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Mardi 6 novembre


LES TÉNÈBRES

Il n’y a réellement pas d’autre moyen, pour décrire les événements qui se sont déroulés au 307 Elsinore Lane, tôt dans la journée du 6 novembre, que de relater les faits tout simplement. L’écrivain voulait faire ce travail, mais je l’en ai dissuadé. Le récit qui suit n’appelle pas les embellissements qu’un écrivain n’aurait pas manqué d’y apporter.

 

Vers 2 h 15 environ, Robby a fait un cauchemar qui l’a réveillé.

À 2 h 25, Robby a entendu « des bruits » de quelque chose dans la maison.

Robby a supposé que c’était moi jusqu’à ce qu’il entende le grattement sur sa porte, et il a alors supposé que c’était Victor (par la suite, Robby admettrait qu’il avait « espéré » que c’était Victor, parce qu’il savait, pour une raison quelconque, que « ce n’était pas lui »).

Robby a décidé de passer par la salle de bains dans la chambre de sa sœur (selon son propre récit, elle était apparemment aux prises avec son propre cauchemar), où il a ouvert la porte de la chambre de Sarah pour voir ce qui grattait à sa porte, laissant de profonds sillons dans le coin inférieur droit (à un moment donné, a dit Robby, il a craint d’être en train de rêver tout ça).

Robby n’a rien vu quand il a regardé dans le couloir depuis la porte de la chambre de sa sœur (note : les appliques dans le couloir clignotaient et, selon Robby, c’était quelque chose qu’il avait déjà remarqué, tout comme moi, alors que ni Jayne ni Sarah – ni Rosa, ni Marta, d’ailleurs – ne l’avaient vu).

Robby a toutefois entendu quelque chose quand il est sorti de la chambre de sa sœur dans le couloir qui clignotait. Il a entendu un « bruissement » au bout du couloir.

À ce moment-là, Robby a compris que quelque chose montait les marches de l’escalier.

« Ça » respirait « avec difficulté » et, selon Robby, « ça piaulait » aussi – un mot que je n’avais jamais entendu auparavant (définition du dictionnaire : crier (petits oiseaux) ; produire un grincement aigu, « enfant qui piaule »).

Le « truc » a remarqué la présence de Robby et, pour cette raison, s’est brusquement arrêté dans son ascension de l’escalier.

Robby s’est retourné – pris de panique – et s’est mis à marcher dans la direction opposée, vers notre chambre à coucher au bout du couloir.

Que s’est-il passé quand il a ouvert la porte et qu’il est entré dans la chambre ?

La chambre était dans l’obscurité. J’étais couché sur le dos en travers du lit. Je crois que je rêvais. J’étais tombé ivre mort après avoir bu la moitié de la bouteille de vodka qui avait surgi sur mon bureau pendant que je parlais à Clayton, le garçon qui voulait être Patrick Bateman. Quand j’ai lentement pris conscience que je ne dormais plus, j’ai gardé les yeux fermés. Je ressentais une pression sur la poitrine. Je tourbillonnais encore pour sortir d’un rêve dans lequel des corbeaux se transformaient en mouettes.

« Papa ? » C’était un écho.

Je ne pouvais pas ouvrir les yeux (si je l’avais fait, j’aurais pu voir la silhouette de Robby se découper dans l’encadrement de la porte, avec le couloir clignotant derrière lui). « Qu’est-ce qu’il y a ? a grincé ma voix.

— Papa, je crois qu’il y a quelqu’un dans la maison. »

Robby essayait de ne pas gémir, mais je pouvais détecter, même dans mon ivresse, la peur dans sa voix.

Je me suis éclairci la gorge, les yeux toujours fermés. « Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Il y a, je crois qu’il y a quelqu’un dans l’escalier. Il y avait un truc qui grattait contre ma porte. »

Selon Robby, j’aurais dit la chose suivante : « Je suis sûr que ce n’est rien. Retourne te coucher. »

Robby aurait répliqué avec « Je ne peux pas, Papa. J’ai peur. »

Ma première réaction : Eh bien, moi aussi. Bienvenue au club. Habitue-toi. Ça ne te quittera plus jamais.

J’entendais Robby s’avancer, pas à pas dans l’obscurité de la chambre. Je l’entendais se rapprocher de moi, se diriger vers la masse noire et informe que j’étais.

Le poids sur ma poitrine s’est déplacé.

Robby parlait dans l’obscurité : « Papa, je crois qu’il y a quelqu’un dans la maison. »

Robby tendait la main vers la lampe de chevet.

Robby a allumé la lampe.

Derrière mes paupières fermées, une lumière orange brûlait.

Quelque chose avait fait taire Robby.

Il considérait ce qu’il avait sous les yeux.

L’image qu’il contemplait a momentanément chassé la peur, remplacée par une terrible curiosité.

Son silence m’arrachait à mon ébriété.

Le poids sur ma poitrine s’est de nouveau déplacé.

« Papa, a dit calmement Robby.

— Robby.

— Papa, il y a quelque chose sur toi. »

J’ai ouvert les yeux, mais je voyais trouble.

Ce que j’ai vu ensuite s’est enchaîné très rapidement.

Le Terby était sur ma poitrine, menaçant, une expression figée, à la place du bec un rictus qui occupait la moitié de la tête de la peluche, et les crocs que je n’avais remarqués qu’un peu plus tôt la veille étaient tachés de brun.

(Bien sûr qu’ils l’étaient puisqu’il avait « mutilé » un cheval dans un champ au bord de l’autoroute près de Pearce.)

Ses serres étaient agrippées à la robe de chambre que je portais quand j’étais tombé ivre mort et ses ailes étaient déployées et ce n’est pas leur envergure qui m’a choqué à ce moment-là (elle avait augmenté – je l’ai remarqué immédiatement), mais les ailes mêmes, parcourues d’un réseau de veines noires et gonflées sous la peau de la peluche (la peau de la peluche, oui, dites ça à une personne saine d’esprit et voyez comment elle réagit), rythmées par les pulsations du sang, qui m’ont sidéré.

Selon Robby : quand il a allumé la lampe, le truc n’a pas bougé. Et puis il a rapidement tourné la tête vers lui – les ailes étaient déjà déployées, le bec déjà ouvert – et lorsqu’il a parlé, la peluche s’est de nouveau concentrée sur moi.

J’ai hurlé et balancé le truc de ma poitrine en bondissant hors du lit.

Le Terby est tombé par terre et a vite rampé sous le lit.

Je suis resté debout, hors d’haleine, chassant quelque chose qui n’existait pas de ma robe de chambre déchiquetée.

En dehors des sons que j’émettais, le silence régnait dans la maison.

Mais ensuite je l’ai entendu. Le piaulement.

« Papa ? »

Ma non-réponse a été interrompue quand nous avons entendu quelque chose qui montait dans l’escalier à toute vitesse.

De là où Robby et moi nous tenions, tournés vers l’encadrement de la porte de la chambre, nous avons vu qu’une ombre – un mètre de haut peut-être – avançait vers nous dans la lumière tamisée et clignotante. Elle avançait de travers le long du mur et à mesure qu’elle se rapprochait de nous, le piaulement s’est transformé en sifflement.

« Victor ? ai-je appelé, incrédule. C’est Victor, Robby. C’est Victor tout bêtement.

— Ce n’est pas Victor, Papa. »

Selon Robby, j’aurais dit, « Alors c’est quoi, merde ? »

Le truc s’est arrêté comme s’il réfléchissait à quelque chose.

Il était 2 h 30 quand l’électricité a été coupée.

Toute la maison a été plongée dans les ténèbres.

J’ai inutilement tripoté un interrupteur. J’avançais en titubant.

« Maman a une lampe de poche dans son tiroir, a dit très vite Robby.

— Ne bouge pas. Reste là où tu es. » J’ai essayé d’avoir une voix normale.

J’ai sauté sur le lit et me suis rué sur le tiroir de la table de nuit de Jayne. Je l’ai ouvert. Ma main a trouvé la lampe de poche. Je l’ai prise. Je l’ai allumée et braquée immédiatement vers le sol, à la recherche du Terby.

« Foutons le camp d’ici ! »

Robby était juste derrière moi quand j’ai dirigé le faisceau vers ce qui se trouvait dans le couloir (mais je l’avais fait sans y penser – parce que, au cours de ce bref moment passé à chercher la lampe de poche dans la chambre sombre, j’avais oublié que quelque chose nous y attendait).

C’est à cet instant-là que nous l’avons brièvement aperçu.

Robby n’a jamais été très sûr de ce qu’il avait vu en réalité dans la lumière éblouissante de la lampe de poche. Il était « caché » derrière moi, les yeux fermés, et le truc s’était écarté du faisceau comme s’il avait été offensé par la lumière – comme si les ténèbres étaient la seule chose connue et appréciée de lui.

La vodka mettait mes sens à rude épreuve. « Victor ? ai-je murmuré de nouveau, essayant de me convaincre moi-même. Robby, tout va bien. C’est juste le chien. »

Mais au moment même où je disais ça, nous avons entendu Victor aboyer dehors.

Selon Robby, c’est à ce moment-là qu’il s’est mis à pleurer – quand il a compris que le truc dans le couloir n’était pas son chien.

J’ai insisté. « Victor, viens ici. Allez, Vic. » C’était l’alcool qui faisait des concessions.

Selon Robby, c’est à cet instant-là qu’il m’a entendu marmonner : « Oh, putain. »

Il avait un mètre de haut, couvert de poils noirs et blonds, et il se déplaçait sur des pieds qui n’étaient pas visibles. Quand le faisceau lumineux l’a attrapé, on a entendu un autre sifflement. Il est parti en travers de l’autre côté du couloir. Mais à chaque déplacement il se rapprochait de nous.

Le truc s’est raidi quand le faisceau lumineux l’a attrapé encore une fois. J’étais incapable de dire d’où provenait le sifflement. Une fois que celui-ci a cessé, tout le corps s’est mis à tressauter.

Selon Robby, je n’arrêtais pas de dire, « Oh merde oh merde oh merde ».

Le truc s’est tourné vers moi, cette fois avec un air de défi. Il m’arrivait à la taille et il était informe – un monticule. Il était couvert de poils dans lesquels étaient emmêlées des brindilles et des feuilles mortes et des plumes. Il n’avait rien de distinctif. Un nuage de moucherons bourdonnait au-dessus du truc, le suivant quand il s’est collé contre le mur. Le faisceau lumineux était braqué sur lui.

Dans les poils, un trou rouge et brillant, entouré de dents, est apparu.

La bouche ouverte, les dents montrées, j’ai compris – c’était d’une évidence dégoûtante qui m’a dessoûlé immédiatement – que c’était un avertissement.

Et puis il s’est rué sur nous, aveuglément.

J’étais pétrifié. Robby s’agrippait à moi, ses bras m’entourant la taille. Il tremblait.

J’ai maintenu le faisceau braqué sur le truc et alors qu’il s’approchait de nous, j’ai senti l’humidité, la pourriture, les morts.

Sa bouche était grande ouverte et il avançait de travers.

Je me suis jeté contre le mur avec Robby afin de l’éviter.

Il est passé près de nous à toute vitesse.

(Parce qu’il ne voyait pas et se dirigeait à l’odeur – je le savais déjà.)

J’ai pivoté sur moi-même. Robby tenait bon, m’agrippant sauvagement. J’ai commencé à reculer dans la direction inverse de celle prise par le truc.

Il tressautait encore.

Le pire, je l’ai remarqué, c’était cet œil énorme, placé n’importe comment au sommet du monticule, et il tournait de manière incontrôlée dans une orbite plate, en forme de disque.

Robby : « Papa qu’est-ce que c’est qu’est-ce que c’est qu’est-ce que c’est ? »

Le truc s’est arrêté sur le seuil de ma chambre – nous avions échangé nos positions – et il a recommencé à piauler.

J’ai fait un gros effort pour ne pas paniquer, mais j’étais en hyperventilation et la main qui tenait la lampe tremblait tellement qu’il me fallait la maintenir avec mon autre main pour braquer le faisceau sur le truc.

J’ai stabilisé ma main et je l’ai retrouvé.

Il ne bougeait pas. Mais quelque chose à l’intérieur faisait qu’il était secoué de pulsations. Il a ouvert la bouche, qui était maintenant couverte d’écume, et il s’est rué sur nous.

En me retournant, j’ai laissé tomber la lampe de poche, ce qui a fait pousser un cri de désespoir à Robby.

J’ai ramassé la lampe et braqué le faisceau sur le truc, qui s’était arrêté – apparemment troublé.

Dehors, les aboiements de Victor devenaient hystériques.

Le truc s’est remis à foncer vers nous.

Et c’est à ce moment-là que j’ai relaissé tomber la lampe. L’ampoule s’est cassée, nous plongeant dans les ténèbres alors que le truc continuait à foncer vers nous.

J’ai attrapé la main moite de Robby et j’ai couru jusqu’à sa chambre, et j’ai ouvert la porte.

J’ai trébuché en entrant dans la pièce, me cognant le visage sur le sol. J’ai senti quelque chose d’humide sur ma lèvre.

Robby a claqué la porte et j’ai entendu le verrou cliquer.

Je me suis relevé, titubant dans les ténèbres, et j’ai essuyé le sang sur ma bouche. J’ai hurlé quand Robby m’a stabilisé en se serrant, terrorisé, contre moi.

J’ai écouté attentivement. Il faisait tellement sombre dans la pièce que nous étions obligés de nous concentrer sur le grattement contre la porte.

Soudain, le grattement s’est arrêté.

L’étreinte de Robby s’est desserrée. J’ai pu souffler.

Mais le soulagement ne pouvait guère durer parce qu’on a entendu un craquement. Le truc poussait contre la porte.

Je suis allé jusqu’à la porte. Robby était toujours accroché à moi

« Robby ! tu as une lampe de poche ici ? Ou quelque chose dans le genre ? »

J’ai senti que Robby se détachait immédiatement de moi et je l’ai entendu s’éloigner en direction de son placard.

Dans les ténèbres de la pièce, un sabre vert fluorescent est apparu. Il flottait vers moi et je lui ai pris le jouet des mains. La lueur était faible. J’ai pointé le sabre vers la porte pour l’éclairer.

« Papa, a dit Robby tout bas, d’une voix tremblante. Qu’est-ce que c’est ?

— Je ne sais pas. » (Je disais ça, mais je savais ce que c’était.)

Le grattement a repris.

Je me suis demandé : Avec quoi il gratte comme ça ?

Et puis j’ai compris que ce n’était pas un grattement (je me suis souvenu de quelque chose).

Cela n’avait jamais été un grattement.

Le truc mâchait la porte. Il utilisait sa bouche. Il utilisait ses dents.

Et puis la mastication a cessé.

Robby et moi regardions fixement la porte qui était maintenant imbibée de vert.

Et nous avons été saisis d’horreur en voyant la poignée tourner dans un sens, puis dans l’autre.

Dans une vision répugnante, j’ai compris qu’il utilisait sa bouche pour faire ça.

J’ai dû me souvenir de respirer quand la poignée a été violemment secouée.

On a entendu un grondement féroce. C’était un bruit qui trahissait la frustration. C’était un bruit qui trahissait la faim.

Et puis il a cessé. Nous avons entendu le truc s’éloigner en se traînant.

« Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qu’il veut ? Je ne comprends pas. Comment est-il entré ? » C’était Robby.

« Je ne sais vraiment pas ce que c’est, putain, ai-je dit de manière absurde.

— Qu’est-ce que c’est, Papa ?

— Je ne sais pas je ne sais pas je ne… »

(Note : ce n’était pas techniquement vrai.)

Nos gémissements ont été interrompus par les cris de Sarah. « Maman ! Maman ! Il va m’attraper ! »

J’ai foncé à travers la salle de bains dans la chambre de Sarah. Juste avant de m’emparer d’elle, j’ai agité le sabre au-dessus de la scène.

Sarah s’était plaquée contre la tête du lit et le truc essayait de grimper dessus. Il avait planté ses dents dans une des colonnes du lit et s’agitait frénétiquement en poussant des cris aigus.

« Que se passe-t-il ? » criait Robby depuis la salle de bains.

J’ai hurlé de dégoût et arraché Sarah du lit. Je l’ai emportée vers la salle de bains, le truc s’est brusquement arrêté et puis il a sauté par terre et je l’ai entendu se ruer vers nous.

J’ai claqué la porte de la salle de bains et Robby l’a fermée à clé. Je tenais Sarah d’un côté et le sabre fluorescent de l’autre. Nous attendions, les yeux fixés sur la porte.

Calmement, j’ai demandé : « Où est ton portable, Robby ?

— Il est dans ma chambre. » Il a fait un geste par-dessus son épaule.

Je réfléchissais à quelque chose. J’allais ouvrir la porte qui donnait sur la chambre de Robby, trouver le téléphone et revenir en courant dans la salle de bains pour appeler le 911. C’était l’idée qui s’était formée dans mon esprit.

Victor continuait à flipper dans le jardin.

Puis quelque chose a percuté la porte qui donnait sur la chambre de Sarah avec une telle force qu’elle s’est déformée.

Robby et Sarah ont hurlé.

« Tout va bien se passer. Robby, ouvre ta porte. Nous allons sortir par ta chambre.

— Papa, je ne peux pas. » Il sanglotait.

« Tout va bien se passer. »

Le truc a percuté la porte encore une fois.

La porte s’est fendue au milieu. Quand le truc a frappé de nouveau, la porte ne tenait plus que par ses gonds.

Ça a poussé Robby à ouvrir immédiatement sa porte et à sortir en courant de la salle de bains.

J’ai suivi, portant toujours Sarah et le sabre fluorescent.

Nous avons traversé la chambre en courant et Robby a ouvert la porte et sans hésiter nous avons commencé à descendre l’escalier. La lune éclairait la fenêtre et nous pouvions mieux voir à présent.

Au milieu de l’escalier, j’ai pu voir le truc foncer sur le palier au-dessus de nous.

Il a commencé à nous poursuivre dans l’escalier. J’entendais sa bouche claquer, des claquements mouillés.

Sarah a tourné la tête et hurlé quand elle a vu le truc fondre sur nous.

Mon bureau était sans doute la pièce la plus proche. La porte était ouverte. La porte d’entrée ne l’était pas.

Dans mon bureau, il y avait le pistolet dans le coffre.

Dans mon bureau, nous avons fermé et verrouillé la porte. J’ai posé Sarah sur le sofa. Les deux pleuraient. Je leur ai dit inutilement que tout était « OK ».

Brandissant le sabre fluorescent au-dessus du coffre, j’ai fait la combinaison et j’ai sorti le pistolet.

Avec le sabre, j’ai cherché sur le bureau mon portable.

J’ai demandé à Robby de tenir le sabre fluorescent pendant que je composais le 911.

Robby ne regardait que le pistolet que j’avais en main. Et puis il a fermé les yeux et plaqué ses mains sur ses oreilles.

Le truc a commencé à se jeter sur la porte.

« Nom de Dieu. »

Les coups étaient de plus en plus rapprochés. La porte se déformait dans son chambranle. Je jetais des regards frénétiques tout autour de la pièce. J’ai couru à la fenêtre et je l’ai ouverte.

(Note : la peinture extérieure de la maison pelait si vite qu’on aurait dit que des flocons de neige dérivaient dans Elsinore Lane.)

Et puis la porte a cédé et elle est tombée sur le côté, retenue par le gond du haut.

Le truc était sur le seuil.

En dépit de la faible lueur émise par le sabre que j’agitais, je pouvais voir l’écume dégoulinant de sa bouche.

« Descends-le ! Descends-le ! » criait Robby.

J’ai pointé le pistolet sur le truc quand il s’est mis à avancer de travers dans notre direction.

J’ai appuyé sur la détente.

Rien.

Le pistolet n’était pas chargé.

(Note : Jayne avait enlevé toutes les balles du pistolet le soir où j’avais « imaginé », pensait-elle, qu’un type s’était introduit dans la maison.)

Nous pouvions à peine voir le truc qui avançait vers nous. Il faisait des bruits de succion.

Le courant a été rétabli si brusquement que nous avons été aveuglés par les lumières. Le détecteur de fumée sonnait inlassablement. Tout ce qui avait été éteint avant d’aller dormir était maintenant allumé. Chaque lumière de la maison était allumée. La télévision retentissait. Sur la stéréo à fond, on entendait une version muzak de « The Way We Were ». Mon ordinateur s’est allumé tout seul.

La maison était inondée de lumière.

La lumière nous a voilé la disparition du truc.

« Papa, tu saignes. » De la part de Sarah.

Je me suis touché les lèvres. J’avais les doigts rouges.

Debout là, j’ai noté l’heure qu’il était à ma pendule à piles sur le bureau.

Le courant a été rétabli à 2 h 40 précises.