À peu près au moment où tous les reporters découvraient qu’ils ne pouvaient obtenir une interview de Gary à cause de ces foutus règlements de la prison, Tamera Smith, du Deseret News, remarqua qu’on s’intéressait beaucoup à Nicole Barrett. On disait que Nicole voyait Gary tous les jours, aussi tout le monde essayait-il de la contacter. Personne n’y avait réussi, sauf un type de la Chaîne Cinq qui avait discuté quelques minutes un soir en direct avec la petite amie de Gilmore. Tamera trouvait que Nicole ne s’était pas montrée sous son meilleur jour. En réalité, elle avait un air fatigué et préoccupé, comme un petit oiseau trempé par la pluie.
Bref, un camarade journaliste du Deseret News du nom de Dale Van Atta était en train de déplorer combien c’était difficile d’approcher Nicole, quand Tamera dit : « Je l’ai déjà rencontrée. Veux-tu que j’essaie ? » Van Atta la considérait pour ce qu’elle était, une jeune journaliste tout juste sortie du collège, et dit : « Je ne pense pas que ça t’avancera. » Elle appela la prison alors que Nicole était justement dans la salle de visite de haute surveillance. Tamera ne s’attendait pas à lui parler aussi vite, et c’était à peine si elle savait quoi dire, mais Nicole se rappela tout de suite qui elle était, alors Tamera lui dit : « Je me demande si vous seriez d’accord pour qu’on se voie et qu’on bavarde un peu. »
Même au téléphone, Tamera sentit sa pensée cheminer. Nicole prenait toujours très au sérieux ce qu’on lui disait. Même la remarque la plus anodine, elle l’enfouissait tout au fond d’elle-même. C’était comme si elle ne se décidait à donner sa réponse que si elle avait assimilé tout ce qu’on lui disait. Cette fois, après un silence, Nicole dit qu’elle n’avait vraiment pas envie de parler, mais il y avait quelque chose dans le ton de sa réponse qui était encourageant ; aussi Tamera lui demanda-t-elle si elles pouvaient le faire à titre privé. Nouveau silence puis Nicole dit qu’à titre privé ça pourrait se faire. Tamera répondit qu’elle passerait la prendre à la prison.
Dehors, dans le parking, Tamera piétinait dans la première neige de novembre et frissonnait, lorsque Nicole descendit l’allée menant au quartier de haute surveillance, l’aperçut, lui fit un charmant sourire et s’approcha. Mais sur la route, Nicole recommença à avoir l’air triste. Elle raconta bientôt que son grand-père était mort et qu’on allait l’enterrer le surlendemain, et puis il y avait cet ancien ami, Kip, qui venait de se tuer les jours précédents. De plus, Gary était très excité parce que, le matin même, il avait gagné devant la Cour suprême de l’Utah et qu’il allait probablement se trouver en face d’un peloton d’exécution. Cela surprit Tamera que Nicole ne parût pas bouleversée. Elle était assise là, calme et immobile, soufflant doucement sa fumée, comme le font les gens vraiment amateurs de tabac.
Tamera s’arrêta à Provo pour offrir à déjeuner à Nicole, et elles durent bavarder deux bonnes heures là, chez J.B., dans Center Street, dégustant des hamburgers et des milkshakes. En général, l’établissement était bourré d’étudiants, mais au milieu de l’après-midi, l’endroit était assez calme. Tamera sentit que Nicole se détendait au fur et à mesure de la conversation.
Elles s’étaient déjà rencontrées au mois d’août, lors de la seconde audience préliminaire. Tamera travaillait alors comme pigiste à Provo pour le Deseret News, poste qu’elle avait obtenu après avoir travaillé à BYU au Daily Universe. Ayant fait du journalisme de collège, elle avait l’habitude de faire la ronde des commissariats, mais au tribunal, ce fut autre chose : elle fut captivée par Nicole.
Lorsqu’on amena Gilmore, entravé et marchant d’un pas traînant, elle remarqua cette fille assise au premier rang. Il s’arrêta devant elle, l’embrassa, et Tamera comprit que ce devait être sa petite amie. Elle l’entendit même dire : « Je t’aime. » Tamera se sentit aussitôt débordante de compréhension pour Nicole. Gilmore n’avait alors rien d’impressionnant, ce n’était qu’un criminel comme un autre, l’air dur, assez peu engageant, avec un visage marqué. Tamera se sentit humiliée pour lui de le voir les chevilles enchaînées, marchant à petits pas saccadés, mais en fait c’était la fille qui l’attirait, qui la fascinait littéralement. Elle avait un air mystique, une sorte d’éclat, songea Tamera, comme une vedette de cinéma d’autrefois. Tamera perçut tout de suite le drame de la situation. « En plus des veuves, il y a une autre femme dans l’histoire », se dit-elle. L’audience terminée, Tamera s’attarda dans le fond de la salle et regarda Gary donner à Nicole un baiser d’adieu. Puis, dans la rue, elle vit Nicole lui faire des signes jusqu’à ce qu’il eût disparu. On pouvait dire qu’elle avait voulu être belle pour lui parce qu’elle portait ce jour-là une robe longue un peu démodée et modeste. Elle était si belle que Tamera, en l’observant, eut l’impression d’être elle-même une grande blonde peu soignée et dégingandée. Elle attendit que Nicole fût montée dans sa voiture, mais elle ne put se retenir plus longtemps. Elle fut prise d’un besoin irrépressible de lui parler et traversa la rue en courant pour la rejoindre.
À l’époque, il n’était pas question de faire un article. L’affaire Gilmore était encore un procès comme les autres. Tamera voulait juste que Nicole sache que quelqu’un s’intéressait à elle, parce que, dans une ville comme Provo, tous les gens prenaient le parti des victimes.
Arrivée à la voiture, elle dit : « Je m’appelle Tamera Smith, je travaille pour le Deseret News et j’aimerais vous parler. Pas en tant que journaliste mais en tant qu’amie. Je me demande si vous accepterez de prendre un café. Vous devez en avoir gros sur le cœur. » Nicole hésita, puis accepta. Alors elles prirent la voiture de Nicole, qui roulait de façon épouvantable, car on ne savait jamais quelle vitesse allait passer. Nicole expliqua qu’elle avait eu un accident deux jours avant, et elles allèrent chez Sambo pour bavarder.
Les deux filles parlèrent d’elles, et en fait Tamera se surprit à beaucoup se dévoiler. Elle fut étonnée de la rapidité avec laquelle elle raconta à Nicole que son père était mort il y avait bien des années et que cela avait laissé en elle un vide énorme qu’elle n’arrivait pas à combler. Puis elle raconta que jadis elle avait écrit à un type en prison, et que ses frères et sœurs, qui étaient tous des mormons aussi actifs qu’on pouvait trouver, avaient été dans tous leurs états. Mais le type s’était révélé merveilleux et elle était même allée le voir dans une prison du Kentucky. Cela lui ouvrit certainement le cœur de Nicole.
Pendant tout le temps de la conversation, Tamera fut aux anges. Ce n’était pas que Nicole était d’une beauté sans défaut, mais elle était fascinante. De plus, elle avait un air tellement calme qu’on avait l’impression de se trouver devant quelqu’un qui ne le perdait jamais. Et pourtant, d’après les histoires que racontait Nicole, Tamera se dit qu’elle devait avoir un sacré tempérament. Mais ce jour-là elle était royalement sereine.
Lorsqu’elles se dirent adieu, Tamera lui donna son numéro de téléphone et dit : « Si vous avez besoin d’aide, je serai heureuse si je peux faire quelque chose. » Ce fut tout. Le journal ne lui confia pas le reportage du procès et elle n’eut plus rien à faire avec cette histoire. Elle s’occupa d’autre chose. Elle avait presque oublié.
Mais aujourd’hui, chez J.B., peut-être que Nicole n’avait encore rencontré personne à qui elle eût envie de se confier, mais on peut dire qu’elle s’épancha. Tout en sirotant sa boisson, elle avoua à Tamera qu’elle allait se suicider. Elle le lui déclara posément en insistant sur toutes les morts qui pesaient sur elle : les victimes, Kip, son grand-père, Gary bientôt. Tamera sentit qu’elle avait peur.
Ce qui donnait à Tamera envie de pleurer, c’était que Nicole attendait, tout comme Gilmore, la date de sa mort. Quand elle était avec lui, expliqua-t-elle, ça allait bien, elle n’avait pas peur parce que Gary avait une vision de ce que la vie serait après la mort, mais quand elle le quittait, de nouveau elle était effrayée. Ces hauts et ces bas devaient être affreux, songea Tamera. Chaque fois que Gary obtenait un sursis, il en était de même pour Nicole.
Pour Tamera, c’était quelque chose de prodigieux. Ses amis se moquaient toujours d’elle parce qu’elle était très émotive, et Tamera se disait qu’elle devait être un des êtres les plus divisés qui soit. D’un côté une mormone active et croyante, et de l’autre des élans déments. Aux yeux de tous, sauf aux siens, elle devait sembler un peu folle. Grandir en croyant à l’Alliance divine et croire à tout ça encore aujourd’hui, et pourtant se déchaîner devant les Rolling Stones ! Ses camarades disaient toujours que, si elle n’avait pas une éruption, elle allait exploser : il y avait trop de lave brûlante en elle. Et voilà maintenant que cette histoire lui tombait dessus. C’était le sujet le plus formidable qu’elle eût jamais approché, mais en même temps elle se faisait beaucoup de souci pour Nicole.
Tamera ne voulait pas se montrer indiscrète, mais elle ne put faire autrement que poser des questions. « Et les gosses ? » voulut-elle savoir. Nicole semblait prête à éclater en sanglots. Elle ne les traitait pas, avoua-t-elle, aussi bien qu’elle l’aurait voulu. Tamera lui demanda aussi si elle et Gary parlaient beaucoup de ce suicide. Nicole répondit : « On ne parle que de ça. »
Tamera brûlait d’écrire son article.
Dans la rue, devant le petit immeuble où habitait Nicole, elles aperçurent une camionnette d’une station de télé de Salt Lake. À peine étaient-elles dans l’escalier qui conduisait au second étage qu’un journaliste sortit en courant d’une voiture à l’arrêt. « C’est vous Nicole Barrett ? » demanda-t-il. « Je suis sa sœur », dit Nicole. « Non, vous êtes Nicole », insista le journaliste. Elle le toisa calmement : « Je suis sa sœur. Nicole est à la prison. » « Pourtant, je vous reconnais », dit le reporter. « Non, je suis sa sœur. » Tamera et Nicole s’éloignèrent, suivirent la galerie et entrèrent dans l’appartement. Dès l’instant où la porte fut fermée, elles éclatèrent de rire. Cela donna à Tamera le courage de demander un peu plus tard à Nicole si elle l’autorisait à écrire leur histoire.
Ce qui se passa en réalité, c’est que Nicole avait sorti quelques-uns des dessins de Gary et que Tamera les trouva très bons. Elle déclara que le public devrait être plus informé sur la vie de Gary. C’était un bon argument et Tamera était sincère. En fait, en regardant les dessins, elle se dit qu’il devait avoir une vie intérieure intense. Ces croquis étaient trop mélancoliques et trop contrôlés.
Elle parla à Nicole du détenu dont elle avait été l’amie. Tamera l’avait interviewé à la prison municipale de Provo alors qu’elle était encore à BYU. Elle était arrivée et elle avait découvert ce type dans sa cellule, gentil, chaleureux et beau garçon. Tout ce qu’il avait fait, ç’avait été de voler un tas de cartes de crédit, des appareils photos, des trucs sans trop d’importance. Elle était tombée amoureuse tout de suite et, quand il avait été transféré dans le Kentucky, elle était vraiment épinglée. Il écrivait de magnifiques lettres d’amour. Elle correspondit avec lui pendant un an et demi. Parfois, elle recevait jusqu’à sept lettres par jour. Ça remplissait presque le vide laissé par la mort de son père. Ces lettres disaient presque toujours la même chose : « Vous êtes belle et je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme vous, votre compréhension et votre patience m’ont conquis. » Etc.
Elle raconta à Nicole qu’elle avait même pris un car pour le Kentucky après qu’il lui eût envoyé de l’argent, et que pendant une semaine elle lui avait rendu visite six heures chaque jour. Sa famille pensait qu’elle était devenue folle, mais pour elle ç’avait été une époque merveilleuse.
C’était une prison où les détenus jouissaient d’une certaine liberté. Ils pouvaient aller s’asseoir sur la pelouse, lire des livres ensemble et jamais de sa vie elle ne s’était sentie aussi proche de quelqu’un. Ses camarades de chambre avaient été tout excitées lorsqu’elle était revenue. On lui avait trouvé un type charmant pour sa soirée d’anniversaire, mais lorsqu’elle eut regagné l’appartement et dit bonsoir à son cavalier, ses sept camarades avaient jailli dans la chambre à coucher. Elles portaient toutes des T-Shirts sur lesquels était inscrit le matricule de prisonnier de son amoureux. Brandissant des pistolets à eau, elles l’avaient enlevée et emmenée dans un restaurant. Elle devait devenir une sorte de personnage légendaire à BYU. Ses camarades étaient même fières de la façon dont elle avait pris la chose. « On ne sait jamais ce qui va se passer avec Tammy », disaient-elles avec une certaine satisfaction.
Lorsque son amoureux sortit de prison, il revint à Provo et trouva un emploi de menuisier. Environ trois semaines plus tard, il prit la voiture de Tamera, la chargea de tout ce qu’il put prendre chez elle et chez le type avec qui il habitait et s’en alla. Tamera ne l’avait jamais vu depuis.
Ça s’était terminé de telle façon qu’elle se demandait encore comment elle avait pu être si proche de ce garçon. Toute sa vie à lui n’était sans doute qu’une suite d’escroqueries. Il lui avait raconté tant de mensonges qu’elle ne comprenait toujours pas comment elle avait pu tomber si amoureuse de lui. Ils n’avaient jamais partagé la même vérité, dit-elle à Nicole. Et pourtant si, il y avait eu une sorte de vérité, insista-t-elle.
Maintenant, dans le silence qui avait suivi, Tamera ne pouvait plus se retenir tant elle était excitée. « Je vous en prie, fit-elle, laissez-moi juste… (Sa voix s’étranglait. Elle poursuivit :) Écoutez, je vais trouver une machine à écrire, taper l’article, vous le rapporter et vous le laisser lire. Si vous n’aimez pas ce que je fais, nous n’en parlerons plus, vous savez. Parce que, après tout… j’ai dit que ça resterait entre nous, alors si c’est encore ce que vous voulez, ce sera ainsi. Mais il faut que j’essaye. »
Elle alla jusqu’à l’appartement d’une vieille copine d’université, lui raconta ce qui se passait, s’installa et commença. Ça lui faisait un drôle d’effet. Il y avait tant de choses à dire que ça lui prit deux heures pour écrire deux pages, et lorsqu’elle les rapporta, Nicole les lut, les assimila avec soin, puis leva les yeux et dit : « Non, ça ne me plaît pas. » Tamera dit alors : « Bon, on n’en parle plus. »
Elle se sentait déçue mais, bah… elle n’aurait qu’à attendre. Elle n’allait pas violer leur accord.
La déception devait se lire sur son visage, car maintenant Nicole se sentait embêtée aussi. Tamera dit : « Ne vous inquiétez pas. C’était ça notre accord. » Nicole se leva, s’approcha d’une petite commode et dit : « Je vais vous montrer quelque chose que je n’ai jamais montré à personne. Aimeriez-vous lire des lettres de Gary ? »
C’était encore un gros coup après une journée plutôt chargée. Tamera dit : « Bien sûr. » Nicole prit le tiroir plein et le renversa sur la table. Il y avait tant d’enveloppes que Tamera se mit à lire au hasard. Elle n’en croyait pas ses yeux. La première qu’elle prit avait des passages vraiment bons. « Nicole, dit-elle, ça vous ennuierait si je recopiais quelques phrases ? »
Elles arrivèrent à une sorte d’accord : Tamera n’écrirait pas d’article dans l’immédiat, mais une fois Nicole disparue, Tamera pourrait dire tout ce qu’elle voudrait. Elles restèrent donc assises là toutes les deux devant la table de la cuisine à lire les lettres, et Tamera recopiait des passages aussi vite qu’elle pouvait. Elle finit par s’en aller vers 8 heures. Elles étaient ensemble depuis midi.
Sur la route de Provo à Salt Lake, en général, Tamera roulait vite, avec la radio qui marchait à plein tube et elle collectionnait les contraventions. Ce soir-là, elle roula à peine à quatre-vingts en essayant de réfléchir. Elle ne savait pas quoi faire, elle n’arriva pas à dormir et le lendemain matin, elle décida de se confier à son rédacteur en chef. Tout ça semblait trop gros. Dans le secret de son bureau, à titre strictement confidentiel, elle lui relata comment Nicole comptait se suicider dès que Gary serait exécuté, et son rédacteur en chef lui fit remarquer qu’il avait entendu la même chose d’autres journalistes. Il y avait beaucoup de bruits qui couraient. Toutefois, cette confirmation l’avait convaincu d’alerter les autorités. Tamera se sentit beaucoup mieux.
Elle se dit que ce dont Nicole avait le plus grand besoin dans l’immédiat, c’était d’une amie. Tamera allait jouer ce rôle-là. La pousser à faire des choses et à se dégager de l’énorme fardeau que c’était de vivre tout le temps en esprit auprès de Gilmore.
Aujourd’hui, tu as embrassé mes yeux, tu les as bénis pour toujours. Je ne peux voir que la beauté maintenant. Oh ! belle Nicole Kathryne Gilmore. Tu es un petit lutin doux et pur et drôle à manger. Je ne suis pas un grand poète… Mais si je t’avais nue sur un lit ou sur l’herbe sous les étoiles, j’écrirais une vraie chanson d’amour sur tout ton beau corps criblé de taches de rousseur avec ma langue et mes mains et mon sexe et mes lèvres et je parlerais tout doucement de ta beauté je te ferais sentir et planer et voler et chanter pour danser autour du soleil et de la lune et nous ne ferions qu’un et nous jouirions comme un seul être et jouirions et jouirions et je te ferais pousser de petits soupirs en roulant des yeux fous abandonnée noyée dans le plaisir en sueur humide et tiède tes seins contre moi nos bouches verrouillées dans de doux et humides baisers baisers baisers – oh, regarder ton corps nu j’adore te regarder nue ou juste en socquettes quand tu enfiles ta culotte dans la douce fente de ta jolie petite chatte j’aimais tant te regarder te promener nue dans la maison… Mon petit elfe sexy, je t’aime… ton Gary.
Gibbs reçut un mot ce jour-là :
Jusqu’à maintenant j’ai reçu une lettre de Napoléon, une du Père Noël, plusieurs de Satan et tu ne croirais pas le nombre de cachets de la poste et d’adresses de l’expéditeur que Jésus-Christ lui-même utilise… Les gens croient que je suis fou. Ah ah ah.
Tu ne devineras jamais de qui j’ai reçu une lettre. De Brenda ! D’abord elle les aide à me pincer, puis elle les aide à me condamner, maintenant elle veut m’écrire et venir me voir. Il faut avoir les couilles bien accrochées.
Le lendemain, jeudi, dès que Tamera arriva au travail, elle reçut un coup de téléphone d’un correspondant du magazine Times. Il avait appris qu’elle avait rencontré Nicole. Il voulait savoir si elle avait de petits renseignements à donner. La pression commençait à se faire sentir aussi sur ses rédacteurs en chef. Ils étaient obligés de faire patienter de vieux copains. Ce fut la première fois que Tamera se rendit compte à quel point le journalisme ressemblait à une boutique d’échanges. « Je te donnerai un bout de mon histoire aujourd’hui si tu me rends service demain. » Elle avait toujours cru que ça ressemblait plus au cinéma : on allait à la chasse tout seul et on ramenait le gibier vivant.
Le chef des informations retira Tamera de ses autres enquêtes et lui dit : « Tu t’occupes de Nicole. Fais ce que tu crois devoir faire. » Elle le regarda sans comprendre et il ajouta : « Je m’en fous si tu la ramènes à Salt Lake et si tu l’installes chez toi. S’il le faut, emmène-la dîner. Peu m’importe ce que ça coûte. Fais n’importe quoi, mais ne loupe pas cette histoire. » Ma foi, ça ressemblait plutôt à ce qu’elle s’était imaginée. Puis le type de Times rappela pour dire qu’il voulait des renseignements sur Nicole. Lorsqu’elle répondit « C’est une affaire entre Nicole et moi », il rétorqua : « Elle vient de donner une interview au New York Times. » « quoi ? » s’écria Tamera.
Plus tard ce matin-là, Tamera attendait Nicole à la sortie de la prison. À peine eut-elle mentionné l’interview du Times que Nicole dit : « C’est ridicule. Je n’ai parlé à personne. »
« Je tiens simplement à ce que vous compreniez ma position, fit Tamera. Je garderai les secrets que vous m’avez confiés aussi longtemps que vous les garderez aussi. (Elle regarda Nicole droit dans les yeux.) Admettez que vous commenciez à parler à d’autres journalistes : je ne me sentirai plus liée par ma parole d’honorer notre accord. Que vous vouliez gagner de l’argent avec ça, c’est totalement justifié. Si quelqu’un veut vous payer, formidable. Mais je tiens à ce que vous sachiez que j’écrirai un article aussitôt que ça se produira. »
Nicole se contenta de répondre : « D’accord. » Elle se conduisit comme si elles étaient toujours amies. Toute la colère de Tamera se dissipa. De nouveau elle aimait Nicole et elle commença à envisager des projets pour ce qu’elles pourraient faire samedi, son jour de congé. Peut-être aller dans les montagnes ? Bonne idée de sortie. Nicole était d’accord.
Puis elles allèrent jusqu’à la maison de Kathryne, prirent des grillés au pain complet et bavardèrent. Au milieu de la conversation, Nicole murmura qu’elle voulait que Tamera garde les lettres de Gary. Elle ne voulait pas que sa mère les voie quand elle ne serait plus là.
Ensuite, Nicole et Kathryne se lancèrent dans une conversation impossible. « Lundi matin, annonça Nicole, je vais à l’exécution. » Kathryne dit : « Nicole, je ne veux pas que tu ailles là-bas.
— Eh bien, fit Nicole, j’irai quand même.
— Si tu y vas, déclara Kathryne, j’irai aussi.
— Gary ne t’a pas invitée.
— Que m’importe qu’il m’ait invitée ou non. Je ne vais pas là-bas pour le voir. J’y serai pour t’attendre.
— Non, dit Nicole, j’irai toute seule.
— Comprends-moi bien, ma petite, insista Kathryne, c’est moi qui t’emmènerai. »
Puis on annonça la nouvelle à la radio. Elles n’en croyaient pas leurs oreilles. L’exécution de Gary avait de nouveau été retardée. Le gouverneur Rampton avait décidé un sursis. Le speaker ne cessait de le répéter d’une voix excitée.
Tamera était bien contente que son rédacteur en chef lui ait dit de s’occuper de Nicole. Sinon, elle serait peut-être rentrée en courant au journal pour voir si on avait besoin d’elle. Au lieu de cela, elle proposa à Nicole de l’emmener à la prison. En cours de route, Nicole lui donna la clé de l’appartement de Springville. Elle lui dit qu’elle pouvait prendre les lettres et les garder.
Durant ce trajet de vingt minutes jusqu’à la prison, Nicole resta calme, mais Tamera savait qu’elle était sonnée. Le résultat était clair : maintenant Gary devrait se suicider. Nicole n’en était donc pas loin non plus.
Elle se mit à parler à Tamera de sa belle-mère, Marie Barrett. Elle aimait vraiment bien Marie, dit-elle, elle l’aimait beaucoup plus que Jim Barrett. Marie était une femme à la coule et elle aimait Sunny et Jeremy. Nicole précisa qu’elle se serait toujours admirablement entendue avec elle si Marie n’avait pas été une maîtresse de maison aussi maniaque. Nicole aimait avoir une maison bien tenue, mais il fallait toujours que sa belle-mère le fasse à sa façon. À part ça, elle était formidable. Nicole avait à peu près décidé que Sunny et Jeremy devraient être élevés par Marie quand elle ne serait plus là.
Puis elle relata à Tamera la dernière fois où elle avait vu Marie. C’était juste après que Kip se fut tué.
« Maintenant, ça va arriver bientôt à Gary, avait dit Nicole à Marie Barrett. Qu’y a-t-il donc chez moi qui fasse qu’ils meurent tous comme ça ? » Elle se sentait malheureuse comme les pierres. Marie répondit : « Nicole, peut-être que la prochaine fois tu trouveras un homme avec qui tu pourras avoir de bonnes relations. Sois simplement plus prudente. Renseigne-toi un peu plus avant de te marier.
— Il n’y aura pas de prochaine fois, dit Nicole.
— Tu en as fini avec les hommes ? demanda Marie.
— Ce n’est pas ce que je veux dire, répondit Nicole, mais il n’y aura pas de prochaine fois. (Elle faillit lâcher le morceau.) S’il m’arrivait quelque chose, tu accepterais de prendre les gosses ?
— Bien sûr que oui, dit Marie, tu le sais bien. Seulement il ne t’arrivera rien. »
« Et puis cet après-midi-là, dit Nicole à Tamera, les flics sont arrivés à Springville, ont frappé à la porte et m’ont regardée sur toutes les coutures. » Ils lui firent juste un peu de conversation sur le pas de la porte, mais elle savait que c’était Marie qui les avait envoyés. Malgré tout, Nicole était prête à lui confier les enfants, seulement elle n’était pas sûre de pouvoir lui faire entièrement confiance. Tamera prit cela comme un message.
Dès qu’elle l’eut déposée à la prison, Tamera revint à l’appartement de Nicole, prit les lettres, les fourra dans un sac à provisions et fouilla partout en quête d’un pistolet ou de somnifères. Elle ne savait pas ce qu’elle ferait si elle découvrait effectivement quelque chose, mais elle perquisitionna quand même.
PROVO HERALD
11 novembre 1976… Salt Lake City (U.P.U.) – Le gouverneur de l’Utah, Calvin L. Rampton, a demandé à la Commission des Grâces de l’Utah d’examiner la condamnation de Gilmore lors de sa prochaine réunion le mercredi 17 novembre pour décider si la peine de mort est justifiée.
Gilmore a déclaré qu’il était « déçu et furieux » de la décision du gouverneur. « Le gouverneur, apparemment, cède à la pression de divers groupes qui sont motivés par la publicité et par leurs propres soucis égoïstes plutôt que par l’intérêt qu’ils portent à mon “bien-être”. »