CHAPITRE 41

FUNÉRAILLES

1

Le lendemain matin, mardi 18 janvier, Schiller tint une réunion avec Debbie, Lucinda et Barry Farrell pour ranger le bureau et rendre le matériel loué. Au beau milieu de ces occupations domestiques, coup de téléphone de Stanger. Il allait y avoir un service à la mémoire de Gary à Spanish Fork dans l’après-midi. Tout le monde voulait que Larry et Barry viennent.

Lorsque Schiller annonça cela aux filles, elles voulurent venir aussi. Debbie commença même à pleurer. Ils arrangèrent donc la chose et elles furent invitées aussi. Il fallut ensuite différer l’heure du service à deux reprises pour tromper la presse et pour finir, la cérémonie eut lieu, non pas dans une église, mais dans une entreprise de pompes funèbres de Spanish Fork.

Sur ces entrefaites, Tamera arriva au bureau et Schiller décida de ne rien lui dire. Il sentait qu’il ne pouvait pas lui faire confiance et qu’il ne pourrait pas lui interdire de faire un article là-dessus. Mais, en entendant la conversation des filles, elle comprit vite ce qui se passait et alla trouver Larry. Elle était livide. Folle de rage. « J’ai marché avec vous, dit-elle, je fais partie de l’équipe. Pourquoi est-ce que je ne peux pas y aller ? » Schiller dut lui répondre : « Oh ! ça n’est pas que je ne vous fasse pas confiance, Tamera, mais je ne peux pas prendre ce risque. Ça n’est pas à moi de faire cadeau de cette histoire. » Tamera était de plus en plus furieuse. Elle était terriblement jalouse du fait que Debbie et Lucinda y allaient. Elle en devenait presque laide. Tamera était dans une telle colère qu’on aurait dit qu’elle brûlait. Une vraie journaliste.

La maison de pompes funèbres se trouvait sur la grand-rue, un bâtiment de stuc sale sans étage, avec une bande horizontale de verre teinté qui courait sur toute la façade et était censée donner un effet de vitraux, se dit Schiller, mais qui évoquait plutôt une mosaïque de table basse. Ça n’était certes pas un chef-d’œuvre d’architecture.

À la surprise de Schiller, il y avait là une quarantaine de personnes. On le présenta à de nombreuses sœurs de Bessie et il n’essaya même pas de se rappeler leurs noms, mais l’une après l’autre elles vinrent le remercier. Schiller se demandait pourquoi. Puis l’orgue se mit à jouer.

CAMPBELL Notre Père Qui Êtes Aux Cieux, c’est avec une profonde humilité que nous marquons un temps au début de ce service à la mémoire de notre défunt, Gary Mark Gilmore, avec un grand sentiment de respect pour la forte personnalité qu’il était et qu’il sera à jamais. Père, une grande tragédie a eu lieu voilà bien des années dans le cadre de la justice pour les mineurs, qui a précipité un jeune homme, une grande personne, un de Tes enfants devant les tribunaux et dans l’ombre des cachots. Nous l’avons connu comme étant un être noble et digne d’amour et c’est ce souvenir que nous conserverons toujours. Sois avec nous maintenant, nous T’en prions, au nom de Ton Fils, Jésus-Christ. Amen. (Silence.) Cet après-midi, nous avons à transmettre, par la bouche de Toni Gurney, un message de la mère de Gary.

TONI : Tante Bessie m’a demandé de transmettre à tous ce message. Elle dit : « J’ai plein de merveilleux souvenirs de mon fils, Gary. De belles choses qu’il m’a données, des tableaux qu’il a peints, et le sac de cuir fait à la main qu’il a commandé pour moi, mais ce que Gary m’a donné de plus précieux, ç’a été son amour et sa bonté. »… Je tiens à dire aussi en mon nom et au nom de ma sœur Brenda… (Elle craque.)

VERN (lisant le message de Toni) : Heu, je tiens à dire aussi au nom de ma sœur Brenda que nous regrettons tous Gary. Nous l’avons vu à une époque heureuse et à une époque de souffrance et nous savons tous que maintenant il repose en paix.

CAMPBELL Merci beaucoup. Mme Evelyn Gray a écrit quelques poèmes à l’intention de Gary, elle les lui a remis personnellement et elle aimerait vous en lire un aujourd’hui. Evelyn est une cousine.

EVELYN : Pour mon cher Gary :

La mort peut-elle empêcher que vive un tel esprit,

alors que la mer orageuse de la vie pousse

l’âme fragile au gré des courants,

non, par les sombres portes elle la guide

pour qu’elle vogue vers le large

jusqu’en vue de quelque autre rade

lorsqu’elle fait route dans le calme

abritée par Sa main bienveillante.

Elle vogue sur une mer immense et sans fin

au point que Dieu seul en connaît les confins.

Merci.

CAMPBELL : Une autre personne qui en est venue à très bien connaître Gary, pour lui avoir souvent rendu visite à la prison, un homme qui est entré dans sa vie par le système juridique, son avocat, Me Robert Moody.

MOODY : Mes chers amis, je crois qu’il convient de prendre le temps d’évoquer la mémoire de Gary. Lorsque nous en avons parlé, il m’a dit : « Oui, oui, j’aimerais qu’on se souvienne de moi. J’aimerais qu’on célèbre un service à ma mémoire et j’aimerais que oncle Vern dise quelques mots à ceux qui jugeront bon de venir. » En rencontrant Gary pendant bien des heures au cours de ces derniers mois, nous en sommes arrivés à connaître un être humain, un individu, un homme dont la profondeur nous a surpris. Gary n’avait pas eu les chances que nous avons eues, il était autodidacte. Il avait beaucoup lu et avait acquis une foule de connaissances. Gary s’était bâti sa propre philosophie, il avait sa façon à lui de sentir Dieu, et il le faisait dans les limites que lui imposait son incarcération. Et cette auto-éducation a été un enseignement pour tous ceux d’entre nous qui l’ont approché… Je crois que ce dont nous garderons toujours le souvenir, c’est que Gary, qui a si longtemps et si passionnément recherché l’amour, n’a compris que ces derniers mois, ces dernières semaines, que l’amour était dans le monde, que l’amour était pour lui, cet amour qu’il n’avait jamais su trouver. En nous rappelant Gary aujourd’hui, souvenons-nous qu’en effet l’amour est pour tous et que, quoi que d’autres puissent dire de Gary, son amour était là, et j’ai la certitude que Gary maintenant est en paix… que Gary a trouvé Dieu. Merci.

CAMPBELL : Merci, Bob. Le Frère Dick Gray aimerait maintenant présenter un message spécial.

DICK GRAY : J’éprouve une grande perte. Je tiens à lire ces messages car ils viennent de ses frères. « De nombreuses histoires maintenant circulent à propos de Gary Gilmore, certaines sont flatteuses et d’autres non, certaines sont vraies et d’autres pas, mais le Gary Gilmore que j’ai connu était tout à la fois bon et mauvais, comme tout le monde. Ce dont je me souviens surtout à propos de Gary Gilmore, c’est qu’il était exactement comme les autres quand il était jeune, avant que la justice ne l’expédie en maison de correction ; oui, avant cela, Gary Gilmore était comme tout le monde. Bref, nous voici réunis ici aujourd’hui, parce que la justice a envoyé Gary Gilmore en maison de correction. » Cela, c’est le message de son frère Frank. Le suivant vient de son frère Mikal. « Gary, je prie pour que tu aies trouvé un monde meilleur et plus miséricordieux. Je prie pour que l’héritage que tu nous laisses soit quelque chose qui nous rappelle la valeur de la vie, et non la glorification ou la commercialisation de la mort sous aucune forme. Je prie pour nos familles comme je prie pour les familles de ceux qui ont déjà souffert, et je prie… pour qu’aucun homme qui prétend représenter nos intérêts n’oublie cette dette envers ces familles-là. Je regrette, Gary, que nous n’ayons pas plus de temps. Mon amour et mon remords, Mikal. »

CAMPBELL : Merci, Dick. Thomas R. Meersman, aumônier de la prison d’État de l’Utah, aimerait maintenant communier avec toi, Gary.

Presque tous les assistants se mirent à écouter avec attention, car la plupart, étant mormons, n’avaient encore jamais entendu de sermon d’un prêtre catholique.

MEERSMAN : Vous savez donc que je suis le Père Meersman et que je suis l’aumônier catholique de la Prison d’État de l’Utah… Mes rapports avec Gary étaient peut-être différents de ceux que vous avez pu avoir. Je suis entré dans sa vie à cause d’une déclaration très insolite que j’ai entendue dans la bouche d’un homme lorsqu’il a été condamné à mort. C’est ce que je lui ai dit la première fois que je l’ai rencontré. J’ai dit : « Voilà une déclaration bien inhabituelle et si vous pensez vraiment cela, alors je vous propose de vous apporter tout ce dont je suis capable. » La déclaration qu’il a faite est celle que, j’imagine, vous avez tous entendue : « Je veux mourir avec dignité. » C’est ainsi qu’ont commencé nos relations, nous nous voyions surtout le soir parce que pendant la journée il était très occupé. Des gens venaient le voir, lui rendaient visite… Son nom devenait de plus en plus célèbre et dans le monde entier on commençait à connaître au moins son nom, ce qu’il faisait et d’autres choses… Nous avons continué ainsi et, quand il a semblé que la fin, bien sûr, était très proche, ma foi, il a fallu être très sérieux. Il y a un temps pour tout, aussi la nuit qui a précédé l’exécution, nous nous sommes retrouvés, il était à peu près minuit, on avait transformé la cuisine en chapelle, et un des gardiens se trouvant être catholique, c’est lui, dans notre terminologie, qui a servi la messe et qui a assisté le prêtre, c’est-à-dire moi. Pour les deux parties de la messe, nous avons fait des lectures de la Bible, et quand la question s’est posée : « Quel Evangile allons-nous lire ? » dans son style inimitable, Gary a dit : « Je m’appelle Gary Mark. Lisez un passage de saint Marc. » Après, eh bien, les gardiens étaient assez émus, et ils ont remarqué, évidemment, qu’il était extrêmement songeur, il ne bougeait pas, il restait assis à la table. Et nous lui avons donc dit très simplement : « Nous sommes entrés dans votre vie quand vous avez annoncé que vous vouliez mourir avec dignité. Et nous resterons auprès de vous, nous resterons jusqu’à ce que cela soit accompli. Mais nous tenons à ce que vous sachiez ceci : que chaque jour de ma vie de prêtre catholique, quand je serai devant l’autel, où que ce soit, à la prison d’État de l’Utah, dans un hôpital, à Saint-Pierre-de-Rome, que chaque jour de ma vie je prierai pour vous. » Voilà quelques-unes de mes réflexions. Ce n’est sans doute pas tout, mais je n’ai pas eu beaucoup de temps pour préparer quoi que ce soit. J’espère toutefois que ces pensées vous aideront, vous qui l’avez tant aimé. Et bien sûr il nous manque. Peut-être cela vous aidera-t-il à le mieux connaître que nous ayons prononcé ces paroles en cette occasion. Et je ne peux rien vous dire de mieux que ses dernières paroles… « Dominus vobiscum. » Que le Seigneur soit avec vous. Merci.

CAMPBELL : Merci, mon Père. Je suis profondément ému, comme vous l’êtes tous, à mesure que nous commençons à dévoiler le vrai Gary Mark Gilmore. Voici une autre personne qui en est venu à le respecter, Ron Stanger.

STANGER : Je crois que Bob et moi faisions partie de sa famille adoptive. Je crois qu’à l’exception de trois ou quatre jours peut-être, nous avons été avec lui quotidiennement, et si vous ne nous croyez pas, demandez à nos femmes. Ah ! elles le savent. Tenez, le jour de Noël, toute la famille rassemblée, on s’amuse comme toujours à Noël, et savez-vous où sont allés Moody et Stanger ? Cela dit, il me semblait très bien pour la première, et peut-être la seule fois de ma vie, de me considérer comme un bon et vrai chrétien, parce que j’ai fait ce qu’a dit le Sauveur, c’est-à-dire d’aller dans les prisons pour s’efforcer d’aider ceux qui en ont besoin.

Puis-je vous lancer à tous le défi de faire ce que j’ai appris aussi de Gary au cours de ces conversations avec moi à propos de la famille – et nous savons tous qu’il aimait les enfants ? Il me demandait comment nous nous entendions avec nos enfants et il disait toujours : « Ron, occupez-vous de vos enfants, soyez proche d’eux, soyez sévère avec eux, faites-leur comprendre que s’ils font de petites fautes, elles deviendront plus graves. » Il a dit une fois, avec ce sourire qu’il avait parfois, il a dit : « Ils pourraient bien, s’ils continuent à mal faire, ils pourraient bien finir par devenir d’autres Gary Gilmore. »

CAMPBELL : Merci, Ron. Gary m’a rendu un grand service. Il m’a aidé à sauter le pas. Dans six mois, je vais quitter la prison. Gary m’a convaincu qu’un rien de prévention vaut tous les remèdes du monde, que les deux mots juvénile et justice ne vont pas ensemble. Je compte m’installer dans le sud de l’Utah, où j’ai un peu de terre et bâtir là une ferme de jeunes pour y prendre jusqu’à l’âge de quatorze ans ceux qui ont des problèmes avec la justice et m’occuper d’eux avec amour. Vous avez compris, d’après les propos de ceux qui ont parlé, que ce que Gary voulait nous laisser, c’était l’amour. Il avait sans doute de plus grandes capacités d’aimer que n’importe lequel d’entre nous. Il m’a fait le don d’un amour profond et je veux que vous sachiez que j’ai en moi un peu de Gary Mark Gilmore qui ne disparaîtra jamais. Il a demandé qu’à ce service on chante une chanson qui lui est chère et, quand il m’en a parlé, il m’a dit : « C’est moi au moment de quitter cette terre. » Il s’agit d’un grand hymne chrétien intitulé « Étonnante Grace » que va nous interpréter Mme Robert Moody.

MME ROBERT MOODY (elle chante) :

Étonnante Grace, combien doux les accents

Qui ont sauvé un pauvre hère comme moi

Jadis j’étais perdu mais maintenant j’ai trouvé

J’étais aveugle et maintenant je vois.

Combien de dangers, de pièges et d’épreuves

J’ai déjà traversés

C’est la Grace qui, jusque-là m’a poussé

C’est la Grace qui me conduira au port.

 

CAMPBELL : Merci beaucoup. C’était magnifique. Je sais que c’est vrai que Gary vous aimait tous. Mais il est un cas, en particulier, où je sais que l’amour venait des deux côtés en abondance, c’est son oncle Vern… Et Vern va maintenant vous donner le dernier message.

VERN : Frères et sœurs, en ce jour, le 18 janvier 1977, je suis là devant vous parce que Gary m’a demandé de le faire. Et tout cela est très étrange pour moi, je n’ai encore jamais fait cela… Mais je lui ai promis que j’essaierais de dire quelques mots pour lui. Non pour l’excuser de ce qu’il a fait, mais pour tenter d’expliquer pourquoi il l’a fait. Ce qui, j’en suis sûr, va être difficile pour moi. La meilleure façon dont je puisse l’expliquer, c’est que Gary était profondément amoureux d’une fille qui était profondément amoureuse de lui. Et les problèmes qu’ils avaient entre eux étaient sans doute les mêmes que ceux que connaissent certains de nous. Mais Gary ne pouvait tout bonnement pas les surmonter. Il avait besoin de frapper quelque chose, quelqu’un, et malheureusement, c’est ce qu’il a fait. Gary est allé à la mort en espérant que cela rachèterait ce qu’il avait fait. Il a fait cela à deux familles, mais il m’a dit qu’il n’avait qu’une vie à donner et il le regrettait. Il aurait voulu donner plus. Il a donné certaines parties de son corps à des gens et à la science, dans l’espoir que cela aidera un malheureux à retrouver la santé. J’ai appris à connaître Gary… les derniers mois, plus que jamais depuis que je le connais, j’ai découvert le vrai Gary, et il est humain, tendre et, oui, compréhensif, tout à fait capable d’amour. Gary est en route vers une vie nouvelle avec Dieu et, comme il l’aurait dit : « Pas d’affolement, vous autres. » Au nom de Jésus-Christ. Amen.

2

Après le service, Stanger demanda à Larry Schiller de venir dans la pièce attenante où se trouvait l’urne. Larry apprit là que Gary avait demandé qu’on disperse ses cendres au-dessus de Spanish Fork, parce que c’était là que demeuraient ses plus tendres souvenirs. Vern avait le sentiment que Gary ne voulait pas être enfermé encore une fois. Il avait passé toute sa vie enfermé. Maintenant il voulait être libre de s’en aller rôder là où le vent l’emmènerait.

Ils allaient procéder à cette dispersion d’un avion, et Ron expliqua à Larry que Gary souhaitait qu’il soit du voyage. Il l’avait demandé. Schiller dit qu’il n’avait aucune envie d’y aller. Il ne pensait pas que c’était sa place. On lui communiqua que Vern aussi avait été invité, ainsi que le Père Meersman et Cline Campbell, et qu’il y aurait Ron Stanger et lui. Mais Larry avait quand même l’impression que ce n’était pas bien. Durant tout le service, il ne s’était pas senti proche de Gary, ni proche des émotions que les autres assistants éprouvaient manifestement. Durant le trajet en avion, ce serait pareil. Il fut quand même convenu qu’ils feraient tous le voyage le lendemain matin. Schiller passa le reste de la journée à faire ses bagages.

Le mercredi 19, il alla à l’aéroport de Provo et ils s’embarquèrent tous à bord d’un avion à six places, le pilote et Stanger aux deux places avant, Vern et Campbell derrière, Meersman et lui tout au fond. Ça se révéla très simple. Ils avaient une boîte en carton de la taille d’une boîte à chaussures et, une fois en l’air, Stanger l’ouvrit. On avait mis les cendres de Gary dans un sac en plastique habituellement utilisé pour envelopper le pain de mie, avec le nom de la marque bien lisible. Schiller trouva ça insensé. Stanger se tenait près du hublot tenant ce sac où l’on pouvait lire des choses imprimées en couleur. Ça ne faisait pas sérieux mais plutôt minable : un malheureux pain à 59 cents. Schiller s’était imaginé que les cendres seraient d’un noir sombre qui ne manquerait pas d’une certaine dignité, mais elles étaient grises et blanches avec de petits bouts d’os dedans, tout ça d’une couleur terne et fanée.

Gary avait précisé comment il voulait qu’on disperse ses cendres. Il avait choisi un certain nombre d’endroits de Spanish Fork, de Springville et de Provo, si bien que Stanger dut répandre les cendres en quatre ou cinq fois. Il n’eut jamais à passer le bras dehors, il se contenta de glisser l’ouverture du sac près de l’endroit où se trouvait la bouche de ventilation. Le pilote virait sur l’aile pour que Stanger soit en bas et l’air aspirait les cendres. C’était lent et pas très spectaculaire. Sur le siège, derrière Stanger, Meersman se mit à parler à Schiller du service commémoratif. Schiller avait nettement l’impression que Meersman tenait à laisser entendre que le jour de sa mort Gary était retourné dans le giron de l’Église catholique, mais ça ne paraissait pas vraisemblable à Schiller. Gary détestait le prénom de Mark, il l’avait même barré sur ses contrats. Bien sûr, il avait peut-être eu des sentiments ambivalents à propos de son second prénom, mais Schiller était persuadé que l’histoire de Meersman n’avait pas de base solide.

Lorsqu’ils eurent répandu les cendres et qu’ils furent redescendus, Barry Farrell les attendait à l’aéroport. Il y avait avec lui la fille du New York Times à laquelle Schiller ne voulait absolument pas accorder d’interview. Il avait toutefois négligé d’en avertir Farrell. Aussi, à peine débarqué, dut-il affronter la journaliste du New York Times. À voir l’air qu’elle avait, il était évident que Barry lui avait raconté ce qu’ils étaient allés faire dans l’avion. Schiller était coincé et donna une interview abominable. L’article fut publié. L’endroit où les cendres de Gilmore avaient été dispersées n’était plus un secret.

Plus tard, ce même jour, il donna aussi une interview à Time et une à Newsweek, puis il prit l’avion pour Los Angeles. Les deux magazines avaient accepté ses conditions mais il est vrai qu’il les tenait tous les deux. En novembre, Newsweek avait travaillé un jour ou deux avec Schiller, aussi précisa-t-il aux gens du magazine que s’ils ne mentionnaient pas ce détail dans leur article, il préviendrait Time. En revanche, il dit à Time que si la rédaction n’était pas d’accord pour donner de lui une image équitable, il irait raconter à Newsweek comment Time lui avait passé un Minox à remettre à un journaliste de la rédaction la nuit d’avant l’exécution pour prendre des photographies de Gary. Il obligea donc les magazines à le traiter convenablement. Pas à le couvrir de fleurs, juste à le traiter comme il convenait : il n’en demandait pas plus.