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TRIBUNEQuel
avenir pour le livre ?
Par Vincent
Monadé,
Directeur du MOTiF
L’enfer, c’est le détour des conversations. Un ami, par ailleurs écrivain, qui vous lance « fais-moi un truc sur l’avenir du livre ». L’avenir du livre ?? Mais qu’en sais-je ? Demain quoi ? Retour au papyrus, à la pierre taillée, aux rupestres dans des Lascaux humides ou tout sur le ouaibe, des tonnes de mégabits de génie littéraire, des implants dans le cerveau pour réciter Baudelaire à des passantes… Je me sens à peu près aussi qualifié pour disserter sur l’avenir du livre qu’un bernard-l’hermite à une causerie sur l’instinct de propriété. Passons, j’ai accepté.
Voici une quinzaine de jours, le Monde a publié une volée de
tribunes issues de plumes aussi autorisées que celles
d’Antoine Gallimard, Arnaud Nourry, Bruno Racine…
J’avertis le lecteur de ces quelques lignes : on
trouvera chez eux des réflexions d’une toute autre
volée que les miennes.
D’abord parce que le débat sur la mort ou non du livre
papier m’est indifférent. Je ne me pose pas cette
question car je juge que c’est une question de
journaliste : choc, elle n’a pas de pertinence dans le
débat. L’une des meilleures réponses à cette
question que j’ai lues est celle d’un libraire,
Philippe Touron du Divan à Paris, qui disait qu’en tout
état de cause les deux économies cohabiteraient encore
très longtemps ensemble. Je n’ai rien de plus pertinent
à dire sur le sujet.
Ensuite parce que les Cassandre de la décadence
m’agacent, les fustigateurs de la modernité, les
imprécateurs du livre Graal. Je ne parviens pas à
imaginer une plaque de silicium en vampire. Ce qui m’importe
n’est pas de savoir si on lira le Rivage sur papier bible ou sur Iphone,
c’est qu’on continue à le lire.
Enfin parce que les thuriféraires du numérique, les
tenants de la modernité absolue, ceux qui
s’autoalimentent de leur avance technologique et
s’intitulent défricheurs, innovateurs… en
fustigeant les éditeurs à l’ancienne, les auteurs
à l’ancienne, les libraires à l’ancienne et
les lecteurs à l’ancienne m’énervent tout
autant. À l’heure où j’écris, le
patrimoine littéraire c’est Gallimard, Minuit, Actes
Sud, Verdier… Et c’est chez eux et quelques autres que
s’écrit la littérature contemporaine.
L’avenir du livre,
ce n’est pas, pour moi, de savoir si le livre prendra le
virage numérique. Contrairement à ce qu’on lit ici
ou là, et à ce que j’ai parfois hâtivement
dit, les grands groupes sont prêts pour l’avènement
du numérique. Hachette, Editis, Gallimard et le Seuil via
Eden… chacun dispose de sa plate-forme. Des acteurs nouveaux,
Immatériel, Epagine… expérimentent sans à
priori, confrontés à l’économie réelle et
donc à ce qui est encore, pour peu de temps, un marché de
niche. François Bon et ceux qu’il agrège autour de
Publie.net inventent une forme nouvelle d’édition
indépendante de qualité, numérique, payable au
forfait et révisant en profondeur la rémunération
des auteurs.
Nous savons tous qu’une part de l’économie du
livre sera numérique. La seule chose que nous ne mesurons pas,
c’est son importance. Ceux qui proclament l’ère du
tout numérique comme ceux qui proclament la permanence
in aeternam
du papier prennent des
paris sur le vent. La vraie réponse, c’est que nous ne
savons rien, les uns et les autres, de l’avenir du livre.
Simplement, le rien de certains est plus éclairé que
celui des autres.
Pour ma part, je me bornerais à poser quelques questions dont je crois qu’elles seront déterminantes.
1 – A quand une loi sur le prix unique du livre numérique ?
Il est temps que l’État se souvienne de son rôle normatif. La loi Lang de 1981 a largement contribué à sauver ce qu’on appelle la chaîne du livre. Les entrants d’aujourd’hui, Google ou Amazon, sont d’une toute autre taille que les Auchan d’alors. La sauvegarde de la diversité éditoriale, de la bibliodiversité pour reprendre le joli mot de l’éditeur Francis Combes, passe par un prix unique du livre numérique. J’entends que les discussions achoppent sur la définition même du livre. Et bien, considérons comme tel ce qui est publié comme tel par un éditeur. Après tout, la loi Lang se fit autour d’une définition fiscale du livre. Liée à cette question, encore que différente, la question de la TVA est posée. Nous fâcherions Bruxelles. Mais enfin, quelle serait une société qui n’obtiendrait pas pour les livres ce qu’elle obtint pour les restaurateurs ?
2 – Existera-t-il un marché du livre numérique ?
Cette question n’a
pas de sens. Des pans entiers de l’édition
traditionnelle vivent l’ère numérique. C’est
le cas des sciences humaines, du scolaire et du para-scolaire,
demain matin des guides de voyage ; mangas et BD sont
largement pillés… Ce que nous ne savons pas, ce qui est
en débat, c’est la littérature. Sera-t-elle demain
exclusivement sur écran ou bien restera-t-il encore du papier,
des libraires, des éditions de la Pléiade ? Je
crois, cela n’engage que moi, que la littérature à
la fois restera enfermée dans les pages de livre et
s’inventera sur le Net. Les deux espaces cohabiteront. Parce
que l’attachement physique au livre perdurera, parce
qu’une bibliothèque de livres sera toujours plus belle
qu’un alignement de clés USB, parce que les
générations nées avec l’ordinateur lisent des
livres papier, aussi.
Reste à savoir qui profitera de cette aubaine numérique,
de ce nouveau marché qui, peut-être, ramènera au
texte certains qui s’en étaient éloignés.
Là, mes inquiétudes sont fortes. Antoine Gallimard
plaidait récemment pour plusieurs plates-formes de diffusion
comme il existe aujourd’hui plusieurs diffuseurs. Je crois
qu’il a raison pour les « grands »
éditeurs indépendants et les groupes : la
diversité de l’offre n’est pas synonyme de
confusion mais garante de pluralité.
En revanche, pour les « petits » éditeurs,
j’ai la certitude qu’ils doivent être aidés
à passer au numérique via la mise en œuvre
d’une plate-forme commune, financée à l’aide
de fonds publics, qui leur permette de proposer une offre
numérique aux revendeurs.
3 – La chaîne du livre se maintiendra-t-elle ? Les acteurs du livre survivront-ils ?
A mes yeux, la loi sur
le prix unique du livre numérique est la condition sans
laquelle la question n’a pas de sens.
Le livre numérique, on le sait, devra être moins cher que
le livre papier ou il ne se vendra pas. Certains estiment la
différence entre vingt et trente pour cent, d’autres
plaident pour un livre numérique autour de six euros. Je
n’ai pas de réponse toute prête. C’est le
prix que l’acheteur sera prêt à payer qui
déterminera l’usage d’autant que d’autres
modèles économiques (le forfait, l’abonnement, la
licence…) se mettront sans doute en place. En revanche,
j’ai la certitude qu’on ne pourra maintenir la
chaîne du livre avec des fichiers à six euros. Il faudra,
nécessairement, se passer d’un ou de plusieurs acteurs
pour que le produit reste rentable.
Alain Absire, Président de la SGDL, plaidait récemment
pour que le numérique soit une bataille menée par toute
la chaîne unie, auteurs, éditeurs, diffuseurs et
libraires. Je ne sais pas si ses raisons l’emporteront sur
l’égoïsme inhérent au milieu littéraire.
Pourtant, face à de nouveaux entrants (Google, Amazon,
Orange…) qui n’ont rien à voir avec le livre,
l’union me semble être la meilleure des
défenses.
Pour les libraires, la question est d’importance. Une
librairie de très grande qualité réalise sans doute
entre trente et quarante pour cent de son chiffre avec la
littérature. Même si l’on croit à la survie du
livre papier, reste à savoir comment cette librairie
compensera la chute voire la disparition de ses rayons pratique,
scolaire et para-scolaire, sciences humaines, peut-être
BD…
Voilà, j’ai
oublié ou omis d’autres questions mais il fallait
conclure. A la question qui m’a été posée, je
n’ai aucune réponse. Je suis du mieux que je le peux les
débats sur le livre numérique, l’avenir du livre,
les DRM, la numérisation de notre patrimoine… et rien ne
m’y parle de l’avenir du livre.
Ce qui m’importe, ce n’est pas de savoir si le livre
sera demain bits et écrans ou encre et papier. Mais de savoir
qui lira encore. A cette question là, ma réponse
n’aurait pas été politiquement correcte.
Heureusement, on ne me la posa pas.
© Vincent Monadé / Le magazine des Livres (novembre 2009)
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