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CONVERSATIONS AU BAL MASQUÉ

Il dansait avec une très belle femme.

Il n’avait aucune idée de l’heure, et il n’aurait pas su dire combien de temps il était resté dans le Colorado Bar, ni depuis quand il se trouvait ici dans le dancing. Le temps ne comptait plus.

Il lui semblait avoir entrevu par la porte d’entrée des festons de lanternes chinoises dont les arcs gracieux encadraient l’allée devant l’hôtel et dont les teintes pastel luisaient doucement comme des bijoux au crépuscule. Le grand plafonnier du porche était allumé et des insectes se cognaient, en voletant, contre son globe de verre. La petite part de lui-même qui n’avait pas encore sombré dans l’ivresse essayait de lui dire qu’il était six heures du matin en plein mois de décembre, mais il avait perdu toute notion du temps.

Et voilà qu’il se retrouvait maintenant dans la salle du dancing. Le grand lustre brillait de tous ses feux et des couples tournoyaient, certains déguisés, d’autres pas, sur une musique qui avait la sonorité douce d’un orchestre de l’après-guerre. Mais de quelle guerre s’agissait-il au juste ? Et comment le savoir ?

La seule chose de certain était qu’il dansait avec une très belle femme.

Grande, les cheveux acajou, moulée dans une robe de satin blanc, elle dansait tout contre lui, ses seins suaves pressés doucement contre sa poitrine. Sa main blanche était enlacée à la sienne. Elle cachait son visage derrière un petit loup pailleté et ses cheveux, ramenés de côté, tombaient en une moelleuse et étincelante cascade. Sa robe lui descendait jusqu’aux chevilles, mais il pouvait sentir de temps à autre ses cuisses contre ses jambes et il était de plus en plus persuadé qu’elle n’avait rien sous sa robe, rien que sa peau douce et poudrée.

(C’est pour mieux te sentir bander, mon chéri.)

Il bandait en effet dur comme fer. Si elle en était offusquée, elle le cachait bien ; elle se blottissait encore plus ardemment contre lui.

— Je vous trouve sympathique, chuchota-t-elle.

Son parfum était celui de ces lis sauvages qui poussent loin des regards dans les vallons secrets et moussus où les rayons du soleil ne pénètrent presque jamais.

— Moi aussi, je vous trouve sympathique.

— Nous pouvons monter à l’étage si vous voulez. Je suis censée accompagner Harry, mais il ne remarquera rien. Il est trop occupé à taquiner ce pauvre Roger.

La danse prit fin. Il y eut quelques applaudissements, puis aussitôt, sans marquer d’arrêt, l’orchestre attaqua Mood Indigo.

Regardant par-dessus l’épaule nue de sa partenaire, Jack aperçut Derwent debout près du buffet et, à côté de lui, une fille en pagne. Sur la nappe blanche s’alignaient des bouteilles de champagne, plantées dans leurs seaux à glace, et Derwent en tenait une, toute moussante, à la main. Il était entouré par un cercle d’amis qui se tordaient de rire. Devant Derwent et la fille en pagne, Roger, à quatre pattes, gambadait grotesquement, aboyant et traînant derrière lui sa longue queue flasque.

— Parle, mon gros, parle ! criait Derwent.

— Ouâ, ouâ ! répondait Roger.

On applaudissait, on sifflait même.

— Harry est très drôle, vous ne trouvez pas ? lui demanda sa partenaire en se serrant de nouveau contre lui. Tout le monde le dit. Il est polyvalent, vous savez. Le pauvre Roger, lui, n’a de goût que pour les hommes. Il a passé un week-end avec Harry autrefois, à Cuba…, oh ! il y a des mois de cela. Et depuis, il suit Harry partout, comme un toutou.

Elle eut un petit rire étouffé et une bouffée de son parfum de lis s’exhala vers lui.

— Mais comme Harry ne monte jamais deux fois le même cheval, ou du moins le même étalon, Roger n’a aucune chance de s’attirer de nouveau ses bonnes grâces. Harry lui a dit que s’il venait au bal masqué déguisé en chien, en petit chien mignon, il se laisserait peut-être attendrir, et Roger s’y est laissé prendre.

La danse terminée, on applaudit de nouveau. C’était l’entracte et les musiciens descendirent de l’estrade.

Près du buffet, Derwent agitait un petit sandwich triangulaire au-dessus de la tête de Roger, l’incitant à exécuter une cabriole devant les spectateurs enchantés. L’homme-chien regardait le sandwich et les flancs de la combinaison argentée s’enflaient et se dégonflaient comme un soufflet. Soudain il s’élança. Rentrant sa tête dans les épaules, il tenta de faire une pirouette en l’air, mais, trop épuisé pour bondir assez haut, il atterrit lourdement sur le dos, se cognant la tête contre le carrelage. Un grognement de douleur sortit du museau en papier mâché.

Derwent fut le premier à applaudir.

— Essaie encore, mon petit chien-chien ! Essaie encore !

Les spectateurs reprirent l’incantation – Essaie encore, mon petit chien-chien ! – et Jack s’éloigna en titubant, avec une vague sensation de nausée.

Il faillit trébucher sur un chariot à boissons poussé par une sorte de brute au front bas, en tenue blanche de serveur. Le pied de Jack heurta le rayon chromé du bas, faisant tinter les bouteilles et leurs siphons.

— Excusez-moi, dit Jack d’une voix pâteuse.

— Il n’y a pas de mal, dit l’homme en uniforme blanc. (L’accent britannique, si poli, si correct, faisait un étrange contraste avec ce visage de gangster.) Vous voulez boire quelque chose ?

— Un martini.

— Voici.

L’autre lui tendit un verre glacé et Jack le but, soulagé de sentir le gin tuer dans l’œuf toute velléité de sobriété.

— C’est ce que vous désiriez, monsieur ?

— Oui, c’est parfait.

— Merci, monsieur.

Le chariot se remit en marche.

Tout à coup, Jack tendit le bras et toucha l’épaule du serveur.

— Oui, monsieur ?

— Excusez-moi, mais… comment vous appelez-vous ?

Le serveur ne parut nullement surpris.

— Grady, monsieur. Delbert Grady.

— Mais vous… je veux dire…

Le serveur le regardait poliment.

— N’étiez-vous pas gardien ici autrefois ? Quand vous… quand…

Mais il ne put achever sa phrase. Il n’arrivait pas à dire sa pensée.

— Mais non, monsieur. Je ne crois pas.

— Mais votre femme…, vos filles…

— Ma femme aide à la cuisine, monsieur. Les filles sont au lit, naturellement. Elles sont encore trop jeunes pour veiller si tard.

— Mais c’est vous le gardien qui – « Oh ! vas-y, dis-le ! » – qui a tué sa femme et ses enfants !

Grady gardait son masque de politesse impassible.

— Je n’ai aucun souvenir de cela, monsieur.

Le verre de Jack était vide. Grady le retira de la main de Jack, qui se laissa faire passivement, et il se mit à lui préparer un autre martini. Il avait sur son chariot un petit seau en plastique blanc plein d’olives. Sans qu’il sût pourquoi, elles faisaient à Jack l’impression de petites têtes tranchées. D’un geste adroit, Grady en piqua une et la fit tomber dans le verre, qu’il présenta à Jack.

— Mais vous…

— C’est vous, le gardien, monsieur, dit Grady doucement. Vous l’avez toujours été. Je suis bien placé pour le savoir, monsieur. Je suis ici depuis toujours. Le même manager nous a embauchés tous les deux en même temps. Est-ce que ça ira, monsieur ?

Jack avala son verre à grandes gorgées. Il avait la tête qui tournait.

— Mr. Ullman…

— Je ne connais personne de ce nom-là, monsieur.

— Mais il…

— Il n’y a qu’un manager, reprit Grady. L’hôtel, si vous préférez. Vous devez quand même savoir qui vous a embauché, monsieur.

— Non, dit Jack d’une voix brouillée. Non, je…

— Je crois que vous devriez vous renseigner auprès de votre fils. Il est au courant de tout, mais il ne vous dit rien. C’est plutôt vilain de sa part, monsieur, si je puis me permettre d’exprimer mon opinion. En fait, il n’a jamais raté une occasion de vous trahir, n’est-ce pas ? Et il n’a pas encore six ans !

— Oui, dit Jack. C’est vrai.

Des rires fusèrent derrière lui.

— Il a besoin d’une correction, si vous permettez que je vous donne un conseil. Il a besoin qu’on lui dise deux mots et peut-être davantage. Mes filles non plus, monsieur, n’aimaient pas l’Overlook au début et l’une d’elles est allée jusqu’à me voler une boîte d’allumettes pour essayer d’y mettre le feu. Mais je les ai corrigées. Je les ai corrigées avec la dernière sévérité. Et, quand ma femme a essayé de m’empêcher de faire mon devoir, je l’ai corrigée, elle aussi. (Il fit à Jack un sourire doux et inoffensif.) Il est triste de constater que la plupart des femmes ne comprennent pas les responsabilités d’un père vis-à-vis de ses enfants. Les maris et les pères ont pourtant certaines responsabilités, n’est-ce pas, monsieur ?

— Oui, je suis d’accord.

Et il l’était. Il avait été faible avec les siens. Il ne faisait pas de doute que les maris et les pères avaient certaines responsabilités. Papa A Toujours Raison. Les autres ne comprenaient pas ça. En soi, ce n’était pas un crime, mais ils y mettaient de la mauvaise volonté. Il n’était pas par nature un homme sévère. Mais il croyait à la vertu du châtiment. Et, si son fils et sa femme avaient décidé de s’opposer volontairement à ce qu’il savait être de leur propre intérêt, n’était-il pas de son devoir de…?

— La morsure du serpent est moins cruelle que l’ingratitude des enfants, dit Grady en lui passant son verre.

Brusquement, Jack fut saisi de doutes. « Je… Mais si on les laissait partir… Je veux dire qu’après tout c’est moi que le manager veut garder, n’est-ce pas ? Ce doit être moi. Parce que… » Parce que quoi ? il aurait dû savoir, mais tout à coup il ne savait plus. Dans son esprit, tout s’embrouillait.

— Vilain toutou ! criait Derwent sur un fond de rires. Vilain d’avoir fait pipi par terre !

— Vous êtes au courant, évidemment, dit Grady en se penchant d’un air confidentiel par-dessus son chariot, de la tentative de votre fils pour faire intervenir quelqu’un de l’extérieur. Votre fils a un don précieux, un don que le manager pourrait mettre à profit pour améliorer et enrichir l’Overlook. Mais votre fils essaie d’employer ce don-là contre nous. Il est obstiné, Mr. Torrance. Très obstiné.

— Quelqu’un de l’extérieur ? demanda Jack, ahuri.

Grady hocha la tête.

— Qui ?

— Un nègre, dit Grady. Un cuisinier nègre.

— Hallorann ?

— Je crois bien que c’est ce nom-là, monsieur.

Jack ouvrit la bouche sans trop savoir ce qu’il allait dire.

— On m’a dit que vous n’étiez pas diplômé. Mais vous parlez comme quelqu’un d’instruit.

— Il est vrai, monsieur, que mes études ont été interrompues prématurément. Mais le manager se soucie de ses employés. Il trouve que c’est payant. L’instruction est toujours payante, ne croyez-vous pas, monsieur ?

— Oui, répondit Jack d’un air hébété.

— Par exemple, vous vous êtes beaucoup intéressé à l’histoire de l’hôtel. Vous avez eu là, monsieur, une initiative qui vous honore et qui vous servira. On a laissé au sous-sol à votre intention un certain album…

— Qui l’a laissé ? demanda Jack fiévreusement.

— Le manager, naturellement. D’autres documents pourront être mis à votre disposition, si vous le désirez.

— Oh ! oui, ça me ferait le plus grand plaisir.

Il s’efforça, sans grand succès, de ne pas trop laisser voir son impatience.

— Et le manager ne met aucune condition à ses largesses, poursuivit Grady. Regardez-moi. Un laissé-pour-compte sans diplôme. Pensez à l’avenir qui vous attend dans l’organisation de l’Overlook. Peut-être…, qui sait ?… que vous irez jusqu’au sommet.

— Vraiment ? chuchota Jack.

— Mais c’est à votre fils de décider, n’est-ce pas ? demanda Grady en haussant ses sourcils en une mimique raffinée qui détonnait avec leur broussaille sauvage.

— À mon fils de décider ? (Jack regarda Grady en plissant le front.) Non, bien sûr que non. Je ne permettrais jamais à mon fils de prendre des décisions qui concernent ma carrière. Jamais. Pour qui me prenez-vous ?

— Je vous prends pour un homme dévoué, dit Grady avec chaleur. Peut-être que je me suis mal exprimé, monsieur. Disons simplement que votre avenir ici dépendra des mesures que vous prendrez pour discipliner votre fils.

— Je sais prendre mes décisions tout seul, chuchota Jack.

— Vous devez réagir à son égard.

— Je n’y manquerai pas. Ce sera fait.

— Un homme qui ne peut pas s’imposer à sa propre famille n’intéresse pas notre manager. Un homme qui ne peut contrôler ni sa propre femme ni son propre fils ne pourra guère se contrôler lui-même et encore moins prétendre assumer un poste de responsabilité dans une organisation de cette importance. Il…

— J’ai dit que je m’occuperai de lui ! hurla Jack, subitement furieux.

Ces paroles, hurlées, avaient rompu le calme relatif de l’entracte et coupé court aux conversations. Jack eut l’impression que tous les regards étaient braqués sur lui. Le brouhaha des conversations finit par reprendre, montant et descendant à son propre rythme, se mêlant en contrepoint à la musique de l’orchestre qui jouait maintenant une version swing du Ticket to Ride de Lennon et McCartney.

J’ai entendu mieux sur les haut-parleurs des supermarchés.

Il étouffa un éclat de rire. Baissant les yeux, il s’aperçut que sa main gauche tenait un nouveau verre encore à moitié plein et il le vida d’un trait.

Il s’était arrêté devant la cheminée où la chaleur du feu crépitant dans l’âtre lui chauffait les jambes.

(Un feu ?… au mois d’août ? Comment était-ce possible ? Le temps avait-il été aboli ?)

Sur la tablette de la cheminée se trouvait une pendule sous un globe de verre, flanquée de deux éléphants sculptés en ivoire. Les aiguilles marquaient minuit moins le quart. Il examina la pendule d’un air anxieux.

Au milieu de Ticket to Ride, l’orchestre s’arrêta dans une fanfare de cuivres.

— C’est l’heure ! proclama Horace Derwent. Il est minuit ! Ôtez les masques ! Ôtez les masques !

Jack essaya de se retourner pour voir quelles étaient les célébrités qui se cachaient sous les paillettes, le fard et les masques, mais il était paralysé, incapable de détacher ses yeux de la pendule dont les aiguilles s’étaient rejointes à la verticale.

— Ôtez les masques ! Ôtez les masques ! reprirent en chœur les invités.

La pendule se mit à tinter délicatement et le mécanisme se déclencha, les rouages commencèrent à tourner et à s’engrener dans de chaudes lueurs de cuivre, le balancier se mit à osciller d’un mouvement régulier. Au-dessus du cadran, sur les rails d’acier, deux petits personnages s’avancèrent l’un vers l’autre.

L’un des personnages était un homme dressé sur la pointe des pieds, qui tenait dans ses mains une petite massue. L’autre était un petit garçon, coiffé d’un bonnet d’âne. Tous deux brillaient d’un vif éclat et se détachaient avec une netteté extraordinaire. Sur le bonnet d’âne du petit garçon, Jack put lire le mot SOT.

Aux accents d’une valse de Strauss, les deux petits personnages vinrent s’enclencher sur les deux extrémités d’un axe métallique.

La massue que tenait le papa s’abattit sur la tête du petit garçon, qui tomba à genoux. Elle n’arrêtait pas de monter et de descendre. L’enfant tendait des mains implorantes qui peu à peu s’abaissaient et bientôt il s’effondra tout du long à terre. Les coups continuaient de tomber, au rythme de la valse légère et tintinnabulante de Strauss et Jack crut voir le visage mécanique du père s’animer, sa bouche s’ouvrir et se fermer, comme s’il accablait de reproches le petit personnage qui gisait inanimé à ses pieds.

Une giclure rouge vint éclabousser l’intérieur du globe de verre. Elle fut suivie d’une autre. Deux autres s’écrasèrent à côté.

Le liquide rouge giclait maintenant partout, ruisselant comme une pluie de sang sur les parois du globe, dérobant au regard ce qui se passait à l’intérieur. Le geyser écarlate charriait de minuscules lambeaux de matière blanchâtre, des fragments d’os et de cervelle. Et, mue par l’inexorable mécanisme de rouages et d’engrenages de cette diabolique machine, la massue continuait de monter et de descendre.

(La Mort Rouge les tenait en son pouvoir !)

Poussant un long cri d’horreur qui s’enfla en crescendo, Jack tourna le dos à la pendule et, les mains tendues, trébuchant comme si ses pieds s’étaient pris dans un filet, il les suppliait d’arrêter, de le prendre, lui, Danny et Wendy, de prendre le monde entier si ça leur chantait, mais d’arrêter au moins de le tourmenter avant qu’il n’ait perdu toute sa raison, toute sa lucidité.

Le dancing était vide.

Les chaises aux jambes grêles étaient posées renversées sur les tables recouvertes de housses en plastique. La moquette à motifs dorés avait été remise sur la piste de danse pour en protéger le vernis. Sur l’estrade déserte traînaient un microphone démonté et une guitare sans corde, couverte de poussière. La lumière froide d’une matinée d’hiver pénétrait dans la pièce par les hautes fenêtres.

La tête lui tournait toujours, il se sentait encore ivre, mais, quand il se retourna vers la cheminée, son verre n’y était plus. Il n’y avait plus que les éléphants en ivoire… et la pendule.

Il traversa d’un pas chancelant le hall froid et ténébreux et pénétra dans la salle à manger. Au passage, il s’accrocha au pied d’une table et s’étala de tout son long, renversant la table à grand fracas. Il heurta le plancher du nez et se mit à saigner. Il se releva, reniflant le sang qui coulait, et s’essuya le nez du revers de la main. Puis il se dirigea vers le Colorado Bar et en poussa violemment la porte, dont les battants rebondirent en claquant contre le mur.

L’endroit était vide, mais au bar – Dieu soit loué ! – on avait fait le plein. Les bouteilles aux étiquettes argentées luisaient doucement dans la pénombre.

Brusquement le sentiment de sa solitude le submergea et il poussa un cri d’angoisse. Il se sentit si malheureux qu’il aurait voulu être mort. Là-haut, sa femme et son fils avaient verrouillé leur porte pour se protéger de lui. Et les autres étaient partis. La fête était finie.

D’un pas hésitant, il se dirigea vers le bar.

— Lloyd, où diable êtes-vous ? hurla-t-il.

Il n’y eut pas de réponse. Dans cette (prison) bien capitonnée, il n’y eut même pas d’écho pour lui tenir compagnie.

— Grady !

Toujours pas de réponse. Seulement la rangée de bouteilles, au garde-à-vous.

(Roule-toi sur le dos. Fais le mort. Ramène la balle. Fais le mort. Dresse-toi. Fais le mort.)

— Ça ne fait rien. Je me servirai moi-même, putain de merde.

Il se pencha par-dessus le comptoir et, perdant l’équilibre, tomba en avant et sa tête heurta le parquet avec un bruit sourd. Il réussit à se mettre à quatre pattes et, roulant les yeux comme un fou, se mit à marmonner des paroles incohérentes.

Puis il s’écroula de nouveau et, le visage tourné de côté, se mit à ronfler vigoureusement.

Au-dehors, la neige tombait de plus en plus dru, poussée par un vent déchaîné. Il était huit heures trente du matin.