est bien roulée. Et elle cherche. Tu devrais me laisser te la présenter…
— Une étudiante ?
— De City College.
— Non merci.
En levant le nez du plat de pâtisseries que Rosa avait disposées, comme d’habitude, avec un tel art de la photogénie que Sammy répugnait à déranger le feuilleté au fromage qu’il convoitait, il surprit le coup d’œil qu’elle lança à Joe. C’était un regard qu’il les avait déjà vus échanger, chaque fois que le sujet de la vie amoureuse de Sammy revenait sur le tapis, comme c’était trop souvent le cas quand Rosa était dans les parages.
— Quoi ! s’exclama-t-il.
— Rien.
Elle étendit sa serviette de table sur ses genoux, d’un air bizarrement plein de sous-entendus, et Joe continua à bricoler une espèce de bidule à ressort pour distribuer les cartes qui entrait dans son numéro. Il avait une prestation de magie le lendemain soir, une bar-mitsva au Pierre Hôtel. Sammy s’empara du feuilleté au fromage, provoquant l’effondrement de la pyramide du livre de cuisine cadeau.
— Il y a que tu trouves toujours une excuse, poursuivit-elle, sans jamais avoir besoin d’une réponse pour soutenir la conversation.
— Ce n’est pas une excuse, riposta Sammy, c’est une disqualification !
— Et pourquoi les étudiantes sont-elles disqualifiées ? J’ai oublié…
— Parce qu’elles me donnent l’impression d’être bête.
— Mais tu n’es pas bête ! Tu es extrêmement cultivé, tu parles plutôt bien et tu vis de ta plume ou, pour être plus précise, de ta machine à écrire.
— Je le sais. Ce n’est pas un sentiment rationnel. Et je ne supporte pas non plus les femmes idiotes. C’est juste, je crois, que j’ai honte de ne pas avoir de bagage universitaire. Et puis je suis gêné quand elles commencent à me demander ce que je fais et que je suis obligé de leur dire que je suis auteur de comics. Ensuite, j’ai droit soit à : « Ça alors ! n’est-ce pas de la littérature… enfin… de quatre sous ? » Ou bien à de la condescendance. « Les comics ? J’adore les comics !… », ce qui est encore pire.
— Barbara Drazin ne te donnerait pas l’occasion d’avoir honte de ce que tu fais, affirma Rosa. D’ailleurs, je lui ai dit que tu avais aussi écrit trois romans.
— Oh, mon Dieu ! s’exclama Sammy.
— Je suis désolée.
— Je t’en supplie, Rosa. Combien de fois dois-je te répéter de ne plus parler de ça à personne ? O.K. ?
— Vraiment, je suis désolée. C’est juste que je…
— Pour l’amour du ciel, c’étaient des pulps, j’étais payé au mètre. Pourquoi crois-tu qu’ils ont inventé le pseudonyme ?
— D’accord, dit Rosa, d’accord. À mon humble avis, tu devrais quand même la rencontrer.
— Merci, mais non merci. J’ai trop de travail, de toute façon.
— Il est en train d’écrire un roman, expliqua Joe, occupé à peler une Chiquita. (Il semblait prendre beaucoup de plaisir dans les échanges entre sa petite amie et son meilleur ami. Son unique contribution à la décoration de l’appartement avait été la pile de cageots de bois où il rangeait sa collection bourgeonnante d’illustrés.) À ses heures perdues, ajouta-t-il, la bouche pleine, blanche de banane. Un vrai…
— Ouais, bon, dit Sammy, se sentant rougir. À la vitesse où j’avance, on sera tous à la maison de retraite pour le lire !
— Je vais le lire, proposa Rosa. Sammy, j’aimerais tant ! Je suis sûre qu’il est très bon.
— Il ne l’est pas. Mais merci. Tu parles sérieusement ?
— Bien sûr.
— Peut-être, répondit-il, pour la première mais nullement la dernière fois de leur longue association. Dès que j’aurai mis en forme le premier chapitre…
À son arrivée dans les bureaux d’Empire en cette matinée d’avril modèle – ciel échevelé, jonquilles qui swinguaient comme un grand orchestre sur chaque plaque de vert, amour dans l’air, etc. –, Sammy sortit du tiroir du fond de son bureau le premier (et unique) chapitre, maintes fois remanié du Désenchantement américain, glissa une feuille de papier vierge dans le rouleau de sa machine à écrire et essaya de travailler, mais la discussion avec Rosa l’avait laissé mal à l’aise. Pourquoi ne voulait-il pas, au moins, disons, prendre un verre avec une belle fille de City College ? Comment savait-il même qu’il n’aimait pas sortir avec des étudiantes ? C’était comme s’il disait qu’il n’aimait pas le golf. Il se doutait bien que ce n’était pas un jeu pour lui, mais en réalité, le plus près qu’il eût jamais été d’un terrain de golf, c’était à l’ancien terrain Tom Thumb de Coney Island, avec ses moulins à vent au plâtre écaillé. Pourquoi, d’ailleurs, n’était-il pas jaloux de Joe ? Rosa était une fille superbe, douce, qui embaumait la poudre de riz. Même s’il était vrai qu’il trouvait remarquablement facile de l’aborder, de la taquiner, de se confier à elle et de baisser la garde en sa présence, plus facile qu’avec n’importe quelle fille, il n’avait que très peu envie d’elle. Par moments, cette absence de sentiment érotique, si marquée et si évidente pour tous deux que Rosa n’avait aucun scrupule à flâner dans l’appartement en petite culotte, couverte seulement des pans flottants d’une des chemises de Joe, tourmentait Sammy. Couché dans son lit la nuit, il essayait de s’imaginer en train de l’embrasser, de caresser ses épaisses boucles brunes, de relever ses pans de chemise pour découvrir le ventre pâle caché dessous. Mais de telles chimères s’estompaient invariablement à la lumière du jour. La vraie question, c’était : Pourquoi n’était-il pas plus jaloux de Rosa ?
« Il était simplement heureux de voir son ami heureux », tapa-t-il à la machine. C’était un roman autobiographique, après tout. « Il y avait un abîme dans la vie de cet homme que personne ne pourrait jamais combler. »
Le téléphone sonna. C’était sa mère.
— J’ai ma soirée de libre, lui dit-elle. Pourquoi ne l’amènes-tu pas et nous fêterons Shabbès. Il peut amener aussi sa petite amie.
— Elle est un peu difficile pour la nourriture, objecta Sammy. Qu’est-ce que tu mijotes ?
— Très bien, ne viens pas.
— Je serai là.
— Je ne veux pas de toi.
— Je serai là. Maman ?
— Quoi ?
— Maman ?
— Mais quoi ?
— Maman ?
— Quoi encore ?
— Je t’aime.
— Sacré farceur.
Et de raccrocher.
Il rangea Le Désenchantement américain dans son tiroir et se remit à travailler au texte de Kid Vixen, chronique d’une boxeuse redresseuse de torts, avec des illustrations de Marty Gold, qu’il avait ajoutée pour entourer All Doll, en même temps que la Venus McFury des frères Glovsky, histoire d’une détective délurée qui était la réincarnation d’une des antiques Érinyes, et la Greta Gatling de Frank Pantaleone, une bande dessinée de « cow-girl ». Le premier numéro d’All Doll Comics avait épuisé tout son tirage d’un demi-million d’exemplaires. Le numéro 6 était actuellement en fabrication, et les commandes étaient extrêmement importantes. Sammy avait une petite idée pour le prochain épisode de Kid Vixen, impliquant un crêpage de chignon entre Kid et une championne de boxe nazie qu’il envisageait d’appeler Brunehilde La Teigne. Mais, ce matin, il semblait ne pas pouvoir se concentrer. Le plus drôle, c’était que, aussi opiniâtrement qu’il s’était battu avec Sheldon Anapol pour leur permettre de continuer à bosser sur les nazis, mener la guerre de la bande dessinée devenait toujours plus rude. Même si la futilité n’était pas un registre familier à Sammy, il avait commencé à être rongé par le même sentiment d’inefficacité, de faux-semblant permanent, qui avait tourmenté Joe dès le début. Sauf que Sammy ne voyait pas comment lutter contre cela. Lui n’était pas prêt à chercher la bagarre aux matches de base-ball.
Il s’acharna sur son texte, qu’il reprit trois fois, en buvant du Bromo-Seltzer avec une paille, pour apaiser le pincement d’angoisse qui commençait à lui tenailler le ventre. Même si Sammy aimait sa mère et avait besoin de son soutien, cinq minutes de conversation avec elle suffisaient à déchaîner une rage matricide dans son cœur. Les grosses sommes d’argent qu’il lui remettait, bien qu’elle fût agréablement étonnée par celles-ci et se débrouillât toujours, avec sa brusquerie habituelle, pour le remercier, ne prouvaient rien à ses yeux. Gagner des sommes folles pour gâcher sa vie, dans son opinion, n’ajoutait qu’au pointage cosmique du gaspillage. Le plus exaspérant pour Sammy, c’était la façon dont, face à ce soudain afflux d’argent, Ethel refusait obstinément de modifier tout élément de son existence, à part choisir de meilleurs morceaux de viande, acheter un jeu neuf de couteaux à découper et accumuler des dépenses somptuaires en sous-vêtements pour Bubbie et elle-même. Le reste, elle le mettait de côté. Elle voyait chaque gros chèque comme le dernier, certaine, comme elle disait, que « la bulle finirait par éclater ». Chaque mois où la bulle des comics, non seulement continuait à flotter, mais gonflait de manière exponentielle ne faisait que confirmer la croyance d’Ethel selon laquelle le monde était désaxé et devenait de plus en plus fou, si bien qu’au moment où l’épingle frapperait enfin, l’éclatement serait d’autant plus terrible. Oui, c’étaient toujours des tonnes de gaieté qui débarquaient chez cette vieille Ethel pour profiter des festivités et des bons moments, blaguer, chanter et souper des délicieux fruits de sa cuisine. Bubbie aurait cuit au four un de ses babkas à la Bubbie, amers et friables, sur lesquels tous devaient s’extasier, même si, à leur goût, on eût dit qu’elle les avait préparés en 1887, puis oubliés dans un tiroir jusqu’à la veille.
La seule perspective intéressante de la journée, c’était que lui et Joe avaient été également invités à descendre au studio de radio pour rencontrer l’équipe des Extraordinaires Aventures de l’Artiste de l’évasion, qui répétait le lundi suivant en début d’après-midi. Jusqu’ici, Burns, Baggot & DeWinter, l’agence de publicité, avait tenu à l’écart de la production Sammy, Joe et le personnel d’Empire en général, alors que Sammy avait appris que plusieurs des premiers épisodes étaient adaptés directement de leurs comics. Un jour, Sammy était même tombé par hasard sur les rédacteurs de l’émission, tandis qu’ils sortaient de Chez Sardi. Ils le reconnurent grâce au dessin peu flatteur qui avait paru dans le Saturday Evening Post, l’arrêtèrent pour lui dire bonjour et lui passèrent l’aimable brosse à reluire de leur dédain. Sammy leur trouva à tous un petit air d’étudiant, avec leurs pipes et leurs nœuds papillons. Un seul reconnut avoir lu un comic book, et la totalité d’entre eux considérait sans doute le genre comme indigne de leur mépris. Un autre avait collaboré par le passé à Mr Keen Tracer if Lost Persons{80}, un troisième à Mrs Wiggs of the Cabbage Patch{81}.
Mais après la première diffusion, lundi, il devait y avoir une réception à laquelle Sammy et Joe étaient conviés. Et en ce vendredi enchanteur, ils se rendaient à Radio City pour jeter un coup d’œil, si l’on peut dire, aux incarnations vocales de leurs personnages.
— Le dîner de Shabbès, murmura Joe, alors qu’ils longeaient le Time-Life Building.
Joe prétendait avoir vu un jour Ernest Hemingway en sortir, et Sammy guetta l’écrivain en passant.
— Je l’ai vu, je te dis.
— Tu l’as vu, c’est sûr. Oui, le dîner de Shabbès. Chez ma mère. On y bouffe mal, la maison est une vraie fournaise. Tu ne vas pas manquer ça !
— J’ai rendez-vous avec Rosa, avança Joe. Nous sommes censés manger avec son père, à la maison, je crois.
— C’est ce que tu fais presque tous les soirs ! Allez, Joe, ne me laisse pas y aller seul. Je vais devenir fou, complètement fou, je te le dis.
— Rosa a raison, observa Joe.
— Comme d’habitude. Mais pourquoi, cette fois ?
— Tu as besoin d’une femme.
Le hall de l’immeuble R.C.A. était frais et obscur. Pour la première fois de la journée, le léger claquement des talons sur le sol dallé et la solennité sombre et rassurante des peintures murales de Sert et Brangwyn{82} permirent à Sammy d’éprouver ce qu’il reconnut vaguement être un sentiment de tranquillité. Un jeune homme grassouillet les attendait au bureau du vigile, en mordillant un doigt bien manucuré. Il se présenta comme Larry Sneed, assistant du producteur George Chandler, et leur montra comment signer le registre des entrées et accrocher des laissez-passer à leurs vestons.
— Mr Chandler est réellement content que vous ayez pu venir, lança Sneed par-dessus son épaule.
— C’était gentil de sa part de nous inviter.
— Eh bien, il est devenu un vrai fan de votre travail.
— Il nous lit ?
— Oh ! C’est sa nouvelle bible.
Ils sortirent de l’ascenseur, descendirent un escalier, traversèrent un hall pour gagner un autre escalier, celui-ci tout en parpaings gris et marches métalliques, puis suivirent un lugubre couloir blanc, passèrent devant la porte fermée d’un studio dont le voyant était allumé, tournèrent à gauche pour entrer dans un autre studio. L’atmosphère était fraîche, enfumée et sombre. À un bout de la grande salle jaune, trois groupes d’acteurs en tenue sport, des scripts à la main, déambulaient autour de trois microphones. Au milieu de la pièce, deux hommes écoutaient, assis à une petite table. Des pages de script traînaient partout, éparpillées sur le sol et amoncelées dans les coins. Il y eut une détonation. Sammy fut seul à sursauter dans le studio. Il regarda fiévreusement autour de lui. Trois individus se tenaient à l’écart sur la gauche, au milieu d’un assortiment d’ustensiles de cuisine, de bois de charpente et de ferraille. L’un d’eux tenait un revolver. Tous suaient abondamment malgré l’air conditionné.
— Oh ! ils m’ont eu ! cria Larry Sneed, étreignant son gros ventre couvert de soie et pivotant sur lui-même. Ha, ha, ha ! (Il fit mine de rire. Le comédien qui lisait son texte s’arrêta de parler et tout le monde se retourna pour regarder. Ils semblaient ravis du dérivatif, songea Sammy, excepté le réalisateur qui fronça les sourcils.) Salut, tout le monde ! Désolé de vous interrompre. Monsieur Chandler, voici deux jeunes gens sémillants comme moi qui désirent rencontrer nos magnifiques interprètes. Mr Sam Clay et Mr Joe Kavalier.
— Bonjour les gars, dit un des deux hommes à la table centrale, en se levant. (Il avait à peu près le même âge qu’aurait eu le père de Sammy, mais lui était grand et distingué, avec une barbiche et d’énormes lunettes noires qui, trouva Sammy, lui donnaient l’air d’un scientifique. Il leur serra la main.) Voici Mr Cobb, notre réalisateur. (Cobb inclina la tête. Comme Chandler, il portait un costume et une cravate.) Et cette bande dépenaillée est notre troupe. Oubliez leur apparence, ils ont répété toute la semaine. (Chandler montra les acteurs rassemblés autour des micros, oignant chacun de loin d’un petit mouvement du doigt pendant qu’il citait leur nom et leur rôle.) Voilà Miss Verna Kaye, notre Fleur de Prunier. Pat Moran, notre Big Al. Et Howard Fine, le méchant commandant X. Là-bas, puis-je vous présenter Miss Helen Portola, notre Rose vénéneuse ? Ewell Conrad, qui joue Omar, et Eddie Fontaine, dans le rôle de Pedro. Sans oublier notre présentateur, Mr Bill Partis.
— Mais Rose vénéneuse est morte, protesta Joe.
— Nous ne l’avons pas encore occise à la radio, expliqua Chandler. Et ce grand et beau gaillard, là-bas, est notre Artiste de l’évasion, Mr Tracy Bacon.
À cet instant précis, Sammy avait trop l’esprit ailleurs pour remarquer Mr Tracy Bacon.
— Pedro ? s’étonna-t-il.
— Le vieux machiniste portugais. (Chandler hocha la tête.) Un élément comique pour détendre les esprits. La personne qui parraine l’émission a estimé que nous devions alléger un peu l’atmosphère.
— Rachui de chuous chuonnaître, lança Eddie Fontaine, portant la main à son chapeau portugais imaginaire.
— Et le vieux Max Mayflower ? voulut savoir Sammy. Et le membre de la Ligue de la clef d’or ? Vous avez supprimé la Ligue ?
— Nous avons essayé avec la Ligue, n’est-ce pas, Larry ?
— Oui, nous avons essayé, monsieur Chandler.
— Quand on démarre un feuilleton, il vaut mieux aller droit au fait, déclara Cobb. Sauter les préliminaires.
— Nous expliquons tout ça dans l’intro, expliqua Chandler. Bill ?
— Armé d’un magnifique entraînement physique et mental, commença Bill Paris, d’une équipe d’auxiliaires d’élite et de l’antique sagesse, il parcourt le globe, accomplissant de stupéfiants exploits…
Toute la troupe fit chorus pour le mot de la fin.
— … et venant au secours de ceux qui croupissent dans les chaînes de la tyrannie !
— Voici l’Artiste de l’évasion !
Tout le monde rit, sauf Joe, qui tapa dans ses mains. Mais pour une raison ou une autre, Sammy était ulcéré.
— Et Tom Mayflower ? insista-t-il. Qui va le jouer ?
Une voix grinçante et enjouée d’adolescent résonna dans un coin.
— C’est moi qui vais être Tom, monsieur Clay ! Et bon sang ! j’en suis rudement excité !
Cet échange plia de nouveau l’assistance en deux. Tracy Bacon regardait Sammy droit dans les yeux en souriant, les joues rouges surtout de plaisir, apparemment, devant l’expression médusée de Sammy. Bacon était un Artiste de l’évasion si parfait qu’on eût dit qu’il avait été choisi pour jouer le rôle dans un film, non sur les ondes. Il mesurait plus de un mètre quatre-vingts, avait les épaules larges, une fossette au menton et des cheveux blonds brillants qui encadraient le haut de sa tête à la façon d’un casque de cuivre poli. Il portait une chemise en oxford déboutonnée sur un maillot de corps à côtes, un blue-jean et des chaussettes sans chaussures. Bien que pas aussi développés, peut-être, que ceux de l’Artiste de l’évasion, ses muscles étaient nettement dessinés. Beau gosse, pensa Sammy, et impérialement svelte.
— Je vous en prie, messieurs, prenez place, reprit Chandler. Larry, trouve-leur un endroit où s’asseoir.
— Ce gars-là est la copie conforme de l’Artiste de l’évasion, murmura Joe. J’en ai la chair de poule.
— Je sais, acquiesça Sammy. Et il a la voix de Tom Mayflower…
Ils s’assirent dans un coin pour assister à la répétition. Le script avait été adapté – très librement – du troisième épisode de l’Artiste, où apparaissait le personnage de Rose vénéneuse, la méchante sœur de Fleur de Prunier, inspiré directement de la Dragon Lady de Caniff et que Sammy, honteux du caractère flagrant de son emprunt, avait supprimé dans le numéro 4 de Radio Comics. Dans le grand opéra situé sur le Bund de Shangpo, Rose s’était interposée entre une balle destinée à Tom Mayflower et le revolver d’un agent nazi, dont elle avait été jusque-là l’alliée.
Mais les gars de la radio l’avaient ressuscitée, et Sammy devait admettre qu’elle passait bien. Helen Portola était le seul membre de la troupe à ne pas être en tenue sport et, dans sa robe de popeline vert vif, elle avait un air pimpant, appétissant. Lorsqu’elle sifflait son texte diabolique à l’Artiste, dont elle avait annihilé les pouvoirs grâce au légendaire Œil de la Pierre de lune volé, elle regardait Tracy Bacon avec des yeux enamourés et avait des accents langoureux. Walter Winchell avait déjà associé leurs noms dans sa chronique.
Dans l’ensemble, Sammy trouva ces deux heures déprimantes. C’était la première fois – mais nullement la dernière – qu’il voyait un autre auteur s’approprier une de ses créations pour servir ses objectifs, et cela le contrariait à tel point qu’il en avait honte. C’était pratiquement la même chose – mis à part Pedro, bien sûr – pourtant, d’une certaine façon, c’était complètement différent. Le ton général semblait plus léger, plus enjoué que les comics d’origine, sans doute en partie à cause de l’éclat presque audible du sourire de Tracy Bacon. Les dialogues rappelaient beaucoup ceux de Mr Keen à la recherche des disparus. Ç’avait beau être logique, cela aussi déprimait plus ou moins Sammy. Il avait écrit des dialogues aussi mauvais – même si, à l’instigation de Deasey, il s’était penché sur le travail de dialoguistes mordants comme Irwin Shaw et Ben Hecht* – mais, dits à haute voix, ils lui semblaient encore pires. Il trouvait tous les personnages lents à la détente, vaguement retardés. Gêné, Sammy s’agita sur son siège. Joe fut momentanément perdu par les échanges, mais parut brusquement se secouer. Il se pencha de son côté.
— Ce n’est pas génial ? dit-il, chuchotant à présent, ce qui signifiait qu’il mijotait quelque chose. (Il consulta sa montre-bracelet.) Merde ! Cinq heures. Il faut que je m’en aille, mon zazou.
— Tu dois t’en aller, « mon zazou » ?
— Oui, « zazou ». C’est comme « vieux ». « Qu’est-ce qui t’arrive, zazou ? » « Ne sois pas en retard, zazou. » Tu ne dis jamais « zazou » ?
— Non, c’est un truc que je ne dis jamais, répondit Sammy. Il n’y a que les Nègres qui disent ça, Joe. Ethel nous attend vers six heures.
— Oui, O.K. Six heures.
— C’est dans une heure.
— O.K.
— Tu viens, hein ? insista Sammy.
Mr Cobb se retourna sur son siège et les fusilla de nouveau du regard. Ils se couvrirent la bouche. D’un signe de tête, Joe montra la sortie. Sammy se leva et le suivit dans le hall. Joe referma la lourde porte du studio et s’y appuya d’une épaule.
— Joe, tu m’as promis de venir.
— J’ai bien fait attention à ne pas dire ça.
— Bon, je n’ai pas ton dossier sous les yeux, mais c’était le sens général.
— Sammy, je t’en prie. Ne m’y oblige pas. Je ne veux pas venir. Je veux sortir avec ma petite amie. J’ai envie de m’amuser. (Il rougit. Pour Joe, il était encore difficile d’admettre qu’il pouvait s’amuser.) Ce n’est pas ma faute si tu n’as personne…
La porte du studio s’ouvrit à la volée, projetant Joe contre le mur.
— Désolé ! s’écria Tracy Bacon. (Avec précaution, il tira la porte vers lui pour voir ce qu’était devenu Joe.) Œil sacré de la Pierre de lune, est-ce que ça va ?
— Oui, merci, répondit Joe, se massant le front.
— Mince ! j’avais tellement hâte de sortir d’ici que je n’ai pas regardé où j’allais ! Je craignais que vous deux ayez pu partir avant que j’aie la possibilité de parler à Mr Clay.
— Oui, parlez ! Vous parlez, dit Joe en tapotant l’épaule de Bacon. Malheureusement, je dois m’en aller. Monsieur Bacon, c’était un plaisir de vous rencontrer. Vous êtes un Artiste de l’évasion parfait, je trouve.
— Eh bien ! merci.
Joe se dressa de toute sa taille.
— So ! dit-il, prononçant ce mot à l’allemande.
Gardant prudemment Bacon interposé entre eux, il adressa à Sammy un petit signe de main maladroit et plongea derrière leur nouvelle connaissance afin de se ruer vers l’extrémité du couloir. Avant d’atteindre l’escalier, il s’arrêta, se retourna. Il regarda Sammy droit dans les yeux, l’air grave et plein de remords, comme s’il était au bord d’une confession complète de toutes les mauvaises actions qu’il avait jamais accomplies. Puis il agita son laissez-passer de visiteur façon Melvin Purvis{83} et disparut. Et, chez lui, ce geste était ce qui se rapprochait le plus des excuses, Sammy le savait.
— So, répéta Bacon. Pourquoi est-il si pressé de filer ?
— Sa petite amie, répondit Sammy. Miss Rosa Luxemburg Saks.
— Je vois. (Bacon avait un léger accent du Sud.) Elle est étrangère aussi ?
— Ouais, elle l’est, concéda Sammy. Elle est de Greenwich Village.
— J’en ai entendu parler.
— C’est un coin assez arriéré.
— Ah oui…
— Les gens y sont un peu plus sauvages.
— On raconte qu’ils mangent du chien là-bas.
— Rosa est capable de faire des choses étonnantes avec un chien.
Quand cette rafale de blagues un tantinet laborieuses faiblit, ils se sentirent confus. Sammy se frotta la nuque. Sans savoir pourquoi, il avait un peu peur de Tracy Bacon. Il décida que Bacon le faisait marcher, se montrait condescendant à son égard. Les individus grands, flamboyants et sûrs d’eux avec une voix de basse lui donnaient toujours la conscience aiguë d’être un petit Juif basané, une loufoque petite arabesque à l’encre apposée sur une feuille de papier rêche.
— Vous aviez quelque chose à me demander ? interrogea froidement Sammy.
— Oui, je voulais… Écoutez. (Tracy Bacon donna un coup de poing à l’épaule de Sammy. Pas brutal, mais pas doux non plus. Grâce à lui, la méconnaissance de sa force devenait finalement un des traits caractéristiques de l’Artiste de l’évasion.) Normalement, je n’aurais pas osé, mais quand je vous ai aperçu et que j’ai vu que vous n’étiez pas plus vieux que moi, peut-être même plus jeune… Quel âge avez-vous ?
— Sans risque d’erreur, plus de vingt ans, répliqua Sammy.
— Moi, j’en ai vingt-quatre, reprit Tracy. Depuis la semaine dernière.
— Joyeux anniversaire !
— Monsieur Clay…
— Sammy.
— Tracy.
La poigne de Tracy était ferme et sèche. Plusieurs fois il leva et abaissa la main de Sammy.
— Sammy, je ne sais pas si vous pourriez me conseiller ou non, lança Tracy, mais j’ai un petit problème, là…
La porte se rouvrit, et les autres comédiens commencèrent à sortir à la queue leu leu. Helen se coula auprès de Bacon, lui prit le bras et leva les yeux vers lui avec l’ardeur évoquée par Walter Winchell. Elle vit que quelque chose le préoccupait et se tourna d’un air interrogateur vers Sammy. Elle souriait, mais Sammy crut distinguer une lueur d’inquiétude dans ses grands yeux verts.
— Tracy ? Nous allons tous Chez Sardi.
— Garde une place pour moi, d’accord, beauté ? répondit Tracy. (Il lui serra l’épaule.) Il se trouve que Mr Clay et moi avons un ami commun. On se remet juste un peu à niveau.
Sammy était épaté par l’aisance et le naturel du mensonge de Tracy. Helen Portola regarda Sammy de la tête aux pieds, très attentivement, très froidement, comme pour tenter d’évaluer quel humain possible pouvait être le lien entre lui et Tracy Bacon. Puis elle embrassa Tracy sur la joue et les laissa, non sans se faire tirer l’oreille. Sammy avait dû laisser paraître sa perplexité.
— Oh ! je suis un incorrigible menteur, s’excusa Bacon avec désinvolture. Bon, allez, permettez-moi de vous offrir un verre, et je vais vous expliquer.
— Bon Dieu ! s’exclama Sammy. J’aimerais bien, mais…
De fait, Bacon saisit Sammy par le coude – avec une certaine douceur – et lui passa un bras autour des épaules, l’entraînant vers le bout du couloir par une porte coupe-feu. Il baissa la voix et prit un ton grinçant de conspirateur.
— Sammy, je vais vous faire un aveu. (Il marqua une pause, comme pour donner à Sammy le temps de se sentir reconnaissant de recevoir ses confidences. Sammy était presque – presque ! – trop interloqué pour obtempérer.) Je me sens légèrement dépassé ici. Je ne suis pas un acteur ! J’ai suivi des études d’ingénieur. Il y a deux mois, je lavais le pont sur un cargo. D’accord, j’ai une voix idéale pour la radio. (Il composa ses traits, ses sourcils blonds et sa bouche un peu féminine, et prit une expression ferme, paternelle.) Ça ne suffit pas, et j’en suis conscient. On ne peut pas s’en sortir dans ce métier grâce à ses seuls dons. (Il paraissait si content de la dureté avec laquelle il se traitait que toute trace de celle-ci disparut instantanément.) C’est mon premier grand rôle. Je veux être très, très bon. Si vous pouviez me donner une… vous savez…
— Idée ?
— Exactement. (Du plat de sa main droite, il frappa Sammy sur la poitrine.) C’est ça ! J’espérais que nous pourrions nous asseoir quelque part, tenez, que je pourrais vous payer un verre et que vous me parleriez un petit peu de votre Artiste. Je n’ai aucun problème avec Tom Mayflower.
— Non, vous semblez très bien le posséder.
— Eh bien, oui ! Je suis Tom Mayflower, monsieur Clay, et ceci explique cela. Mais l’Artiste de l’évasion, mon Dieu ! je ne sais pas. Il… il semble tout prendre rudement au sérieux.
— Eh bien, monsieur Bacon, c’est qu’il doit affronter de sérieux problèmes… commença Sammy, grimaçant à cause de sa propre prétention. (Il eût dû être ravi de l’occasion que Bacon lui donnait d’avoir une petite influence sur la réalisation de l’émission radio, il en était conscient. Au contraire, il s’apercevait que Tracy Bacon l’intimidait encore plus qu’avant. Sammy venait d’un pays de bavards impénitents, intarissables et passionnés, et il avait l’habitude des harangues, mais jamais auparavant il ne s’était senti interpellé ainsi, avec une telle puissance de feu, destinée non seulement à ses oreilles mais à ses yeux. Aussi loin qu’il se souvienne, personne de la stature de Tracy Bacon ne lui avait jamais adressé la parole. L’agile demi d’ouverture doré en knickerbockers au sommet du trophée de football américain, qui prenait à bras-le-corps tous les obstacles rencontrés en chemin, n’était pas un type frappé à profusion par Brownsville, Flatbush ou l’école des Arts appliqués. Sammy avait déjà rencontré un ou deux de ces grands dadais à la peau de bébé et à la coupe de potache, cultivés, adeptes du cardigan, au cours de ses brèves immersions dans le monde de Rosa Saks. Mais, assurément, il n’avait jamais été sollicité par l’un d’eux… ou même pris en considération.) Aujourd’hui, le monde a pas mal de problèmes sérieux. (Mon Dieu ! on dirait un principal de collège ! Il ferait mieux de se taire.) Vraiment, je ne peux pas, murmura-t-il, en consultant sa montre. (Il était presque cinq heures dix.) Je vais être en retard à mon dîner.
— Cinq heures, vendredi soir ? (Bacon afficha son sourire à cinquante ampères.) Ça fait poseur.
— Vous ne sauriez imaginer à quel point, dit Sammy.