Une histoire d’amour, 1791-1796
 

L’usurier couvert d’opprobre Yankel D emporta la fillette chez lui, ce soir-là.

Allez, dit-il, montons les marches du perron. Nous y voilà. Voici ta porte. Et voici, là, ta poignée de porte, que j’ouvre. Et là, c’est l’endroit où nous posons les souliers quand nous entrons. Et c’est là que nous accrochons les vestes. Il lui parlait comme si elle le comprenait, jamais d’une petite voix aiguë ou par monosyllabes, et jamais en bêtifiant. C’est du lait que je te donne. Il vient de Mordechai, le laitier, que tu rencontreras un jour. C’est une vache qui lui donne le lait, ce qui est une chose très bizarre et troublante, quand on y pense, alors n’y pense pas… C’est ma main, qui caresse ton visage. Il y a des gens qui sont gauchers et d’autres droitiers. Toi, nous ne savons pas encore, parce que tu te contentes d’être là et de me laisser faire tout le travail manuel… Ça, c’est un baiser. C’est ce qui se produit quand les lèvres sont serrées l’une contre l’autre et appuyées contre quelque chose, parfois d’autres lèvres, parfois une joue, parfois d’autres choses encore, ça dépend… Ça, c’est mon cœur. Tu le touches avec ta main gauche, pas parce que tu es gauchère, encore que tu puisses l’être, mais parce que je la tiens contre mon cœur. Ce que tu sens, c’est les battements de mon cœur. C’est ce qui me fait vivre.

Il fit un lit de papier journal froissé au creux d’un panier à pain profond et le disposa douillettement dans le four afin qu’elle ne soit pas dérangée par le bruit des petites chutes devant la maison. Il laissait la porte du four ouverte et s’asseyait pendant des heures pour la regarder, comme on pourrait regarder lever une miche de pain. Il regardait sa poitrine se soulever et s’abaisser rapidement, tandis que ses petits doigts se refermaient et s’ouvraient et qu’elle plissait les yeux sans raison apparente. Se pourrait-il qu’elle rêve ? se demandait-il. Et si oui, à quoi rêve un bébé ? Elle doit rêver de l’avant-vie – tout comme je rêve de l’après-vie. Quand il la prenait pour la nourrir ou simplement pour la tenir dans ses bras, son corps était tatoué par l’encre du journal. ENFIN, ON NE SE TEINT PLUS LES MAINS ! LA SOURIS SERA PENDUE ! Ou SOFIOWKA, ACCUSÉ DE VIOL, PLAIDE QUE POSSÉDÉ PAR LE POUVOIR DE PERSUASION DE SON PÉNIS IL « NE SE MAÎTRISAIT PLUS ». Ou encore, AVRUM R, TUÉ DANS UN ACCIDENT AU MOULIN, LAISSE UN CHAT SIAMOIS DE QUARANTE-HUIT ANS QUI S’EST ÉGARÉ, FAUVE, POTELÉ MAIS PAS GRAS, PERSONNALITÉ SYMPATHIQUE, PEUT-ÊTRE UN PEU GRAS, RÉPOND AU NOM DE « MATHUSALEM », D’ACCORD, GRAS COMME UN COCHON. QUI LE TROUVE PEUT LE GARDER. Parfois il la berçait pour l’endormir dans ses bras et, la lisant de gauche à droite, apprenait tout ce qu’il avait besoin de savoir sur le monde. Ce qui n’était pas écrit sur elle n’avait pas d’importance pour lui.

Yankel avait perdu deux enfants au berceau, l’un de la fièvre et l’autre dans un accident au moulin industriel qui avait pris la vie d’un habitant du shtetl chaque année depuis son ouverture. Il avait aussi perdu une épouse, ce n’était pas la mort mais un autre homme qui la lui avait prise. Il était rentré d’un après-midi à la bibliothèque pour découvrir un mot posé sur le SHALOM ! du paillasson de bienvenue devant leur maison : Il fallait que je le fasse pour moi.

Lilla F tripotait la terre autour d’une de ses marguerites. Debout devant la fenêtre de sa cuisine, Bitzl Bitzl faisait mine de récurer la paillasse. Shloim W épiait à travers la tulipe supérieure d’un de ses sabliers dont il ne trouvait plus la force de se séparer. Personne n’avait rien dit pendant que Yankel lisait le mot et jamais personne ne dit rien après, comme si la disparition de son épouse n’avait strictement rien d’inhabituel ou comme s’ils n’avaient jamais remarqué qu’il avait été marié.

Pourquoi ne pouvait-elle le glisser sous la porte ! se demandait-il. Pourquoi ne pouvait-elle le plier ? On aurait dit n’importe lequel des mots qu’elle lui laissait d’ordinaire, comme, Pourrais-tu essayer d’arranger le heurtoir qui est cassé ? ou Je reviens tout de suite, ne t’inquiète pas. Il trouvait extrêmement étrange qu’un mot d’un genre si différent – Il fallait que je le fasse pour moi – puisse avoir exactement la même apparence : banale, futile, rien. Il aurait pu la haïr de l’avoir laissé là à la vue de tous, et il aurait pu la haïr de la simplicité même du message, sans ornement, sans le moindre indice de ce que oui, c’est important, oui, c’est le mot le plus douloureux que j’aie jamais écrit, oui, j’aimerais mieux mourir que d’avoir à l’écrire encore une fois. Où étaient les larmes séchées ? Où, le tremblement de l’écriture ?

Mais son épouse était son premier, son seul amour, et c’était dans la nature des gens de ce shtetl minuscule d’oublier leurs premières, leurs seules amours, alors il se contraignit à comprendre, ou à faire semblant de comprendre. Pas une fois il ne lui reprocha de s’être enfuie à Kiev avec le fonctionnaire itinérant et moustachu qu’on avait appelé comme médiateur dans la procédure brouillonne du honteux procès de Yankel ; le fonctionnaire pouvait promettre d’assurer son avenir, de l’emmener loin de tout, de l’installer en un lieu plus tranquille, débarrassée des soucis, des aveux, ou des plaidoyers. Non, ce n’est pas ça. Débarrassée de Yankel. Elle voulait être débarrassée de Yankel.

Il passa les semaines qui suivirent à chasser de son esprit les images du fonctionnaire baisant sa femme. Par terre au milieu des ustensiles de cuisine. Debout, encore en chaussettes. Sur la pelouse du jardin de leur nouvelle et immense demeure. Il l’imaginait faisant des bruits qu’elle n’avait jamais faits pour lui, éprouvant des plaisirs qu’il n’avait jamais pu lui donner parce que le fonctionnaire était un homme, et que lui n’était pas un homme. Est-ce qu’elle lui suce le pénis ? se demandait-il. Je sais que c’est une pensée idiote, une pensée qui ne m’apportera que de la douleur, mais je ne peux pas m’en libérer. Et quand elle lui suce le pénis, parce qu’elle le fait, c’est sûr, que fait-il, lui ? Lui tire-t-il les cheveux en arrière, pour regarder ? Est-ce qu’il lui pelote la poitrine ? Est-ce qu’il pense à une autre ? Je le tuerai, s’il pense à une autre.

Le shtetl épiant encore – Lilla tripotant encore, Bitzl Bitzl récurant encore, Shloim faisant encore semblant de mesurer le temps avec du sable –, il avait plié le mot en forme de larme, l’avait glissé dans son revers et était entré. Je ne sais pas quoi faire, songeait-il. Je devrais sans doute me tuer.

Il ne supportait pas de vivre mais il ne supportait pas de mourir. Il ne supportait pas la pensée qu’elle faisait l’amour avec un autre mais ne supportait pas non plus l’absence de cette pensée. Quant au mot, il ne supportait pas de le garder mais il ne supportait pas de le détruire non plus. Aussi essaya-t-il de le perdre. Il l’abandonnait près des chandeliers pleurant leur cire, le déposait entre les matzoth à Pessah, le laissait tomber sans considération parmi les papiers froissés qui encombraient son bureau, dans l’espoir qu’il n’y serait plus quand il reviendrait. Mais il était toujours là. Massant sa cuisse, il espérait le faire tomber de sa poche quand il s’asseyait sur le banc devant la fontaine de la sirène couchée, mais quand il y glissait la main pour prendre son mouchoir, il était là. Il le cachait comme un signet dans l’un des romans qu’il détestait le plus mais le mot réapparaissait quelques jours plus tard entre les pages d’un des livres de l’Ouest, qu’il était seul à lire au shtetl. Un des livres que le mot lui avait désormais gâtés à jamais. Il en était du mot comme de sa vie, dût sa vie en dépendre, il ne pouvait le perdre. Il lui revenait sans cesse. Il demeurait avec lui, comme une part de lui, comme une tache de naissance, comme un membre, il était sur lui, en lui, il était lui, son hymne : Il fallait que je le fasse pour moi.

Il avait perdu tant de feuilles de papier au long des années, tant de clés, de plumes, de chemises, de lunettes, de montres, d’argenterie. Il avait perdu un soulier, ses boutons de manchettes d’opale préférés (les franges d’Avachiste de ses manches s’épanouissaient en désordre), trois années loin de Trachimbrod, des millions d’idées qu’il avait eu l’intention de noter (certaines totalement originales, d’autres pleines de sens et de profondeur), ses cheveux, son maintien, ses parents, deux enfants au berceau, une épouse, une fortune en petite numéraire, plus d’occasions qu’il n’en pouvait compter. Il avait même perdu son nom : il était Safran, avant sa fuite du shtetl, Safran de la naissance à sa première mort. Il n’était rien, aurait-on dit, qu’il ne puisse perdre. Mais ce bout de papier ne disparaissait décidément pas, et jamais non plus l’image de son épouse prosternée, ni la pensée que s’il l’avait pu, il aurait grandement amélioré sa vie en y mettant fin.

Avant le procès, Yankel-alors-Safran était l’objet d’une admiration inconditionnelle. Il était président (et trésorier et secrétaire et unique membre) du Comité pour les Beaux-Arts et le fondateur, président plusieurs fois reconduit et seul enseignant de l’École pour un Enseignement plus Élevé, qui se réunissait chez lui, et aux cours de laquelle assistait Yankel lui-même. Il n’était pas rare qu’une famille reçoive à dîner et serve plusieurs plats en son nom (sinon en sa présence), ou qu’un des membres les plus riches de la communauté commande à un artiste itinérant un portrait de lui. Et les portraits étaient toujours flatteurs. C’était quelqu’un que tout le monde admirait et aimait mais que nul ne connaissait. Il était comme ces livres qu’on trouve flatteur de posséder, dont on peut parler sans les avoir jamais lus et que l’on peut recommander.

Sur le conseil de son avocat, Isaac M, qui dessinait du geste des points d’interrogation dans les airs sur chaque syllabe de chaque mot qu’il prononçait, Yankel plaida coupable de toutes les exactions dont on l’accusait dans l’espoir que cela pourrait atténuer son châtiment. Pour finir, il perdit sa licence d’usurier. Et plus que sa licence. Il perdit sa bonne réputation, ce qui est, comme on dit, la seule chose qui soit pire que de perdre sa bonne santé. Les passants ricanaient à sa vue ou marmottaient entre leurs dents des mots comme canaille, escroc, fumier, jean-foutre. On ne l’aurait pas tant haï si on ne l’avait tant aimé auparavant. Mais avec le Rabbin de la Variété Potagère et Sofiowka, il était l’un des sommets de la communauté – son sommet invisible – et avec sa honte vint un sentiment de déséquilibre, de vide.

Safran parcourut les villages du voisinage, trouvant à s’employer comme maître de clavecin (théorique et pratique), conseiller en parfum (feignant la surdité et la cécité qui lui conféreraient une certaine légitimité en l’absence de toute autre référence), et même pour une brève tentative malheureuse, comme le plus lamentable diseur de bonne aventure qui soit au monde – Je ne vais pas mentir, te raconter que ton avenir est plein de promesses… Il s’éveillait chaque matin avec le désir de bien faire, d’être quelqu’un de bien et dont la vie aurait un sens, d’être, aussi simple que cela paraisse et aussi impossible que c’était en réalité, heureux. Et dans le cours de chacune de ses journées, son cœur descendait de sa poitrine à son ventre. Dès le début de l’après-midi, il était envahi par le sentiment que rien n’était bon, ou bon pour lui en tout cas, et par le désir d’être seul. Quand venait le soir, son désir était satisfait : seul dans l’immensité de son chagrin, seul dans sa culpabilité sans but, seul même dans sa solitude. Je ne suis pas triste, se répétait-il sans cesse, je ne suis pas triste. Comme s’il avait pu réussir à s’en convaincre un jour. Ou à se duper. Ou à en convaincre les autres – la seule chose qui soit pire qu’être triste, c’est que les autres sachent qu’on est triste. Je ne suis pas triste. Je ne suis pas triste. Car sa vie aurait pu accueillir un bonheur sans limites dans la mesure où c’était une pièce vide, blanche. Il s’endormait avec son cœur au pied du lit, comme un quelconque animal domestique qui n’aurait pas fait partie de lui du tout. Et chaque matin il s’éveillait avec son cœur de retour dans le placard de sa cage thoracique, devenu un peu plus lourd, un peu plus faible, mais pompant toujours. Et quand arrivait le milieu de l’après-midi il était de nouveau envahi du désir d’être ailleurs, d’être quelqu’un d’autre, quelqu’un d’autre ailleurs. Je ne suis pas triste.

Au bout de trois ans il était revenu au shtetl – je suis la preuve définitive que tous les citoyens qui partent reviennent un jour – pour mener une existence discrète, comme une frange d’Avachiste cousue à la manche de Trachimbrod, contraint de porter cette horrible boule autour du cou comme une marque de sa honte. Il avait changé son nom pour celui de Yankel, le nom du fonctionnaire qui était parti avec son épouse, et demandé que nul ne l’appelle plus jamais Safran (encore qu’il crût entendre ce nom de temps à autre, marmonné dans son dos). Nombre de ses anciens clients lui étaient revenus et s’ils refusaient d’acquitter les taux de sa période faste, du moins avait-il réussi à se réétablir dans le shtetl natal – comme tous les exilés tentent un jour ou l’autre de le faire.

Quand les hommes chapeautés de noir lui donnèrent l’enfant, il eut le sentiment que lui-même n’était qu’un bébé, qui avait une chance de vivre sans honte, sans besoin de consolation pour une vie vécue dans le mal, une chance d’être de nouveau innocent, simplement et impossiblement heureux. Il la nomma Brod, comme la rivière de son étrange naissance, et lui offrit un collier fait d’une cordelette avec une minuscule boule de boulier, afin qu’elle ne se sentît jamais déplacée dans ce qui serait sa famille.

Quand mon arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-grand-mère grandit, elle ne se rappela évidemment rien et il ne lui fut rien dit. Yankel inventa une histoire sur la mort prématurée de sa mère – sans souffrir, en couches – et répondit aux nombreuses questions qui se présentaient de la façon qu’il estimait devoir lui causer le moins de chagrin. C’était de sa mère qu’elle tenait ses grandes et belles oreilles. C’était le sens de l’humour de sa mère que tous les garçons admiraient tant chez elle. Il parlait à Brod des vacances que son épouse et lui avaient passées (quand elle lui avait retiré une écharde du talon, à Venise, quand il avait dessiné d’elle un portrait au crayon rouge devant une haute fontaine à Paris), lui montrait les lettres d’amour qu’ils avaient échangées (écrivant de la main gauche celles de la mère de Brod) et, pour l’endormir, lui racontait l’histoire de leur amour.

C’était un coup de foudre, Yankel ?

J’ai aimé ta mère avant même de la voir – c’était son odeur !

Dis-moi encore comment elle était.

Elle était comme toi. Elle était belle avec ces yeux dépareillés, comme toi. Un bleu, un marron, comme les tiens. Elle avait tes hautes pommettes et aussi ta peau douce.

Quel était son livre préféré ?

La Genèse, bien sûr.

Croyait-elle en Dieu ?

Elle n’a jamais voulu me le dire.

Quelle était la longueur de ses doigts ?

Longs comme ça.

Et ses jambes ?

Comme ça.

Raconte-moi encore comment elle te soufflait sur la figure avant de t’embrasser.

Eh bien voilà, c’est ça, elle soufflait sur mes lèvres avant de m’embrasser, comme si j’étais quelque chose de très chaud et qu’elle allait me manger !

Elle était drôle ? Plus drôle que moi ?

C’était la personne la plus drôle du monde. Exactement comme toi.

Elle était belle ?

C’était inévitable : Yankel tomba amoureux de cette épouse rêvée. Il s’éveillait de son sommeil pour regretter l’absence du poids qui jamais n’avait creusé le lit à côté de lui, se rappeler réellement le poids de gestes qu’elle ne faisait jamais, désirer le non-poids de son non-bras passé en travers de sa poitrine à lui, trop réelle, rendant ses souvenirs de veuf d’autant plus convaincants et sa douleur d’autant plus réelle. Il éprouvait le sentiment de l’avoir perdue. Il l’avait bel et bien perdue. La nuit, il relisait les lettres qu’elle ne lui avait jamais écrites.

 

Yankel chéri,

Je rentrerai bientôt chez nous et je serai près de toi, alors ce n’est pas la peine que tu continues à dire que je te manque tant, aussi gentil que cela puisse être. Que tu es bête. Le sais-tu ? Sais-tu combien tu es bête ? Peut-être est-ce pour cela que je t’aime tant, parce que je suis bête aussi.

Ici tout est merveilleux. C’est très beau, exactement comme tu me l’avais promis. Les gens sont gentils et je mange bien – je n’en parle que parce que je sais que tu es toujours inquiet à l’idée que je ne prends pas assez soin de moi. Eh bien si, alors ne t’inquiète pas.

Tu me manques vraiment. C’est à peu près insupportable. Chaque instant de chaque jour, je pense à ton absence et cela me tue presque. Mais je serai bientôt avec toi évidemment, et tu ne me manqueras plus, et je n’aurai plus besoin de savoir que quelque chose, que tout, me manque, que ce qu’il y a ici, c’est seulement ce qu’il n’y a pas ici. J’embrasse mon oreiller avant de m’endormir en m’imaginant que c’est toi. On dirait une chose que tu pourrais faire, je sais. C’est sans doute pourquoi je la fais.

 

Cela fonctionnait presque. Il avait répété les détails si souvent qu’il était presque impossible de les distinguer des faits. Mais le vrai mot ne cessait de lui revenir et c’était cela, il en était sûr, qui lui interdisait cette chose la plus simple et la plus impossible. Le bonheur. Il fallait que je le fasse pour moi. Brod le découvrit un jour, quand elle n’était encore âgée que de quelques années. Il s’était mystérieusement retrouvé dans sa poche droite, comme si le billet avait une volonté propre, comme si ces huit mots griffonnés étaient capables de vouloir affecter la réalité. Il fallait que je le fasse pour moi. Soit qu’elle en pressentît l’immense importance, soit qu’elle l’estimât dénué de toute importance, elle ne lui en parla jamais mais le déposa sur la table de chevet de Yankel, où il le trouva cette nuit-là après avoir relu une autre lettre qui n’était pas de la mère de Brod, qui n’était pas de son épouse. Il fallait que je le fasse pour moi.

Je ne suis pas triste.