Je me suis réveillé dans la chambre d’amis au son du chasse-feuilles et lorsque j’ai regardé par la fenêtre (le camion du jardinier dans l’allée signalait qu’on était samedi), je me suis brièvement senti bien dans mon environnement, jusqu’à ce que je m’aperçoive que j’étais entièrement habillé (pas très bon signe) et que je n’avais aucun souvenir de la façon dont je m’étais endormi la veille (pas très bon signe non plus), et que tout ça se transforme en spasme d’anxiété. J’ai balancé mes jambes hors du lit, renversé au passage la bouteille de vodka que j’avais achetée hier – mais elle était vide (pas très bon signe là encore). En même temps, la bouteille de Ketel One pouvait laisser penser que ma peur était le résultat d’une gueule de bois et rien d’autre – j’étais sain et sauf, j’étais vivant, j’étais OK. J’ai eu une réaction mitigée, cependant, en découvrant le gobelet de Jumbo Slurpee que j’avais caché sous le lit et qui était à présent sur la table de nuit, à moitié rempli d’urine, ce qui voulait dire que j’avais été ivre au point de ne pas pouvoir me rendre, au milieu de la nuit, dans la salle de bains à quelques mètres du lit, mais pas ivre au point de ne pas pouvoir diriger le jet de la miction dans le gobelet plutôt que sur la moquette beige, conclusion : OK, pissé dans le gobelet Jumbo Slurpee et pas sur la moquette – positif ou négatif ? Je suis allé rapidement jusqu’à la porte pour vérifier que je l’avais bien fermée avant de m’effondrer. Et l’anxiété habituelle du matin s’est légèrement dissipée quand je me suis aperçu que j’avais bien fermé la porte, ce qui signifiait que Jayne n’avait pas pu venir contrôler la situation (ivre mort, puant la vodka, un gobelet rempli d’urine sur la table de nuit). Mais l’anxiété est revenue dès que je me suis rendu compte qu’elle n’avait probablement même pas essayé.
J’ai emporté prudemment le gobelet à la cuisine, remarquant de nouveau la moquette tachée sous mes pieds en traversant la salle de séjour – le beige tournant à présent au vert pâle et les poils encore plus longs (première réaction : la moquette pousse). Rosa passait l’aspirateur, insistant avec le Hoover sur un endroit bien spécifique. Avec précaution, je me suis approché jusqu’à ce que je puisse voir les empreintes d’aspect cendreux et je me suis fait la réflexion : pourquoi ne les a-t-elle pas nettoyées hier ? Quand Rosa a levé la tête, elle a éteint l’aspirateur et attendu que je dise quelque chose, mais j’étais en train de constater que le mobilier n’avait pas été remis en place, et ma gueule de bois et ma confusion (parce que cette pièce me paraissait incroyablement familière à présent) ont rendu superflu tout commentaire.
Finalement, Rosa a fait un geste en direction de la moquette. « Je crois que c’est la fête qui a fait ça, Mr. Ellis. »
J’ai baissé les yeux vers les empreintes à l’aspect cendreux. « Comment une fête peut-elle faire changer la couleur de la moquette ?
— J’ai entendu dire qu’il y a eu beaucoup de monde. » Elle s’est interrompue. « Peut-être qu’ils ont renversé leurs verres ? »
Je me suis tourné lentement pour lui faire face. « Qu’est-ce que vous croyez qu’on leur a servi ? Du colorant vert ? »
Rosa m’a dévisagé, l’air humble. Un silence qui a fait l’effet de durer une décennie s’est installé. J’ai essayé de dissiper la dureté de mon ton en faisant un geste un peu désinvolte. Sans réfléchir, j’ai approché nonchalamment le gobelet de Slurpee de mes lèvres et tout aussi nonchalamment je me suis arrêté.
« Miss Dennis – elle est sortie », s’est contentée de dire Rosa, puis elle a détourné la tête et remis l’aspirateur en marche, tandis que je me dirigeais vers la cuisine.
Les journaux du matin étaient sur la table, et il y avait un titre sur la disparition d’un autre garçon, du nom de Maer Cohen cette fois. J’ai jeté un rapide coup d’œil à sa photo (douze ans, pas vraiment l’air sémite) et j’ai noté qu’il avait disparu de Midland, qui était à une quinzaine de minutes de chez nous par l’autoroute. Ma réaction a été de retourner le journal. « Pas aujourd’hui, je ne peux pas entendre parler de ça aujourd’hui », ai-je dit à voix haute en m’approchant de l’évier où j’ai discrètement vidé le contenu du gobelet avant de le rincer. Et quand je me suis penché contre le comptoir, j’ai senti les vibrations du lave-vaisselle Miele ultrasilencieux, dissimulé derrière les panneaux en bois de cerisier. Les vibrations étaient apaisantes, mais très vite le bruit du chasse-feuilles contournant la maison pour aller dans le jardin à l’arrière m’a contraint à lever la tête et à regarder de l’autre côté de la baie vitrée.
Et c’est alors que je me suis souvenu de la pierre tombale.
En tendant le cou, j’ai soigneusement examiné le champ.
J’ai hésité avant d’admettre qu’elle n’était plus là.
Et l’obscurité lyrique de la nuit précédente m’a envahi de nouveau.
Mais je suis sorti sur la terrasse et c’était une journée magnifique, avec un ciel limpide et une température anormalement élevée pour la saison, et tout paraissait si peu menaçant dans la lumière, comme si les choses que j’avais vues la nuit dernière (et la peur que j’avais ressentie) n’avaient jamais existé. Victor était affalé devant moi, indifférent au rugissement du chasse-feuilles, et lorsque j’ai ouvert la porte de la cuisine, sa queue s’est mise à battre le plancher, puis s’est bloquée en l’air quand il a vu qui était là et elle est alors doucement retombée et s’est rabattue contre ses pattes arrière. Le chien a écarté les narines et lâché un long soupir humide. J’ai cherché un Xanax dans la poche de mon jean et j’en ai avalé deux et j’ai senti brièvement quelque chose se libérer en moi, mais c’est alors que j’ai vu le type de la piscine (oui, on était bien samedi) repêcher dans le jacuzzi ce qui ressemblait à un corbeau mort (le dimanche soir, chez les Allen, j’allais apprendre qu’un autre corbeau avait été cloué sur le tronc d’un grand pin devant la maison des Larson et qu’un autre encore avait été « cassé en deux » et fourré dans la boîte aux lettres des Moore. On en avait aussi trouvé un déchiqueté – « mâché » est le mot que Mark Huntington allait employer – dans le coffre de la Jeep Cherokee de Nicholas Moore, et un autre encore suspendu dans une énorme toile d’araignée qui s’étendait entre deux chênes du jardin des O’Connor). En m’approchant du jacuzzi, j’ai remarqué que ce qui différenciait ce corbeau de tous ceux que j’avais pu voir auparavant était son bec anormalement long et pointu. Le type de la piscine et moi sommes restés là à contempler l’oiseau, tous les deux sans voix, jusqu’à ce qu’il demande, « Vous avez un chat ? » Il y avait une odeur de fumée dans l’air et le soleil poursuivait son ascension dans le ciel. Sarah avait abandonné son Terby près de la piscine et, dans la lumière du matin, il ressemblait à un truc noir et mort.
J’ai regardé encore une fois vers le champ pour m’assurer que la pierre tombale avait bien disparu.
J’avais les yeux fixés sur le champ vide et sur l’endroit où le terrain s’élevait légèrement avant la lisière des bois et je me suis souvenu que Jayne appelait le champ une « prairie », ce qui le rendait beaucoup plus innocent que ce qu’il m’inspirait à présent. Le bruit du chasse-feuilles ne cessait de se rapprocher et je me suis dirigé vers le jardinier – un gamin blanc à qui je n’avais jamais parlé auparavant. Il a éteint le chasse-feuilles et m’a rejoint, les yeux plissés sous le soleil aveuglant. Je lui ai dit que je voulais lui montrer quelque chose et j’ai pointé le doigt vers le champ. Pendant que nous traversions le jardin à l’arrière de la maison, je lui ai demandé s’il avait entendu ou vu quoi que ce soit d’étrange ces derniers temps. J’ai remarqué que j’avançais d’un pas décidé en attendant sa réponse, nos pieds écrasant les feuilles mortes.
« Étrange ? Euh, Miss Dennis s’était plainte que quelque chose mangeait ses plantes et ses fleurs. Deux souris mortes, un écureuil ou deux – plutôt amochés. C’est tout. » Le jardinier a haussé les épaules. Son ton laissait entendre que rien de tout cela n’était anormal.
« C’était probablement notre chien. Ce truc sur la terrasse. Il y a quelque chose de cruel, de farceur, en lui. »
Le jardinier n’a su que répondre. Juste un silence accompagné d’un sourire qui s’est effacé quand il a vu que je ne plaisantais pas.
« En fait, les chiens ne mangent pas habituellement le genre de fleurs qu’a fait planter Miss Dennis. »
Nous étions parvenus à la limite du jardin.
« Vous ne connaissez pas ce chien. Vous n’avez pas idée de ce dont il est capable.
— Sans rire ?
— J’ai découvert une chose étrange dans le champ, la nuit dernière. »
Nous avons enjambé une barrière en béton assez basse et nous nous tenions à présent là où se trouvait la pierre tombale et où quelqu’un avait creusé un trou (mon scénario le plus optimiste). J’ai désigné la surface noire et humide sur laquelle j’avais glissé et qui maintenant s’étendait de l’endroit où ne se trouvait plus la pierre tombale jusqu’à notre jardin, brutalement interrompue par la barrière en béton. Le jardinier a posé le chasse-feuilles et, après avoir enlevé sa casquette, a essuyé la sueur sur son front. La traînée noire scintillait dans le soleil du milieu de matinée – il y avait une sorte de croûte vernie blanche par-dessus, mais la traînée n’était pas encore entièrement sèche.
« Qu’est-ce que c’est ? a-t-il demandé et j’ai surpris sur son visage une expression généralement liée aux trucs morts.
— C’est ce que je voudrais savoir.
— Ça ressemble à, euh, de la boue.
— Ce n’est pas de la boue. C’est visqueux.
— C’est quoi ?
— Visqueux. C’est visqueux. » Je me suis rendu compte que je venais de dire le mot trois fois.
Le jardinier a fait une petite grimace. En s’agenouillant, il a murmuré quelques explications évasives que je n’ai pas pu entendre. J’ai tourné la tête pour regarder le type de la piscine, qui jetait le corbeau dans un seau en plastique blanc. Un vent chaud faisait onduler la surface de la piscine et des nuages blancs, hauts dans le ciel, se déplaçaient rapidement, cachant le soleil et assombrissant l’endroit où nous nous trouvions. Ce champ est un cimetière, me suis-je dit tout à coup. Le sol au-dessous de nous est rempli de cadavres et l’un d’eux s’est échappé. C’est ce qui a créé cette traînée. C’est ce qui s’est traîné jusqu’à notre maison. Les cris des enfants qui jouaient quelque part dans le quartier – cris de surprise et de déception, expression de quelque chose de vivant – m’ont provisoirement réconforté, et le Xanax avait accéléré mon flux sanguin au point de pouvoir respirer sans que ma poitrine me fasse mal.
« J’ai glissé dessus, la nuit dernière », ai-je fini par dire et puis j’ai ajouté, sans pouvoir m’en empêcher, « Qu’est-ce qui a fait ça ?
— Fait ça ? Ben, c’est une traînée visqueuse, quoi. » Le jardinier a fait une pause. « Je dirais un escargot, une limace, ou plutôt un sacré paquet de limaces a fait ça, mais merde… c’est vraiment trop grand pour une… limace. » Il s’est tu de nouveau. « Et on n’a pas de problèmes d’escargots par ici. »
Je suis resté là, à le regarder. « Trop grand pour une limace, hein ? Bon, tout est dit. C’est encourageant. »
Le jardinier s’est relevé, sans détacher les yeux de la traînée, perplexe. « Et ça sent une drôle d’odeur…
— Vous ne pouvez pas nous en débarrasser ?
— C’est vraiment bizarre… » Mais vous l’êtes aussi, disait l’expression sur son visage. « C’est peut-être ce chien qui vous pose tant de problèmes. » Il a haussé les épaules sans conviction, cherchant à plaisanter.
« Ça ne m’étonnerait pas de lui. Il est capable de tout. Il a un sale caractère. »
Nous nous sommes tournés tous les deux pour regarder Victor couché innocemment sur le flanc, absent. Il a levé lentement la tête et, après quelques secondes, a bâillé dans notre direction. On aurait dit qu’il allait bâiller une seconde fois, mais sa tête s’est inclinée vers l’avant et posée paresseusement sur la terrasse, la langue sortie sur le côté de sa gueule.
« Il est, euh… bipolaire.
— Ouais, il m’a l’air d’être un sacré problème… je suppose. »
Je n’ai rien répondu.
« Je vais arroser et… espérons que ça ne reviendra pas. »
(Mais ça reviendra, ai-je entendu les bois souffler.)
Notre conversation s’est arrêtée là. Elle ne pouvait pas aller plus loin et j’ai donc laissé le jardinier et au moment où j’ai commencé à marcher dans le jardin, j’ai entendu des voix qui venaient du côté de la maison qui faisait face à celle des Allen. Je me suis dirigé vers elles.
Quand j’ai dépassé le coin, j’ai vu Jayne avec notre entrepreneur, Omar (il y avait eu de longues discussions récemment sur l’opportunité d’ajouter une verrière dans l’entrée), et tous les deux avaient pris la même posture : mains sur les hanches, visages levés vers l’étage. Jayne m’a aperçu et a même souri, ce que j’ai pris pour une invitation à lui rendre son sourire et à les rejoindre. En avançant vers eux, j’ai levé les yeux à mon tour. Autour des grandes fenêtres de notre chambre à coucher et au-dessus des portes-fenêtres qui encadraient la salle multimédia au rezde-chaussée, il y avait de larges portions de peinture blanche qui pelaient, révélant le stuc rose qui était dessous. Omar avait à la main un café frappé de chez Starbuck, des Persol relevées sur le front, et l’air troublé. Au premier coup d’œil, on aurait dit que la maison pelait par endroits, comme si quelqu’un avait gratté à l’aveuglette le mur dans un mouvement rapide et circulaire (étaient-ce les bruits qu’avait entendus Robby au milieu de la nuit ?), mais plus on regardait, plus les taches paraissaient obéir à un motif délibéré, comme s’il y avait un message caché en elles, une sorte de code qui attendait d’être percé. Le mur nous (me) disait quelque chose. Je connais ce mur, ai-je pensé. Je l’avais déjà vu. Le mur était une page qui attendait d’être lue. À nos pieds s’étalaient les éclats de peinture si finement moulus qu’ils ressemblaient à de la farine en tas.
« Ce n’est pas normal, a dit Omar.
— Est-ce que des enfants auraient pu le faire ? Une farce d’Halloween ? Est-ce que ça aurait pu se produire le soir de la fête ? » Je me suis interrompu et puis, pour obtenir l’approbation de Jayne, j’ai ajouté, « Je parie que c’est Jay qui l’a fait.
— Non, a dit Jayne. Ça a commencé au début de l’été et ça s’est accéléré depuis. »
Omar a touché le mur de la maison (j’ai sursauté) et puis s’est frotté les mains sur son pantalon. « Euh, ça ressemble à… des griffures, a-t-il dit.
— C’est une sorte d’outil ? ai-je demandé. C’est quoi une griffure ?
— Non – comme si quelque chose l’avait griffé. » Et puis Omar s’est tu. « Mais je ne vois pas comment quelqu’un – le truc que c’était – a pu monter là-haut.
— Et qui vivait ici avant ? Peut-être que ça pèle naturellement. » Et puis je leur ai rappelé les pluies diluviennes de la fin du mois d’août et du début du mois de septembre.
Jayne et Omar m’ont tous les deux jeté un coup d’œil inquiet.
« Quoi ? Au fait, pourquoi ça a été repeint ? ai-je demandé en haussant les épaules. C’est… une jolie couleur.
— La maison est neuve, Bret, a soupiré Jayne. Il n’y a pas eu d’autre peinture.
— Et ce n’était pas la couleur de base, a ajouté Omar.
— C’est peut-être la peinture qui s’oxyde, vous savez, la peinture laquée, euh, au-dessous ? »
L’œil froncé, Omar a paru rapidement agacé par mes commentaires et a sorti un portable.
Jayne a regardé le mur une dernière fois et puis s’est tournée vers moi. Elle avait l’air d’une bonne humeur inhabituelle, ce matin, et lorsqu’elle m’a dévisagé, elle a souri de nouveau. Elle avait une queue-de-cheval et j’ai tendu la main pour la toucher – geste qui l’a fait sourire plus franchement encore.
« Je ne sais pas pourquoi tu souris, baby. Il y a un corbeau mort dans notre jacuzzi.
— Ça a dû se produire après que tu en es sorti, hier soir.
— Je n’étais pas dans le jacuzzi hier soir, baby.
— Pourtant il y avait un maillot de bain mouillé sur la balustrade de la terrasse.
— Ouais, je l’ai vu, mais il n’est pas à moi. Peut-être que Jay est passé. »
Le front de Jayne s’est froncé. « Tu es sûr qu’il n’est pas à toi ?
— Ouais, j’en suis sûr, et au fait… quelqu’un de chez le décorateur est venu ce matin ?
— Ouais, ils avaient oublié une pierre tombale. » Elle s’est interrompue une seconde. « Et un squelette et quelques chauves-souris.
— C’est toujours le samedi que ça arrive, hein ? » J’ai souri et puis, pour essayer de rester sur une note légère, j’ai demandé de la manière la plus désinvolte possible, « Tu sais que quelqu’un a écrit le nom de mon père sur cette pierre tombale ?
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— Quand je suis rentré hier soir – attends, tu n’es pas furieuse contre moi parce que j’étais épuisé et que j’ai dû laisser tomber le “trick or treat”… Tu es furieuse ? »
Elle a soupiré. « Écoute, nous sommes le premier du mois. Oublions tout ce qui s’est passé et essayons de repartir à zéro. D’accord ? Repartons à zéro. Un nouveau départ. »
La gueule de bois a disparu. La peur a disparu. Je me suis dit que ça pourrait marcher.
« J’adore le temps qu’il te faut pour récupérer, ai-je dit.
— Ouais, je suis vite agacée, mais je pardonne encore plus vite.
— C’est ce que j’aime et admire chez toi. »
Elle a tressailli. « Quoi – le fait que je te facilite tout ? »
Derrière elle, Omar parlait sur son portable, faisant les cent pas et des gestes en direction du mur, que je n’ai pas pu m’empêcher de regarder encore. Comment le truc avait-il pu monter là-haut ? me suis-je demandé. Et s’il pouvait voler ? est la réponse qui m’a été donnée.
« Et cette pierre tombale ? demandait Jayne. Bret… coucou ? »
J’ai fait un effort pour ne plus regarder le mur et me concentrer sur Jayne. « Ouais, quand je suis rentré hier soir, j’ai remarqué qu’elle avait été oubliée et je suis allé la voir et j’ai vu que quelqu’un avait écrit le nom de mon père dessus… et ils connaissaient aussi sa date de naissance et, euh, l’année où il est mort. »
Le visage de Jayne s’est assombri. « Eh bien, ça n’y était plus ce matin.
— Comment tu le sais ?
— Parce que j’ai accompagné les types là-bas quand ils l’ont emportée. » Silence. « Et il n’y avait rien écrit dessus.
— Tu… penses qu’il a plu cette nuit ? » J’ai penché la tête sur le côté.
« Tu… penses que tu as trop bu, hier soir ? » Elle a penché la tête aussi, pour m’imiter.
« Je ne bois pas, Jayne… » Je me suis interrompu.
Nous nous sommes dévisagés un long moment. Elle a gagné. J’ai cédé. J’ai essayé d’être à la hauteur.
« OK. Nouveau départ. »
J’ai posé les mains sur ses épaules, ce qui a provoqué un sourire triste de sa part.
« Hé – qu’est-ce qui se passe aujourd’hui ? Où sont les enfants ?
— Sarah est en haut et fait ses devoirs, et Robby à un entraînement de football, et à son retour tu les emmèneras voir un film au centre commercial, a-t-elle répondu de sa voix “théâtrale”.
— Et bien sûr tu nous accompagneras.
— Malheureusement, je vais passer une grande partie de la journée avec mon coach dans son adorable petit gymnase pour répéter les scènes à retourner. Et donc, hélas, il faut que tu te débrouilles seul. » Silence. « Tu crois que tu pourras ?
— Oh oui. Tu dois apprendre comment sauter du haut d’un gratte-ciel à minuit. J’avais oublié. »
C’était dur à avaler. J’ai ressenti un léger frisson et puis j’ai accepté la réalité de mon samedi. Involontairement, j’ai jeté un coup d’œil au mur de la maison devant lequel Omar marchait de long en large et la peinture avait une couleur saumon qui touchait quelque chose en moi, qui me ramenait quelque part. Jayne a parlé de nouveau.
« Ouais, bien sûr, le centre commercial…, ai-je murmuré d’une voix rassurante.
— Je vais te demander une chose et ne te mets pas en colère. » Le sourire avait disparu.
« Chérie, je suis toujours furieux, tu ne peux donc pas me mettre en colère.
— Est-ce que tu as bu aujourd’hui ? »
Grande aspiration de ma part. Ce manque de confiance était un constat horrible. C’était une question tellement honnête et inquiète que je ne pouvais absolument pas en être offensé.
« Non. Je viens de me lever.
— Tu me le promets ? »
J’avais les larmes aux yeux. Je me sentais horrible. Je l’ai serrée dans mes bras. Elle m’a laissé faire et puis s’est détachée doucement.
« Je te le promets.
— Parce que tu emmènes les enfants en voiture au centre commercial et, euh… » Le sous-entendu était assez fort pour qu’elle n’ait pas besoin de finir sa phrase. Elle a vu ma réaction et essayé de me demander sur un ton joueur, « Je peux sentir ? »
J’ai décidé d’être joueur à mon tour. « C’est un test très facile à passer. » J’ai soufflé et je l’ai embrassée. Contre moi, elle avait l’air tendre et petite.
Le sourire était revenu quand je me suis écarté, mais elle semblait encore un peu inquiète (cet air disparaîtrait-il un jour ?) lorsqu’elle a demandé, « Et rien d’autre ?
— Chérie, écoute, je ne prendrais jamais le volant d’une voiture si j’avais absorbé quelque chose, surtout avec nos enfants, d’accord ? »
Son visage s’est radouci et pour la première fois de la matinée elle a fait un vrai sourire, sans se forcer, sans exagérer. C’était spontané, non répété.
J’ai été assez ému pour demander, « Quoi ? Qu’est-ce qu’il ya ?
— Tu as dit quelque chose.
— Qu’est-ce que j’ai dit ?
— Tu as dit “nos enfants”. »