On lui avait dit une fois qu’elle ressemblait à un Botticelli. Elle était grande et mince, elle avait des cheveux châtain clair, une peau d’ivoire et un long nez bien dessiné avec une petite bosse sur l’arête. Pourtant, c’était à peine si elle connaissait l’œuvre de Botticelli. On enseignait pas grand-chose à propos de la Renaissance au collège de l’État d’Utah à Logan, où elle faisait un diplôme d’histoire de l’art.
Ce fut au collège d’État que Colleen rencontra son futur mari, Max Jensen. Ils devaient rire ensuite du temps que ça leur prit. Les rares fois où Max vit Colleen Halling sur le campus, elle bavardait avec son cousin. Max conclut que le type était son petit ami et ne l’invita donc jamais à sortir.
L’année suivante, toutefois, Max se trouva partager une chambre avec le type et en vint à lui demander s’il s’intéressait toujours à la fille avec qui il l’avait vu. Le nouveau compagnon de chambre de Max éclata de rire et lui expliqua qu’il n’y avait rien eu entre eux : ils étaient juste cousins. Colleen, maintenant, n’était plus au collège, mais comme elle travaillait à l’administration, elle était encore pratiquement sur le campus.
Colleen ne remarqua Max que lorsqu’il prit la parole au temple au début de la nouvelle année scolaire. Il portait un complet ce jour-là et avait l’air très distingué. Il paraissait un peu plus âgé que les autres étudiants, mais il avait déjà fini sa mission de deux ans. Ça se voyait. Il parla de l’importance de renforcer la personnalité d’autrui au lieu de la démolir. En parlant il parvint à montrer qu’il avait un très bon sens de l’humour.
C’était un grand gaillard de un mètre quatre-vingt-trois et qui pesait dans les quatre-vingts kilos. Avec ses traits réguliers et ses cheveux soigneusement coiffés et séparés par une raie sur le côté, il était vraiment beau, là-haut, en chaire. En fait, il fit sensation parmi les filles. Le pavillon auquel Colleen appartenait à l’université était après tout un pavillon pour étudiants célibataires, c’est-à-dire que les filles et les garçons non mariés étaient là pour se rencontrer.
Avant que Max se levât pour parler, le type dit : « De nombreux couples se connaissent ici même au temple et plus tard ils se marient mais, l’année dernière, il y a un garçon qui n’a rencontré personne et c’est Max Jensen. Il a vraiment envie de se marier, vous savez », dit l’ami du haut de la chaire.
À ce moment, comme Max ne s’était pas encore levé pour prendre la parole, toutes les copines de Colleen et elle-même regardèrent autour d’elles en demandant : « Lequel est Max ? » Et en riant. Ce fut alors que Max dut se lever. Toutefois, il répliqua fort habilement à son ami en racontant comment un type, qui était joueur de rugby, une nuit au cours d’un rêve, s’était mis à débiter des combinaisons d’attaque, puis avait foncé sur la ligne adverse… seulement c’était le mur. Max rattacha cette anecdote au sujet de son sermon en déclarant que ce n’était pas suffisant de consacrer son existence à vivre selon les écritures, mais qu’il fallait aussi savoir où on en était dans la vie ; sinon on risquait de ne pas rattacher comme il convenait l’enseignement à la situation dans laquelle on se trouvait.
Quelques semaines plus tard, Colleen invita son cousin et les cinq garçons qui partageaient sa chambre à un petit dîner avec elle et ses cinq camarades de dortoir. Tout était disposé sur la table et les convives venaient prendre leur boule de hérisson, c’est-à-dire des hamburgers au riz cuits en sauce. Comme ils étaient tous des mormons de stricte observance, on ne servit ni thé glacé ni café, rien que du lait et de l’eau. Un repas agréable sur de vraies assiettes, pas en carton, au cours duquel on discuta de cours, de basket-ball et d’activités paroissiales. Colleen se souvint que Max était assis à quelques mètres d’elle sur un gros coussin et qu’il riait avec le groupe. Il avait une voix particulière, un peu rauque. Elle apprit par la suite qu’il avait ce soir-là le rhume des foins, ce qui donnait à sa voix les intonations graves et vibrantes que provoque un rhume. Une des camarades de Colleen déclara plus tard que la voix de Max était très sexy.
Le lendemain il téléphona. Une de ses camarades dit à Colleen qu’on la demandait au téléphone. C’était leur code : s’il y avait une fille à l’appareil elles criaient : « Téléphone. » Mais si c’était un garçon, alors on précisait : « Téléphone pour toi. » Colleen était habituée à la seconde formule, aussi ne se doutait-elle absolument pas que c’était Max. La veille au soir elle n’avait certes pas eu l’impression qu’il faisait des efforts particuliers pour communiquer avec elle ; et pourtant voilà maintenant qu’il lui demandait si elle aimerait aller au cinéma ce soir. Elle répondit oui.
Plus tard, ce fut plutôt drôle quand chacun avoua avoir déjà vu Quoi de neuf toubib ?, mais n’avait pas voulu gâcher l’occasion qu’avait l’autre de le voir. Ils allèrent ensuite à La Cabane à Pizzas et discutèrent de leurs idées sur la vie, de leurs activités personnelles et de celles de leurs familles dans le cadre de l’Église du Dernier Saint. Max dit qu’il était l’aîné de quatre enfants et que son père, un fermier de Montpelier, dans l’Idaho, était également président de district. Ça impressionna Colleen. Il ne devait pas y avoir beaucoup de présidents de district dans tous l’Idaho.
Il lui parla aussi de sa mission au Brésil. Ce qui lui valut le respect, ce fut qu’il avait gagné tout seul l’argent pour faire ça. Les missionnaires, bien sûr, devaient payer leur voyage et assurer les frais de subsistance de la mission, aussi la plupart d’entre eux devaient-ils recevoir une aide financière de leurs familles. Ce n’était pas facile pour un adolescent, à dix-neuf ans, de gagner assez d’argent pour subsister deux ans dans une mission en pays étranger. Et pourtant, Max l’avait fait.
Il aimait le Brésil, son taux de conversion avait été élevé. En moyenne, on pouvait espérer convertir une personne par mois au cours des deux ans qu’on restait dans ce pays, mais il avait fait considérablement mieux. Il s’en souvenait comme une période de gageure et où il avait dû aussi apprendre à vivre avec des gens différents.
Bien sûr, elle avait beaucoup entendu parler du travail missionnaire mais il lui expliqua certaines choses dont il n’était pas souvent question. Il lui raconta, par exemple, comment un missionnaire pouvait avoir des problèmes avec son compagnon. Ça pouvait être dur de vivre avec un type qui était un parfait étranger. Votre compagnon et vous deviez être tout le temps ensemble dans une ville étrangère. On était encore plus proches que quand on était mariés. On faisait son travail et on vivait en couple. Même les gens qui savaient vraiment s’entendre devaient s’irriter un peu l’un l’autre avec leurs habitudes quotidiennes. Rien que le bruit qu’on faisait en se lavant les dents. Évidemment, l’Église opérait des rotations de missionnaires avant que trop d’irritation ne s’accumulât.
L’acquis le plus précieux, lui expliqua-t-il, c’était la façon dont on développait ses capacités d’accepter des rebuffades. Parfois, on avait vraiment des conversations fructueuses avec un converti éventuel et la personne pouvait même vous déclarer qu’elle était sur la bonne voie. Et puis un jour on arrivait, et voilà que le prêtre catholique local était là. Il ne se montrait pas trop amical. On essuyait souvent ce genre d’échec. Il fallait apprendre que l’on ne faisait pas soi-même la conversion, mais que cela tenait à l’aptitude de l’autre à rencontrer l’Esprit.
La vie familiale de Colleen n’était pas trop différente de la sienne. Sa famille à elle avait de nombreuses activités centrées autour de l’Église et on s’attendait à vous voir en faire autant et à le faire bien. Au lycée, lui confia-t-elle, elle avait été rédactrice en chef de l’Annuaire, présidente du Club du Service et artiste de l’école. Elle avait aussi fait des portraits à Lagoon Resort, où ils passaient leurs vacances, ce qui lui avait permis de mettre de côté de l’argent pour le collège. Dès l’instant où elle était entrée au lycée, elle avait toujours voulu mieux dessiner que n’importe qui.
Pendant tout ce temps, elle ne cessait d’éprouver combien il avait une forte personnalité. Max était très strict et refusait de se plier sur le plan spirituel ou mental. Elle le sentit même à la façon dont il se crut obligé de lui avouer qu’il sortait avec une autre fille. Il atténua toutefois la chose en expliquant que ça n’allait pas bien avec l’autre fille qui, à son avis, n’avait certainement pas des opinions assez fortes sur l’Église. Puis il mentionna qu’il avait une sœur, qui elle aussi s’appelait Colleen, et qu’il aimait vraiment bien ce nom.
Ensuite, il la raccompagna chez elle dans sa voiture, une Nova rouge vif qu’il ne cessait d’astiquer. Les camarades de Colleen disaient qu’à eux deux ils faisaient vraiment un beau couple.
Pour leur second rendez-vous, ils allèrent écouter un orateur à la réunion du dimanche soir au temple. La troisième fois, ils virent une représentation de South Pacific au collège. Ensuite, il l’emmena danser. En général il n’aimait pas beaucoup ça, mais c’était un bal où on ne jouait que des fox-trot et des valses, sans aucune danse exhibitionniste. Elle le taquinait parce qu’il n’aimait pas danser. Ne lui avait-on donc pas dit à l’école du dimanche comment leurs ancêtres avaient traversé les plaines en dansant quand ils n’avaient pas d’autres distractions ?
Ils commencèrent alors à sortir assez régulièrement. Colleen, toutefois, ne pensa jamais que c’était à proprement parler le coup de foudre. C’était plutôt que Max était impressionné par elle et elle par lui.
L’anniversaire de Colleen était le 3 décembre, et il retint une table à Sherwood Hills, à une trentaine de kilomètres de Logan. Ce soir-là, il lui offrit aussi une rose rouge. Colleen était très sensible à ses attentions. Elle portait une robe de velours et lui était en costume ; ils passèrent environ deux heures à Sherwood Hills à bavarder pendant qu’ils dégustaient leurs steaks.
Le 1er février 1975, ils se fiancèrent. Justement, ce matin-là, il avait reçu une lettre de la Faculté de Droit de BYU qui lui signifiait son admission. Le soir, ils allèrent à un match de basket-ball pendant lequel il ne cessa de se tourner vers elle en disant : « Quand nous serons à l’Y l’an prochain » – ce par quoi il voulait dire BYU. Mais il ne lui avait pas demandé de l’épouser. Colleen se contentait donc de dire : « Quand tu seras à l’Y… »
Ça commença à le tracasser. Plus tard ce soir-là, ils roulaient vers Montpelier, dans l’Idaho, pour écouter son père prendre la parole au temple le lendemain et, en route, Max s’arrêta sur les bords du lac de l’Ours, sur une petite route qui menait à un appontement. Avec un petit rire, il lui dit de descendre de voiture. Elle répondit qu’elle allait mourir de froid. « Allons, viens voir le beau panorama », dit-il. Elle frissonnait dans son parka bleu bordé de fourrure, mais elle descendit et alors qu’ils étaient plantés sur le ponton à regarder la lune et l’eau, il lui demanda tout à trac de l’épouser.
Un peu plus d’un mois auparavant, à Noël, tout en lavant la vaisselle, sa mère lui avait demandé : « Si Max te demande en mariage, diras-tu oui ? »
Colleen s’était retournée, l’avait regardée et avait dit : « Je serais idiote de ne pas le faire. »
Lorsqu’ils eurent regagné la voiture, il lui dit qu’ils ne devraient en parler à personne avant qu’elle eût reçu la bague. Mais il ne leur fallut qu’un quart d’heure pour arriver chez lui et à ce moment-là, ils étaient si excités qu’ils annoncèrent la nouvelle à ses parents dès qu’ils eurent franchi la porte.
Durant leurs fiançailles, il ne trouva que de petits détails qui ne lui plaisaient pas, Max était un perfectionniste et de temps en temps il arrivait à Colleen de prononcer une phrase qui n’était pas grammaticalement correcte. Max ne se souciait pas de la vexer. Pour lui, c’était naturel de dire carrément : « Tu as fait une faute », et de s’attendre à ce qu’elle se corrige.
Cependant, il était très fier de sa peinture et de ses dessins. Parfois, en société, il la taquinait en disant que s’il voulait la faire parler, il n’avait qu’à dire : « Art. » Elle démarrait comme une dingue.
Mais ils s’entendaient vraiment bien. Avant leur mariage, la mère de Colleen lui demanda un jour : « Qu’est-ce qui t’ennuie chez lui ? » Colleen répondit : « Rien. » Elle voulait dire, bien sûr, rien qui ne pût bientôt s’arranger.
Le mariage fut célébré au temple de Logan le 9 mai 1975, à 6 heures du matin, devant trente personnes : membres de leurs familles, et amis proches. Pour la cérémonie, Colleen et Max étaient tous deux vêtus de blanc. Ils allaient être mariés dans le temps et l’éternité, mariés non seulement dans cette vie, mais comme chacun d’eux l’avait expliqué à plus d’une classe de l’école du dimanche, mariés dans la mort aussi, car l’âme du mari et celle de la femme se retrouveraient dans l’éternité pour être à jamais réunies. En fait, le mariage, dans les autres églises chrétiennes, était pratiquement l’équivalent du divorce, puisque ces mariages ne duraient que jusqu’à la séparation par la mort. C’était ce que Max et Colleen avaient enseigné à leurs élèves. Aujourd’hui ils se mariaient. Pour toujours.
Le soir, il y eut une réception à leur temple. Les familles avaient envoyé huit cents invitations et on servit des rafraîchissements. Des centaines de parents et d’amis vinrent les féliciter.
Pour leur lune de miel, ils allèrent à Disneyland. Ils avaient calculé ce qu’ils possédaient et conclu qu’en faisant attention, ils auraient juste assez. Ils avaient raison. Ce fut une belle semaine.
Peu après, Colleen se retrouva enceinte, et Max avait quelque peine à comprendre pourquoi elle ne se sentait pas toujours très bien. Ils travaillaient tous les deux, mais elle avait si peu envie de manger qu’au déjeuner elle ne préparait qu’un petit sandwich pour chacun d’eux. Il lui disait : « Tu me fais mourir de faim. » Elle éclatait alors de rire en disant qu’elle avait pas mal à apprendre sur les habitudes alimentaires d’un garçon.
Il n’élevait jamais la voix et elle non plus. Si parfois l’envie la prenait de parler sèchement, elle se maîtrisait. Ils avaient décidé dès le début qu’ils ne se quitteraient jamais sans échanger un baiser et qu’ils n’iraient pas non plus se coucher avec des problèmes personnels non résolus. S’ils étaient en colère l’un contre l’autre, ils resteraient pour en discuter. Ils n’allaient pas dormir, ne fût-ce qu’une nuit, en étant en colère l’un contre l’autre.
Bien sûr, ils s’amusaient aussi. Ils se livraient des batailles à coups de crème à raser. Ils se lançaient des verres d’eau.
Lorsqu’elle avait des nausées matinales, il ne cessait de demander : « Je peux t’aider ? Je peux t’aider ? » Mais Colleen s’efforçait de garder ses petites misères pour elle. Elle voyait qu’il en avait assez de l’entendre dire : « Je deviens grosse. »
En août, peu avant la rentrée à la faculté de Droit, ils quittèrent Logan pour s’installer à Provo. C’était une bonne période. Colleen avait dépassé le stade des nausées matinales et n’avait aucun mal à travailler. Max était plongé dans ses études. Ils trouvèrent, à une douzaine de blocs du collège et pour cent dollars par mois, un charmant appartement en sous-sol, avec une petite pièce de séjour et une minuscule chambre. Ils s’entendaient vraiment bien.
La semaine avant d’avoir son bébé, Colleen tapa à la machine un devoir de trente pages pour Max, et il lui fit parvenir en retour une douzaine de roses rouges. Elle en fut ravie. Ils eurent une petite fille qui naquit le jour de la Saint-Valentin, un peu plus de neuf mois après la date de leur mariage. Le bébé avait plein de cheveux noirs, pesait sept livres, et Max était vraiment fier d’elle et prit des photos alors qu’elle avait à peine un jour. Ils la baptisèrent Monica. Quand elle fut plus grande, il adorait jouer avec elle.
Bien sûr, il n’avait pas beaucoup le temps. Terminant sa première année à la faculté de Droit, Max travaillait vraiment dur. Colleen lui préparait son petit déjeuner et il partait ; il revenait dîner à 5 heures, repartait à 6 heures pour aller travailler à la bibliothèque et rentrait à 10 heures. On pouvait dire qu’il n’y avait qu’elle qui s’occupait du bébé.
Comme ils étaient à l’étroit dans leur appartement, ils achetèrent une maison roulante qui leur plaisait vraiment. Elle mesurait près de quatre mètres de large sur seize mètres de long et avait deux chambres. Les parents de Colleen leur prêtèrent l’argent pour le premier versement.
La remorque était meublée de quelques vieilleries que les parents de Colleen leur avaient données, et ils avaient une petite pelouse. Sur le côté, Max cultiva aussi un petit jardin. Tous les jours, il arrosait ses tomates. Il y avait peut-être une centaine de remorques dans le camp, et toutes sortes de voisins. La plupart étaient de leur âge, avaient des enfants et étaient plutôt bien. Il y avait même plusieurs couples avec qui ils allaient au temple.
On avait promis à Max une situation dans une entreprise de travaux publics, pour l’été, mais comme le chantier n’était pas encore prêt une fois les cours terminés, ils allèrent passer quelques semaines dans la ferme du père de Max et là, il creusa des fossés, nourrit le bétail, marqua les bêtes, sema et aida à l’irrigation. C’était bon de le voir physiquement détendu au lieu d’être épuisé par ses études.
Lorsqu’ils revinrent à Provo, l’homme qui avait promis le travail à Max lui dit qu’on l’avait donné au fils d’un des hommes qui travaillaient déjà sur le chantier. Ça aurait rapporté six dollars cinquante de l’heure.
Max avait un tempérament coléreux et savait se maîtriser, mais cette histoire l’agaça vraiment. C’était la première fois que Colleen le voyait réellement déprimé. Elle eut fort à faire pour le faire changer d’humeur. Il finit par dire : « Bon, je vais me mettre à penser à un autre travail. » Il alla à l’agence d’emplois de l’université, mais c’était tard pour trouver quelque chose durant l’été et il ne trouva qu’une place de pompiste à deux dollars soixante-quinze de l’heure.
C’était une station self-service située dans une petite rue d’Orem. Son travail se bornait à rendre la monnaie, à nettoyer les pare-brise et à surveiller les toilettes de 3 heures de l’après-midi jusqu’à 11 heures du soir. La paye, bien sûr, était beaucoup moins élevée que ce sur quoi ils comptaient, et pourtant, pendant tout le mois de juin et les premières semaines de juillet, il travailla sans se plaindre et rentrait à la maison épuisé de chaleur et de fatigue. Cependant, il commençait à se faire des amis de certains des clients et le gérant l’aimait bien. Ils appartenaient au même district.
Deux semaines après le 4 juillet, on demanda à Max et à Colleen de donner un sermon au temple. Max parla du fait qu’il y avait trop peu de gens en ce monde qui étaient vraiment sincères. Il fit un vibrant sermon sur l’importance de la sincérité. Cela faisait toute la différence entre pouvoir construire sur des fondations solides ou en être incapable. Le sermon de Colleen, ce dimanche-là, eut pour thème la joie : la joie qu’elle avait éprouvée quand elle avait rencontré Max, quand ils s’étaient mariés et quand ils avaient eu leur bébé. Sur le chemin du retour, il la serra dans ses bras. Elle sentit toutes sortes de beaux sentiments déferler en elle et dit à Max : « Nous commençons vraiment à vivre et à nous aimer plus que jamais. » Ils allèrent se coucher dans une parfaite harmonie.
Le lundi matin, Max tint absolument à terminer des étagères pour Monica et il passa la matinée à manier le marteau, la scie et le vilebrequin.
Colleen avait plein de choses à faire : la lessive, le repassage, préparer le déjeuner. D’habitude, ils avaient largement le temps de manger avant que Max parte pour travailler à 3 heures de l’après-midi, mais ce jour-là ils étaient un peu bousculés parce que Max avait voulu d’abord terminer ses étagères. Il n’arrêtait pas d’appeler Colleen pour qu’elle vienne dans la chambre admirer ses progrès et Monica regardait aussi. Max, en jeans, tapait avec son marteau et clouait tout en écoutant la radio. Il se sentait bien et détendu. Il finit par dire : « Je suis prêt à les poser, viens m’aider. » Elle arriva et ils les installèrent rapidement, puis il recula un peu, poussa un soupir et dit : « Eh bien, voilà une bonne chose de faite. »
Ils déjeunèrent. Comme il était un peu en retard, Max avait hâte de terminer. Il n’arrivait jamais en retard nulle part et d’habitude il était toujours prêt un peu avant elle. Aussi, eut-il à peine englouti son déjeuner qu’il passa dans le vestibule, attrapa au passage les affaires dont il avait besoin et allait sortir par la porte alors que Colleen était encore à table. Ce fut seulement alors qu’il se rendit compte qu’il ne lui avait pas donné de baiser d’adieu. Il se retourna avec un petit sourire et dit : « Allons, viens à ma rencontre. »
Elle contourna la table et il lui donna un baiser, en la serrant vraiment fort. Il la regarda dans les yeux, tout allait parfaitement bien, et Colleen dit : « À ce soir. » Il répondit : « D’accord », sortit, monta dans sa voiture et démarra.
C’était un conducteur très scrupuleux, il ne dépassait jamais la vitesse imposée et évitait toute infraction. Quatre-vingt-dix kilomètres à l’heure tout le temps. Colleen l’imaginait roulant ainsi sur la route. Il continuerait comme cela sur la nationale jusqu’au moment où il prendrait un lent virage en pente, et disparaîtrait. Elle serait alors libre de penser à l’une ou l’autre des petites choses qu’elle devait faire ce jour-là.