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THÉRAPIE DE COUPLE


Quand je suis arrivé à la maison, Jayne était en train de faire ses bagages. Le Lear Jet du studio l’emmènerait demain de Midland Airport et atterrirait à Toronto un peu après dix heures. Marta me l’a rappelé pendant que Jayne s’affairait dans la chambre à coucher, rangeant ses vêtements dans plusieurs sacs Tumi étalés sur le lit, contrôlant chaque chose emportée sur une liste. Elle gardait tout ce qu’elle avait à dire pour le cabinet du Dr Faheida (la thérapie de couple me rappelait toujours quel truc horrible était l’optimisme). J’ai pris une douche et je me suis habillé, et j’étais tellement épuisé que j’ai douté de ma capacité à tenir pendant toute une séance – j’ai frissonné en pensant à l’énergie qu’il faudrait déployer. Comme ces séances se terminaient en général avec Jayne en larmes et moi dans un état d’impuissance enragée, je me suis armé de courage et je me suis bien gardé de mentionner le coup de téléphone du bureau d’Harrison Ford que j’avais reçu sur le parking du studio d’Aimee Light, m’avertissant qu’il serait dans « les meilleurs intérêts de chacun » (j’ai noté la nouvelle tournure hollywoodienne menaçante) si je pouvais être là-bas vendredi après-midi. D’une voix monotone de zombie, j’avais dit que je les rappellerais le lendemain pour confirmer, pendant que je contemplais à travers le pare-brise les grands pins qui se balançaient dans l’obscurité, au-dessus de la Porsche dans laquelle j’étais assis. Un autre échec de ma part – bien que toute excuse pour sortir de la maison fût désormais bienvenue. Une excuse qui était, en fait, devenue une priorité. En attendant au rez-de-chaussée, j’ai évité la salle de séjour et mon bureau, et je n’ai pas jeté le moindre coup d’œil sur la maison lorsque Jayne et moi avons marché jusqu’à la Range Rover garée dans l’allée, parce que je ne voulais pas voir à quel point elle avait encore pelé.

(Mais peut-être que c’était fini. Peut-être qu’elle savait que j’avais déjà compris ce qu’elle voulait de moi.)

Et dans la voiture, il n’y a pas eu la complainte qui précédait habituellement ces rendez-vous. Pas la moindre dispute parce que j’étais totalement concentré sur mon silence. Jayne ne savait rien de ce qui se passait à l’intérieur de la maison ou de l’existence d’un vidéo-clip de mon père quelques instants avant sa mort, ou encore de la transformation du 307 Elsinore Lane en une maison qui avait existé dans Valley Vista, au cœur d’une banlieue de la San Fernando Valley appelée Sherman Oaks, ou même qu’un vent phénoménal m’avait empêché de chercher une voiture que je conduisais adolescent, ou qu’un assassin rôdait dans le comté de Midland à cause d’un livre que j’avais écrit ou – plus pressant encore – qu’une fille que j’avais désirée avait disparu au motel Orsic à Stoneboat, tard au cours de la nuit dernière. Et soudain je me suis dit : Si tu as écrit quelque chose et que cela se produit, est-ce que tu ne pourrais pas écrire autre chose et le faire disparaître ?

Je me suis concentré sur le ruban plat de l’asphalte de l’autoroute pour ne pas voir les palmiers et les citrus couchés par le vent qui avaient soudain fait leur apparition sur le bord de la route (j’imaginais leurs troncs surgissant du sol dur et sombre pour moi seul), et les vitres étaient remontées afin que l’odeur du Pacifique ne s’infiltre pas dans la voiture, et la radio était éteinte de sorte qu’on n’entendait ni Someone Saved My Life Tonight ni Rocket Man sur la station d’un État voisin qui diffusait ce genre de truc. Jayne, sur le siège du passager, se tenait aussi loin de moi que possible, les bras croisés, tirant régulièrement sur sa ceinture de sécurité pour me rappeler de m’attacher. Elle a émis un petit claquement avec la langue quand elle a remarqué à quel point j’étais consciencieux. Chaque cellule de mon cerveau était mobilisée pour détruire (simplement pour ce soir) toutes les choses qui me tournaient dans la tête, mais en fin de compte j’étais trop fatigué et distrait pour flipper. Il était temps de se concentrer sur ce soir. Et comme je commençais à faire attention, quelque chose s’est détendu au moment où nous avons traversé le parking à pied. J’ai fait une plaisanterie qui l’a fait sourire, et puis nous avons échangé une autre plaisanterie. Elle m’a pris la main au moment où nous nous sommes approchés de l’immeuble, et j’étais plein d’espoir quand nous sommes entrés dans le cabinet du Dr Faheida, Jayne et moi nous asseyant dans des fauteuils en cuir noir, face à face, pendant que le Dr Faheida (qui semblait à la fois excitée et humiliée par le statut de star de Jayne) était perchée sur un tabouret, décalée comme un arbitre de chaise avec un bloc-notes jaune sur lequel elle allait prendre des notes et auquel elle se référerait négligemment pendant toute la séance. Nous étions censés nous parler l’un à l’autre, mais souvent nous n’y pensions pas et, pendant les dix premières minutes, adressions nos récriminations au psy, oubliant de recourir aux pronoms spécifiques, et je décrochais le premier tandis que Jayne commençait la première (parce qu’elle avait tellement plus de problèmes), et puis j’entendais quelque chose qui m’arrachait à mon accablement.

Ce soir, c’était : « Il n’a pas établi le contact avec Robby. »

Un silence, et puis le Dr Faheida a demandé, « Bret ? »

C’était le point clé de l’affaire, le coup tordu au milieu de la répétition abrutissante de chaque séance. Très vite, j’ai mis en place une défense en disant, « Ce n’est pas vrai », mais j’ai été interrompu par un son exaspéré émis par Jayne.

« OK… Je veux dire que ce n’est pas vrai parce que ce n’est pas totalement vrai… Je pense que nous nous entendons un peu mieux à présent et… »

Le Dr Faheida a levé la main pour faire taire Jayne, qui se tortillait dans son fauteuil. « Laissez Bret parler, Jayne.

— Et je veux dire que, nom de Dieu, ça ne fait que quatre mois. Ça ne peut pas se faire du jour au lendemain. » Ma voix était ferme, en raison de mon calme.

Silence. « Avez-vous terminé ? a demandé le Dr Faheida.

— Euh, je pourrais dire qu’il n’a pas établi le contact avec moi. » Je me suis tourné vers le Dr Faheida. « Je peux dire ça, non ? C’est possible ? Que Robby n’a pas essayé d’établir le contact avec moi ? »

Le Dr Faheida a caressé son cou mince et hoché la tête avec bienveillance.

« Il n’était pas là pendant que Robby grandissait », a dit Jayne. Et je pouvais déjà dire en entendant sa voix – quelques minutes après le début de la séance – que sa rage finirait par être défaite par sa tristesse.

« Adressez-vous à Bret, Jayne. »

Elle s’est tournée vers moi et quand nos yeux se sont croisés, j’ai détourné la tête.

« C’est pour ça qu’il n’est que ce garçon pour toi, a-t-elle dit. C’est pour ça que tu n’éprouves rien de particulier pour lui.

— Il est encore en train de grandir », lui a rappelé gentiment le Dr Faheida.

Et puis, j’ai dû empêcher mes larmes de couler en disant : « Mais étais-tu vraiment là pour lui, Jayne ? Je veux dire, toutes ces années pendant lesquelles tu voyageais en tous sens, as-tu vraiment été là pour lui…

— Oh, mon Dieu, pas ces conneries encore, a grogné Jayne, en s’enfonçant dans son fauteuil.

— Non, vraiment. Combien de fois l’as-tu laissé pour aller sur un tournage ? Avec Marta ? Ou tes parents ? Ou je ne sais qui ? Chérie, il a grandi en partie avec une série de nounous sans visages…

— C’est exactement pour ça que je pense que la thérapie est inutile, a dit Jayne au Dr Faheida. C’est exactement pour ça. C’est une plaisanterie. C’est pour ça que c’est une perte de temps.

— C’est une plaisanterie pour vous, Bret ? a demandé le Dr Faheida.

— Il n’a jamais changé une couche », a dit Jayne, avant de se lancer dans sa litanie hystérique sur le fait que les difficultés auxquelles nous étions confrontés étaient dues à mon absence pendant la prime enfance de Robby. Elle était en train de souligner que « jamais on ne m’avait vomi dessus » quand j’ai dû lui couper la parole. Je ne pouvais pas m’en empêcher. Je voulais que sa culpabilité et sa colère donnent vraiment leur pleine mesure.

« On m’a vomi dessus, chérie, ai-je protesté. On m’a même vomi dessus assez souvent. En fait, il y a eu une année où on m’a vomi dessus sans arrêt.

— Que tu te sois vomi dessus ne compte pas ! a-t-elle crié avant de dire, sur un ton moins exaspéré, au Dr Faheida : Vous voyez… c’est une pure plaisanterie pour lui.

— Bret, pourquoi essayez-vous de masquer les vrais problèmes en recourant à l’ironie et au sarcasme ? a demandé le Dr Faheida.

— Parce que je ne sais pas à quel point je peux prendre tout ceci au sérieux si nous ne blâmons que moi.

— Personne ne “blâme” qui que ce soit, a dit le Dr Faheida. Je croyais que nous nous étions mis d’accord sur le fait que c’était un terme à proscrire ici.

— Je pense que Jayne a besoin d’assumer ses responsabilités dans cette affaire. » J’ai haussé les épaules. « N’avons-nous pas terminé la séance de la semaine dernière en parlant du problème de Jayne ? Le tout petit problème de Jayne… » J’ai levé deux doigts, les serrant l’un contre l’autre, en guise d’illustration « … qui pense qu’elle n’est pas digne de respect et comment ça fout tout en l’air ? Nous en avons parlé ou pas, Dr Fajita ?

— C’est Faheida, a-t-elle corrigé posément.

— Dr Fajita, est-ce que personne ne voit ici que je ne voulais pas…

— Oh, c’est ridicule, a crié Jayne. C’est un drogué. Il a recommencé à en prendre.

— Rien de tout ceci n’a à voir avec le fait d’être drogué, ai-je crié à mon tour. Cela a à voir avec le fait que je ne voulais pas avoir d’enfant ! »

Tout est devenu très tendu. Le silence a envahi la pièce. Jayne me dévisageait.

J’ai respiré et commencé à parler lentement.

« Je ne voulais pas avoir d’enfant. C’est vrai. Je ne voulais pas. Mais… maintenant… » J’ai dû m’arrêter. Un cercle se resserrait autour de moi et j’avais l’impression d’avoir la poitrine tellement comprimée que l’obscurité m’a submergé un instant.

« Maintenant… quoi, Bret ? » C’était le Dr Faheida.

« Mais maintenant je veux… » J’étais si fatigué que je n’ai pas pu m’empêcher de me mettre à pleurer.

Jayne me regardait avec dégoût.

« Y a-t-il rien de plus pathétique qu’un monstre qui ne cesse de dire s’il vous plaît ? s’il vous plaît ? s’il vous plaît ?…

— Euh… qu’est-ce que tu veux de plus ? ai-je demandé, me reprenant un peu.

— Tu plaisantes ? Tu me poses vraiment la question ?

— Je vais essayer, Jayne. Je vais vraiment essayer. Je vais… » Je me suis essuyé le visage. « Je vais m’occuper des enfants quand tu seras partie demain et… »

Jayne a parlé par-dessus moi d’une voix lasse. « Nous avons une bonne, nous avons Marta, les enfants sont dehors toute la journée…

— Mais je peux m’en occuper aussi quand, euh, ils sont à la maison et… »

Jayne s’est brusquement levée.

« Mais je ne veux pas que tu t’occupes d’eux parce que tu es un drogué et un alcoolique, et c’est la raison pour laquelle nous avons besoin de gens à la maison, et c’est la raison pour laquelle je n’aime pas que tu les emmènes en voiture où que ce soit, et c’est la raison pour laquelle tu devrais simplement…

— Jayne, je crois que vous devriez vous asseoir. » Le Dr Faheida a désigné le fauteuil.

Jayne a pris une longue inspiration.

Voyant que je n’avais pas d’autre option (et que je ne voulais pas d’autre option), j’ai dit, « Je sais que je n’ai pas vraiment fait mes preuves, mais je vais essayer… Je vais vraiment essayer que ça marche ». J’espérais que plus je le dirais, mieux elle pourrait l’enregistrer.

J’ai voulu prendre sa main. Elle a frappé la mienne.

« Jayne, a dit le Dr Faheida sur un ton de remontrance.

— Que vas-tu essayer, Bret ? a demandé Jayne, debout devant moi. Tu vas essayer parce que ta vie est pire quand tu es seul ? Parce que tu as trop peur de vivre seul ? Ne me dis pas que tu vas essayer parce que tu aimes Robby. Ou parce que tu m’aimes. Ou Sarah. Tu es bien trop égoïste pour t’en tirer avec un putain de mensonge pareil. Tu as seulement peur de te retrouver seul. C’est seulement plus facile de rester dans les parages.

— Alors fous-moi dehors ! »

Jayne s’est effondrée dans le fauteuil et s’est remise à san gloter.

Cela m’a permis de reprendre contenance.

« C’est un processus. Ce n’est pas intuitif. C’est quelque chose qu’il faut apprendre…

— Non, Bret, c’est quelque chose qu’il faut sentir. Tu n’apprends pas à entrer en contact avec ton propre fils à l’aide d’un foutu manuel.

— Les deux doivent faire un effort. Et Robby ne fait pas d’effort.

— C’est un enfant…

— Il est bien plus intelligent que tu ne veux le croire, Jayne.

— Ce n’est pas juste.

— Ouais, d’accord, tout est de ma faute. J’ai trahi tout le monde.

— Tu es tellement sentimental.

— Jayne, tu m’as repris pour des raisons égoïstes. Tu ne m’as pas repris à cause de Robby. »

Sa bouche est restée ouverte, sous le choc.

Je secouais la tête en lui jetant un regard furieux.

« Tu m’as repris pour toi-même. Parce que tu voulais que je revienne. Tu as toujours voulu que je revienne. Et tu ne supportes pas de ressentir ça. Je suis revenu vers toi parce que tu voulais que je revienne et ce choix n’avait pas grand-chose à voir avec Robby. C’était ce que Jayne voulait.

— Comment peux-tu dire une chose pareille ? a sangloté Jayne, la voix haut perchée, incrédule.

— Parce que je ne pense pas que Robby veuille que je sois ici. Je ne pense pas que Robby ait jamais voulu que je revienne. » Je me suis senti si fatigué en faisant cette confession que ma voix s’est transformée en murmure. « Je ne pense pas qu’un père ait jamais vraiment besoin d’être présent. » J’avais de nouveau les larmes aux yeux. « Les gens s’en sortent mieux sans eux. »

Jayne a cessé de pleurer et m’a considéré avec un intérêt froid et authentique. « Vraiment ? Tu penses que les gens s’en sortent sans père ?

— Oui. » On pouvait à peine m’entendre dans la pièce. « Je le pense.

— Je pense qu’on peut prouver immédiatement que cette théorie est fausse.

— Comment ? Comment, Jayne ? »

Posément, sans effort, elle a répondu, « Regarde ce que tu es devenu ».

Je savais qu’elle avait raison, mais je ne pouvais pas supporter le silence qui aurait pu ponctuer cette phrase, qui aurait pu lui donner une dimension et une profondeur et un poids, la phrase qui établirait un contact avec un public.

« Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Que tu te trompes. Qu’un garçon a besoin de son père. Ça veut dire que tu t’es trompé, Bret.

— Non, Jayne, c’est toi qui te trompes. Tu t’es trompée en ayant cet enfant, pour commencer. Et tu sais que tu t’es trompée. Ce n’était pas prévu et lorsque tu m’as soi-disant consulté, je t’ai dit que je ne voulais pas d’enfant et tu l’as fait quand même, même si tu savais que tu te trompais. Nous n’avons pas pris cette décision ensemble. Si quelqu’un s’est trompé, Jayne, c’est toi…

— Tu es une pharmacie ambulante – tu ne sais même pas de quoi tu parles. » Jayne sanglotait de nouveau. « Comment peut-on écouter des trucs pareils ? »

Je pensais avoir atteint la limite de l’affection, mais l’épuisement me poussait inlassablement sur un ton raisonnable.

« Tu as fait quelque chose de très égoïste en mettant Robby au monde et maintenant tu t’aperçois à quel point c’était égoïste et tu me fais porter la responsabilité de cet égoïsme.

— Espèce d’enfoiré, a-t-elle sangloté, décomposée. Tu es un enfoiré total.

— Jayne, a coupé le Dr Faheida. Nous avons parlé de la nécessité pour vous d’ignorer Bret quand il dit une chose que vous désapprouvez ou que vous savez être fausse de toute évidence.

— Hé ! me suis-je exclamé en me redressant.

— Oh, j’essaie, a dit Jayne, respirant difficilement, le visage tordu par le remords. Mais il ne me laisse pas l’ignorer. Parce que Mister Rock Star a besoin de toute l’attention possible et qu’il est incapable de l’accorder à qui que ce soit d’autre. » Elle avait ravalé un sanglot et puis elle a dirigé sa fureur contre moi de nouveau. « Tu es incapable de te dégager d’une situation et de la voir depuis une perspective qui n’est pas la tienne. C’est toi, Bret, qui es complètement égoïste et totalement absorbé par toi-même et…

— Quand j’essaie d’accorder à toi ou aux enfants l’attention dont vous dites avoir besoin, tout ce que vous faites, c’est vous éloigner de moi. Pourquoi devrais-je encore essayer ?

— Arrête de pleurnicher !

— Jayne…, est intervenue le Dr Faheida.

— Robby était largué avant même que je n’arrive ici, Jayne. Et ce n’était pas à cause de moi.

— Il n’est pas largué, Bret. » Elle s’est mise à tousser. Elle a cherché un Kleenex. « C’est vraiment tout ce que tu as appris ?

— Ce que j’ai pu apprendre au cours des quatre derniers mois, c’est que l’hostilité manifestée à mon égard dans cette maison m’a empêché d’être en contact avec qui que ce soit. Voilà ce que j’ai appris, Jayne… »

Je me suis tu. Soudain, je ne pouvais plus continuer. Involontairement, je me suis radouci. J’ai commencé à pleurer. Comment avais-je fini par être aussi seul ? Je voulais faire tout repartir en arrière. Immédiatement, je me suis levé du fauteuil et agenouillé devant Jayne, la tête inclinée. Elle a essayé de me repousser, mais je tenais ses bras fermement. Et je me suis mis à faire des promesses. J’ai parlé sans être interrompu, d’une voix brute. Je lui ai dit que j’allais être présent pour lui et que les choses allaient changer et que j’avais compris au cours de la semaine qui venait de s’écouler qu’il me fallait être là pour lui et qu’il était temps pour moi de devenir un père. Je n’avais jamais prononcé ces mots avec autant de force et à ce moment précis j’ai pris la décision de laisser la marée du récit m’emporter où elle voulait, ce que je croyais alors être vers Robby, et j’ai continué à parler en pleurant. J’allais me concentrer uniquement sur notre famille désormais. C’était la seule chose ayant du sens à mes yeux. Et quand j’ai terminé et enfin levé les yeux vers le visage de Jayne, il était brisé, tordu, et puis il s’est passé entre nous quelque chose de clair et distinct, et de la façon la plus onirique, sa tête s’est lentement penchée sur le côté et, dans ce mouvement, j’ai senti quelque chose monter et puis son visage s’est recomposé quand elle m’a regardé à son tour et que ses larmes ont cessé en même temps que les miennes, et cette nouvelle expression contrastait tant avec la dureté qui l’avait ravagé auparavant qu’un grand calme a envahi la pièce, la transportant ailleurs. Elle avait été paralysée, stupéfaite, par ma confession. J’étais agenouillé, nos mains toujours nouées. Nous nous tirions mutuellement à l’intérieur. C’était un faible mouvement vers une vision renversée, vers un réconfort. J’avais l’impression d’avoir traversé un monde pour parvenir à ce point. Quelque chose s’est desserré en moi et son regard chargé de remords laissait imaginer un avenir. Mais – et j’ai essayé de bloquer cette pensée – nous regardions-nous vraiment l’un l’autre, ou bien regardions-nous ce que nous voulions être ?