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L’UNIVERSITÉ


Une partie de la ville où nous vivions avait l’air inventée et fracturée et moderne : des constructions penchées, à grande distance les unes des autres, avec des façades qui ressemblaient à des rubans en cascade, des plaques de béton qui se chevauchaient légèrement, et des signaux électroniques encastrés dans les immeubles, et il y avait aussi des écrans à cristaux liquides géants et d’autres à défilement horizontal qui donnaient les cotations en Bourse et les nouvelles du jour, et aussi des néons qui décoraient le tribunal, et une télévision Jumbotron perchée sur le toit du Bloomingdale qui occupait quatre blocs au centre de la ville. Mais au-delà de ce quartier, la ville s’enorgueillissait d’un parc naturel de mille hectares, d’élevages de chevaux et de deux parcours de golf, et il y avait plus de librairies pour enfants que de Barnes & Noble. Mon trajet jusqu’à l’université passait devant de nombreux terrains de jeux et un terrain de base-ball, et dans Main Street (où je me suis arrêté pour acheter un café latte chez Starbuck) on trouvait toute une variété d’épiceries fines, un fromager de premier ordre, une série de pâtisseries, un pharmacien sympathique qui prenait mes ordonnances de Klonopin et de Xanax, un Cineplex discret et une quincaillerie tenue par une famille, et toutes les rues adjacentes étaient bordées de magnolias et de cornouillers et de cerisiers. À un feu rouge décoré de fleurs fraîches, j’ai observé un tamia grimper sur un poteau téléphonique, tout en sirotant mon latte sans matière grasse. Le latte m’a ranimé au point de me donner l’impression que la gueule de bois datait de la semaine dernière. Et soudain, sans raison, je me suis senti heureux en roulant dans les rues ombragées de la ville. Je suis passé devant un champ de pommes de terre. Je suis passé devant des chevaux qui broutaient le long d’une grange. À l’entrée du campus, l’agent de sécurité m’a fait un petit salut et j’ai levé mon latte pour le lui rendre.

La première fois que j’ai repéré la 450 SL crème, ça a été au cours de cet après-midi d’Halloween, doux et ensoleillé. Elle était garée contre le trottoir devant le parking des professeurs et j’ai souri quand je suis passé devant, en reconnaissant que c’était le même modèle et la même couleur que celle que mon père conduisait à la fin des années 1970 et dont j’avais hérité pour mes seize ans. Celle-ci était aussi une décapotable et cette étrange coïncidence a fait remonter toute une série de souvenirs – une autoroute, le soleil resplendissant sur le capot, la vision des lacets de Mulholland à travers le pare-brise et les Go-Go’s qui braillaient à la radio, la capote baissée et les palmiers se balançant au-dessus de moi. Je n’en ai rien fait sur le moment : il y avait pas mal de gamins friqués à l’université et la présence d’une voiture comme celle-là n’était pas nécessairement saugrenue. Les souvenirs se sont donc effacés dès que je me suis garé à ma place réservée et que j’ai pris la pile d’exemplaires de l’édition de poche de Zombies, mon recueil de nouvelles, qui se trouvait sur le siège du passager, avant de me diriger vers mon bureau situé dans une petite grange rouge charmante surplombant le campus. Le sourire toujours aux lèvres, je me suis rendu compte que l’unique raison de ma présence ici aujourd’hui tenait au fait que mon bureau était le seul endroit où Aimee Light accepterait de me voir à présent – sous les auspices d’un tutorat, bien qu’elle ne fût pas mon étudiante, ni moi son professeur et qu’aucun tutorat ne fût prévu (nous avions fait une tentative de rendez-vous galant dans son studio hors du campus, mais un chat odieux y vivait et j’y étais sévèrement allergique).

Sur les marches de la bibliothèque gainée de verre et d’acier, des étudiants soignaient leur gueule de bois aux rayons du soleil. En traversant l’esplanade, je me suis arrêté pour aider à mettre en route un baril de bière (j’en ai sifflé une au passage) devant une nouvelle installation d’art. Des types qui jouaient au football en tenue DKNY traversaient à grandes enjambées la pelouse de l’esplanade et, à l’exception de quelques gothiques assis sous le fronton des Commons (où j’avais déposé ma pile de Zombies sur la table marquée d’un « Gratuit pour les étudiants »), tout le monde avait l’air de sortir d’un catalogue d’Abercombie and Fitch. Tout cela faisait penser à quelque chose d’alléchant et une fois encore j’ai été renvoyé dans le passé, à mes années révolues à Camden. En fait, tout le campus – l’ambiance, la situation des dortoirs, la conception des bâtiments principaux – me rappelait Camden, même si ce n’était qu’une autre petite université chic au milieu de nulle part.

« Yo, Mr. Ellis, géniale la fête hier soir, tout baigne ? » a crié quelqu’un. C’était un athlète de mon atelier d’écriture qui avait un semblant de talent.

« Yo, je suis mal, je suis très mal, Jesse, ai-je répondu plaisamment et puis j’ai ajouté, en y repensant : Rock on. »

Les étudiants m’appelaient de toutes parts pendant que je me dirigeais vers la Grange, pour me remercier de la fête à laquelle tous étaient venus sans y avoir été invités. Et mon sourire professoral était accueilli par leurs rires de remerciement. Il y avait aussi l’étudiant juif un peu nerveux (David Abromowitz) que j’ai salué de la tête en passant et qui, je dois le confesser, me plaisait pas mal. Les compliments sur la fête démente continuaient à fuser et je saluais gentiment d’un geste des étudiants que je n’avais jamais vus auparavant.

Sur la porte de mon bureau était épinglé le mot d’une étudiante dont je n’avais jamais entendu parler qui annulait un rendez-vous que je ne me souvenais pas avoir pris, et présentait ses excuses pour son « éclat » pendant le cours de mercredi dernier. J’ai vraiment essayé de me rappeler de l’étudiante et de la cause de l’éclat, mais rien n’est venu, parce que le cours était une expérience somnambulique – tellement décontractée et confortable et informelle que l’évocation d’un éclat en devenait inquiétante. En cours, je m’efforçais toujours de paraître enjoué et encourageant, mais comme j’étais tellement célèbre et probablement d’un âge plus proche du leur qu’aucun autre professeur (j’étais complètement autonome à l’université et je n’en étais donc pas vraiment sûr), mes étudiants me considéraient avec crainte. Quand je faisais la critique de leurs nouvelles, j’essayais d’ignorer leurs expressions apeurées et alarmées.

Je me suis assis à mon bureau et j’ai immédiatement ouvert mon ordinateur portable afin d’inventer un rêve à refiler au Dr Kim, la toute petite psy coréenne que ma femme avait trouvée grâce à notre conseillère conjugale, le Dr Faheida. Le Dr Kim, de stricte obédience freudienne, croyait fermement à l’expression de l’inconscient dans l’imaginaire onirique et souhaitait que je présente un rêve nouveau chaque semaine pour que nous puissions l’interpréter, mais elle avait un accent tellement fort qu’une fois sur deux je ne savais pas de quoi elle parlait, et le fait que je ne faisais plus jamais de rêves rendait ces séances presque insupportables. Mais Jayne insistait (et payait) pour que je les suive, et il était donc plus facile d’endurer ces heures de psychothérapie que de subir les harcèlements qu’aurait provoqués mon refus (de plus, cette mascarade était pour moi le seul moyen d’obtenir des ordonnances de Klonopin et de Xanax – et sans elles j’étais foutu). Entre-temps, le Dr Kim commençait à comprendre – devenant un peu plus suspicieuse à chaque rêve inventé – mais je devais lui en raconter un aujourd’hui et donc, en attendant qu’Aimee Light arrive (et, avec un peu de chance, se déshabille), je me suis sérieusement concentré sur le genre de rêve qui pourrait émerger, en l’état actuel, de mon inconscient. En jetant un coup d’œil à ma montre, j’ai vu qu’il allait falloir faire vite. Je devais inventer le rêve, le taper, l’imprimer et puis – sans doute après avoir baisé avec Aimee Light – foncer pour arriver chez le Dr Kim avant 15 heures. Aujourd’hui : eau, accident d’avion, poursuivi par un blaireau… très excité (souvenez vous : les animaux ne sont pas mes amis), j’étais nu dans l’avion, le blaireau excité était… aussi dans l’avion, et peut-être que son nom était… Jayne.

Lorsque j’ai levé les yeux, un étudiant est apparu dans l’encadrement de la porte et m’a regardé d’un air gêné. Au premier regard, il n’y avait rien d’inhabituel chez lui : grand, une sorte de beauté générique, un visage fin, légèrement anguleux, des cheveux brun-roux bien coupés, un sac à dos sur l’épaule. Il portait un jean et un vieux pull Armani vert olive (vieux parce que c’était un pull que j’avais porté quand j’étais étudiant). Il avait un gobelet Starbuck à la main et il avait l’air un peu plus vif que le glandeur moyen à yeux mi-clos qui peuplait le campus. Et sans pouvoir me rappeler exactement où, je savais que je l’avais déjà vu, et j’étais donc intrigué. De plus, il avait en main un exemplaire de mon premier roman, Moins que zéro, ce qui m’a fait me lever et dire, « Salut ».

Le garçon a eu l’air presque choqué par mon salut et s’est trouvé tout à coup incapable de dire quoi que ce soit avant que je ne parle de nouveau.

« C’est un roman merveilleux que vous avez en main…

— Oh, ouais, salut, j’espère que je ne vous dérange pas.

— Non, pas du tout. Entrez, entrez. »

Il a détourné le regard et rougi, puis il est entré d’un pas lent dans le bureau et s’est assis avec précaution sur la chaise qui était devant mon bureau.

« Je suis un grand fan, Mr. Ellis.

— Il n’y a pas une loi qui interdit les politesses ici ? ai-je dit avec une expression de faux dégoût, en espérant que ça le détendrait parce qu’il avait l’air vraiment raide sur cette chaise. Appelez-moi Bret. » J’ai marqué un temps d’arrêt. « Nous ne nous sommes pas déjà rencontrés ?

— Euh, je m’appelle Clayton et je suis en première année, et non je ne crois pas. Je voulais simplement vous demander si vous pouviez me le dédicacer. » Sa main tremblait légèrement lorsqu’il m’a tendu le livre.

« Bien sûr. Je serais ravi. » Je l’ai observé pendant qu’il me donnait le livre, qui était dans un état immaculé. Je l’ai ouvert à la page de copyright et j’ai vu que c’était une première édition, ce qui faisait de l’exemplaire que j’avais en main quelque chose de très rare et très onéreux.

« J’ai un cours dans quelques minutes, alors… » Il a fait un geste en l’air.

« Oh, bien sûr. Je ne vous retiendrai pas longtemps. » J’ai posé le livre sur le bureau et cherché un stylo. « Donc, Clayton… Je suppose que tous vos amis vous appellent Clay. »

Il m’a dévisagé et puis – comprenant où je voulais en venir – il a souri et dit, « Ouais ». Il a pointé le doigt vers le livre. « Comme Clay dans le roman.

— C’est le lien que j’ai fait, ai-je dit en ouvrant un tiroir. Y en a-t-il un autre ? » J’ai trouvé un stylo et levé les yeux. Il me regardait fixement, l’air dubitatif. « C’est bien lui. Vous avez raison », l’ai-je rassuré, mais je n’ai pas pu m’empêcher d’ajouter, « Vous avez un visage qui m’est très familier. »

Il s’est contenté de hausser les épaules.

« Et quelle est votre matière principale ?

— Je veux être écrivain. » Il semblait avoir du mal à l’admettre.

« Vous avez cherché à vous inscrire dans mon cours ?

— Je suis en première année. Il n’est ouvert qu’aux troisième et quatrième années.

— Oh, j’aurais pu user de mon influence, ai-je dit avec délicatesse.

— Pour quelle raison ? » a-t-il demandé, un peu sèchement.

Je me suis rendu compte que je flirtais et j’ai donc baissé les yeux vers le livre et le stylo que je tenais, un peu gêné pour moi-même.

« Je ne suis pas très bon, a-t-il concédé, en se redressant après avoir constaté le subtil et soudain changement de l’atmosphère dans la pièce.

— Eh bien, aucun de mes autres étudiants non plus, vous seriez donc parfaitement à votre place », ai-je dit avec un rire sardonique. Lui n’a pas ri.

« Mes parents… » De nouveau, il a hésité. « Mon père, en fait… il voulait que je fasse des études de commerce et…

— Ah oui, l’éternel dilemme. »

Clayton a regardé sa montre avec insistance – façon de me faire comprendre qu’il devait y aller. « Vous n’avez qu’à signer mon nom – je veux dire, votre nom. » Il s’est levé.

« Vous travaillez sur quelque chose en particulier ? » J’ai posé la question gentiment en signant mon nom d’un paraphe fleuri inhabituel sur la page de titre.

« J’ai un roman en partie écrit. »

Je lui ai rendu le livre. « Eh bien, si vous avez un jour envie de me montrer quelque chose… » J’ai laissé l’offre en l’air, attendant qu’il l’accepte.

Et c’est à cet instant-là que j’ai su où j’avais vu Clayton.

Il était à la fête d’Halloween hier soir.

Il était déguisé en Patrick Bateman.

Je l’avais vu quand je regardais par la fenêtre de la chambre de Sarah au moment où il disparaissait dans l’obscurité d’Elsinore Lane.

J’ai respiré avec difficulté, quelque chose s’était bloqué en moi, et j’ai frissonné.

Il rangeait le livre dans son sac à dos quand je lui ai demandé, « Alors vous n’êtes pas venu à la fête que ma femme et moi avons donnée hier soir ? »

Il s’est raidi et a dit, « Non. Non, je n’y étais pas ».

C’était dit avec une telle ingénuité qu’il m’était impossible de juger s’il mentait ou non. Et s’il avait parasité la fête, pourquoi l’admettrait-il maintenant ?

« Vraiment ? J’ai l’impression de vous y avoir vu. » Je ne pouvais m’empêcher d’insister.

« Euh, non, ce n’était pas moi. » Il était debout devant mon bureau, il attendait.

Je me suis aperçu qu’il fallait que je dise un truc pour le faire bouger.

« Bon, j’ai été heureux de faire votre connaissance, Clayton.

— Oui, moi aussi. »

J’ai tendu la main. Il l’a serrée brusquement en détournant le regard, marmonnant ses remerciements au moment même où j’entendais des pas dans le couloir.

Clayton les a entendus, lui aussi, et, sans rien ajouter, s’est tourné pour sortir.

Mais il s’est heurté à Aimee Light sur le seuil et ils ont rapidement échangé un regard avant que Clayton ne s’éloigne précipitamment.

« C’était qui ? » a demandé Aimee d’une voix détachée, la démarche chaloupée.

J’ai avancé jusqu’à la porte, encore un peu sidéré par la rencontre, et j’ai regardé Clayton disparaître au fond d’un couloir vide. J’ai essayé de comprendre pourquoi il avait menti à propos de la fête hier soir. Oh, il était timide. Oh, il n’avait pas été invité. Oh, il avait voulu venir quand même. Peu importe.

Aimee a parlé de nouveau. « C’était un de vos étudiants ?

— Ouais, ouais, ai-je répondu en fermant la porte. Un jeune homme très intéressant qui venait d’épuiser les sept minutes qui lui étaient allouées. »

Aimee s’était appuyée contre mon bureau, face à moi, et elle portait une robe d’été ravissante, et elle savait exactement ce qu’allait provoquer une robe d’été ravissante à la fin du mois d’octobre – une promesse charnelle. Je me suis immédiatement approché d’elle et elle s’est redressée pour s’asseoir sur le bureau et écarter les jambes, et je me suis glissé entre elles et elle les a enroulées autour de ma taille pendant que je baissais les yeux vers elle. Tout cela était extrêmement encourageant.

« Un adorateur ? a-t-elle demandé avec un air faussement modeste.

— Non – dans ce cas, il aurait eu droit à dix minutes. »

Nous nous sommes embrassés.

« Tellement démocratique.

— Hé, ça fait partie de mon serment de professeur. » En l’embrassant, je continuais à goûter son brillant à lèvres, qui me ramenait à l’époque du lycée et des filles avec qui je sortais quand le brillant à lèvres parfumé faisait fureur, quand je roulais des pelles sur une chaise longue au bord d’une piscine à fond noir à Encino, quand j’étais bronzé et que je portais un collier en nacre vrai de vrai, quand on entendait Feels Like the First Time, quand son nom était Blair, et l’odeur délicieuse et légèrement fruitée du chewing-gum envahissait mon bureau à présent et j’étais perdu jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’Aimee s’était écartée et me dévisageait. Ma main était encore posée sur sa nuque.

« Je viens de voir Alvin. »

J’ai soupiré. Alvin Mendolsohn était son directeur de thèse. Je ne l’avais jamais rencontré.

« Et qu’a dit Alvin ? »

Elle a soupiré à son tour. « Pourquoi est-ce que vous perdez votre temps là-dessus ?

— Pourquoi est-ce que ton directeur de thèse me hait à ce point ?

— J’ai quelques hypothèses.

— Tu voudrais bien me les faire connaître ? » Je passais doucement le bout du doigt le long de son avant-bras. Je caressais délicatement son poignet.

« Il pense que vous faites partie du problème.

— Non de Dieu, quel trou du cul. » Je l’ai embrassée de nouveau, le sens inné de la direction de mes mains les dirigeant vers ses seins.

Elle les a repoussées. « Comment est la maison – pas trop abîmée, j’espère », a-t-elle demandé pendant que je pressais mon érection contre sa cuisse qu’elle a contractée. J’étais de plus en plus impatient et j’allais écarter mon ordinateur et la coucher sur le bureau lorsqu’elle a dit, « Est-ce que Jayne est au courant pour nous ? »

Je me suis légèrement éloigné d’elle, mais elle a souri et m’a maintenu en position avec ses jambes.

« Pourquoi tu me poses la question ? Pourquoi est-ce que tu me poses la question maintenant ?

— Elle me regardait d’un air bizarre, hier soir. »

Je me suis recollé contre elle, je l’ai embrassée dans le cou et dans le creux du bras – elle avait la chair de poule. « C’était l’éclairage. N’y pense plus. »

Aimee s’est écartée de moi. « J’ai vraiment eu l’impression qu’elle m’observait. »

J’ai soupiré et je me suis redressé. « Est-ce qu’on va le faire un jour ou pas ?

— Oh, mon Dieu…

— Parce que, tout d’abord, je ne pense pas que je sois trop jeune. »

Elle a ri très fort, en renversant la tête en arrière. « Non, ce n’est pas ça.

— Et tu deviens rapidement la plus grosse allumeuse que j’aie jamais rencontrée et ce n’est pas drôle, Aimee. » J’ai attrapé sa main et l’ai plaquée contre mon entrejambe. « Tu veux sentir à quel point ce n’est pas drôle ?

— Je ne devrais pas avoir de liaison avec vous pour plusieurs raisons », a-t-elle dit en se redressant. Mais je n’ai pas bougé d’un centimètre. Elle a continué à soupirer. « Écoutez, un, vous êtes marié…

— Mais depuis trois mois seulement !

— Bret… »

Je me suis recollé contre elle, en frottant mon visage dans son cou. « Les hommes mariés vivent plus longtemps.

— Il n’y a pas une seule étude qui prouve que ce soit une bonne idée d’être marié. »

Je me suis agenouillé jusqu’à ce que j’aie en face des yeux ses cuisses écartées. J’ai glissé une main sous sa robe, senti l’anneau de son nombril au milieu de son ventre doux et bronzé. Ma main est descendue vers le bas de son abdomen et autour de ses hanches. L’incurvation en bas de sa colonne vertébrale, juste au-dessus du cul – j’ai caressé délicatement la déclivité, un petit massage très doux, des mouvements circulaires, et puis mes mains sont descendues à l’endroit où les fesses rejoignent les cuisses. Mes mains se sont déplacées vers le bord de sa culotte et le territoire inconnu au-dessous. Elle a essayé de serrer les cuisses, mais je les ai tenues fermement pour les maintenir écartées. Avec un effort, je suis parvenu à dire, « J’ai lu une étude quelque part dans un magazine ». Elle s’est débattue pour serrer les cuisses. Moi, je serrais les dents. « Un truc sur le lien entre la fréquence du coït et l’espérance de vie. » J’ai fini par lâcher prise, un peu essoufflé.

« Qu’est-ce que c’est que ces conneries ? a-t-elle dit en riant.

— Écoute, j’essaie de provoquer une réaction sexuelle chez toi, alors pourquoi est-ce que tu n’es pas tordue de plaisir ? »

Elle s’est détendue quand je me suis relevé, et nous nous sommes embrassés. Je me suis de nouveau perdu en elle. « Mon Dieu, mais qu’est-ce que tu portes ? Ce parfum, ça me ramène très loin.

— Où ça ? » Je léchais sa bouche. « Euh, juste très loin. Dans le passé. Je revis toute mon adolescence.

— Simplement avec le brillant à lèvres ?

— Ouais. C’est comme ces petites mandarines chez Proust.

— Vous voulez dire madeleines.

— Ouais, comme ces petites mandarines.

— Comment… est-ce que vous avez décroché ce boulot ?

— Belles jambes. » Je caressais de nouveau son ventre, en tirant doucement sur l’anneau qui lui traversait le nombril. « Est-ce que je pourrais en avoir un aussi ? Nous aurions des anneaux de nombril assortis. Ce serait pas génial ?

— Ouais, ça mettrait en valeur vos abdos.

— Tu veux parler de ma tablette ?

— Je crois que je parle de votre plaque.

— Tu es très sexy, baby, mais je le suis aussi. »

Et puis, comme d’habitude, ça s’est arrêté. Cette fois, c’était mutuel. Elle devait aller quelque part et moi je devais imprimer un rêve et foncer chez le Dr Kim.

Alors que nous nous apprêtions à sortir du bureau, Aimee a dit quelque chose.

« Ce garçon qui était là tout à l’heure…

— Ouais. Tu le connais ? »

Elle est restée silencieuse un instant. « Non, mais j’ai déjà vu sa tête.

— Ouais, c’est ce que j’ai pensé moi aussi. Tu l’as vu à la fête, hier soir ? ai-je demandé pendant que l’imprimante commençait à cracher mon devoir.

— Je ne suis pas sûre, mais il m’a fait penser à quelqu’un.

— Ouais, il était déguisé en Patrick Bateman. C’était le type en costume Armani. Vraiment affreux.

— Euh, Bret, j’ai une information pour vous : vous étiez tellement pété que je ne crois pas que vous auriez pu reconnaître qui que ce soit pendant cette fête. »

J’ai haussé les épaules, glissé le rêve dans ma veste et ramassé quelques nouvelles que des étudiants avaient laissées pour moi. Tout était silencieux. Aimee réfléchissait à un truc en allumant sa cigarette.

« Ouais ? Qu’est-ce qu’il y a ? ai-je demandé. Je vais être en retard.

— C’est bizarre que vous ayez dit Patrick Bateman ?

— Pourquoi ?

— Parce qu’il ressemblait un peu à Christian Bale. »

Nous sommes restés sans parler un bon moment, parce que Christian Bale était l’acteur qui avait joué Patrick Bateman dans la version cinématographique d’American Psycho.

« Mais il vous ressemblait aussi. À vingt ans près. »

J’ai recommencé à frissonner.

Au parking, la 450 SL crème n’était plus là.

J’ai remarqué.