8
Un général à vendre
Le premier trait de génie de Dolly fut le chapeau. Elle choisit une chapka bleu sarcelle, en fourrure, dont les oreillettes couvriraient les feuilles de chou semblables à des abricots secs du général, si vilaines qu’il valait mieux les cacher.
Lorsqu’elle vit la photo du général dans le Times quelques jours plus tard, Dolly faillit avaler de travers ses œufs pochés : il ressemblait à un énorme bébé malade, doté d’une gigantesque moustache et d’un double menton. Les gros titres n’auraient pu être pires :
LE COUVRE-CHEF EXTRAVAGANT DU GÉNÉRAL B.
RENFORCE LES RUMEURS DE CANCER
L’AGITATION S’INTENSIFIE DANS SON PAYS
Dolly bondit dans sa cuisine minable et s’agita, renversant du thé sur son peignoir. Après avoir examiné fébrilement le cliché, elle comprit : les cordons. Ils n’avaient pas respecté ses instructions de les couper, le nœud pelucheux sous le double menton du général était hideux. Dolly courut pieds nus dans sa chambre-bureau et feuilleta des pages de fax, cherchant les numéros les plus récents qu’elle était censée composer pour joindre Arc, le capitaine chargé des relations publiques du général. Même si ce dernier se déplaçait beaucoup pour échapper aux tentatives d’assassinat, Arc n’oubliait jamais d’envoyer à Dolly la mise à jour de leurs coordonnées. Ces fax arrivaient d’ordinaire vers trois heures du matin, réveillant Dolly et parfois Lulu, sa fille. Une perturbation à laquelle Dolly se gardait de faire allusion ; le général et son entourage s’imaginaient qu’elle était la meilleure publiciste de New York et que son télécopieur trônait dans un bureau d’angle jouissant d’une vue panoramique sur la ville (ce qui avait effectivement été le cas pendant de nombreuses années), et non pas à vingt centimètres de son clic-clac. Un malentendu que Dolly attribuait à de vieux articles de Vanity Fair, InStyle ou People qui la décrivaient en employant son surnom de l’époque : La Doll.
L’appel du clan du général était tombé à point nommé : Dolly venait de mettre son dernier bijou au clou. Elle corrigeait des manuels scolaires jusqu’à deux heures du matin, dormait jusqu’à cinq puis s’entretenait poliment au téléphone avec des interlocuteurs désireux de parler anglais résidant à Tokyo jusqu’au moment où il fallait réveiller Lulu et lui préparer son petit-déjeuner. Autant d’activités qui lui rapportaient à peine de quoi laisser Lulu à l’école de filles de Miss Rutgers. Les trois heures consacrées au sommeil de Dolly se consumaient souvent en spasmes d’inquiétude à l’idée du montant exorbitant de la prochaine facture des frais de scolarité.
Puis Arc avait téléphoné. Le général voulait l’exclusivité. Il voulait la réhabilitation, la compassion des Américains, la fin des tentatives d’assassinat de la part de la CIA. Kadhafi y était bien arrivé, alors pourquoi pas lui ? Dolly s’interrogea très sérieusement : n’était-ce pas une hallucination due au surmenage et aux nuits blanches ? Elle n’en donna pas moins un prix. Après avoir noté ses références bancaires, Arc fit observer : « Le général s’attendait à ce que vos honoraires soient plus élevés. » Dolly eût-elle été capable de parler qu’elle aurait dit : C’est l’avance pour une semaine, hombre, pas pour un mois ou : Ça ne couvre que la période d’essai de quinze jours dont j’ai besoin pour savoir si je vais accepter de travailler pour vous. Sauf que Dolly était incapable de proférer une parole, elle pleurait.
À l’arrivée du premier virement sur son compte, Dolly ressentit un tel soulagement qu’il étouffa presque la petite voix intérieure qui lui soufflait : Ton client est un dictateur génocidaire. Dolly ne s’était pas privée de travailler avec des salopards. Si elle ne prenait pas ce boulot, il lui filerait sous le nez. Une publicitaire ne jugeait pas ses clients – ces excuses, alignées en rang serré, étaient prêtes à se déployer au cas où la petite voix dissidente trouverait le courage de s’exprimer suffisamment fort. Ces derniers temps, toutefois, Dolly ne l’entendait pas.
Alors qu’elle foulait son tapis persan élimé d’un pas précipité et cherchait le dernier numéro du général, le téléphone sonna. Il était six heures du matin. Dolly plongea vers l’appareil, espérant du fond du cœur que le sommeil de Lulu ne serait pas troublé.
« Allô ? » Elle savait qui l’appelait.
« Nous ne sommes pas satisfaits, déclara Arc.
— Moi non plus. Vous n’avez pas coupé les…
— Le général n’est pas content.
— Arc, écoutez-moi. Il faut que vous coupiez les…
— Le général n’est pas content, mademoiselle Peale.
— Écoutez-moi, Arc.
— Il n’est pas content.
— C’est à cause de… Prenez des ciseaux…
— Il n’est pas content, mademoiselle Peale. »
Dolly se tut. Parfois, elle était sûre de déceler une pointe d’ironie dans le ton monocorde et suave avec lequel Arc répétait les mots qu’on lui avait ordonnés de prononcer, comme s’il s’adressait à elle en langage codé. Le silence se prolongeait. Dolly le rompit, parlant très doucement : « Arc, prenez des ciseaux et coupez les cordons de la chapka. Il ne faut surtout pas qu’il y ait un nœud sous le menton du général.
— Il ne portera plus ce chapeau.
— Il le doit.
— Il ne le portera pas. Il refuse.
— Coupez les cordons, Arc.
— Des bruits nous sont parvenus, mademoiselle Peale. »
Son sang ne fit qu’un tour : « Lesquels ?
— Que vous n’êtes plus la meilleure. Et voilà que le chapeau est un échec. »
Dolly eut l’impression d’être cernée par des forces négatives. Sous sa fenêtre, les voitures roulaient en vrombissant sur la Huitième Avenue, tandis qu’elle tripotait ses cheveux frisés qu’elle ne décolorait plus et laissait pousser en longues mèches grises. Elle était au pied du mur.
« J’ai des ennemis, Arc. Exactement comme le général », expliqua-t-elle.
Il resta muet.
« Si vous écoutez mes ennemis, je ne pourrai pas faire mon boulot. Maintenant, écrivez avec l’élégant stylo que je vois dans votre poche chaque fois qu’une photo de vous paraît dans les journaux : Couper les cordons du chapeau. Défaire le nœud. Pousser le chapeau de façon à ce que des mèches du général s’en échappent. Suivez mes consignes, Arc, et nous verrons ce qui se passera. »
Vêtue d’un pyjama rose, Lulu était entrée dans la pièce en se frottant les yeux. Dolly consulta sa montre, s’aperçut que sa fille avait perdu une demi-heure de sommeil et son cœur se serra à l’idée qu’elle puisse être fatiguée à l’école. Elle entoura d’un bras les épaules de Lulu. L’enfant resta impassible, sans se départir de l’attitude hautaine qui la caractérisait.
Dolly avait oublié Arc, qui parla dans le combiné coincé contre son cou : « Je vais faire cela, mademoiselle Peale. »
Plusieurs semaines s’écoulèrent avant que la photo du général paraisse à nouveau. Cette fois, le chapeau était en arrière et les cordons avaient disparu. Les gros titres annonçaient :
EXAGÉRATION PLAUSIBLE DE L’IMPORTANCE
DES CRIMES DE GUERRE DE B.,
UNE NOUVELLE PREUVE LE DÉMONTRE
Grâce au chapeau, il était à croquer. Comment un homme coiffé d’une chapka en fourrure bleue aurait-il pu paver ses routes d’os humains ?
La Doll avait fait faillite à la Saint-Sylvestre, deux ans auparavant, à l’occasion d’un réveillon attendu avec impatience par les sommités se piquant de culture historique et triées sur le volet qu’elle avait invitées pour rivaliser avec le bal Noir et Blanc1 de Truman Capote. On l’appelait la Réception ou la Liste, au sens de : Il est sur la liste ? Une réception pour fêter quoi au juste ? Rétrospectivement, Dolly ne le savait plus vraiment – la richesse plus fabuleuse que jamais des Américains malgré le chambardement du monde ? Même si les hôtes symboliques étaient connus et célèbres, il était de notoriété publique que c’était La Doll qui recevait. Elle avait davantage de relations, d’entregent et de tours dans son sac que tous ces sponsors réunis. Sauf que La Doll avait commis une erreur très humaine – du moins s’efforçait-elle de se consoler ainsi les nuits où les souvenirs de sa débâcle la torturaient à la manière d’un tisonnier chauffé au rouge, la poussant à se contorsionner sur son clic-clac et à boire du cognac au goulot. Elle s’était crue capable d’excellence dans d’autres domaines que l’organisation de fêtes réunissant un grand nombre de personnes. Le design, entre autres. La Doll avait eu une vision : de grands bacs translucides remplis d’eau et d’huile, suspendus sous des spots multicolores dont la chaleur créerait spirales, bulles et volutes dans les liquides antagonistes. Elle avait imaginé les invités se dévissant le cou, subjugués par les formes aqueuses dansantes. Effectivement, ils avaient levé les yeux, émerveillés par les bacs incandescents. La Doll n’avait pas manqué de le remarquer depuis le petit box qu’elle avait fait construire en hauteur, d’un côté de la salle, pour jouir d’une vue panoramique sur sa réalisation. Aussi avait-elle été la première à constater, à l’approche de minuit, l’oscillation des bacs pleins d’eau et d’huile – ils penchaient légèrement, non ? En d’autres termes, ils s’affaissaient comme des sacs sur leurs chaînes et fondaient. L’instant d’après, ils commencèrent à basculer, se déformer, dégringoler, éclaboussant d’huile bouillante les têtes de gens célèbres d’Amérique et d’autres pays. Qui furent brûlés, marqués, mutilés, au sens où des cicatrices en forme de larme sur le front d’une vedette de cinéma ou de petite tonsure sur le crâne d’un marchand d’art, d’un mannequin ou d’une personnalité quelconque, constituent une mutilation. Mais quelque chose s’était brisé en La Doll, qui se trouvait loin de l’huile embrasée : elle n’avait pas appelé le 911. Pétrifiée, frappée d’incrédulité, elle avait regardé ses invités hurler, chanceler, se couvrir la tête, arracher leurs vêtements mouillés et brûlants, ramper sur le sol, tels les personnages d’un retable du Moyen Âge précipités en enfer à titre de châtiment pour avoir vécu dans l’opulence.
Les accusations qui fusèrent par la suite – elle l’avait fait exprès, c’était une sadique qui avait pris plaisir à la souffrance des autres – furent plus atroces pour La Doll que l’horrible spectacle de l’écoulement implacable de l’huile sur la tête de ses cinq cents invités. Sur le moment, le cocon protecteur du choc l’avait anesthésiée. En revanche, ce fut dans un état de lucidité absolue qu’elle encaissa les répercussions de la catastrophe. On la détestait. On ne la considérait plus comme un être humain. On ne songeait qu’à l’écraser comme un rat ou un insecte. On y réussit. Avant même qu’elle ait purgé sa peine de six mois, avant le recours collectif en justice qui aboutit à la distribution de ses biens (nettement moins importants qu’escomptés) à ses victimes, La Doll n’existait plus. Anéantie. À sa sortie de prison, elle avait pris quinze kilos et cinquante ans, notamment en raison de ses cheveux gris et hirsutes. Non seulement personne ne la reconnut, mais le monde où elle avait prospéré était en voie d’extinction : désormais, les riches s’estimaient pauvres. Après quelques commentaires triomphants dans les journaux, sous des photos montrant sa déchéance, on l’oublia.
Dolly eut donc le loisir de réfléchir à ses mauvais calculs. Outre ceux qui étaient évidents – température de fusion du plastique ou répartition équilibrée des poids sur les chaînes –, sa plus grave erreur avait précédé la catastrophe : elle avait négligé un bouleversement sismique, conçu une réception cristallisant une époque déjà révolue. Il n’existait pas pire échec pour une publiciste, elle méritait de sombrer dans l’oubli. De temps à autre, Dolly se demandait quel genre d’événements ou de critères définiraient le monde nouveau, de la même manière que le bal de Capote, Woodstock, les soixante-dix ans de Malcolm Forbes ou la fête du magazine Talk avaient symbolisé le leur. Aucune idée ne lui venait à l’esprit, elle avait perdu sa faculté de juger. Ce serait à Lulu et à sa génération d’en décider.
Une fois les gros titres sur le général B. édulcorés, lorsqu’on eut prouvé que plusieurs témoins à charge avaient reçu de l’argent de l’opposition, Arc rappela : « Le général ne vous verse pas une somme mensuelle pour que vous n’ayez qu’une idée.
— Elle était bonne, reconnaissez-le, Arc.
— Le général s’impatiente, mademoiselle Peale », enchaîna-t-il. Dolly imagina son sourire. « Le chapeau n’a plus rien de nouveau. »
Cette nuit-là, Dolly rêva du général. Tête nue, il retrouvait une jolie blonde devant une porte-tambour. La jeune femme le prenait par le bras et, serrés l’un contre l’autre, ils s’engouffraient à l’intérieur. Puis Dolly apparaissait et, installée dans un fauteuil, elle observait le général et sa petite amie, appréciant la manière dont ils jouaient leurs rôles. Elle se réveilla en sursaut comme si on l’avait secouée. Le rêve faillit lui échapper, mais elle le rattrapa, le pressa contre sa poitrine. Elle comprit : le général devait nouer une relation avec une vedette de cinéma.
Dolly eut du mal à sortir de son lit. La lumière de la rue qui filtrait par le volet cassé éclaira ses jambes cireuses. Une star. Une femme connue, séduisante, quel meilleur moyen d’humaniser un homme réputé inhumain ? S’il lui plaît… voilà le genre de réaction que ça susciterait. Et aussi : Le général et moi avons les mêmes goûts : elle. Ou encore : Elle trouve sa tête triangulaire sexy. Voire même : Comment danse le général ? Si Dolly incitait les gens à se poser cette question, les problèmes d’image du général seraient résolus. Peu importait le nombre de cadavres à son actif – qu’une piste de danse figure dans la vision collective de lui et les massacres seraient vite oubliés.
Il existait une noria d’actrices sur la touche prêtes à tout, mais Dolly en avait une en tête : Kitty Jackson, qui avait débuté en jouant un rôle de détective bagarreuse et acrobatique dans le film Oh, Baby, Oh. Kitty était devenue célèbre un an plus tard, quand Jules Jones, le frère aîné d’une des protégées de Dolly, l’avait violentée pendant une interview pour le magazine Details. L’agression et le procès avaient nimbé Kitty d’une aura de martyre. La déconvenue avait été d’autant plus sévère lorsqu’on avait découvert, une fois l’aura volatilisée, la métamorphose de l’actrice : l’innocente ingénue était devenue une femme capricieuse et irascible. Les tabloïdes se livraient à une impitoyable surenchère à propos des incartades de Kitty, tombée en disgrâce : sur le plateau d’un western, elle avait renversé du crottin de cheval sur la tête d’un acteur idolâtré ; elle avait délivré une armée de lémuriens lors du tournage d’un film de Disney ; elle avait téléphoné à la femme d’un producteur tout-puissant qui tentait de la fourrer dans son lit. Personne ne voulait plus embaucher Kitty, en revanche le public se souviendrait d’elle – la seule chose qui comptait pour Dolly. Et puis elle n’avait que vingt-huit ans.
Kitty fut facile à trouver : personne ne déployait une grande énergie pour la cacher. Vers midi, Dolly réussit à la joindre : elle répondit d’une voix ensommeillée, fumant manifestement une cigarette. Kitty écouta Dolly jusqu’au bout, lui demanda de répéter le montant généreux du cachet et se tut. Dans ce silence, Dolly décela le désespoir et la réticence qu’elle ne connaissait que trop. Elle éprouva un élan de compassion pour l’actrice qui en était réduite à ce genre de proposition. Puis Kitty donna son accord.
Dolly fredonna et, remontée grâce à l’express de sa vieille machine à café Krups, elle appela Arc pour lui exposer son projet.
« Le général n’apprécie pas les films américains.
— Quelle importance ? Les Américains savent qui elle est.
— Le général a des goûts très particuliers, précisa Arc. Il n’est pas souple.
— Il n’est pas obligé de la toucher. Ni de lui parler. Il doit seulement se tenir près d’elle le temps d’une photo. Et sourire.
— … Sourire ?
— Il doit avoir l’air heureux.
— Le général sourit rarement, mademoiselle Peale.
— Il a porté la chapka, non ? »
Il y eut une longue pause. Arc finit par reprendre la parole : « Il faut que vous accompagniez cette actrice. Et nous verrons.
— Où ça ?
— Ici. Jusqu’à nous.
— Voyons, Arc.
— Vous n’avez pas le choix. »
Chaque fois qu’elle entrait dans la chambre de Lulu, Dolly avait l’impression de se réveiller au pays d’Oz : tout y était rose. L’abat-jour du plafonnier. Le tissu vaporeux pendant du plafond. Les princesses aériennes peintes au pochoir sur les murs. Dolly avait appris la technique dans un atelier de la prison et profité des moments où Lulu était en classe pour décorer la pièce. Quand sa fille était à la maison, elle ne sortait de sa chambre que pour les repas.
À l’école de Miss Rutgers, Lulu faisait partie d’un réseau au maillage tellement serré que la chute et la peine de prison de sa mère (sa grand-mère avait débarqué du Minnesota pour s’occuper d’elle pendant que Dolly la purgeait) n’avaient pas réussi à le dissoudre. Les liens tissés entre ces filles n’étaient pas en fil de coton, mais en fil de fer. Et Lulu était la tige autour de laquelle ils s’enroulaient. Lorsque Dolly surprenait sa fille au téléphone avec ses amies, son autorité l’emplissait d’un respect craintif : sévère si nécessaire, elle pouvait être douce. Gentille. Lulu avait neuf ans.
Installée dans un sacco rose, elle faisait ses devoirs sur son ordinateur portable ou chattait avec ses copines (grâce au général, Dolly s’était offert le wi-fi). « Salut, Dolly », lança Lulu, qui ne l’appelait plus « maman » depuis sa sortie de prison. Elle plissa les yeux comme si elle avait du mal à distinguer sa mère. Dolly eut le sentiment d’être une apparition en noir et blanc dans ce boudoir, un refuge dont la couleur tranchait avec l’aspect miteux du reste de l’appartement.
« Je dois faire un voyage professionnel, annonça-t-elle à Lulu. Pour voir un client. Tu pourrais aller chez une de tes amies, comme ça tu ne rateras pas la classe. »
L’école était le centre de la vie de Lulu. Elle avait interdit à sa mère, auparavant un pilier de l’établissement, de compromettre son statut avec sa disgrâce. Si bien que Dolly la déposait au coin de la rue, portant le regard au-delà des pierres humides de l’Upper East Side pour s’assurer qu’elle franchissait bien la porte. À l’heure de la sortie, Dolly attendait au même endroit tandis que sa fille traînassait avec ses copines, poussant de l’orteil les massifs manucurés ou les parterres de tulipes (au printemps), concluant les transactions indispensables à l’affirmation et à la consolidation de son pouvoir. Si Lulu était invitée chez une amie, Dolly n’allait pas plus loin que le hall de l’immeuble. Lulu émergeait d’un ascenseur, les joues rouges, dégageant des effluves de parfum ou de brownies sortant du four, prenait sa mère par la main et l’entraînait dans la nuit en passant devant le portier. Non pour s’excuser – Lulu n’avait rien à se faire pardonner – mais par empathie pour la dureté de la vie qu’elles menaient désormais toutes les deux.
Curieuse, Lulu leva la tête : « Un voyage professionnel. C’est bien, non ?
— Absolument », répondit Dolly, un peu nerveuse. Elle avait caché l’histoire du général à sa fille.
« Tu seras partie combien de temps ?
— Quelques jours. Peut-être quatre. »
Il y eut un silence. Lulu finit par lancer : « Je peux venir ?
— Avec moi ? fit Dolly, interloquée. Ça t’obligerait à rater des cours. »
Nouvelle pause. Lulu devait se livrer à un calcul mental afin d’évaluer quel serait l’impact le plus fort sur ses copines, sécher ou être invitée chez quelqu’un, à moins qu’elle ne s’interroge sur la possibilité d’un séjour prolongé chez une amie sans que les parents de celle-ci n’aient de contact avec sa mère.
« Où ? » demanda Lulu.
Dolly se troubla. Si difficile que ce fût pour elle de refuser quoi que ce soit à sa fille, la perspective qu’elle se retrouve dans le même lieu que le général lui serrait la gorge. « Ça, je n’ai pas le droit de te le dire. »
Lulu ne protesta pas. « Dolly ?
— Oui, mon cœur ?
— Tu peux redevenir blonde ? »
Elles attendirent Kitty Jackson à l’aéroport JFK, dans un salon situé devant une piste privée. Quand l’actrice finit par arriver, vêtue d’un jean et d’un sweat-shirt jaune délavé, Dolly se reprocha de ne pas l’avoir rencontrée avant le départ. La jeune femme était dans un piteux état, à en être quasiment méconnaissable ! Ses cheveux étaient toujours blonds (ébouriffés d’une manière provocante et apparemment sales), ses yeux toujours aussi grands et bleus. En revanche, son visage affichait une expression sardonique, comme si elle levait les yeux au ciel en permanence, même quand elle les plongeait dans les vôtres. Et ça la vieillissait davantage que les fines pattes-d’oie ou les rides autour de sa bouche. Elle avait perdu sa jeunesse, ce n’était plus Kitty Jackson.
Dolly profita de l’absence de Lulu partie aux toilettes pour mettre Kitty au courant de son rôle : être le plus élégante possible (Dolly jeta un coup d’œil anxieux à la petite valise de l’actrice) ; caresser le général dans le sens du poil, déployer tout son charme, le temps que Dolly les immortalise avec un appareil miniature. Elle en avait une autre, mais c’était un accessoire. Kitty hocha la tête, l’ombre d’un sourire ironique relevant les commissures de ses lèvres.
« Tu as emmené ta fille ? Elle va rencontrer le général ? » Ce fut sa seule réaction.
« Elle ne le verra pas, siffla Dolly, s’assurant que Lulu n’était pas revenue. Elle ne sait rien du général. Ne prononce pas son nom devant elle, s’il te plaît. »
Kitty considéra Dolly avec scepticisme : « Elle a de la chance. »
Elles embarquèrent dans l’avion du général au crépuscule. Après le décollage, Kitty commanda un martini à l’hôtesse, le vida d’un trait, inclina son fauteuil en position horizontale, mit un masque (la seule chose neuve en sa possession) et ronfla. Lulu se pencha pour examiner le visage de l’actrice. Au repos, il paraissait jeune et lisse.
« Elle est malade ?
— Non, répondit Dolly avec un soupir. Peut-être. Je n’en sais rien.
— À mon avis, elle a besoin de vacances », commenta Lulu.
Vingt postes de contrôle annoncèrent leur arrivée dans la propriété du général. Devant chacun, deux soldats armés de mitraillettes fouillaient du regard la Mercedes noire où Dolly, Lulu et Kitty étaient assises sur la banquette arrière. À quatre reprises, elles durent sortir dans la fournaise pour être palpées sous la menace d’un fusil. Chaque fois, Dolly chercha des signes de traumatisme sur le visage au calme étudié de sa fille. Dans la voiture, Lulu se tenait très droite, son cartable rose Kate Spade sur les genoux. Elle fixait les soldats d’un regard impavide, le même que celui avec lequel elle toisait les nombreuses filles qui s’étaient vainement efforcées de la désarçonner au fil des années.
Une armée de gros oiseaux noirs, aux plumes brillantes, aux longs becs violets recourbés comme des faux, était perchée sur les grands murs blancs qui longeaient la route. Dolly n’en avait jamais vu de semblables. Ils paraissaient être le genre à pousser des cris stridents, pourtant un silence perturbant régnait lorsqu’on baissait la vitre pour négocier avec un flingueur aux yeux étrécis.
Un pan de mur finit par coulisser et, quittant la route, la voiture entra dans une résidence impressionnante : jardin à la végétation luxuriante, jet d’eau, manoir blanc s’étirant à l’infini. Les oiseaux juchés sur le toit les observaient.
Le chauffeur ouvrit les portières. Dolly, Lulu et Kitty se retrouvèrent au soleil. Il tapa sur la nuque de Dolly, à nouveau exposée par une version au rabais de sa légendaire coupe au carré. Incommodée par la chaleur, Kitty ôta son sweat-shirt, heureusement le tee-shirt qu’elle portait en dessous était propre. Un semis de petites taches roses sur l’un de ses poignets maculait le beau bronzage de ses bras. Des cicatrices. Dolly les fixa : « Kitty, ces… » Elle laissa sa phrase en suspens. « Sur tes bras, ce sont… ?
— … des brûlures. »
L’actrice décocha à Dolly un regard qui lui noua l’estomac. Puis un souvenir lointain surgit comme d’un brouillard ou de sa petite enfance : quelqu’un lui demandait – la suppliait – d’ajouter Kitty Jackson sur la liste. Elle refusait. Catégoriquement. C’était hors de question : Kitty était de trop basse extraction.
« C’est moi qui me suis brûlée », précisa l’actrice.
Dolly la dévisagea, sans comprendre. Kitty sourit et, l’espace d’une seconde, elle eut l’expression adorable, espiègle, de la star d’Oh, Baby, Oh. « Des tas de gens ont fait la même chose. Tu n’étais pas au courant ? »
Une blague ? Dolly voulait à tout prix éviter de se ridiculiser devant Lulu.
« Nous sommes tous allés à cette réception, reprit Kitty. Et nous en avons la preuve, tous autant que nous sommes… Qui oserait nous traiter de menteurs ?
— Je sais parfaitement qui était là. J’ai encore la liste en tête.
— Peut-être, mais… qui es-tu ? » lâcha Kitty.
Dolly se tut, consciente que Lulu la fixait de ses yeux gris.
Kitty eut alors un geste inattendu : elle lui prit la main. Sa poigne était chaude et ferme. Dolly sentit un picotement dans ses yeux.
« Qu’ils aillent tous au diable, d’accord ? » enchaîna l’actrice, d’un ton empreint de tendresse.
Un homme mince, râblé, vêtu d’un complet admirablement coupé, surgit du manoir pour les accueillir. Arc.
« Mademoiselle Peale, nous nous rencontrons enfin », dit-il en souriant. Il se tourna vers Kitty : « Mademoiselle Jackson, c’est un immense honneur ainsi qu’un plaisir. » Il lui fit un baisemain, d’un air un peu taquin, estima Dolly. « J’ai vu vos films. Le général et moi les avons regardés ensemble. »
Dolly s’arma de courage, à l’affût de la réaction de Kitty, mais celle-ci répondit d’une voix flûtée d’enfant, hormis l’inflexion flirteuse, presque imperceptible. « Je suis sûre que vous avez vu de meilleurs films.
— Le général a été impressionné.
— Eh bien, je suis très flattée que le général les ait jugés dignes d’intérêt. »
Dolly jeta un coup d’œil inquiet à Kitty, espérant que le sarcasme inhérent à ce genre de répartie ne serait pas trop évident. À sa grande surprise, elle n’en vit pas l’ombre. Kitty était un portrait d’humilité et de sincérité comme si, rajeunie de dix ans, elle était redevenue une starlette pleine de reconnaissance et d’enthousiasme.
« Hélas, j’ai une mauvaise nouvelle, reprit Arc. Le général a dû partir au pied levé. C’est extrêmement regrettable. Le général vous prie d’accepter toutes ses excuses.
— Mais nous… nous pouvons le rejoindre ? demanda Dolly.
— Peut-être. Cela ne vous ennuie pas d’entreprendre un autre voyage ?
— Eh bien, dit Dolly, lançant un regard à sa fille. Cela dépend…
— Absolument pas, l’interrompit Kitty. Nous irons où le souhaite le général. Nous ferons ce qu’il faut. D’accord, petiote ? »
Lulu mit un moment à associer le diminutif à sa personne. C’était la première fois que l’actrice s’adressait directement à elle.
« D’accord », répondit-elle, en souriant.
Elles partiraient pour une nouvelle destination le lendemain matin. Le soir, Arc proposa de les emmener en ville. Kitty déclina. « Le grand tour, très peu pour moi, expliqua-t-elle, tandis qu’elles s’installaient dans une suite composée de deux chambres, donnant sur une piscine privée. Je préfère profiter de ces piaules. On me logeait dans ce genre d’endroit avant. » Elle laissa échapper un rire amer et se dirigea vers le bar.
« N’exagère pas », lui recommanda Dolly.
Kitty se retourna : « Dis donc, j’étais comment tout à l’heure ? Tu as eu lieu de te plaindre jusqu’à présent ?
— Non, tu as été parfaite. » Dolly baissa le ton pour que Lulu n’entende pas : « N’oublie pas à qui nous avons affaire, c’est tout.
— C’est pourtant ce que je veux, oublier. » Kitty se prépara un gin tonic. « Je m’y emploie activement. J’ai envie d’être comme Lulu, innocente. » Elle leva son verre à l’intention de Dolly et but une gorgée.
Dolly et Lulu montèrent dans la Jaguar gris anthracite d’Arc. Le chauffeur dévala la pente, roula dans des venelles, obligeant les piétons à se plaquer contre les murs ou à se ruer dans des embrasures de portes pour éviter d’être écrasés. La ville miroitait au pied de la colline : des milliers de bâtisses blanches de guingois enveloppées d’une brume grise. Ils en furent bientôt entourés. Le linge qui claquait sur chaque balcon semblait être la seule source de couleur de la ville.
Le chauffeur s’arrêta devant un marché en plein air. Monceaux de fruits, noix odorantes, sacs en faux cuir. Autant de produits que Dolly examina d’un œil critique, tandis qu’elle suivait Arc avec Lulu parmi les étals. Si la taille des oranges et des bananes, énormes, l’impressionna, la viande ne lui disait rien qui vaille. À en juger par la nonchalance empreinte de vigilance des vendeurs ou des clients, ils savaient qui était Arc.
« Quelque chose vous ferait plaisir ? demanda-t-il à Lulu.
— Oui. Un de ces fruits, s’il vous plaît. »
Une carambole. Dolly en avait vu chez Dean & DeLuca. Ici, elles s’entassaient en piles écœurantes, couvertes de mouches. Arc en prit une, faisant un signe de tête impératif au vendeur, un homme âgé au torse squelettique et au bon visage pétri d’anxiété. Il eut beau sourire à Dolly et Lulu, la peur se lisait dans ses yeux.
Lulu frotta soigneusement le fruit sale sur son polo à manches courtes avant de mordre dans la peau verte et luisante. Du jus gicla sur son col. Éclatant de rire, elle s’essuya les lèvres du revers de la main : « Tu dois goûter ça, maman ! » Dolly prit une bouchée. En fin de compte, la mère et la fille se partagèrent le fruit sous le regard attentif d’Arc. Un étrange optimisme s’empara de Dolly. L’instant d’après, elle comprit pourquoi : maman. C’était la première fois que Lulu l’appelait ainsi depuis presque un an.
Arc les conduisit dans une maison de thé noire de monde. Un groupe d’hommes leur céda la place à une table en coin et le brouhaha joyeux qui régnait auparavant reprit, mais il n’avait plus rien de naturel. D’une main tremblante, un serveur remplit leurs tasses de thé à la menthe. Lorsque Dolly lui lança un regard rassurant, il détourna les yeux.
« Vous vous promenez souvent en ville ? demanda-t-elle à Arc.
— Le général tient à se mêler aux gens. Afin qu’ils sentent son humanité, qu’ils en soient témoin. Bien sûr, il doit être très prudent.
— À cause de ses ennemis ?
— En effet. Le général en a beaucoup, malheureusement. Aujourd’hui, il a été menacé dans sa résidence a été contraint de s’installer ailleurs. C’est fréquent, comme vous le savez. »
Dolly acquiesça. Menacé dans sa résidence ?
« Ses ennemis le croient ici, alors qu’il est loin », ajouta Arc en souriant.
Dolly jeta un coup d’œil à Lulu. La carambole avait laissé une auréole autour de sa bouche. « Mais… nous sommes ici, nous, remarqua-t-elle.
— Oui, dit Arc. Pas lui. »
Dolly ne ferma pratiquement pas l’œil de la nuit, à l’affût de roucoulements, frôlements ou cris susceptibles de passer pour des bruits d’assassins rôdant à la recherche du général et de son acolyte – elle, en d’autres termes. Elle était devenue une cible au même titre que le général B., source de terreur et d’angoisse pour son peuple.
Comment les choses en étaient-elles arrivées là ? Pour la énième fois, Dolly revisita l’instant où les bacs en plastique s’étaient déformés et où la vie dont elle avait profité si longtemps avait brusquement changé de cours. Contrairement aux innombrables autres nuits, toutefois, lorsque Dolly bascula dans la goulotte à souvenirs, Lulu, nuisette en dentelle, genoux repliés sous elle, dormait de l’autre côté du grand lit. Dolly sentit la chaleur du corps de sa fille – l’enfant de son âge mûr, fruit d’une grossesse accidentelle résultant d’une aventure avec un client, acteur de cinéma. Lulu croyait son père mort : sa mère lui avait montré des photos d’un ancien amant.
Elle se glissa dans le lit et embrassa la joue tiède de Lulu. Avoir un enfant n’avait eu aucun sens : esclave de sa carrière, farouche partisane de l’avortement, Dolly avait pourtant hésité à prendre rendez-vous – malgré les nausées matinales, les sautes d’humeur, l’épuisement – jusqu’au moment où elle avait su avec un soulagement indescriptible et une joie ineffable qu’il était trop tard.
Lulu bougea. Dolly s’approcha davantage pour la prendre dans ses bras. Quand elle n’était pas réveillée, Lulu se détendait au contact de sa mère. Dolly éprouva un élan de gratitude irrationnelle envers le général qui leur avait fourni ce lit – c’était un luxe d’une extrême rareté d’étreindre sa fille de la sorte, d’entendre le bruit sourd de ses battements de cœur.
« Je serai toujours là pour te protéger, ma chérie, murmura Dolly à l’oreille de Lulu. Rien de mal ne nous arrivera, tu le sais, n’est-ce pas ? »
Lulu continua de dormir.
Le lendemain, ils s’entassèrent dans deux voitures blindées qui ressemblaient à des jeeps, à ceci près qu’elles étaient nettement plus lourdes. Arc et quelques soldats montèrent dans la première, Dolly, Lulu et Kitty dans la seconde. Assise à l’arrière, Dolly avait l’impression que le poids du véhicule les fichait dans le sol. Elle était exténuée, dévorée d’angoisse.
Quant à Kitty, sa métamorphose était spectaculaire. Les cheveux propres, maquillée, elle avait enfilé une robe sans manches en velours frappé, couleur sauge, qui paillettait ses yeux bleus de vert et les faisait virer au turquoise. Épaules dorées et athlétiques, lèvres roses et brillantes, nez semé de quelques taches de rousseur – son apparence dépassait tous les espoirs de Dolly. Regarder l’actrice la faisait presque souffrir, aussi l’évitait-elle le plus possible.
Ils franchirent sans encombre les postes de contrôle et ne tardèrent pas à s’engager sur une route contournant la ville blanche par en haut. Dolly remarqua des vendeurs sur les bas-côtés, des enfants pour la plupart, brandissant des fruits ou des panneaux en carton à l’approche des 4×4. Quand les véhicules les croisaient à toute allure, ils battaient précipitamment en retraite sur l’accotement, peut-être à cause de la vitesse. La première fois, Dolly poussa un cri et, se penchant en avant, chercha à dire quelque chose au chauffeur. Quoi exactement ? Elle hésita, puis se cala sur la banquette et s’empêcha de regarder par la fenêtre. Son livre de maths ouvert sur les genoux, Lulu, elle, les observait.
Ce fut une délivrance de laisser la ville derrière elles et de rouler à travers une terre aride ressemblant à un désert où antilopes et vaches arrachaient la maigre végétation. Sans demander la permission, Kitty se mit à fumer, exhalant par une fente de la vitre. Dolly ne céda pas à l’impulsion de lui reprocher d’abîmer les poumons de sa fille.
« Alors, quels sont tes grands projets ? » demanda tout à coup Kitty à Lulu.
Celle-ci parut tourner et retourner la question dans sa tête : « Tu veux dire… pour ma vie ?
— C’est ça.
— Je n’ai encore rien décidé, répondit Lulu, songeuse. Je n’ai que neuf ans.
— Eh bien, c’est raisonnable.
— Lulu est très raisonnable, intervint Dolly.
— N’empêche, qu’est-ce que tu imagines ? » insista Kitty. Nerveuse, elle tripotait ses doigts aux ongles laqués comme si elle était tenaillée par le besoin d’une autre cigarette mais prenait son mal en patience. « À moins que les gosses ne s’amusent plus à ça. »
Avec son bon sens habituel, Lulu perçut l’envie de parler de Kitty : « Et toi, qu’est-ce que tu imaginais à mon âge ? »
Kitty réfléchit puis, éclatant de rire, elle alluma une cigarette : « Je voulais être jockey ou star de cinéma.
— Un de tes vœux a été exaucé.
— C’est vrai, reconnut la jeune femme, qui ferma les yeux, tandis qu’elle soufflait la fumée par la vitre.
— Ça n’a pas été aussi chouette que tu le croyais ? » fit alors Lulu, sérieuse.
Kitty releva les paupières : « Quoi, jouer ? Oh, j’ai adoré et je continue – ça me manque. Mais les gens étaient des monstres.
— Comment ça ?
— Des menteurs. Au début, ils paraissaient gentils sauf que ce n’était que de la comédie. Ceux qui étaient carrément horribles, ceux qui ne pensaient qu’à te tuer, au moins ils étaient honnêtes. »
Lulu acquiesça comme si c’était un problème qu’elle avait rencontré : « Toi aussi, tu as essayé de mentir ?
— Oh oui. Je me suis donné beaucoup de mal pour raconter des bobards, sans jamais oublier que je mentais. Alors j’ai été punie quand j’ai dit la vérité. C’est la même chose que découvrir que le père Noël n’existe pas… On aimerait retourner en arrière et y croire encore, mais c’est trop tard. »
Kitty se tourna vers Lulu, catastrophée : « Oh là là, j’espère que…
— Je n’ai jamais cru au père Noël », la rassura la petite fille en gloussant.
Ils continuèrent à rouler. Lulu fit ses devoirs de maths. D’éducation civique. Elle écrivit une rédaction sur les hiboux. Après ce qui parut être une distance de plusieurs centaines de kilomètres, ponctuée d’arrêts toilettes dans des avant-postes où patrouillaient des soldats, ils obliquèrent dans les collines. La végétation devint dense, les frondaisons faisaient écran au soleil.
Soudain, les 4×4 s’écartèrent de la route et s’arrêtèrent. Des douzaines de soldats en tenue de camouflage se matérialisèrent, on aurait dit qu’ils tombaient des arbres. Dolly, Lulu et Kitty sortirent de la voiture et se retrouvèrent dans une jungle où résonnait une cacophonie de chants d’oiseaux.
Arc s’approcha d’elles, s’avançant à pas précautionneux dans ses belles chaussures en cuir : « Le général vous attend. Il a hâte de vous rencontrer. »
Ils se déplacèrent en file indienne dans la forêt, foulant une terre molle d’un rouge intense. Des singes folâtraient dans les arbres. Ils finirent par arriver devant des marches en béton grossièrement taillées dans le flanc d’une colline, au pied desquelles apparut un nouveau contingent de soldats. Il y eut des grincements et craquements de godillots lorsqu’ils se mirent à les gravir. Les mains posées sur les épaules de sa fille, Dolly entendit Kitty fredonner derrière elle : non pas un air, seulement deux notes qu’elle ne cessait de répéter.
L’appareil miniature se trouvait dans le sac de Dolly. Sans s’arrêter de marcher, elle sortit la télécommande et la fourra dans sa paume.
Au sommet de l’escalier on avait défriché la forêt pour y couler une plaque de béton, sans doute une ancienne aire d’atterrissage destinée aux hélicoptères. La lumière du soleil qui s’infiltrait dans l’air humide formait des filets de vapeur à leurs pieds. Le général se tenait au centre de la dalle, flanqué de soldats. De petite taille – le propre des gens célèbres –, il n’arborait aucun couvre-chef. Ses cheveux épais couronnaient bizarrement son visage sévère en forme de triangle. Il portait sa tenue militaire habituelle, mais elle donnait l’impression d’être un peu fripée ou en mal de nettoyage. Le général, fatigué, avait des poches sous les yeux et la mine revêche, comme si on venait de le tirer du lit en lui annonçant : Elles sont là, et qu’on avait dû lui rappeler de qui il s’agissait.
Un silence tomba au cours duquel personne ne parut savoir quoi faire.
Puis Kitty arriva. Dolly eut beau l’entendre fredonner, elle ne se retourna pas et se concentra sur la physionomie du général, dont l’expression se remplit de convoitise et d’incertitude lorsqu’il reconnut l’actrice. Kitty s’approcha lentement de lui – en réalité, elle se coula vers lui, ce fut ainsi qu’elle se déplaça dans sa robe vert sauge. On aurait dit que le mouvement heurté de la marche du commun des mortels lui était étranger. Elle chaloupa vers le général, lui prit la main, un sourire aux lèvres, tourna un peu autour de lui, l’air gêné presque rieur, comme s’ils se connaissaient trop bien pour se serrer la main. L’étrangeté de la scène fascina tellement Dolly qu’elle en oublia de photographier la poignée de main. Elle ne reprit ses esprits qu’au moment où Kitty pressa son corps moulé de vert contre le torse du général en fermant un instant les yeux. Click. Le général, déconcerté, un peu perdu, tapota poliment le dos de Kitty. Click. L’actrice saisit alors les deux mains du général (lourdes et noueuses, véritables battoirs d’un homme nettement plus grand) entre les siennes, fines – click –, laissa échapper un rire contraint, la tête rejetée en arrière, comme pour exprimer que tout ceci était stupide, trop intimidant pour eux deux. Et le général sourit. Sans crier gare, ses lèvres s’étirèrent, découvrant deux rangées de petites dents jaunes – click –, ce qui lui conféra un aspect vulnérable, désireux de plaire. Click, click, click. Dolly photographiait aussi vite que possible sans bouger la main, en effet ça y était, ce sourire que personne n’avait vu révélait le côté humain et caché du général qui abasourdirait le monde.
Cela n’avait pas duré plus d’une minute. Aucun mot n’avait été prononcé. Kitty et le général restèrent, main dans la main, l’un et l’autre légèrement empourprés. Dolly dut se retenir de hurler, parce que c’était emballé ! Elle avait obtenu ce qu’elle voulait sans avoir eu à demander quoi que ce soit. Elle ressentit un élan d’amour mâtiné de respect pour Kitty : cet être prodigieux, ce génie qui, non content de poser avec le général, l’avait apprivoisé. Telle était l’impression de Dolly, comme s’il existait entre l’univers du général et celui de Kitty une porte à sens unique que l’actrice l’avait aidé à franchir à son insu. Il ne pouvait revenir en arrière ! Or, Dolly était l’artisan de cet événement… Pour la première fois de sa vie, elle avait rendu un service à quelqu’un. Et Lulu avait assisté à la scène.
Kitty arborait toujours son charmant sourire. Dolly l’observa balayer la foule du regard : les douzaines de soldats armés de mitraillettes, Arc, Lulu et elle-même, rayonnante, les yeux noyés de larmes. Nul doute que l’actrice avait conscience de sa réussite, elle avait œuvré à son salut, se propulsant sur le devant de la scène, déblayant le terrain, ce qui lui permettrait de retrouver du travail dans le domaine qu’elle adorait. Et ce grâce à un petit coup de pouce du despote à sa gauche.
« Alors, c’est ici que vous enterrez les cadavres ? » lança Kitty.
Le général lui jeta un regard hébété. Arc s’avança rapidement, suivi par Dolly et Lulu.
« Vous les jetez dans des fosses ou vous les brûlez d’abord ? demanda Kitty au général sur le ton de la conversation.
— Mademoiselle Jackson, intervint Arc d’un air tendu, lourd de sens. Le général ne vous comprend pas. »
Ce dernier ne souriait plus. Il détestait ne pas savoir ce qui se passait. Il avait lâché la main de Kitty et parlait durement à Arc.
Lulu tira le bras de Dolly : « Maman, fais en sorte qu’elle se taise. »
Tétanisée jusque-là, elle tressaillit au son de la voix de sa fille : « Ça suffit, Kitty.
— Vous les mangez ou vous laissez les vautours s’en charger ? reprit l’actrice.
— La ferme, Kitty ! l’adjura Dolly, haussant le ton. Arrête ce petit jeu. »
Le général s’en prit violemment à Arc, qui se tourna vers Dolly. Son front lisse était moite : « Le général devient furieux, mademoiselle Peale. » Une formule codée que Dolly capta parfaitement. S’approchant de l’actrice, elle s’empara de son bras hâlé et, le visage presque collé au sien, murmura : « Si tu continues, on va mourir. »
Mais elle comprit que c’était sans espoir, car le fanatisme le disputait à l’autodestruction dans les yeux de Kitty : elle ne pouvait pas s’arrêter. « Oups ! s’exclama-t-elle, feignant la surprise. Je n’étais pas censée évoquer le génocide ? »
Ce mot, le général le connaissait. Il s’écarta brusquement de Kitty comme si elle avait pris feu et lança des ordres à ses soldats d’une voix étranglée. Ceux-ci repoussèrent Dolly, la jetant au sol. Lorsqu’elle coula un regard à Kitty par-dessus son épaule, les soldats s’étaient agglutinés autour de l’actrice, la dérobant à sa vue.
Tout en s’efforçant d’aider sa mère à se relever, Lulu criait : « Maman, fais quelque chose, fais quelque chose ! Arrête-les !
— Arc », appela Dolly. Sauf qu’Arc ne se souciait plus d’elle. Il avait rejoint le général qui écumait de rage. Les soldats portaient Kitty ; Dolly eut l’impression que des coups de pied pleuvaient sur eux. La voix stridente de Kitty lui parvint :
« Vous buvez leur sang ou vous vous en servez pour lessiver le sol ? Vous portez leurs dents enfilées sur une cordelette ? »
On entendit le bruit d’un coup violent auquel succéda un hurlement. Dolly s’élança, mais Kitty avait disparu. Les soldats l’emmenèrent à l’intérieur d’une construction cachée dans les arbres, à proximité de l’aire d’atterrissage. Le général et Arc les suivirent et fermèrent la porte. Un silence inquiétant enveloppa la jungle, où ne résonnaient que les cris des perroquets et les sanglots de Lulu.
Alors que le général piquait sa crise, Arc avait chuchoté des ordres à deux soldats. À peine eut-il disparu qu’ils entraînèrent Dolly et Lulu, dévalant la colline jusqu’aux voitures. Les chauffeurs patientaient en grillant des cigarettes. Lulu pleura pendant le trajet, la tête posée sur les genoux de sa mère, tandis qu’ils fonçaient à nouveau dans la forêt, puis dans le désert. Hébétée, Dolly caressait les cheveux fins de sa fille, se demandant si on allait les jeter en prison. En fin de compte, le soleil s’inclinait vers l’horizon lorsqu’elles se retrouvèrent à l’aéroport où l’avion du général attendait. À ce moment-là, Lulu s’était redressée et écartée de sa mère.
Lulu dormit à poings fermés toute la durée du vol, agrippée à son cartable Kate Spade. Dolly, pour sa part, ne trouva pas le sommeil, et garda les yeux rivés sur le siège vide de Kitty.
Après avoir atterri à JFK dans le clair-obscur du petit matin, elles sautèrent dans un taxi pour rentrer à Hell’s Kitchen. Elles ne s’adressèrent pas la parole. Dolly fut stupéfaite de trouver leur immeuble intact, l’appartement toujours en haut de l’escalier, les clés dans son sac.
Lulu fila aussitôt dans sa chambre dont elle ferma la porte. L’esprit embrouillé par l’insomnie, Dolly s’assit à son bureau et tenta de mettre de l’ordre dans ses idées. Devait-elle alerter l’ambassade ? Le Congrès ? Qu’avait-elle à dire ?
Quand Lulu émergea en uniforme et coiffée, Dolly n’avait même pas remarqué que le jour s’était levé. Décochant un regard désapprobateur à sa mère, qui portait toujours ses vêtements de la veille, Lulu déclara :
« C’est l’heure ?
— Tu vas à l’école ?
— Bien sûr. Qu’est-ce que je peux faire d’autre ?
Elles prirent le métro. Le silence qui régnait entre elles était inviolable, Dolly redoutait que ce fût pour toujours. À la vue du visage blême, des traits tirés de Lulu, elle eut une conviction qui la fit frissonner : si Kitty Jackson mourait, elle perdrait sa fille.
Au coin de rue habituel, Lulu s’éloigna sans lui dire au revoir.
Les commerçants de Lexington Avenue remontaient leurs rideaux de fer. Dolly s’acheta un café qu’elle but. Elle avait envie de rester près de Lulu, aussi décida-t-elle d’attendre ici la fin de ses cours, soit dix-sept heures trente. Pendant ce temps, elle donnerait des coups de fil sur son portable. Mais l’image de Kitty dans sa robe verte, les bras constellés de brûlures, l’obsédait, ainsi que la fierté obscène qu’elle avait éprouvée à l’idée d’avoir apprivoisé le général et contribué à rendre le monde meilleur.
Elle garda le portable dans sa main, sans y toucher, ne sachant comment s’y prendre pour donner ce genre de coup de téléphone.
Derrière elle, un magasin ouvrit et Dolly découvrit qu’il s’agissait de celui d’un photographe. L’appareil miniature se trouvait encore dans son sac. Elle entra, le tendit, demanda des tirages et un CD de tout ce qu’ils pourraient télécharger.
Une heure plus tard, Dolly se tenait toujours devant la boutique lorsque le type sortit avec ses photos. Aucun des interlocuteurs à qui elle avait téléphoné pour parler de Kitty n’avait paru la croire. Qui pouvait le leur reprocher ?
« Ces clichés… Vous vous êtes servie de Photoshop ou quoi ? demanda le type. On les dirait, genre, vrais.
— C’est le cas, je les ai pris moi-même. »
Il s’esclaffa : « C’est ça… » Dolly eut une illumination, une fulgurance. Ainsi que Lulu l’avait dit le matin même : Qu’est-ce que je peux faire d’autre ?
Du coup, elle rentra en toute hâte. À peine chez elle, Dolly contacta d’anciennes relations à l’Enquirer et au Star ; certaines n’avaient pas perdu leurs postes. Elle les mit au courant au compte-goutte. La tactique avait déjà fait ses preuves.
Quelques minutes plus tard, Dolly envoyait des tirages par e-mail. En l’espace de deux heures, des photos du général B. blotti contre Kitty Jackson s’échangeaient sur la Toile. À la tombée du jour, des correspondants des principaux journaux du monde entier avaient commencé à l’appeler. Ils téléphonèrent aussi au général, dont le capitaine chargé des relations publiques nia farouchement les rumeurs.
Ce soir-là, alors que Lulu faisait ses devoirs dans sa chambre, Dolly mangea des nouilles au sésame froides et chercha à joindre Arc. Elle y parvint au bout de quatorze tentatives.
« Nous ne pouvons plus nous parler, mademoiselle Peale.
— Arc.
— Nous ne pouvons pas nous parler. Le général est en colère.
— Écoutez-moi.
— Le général est en colère, mademoiselle Peale.
— Elle est vivante, Arc ? C’est tout ce que je veux savoir.
— Oui, elle l’est.
— Merci. » Des larmes montèrent aux yeux de Dolly. « Est-ce qu’elle… Est-ce qu’on la traite bien ?
— Elle est saine et sauve, mademoiselle Peale. Nous ne nous reparlerons plus. »
Ils gardèrent le silence, écoutant la tonalité de la communication internationale. « Croyez bien que je le regrette », conclut Arc, avant de raccrocher.
En fait, Dolly et Arc s’adresseraient à nouveau la parole. Des mois – un an – plus tard, lorsque le général vint à New York pour prononcer un discours aux Nations unies sur la mutation de son pays vers la démocratie. Dolly et Lulu avaient quitté la ville, mais elles retrouvèrent Arc dans un restaurant de Manhattan. Il portait un complet noir et une cravate lie-de-vin assortie à l’excellent cabernet qu’il servit à Dolly avant de remplir son verre. Il raconta l’histoire avec un plaisir si évident qu’on aurait dit qu’il avait gravé chaque détail dans son esprit à l’intention de Dolly : trois ou quatre jours après leur départ, les photographes avaient débarqué. Au début, ils étaient deux ou trois ; les soldats les avaient débusqués dans la jungle et emprisonnés. D’autres avaient suivi, trop nombreux pour être arrêtés, voire dénombrés ; as de la cachette, ils se tapissaient dans les arbres comme des singes, s’enterraient dans des trous peu profonds, se camouflaient sous des tas de feuilles. Contrairement aux assassins qui n’avaient jamais réussi à localiser le général, ç’avait été un jeu d’enfant pour eux. Ils franchissaient la frontière sans visa, recroquevillés dans des paniers ou des fûts de vin, dissimulés dans des tapis roulés, bringuebalés sur des pistes à l’arrière de camions, et finissaient par assiéger l’enclave du général, qui n’osait en sortir.
Il fallut dix jours pour convaincre le général qu’il n’avait d’autre choix que d’affronter ses inquisiteurs. Après avoir revêtu son uniforme à épaulettes bardé de médailles, s’être coiffé de la chapka bleue, il avait prit Kitty par le bras et s’était dirigé vers la forêt d’appareils qui l’attendait. Dolly se rappelait l’expression de grande perplexité du général sur ces photos, l’air de nouveau-né que lui conférait le chapeau duveteux, son manque d’assurance. À côté de lui, Kitty, souriante, était moulée dans une robe noire si parfaite qu’Arc avait dû avoir du mal à la lui procurer : décontractée, simple malgré son décolleté, le genre qu’une femme met pour un tête-à-tête avec son amant. L’expression de ses yeux était indéchiffrable, mais, chaque fois que Dolly les avait regardés, scrutant le journal d’une façon obsessionnelle, le rire de Kitty avait résonné à ses oreilles.
« Avez-vous vu le nouveau film de mademoiselle Jackson ? demanda Arc. C’est son meilleur, à mon avis. »
Il s’agissait d’une comédie sentimentale où Kitty jouait le rôle d’une femme jockey, montant à cheval avec aisance. Dolly était allée le voir en compagnie de Lulu dans le cinéma de la petite ville du nord de l’État où elles s’étaient installées après que d’autres généraux avaient commencé à appeler : d’abord G., puis A., L., P. et Y. Le bruit avait si bien circulé qu’elle avait été submergée de propositions de la part de bouchers avides de prendre un nouveau départ. « Je ne travaille plus », leur avait-elle répondu avant de les orienter vers ses anciens concurrents.
Malgré les réticences de Lulu, Dolly avait voulu déménager. Et sa fille avait vite pris ses marques dans l’école publique locale, où elle s’était mise au foot et avait trouvé une nouvelle coterie de gamines accrochées à ses basques. Personne n’avait entendu parler de La Doll, aussi Lulu n’avait-elle rien à cacher.
À la suite du rendez-vous du général avec les photographes, Dolly avait reçu une généreuse somme d’argent. « Un cadeau afin d’exprimer notre immense reconnaissance pour vos précieux conseils », avait expliqué Arc au téléphone, avec une pointe d’ironie qui n’avait pas échappé à Dolly : c’était le prix de son silence. L’argent lui avait servi à ouvrir une épicerie fine dans la grand-rue, où ses produits et fromages insolites, disposés avec art, étaient éclairés par un système de spots de sa conception. « Un décor très parisien », commentaient souvent les New-Yorkais qui venaient passer le week-end dans leurs maisons de campagne.
De temps à autre, on livrait à Dolly une cargaison de caramboles. Elle ne manquait jamais d’en garder quelques-unes qu’elle emportait dans la petite maison, située au bout d’une rue tranquille, où elle habitait avec sa fille. Après le dîner, la radio allumée, les fenêtres ouvertes sur la nuit béante, mère et fille savouraient le fruit exotique au goût suave.
Notes
1. Bal organisé à l’hôtel Plaza de New York le 28 novembre 1966 par Truman Capote au sommet de sa gloire à la suite de la publication de De sang-froid.