Chapitre 7

Ravivez vos parquets ternis en employant Ubik,
le nouveau revêtement plastique miracle,
extra-brillant, facile à appliquer, antidérapant.
Entièrement inoffensif
s’il est utilisé conformément au mode d’emploi.
Inutile d’astiquer vos parquets pendant des heures ;
ils vous éblouiront au premier coup d’œil.

7

— Le mieux à faire, dit Joe Chip, est de nous rendre directement à Zurich. (Il prit l’audiophone à micro-ondes dont était muni le vaisseau coûteux, bien équipé de Runciter et composa le numéro de code régional pour la Suisse.) En le plaçant dans le même moratorium qu’Ella, nous pourrons les consulter tous les deux en même temps ; ils pourront être reliés électroniquement pour fonctionner à l’unisson l’un de l’autre.

— Protophasiquement, corrigea Don Denny.

— Est-ce que quelqu’un connaît le nom du propriétaire du Moratorium des Frères Bien-Aimés ? demanda Joe.

— Herbert je ne sais plus quoi, dit Tippy Jackson. Un nom allemand.

Wendy Wright réfléchit et dit :

— Herbert Schoenheit von Vogelsang. Je m’en souviens parce que Mr Runciter m’a raconté une fois que ça voulait dire « Herbert, la beauté du chant des oiseaux ». J’aurais aimé avoir un nom pareil. Je me rappelle avoir pensé ça sur le moment.

— Vous pourriez l’épouser, dit Tito Apostos.

— Je vais épouser Joe Chip, fit Wendy d’une voix grave et songeuse, avec un sérieux enfantin.

— Ah ! fit Pat Conley. (Ses yeux noirs étincelaient comme s’ils étaient en fusion.) Vraiment ?

— Vous pouvez aussi changer ça ? demanda Wendy. Avec votre pouvoir ?

— Je vis avec Joe. Je suis sa maîtresse, déclara Pat. D’après notre accord c’est moi qui paie ses factures. Ce matin j’ai payé sa porte pour le laisser sortir de chez lui. Sans moi il serait encore dans son conapt.

— Et notre voyage sur la Lune, ajouta Al Hammond, n’aurait pu avoir lieu. (Il regarda Pat avec une expression intriguée.)

— Peut-être pas aujourd’hui, remarqua Tippy Jackson, mais un autre jour. Quelle différence ? De toute façon, je trouve que c’est très bien pour Joe d’avoir une maîtresse qui lui paye sa porte d’entrée.

Elle donna un coup d’épaule à Joe, avec ce qui parut être à ce dernier un air de connivence grivois. Une sorte de plaisir pris par procuration à ses activités intimes ; il y avait derrière la façade extrovertie de Mrs Jackson l’âme d’une voyeuse.

— Qu’on me passe l’annuaire mondial, dit-il. Je vais prévenir le moratorium pour qu’on nous attende.

Il regarda sa montre. Encore dix minutes de vol.

— Voilà, Mr Chip, dit Jon Ild après avoir fait des recherches ; il tendit à Joe la grande boîte carrée avec son clavier et son microsondeur.

Joe tapa sur le clavier SUI, puis ZUR, et enfin MOR FRE BNAIM.

— C’est comme de l’hébreu, dit Pat derrière lui. Les condensations sémantiques.

Le microsondeur se déplaça d’avant en arrière, en procédant à des sélections et à des éliminations ; puis le mécanisme finit par éjecter une carte perforée que Joe glissa dans la fente réceptrice de l’audiophone.

L’audiophone dit avec une sonorité métallique : « Ce que vous entendez est un enregistrement. » Il expulsa vigoureusement la carte perforée. « Le numéro que vous demandez n’existe plus. Si vous désirez un renseignement, mettez une carte rouge. »

— De quand date cet annuaire ? demanda Joe à Ild qui le rapportait sur l’étagère où il l’avait pris.

Ild examina la mention à l’arrière de la boîte.

— De 1990. Il remonte à deux ans.

— C’est impossible, dit Edie Dorn. Il y a deux ans ce vaisseau n’existait pas. Tout ce qui est à bord est récent.

— Runciter a peut-être fait quelques économies de bouts de chandelle, déclara Tito Apostos.

— Absolument pas, rétorqua Edie. Il a payé une fortune pour le faire construire. Le Pratfall II est sa joie et son orgueil.

— Était sa joie et son orgueil, rectifia Francy Spanish.

— C’est là une idée que je refuse, dit Joe. (Il engagea une carte rouge dans la fente de l’audiophone.) Donnez-moi le numéro actuel du Moratorium des Frères Bien-Aimés, à Zurich en Suisse, demanda-t-il. (Il s’adressa à Francy Spanish :) Ce vaisseau est toujours sa joie et son orgueil parce qu’il existe encore.

Une carte que l’audiophone venait de perforer jaillit de l’orifice ; Joe la transféra dans la fente réceptrice. Cette fois les relais ne protestèrent pas ; sur l’écran se forma un visage jaunâtre à l’air hypocrite, celui de l’onctueux personnage qui dirigeait le Moratorium des Frères Bien-Aimés. Joe se souvint de lui avec répugnance.

— Je suis Herr Herbert Schoenheit von Vogelsang. Venez-vous à moi dans le chagrin, monsieur ? Puis-je vous demander votre nom et votre adresse, au cas où nous serions coupés ? (Il redressa le buste.)

— Il est arrivé un accident, dit Joe.

— Ce que nous appelons accident, débita von Vogelsang, n’est qu’une manifestation de l’œuvre de Dieu. En un sens, la vie tout entière peut être qualifiée d’accident. Et en fait…

— Je ne tiens pas à engager une discussion théologique, coupa Joe. Pas en ce moment.

— C’est pourtant, de tous les moments, celui où les consolations de la théologie sont les plus apaisantes. Le défunt est-il un de vos parents ?

— C’est notre patron, dit Joe. Glen Runciter, président de Runciter Associates à New York. Sa femme Ella est chez vous. Nous atterrirons dans huit ou neuf minutes ; pouvez-vous nous attendre avec un fourgon réfrigéré ?

— Est-il déjà en état de congélation ?

— Non, fit Joe. Il est en train de se rôtir au soleil sur la plage de Tampa en Floride.

— Je suppose que votre amusante réponse signifie que oui.

— Soyez au spatioport de Zurich avec un véhicule, dit Joe, et il raccrocha. (Dire qu’à partir de maintenant, réfléchit-il, il va falloir supporter ce personnage.) Nous aurons Ray Hollis, dit-il aux neutraliseurs groupés autour de lui.

— Vous voulez dire que c’est lui que nous aurons au lieu de Mr von Vogelsang ? demanda Sammy Mundo.

— Je veux dire que nous aurons sa peau, déclara Joe. Pour avoir causé ça.

Glen Runciter, songea-t-il ; debout et congelé dans un cercueil de plastique transparent orné de roses artificielles. Éveillé à la semi-vie une heure par mois. Se détériorant, s’affaiblissant, s’effaçant peu à peu… Grand Dieu, pensa-t-il sauvagement. De tous les hommes au monde. Un homme pareil. Avec une telle vitalité.

— En tout cas, dit Wendy, il sera plus près d’Ella.

— En un sens, dit Joe, j’espère presque que nous l’avons congelé trop… (Il n’acheva pas sa pensée.) Je n’aime pas les moratoriums, reprit-il. Ni les propriétaires de moratoriums. Je n’aime pas cet Herbert Schoenheit von Vogelsang. Pourquoi Runciter préfère-t-il les moratoriums suisses ? Pourquoi pas un à New York ?

— C’est une invention suisse, expliqua Edie Dorn. Et d’après des études impartiales, la durée moyenne de semi-vie d’un individu dans un moratorium suisse est de deux heures plus longue que dans l’un des nôtres. Les Suisses semblent avoir des méthodes spéciales.

— Les Nations unies devraient abolir la semi-vie, dit Joe. C’est une entrave au cycle naturel de la naissance et de la mort.

Ironiquement, Al Hammond dit :

— Si Dieu approuvait la semi-vie, nous naîtrions tous dans un cercueil glacé.

Au pupitre des commandes, Don Denny annonça :

— Nous sommes maintenant sous le contrôle du transmetteur à micro-ondes de Zurich. C’est lui qui se chargera du reste.

Il s’éloigna des commandes, l’air sombre.

— Consolez-vous, lui dit Edie Dorn. Pour parler brutalement, considérez la chance que nous avons eue ; nous pourrions tous être morts en ce moment. Soit à cause de l’explosion, soit par la suite sous des rayons laser. Une fois sur Terre, vous vous sentirez mieux ; on y est plus en sûreté.

— On aurait dû faire attention en sachant que c’était sur la Lune, dit Joe.

Runciter aurait dû faire attention, réalisa-t-il. À cause de cette entourloupette dans la loi qui réglemente l’autorité civile sur la Lune. Runciter disait toujours : Méfiez-vous d’un boulot qui vous fait quitter la Terre. S’il était vivant, il le dirait encore maintenant. Et ne marchez surtout pas si on veut vous envoyer sur la Lune ; trop d’organismes de protection sont tombés dans le panneau. Voilà ce qu’il disait aussi. S’il revit au moratorium, pensa-t-il, c’est la première chose qu’il dira. Je me suis toujours méfié de la Lune. Mais pas assez méfié. Ce boulot-là était trop tentant ; il n’a pas pu résister. Et c’est comme ça qu’ils l’ont eu, en l’appâtant. Comme il avait toujours su que ça arriverait.

Les rétrofusées du vaisseau, actionnées à distance par le transmetteur à micro-ondes de Zurich, se mirent à gronder ; le vaisseau se cabra.

— Joe, dit Tito Apostos, il va falloir que vous préveniez Ella. Vous vous en rendez compte ?

— J’y ai pensé, répondit Joe, depuis notre départ de là-bas.

Le vaisseau, qui ralentissait radicalement, se préparait à l’atterrissage au moyen de ses divers systèmes de servo-assistance homéostatiques.

— Et en plus, continua Joe, il va falloir que j’avertisse la Société de ce qui s’est produit. Ils vont nous passer à la moulinette ; ils vont déclarer que nous avons marché là-dedans tête baissée comme des moutons à l’abattoir.

— Mais la Société est notre amie, dit Sammy Mundo.

— Personne, dit Al Hammond, après un fiasco pareil, n’est notre ami.

 

 

Un aéronef mû par batterie solaire, avec l’enseigne MORATORIUM DES FRÈRES BIEN-AIMÉS, attendait au bord du terrain d’atterrissage à Zurich. À côté se tenait un individu à l’allure de scarabée, vêtu à la mode européenne : toge de tweed, écharpe pourpre, mocassins et bonnet violet en forme d’hélice d’avion. Le propriétaire du moratorium trotta à pas menus vers Joe Chip, tendant sa main gantée, alors que celui-ci parvenait au bas de la rampe de débarquement et prenait pied sur Terre.

— À en juger par votre apparence, votre voyage n’a pas été exactement rempli de joie, fit observer von Vogelsang tandis qu’ils se serraient brièvement la main. Mes employés peuvent-ils monter à bord de votre superbe vaisseau pour commencer la tâche ?

— Oui, fit Joe. Vous pouvez aller le chercher.

Les mains dans les poches, il se dirigea vers la cafétéria de l’astroport, se sentant maussade et morne. À partir de maintenant, songea-t-il, tout rentre dans la routine. Nous sommes revenus sur Terre ; Hollis nous a ratés… nous avons eu de la veine. L’opération lunaire, ce piège à rats sordide, cette horrible expérience, est terminée. Et une nouvelle phase commence, sur laquelle nous n’exerçons aucun contrôle direct.

— Cinq cents, s’il vous plaît, dit la porte de la cafétéria en demeurant fermée devant lui.

Il attendit qu’un couple sorte, profita de l’ouverture de la porte pour se frayer un passage, prit un tabouret libre au comptoir et s’y installa. Se penchant, les mains jointes devant lui, il observa la carte.

— Un café, dit-il.

— Crème ou sucre ? questionna le haut-parleur juché sur la tourelle de commande de la cafétéria.

— Les deux.

Une paroi vitrée, s’ouvrit ; une tasse de café, deux sachets de sucre en poudre et un petit tube de crème fraîche glissèrent vers lui sur le comptoir.

— Un poscred international, s’il vous plaît, dit le haut-parleur.

— Mettez ça sur le compte de Glen Runciter de la firme Runciter Associates à New York, dit Joe.

— Veuillez insérer la carte de crédit adéquate, dit le haut-parleur.

— Il y a cinq ans que je n’ai plus le droit de détenir une carte de crédit, répondit Joe. Je paye toujours ce que je dois en…

— Un poscred, s’il vous plaît, répéta le haut-parleur. (Il se mit à tictaquer de façon menaçante.) Sinon dans dix secondes j’avertis la police.

Joe donna le poscred. Le tic-tac s’arrêta.

— Nous pouvons nous passer de gens comme vous, dit le haut-parleur.

— Un de ces jours, fit Joe avec colère, les gens comme moi se dresseront pour vous renverser, et la fin de la tyrannie des machines homéostatiques sera arrivée. Le temps de la chaleur humaine et de la compassion reviendra, et quand ça se produira quelqu’un comme moi qui sort d’une rude épreuve et qui a grand besoin d’un café chaud pour se remettre pourra se le faire servir même s’il n’a pas de poscred à donner. (Il voulut verser le tube de crème et le reposa.) Et en plus votre crème est tournée, ou votre lait ou je ne sais quoi. Le haut-parleur resta silencieux.

— Vous n’avez plus rien à dire ? demanda Joe. Vous étiez plus bavard quand vous réclamiez un poscred.

La porte payante de la cafétéria s’ouvrit et Al Hammond entra ; il se dirigea vers Joe et s’assit à côté de lui.

— Les types du moratorium ont installé Runciter dans l’aéronef. Ils sont prêts à partir et veulent savoir si vous venez.

— Regardez-moi cette crème, dit Joe. (Il souleva le tube transparent ; son contenu était caillé et collait en plaques contre les bords.) Voilà ce qu’on vous offre pour un poscred dans une des villes les plus modernes, les plus avancées technologiquement de la Terre. Je ne partirai pas d’ici avant d’avoir été dédommagé, soit qu’on me rende mon poscred, soit qu’on me donne un autre tube de crème pour que je puisse boire mon café.

Al Hammond posa une main sur l’épaule de Joe et le dévisagea.

— Qu’est-ce qui se passe, Joe ?

— D’abord ma cigarette, fit Joe. Ensuite l’annuaire vieux de deux ans. Et maintenant on me sert une crème tournée depuis des semaines. Je ne pige pas, Al.

— Buvez ce café noir, dit Al. Et sortons d’ici qu’ils puissent emmener Runciter au moratorium. Vous partirez avec eux et nous attendrons votre retour à bord. Ensuite nous irons au bureau de la Société le plus proche pour faire notre rapport.

Joe prit sa tasse et y trouva un café froid, épaissi et décomposé ; une moisissure blanchâtre recouvrait la surface. Il reposa la tasse avec répulsion. Qu’est-ce que c’est que ça ? pensa-t-il. Qu’est-ce qui m’arrive ? Soudain sa répulsion se mua en une panique étrange et nébuleuse.

— Allons Joe, reprit Al en appuyant plus fermement de la main sur son épaule. Tant pis pour le café ; ça ne compte pas. L’important, c’est de conduire Runciter au…

— Vous savez qui m’a donné ce poscred ? demanda Joe. Pat Conley. Et j’ai fait aussitôt ce que je fais toujours avec l’argent ; je l’ai bousillé pour rien. Pour une tasse de café de l’an dernier. (Il se leva de son tabouret, accompagné dans son mouvement par la main d’Al Hammond.) Si vous veniez avec moi au moratorium ? J’aurai besoin d’être épaulé par quelqu’un, surtout pour conférer avec Ella. Qu’est-ce qu’on va faire, mettre les choses sur le dos de Runciter ? Dire que c’est lui qui a décidé qu’on irait tous sur la Lune ? C’est la vérité. Ou peut-être lui raconter autre chose, prétendre que son vaisseau s’est écrasé ou que sa mort est due à des causes naturelles.

— Mais si Runciter entre en contact avec elle, il lui dira la vérité, objecta Al. Impossible de mentir.

Ils quittèrent la cafétéria et se dirigèrent vers l’aéronef du Moratorium des Frères Bien-Aimés.

— Après tout je peux laisser Runciter la mettre au courant, continua Joe tandis qu’ils y montaient. Pourquoi pas ? C’est lui qui a voulu aller sur la Lune ; qu’il lui explique les événements. Et puis il a l’habitude de lui parler.

— Prêts, messieurs ? s’enquit von Vogelsang assis aux commandes de l’appareil. Nous prenons avec tristesse la direction de la dernière demeure de Mr Runciter ?

Joe grogna son assentiment et regarda par le hublot, fixant les bâtiments du spatioport de Zurich.

— Oui, partons, ajouta Al Hammond.

Au moment où l’engin décollait, le propriétaire du moratorium appuya sur un bouton du tableau de commandes. À travers la cabine, d’une douzaine de sources sonores s’élevèrent les accents de la Missa Solemnis de Beethoven, avec les chœurs chantant « Agnus Dei, qui tollis peccata mundi », accompagnés par un orchestre symphonique électroniquement augmenté.

— Saviez-vous que Toscanini chantait en même temps que les solistes quand il dirigeait un opéra ? demanda Joe. Dans son enregistrement de La Traviata, on l’entend distinctement durant l’aria Sempre libera.

— J’ignorais, dit Al.

Il observait les ensembles résidentiels robustes et lisses de Zurich qui défilaient sous eux, en une procession digne et majestueuse que Joe se surprit aussi à examiner.

— Libera me, Domine, déclara Joe.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Ça veut dire : « Seigneur, délivrez-moi. » Vous ne le saviez pas ? Je pensais que tout le monde le savait.

— Qu’est-ce qui vous y a fait penser ? dit Al.

— La musique, cette saleté de musique. (Joe dit à von Vogelsang :) Vous ne pouvez pas arrêter votre bazar ? Runciter ne peut pas l’écouter. Il n’y a que moi qui l’entends, et je n’en ai pas envie. (Il poursuivit à l’intention d’Al :) Vous non plus, non ?

— Du calme, Joe, dit Al.

— Nous emmenons notre défunt patron à un endroit qui s’appelle le Moratorium des Frères Bien-Aimés, fit Joe, et il dit : Du calme. Vous savez, Runciter n’était pas obligé de nous accompagner sur la Lune ; il aurait pu nous envoyer là-bas et rester à New York. Et maintenant l’homme le plus vivant, le plus amoureux de la vie que j’aie jamais rencontré ne serait pas…

— Le conseil que vous donne votre compagnon à peau sombre est bon, intervint le propriétaire du moratorium.

— Quel conseil ? demanda Joe.

— Celui de vous calmer. (Von Vogelsang ouvrit la boîte à gants à droite du tableau de commandes et en sortit un étui multicolore qu’il tendit à Joe.) Prenez-en une tablette, Mr Chip.

— Du chewing-gum tranquillisant, dit Joe en acceptant l’étui. (Il l’ouvrit machinalement.) Du chewing-gum tranquillisant parfumé à la pêche. (Il se tourna vers Al.) Il faut que je prenne ça ?

— Vous devriez, dit Al.

— Runciter n’aurait jamais absorbé un tranquillisant dans des circonstances pareilles, dit Joe. Glen Runciter n’a jamais pris un tranquillisant de sa vie. Vous savez ce que je réalise maintenant, Al ? C’est qu’il a donné sa vie pour sauver la nôtre. D’une façon indirecte.

— Très indirecte, dit Al. Nous arrivons, ajouta-t-il. (L’aéronef descendait vers un toit-terrasse en contrebas.) Est-ce que vous arriverez à prendre sur vous ? demanda-t-il à Joe.

— Je prendrai sur moi, fit Joe, quand j’entendrai à nouveau la voix de Runciter. Quand je saurai qu’une certaine forme de vie, de semi-vie, est toujours en lui.

Le propriétaire du moratorium dit avec entrain :

— À votre place je ne m’inquiéterais pas pour ça, Mr Chip. Nous obtenons le plus souvent un flux protophasique suffisant. Tout au moins au début. C’est plus tard, quand la période de semi-vie tire à sa fin, que le cœur se trouve déchiré. Mais, avec les précautions d’usage, on peut retarder cette échéance pendant des années. (Il arrêta le moteur et actionna une manette qui fit glisser latéralement la portière de la cabine.) Bienvenue au Moratorium des Frères Bien-Aimés, continua-t-il en les emmenant avec lui. Miss Beason, ma secrétaire privée, vous accompagnera jusqu’à un salon de consultation ; si vous voulez bien attendre là, en vous abandonnant à l’influence bienfaisante des couleurs et des formes, je vous introduirai auprès de Mr Runciter dès que mes techniciens pourront établir la liaison avec lui.

— Je veux assister à tout, dit Joe. Je veux voir vos techniciens le ramener à la conscience.

Von Vogelsang dit à Al :

— Si vous êtes son ami, vous pourriez peut-être lui faire comprendre…

— Il faut que nous attendions au salon, Joe, fit Al. Joe le regarda férocement.

— Espèce d’oncle Tom, lâcha-t-il.

— Le règlement est le même dans tous les moratoriums, dit Al. Allons au salon.

— Ça sera long ? demanda Joe à von Vogelsang.

— Nous saurons à quoi nous en tenir au bout d’un quart d’heure. Si à ce moment-là nous n’avons pas obtenu de signal mesurable…

— Vous n’allez essayer qu’un quart d’heure ? questionna Joe. (Il dit à Al :) Ils ne vont essayer qu’un quart d’heure de ramener à la vie un homme plus grand que nous tous réunis. (Il avait envie de pleurer. De sangloter.) Venez, dit-il à Al.

— C’est vous qui venez, dit Al. Au salon. Joe le suivit dans le salon.

— Une cigarette ? proposa Al en s’asseyant sur une banquette en peau de buffle synthétique ; il offrit son paquet à Joe.

— Elles sont trop vieilles, dit Joe.

Il n’avait pas besoin d’en prendre une, d’en toucher une, pour le savoir.

— Oui, c’est vrai. (Al reposa le paquet.) Comment le saviez-vous ? (Il attendit.) Vous êtes plus facilement découragé que n’importe qui. Nous avons de la chance d’être en vie. C’est nous, nous tous, qui pourrions être congelés là-bas. Et Runciter qui pourrait être assis dans ce salon aux couleurs loufoques.

Il regarda sa montre.

— Toutes les cigarettes du monde sont trop vieilles, reprit Joe. (Il consulta sa montre à son tour.) Moins dix. (Il médita, en proie à trop de pensées moroses, au déroulement anarchique et décousu ; elles nageaient à l’intérieur de lui comme des poissons d’argent. Des peurs, des aversions bénignes, des appréhensions. Et tous les poissons d’argent remontaient à la source pour renaître sous forme de peur.) Si Runciter était vivant, dit-il, s’il était assis dans ce salon à notre place, tout irait bien. Je ne sais pas pourquoi mais c’est comme ça. (Il se demanda ce qui se passait à cet instant entre les techniciens du moratorium et les restes de Glen Runciter.) Vous vous souvenez des dentistes ? demanda-t-il à Al.

— Je ne m’en souviens pas mais je sais ce que c’était.

— Les dents des gens s’abîmaient à l’époque.

— Je sais.

— Mon père me racontait ce qu’on ressentait dans le salon d’attente d’un dentiste. Chaque fois que l’assistante ouvrait la porte on pensait : Ça y est, voilà de quoi j’ai eu peur toute ma vie.

— Et c’est l’impression que vous avez en ce moment ? questionna Al.

— Je suis en train de penser : Bon Dieu, pourquoi est-ce que ce dégénéré minable qui est le patron de cette turne ne s’amène pas pour nous dire ça y est, il est vivant, Runciter est vivant. Ou bien il ne l’est pas. L’un ou l’autre. Oui ou non.

— C’est presque toujours oui. Comme von Vogelsang l’a dit, les statistiques montrent que…

— Dans notre cas ça sera non.

— Rien ne nous permet de l’affirmer.

— Je me demande si Ray Hollis a une succursale à Zurich, dit Joe.

— Bien sûr que oui. Mais au moment où vous aurez contacté un de leurs précogs, nous serons déjà fixés.

— Je vais vidphoner à un précog, dit Joe. Je vais en avoir un tout de suite au bout du fil. (Il se leva, se demandant où trouver une cabine.) Il me faut une pièce de vingt-cinq cents.

Al secoua la tête.

— En un sens, reprit Joe, vous êtes mon employé ; vous devez faire ce que je vous dis, sinon je vous vire. À l’instant de la mort de Runciter j’ai pris la firme en main. Je suis le patron depuis que la bombe a explosé ; c’est moi qui ai décidé de le conduire ici, et c’est moi qui décide de consulter deux minutes un précog. Allez, donnez-moi cette pièce.

Il tendait la main.

— Runciter Associates, fit Al, avec à sa tête un type qui ne peut pas garder cinquante cents sur lui. Voilà la pièce. (Il la sortit de sa poche et la lança à Joe.) Pensez à l’ajouter sur ma prochaine feuille de paye.

Joe quitta le salon et déambula le long d’un corridor, en se frottant le front d’un geste vague. Cet endroit n’est pas normal, pensa-t-il. Il est à mi-chemin de la vie et de la mort. Je suis à la tête de Runciter Associates, réalisa-t-il, si on ne tient pas compte d’Ella qui n’est pas en vie et qui ne peut parler que si je viens ici la réactiver. Je sais ce que stipule le testament de Glen Runciter, qui est maintenant automatiquement entré en vigueur ; c’est moi qui assure l’intérim jusqu’à ce qu’Ella, ou Ella et lui s’ils arrivent à le faire revivre, choisisse un successeur. Ils doivent se mettre d’accord ; les deux testaments le spécifient. Peut-être, se dit-il, décideront-ils que je peux rester le patron.

Non, admit-il, ça n’arrivera jamais. Pas quelqu’un qui n’est pas capable de faire face à ses responsabilités fiscales. Autre chose qu’un précog de Hollis saurait, songea-t-il. Je peux apprendre par eux si je serai nommé ou non directeur de la firme. En dehors de tout le reste, ça vaut le coup de savoir ça. Il faut de toute façon que je contacte ce précog.

— Où y a-t-il une cabine de vidphone ? demanda-t-il à un employé en uniforme du moratorium. L’employé lui indiqua le chemin. « Merci », fit-il en s’éloignant, et au bout d’un moment il finit par trouver le vidphone. Il décrocha le récepteur, attendit la tonalité et inséra la pièce qu’Al lui avait remise.

— Je regrette, monsieur, dit le vidphone, mais je ne peux accepter de pièce hors d’usage.

La pièce de vingt-cinq cents sortit du bas de l’appareil et tomba à ses pieds, comme expulsée avec dégoût.

— Je ne comprends pas, dit-il en se baissant avec gaucherie pour la ramasser. On n’accepte plus de pièces de la Confédération Nord-Américaine maintenant ?

— Je regrette, monsieur, répéta le vidphone, cette pièce ne provient pas de la Confédération Nord-Américaine ; c’est un spécimen d’une émission de la Monnaie de Philadelphie au temps des États-Unis d’Amérique. Elle est depuis longtemps retirée de la circulation et ne présente plus qu’un intérêt numismatique.

Joe examina la pièce et vit, sur sa surface ternie, le profil en relief de George Washington ainsi que la date. La pièce était vieille de quarante ans. Et, comme l’avait précisé le vidphone, depuis longtemps retirée de la circulation.

— Vous avez des ennuis, monsieur ? demanda un employé du moratorium qui s’approchait aimablement. J’ai vu que l’appareil refusait votre pièce. Vous permettez que je l’examine ? (Il tendit la main et Joe lui donna la pièce.) Je vous l’échange contre une pièce de dix francs suisses que le vidphone acceptera.

— D’accord, dit Joe.

Il fit l’échange, mit la pièce de dix francs dans le vidphone et composa le numéro international détaxé de Hollis.

— Hollis Tous Pouvoirs, énonça une voix féminine sophistiquée à son oreille, tandis que sur l’écran se formait un visage de femme rehaussé par les artifices esthétiques les plus recherchés.

— Oh ! Mr Chip, dit la femme en le reconnaissant. Mr Hollis avait prévenu que vous appelleriez. Nous vous avons attendu tout l’après-midi.

Ces précogs, pensa Joe.

— Mr Hollis, continua la femme, a demandé que votre appel lui soit directement transmis ; il désire veiller personnellement à vos besoins. Voulez-vous patienter pendant que je relaie la communication ? Juste un instant, Mr Chip ; vous allez maintenant être mis en contact avec Mr Hollis.

Sa figure disparut de l’écran et celui-ci resta vide. Puis un visage bleuté et rébarbatif aux yeux enfoncés devint peu à peu distinct, tête isolée qui semblait flotter mystérieusement sans corps et sans cou. Les yeux ressemblaient à des pierres précieuses présentant un défaut ; ils scintillaient mais les facettes étaient irrégulières ; les yeux projetaient des faisceaux lumineux dans des directions disparates. « Bonjour, Mr Chip. »

Ainsi, se dit Joe, voilà de quoi il a l’air. Les photographies ne rendaient pas cette imperfection des plans et des surfaces, comme si tout cet édifice fragile était un jour tombé et s’était réduit en miettes, pour être recollé avec quelques bavures.

— La Société, déclara-t-il, va recevoir un rapport détaillé sur l’assassinat que vous avez commis contre la personne de Glen Runciter. Ils ont des tas de spécialistes juridiques ; vous aurez affaire à la justice pour le restant de vos jours. (Il attendit une réaction, mais le visage ne broncha pas.) Nous savons que c’est vous qui l’avez tué, ajouta-t-il, tout en sentant la futilité, la banalité de ce qu’il disait.

— En ce qui concerne la raison de votre appel, dit Hollis d’une voix glissante qui évoquait pour Joe un grouillement de serpents, je vous précise que Mr Runciter ne va pas…

En tremblant, Joe raccrocha.

Il s’engagea dans le corridor par lequel il était venu et rejoignit le salon où Al Hammond, morose, était occupé à émietter une cigarette desséchée. Il y eut un moment de silence, puis Al leva la tête.

— C’est non, fit Joe.

— Von Vogelsang est venu vous demander, dit Al. Il avait un drôle d’air, et c’était facile de deviner ce qui se passe là-bas. Il n’a rien osé dire, mais il est évident que la réponse n’est pas positive. Alors qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

— On règle son compte à Hollis.

— On n’y arrivera pas.

— La Société…

Joe s’interrompit. Le propriétaire du moratorium venait d’entrer, l’air hagard et nerveux sous une façade austère et détachée.

— Nous avons fait notre possible, annonça-t-il. À des températures aussi basses, rien ne peut théoriquement faire obstacle à l’émission du flux encéphalique ; il n’y a pas de résistance perceptible à moins 150°. Nous aurions dû capter un signal net et puissant, mais l’amplificateur ne nous a transmis qu’un bourdonnement continu sur soixante cycles. Rappelez-vous bien, en tout cas, que ce n’est pas nous qui avons supervisé les opérations de congélation initiales. Ne l’oubliez surtout pas.

— Nous ne l’oublions pas, dit Al. (Il se leva avec raideur et fit face à Joe.) Bon, ça règle la question.

— Il faut que je parle à Ella, dit Joe.

— Maintenant ? dit Al. Il vaut mieux attendre demain pour savoir quoi lui dire. Rentrez vous coucher.

— Rentrer me coucher, déclara Joe, c’est le faire avec Pat Conley. Je ne suis pas non plus en état de la supporter.

— Prenez une chambre d’hôtel à Zurich, suggéra Al. Disparaissez de la circulation. Je retournerai au vaisseau, je mettrai les autres au courant et je ferai le rapport pour la Société. Vous n’avez qu’à me déléguer vos pouvoirs par écrit. (Il s’adressa à von Vogelsang :) Donnez-nous du papier et un stylo.

— Vous savez à qui j’aurais envie de parler ? demanda Joe tandis que le propriétaire du moratorium sortait chercher ce qui lui avait été demandé. À Wendy Wright. Elle saurait quoi faire. J’attache de l’importance à son opinion. Pourquoi ça ? Je me le demande. Je la connais à peine.

Il s’aperçut alors qu’un fond sonore musical baignait en sourdine le salon. Il était là depuis le début. Comme dans l’aéronef. « Dies irae, dies illa » chantaient des chœurs dans un registre grave. « Solvet saeclum in favilla, teste David cum Sybilla. » Le Requiem de Verdi, il le reconnaissait. C’était sans doute von Vogelsang lui-même qui le branchait chaque matin, en arrivant sur les lieux.

— Quand vous serez à l’hôtel, poursuivait Al, je pourrai sans doute persuader Wendy Wright de vous rejoindre dans votre chambre.

— Ce serait immoral, remarqua Joe.

— Comment ? s’étonna Al. À un moment pareil ? Alors que la firme entière menace de sombrer si vous ne vous ressaisissez pas ? Tout ce qui peut vous aider à remonter la pente est souhaitable et même nécessaire. Retournez au vidphone, contactez un hôtel et revenez me dire son nom ainsi que…

— Notre argent est inutilisable, interrompit Joe. Je ne peux pas me servir du vidphone, à moins de trouver un autre collectionneur de monnaie qui m’échange une pièce de dix francs suisses contre la mienne.

— Grand Dieu, fit Al ; il grogna un soupir et secoua la tête.

— Et alors, c’est ma faute ? demanda Joe. C’est moi qui ai rendu hors d’usage la pièce que vous m’avez donnée ? (Il sentait la colère l’envahir.)

— En un sens bizarre, reconnut Al, oui, c’est votre faute. Mais je ne sais pas comment. Un jour peut-être je trouverai. Bon, nous retournons tous les deux à bord du Pratfall II. Vous prendrez Wendy sur place et vous l’emmènerez avec vous à l’hôtel.

« Quantus tremor est futurus » chantaient les chœurs, « quando judex est venturus, cuncta stricte discussurus. »

— Et je paierai l’hôtel comment ? Ils n’accepteront pas plus notre argent que le vidphone.

En jurant entre ses dents, Al sortit son portefeuille et étudia les billets qui s’y trouvaient.

— Ils sont vieux mais toujours en circulation. (Il inspecta la monnaie dans ses poches.) Ces pièces par contre ne sont plus valables. (Il les jeta sur le tapis du salon en s’en débarrassant avec dégoût, comme le vidphone.) Prenez ces billets. (Il les tendit à Joe.) Il y a de quoi payer la chambre pour une nuit, le dîner et quelques verres pour tous les deux. Demain j’enverrai de New York une fusée pour vous chercher.

— Je vous rembourserai, assura Joe. En tant que directeur temporaire de Runciter Associates, je toucherai un salaire plus élevé ; je pourrai payer toutes mes dettes, y compris les arriérés d’impôts avec les pénalités et les amendes que les gens du fisc ont…

— Sans Pat Conley ? Sans son aide ?

— Je peux la balancer à la minute même, dit Joe.

— J’en doute, fit Al.

— C’est un nouveau départ pour moi. Une nouvelle vie qui commence.

Je peux diriger la firme, se dit-il. Je ne ferai sûrement pas la même erreur que Runciter ; Hollis, se faisant passer pour Stanton Mick, ne m’attirera pas dans un piège ainsi que mes neutraliseurs.

— À mon avis, observa Al d’une voix sourde, vous avez le goût de l’échec. On ne peut rien y changer, même dans les circonstances présentes.

— C’est faux, dit Joe, j’ai la volonté de réussir. Glen Runciter le savait, et c’est pour ça que dans son testament il m’a désigné comme intérimaire, au cas où il mourrait et ne pourrait être réanimé.

Sa confiance en lui augmentait ; il voyait maintenant les multiples possibilités qui l’attendaient, aussi clairement que s’il avait eu des facultés précogs. Puis il se souvint du pouvoir de Pat. De ce qu’elle pouvait faire aux précogs, du sort qu’elle réservait à toute tentative de prévoir le futur.

« Tuba mirum spargens sonum » continuaient les chœurs, « per spulchra regionum, coget omnes ante thronum. »

Al déchiffra son expression et dit :

— Vous ne la balancerez pas. Pas avec ce qu’elle est capable de faire.

— Je vais louer une chambre au Rootes Hotel de Zurich, décida Joe. Pour Wendy, c’est d’accord.

Mais, pensa-t-il, Al a raison. Ça ne collera pas ; Pat, ou même quelque chose de pire, va intervenir et me détruire. Je suis condamné, au sens classique du terme. Une image s’imposa à son cerveau agité et fatigué : celle d’un oiseau prisonnier d’une toile d’araignée géante. L’image semblait avoir la patine du temps, et il en était effrayé ; cette ancienneté paraissait réelle, au pied de la lettre. Et elle avait en même temps quelque chose de prophétique. Mais il ne pouvait déterminer exactement quoi. Les pièces de monnaie, songea-t-il. Retirées de la circulation, refusées par le vidphone. Des objets de collection. Comme ceux qu’on trouve dans les musées. Est-ce que c’était ça ? Difficile à dire. Il ne pouvait rien savoir en réalité.

« Mors stupebit et natura » chantaient les chœurs, « cum resurget creatura, judicanti responsura. » Et ils continuaient de psalmodier sans trêve.