Histoire d’amour
 

« Jon-fen, dis-je, Jon-fen, éveillez-vous ! Regardez qui j’ai ! » « Hein ? » « Regardez », dis-je, et je montrai Augustine. « J’ai dormi longtemps ? demanda-t-il. Où sommes-nous ? » « Trachimbrod ! Nous sommes à Trachimbrod ! » J’étais si fier. « Grand-père », articulai-je, et je remuai grand-père avec beaucoup de violence. « Quoi ? » « Regarde, grand-père ! Regarde qui j’ai trouvé ! » Il remua ses mains en travers de ses yeux. « Augustine ? » demanda-t-il, et il apparut comme s’il ne pouvait être certain s’il était encore dans ses rêves. « Sammy Davis Junior, Junior ! dis-je en la secouant. Nous y sommes ! » « Qui sont ces gens ? » demanda Augustine, et elle persévéra à pleurer. Elle sécha ses larmes avec sa robe, ce qui signifiait la soulever assez pour exhiber ses jambes. Mais elle n’avait pas honte. « Augustine ? » demanda le héros. « Allons nous percher, dis-je, et nous illuminerons tout. » Le héros et la chienne s’amputèrent de la voiture. Je n’étais pas certain que grand-père viendrait, mais il vint. « Vous avez faim ? » demanda Augustine. Le héros devait avoir acquis un peu d’ukrainien parce qu’il posa la main sur son ventre. Je remuai la tête pour dire, Oui, certains de nous sont des gens très affamés. « Venez », dit Augustine, et je détectai qu’elle n’était pas mélancolique du tout, mais heureuse sans contrôle. Elle me prit la main. « Entrez. Je vais disposer un déjeuner et nous mangerons. » Nous montâmes les escaliers de bois sur lesquels je l’avais témoignée perchée, pour entrer dans sa maison. Sammy Davis Junior, Junior lambina dehors, reniflant les habits sur le sol.

D’abord, je dois décrire qu’Augustine avait une démarche très inhabituelle qui allait d’ici jusque-là avec lourdeur. Elle ne pouvait se déplacer plus vite que lentement. Il semblait qu’elle avait une jambe qui était une marchandise avariée. (Si nous avions su alors, Jonathan, serions-nous quand même entrés ?) Ensuite, je dois décrire sa maison. Elle n’était pas similaire à aucune maison que j’ai vue et je ne pense pas que je l’appellerais maison. Si vous voulez savoir ce que je l’appellerais, je l’appellerais deux pièces. Une des pièces avait un lit, et un petit bureau, et beaucoup de choses du sol au plafond, y compris des tas d’autres habits et des centaines de chaussures de différentes tailles et modes. Je ne pouvais pas voir le mur à travers toutes les photographies. Elles apparaissaient comme si elles venaient de nombreuses familles différentes, malgré que je reconnaissais que quelques-uns des gens étaient dans plus d’une ou deux. Tous les habits, les chaussures et les portraits me firent raisonner qu’il devait y avoir au moins cent personnes qui vivaient dans cette pièce. L’autre pièce était aussi très populeuse. Il y avait de nombreuses boîtes qui débordaient d’articles. Elles avaient des choses écrites sur leur côté. Un tissu blanc passait par-dessus la tête de la boîte marquée MARIAGES ET AUTRES CÉLÉBRATIONS. La boîte marquée PRIVÉ : JOURNAUX INTIMES/CARNETS DE CROQUIS/SOUS-VÊTEMENTS était si remplie qu’elle apparaissait préparée à rompre. Il y avait une autre boîte, marquée ARGENT/PARFUMS/MOULINS, et une marquée MONTRES/HIVER, et une marquée HYGIÈNE/BOBINES/BOUGIES, et une marquée FIGURINES/LUNETTES. Si j’avais été une personne intelligente, j’aurais enregistré tous les noms sur un morceau de papier, comme le héros fit dans son journal, mais je ne fus pas une personne intelligente et j’ai depuis oublié beaucoup d’entre eux. Certains des noms je ne pouvais raisonner, comme la boîte marquée OBSCURITÉ, ou celle avec MORT DU PREMIER-NÉ écrit au crayon sur son devant. Je remarquai qu’il y avait une boîte au sommet d’un de ces gratte-ciel de boîtes qui était marquée POUSSIÈRE.

Il y avait un menu réchaud dans cette pièce, une étagère avec légumes et pommes de terre, et une table en bois. C’était à cette table en bois que nous nous assîmes. Il était dur de remuer les chaises parce qu’il n’y avait presque pas de place pour elles avec toutes les boîtes. « Permettez-moi de vous cuire un petit quelque chose », dit-elle, donnant tous ses mots et coups d’œil à moi. « S’il vous plaît, ne faites pas d’efforts », dit grand-père. « Ce n’est rien, dit-elle, mais je dois vous dire que je n’ai pas tant de numéraire, et pour cette raison je n’ai pas de viande. » Grand-père me regarda et ferma un de ses yeux. « Aimez-vous les pommes de terre et le chou ? » demanda-t-elle. « C’est une chose parfaite », dit grand-père. Il souriait si si beaucoup et je ne suis pas en train de vous mentir si je dis que je ne l’avais jamais vu sourire autant depuis que grand-mère était vivante. Je vis que quand elle fit une rotation pour excaver un chou d’une boîte en bois sur le plancher, grand-père arrangea ses chevelures avec un peigne de sa poche.

« Dites-lui que je suis si content de la rencontrer », dit le héros. « Nous sommes tous si contents de vous rencontrer, dis-je, et en un accident je cognai la boîte TAIES D’OREILLERS avec mon coude. Il serait impossible pour vous d’englober le temps que nous vous avons cherchée. » Elle fit un feu sur le réchaud et commença à cuire l’aliment. « Demandez-lui de tout nous raconter, dit le héros. Je veux savoir comment elle a connu mon grand-père et pourquoi elle décida de le sauver, et ce qui est arrivé à sa famille à elle, et si elle a jamais parlé avec mon grand-père après la guerre. Découvrez, dit-il tout bas comme si elle avait pu englober, s’ils étaient amoureux. » « Lenteur », dis-je, parce que je ne voulais pas qu’Augustine chie une brique. « Vous êtes très gentille, lui dit grand-père, de nous emmener chez vous et de cuire pour nous votre aliment. Vous êtes très gentille. » « C’est vous qui êtes gentils » dit-elle, et après elle accomplit une chose qui me surprit. Elle regarda son visage dans le reflet de la fenêtre au-dessus du réchaud et je pense qu’elle désirait voir comment elle apparaissait. C’est seulement mon idée, mais je suis certain que c’en est une vraie.

Nous la regardions, comme si le monde entier et son avenir étaient à cause d’elle. Quand elle coupa un chou en petits morceaux, le héros bougea sa tête de-ci de-là suivant le couteau. Quand elle mit ces morceaux dans une casserole, grand-père sourit et prit une de ses mains avec l’autre. Quant à moi, je ne pouvais récupérer mes yeux d’elle. Elle avait des doigts minces et des os élevés. Ses chevelures, comme j’ai mentionné, étaient blanches et longues. Les extrémités en remuaient contre le plancher, prenant la poussière et la saleté avec elles. C’était rétif d’examiner ses yeux parce qu’ils étaient si loin à l’intérieur de son visage, mais je voyais quand elle me regardait qu’ils étaient bleus et resplendissants. C’étaient ses yeux qui me laissaient comprendre qu’elle était, sans aucune requête, l’Augustine de la photo. Et j’étais certain, en regardant ses yeux, qu’elle avait sauvé le grand-père du héros et probablement beaucoup d’autres. Je pouvais imaginer dans mon cerveau comment les jours connectaient la fille dans la photo à la femme qui était dans la pièce avec nous. Chaque jour était comme une autre photographie. Sa vie était un livre de photographies. Une était avec le grand-père du héros et, maintenant, une était avec nous.

Quand l’aliment fut prêt, après de nombreuses minutes d’avoir cuit, elle le transporta à la table dans des assiettes, une pour chacun de nous, et aucune pour elle. Une des pommes de terre descendit sur le plancher, POUM, ce qui nous fit rire pour des raisons qu’un subtil écrivain n’a pas à illuminer. Mais Augustine ne rit pas. Elle devait être très honteuse, parce qu’elle cacha son visage pendant longtemps avant d’être capable de nous contempler de nouveau. « Ça va ? » demanda grand-père. Elle ne répondit pas. « Ça va ? » Et soudain, elle retourna à nous. « Vous devez être très moulus par tout votre voyage », dit-elle. « Oui », dit-il, et il fit une rotation de sa tête comme s’il était gêné, mais je ne sais pas à quel sujet il pouvait être gêné. « Je pourrais aller au marché et acquérir quelques boissons froides, dit-elle, si vous aimez du cola, ou quelque chose d’autre. » « Non, dit grand-père avec urgence comme si elle pouvait nous laisser pour ne jamais retourner. Cela n’est pas nécessaire. Vous êtes très généreuse. S’il vous plaît, asseyez-vous. » Il retira une des chaises en bois de la table, et en un accident donna un petit coup à la boîte marquée MENORAHS/ENCRE/CLÉS. « Merci », dit-elle, et elle baissa la tête. « Vous êtes très belle », dit grand-père, et je n’avais pas anticipé qu’il dise cela et je ne crois pas qu’il avait anticipé de dire cela. Il y eut du silence pendant un moment « Merci, dit-elle, et elle remua ses yeux de lui. C’est vous qui êtes généreux. » « Mais vous êtes belle », dit-il. « Non, dit-elle, non, je ne suis pas belle. » « Je pense que vous êtes belle », dis-je, et tandis que je n’avais pas anticipé de dire cela, je ne lamente pas de l’avoir dit. Elle était très belle, comme quelqu’un qu’on ne rencontrera jamais, mais qu’on rêve toujours de rencontrer, comme quelqu’un qui est trop bien pour nous. Elle était aussi très timide, je le percevais. Il était rétif pour elle de nous contempler et elle emmagasinait ses mains dans les poches de sa robe. Je vous dirai que quand elle nous conférait un regard, ce n’était jamais à nous, mais toujours à moi.

« De quoi parlez-vous ? » demanda le héros. « A-t-elle mentionné mon grand-père ? » « Il ne parle pas ukrainien ? » demanda-t-elle. « Non », dis-je. « D’où vient-il ? » « D’Amérique. » « Est-ce en Pologne ? » Je ne pus croire cette chose, qu’elle ne connaissait pas Amérique, et je dois vous dire que ça la fit encore plus belle pour moi. « Non, c’est très loin. Il est venu dans un avion. » « Un quoi ? » « Un avion, dis-je. Dans le ciel. » Je remuai ma main dans l’air comme un avion et en un accident donnai un petit coup à la boîte avec PLOMBAGES écrit dessus. Je fis le bruit d’un avion avec mes lèvres. Ceci la mit dans la détresse. « Pas plus », dit-elle. « Quoi ? » « S’il te plaît », dit-elle. « De la guerre ? » demanda grand-père. Elle ne dit pas une chose. « Il est venu vous voir, dis-je. Il est venu d’Amérique pour vous. » « Je croyais que c’était toi, me dit-elle. Je croyais que tu étais celui que j’attendais. » Ceci me fit rire, et aussi fit rire grand-père. « Non, dis-je, c’est lui. » Je plaçai la main sur la tête du héros. « C’est lui qui a voyagé à travers le monde pour vous trouver. » Ceci l’incita à pleurer encore, ce que je n’avais pas fait par intention mais je dois dire que cela semblait bienséant. « Vous êtes venu pour moi ? » dit-elle au héros. « Elle veut savoir si vous êtes venu pour elle. » « Oui, dit le héros, dites-lui oui. » « Oui, dis-je, tout est pour vous. » « Pourquoi ? » demanda-t-elle. « Pourquoi ? » demandai-je au héros. « Parce que sans elle, je ne pourrais pas être ici pour la chercher. Elle a rendu cette recherche possible » « Parce que vous l’avez créé, dis-je. En sauvant son grand-père, vous lui avez permis de naître. » Ses respirations devinrent brèves. « J’aimerais lui donner quelque chose », dit le héros. Il excava une enveloppe de sa banane. « Dites-lui que c’est de l’argent. Je sais que ce n’est pas assez. Il ne pourrait y en avoir assez. Ce n’est qu’un peu d’argent de mes parents pour lui rendre la vie plus facile. Donnez-le-lui. » Je m’assurai de l’enveloppe. Elle était à ras bord. Il devait y avoir de nombreux milliers de dollars dedans. « Augustine, dit grand-père, retourneriez-vous avec nous ? À Odessa ? » Elle ne répondit pas. « Nous pourrions veiller sur vous. Avez-vous une famille, ici ? Nous pourrions les prendre chez nous aussi. Ce n’est pas une façon de vivre, dit-il en montrant le chaos. Nous vous donnerons une nouvelle vie. » Je dis au héros ce que grand-père disait. Je vis que ses yeux étaient imminents de larmes. « Augustine, dit grand-père, nous pouvons vous sauver de tout ceci. » Il montrait sa maison encore, et il montrait toutes les boîtes : CHEVEUX/MIROIRS DE POCHE/POÉSIE/CLOUS/ZODIAQUE, ÉCHECS/RELIQUES/MAGIE NOIRE, ÉTOILES/BOÎTES À MUSIQUE, SOMMEIL/SOMMEIL/SOMMEIL, BAS/GOBELETS DU KIDDUSH, EAU CHANGÉE EN SANG.

« Qui est Augustine ? » demanda-t-elle.

« Quoi ? » demandai-je. « Qui est Augustine ? » « Augustine ? » « Qu’est-ce qu’elle dit ? » « La photographie, me dit grand-père. Nous ne savons pas ce qu’est l’écriture sur le dos. Peut-être ce n’est pas son nom. » Je lui exhibai de nouveau la photographie. De nouveau cela la fit pleurer. « C’est vous, dit grand-père, posant son doigt sur son visage dans la photographie. Là. Vous êtes la fille. » Augustine remua la tête pour dire, Non, ce n’est pas moi je ne suis pas elle. « C’est une photographie très âgée, me dit grand-père. Et elle a oublié. » Mais je m’étais déjà assuré dans mon cœur ce que grand-père ne voulait pas laisser entrer. Je retournai le numéraire au héros. « Vous connaissez cet homme », dit grand-père sans enquérir, mettant son doigt sur le grand-père du héros. « Oui, dit-elle. C’est Safran. » « Oui, dit-il, me regardant puis la regardant. Oui, et il est avec vous. » « Non, dit-elle, je ne sais pas qui sont ces autres. Ils ne sont pas de Trachimbrod. » « Vous l’avez sauvé. » « Non, dit-elle, je ne l’ai pas sauvé. » « Augustine ? » demanda-t-il. « Non », dit-elle, et elle sortit de la table. « Vous l’avez sauvé », dit-il. Elle mit ses mains sur son visage. « Elle n’est pas Augustine », dis-je au héros. « Quoi ? » « Elle n’est pas Augustine. » « Je ne comprends pas. » « Oui », dit grand père. « Non », dit-elle. « Elle n’est pas Augustine, dis-je au héros. Je pensais qu’elle l’était, mais elle ne l’est pas. » « Augustine », dit grand-père, mais elle était dans l’autre pièce. « Elle est timide, dit grand-père. Nous l’avons surprise beaucoup. » « Peut-être devrions-nous aller de l’avant », dis-je. « Nous n’irons nulle part. Nous devons l’aider à se rappeler. Beaucoup de gens essaient si rétivement d’oublier après la guerre qu’ils n’arrivent plus à se rappeler. » « Ceci n’est pas la situation », dis-je. « Que dites-vous ? » demanda le héros. « Grand-père pense qu’elle est Augustine », dis-je. « Alors qu’elle dit qu’elle ne l’est pas ? » « Oui, dis-je. Il n’est pas raisonnable. »

Elle retourna avec une boîte de l’autre pièce. Le mot RESTES était écrit dessus. Elle la posa sur la table et délogea le couvercle. Elle était à ras bord de nombreuses photographies, de nombreux morceaux de papier et de nombreux rubans, tissus et choses étranges comme des peignes, des bagues et des fleurs qui étaient devenues aussi du papier. Elle retira chaque article, un à la fois, et l’exhiba à chacun de nous, malgré que je dirai qu’il semblait toujours qu’elle ne donnait d’attention qu’à moi seul. « C’est une photographie de Baruch devant la vieille bibliothèque. Il avait l’habitude de s’asseoir là toute la journée et figurez-vous qu’il ne savait même pas lire ! Il disait qu’il aimait penser aux livres, penser à eux sans les lire. Il se promenait toujours avec un livre sous le bras et il empruntait plus de livres à la bibliothèque que quiconque au shtetl. Quelle absurdité ! Celle-ci, dit-elle en excavant une autre photographie de la boîte, c’est Yosef et son frère Tzvi. Je jouais avec eux quand ils rentraient de l’école. J’avais toujours une petite chose dans mon cœur pour Tzvi mais je ne le lui avais jamais dit. Je comptais le lui dire mais je ne l’ai jamais fait. J’étais une si drôle de fille, toujours avec des petites choses dans mon cœur. Ça rendait folle Leah quand je lui en parlais, elle disait, “Toutes ces petites choses, tu finiras par ne plus avoir de place pour une goutte de sang !” » Ceci la fit rire d’elle-même et puis elle devint silencieuse.

« Augustine ? » demanda grand-père, mais elle ne devait pas l’avoir entendu, parce qu’elle ne fit pas de rotation vers lui mais remua seulement les mains à travers les choses de la boîte, comme si les choses étaient de l’eau. Maintenant, elle ne donnait plus ses yeux à aucun d’entre nous que moi. Grand-père et le héros n’existaient plus pour elle.

« Voilà l’alliance de Rivka, dit-elle, et elle la mit à son doigt. Elle l’avait cachée dans un bocal qu’elle avait enterré. Je savais ceci parce qu’elle me l’avait dit. Elle avait dit, “Au cas où.” Beaucoup de gens faisaient ceci. La terre est encore pleine d’alliances et d’argent et d’images et de choses juives. J’ai été seulement capable d’en trouver quelques-unes, mais elles emplissent la terre. » Le héros ne me demanda pas une seule fois ce qu’elle disait et il ne me questionna jamais. Je ne suis pas certain s’il savait ce qu’elle disait ou s’il savait qu’il ne fallait pas enquérir.

« Voilà Herschel », dit-elle, tenant une photographie dans la lumière de la fenêtre. « Nous partons, dit grand-père. Dis au juif que nous partons. » « Ne partez pas », dit-elle. « Fermez-la », lui dit-il, et même si elle n’était pas Augustine, il n’aurait quand même pas dû lui articuler cela. « Pardon, lui dis-je. S’il vous plaît, continuez. » « Il habitait Kolki, qui était un shtetl près de Trachimbrod. Le meilleur ami d’Herschel s’appelait Eli et Eli dut tirer sur Herschel, son meilleur ami, parce que s’il ne l’avait pas fait, c’est lui qu’ils auraient tué. » « Fermez-la », dit-il encore, et cette fois il donna aussi un coup de poing sur la table. Mais elle ne la ferma pas. « Eli ne voulait pas, mais il l’a fait. » « Vous mentez au sujet de tout. » « Il n’intentionne pas ce qu’il dit », lui dis-je, mais je ne pouvais embrayer pourquoi il faisait ce qu’il faisait. « Grand-père… » « Gardez vos non-vérités pour vous », dit-il « J’ai entendu cette histoire, dit-elle, et je crois que c’est une vérité. » Je perçus qu’il la faisait pleurer.

« Voilà une barrette, dit-elle, que Miriam gardait dans ses cheveux pour ne pas les avoir dans la figure. Elle courait toujours d’un endroit à un autre. Cela l’aurait tuée de s’asseoir, vous savez, parce qu’elle avait toujours adoré faire des choses. J’ai trouvé ceci sous son oreiller. C’est vrai. Pourquoi sa barrette était-elle sous son oreiller ? Vous devez vouloir le savoir. Le secret est qu’elle la tenait toute la nuit pour ne pas sucer son pouce ! C’était une mauvaise chose qu’elle avait faite pendant très longtemps, même quand elle avait douze ans déjà ! Je suis la seule à le savoir. Elle me tuerait si elle savait que je parlais de son pouce, mais je vais vous dire, si on le témoignait d’assez près, si on y donnait attention, on voyait qu’il était toujours rouge, elle était toujours honteuse à ce sujet. » Elle restaura la barrette dans les restes et excava une autre photographie.

« Là, oh, je me le rappelle, c’est Kalman et Izzy, c’étaient des grands blagueurs. » Grand-père ne contemplait rien excepté Augustine. « Voyez comme Kalman tient le nez d’Izzy ! Quels blagueurs ! Ils faisaient tellement de blagues toute la journée que mon père les appelait les clowns de Trachimbrod. Il disait, “C’est de tels clowns que même un cirque n’en voudrait pas.” » « Vous êtes de Trachimbrod ? » demandai-je. « Elle n’est pas de Trachimbrod », dit grand-père, et il fit une rotation de sa tête loin d’elle. « Je suis de Trachimbrod, dit-elle. Je suis la seule qui reste. » « Que signifiez-vous ? » demandai-je parce que je ne le savais pas du tout. « Ils ont tous été tués », dit-elle, et ici je débutai de traduire pour le héros ce qu’elle disait, « sauf un ou deux qui ont pu s’échapper. » « Ce sont ceux qui ont eu de la chance », lui dis-je « Non, nous sommes ceux qui n’ont pas eu de chance », dit-elle. « Ce n’est pas vrai », dit grand-père, quoique je ne sais pas de quelle partie il disait qu’elle n’était pas vraie. « Si, c’est vrai. On ne devrait jamais avoir à être le seul qui reste. » « Vous auriez dû mourir avec les autres », dit-il. (Je ne permettrai jamais que cela reste dans l’histoire.)

« Demandez-lui si elle connaissait mon grand-père. » « Connaissiez-vous l’homme dans la photographie ? C’était le grand-père du jeune homme. » Je lui présentai la photographie encore. « Bien sûr », dit-elle. Et encore elle me déboursa ses yeux à moi. « C’était Safran. Le premier garçon que j’ai embrassé. Je suis une si vieille dame que je suis trop vieille pour être encore timide. Je l’ai embrassé quand je n’étais qu’une fillette et lui un gamin. Dis-lui me dit-elle, et elle prit ma main dans la sienne. Dis-lui que c’est le premier garçon que j’ai embrassé. » « Elle dit que votre grand-père est le premier garçon qu’elle a embrassé. » « Nous étions très bons amis. Il a perdu sa femme et deux petits enfants, vous savez, dans la guerre. Le sait-il ? » « Deux petits enfants ? » demandai-je. « Oui », dit-elle. « Il le sait », dis-je. Elle inspecta les RESTES, excavant des photos et les posant sur la table. « Comment pouvez-vous faire cela ? » lui demanda grand-père.

« Voilà, dit-elle après une longue recherche. C’est une photographie de Safran et moi. » J’observai que le héros avait des petites rivières qui descendaient son visage et je voulais mettre ma main sur son visage, être une architecture pour lui. « C’est sa maison, devant laquelle nous sommes, dit-elle. Je me rappelle ce jour beaucoup. Ma mère fit cette photographie. Elle était très affectueuse pour Safran. Je crois qu’elle voulait que je me marie avec lui et l’avait même dit au rabbin. » « Alors vous seriez sa grand-mère », lui dis-je. Elle rit et ceci me fit sentir bien. « Ma mère l’aimait beaucoup parce que c’était un garçon très poli et très timide. Et qu’il lui disait qu’elle était jolie même quand elle n’était pas jolie. » « Comment s’appelait-elle ? » demandai-je, et c’était une tentative d’être gentil mais la femme fit des rotations de sa tête pour me dire, Non, jamais je n’articulerai son nom. Et alors je me rappelai que je ne connaissais pas le nom de cette femme. Je persévérai à penser à elle comme Augustine, parce que comme grand-père, je ne pouvais pas arrêter de désirer qu’elle était Augustine. « Je sais que j’en ai une autre », dit-elle, et elle investigua encore les restes. Grand-père refusait de la regarder. « Oui, dit-elle, excavant une autre photographie jaune, en voilà une de Safran et de son épouse devant leur maison après qu’ils sont devenus mariés. »

Je donnai au héros chaque photo quand elle me la donnait et il pouvait seulement avec difficulté la tenir dans ses mains qui faisaient tellement de tremblements. Il apparaissait qu’une partie de lui voulait tout écrire, chaque mot de ce qui se produisait, dans son journal. Et une partie de lui refusait d’écrire même un seul mot. Il ouvrait le journal et le fermait, l’ouvrait et le fermait, et on aurait dit que le journal voulait s’envoler de ses mains. « Dis-lui que j’étais au mariage. Dis-lui. » « Elle était au mariage de votre grand-père et de sa première épouse », dis-je. « Demandez-lui comment c’était », dit-il. « C’était beau, dit-elle. Mon frère tenait un des montants de la chuppa, je me rappelle. C’était un jour de printemps. Zosha était une très jolie fille. » « C’était très beau, dis-je au héros. Il y avait du blanc, des fleurs et beaucoup d’enfants, et la future mariée en robe longue. Zosha était belle et tous les autres hommes étaient des gens jaloux. » « Demandez-lui si nous pourrions voir cette maison », dit-il, montrant la photographie. « Pourriez-vous nous exhiber cette maison ? » demandai-je. « Il n’y a rien, dit-elle. Je vous ai déjà dit. Rien. C’était à quatre kilomètres de distance d’ici, mais tout ce qui existe encore de Trachimbrod est dans cette maison » « Vous dites que c’est à quatre kilomètres d’ici ? » « Il n’y a plus de Trachimbrod. Il a fini il y a cinquante ans » « Emmenez-nous là-bas », dit grand-père « Il n’y a rien à voir. C’est seulement un champ. Je pourrais vous exhiber n’importe quel champ et ce serait la même chose que de vous exhiber Trachimbrod. » « Nous sommes venus voir Trachimbrod, dit grand-père, et vous allez nous emmener à Trachimbrod. »

Elle me regarda et mit la main sur mon visage. « Dis-lui que j’y pense tous les jours. Dis-lui. » « Vous pensez à quoi ? » demandai-je. « Dis-lui. » « Elle y pense tous les jours », dis-je au héros. « Je pense à Trachimbrod et quand nous étions tous si jeunes. Nous courions dans les rues tout nus, le croirez-vous ? Nous n’étions que des enfants alors. C’était comme ça. Dis-lui. » « Ils couraient dans les rues tout nus. Ils n’étaient que des enfants. » « Je me rappelle si bien Safran. Il m’embrassa derrière la synagogue, c’était une chose à nous faire massacrer, tu sais. Je me rappelle encore comment ça faisait. C’était un peu comme voler. Dis-le-lui. » « Elle se rappelle quand votre grand-père l’a embrassée. Elle vola un peu. » « Je me rappelle aussi Rosh Hashanah, quand nous allions à la rivière pour jeter des miettes de pain dedans et que nos péchés s’éloignent de nous dans le courant. Dis-lui. » « Elle se rappelle la rivière et des miettes de pain et ses péchés. » « La Brod ? » demanda le héros. Elle remua la tête pour dire, Oui, oui. « Dis-lui que son grand-père et moi et tous les enfants nous sautions dans la Brod quand il faisait tellement chaud et que nos parents s’asseyaient sur le côté de l’eau pour regarder et jouer aux cartes. Dis-lui. » Je le lui dis. « Chacun avait sa famille, mais c’était quelque chose comme si nous étions tous une grande famille. Les gens se disputaient, oui, mais ce n’était rien. »

Elle récupéra ses mains de moi et les mit sur ses genoux. « J’ai tellement honte, dit-elle. Il fallait faire n’importe quoi. Il ne fallait permettre à quiconque de voir votre visage après. » « Vous devriez avoir honte », dit grand-père. « N’ayez pas honte », lui dis-je. « Demandez-lui comment mon grand-père en a réchappé. » « Il voudrait savoir comment son grand-père s’est échappé. » « Elle ne sait rien, dit grand-père. C’est une imbécile. » « Vous n’avez pas à articuler quoi que ce soit que vous ne voulez pas articuler », lui dis-je, et elle dit, « Alors je n’articulerais plus jamais un seul mot. » « Vous n’avez pas à faire quoi que ce soit que vous ne voulez pas faire. » « Alors je ne ferais plus jamais rien. » « C’est une menteuse », dit grand-père, et je ne pouvais comprendre ce qui le forçait à se conduire de cette façon.

« Pourriez-vous s’il vous plaît nous laisser être dans la solitude, me dit Augustine, pendant quelques instants. » « Allons dehors », dis-je à grand-père. « Non, dit Augustine, lui. » « Lui ? » demandai-je. « S’il vous plaît laissez-nous être dans la solitude pendant quelques instants. » Je regardai grand-père de sorte qu’il puisse me donner une balise de quoi faire, mais je vis que ses yeux étaient imminents de larmes et qu’il refusait de me regarder. Ce fut ma balise. « Nous devons aller dehors » dis-je au héros. « Pourquoi ? » « Ils vont articuler des choses en secret. » « Quel genre de choses ? » « Nous ne pouvons être ici. »

Nous sortîmes et fermâmes la porte derrière nous. Je languissais d’être de l’autre côté de la porte, du côté où des vérités si considérables étaient en train d’être articulées. Ou je languissais de presser mon oreille contre la porte de sorte que je puisse au minimum entendre. Mais je savais que mon côté était à l’extérieur avec le héros. Une partie de moi détestait ceci, et une partie de moi était reconnaissante, parce qu’une fois qu’on a entendu quelque chose, on ne peut jamais retourner au temps d’avant l’avoir entendue. « Nous pouvons enlever la peau des maïs pour elle », dis-je, et le héros harmonisa. Il était approximativement quatre heures d’horloge de l’après-midi, et la température débutait à devenir froide. Le vent faisait les premiers bruits de la nuit.

« Je ne sais pas quoi faire », dit le héros.

« Je ne sais pas aussi. »

Après cela, il y eut une famine de mots pendant longtemps. Nous enlevions seulement la peau des maïs. Je n’étais pas concerné au sujet de ce qu’Augustine disait. C’étaient les paroles de grand-père que je désirais entendre. Pourquoi pouvait-il dire des choses à cette femme qu’il n’avait jamais rencontrée avant quand il ne pouvait pas me dire des choses à moi ? Ou peut-être qu’il ne lui disait rien. Ou peut-être qu’il mentait. Voilà ce que je voulais, qu’il lui présente des non-vérités. Elle ne méritait pas la vérité, pas comme je méritais la vérité. Ou nous méritions tous les deux la vérité, et le héros aussi. Nous tous.

« Au sujet de quoi devrions-nous converser ? » demandai-je, parce que je savais que c’était un minimum de savoir-vivre pour nous de parler. « Je ne sais pas. » « Il doit y avoir quelque chose. » « Voulez-vous savoir quoi que ce soit d’autre de l’Amérique ? » demanda-t-il. « Je n’arrive à penser à rien à l’instant présent. » « Avez-vous entendu parler de Times Square ? » « Oui, dis-je, Times Square à Manhattan, au coin de la 42e Rue et de l’avenue Broadway. » « Avez-vous entendu parler des gens qui passent toute la journée devant des machines à sous et gaspillent tout l’argent qu’ils ont ? » « Oui, dis-je. Las Vegas, dans le Nevada. J’ai lu un article au sujet de ceci. » « Et les gratte-ciel ? » « Bien sûr. World Trade Center. Empire State Building. Sears Tower. » Je n’englobe pas pourquoi, mais je n’étais pas fier de toutes les choses que je savais au sujet d’Amérique. J’avais honte. « Quoi d’autre ? » dit-il. « Racontez-moi encore au sujet de votre grand-mère », dis-je. « Ma grand-mère ? » « Que vous avez parlé dans la voiture. Votre grand-mère de Kolki. » « Vous vous rappelez. » « Oui. » « Que voulez-vous savoir ? » « Quel âge a-t-elle ? » « À peu près l’âge de votre grand-père, j’imagine, mais elle a l’air beaucoup plus vieille. » « Pouvez-vous la décrire ? » « Elle est petite. Elle dit d’elle-même qu’elle est une crevette, c’est drôle. Je ne connais pas la vraie couleur de ses cheveux, mais elle les teint d’une espèce de marron et jaune, un peu comme les poils de ce maïs. Elle a les yeux de deux couleurs différentes, un bleu et un vert. Elle a de terribles varices. » « Qu’est-ce que ça veut dire, varice ? » « Les veines de ses jambes, là où passe le sang, elles sont en relief sur sa peau et ont l’air plutôt bizarre. » « Oui, dis-je, grand-père a ça aussi, parce que quand il travaillait il était debout tout le jour et alors cela lui est arrivé. » « Ma grand-mère les a depuis la guerre, parce qu’elle a dû traverser Europe à pied pour s’échapper. C’était trop pour ses jambes. » « Elle a traversé Europe à pied ? » « Rappelez-vous, je vous ai dit qu’elle avait quitté Kolki avant les nazis. » « Oui, je me rappelle. » Il s’arrêta un moment. Je décidai une fois encore de tout mettre en péril. « Parlez-moi de vous et d’elle. »

« Comment ça, de moi et d’elle ? » « Je veux seulement écouter. » « Je ne sais pas quoi dire. » « Racontez-moi au sujet de quand vous étiez jeune, et comment c’était avec elle. » Il fit un rire. « Quand j’étais jeune ? » « Racontez-moi quelque chose, n’importe quoi. » « Quand j’étais jeune, dit-il, je m’asseyais sous sa robe pendant les dîners de famille. C’est quelque chose que je me rappelle. » « Racontez-moi. » « Je n’y avais pas pensé depuis vraiment longtemps. » Je n’articulai pas une chose, afin qu’il persévère. Ceci était très difficile par moments, parce qu’il existait autant de silence. Mais je comprendais comprenais que le silence était nécessaire pour qu’il parle. « Je passais les mains le long de ses varices. Je ne sais pas pourquoi, ni comment j’avais commencé à le faire. C’était quelque chose que je faisais, voilà. J’étais petit, et les petits enfants font des choses comme ça, il faut croire. Je me suis rappelé ça parce que j’ai parlé de ses jambes. » Je refusai d’articuler même un seul mot. « C’était comme de sucer son pouce. Je le faisais et je me sentais bien, et voilà. » Sois silencieux, Alex. Tu n’as pas à parler. « Je regardais le monde à travers ses jupes. Je voyais tout, mais personne ne pouvait me voir. Comme un fort, une cachette sous les couvertures. J’étais tout petit. Quatre ans. Cinq ans. Je ne sais pas. » Avec mon silence, je lui donnai un espace à remplir. « Je me sentais en sécurité, et en paix. Vous savez, une vraie sécurité, une vraie paix. C’était ce que je sentais. » « En sécurité et en paix par rapport à quoi ? » « Je ne sais pas. En sécurité et en paix par rapport à la non-sécurité et la non-paix. » « C’est une belle histoire. » « C’est la vérité. Je n’invente rien. » « Bien sûr. Je sais que vous êtes digne de foi. » « Seulement parfois on invente des choses, comme ça, pour parler. Mais ça, ça se passait vraiment. » « Je sais. » « Vraiment. » « Je vous crois. » Il y eut un silence. Ce silence était si lourd, et si long, que je sentis la coercition de parler. « Quand avez-vous arrêté de vous cacher sous sa robe ? » « Je ne sais pas. Peut-être quand j’ai eu cinq ou six ans. Peut-être un peu plus tard. J’étais devenu trop grand pour le faire, quoi. Quelqu’un a dû me dire que ce n’était plus convenable. » « Quoi d’autre vous rappelez-vous ? » « Comment ça ? » « À son sujet. Au sujet de vous et d’elle. » « Pourquoi êtes-vous si curieux ? » « Pourquoi êtes-vous si honteux ? » « Je me rappelle ces veines qu’elle avait, et je me rappelle l’odeur de ma cachette secrète, c’est comme ça que j’y pensais, je me rappelle, comme à un secret, et je me rappelle que ma grand-mère me dit un jour que j’ai de la chance parce que je suis drôle. » « Vous êtes très drôle, Jonathan. » « Non. C’est la dernière chose que je veux être. » « Pourquoi ? Être drôle est une chose géniale. » « Non, pas du tout. » « Pourquoi ? » « Je pensais autrefois que l’humour est la seule façon d’apprécier combien le monde est merveilleux et terrible, la seule façon de célébrer l’énormité de la vie. Tu vois ce que je veux dire ? » « Oui, bien sûr. » « Mais maintenant, je pense que c’est le contraire. L’humour est une façon de se recroqueviller pour échapper à ce monde merveilleux et terrible. » « Informe-moi plus au sujet de quand tu étais jeune, Jonathan. » Il fit plus de rire. « Pourquoi ris-tu ? » Il rit encore. « Informe-moi. » « Quand j’étais petit, je couchais le vendredi chez ma grand-mère. Pas tous les vendredis, mais presque. En entrant, elle me soulevait dans ses bras dans un de ses câlins merveilleux et terrifiants. Et en sortant, le lendemain après-midi, j’étais de nouveau soulevé dans les airs par son amour. Je ris parce que c’est seulement des années plus tard que je me suis rendu compte qu’elle me pesait. » « Elle te pesait ? » « Quand elle avait notre âge, elle s’est nourrie de rebuts pendant qu’elle traversait l’Europe, pieds nus. C’était important pour elle – plus important que de savoir si je m’amusais bien – que je prenne du poids chaque fois que j’allais la voir. Je crois qu’elle voulait le petit-fils le plus gras du monde. » « Raconte-moi encore au sujet de ces vendredis. Raconte-moi au sujet de te mesurer et de l’humour et de te cacher sous sa robe. » « Je crois que j’ai assez parlé. » « Tu dois parler. » Avais-tu pitié de moi ? Est-ce pourquoi tu as persévéré ? « Ma grand-mère et moi nous hurlions des mots depuis la galerie derrière sa maison, le soir, quand je dormais chez elle. C’est quelque chose que je me rappelle. Nous hurlions les mots les plus longs que nous pouvions trouver. “Fantasmagorie !” hurlais-je. » Il rit. « Je me rappelle celui-là. Alors elle hurlait un mot yiddish que je ne comprenais pas. Ensuite je hurlais. “Antédiluvien !” » Il hurla le mot dans la rue et ceci aurait été une gêne excepté qu’il n’y avait personne dans la rue. « Et après je regardais les veines gonfler dans son cou quand elle criait un mot yiddish. Nous étions tous les deux amoureux des mots en secret, faut croire. » « Et vous étiez tous les deux amoureux l’un de l’autre en secret. » Il rit encore. « Quels étaient les mots qu’elle hurlait ? » « Je ne sais pas. Je n’ai jamais su ce qu’ils signifiaient. Je l’entends encore. » Il hurla un mot yiddish dans la rue. « Pourquoi ne lui as-tu pas demandé ce que les mots signifiaient ? » « J’avais peur. » « De quoi avais-tu peur ? » « Je ne sais pas. J’avais trop peur. Je savais qu’il ne fallait pas demander, alors je ne demandais pas. » « Peut-être désirait-elle que tu demandes ? » « Non. » « Peut-être avait-elle besoin que tu demandes, parce que si tu ne demandais pas, elle ne pouvait pas te le dire » « Non. » « Peut-être qu’elle criait en yiddish, Demande-moi ! Demande-moi ce que je crie ! »

Nous pelâmes le maïs. Le silence était une montagne.

« Tu te rappelles tout ce béton, à Lvov ? » demanda-t-il.

« Oui », dis-je.

« Moi aussi. »

Encore du silence. Nous n’avions plus rien au sujet de quoi parler, rien d’important. Rien n’aurait pu être assez important.

« Qu’est-ce que tu écris dans ton journal ? » « Je prends des notes. » « Au sujet de quoi ? » « Pour le livre auquel je travaille. Des petites choses que je veux me rappeler. » « Au sujet de Trachimbrod ? » « C’est ça. » « C’est un bon livre ? » « Je n’en ai écrit que des morceaux. J’ai écrit quelques pages avant de venir, cet été, quelques-unes dans l’avion pour Prague, quelques-unes dans le train pour Lvov, quelques-unes hier soir. » « Lis-m’en un peu. » « C’est gênant. » « Ce n’est pas ainsi. Ce n’est pas gênant. » « Si. » « Pas si tu le racontes pour moi. Je le savourerai, je te promets. Je suis très simple à enchanter. » « Non », dit-il, alors je fis ce que je pensais être la chose OK et même drôle. Je pris son journal et l’ouvris. Il ne dit pas que je pouvais lire mais ne demanda pas non plus que je le rende. Voici ce que je lus :

 

Il dit à son père qu’il pouvait veiller sur sa mère et Mini-Igor. Il suffisait qu’il le dise pour que cela devienne vrai. Enfin, il était prêt. Son père ne put croire une telle chose. Quoi ? demanda-t-il. Quoi ? Et Sacha lui dit encore qu’il veillerait sur la famille, qu’il comprendrait que son père doive partir pour ne jamais revenir, et qu’il n’en serait même pas moins père pour autant. Il dit à son père qu’il pardonnerait. Oh, son père devint si courroucé, si plein de colère, et il dit à Sacha qu’il le tuerait, et Sacha dit à son père qu’il le tuerait, et ils marchèrent l’un contre l’autre avec violence et son père dit, Dis-le-moi en face, pas au plancher, et Sacha dit, Tu n’es pas mon père.

 

Quand grand-père et Augustine descendirent de la maison, nous avions fini un tas de maïs, et laissé la peau en tas de l’autre côté des escaliers. J’avais lu plusieurs pages de son journal. Certaines scènes étaient ainsi. Certaines étaient très différentes. Certaines se passaient tôt dans l’histoire et certaines ne s’étaient même pas encore passées. Je compris ce qu’il faisait quand il écrivait ainsi. Au début, cela me mit en colère, mais ensuite cela me rendit triste, et ensuite cela me rendit si reconnaissant, et ensuite cela me mit en colère encore, et je traversai ces sentiments des centaines de fois, m’arrêtant sur chacun pendant un moment seulement et puis passant au suivant.

« Merci », dit Augustine, et elle était en train d’examiner les tas, un de maïs, un de peaux. « C’est une chose très gentille que vous avez faite. » « Elle va nous emmener à Trachimbrod, dit grand-père. Nous ne devons pas dilapider de temps. Il devient tard. » Je dis ceci au héros. « Dis-lui merci pour moi. » « Merci », lui dis-je. Grand-père dit, « Elle sait. »