Le lendemain, grand-papa Joe raconta la suite de son histoire.
« Vois-tu, Charlie, dit-il, il n’y a pas si longtemps, la chocolaterie de Mr. Willy Wonka comptait des milliers d’ouvriers. Puis un jour, soudain, Mr. Wonka dut les prier tous de rentrer chez eux, de ne jamais revenir.
— Mais pourquoi ? demanda Charlie.
— A cause des espions.
— Des espions ?
— Oui. Car tous les autres chocolatiers s’étaient mis à jalouser les merveilleuses confiseries que fabriquait Mr. Wonka, et à lui envoyer des espions pour lui voler ses recettes. Les espions se firent embaucher par la chocolaterie Wonka en se faisant passer pour de simples ouvriers, et cela leur permit, pendant qu’ils y étaient, d’étudier de quoi étaient faites certaines de ses spécialités.
— Et puis ils retournaient à leurs propres usines pour tout raconter ? demanda Charlie.
— Je le pense, répondit grand-papa Joe, puisque, peu après, la Chocolaterie Fickelgruber s’était mise à fabriquer une crème glacée qui ne fondait jamais, même par la plus grande chaleur. Puis la Chocolaterie Prodnose sortit une gomme à mâcher qui ne perdait jamais sa saveur, même après des heures de mastication. Et puis la Chocolaterie Slugworth s’est mise à fabriquer des ballons de confiserie gonflables et crevables avant d’être consommés. Et ainsi de suite, et ainsi de suite. Et Mr. Willy Wonka tira sur sa barbe et hurla : « C’est épouvantable ! Je vais être ruiné ! Des espions partout ! Je serai obligé de fermer mon usine ! »
— Mais il ne l’a pas fermée ! dit Charlie.
— Mais si, il l’a fermée. Après avoir dit à tous ses ouvriers qu’il était navré, mais qu’ils devaient rentrer chez eux, il a fermé la porte cochère et l’a attachée avec une chaîne. Et soudain, la gigantesque chocolaterie Wonka était devenue silencieuse et déserte. Les cheminées avaient cessé de fumer, les machines de ronronner et à partir de ce fameux jour, on n’y fabriquait plus un bonbon, plus une bouchée de chocolat. Plus personne n’entrait ni ne sortait. Pas un chat. Quant à Mr. Willy Wonka, il disparut complètement.
« Des mois et des mois passèrent, poursuivit grand-papa Joe, mais la chocolaterie était toujours fermée. Et tout le monde disait : « Pauvre Mr. Wonka. Il était si gentil. Et il faisait de si merveilleuses sucreries. Le voilà ruiné. Tout est fini ! » « Puis il arriva quelque chose d’étonnant. Un jour, de bon matin, on voyait cinq panaches de fumée blanche sortir des grandes cheminées de la chocolaterie ! Les passants s’arrêtaient en écarquillant les yeux ! « Que se passe-t-il ! s’écrièrent les gens. Quelqu’un a allumé les fourneaux ! Mr. Wonka a dû rouvrir son usine ! » Ils coururent aux portes, s’attendant à les trouver grandes ouvertes, et à y voir Mr. Wonka en train de souhaiter la bienvenue à ses anciens ouvriers.
« Mais non ! Les grandes portes de fer étaient cadenassées plus hermétiquement que jamais et Mr. Wonka, lui, demeurait invisible.
« Mais la chocolaterie fonctionne ! crièrent les gens. Ecoutez les machines ! Elles bourdonnent de nouveau ! Et on sent partout cette odeur de chocolat fondu ! »
Grand-papa Joe se pencha en avant et posa un long doigt décharné sur le genou de Charlie. Puis il dit à voix basse : « Mais ce qu’il y avait de plus mystérieux, Charlie, c’étaient les ombres qu’on apercevait par les fenêtres de l’usine. Car les gens qui marchaient dans la rue pouvaient voir de petites ombres noires qui se déplaçaient derrière les vitres dépolies.
— Les ombres de qui ? demanda vivement Charlie.
— C’est exactement ce que tout le monde voulait savoir. « L’usine est pleine d’ouvriers ! criaient les gens. Pourtant, personne n’est entré ! Les portes sont verrouillées ! C’est insensé ! Et personne ne sort jamais ! » « Mais ce qui ne faisait plus de doute, dit grand-papa Joe, c’est que la chocolaterie fonctionnait. Et pendant les dix dernières années, elle ne devait plus s’arrêter. Et, qui plus est, ses chocolats et ses bonbons étaient encore plus fantastiques, encore plus délicieux qu’avant. Et, naturellement, quand Mr. Wonka invente maintenant une nouvelle et merveilleuse variété de confiserie, ni Mr. Fickelgruber, ni Mr. Prodnose, ni Mr. Slugworth, ni qui que ce soit n’arrive à le copier. Leurs espions ne peuvent plus pénétrer dans l’usine pour s’emparer de la recette.
— Mais qui, grand-papa, s’écria Charlie, qui est-ce qui travaille maintenant pour Mr. Wonka ?
— On n’en sait rien, Charlie.
— Mais c’est absurde ! Personne n’a donc essayé de le demander à Mr. Wonka ?
— Plus personne ne le voit. Il ne sort jamais. Seuls les chocolats et les bonbons sortent de cette usine. Ils en sortent par une trappe spéciale, emballés et libellés, et des camions postaux viennent les chercher tous les jours.
— Mais, grand-papa, qu’est-ce que c’est que ces gens qui travaillent là-dedans ?
— Mon garçon, dit grand-papa Joe, c’est là un des grands mystères du monde chocolatier. Quant à nous autres, nous n’en savons qu’une chose. Ils sont très petits. Les vagues silhouettes qui apparaissent quelquefois derrière les vitres, surtout la nuit quand les lampes sont allumées, ce sont des silhouettes de personnages très petits, pas plus gros qu’un poing…
— Des gens comme ça, ça n’existe pas », dit Charlie.
A cet instant, Mr. Bucket, le père de Charlie, entra dans la pièce. Il rentrait de sa fabrique de dentifrice en brandissant, l’air plutôt excité, un journal du soir. « Connaissez-vous la dernière nouvelle ? » cria-t-il. Il déploya le journal, et ils virent le gros titre. Ce titre disait :
LA CHOCOLATERIE WONKA
OUVRIRA SES PORTES
A QUELQUES ÉLUS