19

Les bureaux de DMI ouvraient à dix heures. Quand je me suis réveillé, j’étais étendu sur la banquette avant de la Dart dans le parking de Dream Mates. Je me souvenais parfaitement de la nuit. Cette fois, pas de trou noir pour cause de Mad Dog. Yeux fermés, j’ai essayé de synchroniser la galopade dans ma tête et ma respiration. Un crétin homéopathe m’avait dit un jour qu’il n’y avait rien de tel pour éliminer la gueule de bois. Sûrement un type qui n’avait jamais bu de vin.

Ma montre indiquait dix heures quarante-cinq. Vendredi, jour de paie.

Quand j’ai tourné au coin du bâtiment, Susan Bolke m’a vu arriver depuis son bureau derrière la paroi vitrée et la répulsion s’est peinte sur son visage. Je me suis vu dans le mur-miroir, veston et cravate remplacés par le sweat-shirt rouge et dégoûtant, cadeau de la nuit. Elle a passé un coup de fil avant de reprendre son bavardage avec un client masculin qui tenait des vidéos à la main, assis sur le coin de son bureau, les yeux dans son corsage.

Susan ne me reconnaissait pas. Elle continua à sourire et à papoter avec le client. J’attendis. Deux ou trois minutes s’écoulèrent, pendant lesquelles j’observai l’effet de sa poitrine sur le client, avant de comprendre qu’elle faisait semblant de m’ignorer.

« Excusez-moi ! fis-je. Je viens voir M. Berkhardt. »

Sans même tourner les yeux, elle fit un geste vers la réception. Venimeuse. « Asseyez-vous ici. Je suis à vous dans quelques minutes. »

J’avais trop mal aux cheveux pour l’affronter, mais j’ai remarqué sur son bureau une pile d’enveloppes ajourées. L’enveloppe du dessus portait le nom d’un des vendeurs imprimé au recto. « Mon chèque est dans le tas ? » demandai-je.

Susan m’ignora et retourna à sa discussion avec le gogo DMI.

« Excusez-moi, dis-je poliment, puis-je poser une question ?

— Quoi encore ?

— C’était quand, la dernière fois qu’un de vos petits copains a gerbé sur vos nichons ? »

La porte du bureau de Berkhardt était fermée. Je n’ai pas attendu qu’on me dise d’entrer. J’ai poussé la porte et je l’ai claquée derrière moi. « Je viens pour mon chèque, dis-je. Pas pour faire des embrouilles. »

Berkhardt raccrocha brutalement et bondit de son fauteuil. Le sapin de Noël miniature posé au bord de son bureau tomba par terre. Il était tout rouge et prêt à l’action. Je le stoppai en tendant la liasse du contrat Cooper, puis je m’assis.

Il changea aussitôt d’attitude. Il ramassa le sapin et le remit à sa place. « La police vous recherche, dit-il.

— En quel honneur ? »

Il s’assit à son tour. « Mme Cooper est hystérique depuis ce matin. Elle appelle toutes les cinq minutes, fait du scandale. Il paraît que vous l’avez agressée. Et comme dans l’histoire du fric a disparu, j’ai dû porter plainte pour couvrir la compagnie.

— Je ne suis pas un criminel. Tout est là, comptez. »

Il étala la liasse et vit que je ne mentais pas. « Vous avez l’air d’un paquet de linge sale. Que s’est-il passé chez Mme Cooper ?

— Fini, le vendeur. Je laisse tomber. Voilà ce qui s’est passé.

— Vous aviez bu, hein ? Merde, Dante, vous foncez droit dans le mur et à cent à l’heure. La vie vous gâche l’alcool. »

Je me suis levé. « On est quittes, je crois. Vous avez mon chèque ? »

Il ouvrit son tiroir et jeta une enveloppe fermée sur le bureau. Par la fenêtre plastifiée, j’ai lu mon nom imprimé sur un chèque.

J’ai alors entendu la voix dire : « Merci de m’avoir redonné ma chance, je m’excuse », et je lui ai tendu la main.

« Avez-vous agressé Mme Cooper ?

— Non. »

Il m’a serré la main. « Quels sont vos plans, maintenant ?

— Je ne sais pas. Avant, j’étais écrivain.

— Ça je m’en souviens… Pour gagner votre vie, je veux dire.

— Petits boulots, plonge, gardien de parking. Des conneries, pourvu que ça paie les factures pendant que je me remets à écrire.

— Vous êtes sûr que l’alcool ne va pas vous bloquer ?

— Alors j’arrêterai de boire.

— Des poèmes, c’est ça ? Et vous avez déjà été publié ?

— Oui.

— Je vois passer un tas de gens qui cherchent un boulot d’appoint pour gagner de l’argent rapide. Ego gonflés, acteurs, mannequins, L.A. en est plein. Des gens des médias, qui essaient de se caser à la télé. Vous êtes le premier qui avoue être poète.

— Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu me tirer de cette ville. Le plus loin possible de L.A. Aujourd’hui, ça ne presse plus. Ce que j’aimerais faire, c’est la paix avec moi. J’y arrivais quand j’écrivais.

— Je vais annuler la plainte. C’est Noël, ils sont débordés de toute façon. »

L’information me prit de court. « C’est Noël ?

— Le 24 décembre. »