POSTFACE

Ah, c’est le silence, plutôt, qui devrait suivre. On éprouve de la gêne à parler après ce livre, un tel livre. Et pour cette raison, d’abord, que Malcolm Lowry, dans sa préface, offre au lecteur – non sans négligence, humour, désinvolture – les clefs de son royaume ou, pour le moins, de certaines capitales : au lecteur de s’en saisir, et s’il ne s’en saisit pas, que pouvons-nous pour lui, écoutera-t-il davantage à l’issue des corridors ? Mais c’est la moindre gêne. Et l’autre est plus sévère, que l’on ressent à élever la voix, quand le silence, à propos, paraît la plus sûre clausule, le plus juste commentaire à… Eh bien, à quoi ? Nous y voici. Nous sommes pris. Nous sommes surpris. Pris aux lacs d’une foudre, – soudaine, et qui tombe de haut, rétiaire, sur nous, sur tous. Surpris devant le corail abrupt, sur le ciel noir, de la foudre. C’est le destin, vite, au cœur, frappant. Nous avions oublié – oublié ? – qu’il était si jeune. Nous omettions qu’il ne vieillissait pas, qu’il suffit d’une œuvre, que les grandes œuvres sont la jeunesse du destin. Et qu’il était si beau, si armé. Au-dessus du ravin, où pourrissent et le consul Geoffrey Firmin et quelque chien errant, côte à côte, quelle gloire.

Oui, se taire, comme l’autre devant la chair devenue sel, serait préférable. Mais trop de richesse est ici contenue : il faut insister, conduire, produire, dans la mesure de ses moyens, des limites imparties. On ne peut avoir vécu dans le texte – et nous y vécûmes, désireux de le transmettre – sans savoir qu’il n’est à peu près pas une phrase de ce texte qui se puisse délier de son allégeance. Toute phrase s’unit, dans cette œuvre, au sol, au fond qui la nourrit, où elle plonge et s’enracine : pas de selve plus dense, plus entrecroisée, plus solidaire ; et c’est d’exception, que l’expression phénoménale soit ainsi attachée à la réalité substantielle. Si, dans votre lecture, vous enjambez des phrases, soyez assuré de rompre une nécessité. Ce livre se réfère à la musique : une note sautée, vous manquez l’accord, la mélodie est fausse. Vous n’avez pas le droit de rien omettre. Le tissage, la trame, la texture sont d’un grain tel qu’à les desserrer vous élimez l’ensemble. Nous vous autorisons à croire que nous exagérons. Soit. Mais, dans ce livre du destin, il n’est pas une minute, un instant du destin à élider, à ne pas vivre. Il faut suivre les hésitations de la masse à choir. J’irai plus loin : mot à mot, c’est souvent mot à mot que l’ouvrage se doit lire. Et il y a, de non moindre importance, une autre raison à cela : Au-dessous du volcan est un poème. Croyez-moi, on ne joue pas avec ce livre. Il n’est pas fait – nous le verrons – pour amuser. Ni pour abuser.

À première vue, un roman où l’amour et l’alcool s’octroient les grands rôles. Soyons-en convenus, pour l’instant, – parce que ce roman d’amour est d’une présence inoubliable, – parce que cette description de l’alcoolisme est d’une incomparable authenticité. Les vains appels d’Yvonne, les cris désespérés du Consul, – pour ne parler ni de Hugh, ni de M. Laruelle, – qui les entendrait sans déchirement ? Mais ces simples mots d’Yvonne : « Nous pourrions être heureux tous les deux », dépassent l’histoire proprement dite : rarement l’impossibilité du couple fut aussi cruellement exprimée. De même, l’alcoolisme de Geoffrey Firmin n’est pas simple vice, tare physiologique. Sa femme le sait : « De toute façon, ce n’est pas la boisson, et le Dr. Vigil aussi : « maladie de l’âme ». Impossible de s’y tromper, on nous mène par la main : ce roman d’amour est un roman de l’amour. De l’amour terrestre ? Oui, d’abord. Et, une fois encore, se bornerait-il là, ce serait déjà un beau livre de passion et de mort. Mais comment l’amour terrestre se limiterait-il à lui seul pour un homme comme le Consul – (et Malcolm Lowry pourrait dire, comme tel autre de son héroïne : Le Consul, c’est moi) – dont le regard perce les apparences, voit à travers ce qui est vu, lit les visionnaires et les aventuriers de l’esprit, rêve d’écrire un livre sur la connaissance secrète ? Le Mexique, où le livre se situe, est plus que le Mexique. Certes, la tragédie s’accorde avec « la peine éternelle qui jamais ne dort du vieux Mexique » – pourtant on nous avertit que nous ne sommes pas là, « mais dans le cœur ». Nous voici prévenus. De même que nous n’ignorons pas quel « amour » chante le Cantique des Cantiques, quel « vin » célèbrent les Khamrivas des mystiques çufis. C’est donc le moment d’ouvrir l’œil sur le livre de Malcolm Lowry. Roman, il l’est par son exotérisme. Reste son ésotérisme…

Yvonne et le Consul sont à jamais séparés. Dès le début du livre, Malcolm Lowry nous montre le caractère inéluctable de la séparation, – et la déchéance, la désintégration, – qui en résulte, – par la symbolique description d’un roc scindé en deux. Ce roc s’appelle « la despedida ». Le désespoir. Que Geoffrey Firmin entende le sens caché de cette image, où s’exprime un verdict, rien qui s’accorde mieux à ses préoccupations métaphysiques. Averti de la tradition mystique juive, il ne peut ignorer la loi sexuelle qu’elle comporte, et que le Zohar énonce. Ceux qui ont quelque connaissance de la Kabbale le suivront aisément dans ses déductions. L’Adam primitif, on le sait, fut créé androgyne, la forme mâle et la forme femelle étant accolées dos à dos. Mais Dieu décida bientôt de les détacher, afin qu’elles puissent se voir face à face. Il fallut alors un principe médiateur : Dieu créa l’amour. Si l’amour manque, l’unité originelle est rompue, chaque moitié souffre désespérément, aspire dans les tourments à retrouver son complément. Plus gravement encore, Dieu refuse d’établir sa demeure et sa bénédiction où les deux éléments ne sont pas unis. Chacun des deux, selon le Talmud, se voit privé de la gloire, – du reflet de Dieu dans la création. Au contraire, si les deux formes se rejoignent dans l’amour, leur union « a un contrecoup sur les mondes » et se conclut dans l’allégresse : « les mondes jaillissent » (Zohar). La conception ésotérique de la Totalité se retrouve ici : Dieu étant le mâle, l’Univers étant la femelle, le Tout se compose de leur union, le chaos et le néant, de leur désunion, – et les créatures mortelles aboutiront à la Totalité ou au chaos selon qu’elles obéiront à l’amour. « L’ange de l’amour », dit le Zohar, « vole vite, mille fois plus rapide que l’ange de la sérénité… Tous les esprits d’en-bas, divisés par la loi des contraires, le poursuivent pour s’y attacher dans un baiser, puiser quelque chose de l’amour divin et retrouver l’union ».

S’agit-il ici du vain plaisir d’exposer des préoccupations chères ? Non pas. C’est le héros de Malcolm Lowry qui nous y oblige. Le Consul s’en réfère à la Kabbale. Les Séphiroths, intermédiaires entre le monde spirituel et le monde matériel, sont pour lui des évidences ; sur l’arbre séphirothique, il se situe lui-même entre Chesed et Binah, – entre l’Intelligence et la Miséricorde. Des pensées, des images, venues de la tradition juive, s’insèrent dans le récit. Aussi bien Lowry n’en disconvient-il pas : la Kabbale, écrit-il, « représente l’aspiration spirituelle de l’homme », et Geoffrey parle de « la dissolution de l’Ordre Ancien ». Des allégories sont inspirées par les livres ésotériques : « Toute la terre habitée tourne en rond comme un cercle. Certains de ses habitants se trouvent dessus, d’autres dessous… » De qui est-ce ? De Lowry, décrivant l’émoi du Consul dans la maquina infernal ? Non, c’est dans le Zohar. Et l’on multiplierait les exemples. Le Consul est versé dans les sciences secrètes : sa pensée s’accorde sans cesse avec l’objet de son étude, – c’est une extraordinaire réussite littéraire que nous mêler ainsi à la pensée constante du personnage. Mais, en fait, – et il faut insister, – le Consul – (ou Malcolm Lowry, si vous préférez) – ne s’intéresse pas à la seule tradition juive, il s’intéresse à tous les ésotérismes, à toute la tradition. Voyez plutôt de quels ouvrages se compose la bibliothèque de Geoffrey Firmin : ouvrages de magie, d’alchimie, de nécromancie, etc… voisinent avec les livres saints. Et la littérature, dans la mesure où elle exprime quelques mythes essentiels, – où elle s’intitule « tradition », – intervient à son tour. Le tout, brassé par « un esprit magnifiquement ivre ». Ivre à cause de la connaissance. Le Consul est donc averti d’une gnose formelle ; la Totalité et l’Unité résident dans la seule réunion par l’amour des deux formes disjointes. Sans la médiation de l’amour, l’homme et la femme ne se peuvent regarder face à face, et ils éprouvent ontologiquement le divorce de l’Infini et de l’Univers. Créer, pour Dieu – aux termes du Zohar – c’est opérer des unions sexuelles. Rompre avec l’ordre divin équivaut ainsi à rompre avec l’ordre de la création. C’est s’exclure de la création, s’inclure dans le chaos. Le récit de Malcolm Lowry adopte alors, spontanément, comme de lui-même, la représentation traditionnelle de la faute : le jardin d’Éden perdu, et désormais interdit. Il suffit de lire le chapitre V pour s’en apercevoir. Tous les éléments de la proscription s’y retrouvent, le Consul la revit dans son ivresse : ce qui fut paradis est broussailles, abandon ; dans un buisson, voici la bouteille de tequila, la tentation ; le serpent n’y manque pas ; et la surveillance prend les traits de M. Quincey, le voisin qui arrose son jardin ! Déjà les chapitres II et III, parfois avec un extrême lyrisme, accusaient les caractères de la déréliction, et particulièrement la rupture de l’alliance avec le monde : « Tu ne sais plus aimer ces choses… ». Faut-il rappeler l’inscription du jardin public ? Ce jardin vous plaît-il ? Il est le vôtre ! Empêchez vos enfants de le détruire ! Tel est le sens du texte espagnol. Mais le Consul ne se contente pas de jouer avec son ambiguïté, de lui conférer une acception symbolique. Il le transforme, ce sens, et traduit : « Nous expulsons ceux qui détruisent. » Désormais le leitmotiv du jardin édénique, perdu, détruit, et interdit, s’installe dans la thématique du livre. Parmi les témoins de l’assassinat du Consul, qui rencontrerons-nous ? Le « Chef des Jardins ».

Yvonne n’est pas instruite de connaissance ésotérique. C’est d’instinct qu’elle interprète la ruine du jardin. Elle rêve de le rétablir ailleurs. Dans quelque ferme lointaine, elle retrouverait son amour, elle sauverait Geoffrey. Sauver Geoffrey ? Sauver ? Voilà qui nous conduit plus loin. Le manquement à la Loi se révèle soudain plus vaste, il ne se limite plus à la tragédie des deux protagonistes affrontés, il s’élargit à l’humanité même. Sur Yvonne, sur Geoffrey, pèse cette conséquence de la faute : l’abandon du prochain. Yvonne a abandonné Geoffrey. Geoffrey sait qu’il se dérobe sans cesse devant la misère du monde, qu’il invente des prétextes pour s’y soustraire. Ils sont, l’un et l’autre, Geoffrey et Yvonne, conscients de leur égoïsme. Mais il y a plus : un remords tenaille le Consul : il n’a pas su empêcher, pendant la guerre, que des prisonniers ennemis soient massacrés par l’équipage de son bateau, – et l’on se demande même s’il est innocent de ce crime… Quoi qu’il en soit, le chapitre VIII, tout entier, développe le thème de la responsabilité envers autrui. Un indien, on s’en souvient, agonise au bord de la route, assassiné par l’un de ses frères de race. Yvonne se détourne du moribond, elle ne peut « supporter la vue du sang ». Geoffrey, lui, demande à Hugh de ne pas intervenir, d’attendre l’arrivée de la police. Ne voit-on pas ce que répète le chapitre ? Pardi, la parabole du Bon Samaritain. Comment s’appelait, justement, le navire meurtrier que commandait le Consul ? Le Samaritain. Le propos est net. Le thème de la charité non respectée, corollaire du manquement à l’amour, devient l’une des obsessions majeures du livre. La mort du Consul répétera la mort de l’indien. Lui aussi mourra, abandonné, sur une route. Mais non sans avoir reçu une ultime leçon. Quelque misérable, le vieux joueur de violon, se penchera vers lui et l’appellera « companero »… À cette parole de compassion, le Consul éprouvera une ultime joie, « cela le rendit heureux ». Et Lowry ajoute : « Maintenant, il était le mourant sur le bord d’un chemin, où ne s’arrêterait aucun bon samaritain. » Ainsi se ferme le cycle. La Loi est irrémissible.

En fait, le « samaritain » du livre s’appelle Hugh. Yvonne et Geoffrey peuvent bien se moquer de lui, ironiser, plaisanter son « romantisme », – et il peut bien n’être qu’un pécheur, coupable de désirer la femme de son demi-frère, un « judas », – c’est lui qui est dans vérité, il possède « un juvénile mot de passe de courage et de fierté ». Il veut changer le monde par ses actes (comme M. Laruelle veut aussi le changer par ses films). Il veut intervenir. Et, de ce point de vue, la guerre civile d’Espagne est le prétexte politique où s’exprime une morale de l’intervention. « Ils perdent la bataille de l’Èbre », se répète Hugh. Ce refrain ne permet aucune indécision. Il insiste sur le manquement de tous à la justice et à la fraternité, à la charité et à l’amour. Nous sommes tous coupables. Yvonne devine qu’un amour non égoïste la sauverait. Et l’indien mourant ? Non seulement il n’est pas sauvé par ses semblables, mais encore est-il dépouillé par un pelado. Et comment douter aient-ils, les uns et les autres, de la faute ? Elle s’inscrit en larges lettres sur le mur de la maison de M. Laruelle : No se puede vivir sin amar.

Si la vie est impossible sans l’amour, et si nous n’aimons pas, alors nous ne vivons pas, et nous sommes dans la mort. « Le pire de tout », dit le Consul, « c’est de sentir son âme mourir » ; et il ajoute : « Mes secrets sont de la tombe ». Il n’est guère de page où la mort ne soit présente. L’action du livre tient en un seul jour : le Jour des Morts. Voici des meneurs de deuil, des funérailles, des coutumes funéraires, un cadavre expédié par train ; voici l’indien mort, des chiens morts, et Yvonne eux un enfant, et il est mort ; des fantômes errent dans le casino de la Selva, telle cantina s’appelle « la Sépultura »… On entend les chocs sourds d’un bombardement, d’un exercice de tir ; le palais de Maximilien, tout ruines, est un palais funèbre. Yvonne veut acquérir un tatou, Hugh la dissuade : « Il vous entraînerait dans la terre » ; et ces vautours, dans le ciel, haut, comme des signes, en suspens comme les restes consumés de la lettre d’amour écrite à sa femme par le Consul, la lettre brûlée par M. Laruelle, un an après la tragédie… Nous assistons ici à un triomphe breughélien de la mort. Nous sommes en pleine mort, – et en plein enfer. « Le nom de ce pays est enfer », dit Geoffrey. « Au-dessous du Volcan ! Ce n’était pas pour rien que les Anciens avaient placé le Tartare sous le mont Etna, et au-dedans le monstre Typhée aux cent têtes, aux yeux et à la voix – relativement terrifiants. » Relativement ? C’est qu’il est sans doute un enfer plus affreux que celui dont la barranca est le symbole : être condamné à vivre dans le Jardin détruit.

L’enfer du Consul se compose de « cercles », non moins que celui de Dante ; Malcolm Lowry définit son œuvre comme une Divine Comédie ivre. Rien d’étonnant à cela, si l’on songe que nous avons affaire à un « initié ». La tradition mystique juive – que l’Italien, certes, connaissait – représente le monde des Séphiroth soit par un arbre, soit par des cercles concentriques. Or, le cercle est l’une des formes que l’on retrouve fréquemment dans notre livre. Je dirais même qu’elle est sa forme même. Sur le paysage se dessine, éloquente, la roue Ferris, dont le symbolisme est clair : elle signifie le cycle, le retour cyclique, – et Lowry, pour préciser encore, fait aller la roue dans un sens et dans l’autre. Du cercle nous passons au cycle, – soit : de l’espace au temps. C’est que la tragédie du Consul se situe dans le temps irréversible du péché commis, mais lui, le Consul, souhaite que s’annule cette irréversibilité : le chapitre de la « maquina infernal » est, à cet égard, pleinement significatif, il suffit de s’y reporter. Nous assistons à un rejet, à une dénonciation, à un procès du temps continu, du devenir, du temps chrétien, si l’on veut. Par contre, Geoffrey Firmin en appelle au temps sacral des plus anciennes religions, au temps qui, à la fois, s’éternise et s’abolit dans la répétition des archétypes, – le temps non-temps de « l’éternel retour », du destin unique. Nous rejoignons le mythe de l’abolition du temps, essentiel à la part la plus importante de la littérature contemporaine, et Malcolm Lowry se place ainsi aux côtés – par exemple – de James Joyce ou de T.S. Eliot. La constante de la roue équivaut au désir du centre, du moyeu, de l’axe, – du lieu ou tout est danse sans chaos, en opposition, corrélation et affirmation, tout ensemble, de la parole nietzschéenne : « Il faut beaucoup de chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse », – ainsi qu’on le peut entendre dans les Four Quartets. Il y a, chez le Consul, une soif infongible. Non d’alcool. Mais d’ontique, de statique, d’être. L’alcool, pour lui, n’est pas vice : il est le moyen d’une connaissance. Par l’alcool, il espère sortir de lui-même, sortir d’une temporalité dirigée par le péché préalable, sortir de l’historicité et de la conscience historicienne. Par l’alcool, il voit, il se fait voyant, dans l’acception rimbaldienne du terme. Ne voit-on pas, à lire nos grands contemporains, que la volonté de puissance a cédé à une volonté d’extase ? Rarement l’extase fut plus héroïquement poursuivie que par le Consul Geoffrey Firmin. On mesure donc le contresens qui consisterait à tenir ce livre pour un témoignage, ou un roman « sur » l’alcool, – quand il s’agit d’un livre mystique.

Le principe du retour cyclique, c’est le livre même. La tragédie « tient » dans le retour d’Yvonne ; l’assassinat du Consul « tient » dans le meurtre de l’indien, et le Consul se laisse assassiner, n’accorde pas d’attention à l’aide qu’on lui offre, parce que la solennelle répétition du destin lui ouvre un temps hors de la faute. Et cela ne se manifeste pas moins dans l’expression. Nous avons tenté, maladroitement, de lire les principaux thèmes, les principaux leitmotive de l’œuvre. Eux aussi, ils reviennent, s’imposent, se re-imposent sans cesse. Le Consul tourne dans le cercle de sa conscience. À chaque pas, il rencontre les visages du destin unique : Faust, Macbeth, et d’autres encore. La forêt, par exemple, – Casino de la Selva, Cantina El Bosque, bois où Yvonne meurt, etc. – est précisément celle de Macbeth, la forêt de Dunsinane vengeresse, et les Mains d’Orlac, ce film que l’on projette à Quauhnahuac, pourraient être celles de Lady Macbeth. Comme le Johann Faust de Marlowe, le Consul entend en lui les voix contradictoires d’un bon et d’un mauvais ange. Mais se pourrait-il qu’on ne considérât point ce livre comme une nouvelle « tragique histoire du Docteur Faust » ? Que voulait le damné du dramaturge élizabéthain ? Connaître. Et qu’a donc voulu le Consul Geoffrey Firmin ? Connaître. Et où sont-ils conduits, l’un et l’autre, par leur soif de connaissance ? À l’Enfer, à la Barranca. Au-dessous du volcan est un livre faustien. Ainsi le mythe nous est-il redonné, – une fois encore, il nous revient.

Max-Pol Fouchet.