Quand l’ombre de la croisée apparaissait sur les rideaux, il était entre sept heures et huit heures du matin. Je me retrouvais alors dans le temps, et j’entendais la montre. C’était la montre de grand-père et, en me la donnant, mon père m’avait dit : Quentin, je te donne le mausolée de tout espoir et de tout désir. Il est plus que douloureusement probable que tu l’emploieras pour obtenir le reducto absurdum de toute expérience humaine, et tes besoins ne s’en trouveront pas plus satisfaits que ne le furent les siens ou ceux de son père. Je te le donne, non pour que tu te rappelles le temps, mais pour que tu puisses l’oublier parfois pour un instant, pour éviter que tu ne t’essouffles en essayant de le conquérir. Parce que, dit-il, les batailles ne se gagnent jamais. On ne les livre même pas. Le champ de bataille ne fait que révéler à l’homme sa folie et son désespoir, et la victoire n’est jamais que l’illusion des philosophes et des sots.

Elle était appuyée contre la boîte à faux cols. Couché, je l’écoutais. Je l’entendais plutôt. Je ne crois pas que personne écoute jamais délibérément une montre ou une pendule. Ce n’est pas nécessaire. On peut en oublier le bruit pendant très longtemps et il ne faut qu’une seconde pour que le tic-tac reproduise intégralement dans votre esprit le long decrescendo de temps que vous n’avez pas entendu. Comme disait papa, dans la solitude des grands rayons lumineux on pourrait voir Jésus marcher, pour ainsi dire. Et le bon Saint François qui disait Ma Petite Sœur la Mort, lui qui n’avait jamais eu de sœur.

À travers la cloison j’entendis les ressorts du sommier de Shreve, puis le frottement de ses pantoufles sur le plancher. Je me suis levé, je suis allé à la commode et, glissant ma main sur le dessus, j’ai touché la montre et l’ai mise à l’envers. Puis je suis allé me recoucher. Mais l’ombre de la croisée était toujours là, et j’avais appris à l’interpréter à une minute près. Il faudrait donc lui tourner le dos et, si elle était à l’endroit, sentir alors une démangeaison dans ces yeux que les animaux autrefois avaient sur la face postérieure de la tête. C’est toujours les habitudes d’oisiveté acquises que l’on regrette. C’est mon père qui a dit cela. Et aussi que le Christ n’a pas été crucifié : il a été rongé par un menu tic-tac de petites roues. Lui qui n’avait pas de sœur.

Et, dès lors, certain que je ne pouvais plus la voir, j’ai commencé à me demander l’heure qu’il était. Papa disait que le fait de se demander constamment quelle peut bien être la position d’aiguilles mécaniques sur un cadran arbitraire, signe de fonction intellectuelle Excrément, disait papa, comme la sueur. Et moi qui disais oui. Je me demande. Continue à te demander.

Si le temps avait été couvert, j’aurais pu regarder la fenêtre en pensant à ce qu’il m’avait dit des habitudes d’oisiveté. Pensant que ce serait agréable pour eux, à New London(8), si le temps se maintenait ainsi. Pourquoi pas ? Le mois des fiancées, la voix qui soufflait. Elle est sortie en courant du miroir, de l’épaisseur des parfums. Roses. Roses. Mr et Mrs Jason Richmond Compson ont le plaisir de vous faire part du mariage de. Roses. Pas vierges comme le cornouiller, l’asclépias. J’ai dit j’ai commis un inceste, père, ai-je dit. Roses. Perfides et sereines. Si tu restes un an à Harvard sans voir les régates, on devrait rendre l’argent. Laisser Jason en profiter. Donner à Jason une année à Harvard.

Shreve était debout sur le pas de la porte, en train de mettre son col. Ses lunettes brillaient d’un reflet rose, comme s’il les avait lavées avec sa figure. – Tu sèches la classe, ce matin ?

— Il est si tard que ça ?

Il regarda sa montre. – La cloche va sonner dans deux minutes.

— Je ne savais pas qu’il était si tard. » Il regardait toujours sa montre. Sa bouche forma : « Il faut que je me presse. Je ne peux plus sécher de classe. Le doyen m’a prévenu, la semaine dernière… » Il remit sa montre dans sa poche. Et j’ai cessé de parler.

— Tu ferais bien d’enfiler ton pantalon et de courir », dit-il. Il sortit.

Je me suis levé et j’ai tourné dans ma chambre en l’écoutant à travers la cloison. Il est entré dans le salon(9) s’est dirigé vers la porte.

— Tu n’es pas encore prêt ?

— Pas encore. File. J’arriverai à temps.

Il sortit. La porte se referma. Ses pieds s’éloignèrent dans le couloir. Alors, je pus de nouveau entendre la montre. Je cessai de me promener, et j’allai à la fenêtre. Entre les rideaux écartés je les voyais courir à la chapelle, les mêmes garçons luttant contre l’envolement des mêmes manches de vestes, contre les mêmes livres, les mêmes cols détachés, filant devant moi comme des épaves dans une inondation, et Spoade. Appeler Shreve mon mari. Foutez-lui donc la paix, a dit Shreve. S’il est trop intelligent pour courir après un tas de sales petites grues, ça ne vous regarde pas. Dans le Sud, on a honte d’être vierge. Les jeunes gens. Les hommes. Ils racontent des tas de mensonges à ce sujet. Parce que, pour les femmes, c’est moins important, m’a dit papa. Il m’a dit que c’étaient les hommes qui avaient inventé la virginité, pas les femmes. Papa dit que c’est comme la mort : un état où on laisse les autres, tout simplement, et j’ai dit : Mais de là à croire que ça ne fait rien, et il a dit : C’est pour cela que tout est si triste : pas seulement la virginité, et j’ai dit : Pourquoi faut-il que ce soit elle au lieu de moi qui ne soit plus vierge ? et il a dit : C’est pourquoi cela est triste aussi ; rien ne vaut la peine de changer, et Shreve a dit : s’il est trop intelligent pour courir après un tas de sales petites grues, et j’ai dit : As-tu jamais eu une sœur ? Dis ? Dis ?

Au milieu d’eux, Spoade semblait une tortue dans une rue où courent des feuilles mortes. Le col autour des oreilles, il marchait sans hâte, de son pas habituel. Il était originaire de la Caroline du Sud et finissait sa dernière année à l’Université. Il se faisait une gloire de n’avoir jamais couru pour aller à la chapelle, de n’y être jamais arrivé à l’heure, de n’avoir pas été absent une seule fois en quatre ans, de n’avoir jamais été à la chapelle ou à une classe du matin, avec une chemise sur le dos et des chaussettes aux pieds. Vers dix heures, il arrivait au restaurant Thompson, commandait deux cafés, s’asseyait, tirait ses chaussettes de sa poche, enlevait ses souliers et les enfilait pendant que son café refroidissait. Vers midi, on le voyait avec une chemise et un col, comme tout le monde. Les autres le dépassèrent en courant, mais lui ne pressa point le pas. Au bout d’un instant la cour fut vide.

Un moineau, coupant le soleil en biais, vint se poser sur le rebord de la fenêtre et me regarda, la tête penchée. Son œil était rond et brillant. Il me regardait d’abord avec un œil, puis, flic ! il me regardait avec l’autre, et sa gorge palpitait plus rapide qu’aucune pulsation. L’heure se mit à sonner. Le moineau cessa de changer d’œil, et m’observa fixement avec le même tant que l’horloge sonna. On aurait dit qu’il l’écoutait aussi. Ensuite, il s’envola de la fenêtre et disparut.

La dernière vibration traîna un moment avant de s’éteindre. Elle s’attarda dans l’air, longtemps, et on la devinait plus qu’on ne l’entendait. Comme toute cloche qui sonne vibre encore dans les longs rayons de lumière mourante et Jésus et Saint François qui parlait de sa sœur. Car si ce n’était que l’enfer et rien de plus. Si c’était tout. Fini. Si les choses finissaient tout simplement. Personne d’autre qu’elle et moi. Si seulement nous avions pu faire quelque chose d’assez horrible pour que tout le monde eût déserté l’enfer pour nous y laisser seuls, elle et moi. J’ai dit j’ai commis un inceste père c’était moi ce n’était pas Dalton Ames. Et quand il m’a mis Dalton Ames. Dalton Ames. Dalton Ames. Quand il m’a mis le revolver dans la main je ne l’ai pas fait. C’est pourquoi je ne l’ai pas fait. Il serait là et elle aussi et moi aussi. Dalton Ames. Dalton Ames, Dalton Ames. Si seulement nous avions pu faire quelque chose d’assez horrible et père a dit Cela aussi est triste, on ne peut jamais faire quelque chose d’aussi horrible que ça on ne peut rien faire de très horrible on ne peut même pas se rappeler demain ce qu’on trouve horrible aujourd’hui et j’ai dit On peut toujours se dérober à tout et il a dit Tu crois ? Et je baisserai les yeux et je verrai mes os murmurants et l’eau profonde comme le vent, comme une toiture de vent, et longtemps, longtemps après on ne pourra même plus trouver mes os sur le sable solitaire et vierge. Jusqu’au jour où Il dira Levez-vous, alors seul le fer à repasser remontera à la surface. Ce n’est pas quand on a compris que rien ne peut vous aider – religion, orgueil, n’importe quoi – c’est quand on a compris qu’on n’a pas besoin d’aide. Dalton Ames. Dalton Ames. Dalton Ames. Si j’avais pu être sa mère étendue, le corps ouvert et soulevé, riant, repoussant son père avec ma main, le retenant, le voyant, le regardant mourir avant qu’il eût vécu. Une minute elle resta sur le pas de la porte

Je me suis dirigé vers la commode et j’ai pris la montre toujours à l’envers. J’en ai frappé le verre sur l’angle de la commode et j’ai mis les fragments dans ma main et je les ai posés dans le cendrier et, tordant les aiguilles, je les ai arrachées et je les ai posées dans le cendrier également. Le tic-tac continuait toujours. J’ai retourné la montre, la blancheur du cadran avec les petites roues qui, derrière, sans savoir pourquoi, font tic-tac, tic-tac. Jésus en marche par la Galilée et Washington qui ne ment jamais. Quand il est revenu de la foire de Saint Louis, papa a rapporté à Jason une breloque, des petites jumelles de théâtre dans lesquelles on regarde en clignant de l’œil et où on voit un gratte-ciel, une Grande Roue comme une toile d’araignée, les cataractes du Niagara sur une tête d’épingle. Il y avait une tache rouge sur le cadran. Quand je l’ai vue, j’ai ressenti une brûlure au pouce. J’ai posé la montre et je suis allé dans la chambre de Shreve chercher la teinture d’iode pour en badigeonner la coupure. Avec une serviette j’ai fini d’enlever les petits morceaux de verre qui restaient attachés au cadran.

J’ai sorti deux paires de sous-vêtements, des chaussettes, des chemises, des cols et des cravates, et j’ai fait ma malle. J’y ai tout mis, sauf mon complet neuf, et un vieux, et deux paires de souliers, et deux chapeaux et mes livres. J’ai porté les livres dans le salon et les ai empilés sur la table, ceux que j’avais apportés de la maison et ceux que papa m’a dit qu’autrefois on reconnaissait un gentleman à ses livres mais qu’aujourd’hui on le reconnaît aux livres qu’il n’a pas rendus et j’ai fermé la malle à clé, et j’y ai mis l’adresse. Le quart a sonné. Je me suis arrêté pour écouter le carillon jusqu’à la fin.

J’ai pris un bain et je me suis rasé. L’eau a légèrement avivé la cuisson de mon doigt et j’y ai remis un peu de teinture d’iode. J’ai revêtu ensuite mon complet neuf, j’ai pris ma montre et j’ai mis mon autre complet et mes objets de toilette, rasoir, brosses, dans ma valise, et j’ai enveloppé la clé de ma malle dans une feuille de papier que j’ai glissée dans une enveloppe adressée à mon père. Ensuite, j’ai écrit les deux notes et les ai cachetées.

L’ombre n’avait pas tout à fait quitté le perron. Je me suis arrêté avant de franchir le seuil et j’ai observé la progression de l’ombre. On pouvait presque la percevoir. Elle rampait vers l’intérieur, faisait reculer l’ombre jusque dans la porte. Mais elle courait déjà quand je l’ai entendue. Elle courait dans le miroir avant que j’eusse pu savoir ce que c’était. Si vite, sa traîne relevée sur le bras, elle sortait du miroir comme un nuage, son voile ondulait avec de longs reflets, ses talons brillaient, rapides, de l’autre main elle retenait sa robe sur son épaule sortait en courant du miroir des parfums roses roses la voix qui soufflait sur l’Éden(10). Puis elle traversait la véranda je ne pouvais plus entendre ses talons puis dans le clair de lune comme un nuage, l’ombre flottante du voile qui, sur l’herbe, accourait vers le hurlement. Elle a couru hors de sa robe, cramponnée à son voile courant vers le hurlement où T. P. dans la rosée Hiii Salsepareille Benjy qui hurlait sous la caisse. La poitrine de papa courait vêtue d’une cuirasse d’argent en forme de V

Shreve dit : – Comment tu n’as pas… ? Tu vas à la noce ou à un enterrement ?

— Je n’ai pas pu être prêt à temps.

— Naturellement, à te bichonner comme ça ! Qu’est-ce qui te prend ? Tu te figures que c’est dimanche ?

— Je ne pense pas qu’on me mette au bloc pour avoir mis une fois mon complet neuf, dis-je.

— Je pensais aux étudiants de Harvard. Es-tu devenu trop fier pour aller aux cours ?

— Je vais d’abord aller manger. » L’ombre sur le perron était partie. Je sortis au soleil et retrouvai mon ombre. Je descendis les marches devant elle. La demie sonna. Puis le carillon cessa, s’évanouit.

Deacon n’était pas non plus à la poste. J’ai collé un timbre sur les deux enveloppes et j’ai mis à la boîte celle pour mon père. Celle de Steve, je l’ai gardée dans la poche intérieure de mon veston. Je me suis rappelé alors que la dernière fois que j’avais vu Deacon, c’était le trente mai(11), en uniforme de G. A. R.(12), au beau milieu du défilé. Il suffisait d’attendre assez longtemps au coin d’une rue pour être sûr de le voir s’amener dans le premier défilé venu. La fois précédente, c’était pour l’anniversaire de Colomb ou de Garibaldi, ou de quelqu’un comme ça. Il marchait avec la section des Balayeurs des Rues. Il était coiffé d’un tuyau de poêle et brandissait un drapeau italien de deux pouces en fumant un cigare parmi les balais et les ramasse-crottes. Mais, la dernière fois, c’était dans le défilé des G. A. R. parce que Shreve m’avait dit :

— Tiens, regarde un peu ce que ton grand-père a fait à ce pauvre vieux nègre.

— Oui, dis-je. Maintenant il peut s’amuser tous les jours à prendre part à un défilé. Sans mon grand-père, il lui faudrait travailler comme les Blancs.

Je ne l’ai vu nulle part. Mais, à ma connaissance, on ne trouve jamais les Noirs, même les travailleurs, quand on en a besoin. À plus forte raison ceux qui s’engraissent à ne rien faire. Un tram est arrivé. J’ai descendu en ville et je me suis payé un petit déjeuner copieux chez Parker. Pendant que je mangeais j’ai entendu une horloge sonner l’heure. Mais je suppose qu’il faut bien une heure entière pour perdre la notion du temps, à celui qui a mis plus longtemps que l’histoire à se conformer à sa progression mécanique.

Après avoir fini de déjeuner, j’ai acheté un cigare. La jeune fille m’a dit que les meilleurs étaient à cinquante cents. J’en ai pris un et je l’ai allumé, et je suis sorti. Je me suis arrêté une minute pour tirer une ou deux bouffées, puis, le tenant à la main, je me suis dirigé vers le coin de la rue. J’ai passé devant une bijouterie, mais j’ai détourné les yeux à temps. Au coin de la rue, deux cireurs de bottes m’ont sauté dessus, un de chaque côté, piaillant et jacassant comme des merles. J’ai donné mon cigare à l’un d’eux et cinq cents à l’autre. Alors ils m’ont laissé en paix. Celui auquel j’avais donné le cigare s’efforçait de le donner à l’autre en échange des cinq cents.

Il y avait une horloge, très haut dans le soleil, et je me rendis compte que lorsqu’on ne veut pas faire quelque chose, le corps pousse à le faire par leurre et comme malgré soi. Je pouvais sentir les muscles de ma nuque, puis je pouvais entendre le tic-tac de ma montre dans ma poche, et, au bout d’un instant, tous les bruits s’estompèrent, sauf celui que faisait ma montre dans ma poche. Je revins sur mes pas, jusqu’à la vitrine. Il travaillait à une table derrière la vitrine. Il était presque chauve. Il avait un morceau de verre dans l’œil – un tube de métal vissé dans le visage. J’entrai.

Le magasin était plein de tic-tac, comme des criquets dans l’herbe de septembre, et je pouvais entendre un cartel sur le mur, au-dessus de ma tête. Il me regarda de son gros œil trouble qui s’élançait par-delà le verre. J’ai pris ma montre et la lui ai tendue.

— J’ai cassé ma montre.

Il la fit sauter dans sa main. – En effet. Vous devez avoir marché dessus.

— Oui. Je l’ai fait tomber de la commode et j’ai mis le pied dessus, dans le noir. Mais elle marche toujours.

Il ouvrit le boîtier et l’examina, l’œil cligné. – Elle m’a l’air en bon état. Mais je ne peux rien vous dire avant de l’avoir démontée. J’y regarderai cet après-midi.

— Je vous la rapporterai, dis-je. Voudriez-vous avoir l’obligeance de me dire si, parmi toutes les montres que vous avez en devanture, il y en a qui donnent l’heure juste.

Il tenait ma montre dans le creux de sa main et lança sur moi l’élan de son œil trouble.

— J’ai fait un pari avec un type, dis-je, et j’ai oublié de prendre mes lunettes, ce matin.

— En ce cas », dit-il. Il posa la montre et, se soulevant à demi sur son tabouret, il regarda par-dessus le comptoir. Puis il jeta un regard sur le mur.

« Il est… »

— Ne me le dites pas, dis-je, je vous en prie. Dites-moi seulement si l’une de ces montres est juste.

Il m’a regardé de nouveau. Il s’est rassis sur son tabouret et a relevé le verre sur son front. Il en gardait un cercle rouge autour de l’œil, et, quand le cercle eut disparu, tout son visage sembla nu.

— En quel honneur vous êtes-vous soûlé aujourd’hui ? dit-il. Les régates ne sont que la semaine prochaine, si je ne me trompe.

— En effet, monsieur. Ce n’est qu’une petite fête intime. Un anniversaire. Est-ce que l’une de ces montres est juste ?

— Non. Elles n’ont pas encore été réglées. Si vous aviez l’intention d’en acheter une…

— Non, monsieur. Je n’ai pas besoin de montre. Nous avons une pendule dans notre salon. Je ferais arranger celle-ci au besoin. » Je tendis la main.

— Vous feriez mieux de me la laisser.

— Je la rapporterai plus tard. » Il m’a donné la montre et je l’ai remise dans ma poche. « Je vous suis très reconnaissant. J’espère que je ne vous ai pas fait perdre trop de temps. »

— Du tout. Apportez-la moi quand vous voudrez. Et vous feriez aussi bien d’attendre, pour votre petite fête, que nous les ayons gagnées, ces régates.

— En effet, oui, monsieur.

Je suis sorti et j’ai fermé la porte sur les tic-tac. J’ai jeté un dernier regard sur la vitrine. Il me surveillait par-dessus le comptoir. Il y avait bien une douzaine de montres en devanture, une douzaine d’heures différentes, et toutes avaient la même assurance affirmative et contradictoire qu’avait la mienne sans ses aiguilles. Elles se contredisaient mutuellement. Je pouvais entendre le tic-tac de la mienne dans ma poche bien que personne n’eût pu la voir, bien qu’elle n’eût rien pu dire si on l’avait pu voir.

Et alors, je me suggérai de prendre celle-là. Parce que papa m’a dit que les pendules tuaient le temps. Il m’a dit que le temps reste mort tant qu’il est rongé par le tic-tac des petites roues. Il n’y a que lorsque la pendule s’arrête que le temps se remet à vivre. Les aiguilles étaient allongées, pas tout à fait horizontales. Elles formaient une courbe légère comme des mouettes qui penchent dans le vent. Contenant tout ce qui d’habitude m’inspirait des regrets, comme la nouvelle lune contient de l’eau, disent les nègres. L’horloger s’était remis au travail, courbé sur son établi, le tube, comme un petit tunnel, incrusté dans la face. Ses cheveux étaient séparés au milieu par une raie qui remontait jusqu’à sa tonsure comme un marais drainé en décembre.

J’ai vu la quincaillerie de l’autre côté de la rue. Je ne savais pas que les fers à repasser se vendaient au poids.

Le commis m’a dit – Ceux-ci pèsent dix livres. » Mais ils étaient plus gros que je ne croyais. Aussi en ai-je acheté deux petits de six livres, parce que, une fois enveloppés, on les prendrait pour une paire de souliers. Réunis, ils me paraissaient assez lourds, mais je repensai à ce que père m’avait dit à propos du reducto absurdum de l’expérience humaine, à la seule chance que je semblais avoir de pouvoir entrer à Harvard. Peut-être l’année prochaine ; pensant qu’il faut peut-être deux années d’université pour apprendre à faire cela comme il faut.

Mais ils me semblaient assez lourds à l’air libre. Un tramway arriva. J’y montai sans voir la pancarte à l’avant. Il était plein. Des gens à mine prospère pour la plupart qui lisaient leur journal. Il n’y avait qu’une place libre, près d’un Noir. Il portait un chapeau melon et des souliers bien cirés, et il tenait un bout de cigare éteint. J’avais toujours pensé qu’il était du devoir d’un Sudiste d’avoir toujours les Noirs à l’esprit. Je croyais que les gens du Nord attendaient cela de lui. Au début de mon séjour dans l’Est, je passais mon temps à me répéter : N’oublie pas de les considérer comme des gens de couleur et non des nègres ; et si ça n’avait été que je n’en avais pas beaucoup autour de moi, j’aurais perdu bien du temps et de la peine avant d’avoir compris que la meilleure façon de prendre les gens, noirs ou blancs, c’est de les prendre pour ce qu’ils croient être, et ensuite de les laisser tranquilles. C’est alors que je me rendis compte qu’un Noir est moins une personne qu’une manière d’être, l’obvers en quelque sorte des Blancs avec lesquels il vit. Mais, au début, je pensais que je devais regretter de n’en avoir point une foule autour de moi, parce que je pensais que c’était le sentiment que les gens du Nord me prêtaient. Mais je ne savais pas que Roskus et Dilsey et tous les autres me manquaient réellement. Je ne m’en aperçus qu’un matin, en Virginie. Le train était arrêté quand je m’éveillai. Je levai le store et regardai par la vitre. Le wagon se trouvait en travers d’un passage à niveau, là où deux clôtures blanches descendaient une colline pour s’épanouir ensuite en éventail comme un fragment de corne, et, au milieu des ornières durcies, un nègre, sur une mule, attendait le départ du train. Je ne savais pas depuis combien de temps il était là, mais il était assis à califourchon sur sa mule, la tête enveloppée dans un morceau de couverture, comme si on les avait construits, lui et sa mule, à cet endroit, avec la clôture et la route, ou avec la colline, sculptés dans la colline même, comme un écriteau pour me dire : Te voilà rentré chez toi. Il n’avait pas de selle et ses pieds ballaient presque jusqu’à terre. La mule avait l’air d’un lapin. Je soulevai la glace.

— Eh, uncle(13), dis-je. C’est bien la bonne route ?

— M’sieu ? » Il me regarda, puis desserra sa couverture et la souleva, découvrant son oreille.

— Cadeau de Noël(14) ! dis-je.

— Pour sûr, patron. Vous m’avez attrapé, pas vrai ?

— Je te tiens quitte pour cette fois. » Je tirai mon pantalon du petit filet et y pris une pièce de vingt-cinq cents. « Mais, attention, la prochaine fois. Je repasserai par ici deux jours après le premier de l’an. Attention à toi. » Je lançai la pièce par la fenêtre. « Achète-toi quelque chose pour Noël. »

— Oui, m’sieu », dit-il. Il mit pied à terre, ramassa la pièce et la frotta sur sa jambe. « Me’ci, mon jeune maître. Me’ci bien. »

Et le train se remit en marche. Je me penchai par la portière, dans l’air froid, regardant en arrière. Il était toujours là, debout près de son grand lapin de mule, tous deux misérables, immobiles, ignorant l’impatience. Le train décrivit une courbe. La machine haletait à petits coups puissants, et c’est ainsi qu’ils disparurent, doucement enveloppés dans cet air de misère, de patience hors temps, de sérénité statique : mélange d’incompétence enfantine et toujours prête et d’honnêteté paradoxale qui garde et protège ceux qu’il aime sans raison et qu’il vole constamment, qui se soustrait aux responsabilités et aux obligations par des moyens trop ouverts pour être appelés subterfuges, d’où, dans le vol et l’évasion, cette admiration franche et spontanée pour le vainqueur qu’un gentleman ressent seulement pour ceux qui l’ont battu en un combat loyal ; enfin, en plus de cela, une tolérance constante et affectueuse pour les caprices des Blancs à la manière des grands-parents en face des espiègleries imprévisibles de leurs petits-enfants. Tout cela, je l’avais oublié. Et pendant toute cette journée, tandis que le train serpentait à travers des ravines, le long de falaises où la progression n’était plus qu’un halètement pénible de vapeur échappée, un grondement de roues ; tandis que les montagnes éternelles s’évanouissaient dans le ciel alourdi, je songeais au foyer paternel, à la gare nue et triste, à la boue, aux Noirs, aux paysans flânant en foule sur la place avec les petits singes en peluche, les charrettes, les bonbons dans des sacs, l’extrémité des baguettes des chandelles romaines, et mes entrailles se crispaient comme autrefois, à l’école, quand la cloche se mettait à sonner.

Je ne commençais à compter que lorsque l’horloge avait sonné trois heures. Alors je me mettais à compter jusqu’à soixante et j’abaissais un doigt pensant aux quatorze autres qui attendaient d’être pliés, ou aux treize, aux douze, aux huit, aux sept, jusqu’au moment où je me rendais compte du silence des esprits attentifs. Et je disais alors « Madame ? » – « Vous vous appelez Quentin, n’est-ce pas ? » disait miss Laura. Et c’était de nouveau le silence et la cruauté des esprits attentifs, et les mains qui se levaient dans le silence. « Henry, dites à Quentin qui a découvert le Mississippi. » – « De Soto. » Et les esprits disparaissaient, et, au bout d’un instant, j’avais peur de m’être laissé retarder et, comptant vite, je pliais un autre doigt. Mais j’avais peur alors d’avoir été trop vite, et je ralentissais, puis la peur me reprenait et, de nouveau, je me mettais à compter vite. Jamais la cloche et moi nous ne fûmes d’accord. C’était alors le soulèvement de liberté des pieds qui se mouvaient déjà sentant la terre dans le frottement du plancher, et le jour, comme un morceau de verre, frappait un coup léger, tranchant, et, assis, immobile, je sentais frémir mes entrailles. Frémir assis immobile. Une minute elle resta sur le pas de la porte. Benjy. Hurlement. Benjamin le fruit de ma vieillesse hurle. Caddy ! Caddy !

Je m’enfuierai. Il s’est mis à pleurer. Elle est allée le toucher. Non je ne le ferai pas. Chut. Il s’est tu. Dilsey.

Il flaire ce qu’on lui dit quand il veut. Pas besoin d’écouter ni de parler.

Est-ce qu’il peut sentir ce nouveau nom qu’on lui a donné ? Est-ce qu’il peut sentir la malchance ?

Pourquoi se préoccuperait-il de la chance ? La chance ne peut pas lui faire de mal.

Alors, pourquoi lui avoir changé son nom, si ce n’est pas pour essayer de lui porter bonheur ?

Le tramway s’est arrêté, est reparti, s’est arrêté de nouveau. Sous la vitre je regardais passer le sommet de la tête des gens, sous des chapeaux de paille neufs, pas encore jaunis. Il y avait des femmes maintenant dans le tramway, avec des paniers de marché, et des hommes en bourgeron commençaient à éclipser les souliers cirés et les faux cols.

Le nègre me toucha le genou. « Pardon », dit-il. Je détournai mes jambes pour le laisser passer. Nous longions un mur uni, et le bruit se répercutait dans le tramway contre les femmes qui tenaient leurs paniers de marché sur les genoux, et un homme à chapeau taché, avec une pipe passée dans le ruban. Je pouvais sentir l’eau, et, par un interstice du mur, j’aperçus un reflet d’eau et deux mâts, et, dans l’air, une mouette immobile, comme suspendue entre les mâts à un fil invisible ; et j’ai levé la main, et, à travers mon veston, j’ai touché les lettres que j’avais écrites. Quand le tram s’arrêta, je descendis.

Le pont était ouvert pour laisser passer une goélette. Elle était remorquée. Le remorqueur la poussait sous la hanche, au milieu d’une traînée de fumée, mais on eût dit que le bateau avançait sans pression apparente. Sur le gaillard d’avant, un homme nu jusqu’à la ceinture enroulait un câble. Son corps tanné avait la couleur des feuilles de tabac. Un homme coiffé d’un chapeau de paille sans fond se tenait à la barre. Le bateau franchit le pont, avançant sous les mâts nus comme un fantôme en plein jour. Trois mouettes planaient au-dessus de la poupe comme des jouets suspendus à des fils invisibles.

Quand le pont se fut refermé, j’ai traversé et suis allé de l’autre côté m’accouder au parapet, au-dessus des hangars à bateaux. Le ponton était vide et les portes étaient closes. L’équipe des rameurs ne s’entraînait plus qu’à la fin de l’après-midi après quelques heures de repos. L’ombre du pont, les barreaux du parapet, mon ombre aplatie sur l’eau, que j’avais si aisément trompée qu’elle ne voulait plus me quitter. Elle mesurait bien cinquante pieds. Si seulement j’avais quelque chose pour l’enfoncer dans l’eau, pour l’y maintenir jusqu’à ce qu’elle fût noyée, l’ombre du paquet comme deux souliers enveloppés, allongés sur l’eau. Les nègres disent que l’ombre d’un noyé reste toujours sur l’eau à le guetter. Elle scintillait, luisait, semblait respirer, le ponton aussi, lentement soulevé comme une respiration, et des débris à demi submergés, retournant à la mer, aux cavernes, aux grottes marines. Le déplacement de l’eau est égal au quelque chose de quelque chose. Reducto absurdum de toute expérience humaine et deux fers à repasser de six livres pèsent plus qu’un carreau de tailleur. Quel crime de gaspiller ainsi, dirait Dilsey. Quand grand’maman est morte, Benjy l’a su. Il s’est mis à pleurer. Il l’a senti. Il l’a senti.

Le remorqueur revint. L’eau se fendait en longs rouleaux, berçant enfin le ponton sous l’écho du passage, le ponton qui roulait sur la vague avec un clapotis, et un long grincement quand la porte à glissière s’ouvrit pour laisser apparaître deux hommes portant un skiff. Ils le mirent à l’eau et, un instant après, Bland sortit avec les avirons. Il portait un pantalon de flanelle, un veston gris et un canotier. Lui ou sa mère avaient lu quelque part que les étudiants d’Oxford ramaient en pantalon de flanelle et canotier, aussi, au début de mars, avait-on acheté un skiff à Gerald qui se lança sur la rivière avec son pantalon de flanelle et son canotier. Les employés du hangar avaient menacé d’appeler un agent, mais il n’en était pas moins parti. Sa mère arriva dans une auto de louage, vêtue d’un manteau de fourrure du type explorateur au Pôle Nord. Elle le vit partir sous une brise qui soufflait à vingt-cinq milles à l’heure et parmi des glaçons qui se suivaient à la dérive comme des moutons sales. C’est à partir de ce jour-là que j’ai compris que Dieu est non seulement un gentleman de bonne composition mais qu’il est également originaire du Kentucky. Quand le bateau se fut éloigné, elle fit un détour, puis regagna le bord de la rivière où, parallèlement à son fils, elle roula en première vitesse. D’après ce qu’on raconte, personne n’aurait pu se douter qu’ils se connaissaient, comme un Roi et une Reine, sans même se regarder, côte à côte à travers le Massachusetts, ils allaient, suivant des routes parallèles, ainsi que deux planètes.

Il monta dans le bateau et s’éloigna. Il ramait assez bien maintenant. Ce qui n’avait rien de surprenant. On prétendait que sa mère avait essayé de le faire renoncer à l’aviron pour entreprendre quelque chose que les autres garçons de sa promotion ne pouvaient ou ne voulaient pas faire. Mais, pour une fois, il s’entêta. Si l’on peut appeler cela s’entêter, assis comme un prince qui s’ennuie, avec ses cheveux blonds, bouclés, et ses yeux violets, et ses cils, et ses vêtements new-yorkais, pendant que sa maman nous parlait des chevaux de Gerald et des nègres de Gerald et des femmes de Gerald. Les maris et les pères avaient dû être bien heureux le jour où elle avait emmené Gerald à Cambridge. Elle avait un appartement en ville, et Gerald en avait un aussi, en plus de sa chambre à l’Université. Elle ne voyait pas d’inconvénient à ce que Gerald me fréquentât parce que moi, au moins, je faisais preuve d’une espèce de sens de noblesse oblige, étant né au sud de Mason, Dixon et autres villes dont la géographie remplissait les conditions (minima). Pardonnait tout au moins. Ou fermait les yeux. Mais depuis qu’elle avait vu Spoade sortir de la chapelle une Il avait dit qu’elle ne pouvait pas être respectable car une femme respectable ne serait pas dans les rues à cette heure de la nuit elle n’avait jamais pu lui pardonner d’avoir cinq noms, y compris celui d’une maison ducale anglaise non encore éteinte. Je suis sûr qu’elle se soulageait en se persuadant que quelque pauvre Maingault ou Mortemar dégénéré s’était acoquiné avec la fille du concierge. Ce qui était fort probable, qu’elle l’eût inventé ou non. Spoade était le champion du monde des flemmards, match où toute prise était légale et toute fraude laissée à discrétion.

Le skiff n’était plus qu’un point, les avirons captaient le soleil en éclairs espacés comme si la coque clignait de l’œil en route. As-tu jamais eu une sœur ? Non, mais ce sont toutes des putains. As-tu jamais eu une sœur ? Une minute elle resta. Putains. Pas putain une minute elle resta debout sur le pas de la porte Dalton Ames. Dalton Ames. Dalton Shirts10. J’avais toujours cru qu’elles étaient kaki, kaki comme les chemises militaires, jusqu’au moment où j’ai vu qu’elles étaient en belle soie de Chine ou en flanelle très fine et rendaient par suite son visage si brun et ses yeux si bleus. Dalton Ames. Il s’en fallait d’un rien que ce nom fût aristocratique. Accessoire de théâtre seulement. Papier mâché, puis touchez-le. Oh. Amiante(15). Pas tout à fait en bronze. Mais vous ne le verrez pas dans la maison.

Caddy est femme aussi. Il ne faut pas l’oublier. Elle doit donc faire aussi certaines choses pour des raisons de femme.

Pourquoi ne nous l’amènes-tu pas un jour, Caddy ? Pourquoi te conduis-tu comme les négresses dans les prés les fossés les bois sombres ardentes cachées furieuses dans les bois sombres.

Et j’entendis ma montre pendant quelque temps, et je pouvais sentir les lettres qui se froissaient dans ma poche de veston, contre le parapet, regardant mon ombre et le beau tour que je lui avais joué. Je me suis mis à marcher le long du parapet, mais mon costume était sombre aussi et j’ai pu m’essuyer les mains tout en surveillant mon ombre et le beau tour que je lui avais joué. Je la ramenai dans l’ombre du quai. Puis je me dirigeai vers l’est.

Harvard mon fils étudiant à Harvard Harvard harvard Ce gosse au visage boutonneux qu’elle avait rencontré le jour des courses à pied avec des rubans de couleur. Traînassant le long de la barrière et essayant de la faire venir en la sifflant comme un petit chien. Parce qu’on n’avait pas pu à force de cajoleries le décider à entrer dans la salle à manger maman croyait qu’il lui jetterait une espèce de sort quand ils se trouveraient seuls en tête à tête. Pourtant n’importe quelle fripouille Il était étendu près de la caisse sous la fenêtre hurlant capable de s’amener en limousine, une fleur à la boutonnière. Harvard. Quentin, je te présente Herbert. Mon fils étudiant à Harvard. Herbert sera un grand frère, il a déjà promis à Jason de le faire entrer dans sa banque. Cordial. Celluloïd genre commis voyageur. Visage plein de dents blanches mais qui ne sourit pas. J’ai entendu parler de lui là-bas. Tout en dents, mais pas de sourire. C’est toi qui vas conduire ?

Monte donc Quentin

Tu vas conduire.

Cette voiture est à elle. Tu n’es pas fier que ta petite sœur ait la première auto de la ville cadeau de Herbert. Louis lui a donné des leçons tous les matins tu n’as donc pas reçu la lettre Mr et Mrs Jason Richmond Compson ont le plaisir de vous faire part du mariage de leur fille Candace avec Mr Sydney Herbert Head, le vingt-cinq avril 1910, à Jefferson, Mississippi. Chez eux à partir du premier août, numéro tant, Avenue quelque chose, South Bend Indiana. Shreve dit : quand vas-tu te décider à l’ouvrir ? Trois jours. Trois fois Mr et Mrs Jason Richmond Compson Le jeune Lochinvar a quitté l’Ouest(16) un peu trop tôt, pas vrai ?

Je suis du Sud. Vous êtes drôle.

Oh oui je savais que c’était quelque part à la campagne.

Vous êtes drôle. Vous devriez vous engager dans un cirque.

Je l’ai fait. C’est comme ça que je me suis abîmé la vue en donnant à boire aux puces des éléphants. Trois fois Ces filles de la campagne. On ne sait jamais à quoi s’attendre avec elles, pas vrai ; Enfin, Byron n’a jamais eu ce qu’il désirait(17), Dieu merci. Mais il ne faut pas frapper un homme à lunettes Quand vas-tu te décider à l’ouvrir ? Elle était sur la table une bougie brûlait aux quatre coins sur l’enveloppe attachées par une jarretière rose sale deux fleurs artificielles. Pas frapper un homme à lunettes.

Ces gens de la campagne les pauvres ils n’ont pas encore vu d’auto il y en a beaucoup qui cornent Candace pour qu’ils Elle évitait de me regarder se garent évitait de me regarder ton père serait furieux si tu écrasais quelqu’un en vérité ton père va être obligé d’acheter une auto maintenant je regrette presque que vous l’ayez amenée ici Herbert j’y ai pris tant de plaisir évidemment il y a bien la voiture mais si souvent quand j’ai besoin de sortir Mr Compson a donné quelque besogne à faire aux Noirs et ce serait risquer ma vie que de prétendre les interrompre il soutient bien que Roskus est tout le temps à ma disposition mais je sais ce que cela veut dire je sais tout ce que les gens promettent pour mettre leur conscience à l’aise Est-ce ainsi que vous traiterez ma petite fille Herbert mais je sais bien que non Herbert nous a tous horriblement gâtés Quentin est-ce que je t’ai écrit qu’il allait faire entrer Jason dans sa banque quand Jason sera sorti du lycée Jason fera un excellent banquier c’est le seul de mes enfants qui ait un peu de sens pratique vous pouvez m’en remercier il tient de mon côté, les autres sont tous des Compson Jason fournissait la farine pour coller des cerfs-volants qu’ils fabriquaient sous la véranda derrière la maison et qu’ils vendaient cinq cents pièce, lui et le fils Patterson. Jason était le trésorier.

Il n’y avait pas de nègres dans ce tramway, et les canotiers neufs encore passaient toujours derrière les vitres. Aller à Harvard. Nous avons vendu le pré de Benjy Il était étendu par terre sous la fenêtre, hurlant. Nous avons vendu le pré de Benjy pour que Quentin puisse aller à Harvard un frère pour toi. Un petit frère.

Vous devriez acheter une auto ça vous a fait le plus grand bien vous ne trouvez pas Quentin je l’appelle déjà Quentin vous voyez Candace m’a si souvent parlé de lui.

Mais voyons c’est tout naturel je veux que tous mes enfants soient bons amis oui Candace et Quentin plus qu’amis Père j’ai commis quel dommage que vous n’ayez ni frère ni sœur Pas de sœur pas de sœur n’avait pas de sœur Ne demandez pas cela à Quentin Mr Compson et lui se sentent toujours un peu insultés quand je suis assez forte pour descendre à la salle à manger je vis sur mes nerfs en ce moment je paierai cela plus tard quand vous m’aurez enlevé ma petite fille Ma petite sœur n’avait pas. Si je pouvais dire Mère. Mère

À moins que je ne fasse ce que j’ai bonne envie de faire vous enlever à sa place je ne crois pas que Mr Compson pourrait rattraper l’auto.

Oh Herbert Candace tu l’entends Elle évitait de me regarder l’angle doux et volontaire de sa mâchoire évitait de se retourner Mais ne sois pas jalouse il s’amuse simplement à flatter une vieille femme une grande fille mariée c’est à n’y pas croire.

Comment mais vous avez l’air d’une jeune fille vous avez l’air beaucoup plus jeune que Candace un teint de jeune fille Visage en larmes plein de reproches odeur de camphre et de larmes voix en pleurs sans cesse et doucement derrière la porte crépusculaire dans le parfum de chèvrefeuille teinté de crépuscule. Descente de malles vides par l’escalier du grenier elles sonnaient comme des cercueils. French Lick(18). Pas trouvé la mort dans les salines

Chapeaux encore neufs et pas de chapeaux. Trois ans sans chapeau. Je ne pouvais pas. J’étais. Y aura-t-il des chapeaux alors puisque je n’étais pas et pas question de Harvard alors. Où le meilleur de la pensée disait mon père s’agrippe comme du lierre mort à de vieilles briques mortes. Pas question de Harvard alors. Pas pour moi du moins. Encore. Plus triste qu’était. Encore. Plus triste que tout. Encore.

Spoade portait une chemise ; donc ce doit être. Quand je pourrai revoir mon ombre si je ne fais pas attention à laquelle j’ai joué ce tour dans l’eau marcher de nouveau sur mon ombre impénétrable. Mais pas de sœur. Je ne l’aurais pas fait. Je ne veux pas qu’on espionne ma fille Je ne l’aurais pas fait.

Comment pourrais-je les faire obéir alors que vous n’avez cessé de leur prêcher de ne pas faire le moindre cas ni de moi ni de mes désirs je sais que vous méprisez ma famille mais est-ce une raison pour prêcher à mes enfants pour qui j’ai tant souffert de n’avoir aucun respect Piétinant les os de mon ombre sous la dureté de mes talons pour les faire entrer dans le ciment, et j’entendais la montre, et j’ai touché les lettres dans la poche de mon veston.

Je ne veux pas qu’on espionne ma fille ni vous ni Quentin ni personne quoi que vous croyiez qu’elle ait fait Du moins vous admettez qu’il y avait une raison pour cette surveillance Je n’aurais pas je n’aurais pas. Je sais que tu ne l’aurais pas fait je regrette d’avoir parlé si durement mais les femmes n’ont aucun respect les unes pour les autres, pour elles-mêmes non plus.

Mais comment a-t-elle pu Le carillon s’est mis à sonner comme je marchais sur mon ombre, c’était le quart. Deacon n’apparaissait pas penser que j’aurais voulu que j’aurais pu

Ce n’est pas ce qu’elle voulait dire c’est ainsi qu’agissent les femmes c’est parce qu’elle aime Caddy

Les réverbères descendraient la côte puis remonteraient vers la ville J’ai marché sur le ventre de mon ombre. Je pouvais étendre la main plus loin qu’elle, sentant mon père derrière moi par-delà l’obscurité âpre de la nuit d’été d’août les réverbères Père et moi nous protégeons les femmes contre leurs semblables contre elles-mêmes nos femmes c’est ainsi que sont les femmes elles n’apprennent pas à nous connaître pour la simple raison qu’elles sont nées avec un pouvoir pratique de soupçonner si fertile qu’à tout instant il en croît une véritable récolte de soupçons fondés du reste pour la plupart elles ont l’instinct du mal le talent de suppléer au mal ce qui lui manque de s’en enrouler instinctivement comme on s’enroule la nuit dans ses couvertures fertilisant leur esprit à cet effet jusqu’à ce que le mal ait atteint son but qu’il existe ou non Il arrivait flanqué de deux étudiants de première année. Il ne s’était pas encore remis de son défilé car il me fit le salut militaire dans un style très officier supérieur.

— J’ai à te parler une minute, dis-je en m’arrêtant.

— À moi ? Très bien. À tout à l’heure, mes amis », dit-il en s’arrêtant et se retournant, « enchanté de notre petite conversation ». C’était bien le Deacon tout craché. Parlez-moi des gens qui sont nés psychologues. On m’a assuré que, depuis quarante ans, il n’avait pas manqué un seul train à la rentrée des classes et que, d’un simple coup d’œil, il reconnaissait un Sudiste. Il ne se trompait jamais et, dès qu’il vous avait entendu parler, il pouvait vous dire de quel État vous veniez. Il portait un véritable uniforme pour aller attendre les trains, un costume style Case de l’Oncle Tom avec les pièces et tout le reste.

— Oui, m’sieu. Pa’ici mon jeune maître. Voilà », prenant vos bagages. « Eh, petit, viens prend’ces valises. » Là-dessus une montagne mouvante de bagages s’approchait révélant un jeune Blanc d’environ quinze ans, et le Deacon ajoutait une autre valise à la pyramide et le renvoyait. « Attention à pas en laisser tomber. Maintenant, mon jeune maître, vous n’avez plus qu’à donner le numéro de vot’chambre au vieux nègre et vous trouverez tout là-bas quand vous arriverez. »

À partir de ce moment, et jusqu’à ce qu’il vous eût complètement subjugué, il passait son temps à entrer dans votre chambre et à en sortir, ubiquiste et loquace. Cependant, ses manières perdaient un peu de leur sudisme à mesure que sa garde-robe s’améliorait, puis, quand il vous avait bien saigné et que vous commenciez à vous méfier, il vous appelait par votre prénom, Quentin, par exemple, et, la prochaine fois que vous le rencontriez, il portait un vieux complet de chez Brooks et un chapeau orné d’un ruban de quelque club de Princeton que quelqu’un lui avait donné et qu’il croyait fermement, et avec joie, provenir de l’écharpe de commandement d’Abraham Lincoln. Quand, il y a bien des années, il apparut à l’Université, on avait fait courir le bruit qu’il avait fait ses études au séminaire. Et, quand il eut compris ce que cela voulait dire, il en fut si impressionné qu’il se mit lui-même à raconter son histoire, si bien qu’à la fin il finit par croire que c’était arrivé. Toujours est-il qu’il racontait de longues anecdotes dénuées de sens sur ses années d’étude, parlant familièrement de professeurs morts ou partis qu’il nommait par leurs prénoms, prénoms faux en général. Mais il avait été le mentor et l’ami d’innombrables générations d’étudiants de première année, innocents et solitaires, et j’imagine que, malgré ses mesquines chicaneries et son hypocrisie, il ne puait pas plus qu’un autre aux narines du Seigneur.

— Voilà trois ou quatre jours que je ne vous vois plus, dit-il en me toisant à travers cette auréole militaire qu’il n’avait pas encore abandonnée. Avez-vous été malade ?

— Non, pas du tout. Travail sans doute. Mais moi je t’ai vu.

— Ah oui ?

— Dans le défilé, l’autre jour.

— Oh, ça ! Oui, j’y étais. Ce n’est pas que j’aime beaucoup toutes ces choses-là, vous savez. Mais les copains aiment toujours que je sois avec eux, les vétérans. Vous savez ce que c’est, les dames aiment bien que tous les vétérans soient présents. Alors, il faut être obligeant.

— Et le jour de cette fête des Ritals aussi, dis-je. C’était pour obliger la W. C. T. U.(19) sans doute ?

— Oh, cette fois-là, c’était pout mon gendre. Il voudrait un emploi dans les services publics. Balayeur des rues. Comme je lui dis, tout ce qu’il veut c’est un balai pour dormir dessus. Alors, comme ça, vous m’avez vu ?

— Les deux fois, oui.

— Je veux dire, en uniforme. Comment ça me va-t-il ?

— Tu étais magnifique. Tu étais le plus beau de tous. On devrait te nommer général, Deacon.

Il me toucha légèrement le bras, sa main usée et douce comme sont les mains des Noirs. – Écoutez, mais ce n’est pas à répéter. À vous, je peux bien le dire, parce que, après tout, nous sommes presque des gens de la même espèce. » Il se pencha un peu vers moi, parlant rapidement, sans me regarder. « Y a des choses en train, en ce moment. Attendez l’an prochain. Attendez. Et vous verrez alors quelle place j’occuperai dans le défilé. Pas besoin de vous dire ce que j’ai en train. Mais je vous le dis, attendez un peu et vous verrez, jeune homme. » Il me regarda, s’appuya légèrement sur mon épaule, et se balança sur les talons en me faisant des signes de tête. « Parfaitement, c’est pas pour rien que je suis devenu démocrate, il y a trois ans. Mon gendre dans les services et moi… Parfaitement. Si seulement de devenir démocrate ça pouvait le faire travailler, l’enfant de garce… Et moi : dans un an d’avant-hier, attendez un peu au coin de cette rue et vous verrez.

— Je l’espère. Tu le mérites bien, Deacon. Et tiens, pendant que j’y pense… » J’ai sorti la lettre de ma poche. « Demain, porte ça dans ma chambre et donne-la à Shreve. Il aura quelque chose pour toi. Pas avant demain, tu as compris ? »

Il prit la lettre et l’examina. – Elle est cachetée.

— Oui. Et il y a quelque chose d’écrit à l’intérieur. Pas bonne avant demain.

— Hum », dit-il. Il regardait l’enveloppe en faisant la moue. « Quelque chose pour moi, vous dites ? »

— Oui, un cadeau que je te fais.

Maintenant, il me regardait, l’enveloppe blanche dans sa main noire, au soleil. Ses yeux étaient doux, bruns et sans iris, et soudain, derrière tout son bric-à-brac d’homme blanc : uniformes, politique, affectations style Harvard, il me sembla apercevoir Roskus, les yeux fixés sur moi, méfiant, secret, inarticulé et triste.

— C’est pas un tour que vous voulez jouer à un pauvre vieux nègre, des fois ?

— Tu sais bien que non. Est-ce qu’un Sudiste t’a jamais joué un tour ?

— Vous avez raison. C’est des gens bien honnêtes. Mais on ne peut pas vivre avec eux.

— As-tu jamais essayé ? » dis-je. Mais Roskus avait disparu. Il avait repris ce genre qu’il avait adopté depuis longtemps aux yeux du monde, pompeux, faux, pas exactement grossier.

— Je ferai ce que vous voudrez, jeune homme.

— Pas avant demain, rappelle-toi.

— Parfait, dit-il. J’ai compris, jeune homme. Eh bien…

— J’espère… » dis-je. Il me regardait, condescendant et profond. Brusquement, je lui tendis la main, et il la serra gravement, du haut de son rêve pompeux de gloire municipale et militaire. « Tu es un brave homme, Deacon. J’espère… Tu as aidé bien des jeunes dans ta vie. »

— J’ai toujours essayé de bien traiter tout le monde, dit-il. Je ne fais pas de ces mesquines distinctions sociales. Pour moi, un homme est un homme, peu importe où je le trouve.

— Je te souhaite de trouver toujours autant d’amis que tu t’en es fait.

— Les jeunes, je m’entends bien avec eux. Ils ne m’oublient pas non plus », dit-il en agitant l’enveloppe. Il la mit dans sa poche et boutonna son pardessus. « Oui, pour sûr, j’ai eu de bons amis. »

Le carillon se remit à sonner. La demie. Debout sur le ventre de mon ombre, j’écoutais les coups espacés qui glissaient tranquillement sur les rayons du soleil à travers les petites feuilles menues et immobiles. Espacés, paisibles, sereins, avec cette qualité automnale qu’ont toujours les cloches, même dans le mois des mariées. Couché par terre sous la fenêtre hurlant Il ne lui jeta qu’un coup d’œil et comprit. De la bouche des petits enfants. Les réverbères Le carillon se tut. Je revins vers la poste en enfonçant mon ombre dans le pavé descendent la côte puis remontent vers la ville comme des lanternes pendues à un mur les unes au-dessus des autres. Papa a dit que si elle aime Caddy c’est parce qu’elle aime les gens pour leurs défauts. L’oncle Maury, les jambes écartées devant le feu, doit lever une main juste le temps de boire le coup de Noël. Jason s’est mis à courir, les mains dans les poches. Il est tombé et est resté par terre, comme un poulet prêt à la broche, jusqu’à ce que Versh l’eût remis sur ses pieds Pourquoi que vous n’sortez pas vos mains de vos poches quand vous courez vous tiendriez debout au moins Roulant sa tête dans son berceau la roulant à plat sur la nuque. Caddy a dit à Jason que Versh avait dit que si l’oncle Maury ne travaillait pas c’était parce que, lorsqu’il était petit, il roulait la tête dans son berceau.

Shreve s’approchait, traînant les pieds, dans son embonpoint consciencieux. Ses lunettes, sous la course des feuilles, luisaient comme deux petits étangs.

— J’ai donné un mot à Deacon, pour certaines choses. Je ne serai peut-être pas là cet après-midi, aussi ne lui donne rien avant demain, veux-tu ?

— Entendu. » Il me regarda. « Qu’est-ce que tu as donc l’intention de faire aujourd’hui ? Tiré à quatre épingles et figure de carême, comme le prologue à une satï. As-tu été au cours de psychologie, ce matin ? »

— Je ne fais rien. Pas avant demain.

— Qu’est-ce que tu portes là ?

— Rien. Une paire de souliers que j’ai fait ressemeler. Pas avant demain, tu entends.

— Mais oui. Oh, à propos as-tu pris une lettre ce matin sur la table ?

— Non.

— Elle y est toujours. De Sémiramis. Un chauffeur l’a apportée avant dix heures.

— Bon. Je la prendrai. Je me demande ce qu’elle me veut.

— Un peu de tam-tam probablement. Ta ra ta ta Gerald hourrah. « Le tambour un peu plus fort, Quentin. Bon Dieu, ce que je suis content de n’être pas un gentleman. » Il s’éloigna avec son livre, quelque peu informe, gros et consciencieux. Les réverbères Te figures-tu cela parce qu’un de nos ancêtres était gouverneur et trois étaient généraux et que ceux de maman ne l’étaient pas.

un vivant vaut toujours mieux qu’un mort mais un vivant et un mort ne valent jamais mieux qu’un autre vivant ou qu’un autre mort C’est ainsi pourtant dans l’esprit de maman. Fini, Fini, Et nous fûmes tous empoisonnés tu confonds péché, et moralité les femmes ne font pas ça ta mère pense à la moralité la question de savoir si c’est un péché ou non ne lui est pas venue à l’idée.

Jason il faut que je m’en aille vous garderez les autres moi j’emmènerai Jason et nous nous en irons là où personne ne nous connaîtra comme ça il pourra grandir et oublier tout cela les autres ne m’aiment pas ils n’ont jamais rien aimé avec cet égoïsme et cette fausse vanité propres aux Compson Jason était le seul vers qui mon cœur allait sans crainte

Vous ne savez pas ce que vous dites Jason est très bien je pensais que dès que vous vous sentiriez mieux Caddy et vous pourriez aller à French Lick.

et laisser Jason ici avec vous les Noirs pour toute compagnie

Elle oubliera ce garçon et les potins cesseront pas trouvé la mort dans les salines

je pourrai peut-être lui trouver un mari là-bas pas la mort dans les salines

Le tram s’approcha, s’arrêta. Le carillon sonnait toujours la demie. J’y montai et il repartit effaçant la demie. Non : moins le quart. Ça ne fera jamais que dix minutes, du reste. Quitter Harvard le rêve de ta mère vendu le pré de Benjy pour

qu’ai-je fait pour mériter des enfants pareils Benjamin était un châtiment suffisant et elle maintenant sans la moindre considération pour moi sa propre mère j’ai souffert pour elle rêvé fait des plans des sacrifices je suis descendue dans la vallée(20) et malgré cela jamais depuis le jour où elle ouvrit les yeux elle n’a pensé à moi autrement que par égoïsme parfois je la regarde et me demande si elle est bien vraiment ma fille sauf Jason lui ne m’a jamais causé une minute de chagrin depuis que je l’ai tenu dans mes bras je savais alors qu’il serait ma joie et mon salut je pensais que Benjamin était un châtiment suffisant pour les péchés que j’ai pu commettre je croyais que c’était un châtiment pour avoir mis de côté mon orgueil et épousé un homme qui se croyait supérieur à moi je ne me plains pas je l’aimais plus que tout au monde à cause de cela par devoir bien que Jason me tînt au cœur cependant mais je vois maintenant que je n’ai pas assez souffert je vois maintenant qu’il me faut payer pour vos péchés aussi bien que pour les miens qu’avez-vous donc commis quels péchés votre riche et puissante famille a-t-elle donc déversés sur ma tête mais vous les soutiendrez toujours vous avez toujours trouvé des excuses pour ceux de votre sang il n’y a que Jason qui puisse mal faire parce qu’il est plus Bascomb que Compson tandis que votre propre fille ma petite fille ma petite enfant elle ne vaut elle ne vaut pas ça quand j’étais jeune j’étais malheureuse je n’étais qu’une Bascomb on me disait qu’il n’y a pas de milieu qu’une femme est une lady ou ne l’est pas mais je n’aurais jamais pu penser quand je la tenais dans mes bras qu’une de mes filles pourrait jamais se laisser aller à vous ne savez donc pas que je n’ai qu’à la regarder dans les yeux pour savoir vous vous figurez peut-être qu’elle vous l’aurait dit mais elle ne dit que ce qu’elle veut bien dire elle est renfermée vous ne la connaissez pas je sais certaines choses qu’elle a faites et je préférerais mourir plutôt que de vous les raconter c’est ça continuez critiquez Jason accusez-moi de lui faire épier sa sœur comme si c’était un crime tandis que votre propre fille elle peut je sais que vous ne l’aimez pas que vous cherchez toujours à le trouver en faute vous ne l’avez jamais aimé oui oui tournez-le en ridicule comme vous le faites toujours Maury vous ne pourrez jamais me blesser plus que vos enfants ne l’ont déjà fait et un jour, je ne serai plus là et Jason n’aura plus personne pour l’aimer le protéger chaque jour je le regarde craignant de voir enfin le sang des Compson apparaître en lui avec une sœur qui s’échappe pour aller retrouver Dieu sait qui l’avez-vous jamais vu cet homme ne me laisserez-vous jamais essayer de savoir qui c’est ce n’est pas pour moi je ne pourrais pas supporter sa vue c’est dans votre intérêt pour vous protéger mais qui peut lutter contre un sang vicié vous ne voulez pas que j’essaie nous restons là assis les mains croisées pendant que non seulement elle traîne votre nom dans la boue mais corrompt l’air que vos enfants respirent Jason laissez-moi partir et vous garderez les autres ils ne sont pas ma chair et mon sang comme lui des étrangers rien de moi et j’ai peur d’eux je peux emmener Jason et aller là où personne ne nous connaîtra je me mettrai à genoux et demanderai l’absolution de mes péchés afin qu’il échappe à cette malédiction afin que j’essaie d’oublier qu’il fut un temps où les autres étaient

Si c’était moins le quart, pas plus de dix minutes maintenant. Un tram venait de partir et déjà quelques personnes attendaient le suivant. Je me suis informé, mais il ne savait pas s’il en viendrait un avant midi parce que les services de banlieue, vous savez. Le suivant était encore un trolley. J’y montai. On pouvait sentir midi. Je me demande si les mineurs, dans les entrailles de la terre. De là les sifflets : parce que les gens qui suent et si on est juste assez loin de la sueur on n’entend pas les sifflets et en huit minutes on devrait être à cette distance-là de la sueur à Boston. Mon père dit qu’un homme est la somme de ses propres malheurs. On pourrait penser que le malheur finirait un jour par se lasser, mais alors, c’est le temps qui devient votre malheur, dit papa. Une mouette suspendue dans l’espace à un fil invisible planait. On emporte le symbole de sa frustration dans l’éternité. Alors les ailes sont plus grandes, dit papa, mais qui sait jouer de la harpe ?

Chaque fois que le tram s’arrêtait je pouvais entendre ma montre, mais pas souvent ils mangeaient déjà qui voudrait jouer de la manger le fait de manger à l’intérieur de vous-même l’espace aussi l’espace et le temps confondus. Estomac qui dit midi cerveau qui dit heure de manger Très bien Je me demande quelle heure il est qu’importe. Des gens descendaient. Le tram ne s’arrêtait pas souvent maintenant, vidé par l’obligation de manger.

Et puis midi passa. Je descendis et restai debout dans mon ombre, et au bout d’un moment un tram est arrivé, j’y suis monté et je suis revenu à la gare des trams de banlieue. Il y en avait un prêt à partir et j’y ai trouvé une place près de la fenêtre, et il est parti et j’ai regardé la ville s’érailler, pour ainsi dire, en marais salants puis en arbres. De temps en temps je voyais la rivière et je pensais combien ce serait agréable pour eux à New London si le temps et le skiff de Gerald glissant pompeusement dans l’après-midi étincelant et je me demandais ce qui prenait à la vieille de m’envoyer un mot avant dix heures du matin. Quel portrait de Gerald et de moi un des Dalton Ames oh amiante Quentin a tué figurants. Quelque chose où il y aurait des jeunes filles. Les femmes ont voix masculine toujours dominant le caquetage la voix qui soufflait une affinité pour le mal, pour croire qu’aucune femme n’est digne de foi mais qu’il y a des hommes trop innocents pour se protéger eux-mêmes. Des jeunes filles quelconques. Cousines éloignées et amies de la famille que les simples relations d’amitié ont investi d’une sorte d’obligation consanguine noblesse oblige. Et elle assise là à nous raconter devant tout le monde combien il était dommage que Gerald eût pris toute la beauté de la famille parce qu’un homme n’en a pas besoin est même plus heureux sans ça tandis qu’une femme qui en est dépourvue est perdue tout simplement. Nous parlant des femmes de Gerald d’un Quentin a tué Herbert il a tué sa voix à travers le plancher de la chambre de Caddy ton approbateur et satisfait : « Quand il avait dix-sept ans, je lui ai dit un jour : quel dommage que tu aies cette bouche-là. Une bouche comme ça devrait se trouver sur le visage d’une femme. » Et vous ne devineriez jamais les rideaux appuyée sur le crépuscule au-dessus de l’odeur du pommier la tête contre le crépuscule les bras derrière la tête ouvrant des ailes de kimono la voix qui soufflait sur l’Eden vêtements sur le lit vus par le nez au-dessus du pomm ce qu’il m’a répondu, à dix-sept ans, on n’a pas idée : « Maman, a-t-il dit, elle s’y trouve souvent. » Et lui assis là dans des poses princières à en regarder deux ou trois à travers ses cils. Elles s’élançaient frôlant ses cils comme un vol d’hirondelles. Shreve a dit qu’il s’était toujours Tu prendras soin de Benjy et de papa ?

Mieux vaut ne pas trop parler de Benjy et de papa quand as-tu jamais pensé à eux Caddy

Promets

Tu n’as pas lieu de t’inquiéter d’eux tu pars en parfaite condition

Promets je suis malade il faut que tu promettes demandé qui avait inventé cette plaisanterie, mais il avait toujours considéré Mrs Bland comme une personne remarquablement bien conservée ; il disait qu’elle bichonnait son Gerald pour qu’il pût un jour séduire une duchesse. Elle appelait Shreve ce gros jeune homme canadien. Par deux fois, sans me consulter, elle me trouva un nouveau camarade de chambre ; une fois c’était moi qui devais changer de chambre, l’autre fois

Il ouvrit la porte dans le crépuscule. Son visage ressemblait à une tarte à la citrouille.

— Voilà, je viens te dire un adieu touchant. La cruelle fatalité nous sépare, mais je n’aimerai jamais personne d’autre. Jamais.

— Qu’est-ce que tu chantes ?

— Je parle de cette cruelle fatalité qui va couverte de huit mètres de soie abricot et de plus de métal, à égalité de poids, qu’un condamné aux galères, et seule et unique propriétaire de l’insurpassable péripatéticien de feu la Confédération. » Il me raconta alors qu’elle était allée trouver le surveillant pour le faire déplacer et que le surveillant avait été assez têtu pour prétendre qu’il fallait d’abord consulter Shreve. Elle avait alors suggéré d’aller chercher Shreve immédiatement pour ladite consultation et il avait refusé, après quoi elle avait été tout juste polie envers Shreve. « J’ai pour principe de ne jamais dire du mal des femmes, dit Shreve, mais celle-là a plus de la garce qu’aucune des ladies de ces États et Dominions. » Et maintenant Lettre sur ma table manuscrite, commander orchidées de couleur parfumées Si elle savait que je suis passé presque sous la fenêtre sachant que la lettre était là sans Chère Madame je n’ai pas encore eu l’occasion de prendre connaissance de votre message mais je vous prie de m’excuser d’avance pour aujourd’hui hier ou demain ou n’importe quel jour Comme je me rappelle que votre prochaine histoire sera comment Gerald a jeté son nègre du haut en bas des escaliers et comment le nègre supplia d’être autorisé à s’inscrire à l’école de théologie afin de rester auprès de son maître son cher petit maître Gerald et comment le jour de son départ il avait couru jusqu’à la gare à côté de la voiture des larmes plein les yeux j’attendrai le jour où vous nous raconterez l’histoire du mari scieur de long qui s’est présenté à la cuisine avec son fusil sur quoi Gerald est descendu et d’un coup de dent a coupé le fusil en deux le lui a rendu s’est essuyé les mains à son mouchoir de soie et a jeté le mouchoir dans le fourneau celle-là je ne l’ai entendue que deux fois

l’a tué à travers le Je vous ai vu entrer alors j’ai pensé que l’occasion était bonne et me voilà j’ai pensé que nous pourrions faire connaissance un cigare

Merci je ne fume pas

Non les choses ont dû bien changer là-bas depuis mon temps ça vous dérangera si j’en allume un

Je vous en prie

Merci j’ai beaucoup entendu parler votre mère ne se formalisera pas j’espère si je jette mon allumette derrière le garde-feu beaucoup entendu parler de vous Candace ne cessait de parler de vous à Lick J’en étais sérieusement jaloux je me disais qui ça peut-il bien être ce Quentin il faut que je voie la tête qu’il a cet animal-là parce que j’étais bel et bien pincé vous savez dès le premier jour où je l’ai aperçue cette petite je n’ai aucune raison de vous le cacher il ne m’était pas venu à l’idée que ça pouvait être son frère dont elle parlait comme ça elle n’aurait pas parlé de vous davantage si vous aviez été le seul homme au monde si vous aviez été son mari vous ne voulez pas changer d’avis et accepter un cigare

Je ne fume pas

En ce cas je n’insiste pas bien que ce soit un petit foin assez appréciable qui me coûte vingt-cinq dollars le cent prix de gros chez un ami de La Havane oui il doit y avoir bien des changements là-bas je projette toujours d’y aller faire un tour mais je ne trouve jamais le temps très occupé depuis dix ans impossible de quitter la banque pendant les années qu’on passe à l’Université les habitudes changent bien des choses qui semblent importantes à un étudiant vous savez dites-moi comment ça marche là-bas.

Je ne dirai rien à mes parents si c’est ça qui vous préoccupe.

Vous ne direz rien vous ne direz rien oh je vois c’est donc ça que vous avez dans l’esprit vous pensez bien que je me fous complètement que vous leur en parliez ou non une chose comme ça c’est très embêtant mais ce n’est pas un crime je n’étais ni le premier ni le dernier c’est sur moi que la guigne est tombée voilà tout vous auriez peut-être eu plus de chance.

Vous mentez

Ne vous emballez pas je n’ai nullement l’intention de vous faire dire des choses que vous préférez ne pas dire nullement l’intention de vous offenser à votre âge un jeune homme considère ces choses-là comme bien plus sérieuses que vous ne le ferez dans cinq ans d’ici

Je ne connais qu’une façon de juger un homme qui triche et je ne crois pas que quatre ans à Harvard me fassent changer d’avis

Deux acteurs ne joueraient pas mieux que nous vous avez dû suivre des cours de théâtre enfin vous avez raison inutile de leur en parler ce qui est fait est fait pas de raison pour que nous laissions une petite chose comme ça se mettre entre nous je vous aime bien Quentin j’aime votre allure vous êtes différent de tous ces autres rustauds je suis content que les choses s’arrangent comme ça j’ai promis à votre mère de faire quelque chose pour Jason mais j’aimerais vous aider aussi Jason serait tout aussi bien ici mais pour un jeune homme comme vous il n’y a pas d’avenir dans un trou pareil

Merci autant vous intéresser à Jason il fera mieux votre affaire que moi

Je regrette beaucoup cette histoire mais je n’étais qu’un gamin à l’époque je n’ai jamais eu une mère comme la vôtre pour m’enseigner certains raffinements ça la ferait souffrir inutilement de savoir ça vous avez raison inutile de à Candace non plus naturellement

J’ai dit à mes parents

Dites donc mon petit regardez-moi un peu combien de temps pensez-vous que vous tiendriez avec moi

Je n’aurai pas à tenir longtemps si vous avez appris à vous battre au collège essayez vous verrez combien de temps je tiendrai

Sacré petit où voulez-vous en venir

Essayez un peu

Bon Dieu mon cigare que dirait votre mère si elle voyait une cloque sur son dessus de cheminée il n’était que temps écoutez Quentin nous sommes sur le point de faire quelque chose que nous regretterions tous les deux je vous aime bien vous m’avez été sympathique dès la minute où je vous ai vu je me disais quel qu’il soit pour que Candace en parle comme ça ce doit être un rudement brave type écoutez voilà dix ans que je roule ma bosse les choses perdent un peu de leur importance vous vous en apercevrez un jour faisons la paix tous les deux en tant qu’élèves de cette vieille Université de Harvard je parie que je ne m’y reconnaîtrais plus aujourd’hui pas de meilleur endroit au monde pour un jeune homme je crois fichtre bien c’est là où j’enverrai mes fils ils auront plus de chance que moi un instant ne partez pas parlons un peu de cette affaire un jeune homme a ces idées-là et je les approuve tout à fait ça lui fait du bien tant qu’il est à l’Université forme le caractère excellent pour les traditions le Collège mais quand il est lâché dans le monde il faut bien qu’il se débrouille de son mieux parce qu’il s’aperçoit que tout le monde fait la même chose et que diable allons serrons-nous la main ce qui est passé est passé dans l’intérêt de votre mère songez à sa santé allons donnez-moi votre main tenez regardez tout frais sorti du couvent pas la moindre petite tache pas même un pli regardez

Allez vous faire foutre avec votre argent

Mais non mais non voyons je suis de la famille maintenant je sais bien ce que c’est que les jeunes gens ils ont un tas de petites affaires privées pour lesquelles le paternel ne se laisse pas facilement taper je sais j’ai passé par là moi-même et il n’y a pas si longtemps mais maintenant que me voilà sur le point de me marier surtout là-bas ne faites pas le sot écoutez puisque nous pouvons parler sérieusement je connais une petite veuve en ville

Je connais ça aussi vous pouvez le garder votre sacré argent

Considérez-le comme un prêt et ensuite fermez les yeux une minute et vous serez de cinquante

Ne me touchez pas et je vous conseille d’enlever votre cigare de dessus la cheminée

Parlez et que le diable vous emporte et vous verrez ce que ça vous rapportera si vous n’étiez pas un idiot vous comprendriez que je les ai trop bien sous ma coupe pour qu’un frère un pauvre blanc-bec de Galahad votre mère m’a parlé de vous et de toutes les belles idées qui vous farcissent la tête entrez oh entrez ma chérie Quentin et moi nous faisions connaissance on parlait de Harvard c’est moi que vous vouliez voir on ne peut donc pas s’en séparer de son petit homme

Laissez-nous une minute Herbert je voudrais parler à Quentin

Entrez entrez on va tailler une bonne bavette tous les trois histoire de faire connaissance je disais justement à Quentin

Allons Herbert sortez un instant

C’est bon on veut voir son frérot encore une petite fois hein

Je vous conseille d’enlever votre cigare de dessus la cheminée

Raison comme toujours mon garçon alors je me sauve laissez-les vous faire marcher à leur guise tant qu’ils le peuvent Quentin à partir d’après-demain faudra demander la permission au monsieur pas vrai ma chérie embrassez-moi mon chou

Oh assez gardez ça pour après-demain

J’exigerai les intérêts alors ne laissez rien faire à Quentin qu’il ne puisse achever oh à propos est-ce que j’ai raconté à Quentin l’histoire du perroquet du type et ce qui lui est arrivé une histoire bien triste faites m’y penser et pensez-y vous-même au revoir à bientôt les petits amis

Eh bien

Eh bien

Qu’est-ce que tu as encore inventé

Rien

Voilà que tu recommences à mettre ton nez dans mes affaires l’été dernier ne t’a pas suffi

Caddy tu as la fièvre Tu es malade malade comment

Malade tout simplement. Je ne peux pas demander

Tué sa voix à travers le

Pas cette fripouille Caddy

De temps en temps la rivière scintillait par-delà des choses, miroitait de reflets glissants à travers midi et après. Bien après, bien que nous eussions passé à l’endroit où il se trouvait encore ramant à contre-courant, majestueux sous le regard de Dieu des dieux. Mieux. Les Dieux. Dieu, ce serait canaille(21) aussi à Boston dans le Massachusetts. Ou peut-être simplement pas un mari. Les avirons mouillés qui lui font de l’œil, clins d’yeux brillants et paumes féminines. Flatteur. Flatteur sans être un mari il ignorerait Dieu. Cette fripouille, Caddy La rivière s’éloignait, scintillante, après une ample courbe.

Je suis malade il faut me promettre

Malade malade comment

Malade tout simplement je ne peux encore demander à personne promets-moi que tu le feras

S’ils ont besoin qu’on s’occupe d’eux c’est à cause de toi malade Comment Sous la fenêtre nous avons entendu l’auto partir pour la gare, le train de 8 h 10. Pour ramener des cousines. Têtes(22). S’augmentant lui-même tête par tête, mais pas de coiffeurs. Des manucures. Une fois nous avions un pur-sang. Dans l’écurie oui, mais une fois échauffé une rosse. Quentin a tué toutes leurs voix à travers le plancher de la chambre de Caddy

Le tram s’est arrêté. Je suis descendu au milieu de mon ombre. Une route traversait la voie. Il y avait une marquise en bois, et un vieillard mangeait quelque chose qu’il tirait d’un sac en papier, puis le bruit du tram s’est évanoui aussi. La route s’enfonçait entre les arbres, là où il aurait dû y avoir de l’ombre, mais en juin, dans la Nouvelle-Angleterre, le feuillage n’est guère plus épais qu’en avril chez nous, dans le Mississippi. Je pouvais voir une cheminée. Je lui tournai le dos, piétinant mon ombre dans la poussière. Parfois la nuit il y avait en moi quelque chose de terrible je pouvais voir cette chose grimacer je pouvais la voir grimacer à travers eux à travers leurs visages c’est fini maintenant et je suis malade

Caddy

Ne me touche pas promets seulement

Si tu es malade tu ne peux pas

Si je peux après tout ira bien ça n’a pas d’importance ne les laisse pas l’envoyer à Jackson promets

Je te le promets Caddy Caddy

Ne me touche pas ne me touche pas

Comment c’est-il Caddy

Quoi

Cette chose grimaçante cette chose à travers eux

Je pouvais voir encore la cheminée. C’est là que devait être l’eau, en route vers la mer et les grottes paisibles. Paisiblement tout s’écroulerait et quand Il dirait Levez-vous seuls les fers à repasser. Quand Versh et moi nous partions à la chasse pour la journée nous n’emportions rien à manger et, à midi, il m’arrivait d’avoir faim. Je sentais ma faim jusqu’à une heure environ puis, tout à coup, il m’arrivait même d’oublier que je n’avais plus faim. Les réverbères descendent la côte et puis le bruit du tram descendant la côte. Le bras du fauteuil plat frais sous mon front indiquant la forme de la chaise le pommier incliné sur mes cheveux au-dessus de l’Éden vêtements que voit le nez Tu as la fièvre je l’ai senti hier on se dirait près d’un brasier

Ne me touche pas

Caddy tu ne peux pas faire cela si tu es malade. Cette fripouille.

Il faut que j’épouse quelqu’un. Puis ils m’ont dit qu’il faudrait recasser l’os

Enfin, il ne m’a plus été possible de voir la cheminée. La route passait près d’un mur. Les arbres s’inclinaient par-dessus le mur éclaboussé de lumière. La pierre était fraîche. En marchant près d’elle on en pouvait sentir la fraîcheur. Seulement notre pays était différent de celui-ci. On y sentait quelque chose rien qu’en y marchant : une sorte de fécondité tranquille et intense qui satisfaisait toujours comme un désir d’avoir du pain. Quelque chose qui coulait autour de vous au lieu de s’attarder, de dorloter la moindre misérable petite pierre. Comme une sorte d’expédient temporaire pour qu’assez de vert circule parmi les arbres et même le bleu du lointain pas cette riche chimère m’ont dit qu’il faudrait recasser l’os et en dedans de moi quelque chose a commencé à dire ah ah ah et je me suis mis à transpirer. Qu’importe je sais ce que c’est une jambe cassée ça ne sera rien j’en serai quitte pour garder la maison un peu plus longtemps voilà tout et les muscles de mes mâchoires qui s’engourdissaient et ma bouche qui disait Attendez Attendez une minute à travers la sueur ah ah ah derrière mes dents et papa ce sacré cheval ce sacré cheval Attendez c’est ma faute chaque matin il longeait la barrière avec un panier il se rendait à la cuisine en traînant son bâton contre la barrière chaque matin et je me traînais à la fenêtre avec ma jambe dans sa gouttière et je le guettais avec un morceau de charbon Dilsey a dit vous allez vous estropier vous n’avez donc pas plus de bon sens que ça quatre jours à peine après vot cassure. Attendez dans une minute je serai habitué attendez juste une minute je

Même les sons semblaient s’exténuer dans cet air, comme si l’air s’était fatigué d’en avoir transmis si longtemps. La voix d’un chien porte plus loin que le bruit d’un train, dans l’obscurité en tout cas. Et la voix de certaines gens. Des nègres. Louis Hatcher n’employait même jamais sa trompe quand il l’emportait avec sa vieille lanterne. Je lui ai dit :

— Louis depuis quand n’as-tu pas nettoyé cette lanterne ?

— J’ l’ai nettoyée y a pas bien longtemps. Vous vous rappelez c’t’inondation qui a emporté tant de bonnes gens là-bas(23) ? J’l’ai nettoyée ce jour-là. Ma vieille et moi, on était assis devant le feu, cette nuit-là, et elle m’a dit comme ça : « Louis, qu’est-ce que tu feras si c’t’inondation vient jusqu’ici ? » et j’ai dit : « C’est ben vrai. M’est avis que je ferais bien de nettoyer c’te lanterne. » Et j’l’ai nettoyée cette nuit-là.

— Cette inondation était tout là-haut, en Pennsylvanie. Elle n’aurait pas pu s’étendre si bas dans le Sud.

— C’est ça que vous dites, dit Louis. L’eau peut monter aussi haut et être aussi mouillée à Jefferson qu’en Pennsylvanie à ce que je pense. Et c’est les gens qui disent que l’eau n’peut pas monter si haut que ça qu’on voit un beau jour flotter sur le toit de leur maison.

— Et tu es sorti cette nuit-là avec Martha ?

— Tout juste. J’ai nettoyé ma lanterne, et elle et moi on a passé le reste de la nuit sur la hauteur, derrière le cimetière. Et si j’en avais connu une plus haute, c’est bien là qu’on aurait été.

— Et tu n’as pas nettoyé ta lanterne depuis ?

— Pourquoi donc que je la nettoierais quand y en a pas de besoin ?

— Tu veux dire jusqu’à la prochaine inondation ?

— Elle nous a tiré de la première.

— Allons donc, Père Louis, dis-je.

— Parfaitement. Vous agissez comme bon vous semble, et moi de même. S’il me suffit de nettoyer ma lanterne pour me tirer des inondations, j’vois point pourquoi j’me querellerais avec personne.

— Le vieux Louis n’attraperait rien avec une lanterne pour y voir, dit Versh.

— Mon gars, j’chassais l’opossum dans ce pays quand on passait au pétrole la tête de ton papa pour y noyer ses poux, dit Louis. Et même que j’en attrapais.

— Ça c’est vrai, dit Versh. M’est avis que le vieux Louis est bien celui qui a attrapé le plus d’opossums dans le pays.

— Pour sûr, dit Louis. J’ai toute la lumière qu’il faut pour que les opossums y voient clair. J’en ai jamais entendu se plaindre. Chut maintenant. Le v’là. Hou ! vas-y, mon chien ! » Et nous étions là, assis dans les feuilles sèches qui bruissaient sous la lente respiration de notre attente et la lente respiration de la terre et la calme atmosphère d’octobre. L’odeur rance de la lanterne empestait l’air vif, et nous écoutions les chiens et l’écho de la voix de Louis qui s’éteignait. Sa voix, il ne l’élevait jamais, et pourtant, par les nuits calmes, il nous arrivait de l’entendre de notre véranda. Quand il appelait ses chiens, on aurait dit le son de sa trompe qu’il portait toujours en bandoulière et n’employait jamais, mais plus clair, plus velouté, comme si sa voix faisait partie des ténèbres et du silence, en sortait et y rentrait en de longues volutes. Hooooooooou ! Hoooooou ! Hoooooooooooooou ! Il faut que j’épouse quelqu’un

Y en a-t-il eu beaucoup Caddy

Trop je ne sais pas prendras-tu soin de Benjy et de papa

Alors tu ne sais pas de qui il est et lui est-ce qu’il le sait

Ne me touche pas prendras-tu soin de Benjy et de papa

J’ai commencé à sentir l’eau avant même d’arriver au pont. Le pont était fait de pierres grises couvertes de lichen moucheté d’une buée lente là où la mousse grimpait. Au-dessous, l’eau était claire et calme dans l’ombre. Elle chuchotait, jasait contre la pierre en volutes évanescentes de ciel tourbillonnant. Caddy ce

Il faut que j’épouse quelqu’un Versh m’a raconté l’histoire d’un homme qui s’était mutilé lui-même. Il était allé dans les bois et l’avait fait avec un rasoir, assis dans le fossé. Un rasoir brisé, et il les avait lancées derrière lui par-dessus son épaule le même mouvement complet, l’écheveau sanglant giclant derrière lui en ligne droite. Mais ce n’est pas cela. Ce n’est pas de n’en pas avoir. C’est de n’en avoir jamais eu je pourrais dire alors Oh Ça C’est du Chinois je ne comprends pas le chinois. Et mon père m’a dit c’est parce que tu es vierge tu comprends. Les femmes ne sont jamais vierges. La pureté est un état négatif et par suite contre nature. C’est la nature qui te fait souffrir et non pas Caddy et j’ai dit Ce ne sont que des mots et il m’a dit la virginité aussi et j’ai dit vous ne savez pas. Vous ne pouvez pas savoir et il a dit Si. Une fois que nous sommes arrivés à nous rendre compte de cela la tragédie perd bien de sa valeur.

Là où tombait l’ombre du pont, je pouvais voir très loin dans l’eau, mais pas tout à fait jusqu’au fond. Quand on laisse une feuille longtemps dans l’eau le tissu disparait et les fibres délicates ondulent lentement comme le mouvement du sommeil. Elles ne se touchent pas, peu importe à quel point elles étaient emmêlées autrefois, combien près elles se trouvaient du squelette. Et quand Il dira Lève-toi, peut-être, pour contempler Sa Gloire, les yeux remonteront-ils aussi à la surface, du fond de leur sommeil et du calme des profondeurs. Et, au bout d’un moment, les fers à repasser remonteront aussi. Je les ai cachés sous l’extrémité du pont et je suis revenu m’appuyer contre le parapet.

Je ne pouvais pas voir le fond, mais je pouvais voir très loin dans le mouvement de l’eau avant que mon œil ne devînt impuissant, puis j’ai vu une ombre suspendue comme une flèche épaisse au fil du courant. Des éphémères entraient, sortaient de l’ombre du pont, juste au-dessus de la surface. S’il ne pouvait y avoir qu’un enfer au-delà : la flamme pure et nous deux plus que morts. Alors tu n’aurais plus que moi plus que moi et puis nous deux parmi l’horreur et la réprobation au-delà de la flamme pure La flèche grossit sans mouvement puis, d’une torsion rapide, la truite happa une mouche sous la surface de l’eau, et sa délicatesse gigantesque semblait celle d’un éléphant qui ramasse une cacahuète. Le tourbillon évanescent disparut au fil du courant, et je revis la flèche qui, le nez dans le courant, se balançait délicatement au rythme de l’eau sur laquelle les éphémères voltigeaient, se posaient. Et puis toi et moi seulement parmi l’horreur et la réprobation dans le cercle pur de la flamme

La truite restait suspendue, délicate et immobile parmi les ombres mouvantes. Trois jeunes garçons, avec des cannes à pêche, arrivèrent sur le pont. Penchés au-dessus du parapet nous regardions la truite. Ils connaissaient ce poisson. C’était un personnage célèbre dans le voisinage.

— Voilà vingt-cinq ans qu’on essaie de l’attraper, cette truite. Y a une boutique à Boston qui offre une canne de vingt-cinq dollars à celui qui pourra l’attraper.

— Alors, pourquoi ne l’attrapez-vous pas, tous les trois ? Ça ne vous fait pas envie une canne à pêche de vingt-cinq dollars ?

— Si », dirent-ils. Accoudés au parapet ils regardaient la truite. « Sûr que si », dit l’un d’eux.

— Moi, j’prendrais pas la canne, dit le second, j’prendrais l’argent à la place.

— Ils ne voudraient peut-être pas, dit le premier. Je parie qu’ils te forceraient à prendre la canne.

— Alors, je la vendrais.

— T’en tirerais pas vingt-cinq dollars.

— J’prendrais ce qu’on me donnerait. J’peux prendre tout autant de poisson avec cette canne-ci qu’avec une de vingt-cinq dollars. » Ils parlaient tous à la fois, et leurs voix insistantes, contradictoires, impatientes, rendaient l’irréel possible, puis probable, puis indubitable, comme font les gens quand leurs désirs sont devenus des mots.

— J’achèterai un cheval et une charrette, dit le second.

— Penses-tu ! dirent les autres.

— Certainement. J’sais où j’pourrai les trouver pour vingt-cinq dollars. J’connais l’homme.

— Qui c’est-il ?

— C’est mon affaire. J’peux les acheter pour vingt-cinq dollars.

— Oui, dirent les autres. Il n’en sait rien du tout. C’est du boniment.

— Vous croyez ? » dit le garçon. Ils continuèrent à se moquer de lui, mais il ne dit rien. Penché sur le parapet, il regardait la truite qu’il avait déjà dépensée, et soudain l’acrimonie, le conflit, disparurent de leurs voix comme si, pour eux aussi, il avait déjà attrapé le poisson, acheté son cheval et sa charrette, en proie eux-mêmes à cette faculté des adultes d’être convaincus de n’importe quoi par un air de supériorité silencieuse. Je suppose que les gens, à force de s’employer eux-mêmes mutuellement à l’aide de mots, sont pour le moins logiques en attribuant la sagesse au silence, et, pendant un instant, je pus sentir les autres chercher rapidement quelque moyen de rivaliser avec lui, de lui voler son cheval et sa charrette.

— Tu n’pourrais pas tirer vingt-cinq dollars de cette canne, dit le premier, je te parie ce que tu voudras.

— Il ne l’a pas encore attrapée, sa truite », dit brusquement le troisième. Puis, tous les deux s’écrièrent :

— Hein, qu’est-ce que je te disais ? Comment qu’il s’appelle ton type ? Chiche que tu l’dis pas. Il n’existe pas.

— Oh, la ferme, dit le second. Regardez, la v’là qui revient. » Ils se penchèrent sur le parapet, immobiles, identiques, les cannes sveltes et inclinées, identiques aussi. La truite s’éleva sans hâte, ombre croissante, doucement ondoyante. Puis, de nouveau, le petit tourbillon s’évanouit au fil de l’eau, lentement. « Bon Dieu ! » murmura le premier.

— Nous avons renoncé à l’attraper, dit-il. Nous nous contentons de regarder les gens de Boston qui viennent ici essayer.

— Il n’y a pas d’autre poisson dans cet endroit ?

— Non. Elle a fait filer tous les autres. Le meilleur endroit pour pêcher, c’est au Tourbillon.

— Pas vrai, dit le second, c’est deux fois meilleur à Bigelow’s Mill. »

Et ils se mirent à discuter un moment sur la question de savoir où la pêche était la meilleure, puis ils s’interrompirent brusquement pour regarder la truite qui remontait, et le remous brisé qui aspirait un peu de ciel. Je leur ai demandé à quelle distance se trouvait la ville la plus proche. Ils me l’ont dit.

— Mais la ligne de tram la plus près, c’est par là, dit le second en désignant le bas de la route. Où que vous allez ?

— Nulle part. Je me promène.

— V’êtes étudiant ?

— Oui. Y a-t-il des usines dans cette ville ?

— Des usines ? » Ils me regardèrent.

— Non, dit le second. Pas là. » Ils regardaient mes vêtements. « Vous cherchez du travail ? »

— Et Bigelow’s Mill ? dit le troisième, c’est bien une usine.

— Une usine ! J’t’en fous. Il veut dire une usine pour de vrai.

— Une avec une sirène, dis-je. Je n’ai pas encore entendu la sirène d’une heure.

— Oh, dit le second, y a une horloge au clocher du temple unitairien. Vous pourrez y voir l’heure qu’il est. Vous n’avez donc pas de montre à cette chaîne ?

— Je l’ai cassée ce matin. » Je leur montrai ma montre. Ils l’examinèrent avec gravité.

— Elle marche encore, dit le second. Combien que ça coûte une montre comme ça ?

— C’est un cadeau, dis-je. Mon père me l’a donnée quand je suis sorti du lycée.

— Vous êtes canadien », dit le troisième. Il avait les cheveux roux.

— Canadien ?

— Il n’parle pas comme les Canadiens, dit le second. J’les ai entendus parler. Il parle comme on fait dans les représentations de minstrels.

— Eh, dit le troisième, t’as pas peur qu’il te fiche son poing sur la figure ?

— Pourquoi ça !

— T’as dit qu’il parlait comme un nègre.

— Oh, la ferme, dit le second. Vous pouvez voir le clocher du haut de cette côte, là-bas.

Je les remerciai. – Bonne chance. Mais, n’attrapez pas cette pauvre vieille truite. Elle mérite bien qu’on la laisse tranquille.

— Personne ne peut attraper ce poisson, dit le premier.

Ils étaient appuyés sur le parapet et regardaient l’eau. Leurs trois cannes ressemblaient à trois rais de feu jaune, penchées dans le soleil. Je marchais sur mon ombre, l’enfonçant de nouveau dans l’ombre mouchetée des arbres. La route tournait, s’éloignait de l’eau en montant. Elle franchissait la colline, puis redescendait en lacets, entraînant l’œil, l’esprit, en avant sous un tunnel de vert tranquille. Et la tour carrée, au-dessus des arbres, et l’œil rond de l’horloge, mais assez loin. Je m’assis sur le bord de la route. L’herbe multiple me montait aux chevilles. Les ombres sur la route étaient aussi immobiles que si on les eût dessinées au pochoir avec des crayons de soleil inclinés. Mais ce n’était qu’un train et, au bout d’un instant, il s’évanouit derrière les arbres, derrière le prolongement du son, et je pus entendre ma montre et le train qui s’évanouissait comme s’il filait à travers un autre mois, un autre été, quelque part, filant sous la mouette immobile, filant comme toute chose. Sauf Gerald. Il ne manquerait pas de majesté non plus, ramant solitaire à travers l’heure de midi, se sortant lui-même de midi, montant dans l’air lumineux comme une apothéose, s’élevant dans un vertige d’infini, là où ils seraient seuls, lui et la mouette, l’une formidablement immobile, l’autre dans un mouvement de va-et-vient constant et mesuré, participant de l’inertie elle-même, et le monde misérablement écrasé sous leurs ombres en travers du soleil. Caddy cette fripouille cette fripouille Caddy.

Leurs voix m’arrivaient par-dessus la colline et les trois cannes, minces comme des rais de feu balancés. Ils me regardèrent en passant, sans ralentir.

— Alors, dis-je. Je ne la vois pas.

— Nous n’avons pas essayé de l’attraper, dit le premier. On n’peut pas l’attraper, ce poisson.

— Voilà l’horloge, dit le second en montrant du doigt. Vous pourrez voir l’heure en vous approchant un peu.

— Oui, dis-je. Très bien. » Je me levai. « Vous rentrez en ville ? »

— Nous allons au Tourbillon, pêcher des chabots, dit le premier.

— On n’peut rien prendre au Tourbillon, dit le second.

— Parie que t’as envie d’aller à Bigelow’s Mill(24) avec tous les types qui barbotent et qui font peur au poisson.

— T’attraperas rien au Tourbillon.

— Nous n’attraperons rien nulle part si nous restons ici, dit le troisième.

— J’vois pas pourquoi vous vous entêtez à aller au Tourbillon, dit le second. On n’peut rien y prendre.

— On te force pas à y aller, dit le premier. On n’est pas attachés.

— Allons à Bigelow’s Mill. On nagera, dit le troisième.

— Moi, je vais pêcher au Tourbillon, dit le premier. Faites ce que vous voudrez.

 – Dis, quand c’est-il la dernière fois que t’as entendu dire qu’on avait pris du poisson dans le Tourbillon ? dit le deuxième au troisième.

— Allons nager à Bigelow’s Mill, dit le troisième.

La tour s’enfonça lentement derrière les arbres avec le cadran rond de l’horloge assez loin encore. Nous avancions dans l’ombre mouchetée. Nous arrivâmes à un verger rose et blanc. Il était plein d’abeilles. Nous pouvions déjà les entendre.

— Allons nager à Bigelow’s Mill, dit le troisième.

Un sentier s’ouvrait près du verger. Le troisième garçon ralentit et s’arrêta. Le premier continua. Des taches de soleil glissaient le long de sa canne, sur son épaule et sur le dos de sa chemise. « Allons », dit le troisième. Le second s’arrêta aussi. Pourquoi faut-il que tu épouses quelqu’un Caddy

Veux-tu que je le dise crois-tu que si je le dis ça n’existera plus

— Allons à Bigelow’s Mill. Venez, dit-il.

Le premier continua. Ses pieds nus marchaient sans bruit, se posaient, plus doux que des feuilles dans la poussière légère. Dans le verger, les abeilles bourdonnaient comme un vent qui s’élève, son arrêté par magie au bord du crescendo, et soutenu. Étoilé de fleurs, le sentier longeait le mur sous une voûte de feuilles, se fondait dans les arbres. Le soleil y pénétrait obliquement, rare et ardent. Des papillons jaunes scintillaient dans les ombres comme des taches de soleil.

— Pourquoi que tu veux aller au Tourbillon ? dit le second. T’as qu’à pêcher à Bigelow’s, si t’en as envie.

— Eh, laisse-le faire », dit le troisième. Ils regardèrent le premier. La lumière du soleil tachetait ses épaules mouvantes, glissait le long de la canne comme des fourmis jaunes.

— Kenny », dit le second. Dis-le à papa veux-tu Oui je suis le créateur de mon père. Je l’ai inventé créé pour moi Dis-le lui ça ne sera plus car il dira que non alors toi et moi puisqu’on aime ses créatures

— Allons, viens donc, dit le garçon. Ils sont déjà dans l’eau. » Ils regardèrent le premier. « Oui, dirent-ils soudain, va-t’en. Retourne dans les jupes de ta mère. S’il se baignait, il pourrait se mouiller la tête et recevoir une fessée. » Ils s’engagèrent dans le sentier et disparurent. Dans l’ombre, les papillons jaunes voltigeaient autour d’eux.

c’est parce qu’il n’y a rien d’autre je crois qu’il y a quelque chose d’autre mais je peux me tromper et moi Tu t’apercevras que même l’injustice vaut à peine ce que toi-même tu crois être Il ne s’occupait nullement de moi, la mâchoire de profil, le visage un peu tourné sous son chapeau cassé.

— Pourquoi n’allez-vous pas nager avec eux ? dis-je cette fripouille Caddy

Lui cherchais-tu querelle par hasard

Un menteur et un gredin Caddy chassé de son club pour avoir triché aux cartes envoyé à Coventry(25) surpris en train de copier à ses examens semestriels et expulsé

Et puis après je n’ai pas l’intention de jouer aux cartes avec lui

— Vous aimez mieux pêcher que nager ? » dis-je. Le bruit des abeilles diminua, soutenu encore, comme si, au lieu de s’abîmer dans le silence, le silence ne faisait qu’augmenter entre nous comme de l’eau qui monte. La route tournait encore et devenait une rue entre des maisons blanches derrière des pelouses ombragées Caddy cette fripouille peux-tu penser à Benjy et à papa et faire une chose pareille pas à moi Pourrais-je penser à autre chose ai-je jamais pensé à autre chose Le garçon quitta la rue. Il escalada une palissade sans regarder derrière lui et traversa la pelouse jusqu’à un arbre où il posa sa canne, et il grimpa dans la fourche de l’arbre et s’y assit, le dos à la route, le soleil moucheté immobile enfin sur la blancheur de sa chemise. Jamais pensé à autre chose je ne peux même pas pleurer je suis morte l’an dernier je te l’ai dit mais je ne savais pas alors ce que je voulais dire je ne savais pas ce que je disais Chez nous, à la fin d’août, il y a des journées semblables, un air aussi léger, aussi vif, avec quelque chose de triste, de nostalgique, de familier. L’homme, somme de ses expériences climatériques, disait papa. Homme, somme de tout ce que vous voudrez. Problème sur les propriétés impures qui se déroule fastidieusement jusqu’en un néant invariable. Désir et poussière : situation du joueur pat. Mais maintenant je sais que je suis morte je te le dis

Alors pourquoi écouter nous pourrions nous enfuir toi Benjy et moi là où personne ne nous connaîtrait où Le boghei était traîné par un cheval blanc dont les sabots claquaient dans la poussière fine. Arachnéennes, les roues faisaient entendre un murmure délicat et sec, montaient la côte sous un châle de feuilles gauffrées. Elm Non : ellum. Ellum(26).

Avec quoi avec l’argent de ton instruction l’argent du pré vendu pour que tu puisses aller à Harvard tu ne vois donc pas qu’il faut que tu finisses maintenant si tu ne finis pas il n’aura rien

Vendu le pré Sa chemise blanche était immobile dans la fourche, dans l’ombre clignotante. Roues arachnéennes. Sous l’affaissement du boghei, les sabots, nets et rapides comme les mouvements d’une brodeuse, diminuaient sans progresser, comme quelqu’un qui, sur le tambour d’un théâtre, est rapidement tiré dans les coulisses. La rue tourna encore. Je pouvais voir la coupole blanche, la ronde et stupide assertion de l’horloge. Vendu le pré

 Il paraît que papa sera mort dans un an s’il continue à boire et il ne veut pas cesser il ne peut pas depuis que je depuis l’été dernier et alors on enverra Benjy à Jackson je ne peux pas pleurer je ne peux même pas pleurer une minute elle resta sur le pas de la porte et une minute après il la tirait par sa robe hurlant et sa voix déferlait en vagues d’un mur à l’autre et elle se blottissait contre le mur devenait plus petite toujours plus petite avec son visage blanc ses yeux comme creusés par des pouces jusqu’au moment où il l’a poussée hors de la chambre et sa voix rebondissait d’un mur à l’autre comme empêchée de s’arrêter par son propre mouvement comme si dans le silence elle n’avait pas la place hurlant

Quand on ouvrait la porte, une sonnette tintait, une fois seulement, haute, claire et grêle dans l’obscurité nette au-dessus de la porte, comme si on l’y avait creusée et réglée pour qu’elle ne pût rendre que cet unique son clair et grêle, afin que la clochette ne s’usât pas ou afin de s’épargner les frais d’un silence trop grand, en le rétablissant ensuite quand la porte s’ouvrait sur l’odeur récente du pain chaud. Une petite fille sale avec des yeux comme ceux des ours en peluche, et deux tresses vernies.

— Bonjour petite sœur. » Dans le vide doux et chaud, son visage ressemblait à une tasse de lait teinté d’une goutte de café. « Il y a quelqu’un ? »

Mais elle se contenta de me regarder jusqu’au moment où la porte s’ouvrit pour livrer passage à la dame. Au-dessus du comptoir, avec ses rangées de formes croustillantes derrière le verre, son visage gris et propre, ses cheveux rares serrés sur son crâne, gris et propre, ses lunettes proprement encerclées de gris, tout cela approchait, avançait comme sur un fil de fer, comme le tiroir automatique de la caisse dans un magasin. Elle avait l’air d’une bibliothécaire. De quelque chose qui vit parmi des rayons poussiéreux de certitudes ordonnées, divorcées depuis longtemps d’avec la réalité, se desséchant paisiblement comme si un souffle de cet air qui voit l’injustice accomplie

— Deux comme ça, s’il vous plaît, madame.

De dessous le comptoir, elle tira un morceau de journal carré, le posa sur le comptoir et prit les deux petits pains. La fillette les regardait avec des yeux tranquilles, sans ciller, deux yeux comme des grains de cassis flottant immobiles dans une tasse de café très faible. Terre des youpins, patrie des Ritals(27). Elle regardait le pain, les mains grises et propres, une large bague d’or maintenue à l’index gauche par une jointure bleue.

— C’est vous-même qui boulangez, madame ?

— Monsieur ? » dit-elle. Comme ça. Monsieur ? Comme au théâtre. Monsieur ? « Cinq cents, et avec ça ? »

— Rien, madame. Rien pour moi. Mais cette jeune personne voudrait bien quelque chose. » Elle n’était pas assez grande pour voir par-dessus la vitrine et elle se rendit jusqu’au bout du comptoir et regarda la petite fille.

— Est-ce vous qui l’avez amenée ?

— Non, madame. Elle était ici quand je suis entré.

— Petite vilaine », dit-elle. Elle sortit de derrière le comptoir, mais elle ne toucha pas la petite fille. « As-tu mis quelque chose dans tes poches ? »

— Elle n’a pas de poches, dis-je. Elle ne faisait rien. Elle était là debout, tout simplement, à vous attendre.

— Comment se fait-il que la sonnette n’ait pas sonné ? » Elle me dévisageait. Il ne lui manquait plus qu’une poignée de verges et un tableau noir derrière elle. 2x2 = 5. « Elle le cacherait sous sa robe que personne n’y verrait rien. Alors, petite, comment es-tu entrée ? »

La petite fille ne dit rien. Elle regarda la femme puis, furtivement, elle me lança un regard noir et regarda la femme de nouveau. – Ces étrangers ! dit la femme. Comment a-t-elle bien pu entrer sans faire marcher la sonnette ?

— Elle est entrée quand j’ai ouvert la porte, dis-je. Elle n’a sonné qu’une fois pour nous deux. Du reste, elle n’aurait rien pu atteindre. En plus, je ne crois pas qu’elle en avait envie, n’est-ce pas, petite ? » La petite fille me regardait secrète, contemplative. « Qu’est-ce que tu veux ? Du pain ? »

Elle tendit le poing. Il s’ouvrit sur une pièce de cinq cents, moite et sale, saleté moite, incrustée dans la chair. La pièce était moite et chaude. Je pouvais la sentir, vaguement métallique.

— Avez-vous un pain de cinq cents, s’il vous plaît, madame ?

De dessous le comptoir elle tira un carré de papier de journal, le posa sur le comptoir et y enveloppa le pain. Je posai la pièce avec une autre sur le comptoir. « Et un autre de ces petits pains, s’il vous plaît, madame. »-

Elle prit un autre pain dans la vitrine. – Donnez-moi ce paquet », dit-elle. Je le lui donnai. Elle l’ouvrit, ajouta le troisième petit pain et refit le paquet. Ensuite, elle prit les pièces, chercha deux cents dans son tablier et me les donna. Je les tendis à la petite fille. Ses doigts se crispèrent sur les pièces, humides et chauds, comme des vers.

— Vous allez lui donner ce petit pain ? dit la femme.

— Oui, dis-je. L’odeur de votre four doit certainement lui plaire autant qu’à moi.

Je pris les deux paquets et donnai le pain à la petite fille. Derrière son comptoir la femme toute en gris-fer nous observait avec une certitude glacée. – Une minute ! » dit-elle. Elle passa dans son arrière-boutique. La porte s’ouvrit, se ferma. La petite fille me regardait, serrant son pain sur sa robe sale.

— Comment t’appelles-tu ? » dis-je. Elle cessa de me regarder, mais elle ne bougeait toujours pas. Elle ne semblait même pas respirer. La femme revint. Elle avait quelque chose de drôle dans la main. Elle le portait comme elle eût porté un rat mort, un rat apprivoisé.

— Tiens », dit-elle. L’enfant la regarda. « Prends, dit la femme en poussant la chose vers la petite fille. Ça a l’air un peu étrange, mais je ne crois pas que tu trouves de différence quand tu le mangeras. Allons. Je ne peux pas rester ici toute la journée. » L’enfant prit la chose tout en observant la marchande. La femme s’essuya les mains à son tablier. « Faudra que je fasse arranger cette sonnette », dit-elle. Elle alla à la porte et l’ouvrit d’une secousse. La petite sonnette tinta une fois, grêle, invisible et claire. Nous nous dirigeâmes vers la porte. La femme regardait derrière elle.

— Merci pour le gâteau, dis-je.

— Ces étrangers ! » dit-elle, les yeux levés vers le coin noir où tintait la sonnette. « Croyez-moi, ne vous fiez pas à eux, jeune homme. »

— Oui, madame, dis-je. Viens, petite sœur. » Nous sortîmes. « Merci, madame. »

Elle referma la porte, la rouvrit d’une secousse pour faire rendre à la sonnette sa petite note unique. – Ces étrangers ! » dit-elle en levant les yeux vers la sonnette.

Nous nous mîmes en marche. – Alors, dis-je, si on allait manger une glace. » Elle mordit dans son gâteau ébréché. « Tu aimes les glaces ? » Elle me lança un regard noir, tranquille, tout en mâchant. « Viens. »

Nous arrivâmes au drugstore et je commandai deux glaces. Elle refusait de lâcher son pain. – Pourquoi ne poses-tu pas ton pain ? Ça serait plus commode pour manger », dis-je offrant de le lui prendre. Mais elle s’y cramponna, mastiquant sa glace comme elle eût fait d’un caramel mou. Le gâteau mordu était sur la table. Elle mangea sa glace sans s’interrompre, puis elle attaqua de nouveau le gâteau en regardant toutes les vitrines. Je finis ma glace et nous partîmes.

— De quel côté habites-tu ? dis-je.

Un boghei. C’était celui au cheval blanc. Seulement le docteur Peabody est gros. Trois cents livres. Faut se cramponner dans les côtes avec lui. Enfants. Plus facile de marcher que de se cramponner dans les côtes. Vu déjà le docteur tu l’as déjà vu Caddy.

Ce n’est pas nécessaire je ne peux pas lui demander maintenant après oui ça n’aura plus d’importance.

Parce que les femmes si délicates, si mystérieuses, disait papa. Délicat équilibre d’ordure périodique entre deux lunes en suspens. Lunes disait-il pleines et jaunes comme des lunes de moissons ses hanches ses cuisses. Hors d’elles toujours mais. Jaunes. Comme des plantes de pieds jaunies par la marche. Puis savoir qu’un homme que toutes ces mystérieuses et impérieuses cachaient. Que toutes ces choses internes modèlent une suavité externe qui n’attend qu’un contact pour. Putréfaction liquide comme un flottement de choses noyées, comme du caoutchouc pâle empli et flasque avec l’odeur du chèvrefeuille, le tout mêlé.

— Il vaudrait mieux aller porter ton pain chez toi, tu ne crois pas ?

Elle me regarda. Elle mâchait tranquillement sans s’interrompre. À intervalles réguliers une légère distension glissait doucement le long de sa gorge. J’ouvris mon paquet et lui donnai un des petits pains. – Au revoir, dis-je.

Je continuai ma route. Puis je me retournai. Elle était derrière moi. Tu habites par ici ? » Elle ne répondit pas. Tout en mangeant, elle avançait à mes côtés, sous mon coude pour ainsi dire. Nous continuâmes. Tout était calme. Il n’y avait presque personne avec l’odeur du chèvrefeuille qui s’y mêlait. Elle m’aurait dit de ne pas rester là assis sur les marches à écouter sa porte crépuscule se fermer à écouter Benjy crier toujours Souper il aurait bien fallu alors qu’elle descende avec l’odeur du chèvrefeuille qui s’y mêlait Nous arrivâmes au coin.

— Maintenant, il faut que j’aille par ici, dis-je. Au revoir. » Elle s’arrêta aussi. Elle avala sa dernière bouchée de gâteau, puis elle attaqua le petit pain sans me quitter des yeux. « Au revoir », dis-je. Je tournai dans la rue et m’éloignai. Je ne m’arrêtai qu’après avoir atteint le coin suivant.

— De quel côté habites-tu ? dis-je. De ce côté-ci ? » Je montrai la rue. Elle se contentait de me regarder. « C’est par là que tu habites ? Je parie que tu habites près de la gare où sont les trains, pas vrai ? » Elle se contentait de me regarder, sereine et mystérieuse, tout en mâchant. Des deux côtés la rue était vide, avec des pelouses tranquilles, des maisons bien propres parmi les arbres. Personne, sauf tout là-bas, derrière nous. Nous avons fait demi-tour et sommes revenus sur nos pas. Deux hommes étaient assis sur des chaises devant une boutique.

— Connaissez-vous cette petite fille ? Elle s’est collée à moi, si j’ose dire, et je ne peux pas arriver à lui faire dire où elle habite.

Ils cessèrent de me regarder et regardèrent l’enfant.

— Ça doit être une de ces nouvelles familles d’italiens », dit l’un d’eux. Il portait une redingote rouillée. « Je l’ai déjà vue. Comment t’appelles-tu, petite ? » Pendant quelques instants elle posa sur eux son regard noir. Ses mâchoires remuaient sans arrêt. Elle avalait sans cesser de mâcher.

— Elle ne sait peut-être pas parler anglais, dit l’autre.

— On l’a envoyée chercher du pain, dis-je. Elle doit savoir dire quelques mots.

— Comment s’appelle ton papa ? dit le premier. Pete ? Joe ? Il s’appelle Joe, hé ? » Elle mordit à nouveau dans son petit pain.

— Je ne sais pas qu’en faire, dis-je. Elle me suit. Il faut que je retourne à Boston.

— Vous êtes étudiant ?

— Oui, monsieur. Et il faut que je rentre.

— Vous pouvez remonter la rue et la confier à Anse. Il doit être chez le loueur de voitures. Le sergent de ville.

— Je crois que je n’ai pas autre chose à faire, dis-je. Il faut bien que j’en fasse quelque chose de cette enfant. Merci beaucoup. Viens petite.

Nous remontâmes la rue, du côté de l’ombre, là où l’ombre des façades brisées tachait la route lentement. Nous arrivâmes chez le loueur de voitures. Le sergent de ville n’était pas là. Un homme assis sur une chaise inclinée contre le montant de la porte où soufflait, pardessus des rangées de stalles, une brise noire et fraîche aux relents d’ammoniaque, me dit d’aller voir à la poste. Il ne la connaissait pas non plus.

— Ces étrangers, j’ les reconnais pas les uns des autres. Vous pourriez l’emmener de l’autre côté de la voie du chemin de fer, là où ils habitent. Peut-être qu’on viendrait la réclamer.

Nous allâmes à la poste. Elle se trouvait derrière nous, dans le bas de la rue. L’homme à la redingote déployait un journal.

 – Anse vient de partir en voiture, dit-il. Je crois que vous feriez mieux de descendre par-devant la gare et de dépasser ces maisons, là-bas, près de la rivière. Y aura sûrement quelqu’un qui la connaîtra.

— Je ne vois pas autre chose à faire, dis-je. Viens, petite. » Elle s’enfourna la dernière bouchée de pain dans la bouche et l’avala. « Tu en veux un autre ? » dis-je. Elle me regarda tout en mâchant, les yeux noirs, fixes, amicaux. Je sortis les deux autres pains du papier. Je lui en donnai un et mordis dans l’autre. Je demandai à un homme où se trouvait la gare et il me l’indiqua. « Viens petite. »

Arrivés à la gare, nous traversâmes les voies à l’endroit où coulait la rivière. Un pont la franchissait, et une rue aux maisons de bois entassées pêle-mêle suivait la rivière, semblait y reculer. Rue minable mais hétérogène et vivante. Au centre d’un terrain vague, clos d’une barrière aux trous béants entre les pieux brisés, on voyait une vieille guimbarge toute penchée et une maison lépreuse à la fenêtre de laquelle, en haut, pendait un sous-vêtement d’un rose vif.

— Est-ce que ça ressemble à ta maison ? » dis-je. Elle me regarda par-dessus son petit pain. « Celle-ci ? » dis-je en la désignant du doigt. Elle se contentait de mâcher, mais il me semblait discerner dans son expression quelque chose d’affirmatif, un signe d’acquiescement, si vague fût-il. « Celle-ci, dis-je. Alors, viens. » Je franchis la barrière cassée. Je me retournai vers elle. « Ici ? dis-je. C’est bien là que tu habites ? »

Elle opina de la tête rapidement, tout en me regardant, tout en mordant dans la demi-lune humide de son pain. Nous avançâmes. Çà et là, des dalles brisées, hérissées de brins d’herbe fraîche et drue, faisaient un chemin jusqu’au perron en ruine. Rien ne bougeait autour de la maison, pas même l’étoffe rose, pendue là-haut, à la fenêtre, dans le jour calme. Il y avait une sonnette avec un bouton de faïence attaché à un fil d’environ six pieds. Je cessai de tirer et frappai. La petite fille tenait la croûte de son pain de biais dans sa bouche mâchonnante.

Une femme ouvrit la porte. Elle me regarda, puis elle parla rapidement en italien à la petite fille d’une voix aux inflexions montantes qui s’arrêta sur une note interrogative. Elle lui parla de nouveau. La petite fille la regardait par-dessus la croûte qu’elle s’enfonçait dans la bouche avec sa main sale.

— Elle dit qu’elle habite ici, dis-je. Je l’ai trouvée en ville. Est-ce que ce pain est à vous ?

— Pas parlare », dit la femme. Elle s’adressa de nouveau à la petite fille. La petite fille se contenta de la regarder.

— Habite pas ici ? » dis-je. Je montrai la petite, puis elle, puis la porte. La femme secoua la tête. Elle dit quelque chose très vite, s’avança sur le bord de la véranda et me montra le bas de la route en parlant.

J’opinai de la tête, moi-même, vigoureusement. – Venez me montrer, vous », dis-je. Je la pris par le bras en agitant mon autre main vers la route. Elle parlait rapidement en me montrant la route. « Venez me montrer… vous », dis-je en essayant de lui faire descendre les marches.

— Si, si », dit-elle en reculant et en me montrant je ne savais quoi. J’opinai de nouveau.

— Merci, merci, merci. » Je descendis les marches et m’acheminai vers la barrière sans courir, mais assez vite. Arrivé à la barrière, je m’arrêtai et la regardai un instant. La croûte avait disparu, et elle me fixait de son regard noir, amical. Sur les marches, la femme nous regardait.

 – Alors, viens, dis-je. Nous arriverons bien à trouver la bonne, tôt ou tard.

Elle avançait juste sous mon coude. Nous nous éloignâmes. Toutes les maisons semblaient vides. Pourtant elles ne pouvaient pas être toutes vides. Pas une âme en vue. Cette sorte d’atonie propre aux maisons vides. Tant de chambres différentes, si on pouvait seulement fendre les murs en deux, tout d’un coup. Madame, votre fille, s’il vous plaît. Non, Madame, pour l’amour de Dieu, votre fille. Elle avançait juste sous mon coude, ses tresses serrées et luisantes ; puis ce fut la dernière maison, et la route disparut derrière un mur, le long de la rivière. La femme franchissait la barrière brisée avec un châle sur la tête qu’elle serrait sous son menton. La route tournait, vide. Je trouvai une pièce de monnaie et la donnai à la petite fille. « Adieu, petite », dis-je. Puis je me mis à courir.

Je courais vite sans me retourner. Juste avant d’arriver au tournant je regardai derrière moi. Elle était debout sur la route, toute petite, la miche de pain serrée sur sa petite robe sale, les yeux fixes, immobiles et noirs. Je repris ma course.

Une venelle partait de la route. Je m’y jetai et, au bout d’un instant, je ralentis et me contentai de marcher d’un bon pas. La ruelle s’enfonçait entre des dos de maisons, maisons qui n’avaient jamais été peintes et que pavoisaient aussi des linges aux couleurs vives et gaies pendus à des cordes ; une grange au faîte brisé qui s’effondrait lentement parmi les arbres fruitiers vigoureux, jamais émondés, étouffés par les herbes folles, roses et blancs, et bruissant de soleil et d’abeilles. Je regardai derrière moi. L’entrée de la venelle était vide. Je ralentis davantage, mon ombre m’accompagnait, traînait sa tête parmi les herbes qui cachaient la barrière.

La venelle aboutit à une grille fermée, s’évanouit dans l’herbe, simple sentier tracé doucement dans l’herbe nouvelle. Je franchis la grille, entrai dans un petit bois que je traversai et, arrivé à un autre mur, je le longeai, suivi cette fois par mon ombre. Il y avait des ronces et des plantes grimpantes là où, chez nous, aurait poussé du chèvrefeuille. Montant, montant toujours surtout au crépuscule quand il pleuvait, l’odeur du chèvrefeuille qui s’y mêlait comme si ça n’était pas assez sans cela, pas assez intolérable. Pourquoi l’avoir laissé t’embrasser embrasser

Je ne l’ai pas laissé je l’ai forcé tout en surveillant ma colère qui montait que penses-tu de cela ? L’empreinte rouge de ma main lui montant au visage comme lorsque votre main tourne un commutateur la lueur apparue dans ses yeux

Ce n’est pas pour le baiser que je t’ai giflée. Les coudes des jeunes filles à quinze ans mon père dit tu avales comme si tu avais une arête dans le gosier qu’est-ce que vous avez donc toi et Caddy de l’autre côté de la table à éviter de me regarder. C’est pour l’avoir permis à un sale godelureau de la ville que je t’ai giflée ah vraiment je parie que tu dis pouce Ma main rouge qui se détache de son visage. Où est-ce que tu dis de ça lui décrasser la tête dans l’. Entrelacs de brins d’herbe incrustés dans la chair cuisant lui décrassant la tête. Dis pouce dis-le donc

En tout cas j’n’ai pas embrassé une sale fille comme Natalie Le mur entra dans l’ombre, ensuite ce fut mon ombre, je lui avais de nouveau joué un tour. J’avais oublié la rivière dont la courbe suivait la route. J’ai grimpé par-dessus le mur et puis, la miche serrée sur sa robe, elle m’a regardé sauter à terre.

Je restai dans les herbes, nous nous regardâmes un instant.

– Pourquoi ne m’as-tu pas dit que tu habitais par ici ? » La miche glissait lentement hors du papier. Il en aurait déjà fallu un autre. « Alors viens. Montre-moi la maison. » pas une sale fille comme Natalie. Il pleuvait nous pouvions l’entendre sur le toit soupirer à travers la douce et haute vacuité de l’écurie

Là ? en la touchant

Non pas là

Ici ? pluie légère mais nous ne pouvions rien entendre sauf le toit et comme si c’était mon sang ou son sang à elle aussi

Elle m’a fait tomber de l’échelle et elle s’est sauvée et elle m’a laissé Caddy a fait cela

C’est-il là que ça t’a fait mal quand Caddy s’est sauvée c’est-il là

Oh Elle marchait juste sous mon coude, le haut de sa tête luisante, et la miche qui glissait du journal.

— Si tu ne rentres pas bientôt chez toi, il ne te restera plus de pain. Et alors, qu’est-ce qu’elle dira ta maman ? » Je parie que je pourrais te soulever.

Non je suis trop lourde

Est-ce que Caddy est partie est-elle allée à la maison on ne peut pas voir l’écurie de chez nous as-tu jamais essayé de voir l’écurie de

C’est sa faute elle m’a poussé et s’est sauvée

Je peux te soulever tu vois bien

Oh son sang ou mon sang Oh Nous avons continué notre route dans la poussière fine, nos pieds silencieux comme du caoutchouc dans la fine poussière où des rayons de soleil filtraient à travers les arbres. Et, de nouveau, je pouvais sentir l’eau qui coulait, rapide et paisible, dans l’ombre secrète.

— Tu habites loin, dis donc. Tu es bien dégourdie de pouvoir t’en aller en ville comme ça, toute seule, si loin. » C’est comme ces danses pendant lesquelles on reste assis es-tu jamais resté assis pendant une danse ? Nous pouvions entendre la pluie, un rat dans le grenier, l’écurie vide de chevaux Comment enlaces-tu pour danser tiens-tu comme ça

Oh

J’aimais d’habitude tenir comme ça tu pensais que je n’étais pas assez fort n’est-ce pas

Oh Oh Oh Oh

Je tenais d’habitude à aimer comme ça je veux dire tu as entendu ce que je viens de dire ai-je dit

oh oh oh oh

La route se déroulait, tranquille et vide, le soleil biaisait de plus en plus. Des morceaux d’étoffe rouge attachaient le bout des petites tresses raides. Un coin de papier battait un peu quand elle marchait. Le bout du pain était à nu. Je m’arrêtai.

— Écoute. C’est sur cette route que tu habites ! Voilà plus d’un mile que nous n’avons pas vu de maison.

Elle me regardait, noire, secrète et amicale.

— Où habites-tu petite ? Tu n’habites pas là-bas derrière, en ville ?

Il y avait un oiseau quelque part dans les bois, au-delà des lignes brisées et rares du soleil.

— Ton papa va s’inquiéter de toi. Tu n’as pas peur d’être fouettée pour n’être pas rentrée tout droit avec ton pain ?

L’oiseau chanta encore, invisible, note profonde, dénuée de sens et sans inflexion, coupée court comme d’un coup de couteau ; encore une fois ; et cette sensation d’eau rapide et paisible au-dessus d’endroits mystérieux, eau ni vue, ni entendue, pressentie seulement.

— Oh, et puis zut après tout ! » La moitié du papier pendait vide : « Il ne sert plus à rien maintenant. » Je déchirai le papier et le jetai sur la route. « Viens. Il faut retourner en ville. Nous allons suivre la rivière. »

Nous quittâmes la route. Dans la mousse croissaient des petites fleurs pâles, et la sensation de l’eau, muette, invisible. Je tenais d’habitude à aimer ainsi je veux dire j’aimais d’habitude à tenir ainsi. Elle était debout à la porte et nous regardait les mains sur les hanches

Tu m’as poussée c’est ta faute et ça m’a fait mal aussi Nous dansions assis je parie bien que Caddy ne sait pas danser assise

Assez, Assez

Je ne faisais qu’épousseter le dos de ta robe

Enlève tes sales mains de dessus moi c’est ta faute tu m’as poussée je suis fâchée avec toi

Ça m’est bien égal elle nous regardait reste fâchée elle s’éloigna Nous entendions maintenant les éclats de voix, les clapotements. Je vis un corps brun luire un instant.

Reste fâchée. Ma chemise commençait à se mouiller et mes cheveux. Le long du toit entendant le toit très fort maintenant je pouvais voir Natalie qui s’éloignait dans le jardin sous la pluie. Mouille-toi Si seulement tu pouvais attraper une pneumonie rentre chez toi figure de vache. Je sautai aussi fort que possible dans le bourbier des cochons la boue jaune et puante me monta à la taille je continuai à m’y plonger jusqu’au moment où je tombai et m’y roulai – Tu les entends nager, petite ! Ça ne me déplairait pas d’en faire autant moi-même. » Si j’avais le temps. Quand j’aurai le temps. Je pouvais entendre ma montre, la boue était plus chaude que la pluie elle empestait. Elle avait le dos tourné je me mis devant elle. Tu sais ce que je lui faisais ! Elle me tourna le dos je me mis devant elle la pluie s’infiltrait dans la boue collait son corsage à travers l’étoffe l’odeur était infecte. Je la serrais sur mon coeur voilà ce que je lui faisais. Elle me tourna le dos je me mis devant elle. Je la serrais sur mon cœur je te dis.

Je me fous de ce que tu faisais

Oh tu t’en fous tu t’en fous je t’apprendrai moi je t’apprendrai à t’en foutre. D’un coup elle m’écarta les mains de l’autre main je la couvris de boue je ne pouvais pas sentir les claques humides de sa main J’ai pris de la boue sur mes jambes et j’en ai enduit son corps humide et ferme qui se tordait entendant ses doigts rencontrer mon visage mais je ne sentais rien même quand la pluie se mit à prendre sur mes lèvres une saveur douce

Ils nous virent tout d’abord au milieu de l’eau, têtes et épaules. Ils hurlèrent, et l’un d’eux se redressa, accroupi, et sauta au milieu d’eux. On aurait dit des castors, avec l’eau qui leur clapotait au menton.

— Emmenez cette petite. Qu’est-ce qui vous prend d’amener une fille ici ? Allez-vous-en !

— Elle ne vous fera pas de mal. Nous ne voulons que vous regarder un instant.

Ils étaient accroupis dans l’eau. Leurs têtes rapprochées formaient un tas. Ils nous regardaient, puis ils se séparèrent et accoururent vers nous en nous jetant de l’eau avec leurs mains. Nous nous éloignâmes rapidement.

— Attention, elle ne vous fera pas de mal.

— Va-t’en de là, Harvard. » C’était le second des garçons, celui qui avait parlé cheval et voiture, là-bas, près du pont. « Allez, les gars, jetons-leur de l’eau. »

— Sortons de l’eau. On va les foutre dedans, dit un autre. C’est pas une fille qui me fait peur.

— Jetons-leur de l’eau ! Jetons-leur de l’eau ! » Ils se précipitèrent vers nous en nous lançant de l’eau. Nous reculâmes.

— Allez-vous-en, hurlaient-ils. Allez-vous-en.

Nous partîmes. Ils s’étaient groupés juste sous la berge, leurs têtes luisantes en rang sur le fond d’eau brillante. Nous nous éloignâmes. – C’est pas un endroit pour nous, hein ? » Le soleil filtrait en biais jusque sur la mousse. Çà et là, de plus en plus horizontal. « Pauvre gosse. Tu n’es qu’une petite fille. » Des petites fleurs poussaient dans la mousse. Je n’en avais jamais vu de si petites. « Tu n’es qu’une petite fille, pauvre gosse. » Il y avait un sentier qui suivait la courbe de l’eau. Puis l’eau redevint calme, noire, calme et rapide, « qu’une petite fille. Pauvre petite sœur ». Nous étions couchés dans l’herbe humide haletants la pluie comme de la grenaille froide sur mon dos. Tu t’en fous encore Tu t’en fous dis

Mon Dieu nous sommes dans un bel état lève-toi. Où la pluie touchait mon front j’ai senti une brûlure ma main s’est retirée rouge dégouttante rose dans la pluie. Ça te fait mal.

Naturellement comment voudrais-tu

J’ai essayé de t’arracher les yeux Bon Dieu ce que nous puons nous ferions bien de nous nettoyer un peu dans le ruisseau « Nous revoilà en ville, petite. Maintenant, il faut rentrer chez toi. Vois comme il est tard. Tu vas rentrer maintenant, n’est-ce pas ? » Mais elle se contentait de me regarder avec ses grands yeux fixes, noirs, secrets, amicaux, la miche demi-nue serrée sur la poitrine. « Elle est mouillée. Je croyais que nous nous étions reculés à temps. » Je pris mon mouchoir et m’efforçai de sécher la miche, mais la croûte s’écailla et je m’arrêtai. « Il n’y a qu’à la laisser sécher toute seule. Tiens-la comme ça. » Elle la tint comme ça. On aurait dit maintenant que les rats l’avaient grignotée. et l’eau qui montait montait sur le dos courbé la boue croupie et puante qui remontait à la surface constellant la surface grésillante comme de la graisse sur un poêle chaud. Je t’avais bien dit que je t’apprendrais.

Tu peux faire tout ce que tu voudras je m’en fous

C’est alors que nous entendîmes les pas qui couraient. Nous nous sommes arrêtés, nous avons regardé derrière nous, et nous l’avons vu qui s’approchait en courant, les ombres horizontales papillotant sur ses jambes.

— Il est pressé. Nous… » Puis je vis un autre homme, un homme entre deux âges, qui courait lourdement, un bâton à la main, et un jeune garçon, nu jusqu’à la ceinture, qui retenait son pantalon tout en courant.

— Voilà Julio », dit la petite fille. Alors, comme l’homme sautait sur moi, je vis son visage d’italien, ses yeux. Nous tombâmes. Ses mains me labouraient le visage. Il disait quelque chose et essayait de me mordre, je crois, et puis ils l’ont relevé, ils l’ont maîtrisé, haletant, luttant, vociférant, et ils lui tenaient les bras, et il essayait de me donner des coups de pied jusqu’au moment où ils l’ont entraîné. La petite fille hurlait, la miche dans les bras. Le garçon demi-nu sautait et trépignait, cramponné à son pantalon, et quelqu’un me releva à temps pour que je pusse apercevoir une autre silhouette qui accourait, complètement nue, au paisible tournant de la rivière, et changeait soudain de direction pour disparaître dans les fourrés, ses vêtements derrière lui, rigides, comme des planches. Julio se débattait toujours. L’homme qui m’avait relevé me dit : « Enfin, tout de même, on vous a eu ! » Il portait un gilet, mais pas de veston. Une plaque de métal y était fixée. Dans l’autre main, il tenait un gourdin noueux et poli.

— C’est vous Anse, n’est-ce pas ? dis-je. Je vous cherchais. Qu’est-ce qu’il y a ?

— Je vous préviens que tout ce que vous direz ne fera que vous nuire, dit-il. Je vous arrête.

— Io lé tourai », dit Julio. Il se débattait. Deux hommes le maîtrisaient. La petite fille hurlait toujours, son pain dans les bras. « Vous avez volé ma sœur, dit Julio. Lâchez-moi, signore. »

— Volé sa sœur ? dis-je. Ça par exemple, j’ai… !

– Assez, dit Anse. Vous raconterez ça au juge.

— Volé sa sœur ? » dis-je. Julio échappa aux hommes et ressauta sur moi. Mais le policier le saisit, et ils luttèrent jusqu’à ce que les deux autres lui eussent à nouveau immobilisé les deux bras. Anse le lâcha, essoufflé.

— Sacrés sales étrangers, dit-il. J’ai bonne envie de vous arrêter vous aussi pour coups et blessures. » Il se retourna vers moi. « Allez-vous me suivre tranquillement ou faut-il que je vous mette les menottes ?

— Je vous suivrai tranquillement, dis-je. Tout ce que vous voudrez pourvu que je puisse trouver quelqu’un… faire quelque chose de… Voler sa sœur ! dis-je. Voler sa…

— Je vous ai prévenu, dit Anse. Il va vous accuser de préméditation de viol. Eh là, vous, faites un peu taire cette gosse.

— Oh ! » dis-je. Et je me mis à rire. Deux autres garçons, les cheveux collés et les yeux ronds, sortirent des fourrés. Ils boutonnaient leurs chemises déjà mouillées aux épaules et aux bras. J’essayai sans succès de m’empêcher de rire.

— Attention, Anse. Il m’a l’air fou.

— Il faut pourtant que je cesse, dis-je. Je vais m’arrêter dans une minute. L’autre fois c’était ah, ah, ah, » dis-je en riant. « Laissez-moi m’asseoir un instant. » Je m’assis. Ils me regardaient tous, et la petite fille avec son visage barbouillé et sa miche qui semblait grignotée, et l’eau, vive et paisible, au-dessous du sentier. Au bout d’un instant, mon rire s’arrêta. Mais ma gorge s’efforçait encore de rire, comme des nausées après que l’estomac est vide.

— Allons, allons, dit Anse. Tâchez de vous maîtriser.

— Oui », dis-je en contractant la gorge. Il y avait un autre papillon jaune, comme si une des taches de soleil s’était détachée. Au bout d’un moment, je pus relâcher un peu la tension de ma gorge. Je me levai. « Je suis prêt, dis-je. Par où ? »

Nous suivîmes le sentier, les deux autres surveillaient. Julio et la petite fille, et les garçons, quelque part en arrière. Le sentier suivait la rivière jusqu’au pont. Nous le franchîmes ainsi que la voie du chemin de fer. Des gens se montraient sur les portes et nous regardaient, des jeunes gens se matérialisaient de toutes parts, si bien qu’en arrivant dans la grand’rue nous formions toute une procession. Une auto était arrêtée devant le drugstore, une grande, mais je ne les reconnus que lorsque Mrs Bland s’écria :

— Comment, Quentin ! Quentin Compson ! » Alors je vis Gerald, et Spoade, à l’arrière, appuyé sur la nuque. Et Shreve. Je ne connaissais pas les deux jeunes filles.

— Quentin Compson ! dit Mrs Bland.

— Bonjour, dis-je en soulevant mon chapeau. On vient de m’arrêter. Je regrette de n’avoir pas reçu votre mot. Shreve vous a dit ?

— Arrêté ? dit Shreve. Pardon ! » dit-il. Il se souleva, enjamba leurs pieds et descendit. Il portait un de mes pantalons de flanelle qui le moulait comme un gant. Je ne me rappelais pas avoir oublié cette paire. Je ne me rappelais pas non plus combien de mentons avait Mrs Bland. La plus jolie des deux jeunes filles était devant avec Gerald. Elles me regardaient à travers leurs voilettes avec une espèce d’horreur délicate.

« Qui est arrêté ? dit Shreve. Qu’est-ce que cela signifie ? »

— Gerald, dit Mrs Bland, renvoie donc tous ces gens-là. Montez dans l’auto, Quentin.

Gerald descendit. Spoade n’avait pas bougé.

— Qu’a-t-il fait cap(28) ? Dévalisé un poulailler ?

— Je vous avertis, dit Anse. Vous connaissez le prisonnier ?

— Si je le connais ! dit Shreve. Écoutez…

— Alors, vous pouvez nous accompagner chez le juge. Vous faites obstacle à l’exercice de la justice. Venez. » Il me secoua le bras.

— Alors, au revoir, dis-je. Heureux de vous avoir tous vus. Regrette de ne pouvoir me joindre à vous.

— Gerald, voyons ! dit Mrs Bland.

— Écoutez-moi, sergent, dit Gerald.

— Je vous avertis que vous interrompez un officier de justice dans l’exercice de ses fonctions, dit Anse. Si vous avez quelque chose à dire, vous pouvez nous accompagner chez le juge et identifier le prisonnier. » Nous partîmes. Une belle procession maintenant. Anse et moi en tête. Je pouvais les entendre leur raconter l’affaire, et Spoade qui questionnait, puis Julio dit quelque chose violemment en italien, et je regardai derrière moi, et je vis la petite fille, debout sur le bord du trottoir, qui me regardait de son air amical, impénétrable.

— Rentre à la maison, lui hurla Julio. Io té foutrai oune raclée.

Nous descendîmes la rue et tournâmes sur une petite pelouse. Une maison d’un étage, en briques bordées de blanc, s’y dressait, en retrait de la route. Nous suivîmes une allée empierrée jusqu’à la porte où Anse fit arrêter tout le monde, sauf nous, et empêcha d’entrer. Nous pénétrâmes dans une salle nue qui sentait le vieux tabac. Au centre d’un cadre de bois empli de sable, il y avait un poêle en fer. Sur le mur, une carte déteinte et un plan de ville défraîchi. Derrière une table toute tailladée et encombrée de papiers, un homme, avec une houppe sauvage de cheveux gris-fer, nous regarda par-dessus ses lunettes d’acier.

— Alors, vous l’avez pincé, Anse ? dit-il.

— Pincé, oui, Monsieur le Juge.

Il ouvrit un gros livre poussiéreux et l’approcha de lui, puis il trempa une plume sale dans un encrier plein d’une espèce de suie.

— Écoutez-moi, monsieur, dit Shreve.

— Le nom du prisonnier », dit le juge. Je le lui dis. Il l’écrivit lentement dans le livre, la plume grinçait avec un air de décision intolérable.

— Ecoutez-moi, monsieur, dit Shreve. Nous connaissons ce garçon. Nous…

— Silence, dit Anse.

— Tais-toi vieux, dit Spoade. Laisse-le faire à sa guise. On ne l’en empêcherait pas, du reste.

— Âge », dit le juge. Je le lui dis. Il écrivait en remuant la bouche. « Profession. » Je le lui dis : « Étudiant à Harvard, hein ? » dit-il. Il leva les yeux vers moi, baissant un peu le cou pour voir par-dessus ses lunettes. Ses yeux étaient clairs et froids, des yeux de chèvre. « Qu’est-ce qui vous prend de venir ici voler des enfants ? »

— Ils sont fous, Monsieur le Juge, dit Shreve. Celui qui prétend que ce garçon vole…

Julio s’agita violemment : – Fou ! dit-il. Como si io l’ai pas vou ! Como si io l’ai pas vou avec mes propres yeux !

— Vous mentez, dit Shreve. Vous n’avez jamais…

— Silence ! Silence ! dit Anse en élevant la voix.

— Taisez-vous, vous autres, dit le juge. S’ils ne se tiennent pas tranquilles mettez-les dehors, Anse. » Ils se turent. Le juge regarda Shreve, puis Spoade, puis Gerald. « Vous connaissez ce jeune homme ? » dit-il à Spoade.

— Oui, Votre Honneur, dit Spoade. C’est tout simplement un petit gars de la campagne qui fait ses études là-bas. Il n’a pas de mauvaises intentions. Je suis sûr que le sergent reconnaîtra que c’est une erreur. Son père est pasteur.

— Hum, dit le juge. Que faisiez-vous exactement ? » Je le lui dis. Il me regardait de ses yeux froids, pâles. « Votre avis, Anse ? »

— C’est possible, dit Anse. Avec ces sacrés étrangers !

— Moi Américain, dit Julio. Io avé tutti mi papiers.

— Où est la petite ?

— Il l’a renvoyée chez lui, dit Anse.

— Était-elle effrayée, troublée ?

— Non, sauf quand Julio a sauté sur le prisonnier. Ils se promenaient tout tranquillement au bord de la rivière, dans la direction de la ville. Des gamins qui se baignaient nous ont dit par où ils étaient passés.

— Il y a erreur, Monsieur le Juge, dit Spoade. Les enfants et les chiens passent leur temps à le suivre comme ça. Il n’y peut rien.

— Hum », dit le juge. Il regarda un instant par la fenêtre. Nous l’observions. Je pouvais entendre Julio se gratter. Le juge ramena son regard dans la salle.

— Et vous, là-bas, ça ne vous suffit pas que la petite n’ait pas eu de mal ?

— Pas ou dé mal pour le moment, dit Julio d’un air sombre.

— Vous avez quitté votre travail pour aller à sa recherche ?

— Sour que io quitté. Io couru, couru como l’in-ferno. Io regardé ici, io regardé là, pouis un uomo il m’a dit qu’il l’avait vou lui donner à manger. Elle allé avec loui.

— Hum, dit le juge. Eh bien, mon ami, j’estime que vous devez quelque chose à Julio pour lui avoir fait abandonner son travail.

— Oui, monsieur, dis-je. Combien ?

— J’estime qu’un dollar suffira.

Je donnai un dollar à Julio.

— Alors, dit Spoade. Si c’est tout… je pense que l’affaire est jugée, Votre Honneur ?

Le juge ne le regarda pas. – Sur quelle distance l’avez-vous poursuivi, Anse ?

— Deux miles, pour le moins. Il nous a bien fallu deux heures pour l’attraper.

— Hum », dit le juge. Il médita un instant. Nous l’observions avec ses cheveux en houppe raide, ses lunettes sur le bout du nez. La forme jaune de la fenêtre s’allongeait sur le plancher, atteignait le mur, grimpait. Des poussières tournoyaient en diagonales. « Six dollars. »

— Six dollars, dit Shreve. Pourquoi ça ?

— Six dollars », dit le juge. Il regarda Shreve un instant, puis tourna les yeux vers moi.

— Dites donc, dit Shreve.

— Tais-toi, dit Spoade. Donne-les-lui, vieux, et filons d’ici. Ces dames nous attendent. Tu as six dollars ?

— Oui », dis-je. Je lui donnai six dollars.

— L’affaire est jugée, dit-il, sans élever la voix.

— Du diable si… dit Shreve.

— Allons, viens, dit Spoade en lui prenant le bras. Au revoir, Monsieur le Juge. » Comme nous franchissions la porte, la voix de Julio s’éleva de nouveau, violente, puis s’éteignit. Spoade me regardait, et ses yeux bruns étaient inquisiteurs et un peu froids. « Eh bien, mon vieux, je suppose qu’à l’avenir, tu resteras à Boston quand tu auras envie de courir après les petites filles. »

— Bougre d’idiot, dit Shreve. En voilà une idée de venir ici batifoler avec ces sales macaronis !

— Allons, dit Spoade. Elles doivent s’impatienter. »

Mrs Bland leur parlait. Elles s’appelaient Miss Holmes et Miss Daingerfield et elles cessèrent de l’écouter, et elles me regardèrent à nouveau avec cette même horreur délicate et curieuse, la voilette relevée sur leurs petits nez blancs, les yeux fuyants et mystérieux sous la voilette.

— Quentin Compson, dit Mrs Bland, que dirait votre mère ? Évidemment, il arrive toujours un moment où les jeunes gens se trouvent mêlés à quelque affaire. Mais, se faire arrêter, à pied, par un garde-champêtre ! Qu’est-ce qu’on lui reprochait Gerald ?

— Rien, dit Gerald.

– Allons donc ! Vous, Spoade, dites-moi, qu’est-ce que c’était ?

— Il essayait d’enlever cette petite crasseuse, mais on l’a arrêté à temps, dit Spoade.

— Bah ! » dit Mrs Bland. Mais sa voix mourut pour ainsi dire, et elle me dévisagea un moment, et les jeunes filles retinrent leur respiration dans un souffle léger et concerté. « Histoire à dormir debout ! dit Mrs Bland désinvolte. Je les reconnais bien là, ces Yankees vulgaires et ignorants. Montez, Quentin. »

Shreve et moi, nous nous assîmes sur deux petits strapontins. Gerald mit le moteur en marche, monta et nous partîmes.

— Maintenant, Quentin, dites-moi ce que signifient toutes ces sottises », dit Mrs Bland. Je leur racontai mon histoire. Shreve, tassé et furieux sur son petit siège, et Spoade vautré de nouveau sur la nuque, à côté de Miss Daingerfield.

— Et ce qu’il y a de plus rigolo, c’est que Quentin n’a pas cessé une minute de nous faire marcher, dit Spoade. Nous étions tant persuadés que c’était le jeune homme modèle à qui tout le monde pouvait confier sa fille, et voilà que maintenant la police nous le présente dans l’exercice de ses déplorables activités.

— Taisez-vous, Spoade », dit Mrs Bland. Nous descendîmes la rue, traversâmes le pont et passâmes devant la maison où le sous-vêtement rose pendait à une fenêtre. « Ça vous apprendra à ne pas lire mes lettres. Pourquoi n’êtes-vous pas allé la chercher ? Mr MacKenzie affirme qu’il vous avait prévenu qu’elle était sur votre table.

— Oui, j’avais l’intention de le faire, mais je ne suis pas retourné à ma chambre.

— Vous nous auriez fait attendre je ne sais combien de temps sans Mr MacKenzie. Quand il m’a dit que vous n’étiez pas rentré, nous nous sommes trouvés avec une place libre et nous lui avons demandé de venir avec nous, nous sommes enchantés du reste de vous avoir avec nous, Mr MacKenzie. » Shreve ne dit rien. Il avait les bras croisés, et il regardait droit devant lui, par-delà la casquette de Gerald. C’était une casquette d’automobiliste anglais. D’après Mrs Bland. Nous passâmes devant cette maison, puis devant trois autres, puis devant une autre cour où la petite fille se tenait debout, près de la barrière. Elle n’avait plus son pain, et son visage semblait enduit de suie. J’agitai la main, mais elle ne répondit pas. Elle se contenta de tourner lentement la tête au passage de l’automobile et de nous suivre de son regard fixe. Puis nous filâmes le long du mur. Nos ombres filaient également sur le mur. Et, au bout d’un instant, nous passâmes près d’un morceau de journal, sur le bord de la route, et je me remis à rire. Je pouvais sentir mon rire dans ma gorge, et je levai les yeux vers les arbres où descendait l’après-midi, pensant à l’après-midi, à l’oiseau, aux enfants qui nageaient. Malgré cela, je ne pouvais l’arrêter et je compris que, si j’essayais trop fort de l’arrêter, je me mettrais à pleurer, et je pensai à cette idée que j’avais eue que je ne pouvais pas être vierge avec toutes ces personnes chuchotant dans les ombres de leurs douces voix féminines, s’attardant dans les coins sombres et les mots qui m’arrivaient, et le parfum, et les yeux que je sentais sans voir, mais si c’était si simple à faire, ce ne serait donc rien, et si ce n’était rien qu’étais-je alors et Mrs Bland dit : – Quentin ? Est-ce qu’il est malade, Mr MacKenzie ? » Et la main grasse de Shreve me toucha le genou, et Spoade se mit à parler, et je renonçai à arrêter mon rire.

– Si ce panier le gêne, Mr MacKenzie, tirez-le près de vous. J’ai apporté un panier de bouteilles, parce que j’estime que les jeunes gens, si ce sont des gentlemen, doivent boire du vin, bien que mon père, le grand-père de Gerald » jamais fait cela As-tu jamais fait cela Dans les ténèbres grises une petite lueur ses mains qu’elle tenait croisées autour.

— Ils le font quand ils peuvent s’en procurer, dit Spoade. Pas vrai, Shreve ? » de ses genoux son visage quelle levait vers le ciel et l’odeur de chèvrefeuille sur son visage et sur sa gorge

— De la bière aussi », dit Shreve. Sa main de nouveau me toucha le genou. De nouveau je reculai mon genou comme une couche délicate de peinture lilas et elle parla de lui l’amenant

— Tu n’es pas un gentleman », dit Spoade entre nous jusqu’au moment où elle perdit sa forme se confondit mais non par l’effet des ténèbres

— Non, je suis canadien », dit Shreve. parlant de lui les avirons qui clignaient à son passage clignaient de l’œil Casquette d’automobiliste anglais et le temps par-dessous qui fuyait et eux deux confondus l’un dans l’autre pour toujours il avait été dans l’armée avait tué des hommes

— J’adore le Canada, dit Miss Daingerfield. Je trouve que c’est un pays merveilleux.

— As-tu jamais bu du parfum ? » dit Spoade. d’une main il pourrait la soulever la mettre sur son épaule s’enfuir avec elle courant Courant

— Non », dit Shreve, courant la bête à deux dos(29) et elle estompée par les avirons clignotants courant le pourceau d’Eubée(30) courant accouplée à combien Caddy.

— Moi non plus, dit Spoade. Je ne sais pas beaucoup trop il y avait quelque chose de terrible en moi de terrible en moi Père j’ai commis As-tu jamais fait cela Non nous ne l’avons pas fait nous n’avons pas fait cela l’avons-nous fait

— et le grand-père de Gerald cueillait toujours sa menthe lui-même, avant son petit déjeuner alors que la rosée était encore dessus. Il ne voulait même pas que le vieux Wilkie y touchât. Tu te rappelles, Gerald ? Il la cueillait lui-même et faisait lui-même son julep(31). Il était maniaque comme une vieille fille pour son julep. Il mesurait tout d’après une recette qu’il gardait dans sa tête. Il n’a donné cette recette qu’à un seul homme, c’était » oui nous l’avons fait comment peux-tu ne pas le savoir tu n’as qu’à attendre un peu et je te dirai comment c’est arrivé un crime nous avons commis un crime horrible on ne peut pas le cacher tu crois qu’on le peut mais attends. Mon pauvre Quentin tu n’as jamais fait cela n’est-ce pas et je te dirai comment c’est arrivé je le dirai à papa et alors il faudra bien que cela soit parce que tu aimes papa et il faudra nous en aller au milieu de la réprobation et de l’horreur la flamme pure je te forcerai à dire que nous l’avons fait j’ai plus de force que toi je te ferai comprendre que nous l’avons fait tu croyais que c’étaient eux mais c’était moi tu croyais que j’étais dans la maison où ce maudit chèvrefeuille m’efforçant de ne pas penser le hamac les cèdres les désirs secrets le souffle oppressé buvant la respiration affolée le oui Oui Oui oui « ne soit jamais allé jusqu’à boire lui-même du vin, mais il disait toujours qu’un panier dans quel livre avez-vous lu cela celui où le costume de rameur de Gerald de vin était indispensable dans un pique-nique de gentleman » les as-tu aimés Caddy les as-tu aimés Quand ils m’ont touchée je suis morte

une minute elle resta là l’instant d’après il hurlait la tirait par sa robe ils sont entrés dans le vestibule ont monté l’escalier hurlant la poussant dans l’escalier jusqu’à la porte de la salle de bains et ils se sont arrêtés elle avait le dos contre la porte et le bras sur la figure hurlant s’efforçant de la pousser dans la salle de bains quand elle est venue dîner T. P. le faisait manger il recommença à pleurnicher d’abord puis quand elle le toucha il se mit à hurler elle était là debout les yeux comme des rats aux abois puis je me suis élancé dans les ténèbres grises il y avait une odeur de pluie tous les parfums des fleurs épars dans l’air humide et chaud et la petite scie des grillons qui s’éteignait dans l’herbe m’accompagnait d’îlots de silence mouvants Nancy me regardait par-dessus la barrière tachetée comme un couvre-pieds arlequin pendu sur une corde à linge J’ai pensé ce sacré nègre a encore oublié de lui donner à manger j’ai descendu la pente en courant dans ce vide des grillons comme un souffle qui passe sur un miroir elle était étendue dans l’eau la tête sur la langue de sable l’eau coulait autour d’elle il y avait sur l’eau un peu plus de lumière sa jupe à demi transpercée battait contre ses flancs au mouvement des eaux rides pesantes qui s’en allaient sans but renouvelées elles-mêmes par leur propre mouvement Debout sur la rive je pouvais respirer l’odeur du chèvrefeuille sur l’eau dans la ravine l’air semblait n’être qu’une bruine de chèvrefeuille de grincement des grillons substance perceptible à la chair.

est-ce que Benjy pleure toujours

je ne sais pas oui je ne sais pas

pauvre Benjy

je m’assis sur la rive l’herbe était un peu humide ensuite je constatai que mes souliers étaient mouillés

sors de cette eau tu es folle

mais elle ne bougea pas son visage faisait une tache blanche qui se détachait sur l’imprécis du sable grâce au cadre de ses cheveux

allons sors

elle s’assit d’abord puis se leva sa robe battait contre elle s’égouttait elle grimpa sur la rive dans sa jupe battante et s’assit

pourquoi ne l’essores-tu pas tu as envie de prendre froid

oui

l’eau aspirait gargouillait autour de la langue de sable et plus loin dans le noir parmi les saules à l’endroit du gué l’eau ondoyait comme un lambeau d’étoffe retenant encore un peu de lumière comme l’eau sait le faire

il a traversé toutes les mers tout autour du monde

puis elle me parla de lui les mains croisées sur ses genoux mouillés le visage renversé dans la lumière grise l’odeur du chèvrefeuille il y avait de la lumière dans la chambre de maman et dans celle de Benjy où T. P. le mettait au lit

est-ce que tu l’aimes

sa main avança je ne bougeais pas elle descendait le long de mon bras et elle posa ma main à plat sur sa poitrine là où le cœur battait

non non

t’a-t-il forcée alors il t’a forcée à le faire à le laisser faire il était plus fort que toi et il demain je le tuerai je jure que je le ferai papa n’a pas besoin de savoir avant on lui dira après et ensuite toi et moi ça ne regarde personne nous pourrons prendre l’argent destiné à mon instruction nous pourrons faire rayer mon inscription à l’université Caddy tu le hais n’est-ce pas n’est-ce pas

elle gardait ma main sur sa poitrine le cœur battant je me tournai et lui saisis le bras

Caddy tu le hais n’est-ce pas

elle fit monter ma main jusqu’à sa gorge où son cœur martelait

pauvre Quentin

elle levait son visage vers le ciel qui était bas si bas qu’il semblait comme une tente affaissée écraser sous sa masse tous les sons les parfums de la nuit le chèvrefeuille surtout que j’aspirais qui recouvrait tout son visage sa gorge comme de la peinture son cœur battait contre ma main je m’appuyais sur mon autre bras il commença à tressaillir à sauter et je dus haleter pour saisir un peu d’air dans l’épaisseur grise de tout ce chèvrefeuille.

oui je le hais je mourrais pour lui je suis déjà morte pour lui je meurs pour lui encore et encore chaque fois que cela se produit

quand j’ai soulevé ma main je pouvais encore sentir dans la paume la brûlure des brindilles et des herbes entrecroisées.

pauvre Quentin

elle se renversa en arrière appuyée sur ses bras les mains nouées autour des genoux

tu n’as jamais fait cela n’est-ce pas

fait quoi

ce que j’ai fait

si si bien des fois avec bien des femmes

puis je me suis mis à pleurer sa main me toucha de nouveau et je pleurais contre sa blouse humide elle était étendue sur le dos et par-delà ma tête elle regardait le ciel je pouvais voir un cercle blanc sous ses prunelles et j’ouvris mon couteau

te rappelles-tu le jour de la mort de grand-mère quand tu t’étais assise dans l’eau avec ta culotte

oui

je tenais la pointe du couteau contre sa gorge

ce sera l’affaire d’une seconde rien qu’une seconde et puis je me le ferai je me le ferai ensuite

bon pourras-tu te le faire tout seul

oui la lame est assez longue Benjy est couché maintenant

oui

ce sera l’affaire d’une seconde je tâcherai de ne pas te faire mal

bon

fermeras-tu les yeux

non parce qu’il faudrait que tu enfonces plus fort touche-le avec ta main

mais elle ne bougea pas elle avait les yeux grands ouverts et par-delà ma tête elle regardait le ciel

 Caddy tu te rappelles comme Dilsey s’est fâchée à cause de ta culotte qui était pleine de boue

ne pleure pas

je ne pleure pas Caddy

pousse-le vas-tu le faire

tu le veux

oui pousse

touche-le avec ta main

ne pleure pas mon pauvre Quentin

mais je ne pouvais m’arrêter elle me tenait la tête contre sa poitrine humide et ferme je pouvais entendre son cœur qui ne martelait plus mais battait lentement durement l’eau chantonnait parmi les saules dans les ténèbres et les bouffées de chèvrefeuille montaient dans l’air mon bras et mon épaule étaient tordus sous moi

qu’y a-t-il que fais-tu

ses muscles se contractaient je m’assis

c’est mon couteau je l’ai laissé tomber

elle se redressa

quelle heure est-il

je ne sais pas

elle se leva je cherchais à tâtons par terre

je m’en vais laisse-le va

je pouvais sentir qu’elle était là debout je pouvais sentir ses vêtements humides sentir qu’elle était là

il est ici quelque part

laisse-le donc tu le trouveras demain viens

attends une minute je vais le trouver

as-tu peur

le voilà il était ici tout près

vraiment viens

je me levai et la suivis nous avons gravi la pente les grillons muets à notre approche

c’est drôle comme on peut s’asseoir laisser tomber quelque chose et être obligé de le chercher

le gris tout était gris des lignes de rosée montaient en diagonales vers le ciel gris et les arbres plus loin

ce maudit chèvrefeuille si seulement il pouvait cesser

autrefois tu l’aimais

nous arrivâmes en haut et nous dirigeâmes vers les arbres elle se heurta à moi puis s’écarta un peu le fossé faisait une cicatrice noire dans l’herbe grise de nouveau elle se heurta à moi elle me regarda puis s’écarta nous atteignîmes le fossé

allons de ce côté

pourquoi

pour voir si on peut voir encore les os de Nancy il y a longtemps que je n’ai pas pensé à les regarder et toi

c’était un fouillis de lianes et de ronces noires

c’est là qu’ils étaient je ne peux pas voir s’ils y sont encore et toi

assez Quentin

viens

le fossé se rétrécissait se fermait elle tourna vers les arbres

assez Quentin

Caddy

je me remis devant elle

Caddy

assez

je la tenais

j’ai plus de force que toi

elle était immobile tendue inflexible mais pourtant

je ne résisterai pas assez tu entends assez

Caddy non Caddy

ça ne servira à rien tu le sais bien à rien du tout lâche-moi

le chèvrefeuille s’égouttait s’égouttait comme de la bruine je pouvais entendre les grillons nous observer en cercle elle recula tourna autour de moi se dirigea vers les arbres

rentre à la maison tu n’as pas besoin de venir

je m’éloignai

pourquoi ne rentres-tu pas à la maison

ce maudit chèvrefeuille

nous atteignîmes la barrière elle se courba et je me courbai aussi pour la franchir et quand je me redressai il sortait des arbres dans la grisaille il s’approchait de nous venait vers nous grand plat immobile bien qu’en mouvement comme s’il restait là immobile et elle alla vers lui

je te présente Quentin je suis mouillée je suis mouillée des pieds à la tête tu n’es pas obligé si tu ne veux pas

leurs ombres une seule ombre je la vis relever la tête elle dépassait celle de l’homme sur le ciel plus haut leurs deux têtes

tu n’es pas obligé si tu ne veux pas

et puis il n’y eut plus deux têtes les ténèbres sentaient la pluie l’herbe humide les feuilles la lumière grise qui s’égouttait comme de la bruine le chèvrefeuille montant en vagues humides je pouvais voir le visage de Caddy tache indécise sur l’épaule de l’homme il l’enlaçait d’un bras comme si elle eût été une petite fille il tendit la main

enchanté de faire votre connaissance

nous nous serrâmes la main puis nous restâmes là debout son ombre très haute contre celle de l’homme une seule ombre

que vas-tu faire Quentin

me promener un moment je vais je crois regagner la route à travers bois et revenir par la ville

je fis demi-tour

bonsoir

Quentin

je m’arrêtai

que me veux-tu

dans les bois les petites grenouilles chantaient sentant la pluie dans l’air on eût dit des petites boîtes à musique dures à tourner et le chèvrefeuille

 viens ici

que me veux-tu

viens ici Quentin

je revins elle me toucha l’épaule en se penchant son ombre la tache de son visage penchée détachée de la grande ombre de l’homme je me reculai

attention

rentre à la maison

je n’ai pas sommeil je vais aller me promener

attends-moi au ruisseau

je vais aller me promener

j’y serai bientôt attends-moi attends

non je vais me promener dans les bois

je ne me retournai pas les petites grenouilles ne se souciaient pas de moi la lumière grise comme de la mousse dans les arbres tombait en bruine et pourtant il ne pleuvait pas au bout d’un instant je tournai revins à la lisière des bois et aussitôt je pus sentir de nouveau le chèvrefeuille je pouvais voir la lumière sur l’horloge du tribunal et la lueur de la ville de la place sur le ciel et les saules noirs le long du cours d’eau et la lumière aux fenêtres de maman la lumière qui brûlait encore dans la chambre de Benjy et je me baissai pour franchir la clôture je traversai le pré en courant et je courus dans l’herbe grise parmi les grillons le chèvrefeuille sentait plus fort toujours plus fort et l’odeur de l’eau puis je vis l’eau couleur de chèvrefeuille gris et je me couchai sur la rive la face contre terre pour éviter de respirer sentir le chèvrefeuille alors je ne le sentais plus et je suis resté là couché sentant la terre pénétrer mes vêtements écoutant l’eau et au bout d’un moment ma respiration s’est calmée et je suis resté là couché pensant que si je ne bougeais pas le visage je n’aurais plus à respirer si fort à le sentir puis je cessai complètement de penser et elle s’est approchée sur la rive et s’est arrêtée et je n’ai pas bougé

il est tard il faut rentrer

quoi

rentre à la maison il est tard

bien

sa robe bruissait je ne bougeais pas et sa robe cessa de faire du bruit

vas-tu rentrer comme je te l’ai dit

je n’ai rien entendu

Caddy

oui je rentrerai si tu le veux je rentrerai

je m’assis elle était assise par terre le genou dans ses deux mains croisées

rentre à la maison comme je t’ai dit

oui je ferai tout ce que tu voudras tout oui

elle ne me regardait même pas je la saisis par l’épaule et la secouai rudement assez

je la secouai

assez assez

oui

elle leva la tête et je vis alors qu’elle ne me regardait même pas je pouvais voir le cercle blanc

lève-toi

je la tirai elle faisait la morte je la mis sur ses pieds

allons marche

est-ce que Benjy criait encore quand tu es parti

allons marche

nous traversâmes le ruisseau et le toit apparut puis les fenêtres en haut

il dort maintenant

je dus m’arrêter et fermer la grille elle continua dans la lumière grise l’odeur de pluie et il ne pleuvait toujours pas et le chèvrefeuille commençait à monter de la haie du jardin commençait elle pénétra dans l’ombre je pouvais entendre ses pas

Caddy

je m’arrêtai aux marches je ne pouvais plus entendre ses pas

Caddy

j’entendis ses pas puis ma main toucha la sienne ni chaude ni froide simplement calme sa robe un peu humide encore

l’aimes-tu maintenant

respiration lente comme une respiration lointaine

Caddy l’aimes-tu maintenant

je ne sais pas

hors de la lumière grise les ombres des choses comme des choses mortes dans de l’eau stagnante

je voudrais que tu sois morte

vraiment alors tu rentres

penses-tu à lui en ce moment

je ne sais pas

dis-moi à quoi penses-tu dis-moi

assez assez Quentin

tais-toi tais-toi tu m’entends tais-toi vas-tu te taire

oui je me tairai nous ferions trop de bruit

je te tuerai tu m’entends

allons vers le hamac ici on t’entendrait

je ne pleure pas est-ce que tu prétends que je pleure

non chut maintenant nous réveillerions Benjy

rentre maintenant rentre

je suis ne pleure pas je suis une fille perdue de toute façon tu n’y peux rien

une malédiction pèse sur nous ce n’est pas notre faute est-ce que c’est notre faute

chut allons va te coucher

tu ne peux pas m’y forcer nous sommes maudits

je finis par l’apercevoir il entrait chez le coiffeur il regarda je continuai et attendis

voilà deux ou trois jours que je vous cherche

vous vouliez me voir

je vais vous voir à l’instant même

il roula une cigarette rapidement en deux ou trois mouvements il fit craquer l’allumette sur son pouce nous ne pouvons pas causer ici nous pourrions peut-être prendre rendez-vous quelque part

 j’irai vous trouver dans votre chambre à l’hôtel

 non ça ne me semble pas très pratique vous connaissez le pont sur la rivière là-bas derrière la

oui parfaitement

à une heure précise

oui parfaitement

à une heure précise

oui

je tournai les talons

je vous remercie

dites-moi

je m’arrêtai et me retournai

il ne lui est rien arrivé

il avait l’air en bronze avec sa chemise kaki

elle n’a que moi sur qui compter maintenant

je serai là-bas à une heure

elle m’a entendu dire à T. P. de seller Prince à une heure elle ne cessait de m’observer et mangeait à peine elle est venue aussi

que vas-tu faire

rien je n’ai pas le droit d’aller me promener à cheval si j’en ai envie

tu as quelque chose en tête qu’est-ce que c’est

ça ne te regarde pas putain putain

T. P. tenait Prince devant la porte de service

j’ai changé d’avis j’irai à pied

je descendis l’allée franchis la grille pris le sentier ensuite je me mis à courir avant d’avoir atteint le pont je l’ai aperçu appuyé au parapet son cheval était attaché dans le bois il regarda par-dessus son épaule puis tourna le dos il ne leva les yeux que lorsque j’arrivai sur le pont et m’arrêtai il avait un morceau d’écorce dans les mains il en brisait des fragments qu’il jetait dans l’eau par-dessus le parapet

je suis venu vous dire de quitter la ville

d’un geste décidé il brisa un morceau d’écorce et soigneusement il le laissa tomber dans l’eau et le regarda s’éloigner

j’ai dit qu’il vous fallait quitter la ville

il me regarda

c’est elle qui vous envoie

je vous dis de vous en aller ce n’est ni mon père ni personne c’est moi

écoutez gardons ça pour plus tard je veux savoir s’il ne lui est rien arrivé si on ne l’a pas ennuyée là-bas

ça c’est une chose dont vous n’avez pas lieu de vous tourmenter

puis je m’entendis dire je vous donne jusqu’au coucher du soleil pour quitter la ville

il brisa un morceau d’écorce et le laissa tomber dans l’eau puis il posa l’écorce sur le parapet et roula une cigarette très vite avec ces deux mêmes mouvements il jeta l’allumette par-dessus le parapet

qu’est-ce que vous ferez si je ne pars pas

je vous tuerai ne croyez pas que parce que je ne vous semble qu’un gamin

la fumée sortit en deux bouffées de ses narines et lui barra le visage

quel âge avez-vous

je commençais à trembler mes mains étaient posées sur le parapet je pensai que si je les cachais il saurait pourquoi

je vous donne jusqu’à ce soir

dites-moi mon petit ami comment vous appelez-vous Benjy est l’idiot n’est-ce pas et vous

Quentin

c’est ma bouche qui le dit pas moi

je vous donne jusqu’au coucher du soleil

Quentin

il frotta sa cigarette sur le parapet pour en détacher la cendre il le fit lentement soigneusement comme quand on affile un crayon mes mains ne tremblaient plus

écoutez ce n’est pas la peine de prendre ça si au sérieux ce n’est pas de votre faute mon petit ç’aurait été quelqu’un d’autre

Avez-vous jamais eu une sœur répondez

non mais ce sont toutes des garces

je le frappai la main grande ouverte résistant à l’instinct de la fermer sur son visage sa main agit aussi vite que la mienne la cigarette sauta par-dessus le parapet je lançai mon autre main il la saisit aussi avant que la cigarette eût atteint la surface de l’eau il me tenait les deux poignets dans la même main son autre main plongea sous son veston près de l’aisselle derrière lui le soleil baissait et un oiseau chantait quelque part plus loin que le soleil nous nous regardions face à face tandis que l’oiseau chantait il me lâcha les mains

regardez

il prit l’écorce déposée sur le parapet et la jeta dans l’eau elle flotta le courant l’emporta sa main sur le parapet tenait négligemment le revolver nous attendions

vous ne pouvez pas l’atteindre maintenant

non

l’écorce s’enfuyait le silence régnait dans les bois j’entendis de nouveau l’oiseau et l’eau puis le revolver se redressa il ne visa pas du tout l’écorce disparut puis il n’en resta que des morceaux épars à la surface il tira encore à deux reprises sur des fragments d’écorce pas plus gros que des dollars d’argent

cela suffit je pense

il ouvrit le barillet souffla dans le canon un filet ténu de fumée se dissipa il rechargea les trois coups referma le barillet et m’offrit le revolver par la crosse

pourquoi je n’ai pas la prétention de tirer aussi bien que vous

vous en aurez besoin d’après ce que vous m’avez dit je vous donne celui-là parce que vous avez vu ce qu’il peut faire

allez vous faire foutre avec votre revolver

je le frappai j’essayais encore de le frapper bien après qu’il m’eut saisi les poignets mais j’essayais toujours ensuite ce fut comme si je le regardais à travers un morceau de verre de couleur je pouvais entendre mon sang puis je pus revoir le ciel et les branches qui s’y détachaient et le soleil qui les transperçait et il me maintenait sur mes jambes

 m’avez-vous frappé

je ne pouvais entendre

quoi

oui comment vous sentez-vous

bien lâchez-moi

il me lâcha je m’appuyai au parapet

comment ça va

laissez-moi je n’ai rien

pourrez-vous rentrer chez vous tout seul

partez laissez-moi

vous feriez mieux de ne pas essayer de rentrer à pied prenez plutôt mon cheval

allez-vous-en

vous n’avez qu’à laisser les rênes sur le pommeau et le laisser marcher il rentrera de lui-même à l’écurie

laissez-moi partez laissez-moi

je m’appuyais au parapet les yeux fixés sur l’eau je l’entendis détacher son cheval et s’éloigner au bout d’un instant je n’entendis plus rien sauf le bruit de l’eau et puis l’oiseau encore je quittai le pont et m’assis le dos contre un arbre et j’appuyai ma tête contre l’arbre et je fermai les yeux une tache de soleil passa à travers et tomba sur mes yeux je me poussai un peu de l’autre côté de l’arbre et j’entendis l’oiseau encore et le bruit de l’eau puis tout sembla s’éloigner disparaître en roulant je ne sentis plus rien et je me sentais presque bien après tant de jours et de nuits avec le chèvrefeuille qui s’élevait des ténèbres pénétrait dans ma chambre où je m’efforçais de dormir même quand je compris au bout d’un instant qu’il ne m’avait pas frappé qu’il avait menti dans l’intérêt de Caddy que je m’étais simplement évanoui comme une femme mais même cela n’avait plus pour moi d’importance j’étais assis le dos contre l’arbre et de petites taches de soleil frôlaient mon visage comme des feuilles jaunes sur une branche j’écoutais l’eau et ne pensais à rien même quand j’entendis le galop du cheval j’étais assis les yeux fermés et j’entendis les sabots se raidir racler le sable bruissant et des pieds qui couraient et les mains dures de Caddy qui couraient également

 idiot idiot es-tu blessé

j’ouvris les yeux ses mains couraient sur mon visage

je ne savais pas de quel côté jusqu’au moment où j’ai entendu le revolver je ne savais pas où je n’aurais jamais cru que toi et lui s’enfuir filer ainsi je ne croyais pas qu’il aurait

elle me tenait le visage entre ses mains me cognait la tête contre l’arbre

assez assez

je lui saisis les poignets

finis mais finis donc

je savais bien qu’il ne le ferait pas je savais bien

elle s’efforçait de me cogner la tête contre l’arbre

 je lui ai dit de ne plus jamais m’adresser la parole je lui ai dit

elle s’efforçait de libérer ses poignets

lâche-moi

assez j’ai plus de force que toi assez

lâche-moi il faut que je le rattrape que je lui demande son lâche-moi Quentin je t’en prie lâche-moi lâche-moi

et brusquement elle renonça et ses poignets se détendirent

oui je peux lui dire je peux lui faire croire n’importe quand je le peux

Caddy

elle n’avait pas attaché Prince et il pouvait rentrer à l’écurie s’il lui en prenait fantaisie

n’importe quand il me croira

est-ce que tu l’aimes Caddy

si je quoi

elle me regarda et le vide se fit dans ses yeux et on eût dit des yeux de statue vagues aveugles et sereins

mets ta main sur ma gorge

elle prit ma main et la posa à plat sur sa gorge

maintenant dis son nom

Dalton Ames

je sentis le premier afflux de sang qui surgissait en battements rapides et forts

dis-le encore

son regard se perdait dans les arbres où le soleil perçait où l’oiseau

dis-le encore

Dalton Ames

le sang battait régulièrement battait battait contre ma main

Il coula pendant longtemps, mais mon visage me semblait froid, mort pour ainsi dire, et mon œil et la coupure de mon doigt recommençait à me brûler. Je pouvais entendre Shreve qui actionnait la pompe, puis il revint avec une cuvette où flottait une bulle de crépuscule, ronde avec un bord jaune, comme un ballon qui disparaît, puis mon reflet. Je tâchai d’y voir mon visage.

— Ça ne saigne plus ? dit Shreve. Passe-moi le mouchoir. » Il voulut me le prendre des mains.

— Attends, dis-je, je peux le faire. Oui, c’est à peu près fini maintenant. » Je trempai de nouveau le mouchoir, brisant le ballon. Le mouchoir tacha l’eau.

« J’aimerais bien en avoir un propre. »

— Il te faudrait une tranche de bifteck sur cet œil, dit Shreve. Tu parles d’un bleu que tu auras demain matin ! L’enfant de putain ! dit-il.

— Est-ce que je lui ai fait mal ? » J’exprimai l’eau du mouchoir et tâchai d’enlever le sang qui tachait mon gilet.

— Tu ne pourras pas l’enlever, dit Shreve. Faudra que tu l’envoies chez le détacheur. Viens. Tiens-le sur ton œil. Pourquoi ne le fais-tu pas, voyons ?

— Je peux en enlever un peu », dis-je. Mais je n’obtins guère de résultat. « Dans quel état est mon col ? »

— Je ne sais pas, dit Shreve. Tiens-le sur ton œil. Là.

— Attends, dis-je, je peux le faire. Est-ce que je lui ai fait mal ?

— Il se peut que tu l’aies touché. J’ai peut-être cligné des yeux à ce moment-là, ou je regardais peut-être de l’autre côté. Il t’a sacrément boxé. Il t’envoyait promener de tous les côtés. En voilà une idée de lui tomber dessus à coups de poing. Bougre d’idiot ! Comment te sens-tu ?

— Très bien, dis-je. Je voudrais bien pouvoir nettoyer mon gilet.

— Oh, tu nous embêtes avec ton gilet. Est-ce que ton œil te fait mal ?

— Je me sens bien », dis-je. Tout me semblait calme et comme violet, le ciel vert tournant à l’or derrière le pignon de la maison, et un plumet de fumée qui s’échappait de la cheminée dans l’air immobile. J’entendis de nouveau la pompe. Un homme remplissait un seau tout en nous regardant par-dessus son épaule en mouvement. Une femme passa dans l’embrasure de la fenêtre, mais sans regarder au-dehors. Je pouvais entendre une vache mugir quelque part.

— Allons, dit Shreve, laisse tes vêtements tranquilles et mets ce mouchoir sur ton œil. J’enverrai ton complet à détacher demain matin, à la première heure.

— Bon. Je regrette de n’avoir pas au moins saigné un peu sur lui.

— L’enfant de putain ! » dit Shreve. Spoade sortit de la maison en parlant, je crois, à la femme, et il traversa la cour. Il me regarda de son œil froid, inquisiteur.

— Alors, vieux, dit-il en me regardant. Tu peux dire que tu te donnes du mal pour t’amuser. Un enlèvement suivi d’un combat de boxe. Qu’est-ce que tu fais pendant tes vacances ? Tu fous le feu aux maisons ?

— Je n’ai pas de mal, dis-je. Qu’a dit Mrs Bland ?

— Elle engueule Gerald pour t’avoir mis en sang. Quand elle te verra, elle t’engueulera aussi pour l’avoir laissé faire. Elle n’a pas d’objection contre la boxe, c’est le sang qu’elle n’aime pas. Je crains que tu n’aies un peu perdu de ta cote auprès d’elle pour n’avoir pas su t’empêcher de saigner. Comment te sens-tu ?

— Certainement, dit Shreve. Quand on ne peut pas être un Bland soi-même, ce qu’il y a de mieux, selon les cas, c’est de coucher, de se soûler ou de se battre avec l’un d’eux.

— Absolument, dit Spoade, mais je ne savais pas que Quentin était soûl,

— Il ne l’était pas, dit Shreve. Est-ce qu’on a besoin d’être soûl pour avoir envie de foutre une volée à ce salaud-là ?

— Je crois qu’il faudrait que je le sois bougrement pour me frotter à lui, maintenant que j’ai vu dans quel état Quentin en est sorti. Où a-t-il appris à boxer ?

— Il a pris des leçons en ville, chez Mike, tous les jours.

— Vraiment ? dit Spoade. Tu savais ça quand tu lui as sauté dessus ?

— Je ne sais pas, dis-je. Probablement, oui.

— Mouille-le encore, dit Shreve. Veux-tu de l’eau fraîche ?

— Celle-ci fera l’affaire », dis-je. Je trempai le mouchoir et le mis sur mon œil. « Si seulement j’avais quelque chose pour nettoyer mon gilet. »

Spoade m’observait toujours.

— Dis donc, dit-il, pourquoi lui as-tu sauté dessus ? Qu’est-ce qu’il avait dit ?

— Je ne sais pas. Je ne sais pas pourquoi je l’ai fait.

— Au moment où on s’y attendait le moins voilà que tu fais un bond en lui criant : « As-tu jamais eu une sœur, dis, réponds ? » et quand il a dit non tu lui as foutu un coup de poing. J’avais bien remarqué que tu le regardais, mais tu n’avais pas l’air de faire attention à ce que nous disions, et puis, voilà que tu lui sautes dessus en lui demandant s’il avait une sœur.

— Oh, il faisait de l’esbroufe comme d’habitude avec ses histoires de femmes, dit Shreve. Vous connaissez son genre devant les jeunes filles qui ne savent même pas exactement de quoi il parle. Son système d’allusions, de mensonges, un tas de bobards qui ne signifient rien. Il nous parlait du lapin qu’il avait posé à une fille à qui il avait donné rendez-vous dans un dancing, à Atlantic City, comment il était rentré se coucher à l’hôtel, tout triste à l’idée qu’elle l’attendait sur la jetée et qu’il ne serait pas là pour lui donner ce qu’elle espérait. Et toutes ces histoires sur la beauté du corps et sur ses tristes fins dernières, sur la guigne des femmes qui n’ont pas d’autre ressource que de se coucher sur le dos. Léda tapie dans les fourrés, gémissante et plaintive, en quête de son cygne, vous vous rendez compte ! L’enfant de putain ! J’lui aurais bien foutu quelque chose moi-même. Seulement, je me serais servi du sacré panier à bouteilles de sa mère si ç’avait été moi.

— Oh, dit Spoade, le champion des dames. Mon vieux, tu me soulèves non seulement d’admiration mais d’horreur. » Il me regarda froid, inquisiteur, « Bon Dieu ! » dit-il.

— Je regrette de l’avoir frappé, dis-je. Est-ce que je suis trop amoché pour retourner régler l’affaire ?

— Des excuses, j’t’en fous, dit Shreve. Ils n’ont qu’à aller se faire foutre. Nous rentrons en ville.

— Il devrait aller les retrouver pour leur montrer qu’il sait se battre comme un gentleman, dit Spoade, se faire rosser comme un gentleman, je veux dire.

— Comme ça, dit Shreve, avec ses vêtements tout pleins de sang !

— Bon, ça va, dit Spoade, tu sais mieux que moi ce qu’il a à faire.

— Il ne peut pas se présenter en gilet de corps, dit Shreve. Il n’est pas encore en quatrième année. Viens, rentrons en ville.

— Vous n’avez pas besoin de rentrer, dis-je. Retournez au pique-nique.

— Qu’ils aillent se faire foutre ! dit Shreve. Allons, viens.

— Qu’est-ce que je vais leur dire ? dit Spoade. Que vous vous êtes battus aussi, tous les deux ?

— Ne leur dis rien, dit Shreve. À elle, tu peux lui dire que son option a expiré au coucher du soleil. Viens, Quentin, je vais demander à cette femme où est le tramway le plus proche.

— Non, dis-je. Je ne veux pas rentrer en ville. Shreve s’arrêta et me regarda. Quand il se retourna ses lunettes ressemblèrent à deux petites lunes jaunes.

— Qu’est-ce que tu vas faire ?

— Je ne rentre pas déjà. Retourne au pique-nique. Dis-leur que je ne vais pas les retrouver parce que mes vêtements sont sales.

— Dis-moi, dit Shreve. Qu’est-ce que tu as en tête ?

— Rien. Je me sens très bien. Pars avec Spoade. À demain. » Je traversai la cour et me dirigeai vers la route.

— Sais-tu où se trouve l’arrêt du tram ? dit Shreve.

— Je trouverai. À demain. Dis à Mrs Bland que je regrette d’avoir troublé sa petite fête. » Ils m’observaient. Je contournai la maison. Une allée empierrée conduisait à la route. Des roses poussaient de chaque côté de l’allée. Je franchis la grille et me trouvai sur la route. Elle descendait vers les bois, et je pus apercevoir l’auto sur le bord de la route. Je montai la côte. La lumière augmentait à mesure que je montais, et je n’étais pas encore au sommet que j’entendis une auto. Elle semblait très loin, au-delà du crépuscule. Je m’arrêtai pour l’écouter. Je ne pouvais plus distinguer l’auto, mais Shreve était debout sur la route, devant la maison, les yeux tournés vers le sommet de la côte. Derrière lui, la lumière jaune reposait, comme une couche de peinture, sur le toit de la maison. Je levai la main et franchis le sommet de la côte en écoutant l’automobile. Puis la maison disparut, et je m’arrêtai dans la lumière verte et jaune, et j’entendis le bruit de l’auto qui s’amplifiait jusqu’au moment où, commençant à diminuer, il s’éteignit brusquement. J’attendis qu’il recommençât, puis je repartis.

Comme je descendais, la lumière faiblissait lentement sans cependant changer de nature. On aurait dit plutôt que c’était moi, et non pas la lumière, qui changeais, m’affaiblissais bien que, même lorsque la route pénétra sous les arbres, on eût pu cependant lire encore son journal. Je ne tardai pas à arriver à un sentier. Je le pris. Il y faisait plus noir, plus resserré, que sur la route, mais, quand il déboucha près de la halte du tramway – encore une marquise en bois – la lumière était toujours la même. À la sortie du sentier elle me semblait plus vive, comme si, dans le sentier, j’avais marché la nuit pour en ressortir le matin. Le tram ne tarda pas à arriver. J’y montai tandis que les têtes se tournaient pour regarder mon œil, et je trouvai une place à gauche.

Le tram était éclairé et, tant que nous roulions entre les arbres, je ne pouvais voir que ma propre figure et une femme en face de moi, avec un chapeau perché sur le haut de la tête et orné d’une plume cassée. Mais, quand nous sommes sortis des arbres, j’ai revu le crépuscule, cette même qualité de lumière, comme si le temps avait vraiment suspendu son cours, comme si le soleil s’était arrêté juste au-dessous de l’horizon. Puis, nous passâmes devant la verrière sous laquelle le vieillard avait mangé ce qu’il tirait de son sac. Et la route continuait sous le crépuscule, pénétrait dans ce crépuscule, et l’impression de l’eau, plus loin, vive et paisible. Et le tram continuait. Par la porte ouverte, le courant d’air s’accrut, finit par souffler sans arrêt dans toute la voiture l’odeur de l’été et l’odeur des ténèbres, mais pas du chèvrefeuille. L’odeur de chèvrefeuille, à mon avis, l’odeur la plus triste. Je me rappelle bien des odeurs. Celle de la glycine, par exemple. Les jours de pluie, quand maman ne se sentait tout de même pas assez mal pour se tenir loin des fenêtres, nous jouions souvent sous la glycine. Quand maman gardait le lit, Dilsey nous mettait de vieux vêtements et nous laissait sortir sous la pluie car, disait-elle, la pluie ne fait pas de mal aux enfants. Mais si maman était levée, nous commencions toujours par jouer sur la véranda jusqu’au moment où elle disait que nous faisions trop de bruit ; alors, nous sortions et nous allions nous amuser sous la tonnelle de glycine.

C’est ici que, ce matin, j’avais vu la rivière pour la dernière fois. Ici, à peu près. J’avais la sensation que l’eau était là-bas, au-delà du crépuscule, et que je la sentais. Quand il fleurissait au printemps et qu’il pleuvait l’odeur était partout en temps ordinaire on la remarquait moins mais dès qu’il pleuvait l’odeur s’infiltrait dans toute la maison soit qu’il plût davantage à la tombée du jour soit qu’il y eût quelque chose dans la lumière même mais à cette heure-là l’odeur était toujours plus forte si bien que je pensais étendu dans mon lit ça ne cessera donc pas ça ne cessera donc pas. Le courant d’air de la porte sentait l’eau, un souffle humide, continu. Parfois je me faisais dormir en répétant indéfiniment cette phrase et après que le chèvrefeuille y fut intimement mêlé le tout symbolisa pour moi la nuit et la nervosité il me semblait être étendu ni endormi ni éveillé les regards plongés dans un long corridor où dans le clair-obscur gris toutes les choses stables devenaient paradoxalement imprécises tout ce que j’avais fait n’était plus que des ombres tout ce que j’avais senti souffert affectait des formes étranges et perverses moqueuses sans rapports inhérentes elles-mêmes à ce refus de significations qu’elles eussent dû affirmer pensant que j’étais n’étais pas qui n’était pas n’était pas qui.

Je pouvais sentir les méandres de la rivière par-delà le crépuscule, et je voyais les dernières lueurs qui reposaient, tranquilles, sur les grèves ainsi que des fragments de miroir brisé ; puis, plus loin, des lumières apparaissaient dans l’air limpide et pâle, tremblantes un peu, comme des papillons voltigeant tout au loin. Benjamin l’enfant de(32). Comme il aimait s’asseoir devant ce miroir. Refuge infaillible où les conflits s’apaisaient, se taisaient réconciliés. Benjamin l’enfant de ma vieillesse gardé en otage en Égypte. Oh Benjamin. Dilsey disait que c’était parce que maman était trop fière pour lui. C’est ainsi qu’ils pénètrent dans la vie des Blancs, en infiltrations noires, soudaines et aiguës qui isolent un instant, comme sous un microscope, les faits des existences blanches et en dégagent les vérités indiscutables ; le reste du temps, des voix seulement, qui rient là où nous ne voyons rien de risible, des larmes sans raison de pleurer. On en a vu qui, lors des enterrements, pariaient que les personnes seraient en nombre pair ou impair. Tout un bordel de Memphis fut pris soudain de folie religieuse. Nues, elles se répandirent par les rues de la ville. Il fallut trois agents pour maîtriser l’une d’elles. Oui Jésus. O bon Jésus. O Jésus, mon bon maître.

Le tram s’arrêta. Je descendis, et tous regardaient mon œil. Quand le tram à trolley arriva il était plein. Je restai sur la plate-forme arrière.

— Y a des places devant », dit le contrôleur. Je regardai à l’intérieur. Il n’y avait pas de place du côté gauche.

— Je ne vais pas loin, dis-je. Je resterai debout.

Nous traversâmes la rivière, le pont c’est-à-dire, arqué, lent et très haut dans l’espace, entre le vide et le silence où des lumières – jaunes, rouges et vertes – tremblaient dans l’air limpide et se reproduisaient.

— Vous feriez mieux d’aller vous asseoir devant, dit le contrôleur.

— Je descends tout de suite, dis-je. À la deuxième ou troisième rue.

Je descendis avant d’arriver à la poste. Ils devaient tous être assis par là, quelque part, en ce moment ; et alors j’entendis ma montre et je guettai le carillon et je touchai la lettre de Shreve à travers mon veston tandis que sur ma main flottaient les ombres mordues des ormeaux. Et comme j’entrais dans la grande cour de l’Université, le carillon commença à sonner, et je marchai pendant que les notes montaient comme des cercles sur un étang, me dépassaient, s’évanouissaient, disant moins le quart de quoi ? Très bien. Moins le quart de quoi.

Nos fenêtres étaient noires. L’entrée était vide. J’entrai en longeant le mur de gauche, mais il était vide : rien que l’escalier dont la spirale s’élevait dans les ombres, et les échos de pieds de générations tristes comme une poussière légère déposée sur les ombres que mes pieds réveillaient comme de la poussière qui doucement retomberait bientôt.

Je pus voir la lettre avant même d’avoir allumé. Elle était appuyée contre un livre pour que je la visse bien. Appeler Shreve mon mari. Et puis, Spoade avait dit qu’ils allaient quelque part, qu’ils reviendraient très tard et que Mrs Bland aurait besoin d’un autre cavalier. Mais je l’aurais aperçu et il ne pourra pas trouver de tram avant une heure parce qu’après six heures. Je sortis ma montre et en écoutai le tic-tac sans savoir qu’elle ne pouvait même pas mentir. Puis je la posai sur la table, le cadran en l’air, et, prenant la lettre de Mrs Bland, je la déchirai et en jetai les morceaux dans la corbeille aux vieux papiers. Ensuite, j’enlevai mon veston, mon gilet, mon col, ma cravate, ma chemise. La cravate aussi était tachée, mais, en ce cas, les nègres. Peut-être y verrait-il un dessin de sang, comme en portait le Christ par exemple. Je trouvai l’essence dans la chambre de Shreve. J’étendis mon gilet sur la table pour qu’il fût bien à plat et je débouchai le flacon d’essence.

la première auto de la ville une jeune fille Jeune Fille c’est cela que Jason ne pouvait pas supporter l’odeur d’essence ça le rendait malade ensuite plus furieux que jamais parce qu’une jeune fille Jeune Fille n’avait pas de sœur mais Benjamin Benjamin le fils de ma en proie à la douleur si au moins j’avais eu une mère alors je pourrais dire Mère Mère Il m’a fallu beaucoup d’essence, ensuite je n’aurais pas su dire si la tache était toujours là ou si c’était l’essence. Du coup, la coupure s’était remise à me brûler, aussi, quand j’allai me laver, je pendis mon gilet sur une chaise et je tirai le fil de la lampe afin que l’ampoule pût faire sécher la tache. Je me lavai la figure et les mains, mais, même alors, je pouvais la sentir à travers le savon, qui me cuisait, me contractait légèrement les narines. Ensuite, j’ouvris ma valise, j’en sortis la chemise, le col et la cravate, et je mis à la place mon linge taché de sang. Je refermai la valise et m’habillai. J’étais en train de me peigner quand j’entendis sonner la demie. Mais j’avais encore jusqu’à moins le quart sauf si par hasard ne voyant sur les ténèbres en fuite que son visage à lui pas de plume brisée à moins qu’il n’y en eût deux mais pas deux comme ça allant à Boston le même soir puis mon visage et son visage à lui un instant dans le bruit de casse quand surgies de l’obscurité deux fenêtres éclairées se heurtent dans leur fuite rigide disparu son visage et le mien plus que moi qui vois ai vu ai-je vu pas adieu la verrière où plus personne ne mange la route vide dans les ténèbres dans le silence le pont arqué dans le silence obscurité sommeil l’eau paisible et vive pas adieu.

J’éteignis la lumière et, sortant de l’essence, me rendis dans ma chambre, mais je pouvais encore la sentir. Je restai debout à la fenêtre. Lentement les rideaux se mouvaient, sortaient des ténèbres, touchaient mon visage comme quelqu’un qui respire en dormant, puis retournaient dans les ténèbres comme une respiration très lente, me laissant le contact. Après qu’ils furent montés, maman resta prostrée dans son fauteuil, le mouchoir camphré sur la bouche. Papa n’avait pas bougé. Toujours assis près d’elle il lui tenait la main. Les hurlements s’éloignaient comme si, pour eux, il n’y eût point de place dans le silence. Quand j’étais petit il y avait une image dans un de nos livres, une chambre obscure où un rayon unique de lumière pâle venait frapper en biais deux visages levés qui sortaient des ténèbres. Tu sais ce que je ferais moi si j’étais roi ? Elle ne disait jamais reine ou fée, elle voulait toujours être roi, géant ou général je démolirais cette chambre je les en ferais sortir et je les fouetterais pour de bon. Et c’était démoli, éventré. J’étais content. Il fallait que je regarde encore jusqu’à ce que le donjon devînt ma mère elle-même, elle et mon père, en haut dans la lueur pâle, les mains enlacées, et nous perdus quelque part en dessous d’eux sans même un rayon de lumière. Puis le chèvrefeuille s’en mêlait. Dès que j’avais éteint la lumière et tenté de dormir il entrait peu à peu dans ma chambre en vagues qui montaient, montaient jusqu’au moment où, oppressé, je râlais en quête d’un peu d’air, où il me fallait me lever et m’éloigner à tâtons comme quand j’étais petit mains peuvent voir en touchant dans l’esprit modeler l’invisible porte Porte et puis le vide mains peuvent voir Mon nez pouvait voir l’essence, le gilet sur la table, la porte. Le couloir restait encore vide de tous les pieds des générations tristes en quête d’eau cependant les yeux incapables de voir serrés comme des dents pas incrédules mais doutant même du manque de douleur jambe cheville genou le long déroulement invisible de la rampe d’escalier où un faux pas dans les ténèbres emplies de sommeil Mère Père Caddy Jason Maury porte je n’ai pas peur seulement Mère Père Caddy Jason Maury si loin déjà dormant je dormirai profondément quand je Porte porte Vides également, les tuyaux, la faïence, les murs tranquilles sous leurs taches, le trône des contemplations. J’avais oublié le verre mais je pouvais mains peuvent voir doigts rafraîchis par le col de cygne invisible où point n’est besoin du bâton de Moïse(33) le verre chercher à tâtons attention à ne pas mortellement dans le col frais et lisse mortellement fraîcheur dans le métal le verre plein débordant fraîcheur sur les doigts sommeil déversé avec le goût de sommeil dans le long silence de la gorge. Je revins dans le couloir, réveillant tous les pieds perdus en bataillons bruissant dans le silence, je pénétrai de nouveau dans l’essence, la montre sur la table noire disait son mensonge furieux. Puis ce furent les rideaux qui, sortant des ténèbres, vinrent respirer sur mon visage y laissant le contact de leur respiration. Un quart d’heure encore. Et je ne serai plus. Mots paisibles entre tous. Paisibles entre tous. Non fui. Sum. Fui. Non sum. Une fois, j’ai entendu des cloches quelque part. Mississippi ou Massachusetts. J’étais. Je ne suis pas. Massachusetts ou Mississippi. Shreve a une bouteille dans sa malle. Quand te décideras-tu à l’ouvrir Mr et Mrs Jason Richmond Compson ont le plaisir de vous faire part du Trois fois. Jours. Quand te décideras-tu à l’ouvrir mariage de leur fille Candace l’alcool vous enseigne à confondre la fin avec les moyens. Je suis. Bois. Je n’étais pas. Vendons le pré de Benjy afin que Quentin puisse aller à Harvard que je puisse éternellement entrechoquer mes os. Je serai mort dans. Caddy a-t-elle dit un an. Shreve a une bouteille dans sa malle. Monsieur je n’aurai pas besoin de celle de Shreve j’ai vendu le pré de Benjy et je puis être mort à Harvard Caddy dit dans les cavernes les grottes de la mer ballotté tranquillement au rythme des marées parce que Harvard sonne si joliment à l’oreille quarante hectares ça n’est pas trop cher pour un si joli son. Un joli son mort nous échangerons le pré de Benjy pour un joli son mort. Ça lui durera longtemps parce qu’il ne peut l’entendre à moins qu’il ne le sente dès qu’elle apparut sur le pas de la porte il se mit à pleurer. J’avais toujours cru que c’était un de ces jeunes gandins de la ville à propos de qui papa la taquinait toujours jusqu’à. Je ne l’avais pas plus remarqué qu’un étranger quelconque, un voyageur de commerce, n’importe qui, je croyais que c’étaient des chemises de l’armée quand soudain j’ai compris qu’il ne voyait point en moi une source possible de mal mais qu’il pensait à elle quand il me regardait qu’il me regardait à travers elle comme à travers un fragment de vitre de couleur pourquoi te mêles-tu de mes affaires tu ne sais donc pas que ça ne servira à rien je pensais que tu aurais laissé ça à maman et à Jason.

est-ce que maman a chargé Jason de t’espionner Je n’aurais pas.

les femmes ne font qu’appliquer le code d’honneur des autres c’est parce qu’elle aime Caddy restant en bas même lorsqu’elle était malade pour empêcher papa de se moquer de l’oncle Maury en présence de Jason papa disait que l’oncle Maury avait l’esprit trop peu classique pour risquer l’éternel petit dieu aveugle en personne il aurait dû choisir Jason parce que Jason n’aurait pu faire que la même gaffe que l’oncle Maury aucun risque d’un œil au beurre noir le petit Patterson était également plus petit que Jason ils ont vendu les cerfs-volants à cinq cents pièce jusqu’au moment où commencèrent les difficultés financières Jason prit un nouvel associé encore plus petit assez petit en tout cas car T. P. a dit que Jason était toujours trésorier mais papa disait pourquoi l’oncle Maury travaillerait-il étant donné que lui papa entretenait cinq ou six nègres à ne rien faire que se chauffer les pieds dans le four il pouvait bien de temps à autre offrir le gîte et le couvert à l’oncle Maury et lui prêter un peu d’argent lui qui entretenait si chaudement la croyance de son père en l’origine céleste de sa race alors maman pleurait et disait que papa se considérait comme d’une essence supérieure à la sienne et qu’il tournait l’oncle Maury en ridicule pour nous faire partager ses vues elle ne pouvait pas comprendre que papa nous enseignait que les hommes ne sont que des poupées bourrées de son puisé au tas de détritus où ont été jetées toutes les poupées du passé le son s’écoulant de blessures dans des flancs qui n’avaient pas souffert la mort pour moi. Il m’arrivait de me représenter la mort comme un homme dans le genre de grand-père un de ses amis une espèce d’ami particulier personnel comme nous nous représentions le bureau de grand-père ne pas y toucher ni même parler haut dans la pièce où il se trouvait je me les imaginais toujours tous les deux ensemble quelque part attendant perpétuellement que le colonel Sartoris descendît s’asseoir avec eux attendant sur une haute colline par-delà les cyprès le colonel Sartoris était sur une colline encore plus haute d’où il regardait quelque chose au loin et ils attendaient qu’il eût fini de regarder et qu’il descendît(34) Grand-père portait son uniforme et nous pouvions entendre le murmure de leurs voix qui nous arrivait par-derrière les cyprès ils parlaient toujours et grand-père avait toujours raison.

 Moins le quart se mit à sonner. La première note vibra, mesurée et tranquille, sereine et péremptoire, vidant le lent silence pour faire place à la note suivante c’est ça si les gens pouvaient toujours s’interchanger comme ça émerger quelques secondes comme une flamme tourbillonnante puis proprement s’éteindre dans la fraîcheur de la nuit éternelle au lieu de rester étendu luttant pour oublier le hamac jusqu’au moment où tous les cyprès dégageaient cette odeur poignante et morte de parfum dont Benjy avait tant horreur. Rien qu’en imaginant le bouquet d’arbres il me semblait entendre des murmures des désirs secrets sentir le battement du sang chaud sous des chairs sauvages et offertes regarder contre des paupières rougies les porcs lâchés par couples se précipiter accouplés dans la mer(35) et lui il faut se tenir éveillé pour voir le mal s’accomplir pendant quelques instants ce n’est pas tous les jours que et moi il ne faut même pas si longtemps pour un homme courageux et lui tu considères donc cela comme du courage et moi certainement pas vous et lui tout homme est l’arbitre de ses propres vertus le fait qu’on estime qu’un acte est courageux ou non est plus important que l’acte lui-même qu’aucun acte sans quoi on ne pourrait jamais être sincère et moi vous ne me croyez pas sérieux et lui je crois que tu es trop sérieux pour me donner de vraies raisons de m’inquiéter autrement tu n’aurais pas été poussé à recourir à l’expédient de me dire que tu avais commis un inceste et moi je ne mentais pas je ne mentais pas et lui tu désirais sublimer en une chose horrible un peu de la folie naturelle aux humains et puis l’exorciser au moyen de la vérité et moi c’était pour isoler Caddy de ce monde bruyant et le forcer ainsi à nous renier et le son en serait alors comme si cela n’avait jamais été et lui as-tu essayé de le lui faire faire et moi j’avais peur de le faire peur qu’elle n’acceptât peut-être et alors c’eût été inutile mais en vous disant que nous l’avions fait la chose devenait positive et les autres eussent été différents et le monde se serait enfui avec fracas et lui quant à l’autre sujet là encore tu ne mens pas maintenant mais tu ne vois pas encore ce qu’il y a en toi cette part de vérité générale la succession d’événements naturels et leurs causes qui obscurcit le front de tous les hommes même de Benjy tu ne penses pas à une chose finie tu contemples une apothéose dans laquelle un état d’esprit temporaire deviendra symétrique au-dessus de la chair et conscient à la fois de sa propre existence ainsi que de la chair il ne te mettra pas entièrement de côté ne sera même pas mort et moi temporaire et lui tu ne peux pas supporter la pensée qu’un jour tu ne souffriras plus comme ça maintenant nous arrivons au point tu sembles ne voir en tout cela qu’une aventure qui te fera blanchir les cheveux en une nuit si j’ose dire sans modifier en rien ton apparence tu ne le feras pas dans ces conditions-là ce sera une chance à courir et ce qu’il y a d’étrange c’est que l’homme conçu accidentellement et dont chaque respiration n’est qu’un nouveau coup de dés truqués à son désavantage ne veut pas affronter cette étape finale qu’il sait d’avance avoir à affronter sans essayer d’abord des expédients qui vont de la violence aux chicaneries mesquines expédients qui ne tromperaient pas un enfant et un beau jour poussé à bout par le dégoût il risque tout sur une carte retournée à l’aveuglette un homme ne fait jamais cela sous la première impulsion du désespoir du remords ou du deuil il ne le fait qu’après avoir compris que même le désespoir le remords et le deuil n’ont pas grande importance pour le sombre jeteur de dés et moi temporaire et lui on croit difficilement qu’un amour un chagrin ne sont que des obligations achetées sans motif ultérieur et qui viennent à terme qu’on le désire ou non et sont remboursées sans avertissement préalable pour être remplacées par l’emprunt quel qu’il soit que les dieux se trouvent lancer à ce moment-là non tu ne feras pas cela avant d’avoir compris que même elle ne valait peut-être pas un si grand désespoir et moi je ne ferai jamais cela personne ne sait ce que je sais et lui je crois qu’il vaudrait mieux que tu partes tout de suite pour Cambridge tu pourrais aller passer un mois dans le Maine tes moyens te le permettent si tu fais attention ça te serait peut-être très bon surveiller de près ses dépenses a cicatrisé plus de blessures que Jésus et moi et si j’avais déjà compris ce que vous pensez que je comprendrai là-bas la semaine prochaine ou le mois prochain et lui alors il faudra te rappeler que t’envoyer à Harvard a été le rêve de ta mère depuis le jour de ta naissance et un compson n’a jamais désappointé une dame et moi temporaire ça vaudra mieux pour moi et pour nous tous et lui tout homme est l’arbitre de ses propres vertus mais il ne faut jamais laisser un homme prescrire à un autre ce qu’il croit devoir lui convenir et moi temporaire et lui était le plus triste de tous les mots il n’y a rien d’autre en ce monde ce n’est pas le désespoir jusqu’à ce que le temps ce n’est même pas le temps jusqu’à ce qu’on puisse dire était.

La dernière note résonna. Les vibrations s’arrêtèrent enfin et les ténèbres reprirent leur immobilité. J’entrai dans la pièce qui nous servait de salon et j’allumai la lumière. Je mis mon gilet. L’odeur d’essence était très faible maintenant, à peine perceptible et, dans le miroir, la tache ne se voyait pas. Pas tant que mon œil en tout cas. Je mis mon veston. J’entendis le froissement de la lettre de Shreve à travers l’étoffe. Je la pris et en examinai l’adresse puis je la mis dans ma poche de côté. Ensuite je posai la montre dans la chambre de Shreve et je la mis dans son tiroir puis j’allai dans ma chambre, j’y pris un mouchoir propre et j’allai à la porte et je mis la main sur l’interrupteur électrique. Je me rappelai alors que je ne m’étais pas lavé les dents et je dus rouvrir ma valise. Je trouvai ma brosse et pris un peu de la pâte de Shreve, puis je sortis et me brossai les dents. Je séchai la brosse en la pressant le plus possible et je la remis dans ma valise que je refermai. Et je me dirigeai de nouveau vers la porte. Avant d’éteindre la lumière je regardai partout pour voir s’il n’y avait plus rien et je vis que j’avais oublié mon chapeau. Il me faudrait passer par la poste et j’étais sûr d’en rencontrer et ils me prendraient pour l’étudiant typique de Harvard qui veut jouer au senior(36). J’avais oublié aussi de le brosser, mais Shreve avait une brosse et je n’eus pas à rouvrir ma valise.