CHAPITRE 4

CONFÉRENCES DE PRESSE

1

Là-bas, à Phœnix, Earl Dorius était bombardé d’informations. Tout le monde l’arrêtait dans le hall pour lui demander : « Qu’est-ce qui se passe en Utah ? » Earl avait l’impression que la conférence était complètement gâchée pour lui. Il était incapable d’écouter quoi que ce soit. Il n’arrêtait pas de se précipiter pour prendre les informations. S’il n’était pas au téléphone, il passait d’une station à l’autre sur son récepteur de télé. « Que pensez-vous de la décision du gouverneur ? » lui demandaient les gens. « Je n’ai pas eu le temps de l’examiner, répondait-il, mais j’ai l’impression que le sursis n’était pas justifié car il a été accordé à la demande de parties extérieures à l’affaire. »

Il se rendait compte qu’il finissait par être plus près de son bureau que de la conférence, et décida de quitter Phœnix pour se remettre au travail.

2

SALT LAKE TRIBUNE

12 novembre 1976. – Boaz a signé un accord avec le directeur de la prison de l’État d’Utah, Samuel W. Smith, d’après lequel il ne jouerait auprès de Gilmore que le rôle d’avocat, puis il a librement parlé de ses intentions de « servir d’abord d’écrivain, et ensuite d’avocat ».

« Nous n’avons aucune autorité pour le censurer. Il n’appartient pas au Barreau de l’Utah », a expliqué un membre de la Commission exécutive du Barreau de l’État d’Utah.

 

PROVO HERALD

Provo, 12 novembre 1976. – Boaz a déclaré qu’il comptait « gagner un peu d’argent », avec l’histoire de Gilmore et partager moitié moitié avec la famille du condamné et toutes les œuvres de charité qu’il pourrait choisir.

Juste à l’instant où Dennis arrivait à la prison, Sam Smith l’interpella en disant : « Il paraît que Gilmore a donné une interview à un journal de Londres ce matin. Vous êtes au courant ? »

Dennis était tout excité. David Susskind venait d’appeler de New York. Il envisageait de faire un film sur la vie de Gary. Ça pourrait rapporter beaucoup d’argent. Les pensées de Dennis se précipitaient.

« Le journal de Londres ? fit-il à Sam Smith. Oh ! bien sûr, c’est moi qui ai arrangé ça. »

Le visage du directeur devint tout rouge, couleur insolite pour un homme plutôt pâle. Puis il se mit à crier. Tous les gens de cette extrémité du couloir passèrent la tête par la porte de leur bureau. Dennis, d’ailleurs, fut stupéfait aussi. Personne n’avait l’habitude d’entendre Sam Smith vociférer ainsi.

Smith déclara qu’il allait porter plainte. Dennis dit : « Je m’en fiche éperdument, monsieur le directeur. » Il commençait à prendre un plaisir personnel à rechercher des déclarations susceptibles d’agacer Sam Smith. Il y avait quelque chose chez Sam qui lui donnait envie de l’asticoter.

Dennis éclata même de rire lorsqu’on l’astreignit à une fouille corporelle, à titre de représailles. Une vraie comédie. Les gardiens lui arrivaient aux aisselles. Deux jours plus tôt ils avaient été si impressionnés par la façon dont il s’était comporté devant la Cour suprême de l’Utah, qu’ils l’avaient laissé apporter sa machine à écrire pour venir bavarder avec Gary.

La fouille terminée, Boaz rencontra Nicole. À l’extrémité sud de la salle de visite, il y avait une fenêtre munie de persiennes. Elle était assise sur les genoux de Gary, contre la fenêtre ; tous deux regardant la pointe de la montagne. Elle ne fit guère attention à Dennis. Tout ce qui l’intéressait, c’était de se faire caresser par Gary.

Lorsqu’elle en eut terminé, Dennis trouva qu’elle avait un visage très doux, plus innocent qu’il ne s’y attendait. Elle avait l’air très fatiguée, épuisée même, et cela lui donnait un air mélancolique qui plaisait beaucoup à Boaz. Mais Gary avait l’air furieux. Il n’approuvait pas cette amitié naissante. On aurait dit qu’il pensait que Nicole flirtait, alors qu’elle lui disait simplement que l’enterrement de son grand-père allait commencer dans à peu près une heure.

Lorsqu’elle fut partie et que Dennis se retrouva seul avec lui, Gary ne lui laissa pas l’occasion de parler de la proposition de Susskind. Lui aussi était fou de rage contre le gouverneur Rampton. Ça semblait contagieux. Dennis adorait la façon dont Gary pouvait vous faire partager ses émotions. Dennis, à vrai dire, se sentait comme une chaudière, tout enflammé à l’idée de ce qu’il allait bientôt pouvoir dire à propos du gouverneur.

3

Dès le début, Dennis comptait exprimer des idées qui amèneraient les gens à affronter des sujets qu’ils avaient toujours négligés. Il voulait faire quelques déclarations fracassantes sur les exécutions et faire réfléchir les gens. Arriver à ce qu’ils se posent la question : « Pourquoi les exécutions ont-elles lieu derrière des portes closes ? De quoi avons-nous honte ? » Justement, ce matin-là on avait publié une de ses formules :

 

PROVO HERALD

Provo, 12 novembre 1976. – « J’estime que les exécutions devraient être télévisées à l’heure de plus grande écoute, dit Boaz. Alors, elles auraient un effet vraiment dissuasif. »

Il donnait des conférences de presse pratiquement deux fois par jour depuis que Gary et lui l’avaient emporté à la Cour suprême de l’État et inlassablement il répétait à la presse qu’il était là pour représenter la discussion libre et ouverte et que, d’ailleurs, sa vie était un livre ouvert. Peut-être se ferait-il tirer dessus à boulets rouges, mais sa responsabilité était d’être un vrai Sagittaire et de raconter des choses, sur lui et sur ses sentiments, qui pourraient sembler étranges. Du moins les gens seraient-ils ainsi traités ouvertement et non pas manipulés. La presse pouvait déformer ses citations, donner de lui une image fausse, prendre ses observations au hasard et les déformer. Peu importait. Il n’allait pas dissimuler sa personnalité. D’ailleurs, juste en sortant de la Cour suprême de l’Utah, il déclara aux reporters qu’il était à Salt Lake parce qu’on y trouvait un plus fort pourcentage de jolies femmes que dans toutes les villes qu’il connaissait. Sans compter le fait, précisa-t-il à la presse, que beaucoup de ces femmes étaient ravies de rencontrer des Californiens. Pour acquérir le goût du mal. Il y avait des millions à gagner ici, ajouta-t-il, en important la conscience californienne. Parfaitement. Bien sûr, on ne publia jamais un mot de ces propos.

La presse réagit en posant des questions sur sa situation financière. « Je n’ai rien à cacher, leur dit-il. C’est un fait que je dois dix mille dollars, en réalité plutôt quinze mille, si l’on compte non seulement ce que je dois à des créanciers mais à des amis. Je n’en ai pas honte. Un jour, j’ai fait un mauvais placement et avant de m’apercevoir que l’affaire était gonflée l’argent avait disparu. »

On raconta alors, comme il l’apprit bientôt, qu’il s’occupait de Gilmore pour de l’argent. Peu lui importait. Les rumeurs cesseraient lorsqu’on s’apercevrait que ça n’était pas vraiment le cas.

« Croyez-vous, demanda un journaliste, que votre expérience de District Attorney adjoint vous a donné envie de voir couler le sang de Gilmore ?

— Comprenez bien, répliqua Dennis, travailler au bureau du D.A. a donné plus de pouvoir pour aider les gens que d’être avocat commis d’office. Je pouvais minimiser les accusations, plaider des causes. J’ai blanchi neuf personnes de suite au détecteur de mensonges avant de quitter ma charge. Ça fait partie du jeu aussi, voyez-vous. » Dans l’ensemble, on l’écoutait. Depuis des années, Dennis avait acquis la notion que les médias étaient inquiets et ne voulaient absolument pas être accablés de communiqués et de foutaises. Un homme sincère qui supprimait tout obstacle entre ses élans et son discours pouvait retourner le monde.

« Je suis intéressé par cette affaire en partie à cause de la numérologie, expliquait Dennis. Je ne suis pas un dingue de la numérologie, bien sûr. Je crois bien trop au libre arbitre pour ça. Mais la numérologie peut vous rendre sensible à des schémas. Toute discipline spirituelle révèle un schéma, après tout. Ensuite on choisit sa route entre les schémas. C’est là où intervient le libre arbitre. »

« Vous dites que vous avez beaucoup de dettes ?

— Je ne cache pas mes dettes, dit Boaz. Je dois aussi deux mille cent dollars à Master Charge, mais ça je ne le paierai pas. Un ami les a escroqués avec ma carte à Master Charge. C’est l’affaire de Master Charge, pas la mienne. »

On voulut savoir ce qu’il avait publié. Il n’avait encore pas publié, dit-il. Ecrivait-il sous son nom ? Il écrivait sous le nom de K.V. Kitty ou de Lejohn Marz. Un autre de ses pseudonymes était S.L.Y. Fox. Fox, leur expliqua-t-il, représentait 666, le signe de la bête. Bien sûr, ils n’avaient jamais entendu parler d’Alister Crowley.

On le ramena au sujet qui les intéressait. Que pensait-il de la décision du gouverneur Rampton ? Monstrueux. On pouvait le citer. Il était toujours surpris de voir comme on le citait peu.

Il savait que les journaux ne publieraient pas ce qu’il dit ensuite, mais il le leur dit quand même. « Gary, déclara-t-il, vit dans une cellule si étroite qu’il peut toucher les deux murs en étendant les bras. La lumière est allumée vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Des gardiens tapent sur les barreaux. L’écho est si fort qu’il tue les dernières pensées d’un homme. Gary essaye de masquer la lumière en accrochant une serviette aux barreaux.” Enlevez-la, lui intime-t-on, sinon on vous retire votre matelas.” »

Peu importait s’ils comprenaient le dixième de ce qu’il disait. Qu’ils ne devinent pas les ironies. Quand on commence à enfoncer une porte, il faut que la pression soit plus forte au début, et pourtant c’est à ce moment-là que la porte bouge le moins. « Gary est confiné dans sa cellule, dit-il. C’est pourquoi on doit lui donner du fiorinal. Pour survivre, la plupart des prisonniers prennent des médicaments. Ça dissipe un peu l’oppression. » On lui demanda si les fonctionnaires du pénitencier étaient au courant. « Bien sûr. Ils veulent que les détenus soient drogués. Comme ça, il n’y a pas d’émeutes. »

Dennis attendait les réactions. Il entendit un reporter murmurer : « Ce type exagère tout. »

Il n’était pas ici pour se défendre. Ce qu’il fallait, c’était attaquer. « Le directeur, dit-il, veut que cette exécution ait lieu à huis clos. Nous voulons, nous, qu’elle soit publique. Au Moyen-Orient, lors d’une exécution, la foule est la bienvenue. Elle soutient la victime qui a alors l’impression qu’ils sont tous réunis pour une cérémonie commune. Ça rappelle à tout le monde que nous sommes tous sacrifiés à Dieu. Alors qu’ici, pour soutenir le condamné dans ses derniers instants, il n’y a que les bourreaux. Je trouve cela horrible.

— De quoi parlez-vous, Gary et vous ?

— Nous parlons de l’évolution de l’âme, répondit Boaz. Gary connaît un tas de choses sur Edgar Cayce et sur le Registre akachique. Nous discutons du karma et du besoin d’assumer la responsabilité de nos actes. Les dieux et les déesses jouissent d’une liberté totale parce qu’ils ont une responsabilité totale. » Bien évidemment, on ne publia jamais rien de tout cela.

 

Un journaliste lut à haute voix une déclaration de Craig Snyder : « Boaz ne nous a jamais contactés. J’étais à la Cour suprême de l’Utah et nous avons développé des points de vue opposés, mais nous n’avons jamais été présentés. Je ne lui ai jamais parlé. À ma connaissance, il n’a jamais examiné le dossier ni su ce qui s’était passé au procès. Son accord de publication avec Gilmore est une violation flagrante de la déontologie. » « Où a-t-il fait cette déclaration ? demanda Dennis.

— À l’Adelphie Building, où se trouve son cabinet, à Provo.

— C’est un endroit avec d’épais tapis jaunes et des murs bruns et jaunes, n’est-ce pas ? demanda Dennis.

— Vous ne l’avez jamais vu ? s’étonna le reporter.

— Non, dit Boaz, mais je connais le décor des cabinets d’avocats cryptocapitalistes.

— Voyons, Dennis, fit le reporter, pourquoi n’avez-vous pas pris contact avec Esplin et Snyder ?

— Gilmore ne veut pas faire appel, c’est son droit, non ? Je représente Gilmore, pas le foutu système d’appel.

— Mais si vous aviez lu le compte rendu des débats ?

— Il n’y en a pas.

— Ça, fit un journaliste, c’est parce que personne n’en a jamais demandé un. Il est facile d’obtenir un compte rendu d’audience.

— Nous n’avons pas d’argent pour payer un compte rendu, fit Dennis. D’ailleurs, ajouta-t-il, ça ne servirait à rien. Gilmore ne veut pas que sa peine soit commuée en emprisonnement à vie.

— Mais, demanda le journaliste, si l’on découvrait qu’il n’a pas été prévenu de ses droits ou que les instructions du juge étaient erronées ? S’il avait une chance d’avoir un nouveau procès, ce serait autre chose, non ?

— Pas du tout, fit Dennis. D’après les faits, Gary est mort. Il serait condamné de nouveau. Écoutez, il faut comprendre Gilmore, reprit Dennis. C’est peut-être un tueur pervers, mais il est juste.

— Il n’a pas été très juste avec les deux types qu’il a tués, répliqua le journaliste.

— C’est exact, répondit Dennis, mais pourtant, c’est un juste. »

 

Voilà comment se déroulaient les interviews. Mais ce jour-là, sur ces marches, les oreilles bourdonnant encore de la rumeur que Smith était ivre de rage, les journalistes voulurent savoir ce que Dennis avait pu faire pour le mettre dans cet état. Dennis tint donc une conférence de presse impromptue, là, sur les marches de la prison.

« Eh bien, dit-il, Sam Smith était furieux parce qu’il avait vendu deux interviews. L’une pour cinq cents dollars au Daily Express de Londres et l’autre pour la même somme à un journal syndicaliste suédois. Les Suédois étaient sans doute attirés par la coïncidence historique, expliqua Dennis. Joe Hill, le célèbre immigrant suédois qui avait mis sur pied le Syndicat mondial des Travailleurs fut exécuté en Utah en 1915. Vous ne vous souvenez pas de cette affaire ? Eh bien, la nuit dernière, j’ai rêvé de Joe Hill. Il était vivant comme vous et moi et avait demandé à son meilleur copain de transporter ses restes jusque dans l’État voisin du Wyoming. Il n’avait pas envie, disait-il, de passer une nuit de plus en Utah.

— Et l’autre interview ? demandèrent les journalistes.

— Byran Vine pour le Daily Express. « J’ai parlé avec un tueur », voilà comment il va titrer. Il a été le premier à me proposer de l’argent, insista Dennis.

— Qu’est-ce que vous en avez tiré ?

— Je vous l’ai dit, cinq cents dollars !

— Vous ne trouvez pas que c’est peu ?

— Je ne voulais pas demander trop et avoir l’air cupide. Cinq cents dollars pour une interview de dix minutes ! C’est du temps bien payé. »

Ainsi parlait-il, et eux écrivaient. Puis les articles sortaient. On le présentait souvent comme quelqu’un de relativement responsable, peut-être un peu dingue, mais qui savait se maîtriser, songeait Dennis.

4

Tamera s’était mise au travail à 5 heures du matin et avait passé dix heures à photocopier les lettres de Gary. Elle savait que certains journalistes trouvaient exagérée la façon dont elle protégeait son matériel, mais Tamera ne voulait pas que l’on puisse lire par-dessus son épaule et faire le genre de commentaires cyniques ou nonchalants dont étaient capables les journalistes. Mais personne, cependant, ne semblait excité à ce point-là.

En fait, à la conférence du vendredi après-midi, le rédacteur en chef dit : « Je ne crois pas que ces lettres d’amour nous intéressent. » Et l’affaire sembla en rester là.

Le journal était célèbre, bien sûr, parce qu’étant le principal quotidien mormon du monde et il était propriété de l’Église mormone, aussi avait-il tendance à être un peu compassé. Tamera avait souvent entendu des réflexions de non mormons qui y travaillaient. Le Deseret News avait des règles incroyables pour un journal. Comme les bureaux étaient situés dans un bâtiment appartenant à l’Église, on ne pouvait pas fumer dans la salle des informations, ni boire du café à son bureau. Il fallait aller au réfectoire. En conséquence, une foule de journalistes faisait toute la journée une incroyable navette entre leurs bureaux et les toilettes. Ça n’était donc pas le style des dirigeants du Deseret News de s’exciter pour des lettres d’amour, bien que deux jours plus tôt, ils avaient été frénétiques pour se les procurer. Maintenant, l’histoire mijotait à petit feu. Même Tamera ne pouvait se défendre d’un certain scepticisme. Après tout, cela pouvait simplement se réduire à la relation des amours d’un détenu et de sa petite amie. Avec l’exécution remise une fois de plus, la mort de Gary pouvait bien ne pas être pour demain…

 

12 novembre

Boaz était tout excité parce qu’un producteur de cinéma et un célèbre journaliste du nom de David Susskind venaient de lui offrir quinze à vingt mille dollars cash comme premier paiement pour les droits de cette foutue histoire – plus cinq pour cent de la recette brute du film ; et merde ça pouvait faire des centaines de milliers de dollars, avait dit Boaz.

Bébé, je n’aime pas ça… Ça commence à me dépasser.

Boaz est mon avocat mais il se comporte maintenant plutôt comme un agent, un chargé de presse.

Tout cela devient un vrai cirque.

Oh ! bébé comme j’aimerais que nous nous retrouvions à Spanish Fork à nous occuper de ton petit jardin, à faire l’amour.

Nicole arriva un peu en retard à l’enterrement de son grand-père. Kathryne trouva qu’elle avait l’air vraiment triste, debout au premier rang avec la famille, et remarqua qu’elle ne s’approchait pas du cercueil pour y jeter un dernier regard. Kathryne ne cessait de penser : « Oh ! mon Dieu, elle pense à Gary dont ce sera bientôt le tour. » Après la cérémonie, Nicole lui demanda si elle pouvait prendre sa voiture. Elle voulait aller voir Gary encore une fois. Kathryne tenta de la dissuader en lui disant qu’elle y était déjà allée dans la journée et qu’elle n’aurait pas d’autorisation. Tout ce qu’elle obtint comme réponse fut qu’elle n’aurait pas d’accident. Kathryne finit par lui dire : « Eh bien, prends-la. »

Nicole ne rentra que le soir et alors Kathryne lui sauta dessus. « Tu n’es même pas allée à la prison », lui dit-elle. Nicole répondit : « Si. J’y suis allée mais on m’a dit que je ne pouvais pas entrer, alors j’ai juste roulé. Ça me faisait du bien de tout regarder. »

5

David Susskind avait téléphoné à Dennis et commençait vraiment à parler contrat. Dennis appréciait l’approche de Susskind. Un débit suave et stimulant. Une grande énergie mais bien disciplinée.

Et puis il y avait cet autre type, Larry Schiller, qui avait appelé en disant qu’il était un ancien photographe du magazine Life actuellement producteur de films pour le cinéma et la télévision. Dennis n’aimait pas sa voix. Il insistait trop sur l’importance de faire admettre son point de vue. Une super technique de vendeur. Très professionnel. Dennis ne se sentait pas à l’aise.

Lorsqu’ils se rencontrèrent à la cafétéria de l’hôtel Utah, ils ne s’entendirent pas trop bien. Dennis était méfiant. La cafétéria se trouvait au sous-sol, une grande pièce déserte et sinistre.

Schiller avait une grande barbe noire et une moustache qui rejoignait la barbe, des cheveux noirs aux boucles vigoureuses, une belle tête. Il aurait pu ressembler à quelqu’un comme Fidel Castro, mais il était beaucoup trop gros, songea Dennis. C’était comme si l’on avait pris la tête de Fidel Castro et qu’on l’eut posée sur un corps plus massif. Comme il ne savait pas grand-chose sur Schiller, il avait interrogé deux ou trois journalistes et appris que l’homme avait acheté les droits de l’autobiographie de Susan Atkins dans l’affaire Charlie Manson, plus la dernière interview jamais accordée par Jack Ruby. Un type dont il fallait se méfier, dit quelqu’un à Boaz. Il arrive toujours lorsque les gens sont près de mourir.

Malgré tout, Boaz fut ravi de la conversation. Tout d’abord, Schiller offrait plus d’argent que Susskind. Il n’arrêtait pas de parler de tous les projets qu’il avait menés à bien. Boaz fit exprès de se montrer insolent. « Gary n’est pas Susan Atkins », déclara-t-il. Il aimait vraiment se montrer arrogant, à ce moment-là. Qu’est-ce que ça lui foutait si Schiller le trouvait antipathique ? Ça ne diminuerait pas la somme qu’il offrirait pour l’histoire de Gary.

« Vous feriez mieux de prendre un agent », dit Schiller en conclusion.

Ça coupa son élan à Dennis. Il dut convenir que l’idée de venir retrouver Susskind en lui disant qu’il avait une meilleure offre l’amusait. Pouvait-il rattraper tous les os qu’on lui lancerait ?

6

Le samedi matin, Nicole téléphona pour demander qu’on lui rende les lettres. Elle en avait besoin. Elle semblait méfiante. Tamera ne comprenait pas. Elles s’étaient quittées en bons termes. Elle se demanda si Gary ou Boaz lui avait conseillé de demander qu’on les lui rende. En tout cas Tamera annonça à Nicole que ça ne posait aucun problème. Ça n’en posait pas, elle avait les photocopies. Elle demanda donc au garçon avec qui elle sortait de la conduire à Springville ce soir-là et lorsqu’ils arrivèrent, Nicole se confondit en excuses sur le mal qu’elle lui avait donné.

Ils restèrent deux heures et passèrent un très bon moment. Le garçon qui accompagnait Tamera était de Philadelphie et d’origine italienne, il n’était pas mormon et c’était un vrai personnage à B.Y.U. Il s’appelait Millebambini et personne ne connut jamais son prénom puisqu’il traduisait Millebambini par Mille Salopards. C’était vraiment la traduction et à l’école ils en tombèrent sur le cul. Un étudiant se mit à l’appeler Milly de Philly. Dingue. Cela devint son nom. Milly de Philly. C’était un garçon très vivant qui avait toujours des tas d’histoires drôles à raconter et qui s’occupait de quantité de trucs bizarres. Tamera l’aimait vraiment bien.

Ce soir-là, Nicole fut fascinée par Milly. Tamera avait dit à celui-ci : « Ne parle pas de Gilmore, mais essaie de distraire Nicole. » Milly la fit vraiment rire aux éclats. Tamera commença à se rendre compte que Nicole, bizarrement, avait eu à certains égards une existence protégée et qu’il y avait des tas de choses qu’elle ne connaissait pas. Elle les écouta toute la nuit et Tamera partit pleine d’optimisme. Sur le chemin du retour, elle dit à Milly : « Peut-être que si on continue à la voir, on parviendra à lui changer les idées. » Tamera estimait qu’il allait s’écouler quelque temps avant l’exécution de Gilmore, si jamais elle avait lieu. Elle en était arrivée à la conclusion à peu près certaine qu’on pouvait écarter le risque d’un suicide.