CHAPITRE 26

ÉPERDUMENT AMOUREUX

1

Nicole demanda à Gary s’il n’y avait pas une chance de trouver un très bon avocat. Gary dit que les grands ténors comme Percy Foreman ou F. Lee Bailey prenaient parfois une affaire pour la publicité, mais que, dans son cas, il n’y avait pas d’éléments particuliers. Un grand nom voudrait du fric.

Bien sûr, dit-il, un très bon avocat parviendrait peut-être à le faire acquitter. Ou à lui faire avoir une peine de courte durée. Mais sans argent, il ne fallait pas y penser.

Elle n’avait aucune idée de ce que pouvait coûter un grand avocat, mais ce fut alors que l’idée lui vint de vendre ses yeux. Elle n’en parla jamais à Gary et en fait, elle se sentait un peu idiote. Elle ne savait pas vraiment comment cette idée lui était venue. Peut-être était-ce à cause de ces publicités où on vous disait combien votre vision était précieuse. Elle se dit que si elle pouvait en tirer cinq mille dollars, ça paierait peut-être un bon avocat.

Gibbs se montra quelque peu excité par cette idée. Il y avait un type à Salt Lake qui se trouvait être le plus grand avocat criminel de l’Utah, Phil Hansen. Autrefois, Phil avait été Attorney General et tout le tremblement. Il y avait plus de dossiers qui passaient par son cabinet que chez n’importe lequel de ses confrères. Il pouvait faire des miracles. Un jour, il avait tiré d’affaire un type qui avait abattu un shérif devant un autre shérif. Parfois, dit Gibbs, Hansen prenait une affaire gratis, pour la gloire. Gary s’illumina.

Cependant Gibbs ajouta qu’il ne voulait pas cacher des choses à Gary sachant combien celui-ci était jaloux. Il se devait de lui dire aussi que Phil Hansen avait la réputation d’avoir un penchant pour les jolies femmes.

Gary s’assit aussitôt à sa table pour écrire à Nicole ce que Gibbs lui avait dit, puis ajouta que c’était à elle de juger si elle voulait trouver quelqu’un qui l’emmènerait en stop voir Hansen. Mais « si ce type a le moindre geste équivoque, tu te lèves et tu t’en vas ».

Le soir même, un gardien lui passa un message de Nicole : « Il n’a pas demandé mon corps, et j’ai rendez-vous avec lui samedi à 2 heures à la prison et il te parlera. »

Elle avait rencontré Hansen dans un immense bureau et c’était vrai qu’il l’avait traitée comme il le faisait avec toutes les femmes séduisantes, mais il n’avait pas insisté. C’était un homme d’un certain âge, qui n’arrêtait pas de fumer le cigare et qui riait beaucoup. Au bout d’un moment, il lui raconta une histoire. Il dit que le dernier homme exécuté dans l’Utah était un nommé Rogers, qu’on lui avait demandé de le défendre et qu’il avait répondu à Rogers de trouver de l’argent. On avait dit à Phil qu’il n’y aurait pas de problème : Rogers avait une sœur à Chicago qui était bien nantie.

Eh bien, sans parler de la sœur, Rogers ne rappela jamais. Hansen laissa passer. Puis l’homme fut condamné à mort.

L’avocat ne comprit jamais si c’était une coïncidence, mais le matin où Rogers fut exécuté Hansen s’éveilla en sursaut, baigné d’une sueur froide. Il ne savait même pas que l’exécution avait lieu ce jour-là. »

Apprenant à la radio la nouvelle de l’exécution, il jura que jamais il ne repousserait quelqu’un pour manque d’argent s’il y avait une vie en jeu.

Tenez, lui dit Hansen, même sans argent, il défendrait Gilmore. Puis il prit ses dispositions pour le rencontrer le samedi après-midi à la prison.

Avant le départ de Nicole, il la prit dans ses bras et la serra gentiment contre lui en disant : « Ne vous inquiétez pas. Ne soyez pas triste. Ils ne vont pas l’exécuter. » Il dit encore à Nicole qu’il n’avait encore jamais vu une affaire, aussi mal partie soit-elle, qui restait inexplicable devant un jury.

Par exemple, dit-il, même une personne qui ne jurait que par la peine capitale changerait d’avis si c’était sa mère qu’on jugeait. « Ma mère n’est pas comme ça, dirait-elle. Il y a quelque chose qui ne va pas. » Les gens n’étaient prêts à appliquer la peine capitale, disait encore Hansen que s’ils condamnaient un étranger. La méthode, c’était d’amener le jury à avoir l’impression de comprendre le criminel.

Le samedi arriva. Hansen avait dit 2 heures, mais elle était là à 1 heure et demie.

Elle attendit jusqu’à 3 heures, mais M. Hansen ne vint jamais. Seigneur, qu’elle avait l’air idiote à attendre comme ça. Elle l’appela plus tard dans l’après-midi, mais c’était samedi et personne ne répondit à son cabinet. Lorsqu’elle alla voir Gary, Nicole se mit à pleurer. C’était plus fort qu’elle. Elle avait vraiment compté trouver un bon avocat.

Elle fut encore plus déprimée lorsqu’elle reçut la lettre suivante de Gary :

 

26 septembre

Tout ce que veulent faire Snyder et Esplin, c’est avoir un bon dossier pour l’appel. Ils sont payés par l’État pour agir dans ce sens. Je ne dis pas qu’ils sont payés pour me liquider, je ne suis pas paranoïaque à ce point-là. Mais ce sont des avocats désignés par la Cour, ils n’ont pas les moyens de faire un travail convenable. Je n’aurai rien de plus qu’une défense symbolique.

2

27 septembre

Je ne peux pas dormir dans la journée. Parfois j’essaye mais je me réveille toujours baigné d’une sueur froide et j’entends les voitures sur la route, je vois la lumière aveuglante entre les barreaux et je sais combien je suis loin de tout ça.

Je sais que mourir c’est juste changer de forme. Je ne m’attends pas à échapper à aucune de mes dettes, je les affronterai et je les paierai. Mais je veux cesser de traîner des dettes aussi lourdes !

Je t’ai baisée toute la nuit en esprit, Nicole. J’ai envoyé mon amour sur tout le chemin jusqu’à Springville, ce qui n’est pas rien ! Je pourrais faire en courant cette distance sans m’arrêter ! Je t’ai aimée si dur et si mouillé et si longtemps la nuit dernière mon ange et je te serrais contre moi et c’était bon. Je t’embrassais le front, le nez, les yeux, les joues et je te mouillais les lèvres et le cou. Je baisais tes oreilles avec ma langue et je t’entendais crier oh oh oh ooooh, bébé je t’ai embrassée sur tout le corps, j’ai mis tes nichons dans ma bouche, tout ce que je pouvais faire entrer et je me suis enfoui le visage entre eux en suçant tes gros tétons j’ai baisé ton nombril et poussé ma langue dans ta bouche dans ton con dans ton cul dans ton joli petit cul. Dieu que j’aime ton joli cul. Whooou ! Tu as un cul qu’on ne lâche pas ! Un vrai cul de première classe. Un cul de fée.

Tu es une fée et je suis éperdument amoureux de toi.

Ta sincérité me stupéfie. J’ai pensé longtemps et beaucoup à toi, ma petite fée, à ton expérience – aux hommes qui t’ont connue, qui t’ont aimée, qui ont été aimés en retour, qui ont usé et abusé de toi, qui t’ont fait mal, qui t’ont fait l’amour – j’ai pensé à oncle Lee. Je comprends aussi bien que je peux, Nicole.

Je ne veux pas que tu vives comme un ermite sans ami. Je ne veux pas te donner d’ordres ni t’imposer des restrictions.

Mais je n’aime pas l’idée de tous ces types qui viennent te voir. Parce que quelqu’un te prend en stop faut-il qu’il devienne un ami, qu’il vienne te voir et revoir tous les deux ou trois jours ?… Merde alors.

Hier, j’ai eu une impression qui ne m’a pas plu. Vague, mais obsédante… tu sentais la bière…

Je sais que les types qui viennent te voir doivent vouloir plus que ta compagnie. Je ne doute pas de toi, mais je sais que la chair est faible.

Tu as toujours été si sincère et si ouverte avec moi, tu es simplement Nicole et tu te présentes juste comme tu es, sans histoires.

Quelque chose m’a irrité hier et m’a fait éprouver une sensation que je ne veux pas connaître. Ton visage, tes larmes, ça m’a rappelé une autre fois il n’y a pas si longtemps…

Bébé je crois que je suis juste un fils de pute follement jaloux et un salaud d’égoïste.

Je n’aime pas tes amis qui viennent et reviennent pour ta compagnie. Bonté divine, je n’ai jamais connu d’homme pareil. Bébé je suis un homme… je sais ce que veulent les types.

Je ne veux pas que tu aies tous ces amis hommes.

Nicole vivait avec de bonnes intentions, mais elle continua à coucher avec Cliff et avec Tom deux ou trois fois durant ce long mois de septembre, et c’était horrible après d’aller voir Gary et d’éviter le sujet. Elle finit par décider que la seule façon dont elle pourrait découvrir si elle aimait assez Gary pour pouvoir se débarrasser de ses sales habitudes, c’était de le lui dire une fois de plus. Alors quand elle lut « tu sentais la bière » Nicole rassembla son courage, acheta du beau papier chez Walgreen et lui écrivit une longue et tendre lettre avec tout ce qu’elle pouvait mettre dedans de doux et de généreux. Puis à la fin, comme si elle voulait ne pas gâcher le beau papier, elle prit une serviette sur le comptoir et écrivit encore quelques mots. Elle essayait de dire : quand je me mets dans des situations comme ça, ça ne compte pas. Il ne se passe rien. Elle finit par écrire : « Pourquoi ne pas dire simplement ce que je veux dire ? Gary, personne d’autre que toi ne m’a jamais vraiment baisée. »

 

28 septembre

Bébé, le gardien vient de m’apporter ta lettre. Tu m’écris et tu me parles toujours de te faire baiser, de te faire baiser, de te faire baiser, Tout le monde saute Nicole. Tout le monde. Tout le monde la prend en stop ou la voit trois ou quatre fois par semaine juste pour planer ensemble, pour sentir la beauté, juste des amis, de la compagnie, même pas la peine de la connaître, il suffit de s’asseoir et de l’écouter raconter combien elle aime Gary et puis la sauter. Sacré nom de Dieu de merde.

C’est sur une belle nappe en papier que tu m’as écrit : « Mais enfin tu dois comprendre ce que je veux dire par amis. Ces amis sont ceux qui viennent me voir et me revoir encore pour la compagnie, qui ne m’ont pas une fois réclamé la moindre attention physique. » Tu m’écris de foutus mensonges… Tu es assise pour m’écrire un mensonge pareil et tu as signé avec amour. Tu éprouves une si grande compassion pour tout le monde que tu es prête à te faire sauter. Pourquoi Ô Seigneur, Seigneur bonté de saloperie de nom de Dieu de merde.

Bon sang, bébé, aide-moi à comprendre. Je ne vois pas la vie comme ça. Je n’ai jamais été amoureux avant. J’ai été enfermé toute ma foutue vie, je crois que sur le plan affectif je suis infirme ou quelque chose comme ça parce que je suis quelqu’un qui ne peut pas partager sa femme. D’autres gens en seraient peut-être capables, se foutraient peut-être éperdument que quelqu’un baise ce qui est à eux mais moi, je suis Gary. Quelqu’un t’a sautée. Quelqu’un t’a embrassée. Quelqu’un t’a embrassée, a vu tes yeux rouler en arrière ; au fond, c’est ton corps et c’est ta vie. Baise tous les gens de l’Utah si tu en as envie, qu’est-ce que ça fout ? Qu’est-ce que ça me fout ? Mais ça me fout, ça me fout beaucoup.

Nicole – mon amour n’est-il pas assez grand pour emplir même une petite vie – mon amour pour toi est-ce que ça n’est pas assez ? Faut-il que tu donnes ton corps, toi-même ? Ton amour à d’autres hommes ? Je ne suffis pas ? Je ne peux pas baiser. Je suis bouclé. Pourquoi ne peux-tu pas t’en passer toi aussi ?

Ne baise pas ces « charmants » fils de pute qui veulent te sauter. Ils me donnent envie de commettre encore un meurtre. Et j’ai horreur d’éprouver ce sentiment. Chasse ces salauds de ta vie. Débarrasse-toi de ces fils de pute. Si j’ai envie de tuer, ça n’a pas forcément d’importance qui se fait tuer. Tu ne sais donc pas ça de moi ? Le meurtre, c’est une chose en soi, une rage et la rage ne connaît pas la raison : alors pourquoi ça a-t-il de l’importance sur qui on passe une rage ? C’est la première fois que j’ai consciemment reconnu cette folle vérité. Peut-être que je commence à grandir… Grandis avec moi. Aime-moi. Enseigne-moi. Apprends de moi. Doucement, deviens plus forte avec moi. ô ma belle Nicole.

Bon Dieu quelle lettre. Je pense que les fantômes vont m’attaquer ce soir. Je ne peux pas supporter la pensée d’un enfant de salaud qui te saute. Tu sais ce qui me fait si mal ? Pas seulement l’idée que tu te fais sauter ou que tu suces à t’en emplir la gorge la bite de je ne sais lequel des enfants de pute mais qu’ils t’embrassent aussi. Et que tu doives leur rendre leurs baisers, passer tes bras autour d’eux et baiser, sacré nom de Dieu de merde ; j’ai envie de pouvoir supprimer le monde entier. De plonger dans le néant toute la création. Ma Nicole ? Ma Nicole ? Qui est Nicole ? Te prendre la vie ? C’est ce que tu as écrit. Tu as dit que tu t’étais fait sauter deux fois par un type. Je crois que c’est ce que tu as dis je n’ai pas l’intention de le relire. Pourquoi ne pas tout simplement te faire sauter par tout le monde tout le temps, qu’est-ce que ça me fout ? Tu connais Lonny, le gardien rouquin d’ici qui t’a emmenée en voiture un jour. Il t’a sautée ? Est-ce qu’il me regarde en pensant : « Je me tape la pépée de Gilmore ? » Oh bon Dieu. Je ne peux pas supporter ça. Je ne peux pas. Merde pour cette ordure. Merde pour toi. Bonté de merde, est-ce que tu ne peux pas te faire passer cette saloperie d’habitude ? Nicole, Nicole, Nicole. Ah ! ce sont de vilains fantômes, n’est-ce pas ? Seigneur. Laids. Laids. Ooooh bon dieu ! Et merde. Je crois que j’ai maîtrisé ça et que ça s’en va de nouveau. Nicole je n’essaie pas de faire quoi que ce soit. Je ne devrais sans doute pas te laisser lire ça.

Bon sang. Tes lettres, toutes les deux, que j’ai eues aujourd’hui sentent si bon, elles sentent comme toi. Bébé c’est une vilaine lettre. Elle va de la raison à la rage.

Mon chou, quand tu liras cette lettre sache que je t’aime. Que je ne comprends pas cette chose aussi bien que je croyais, que j’ai terriblement mal, relis-la et barre les passages qui te font du mal, je ne veux pas te faire du mal mon amour, mon ange, mon ange, mon ange, mon bel ange. Je n’arrive pas à décider si je vais te donner cette lettre ou est-ce que je suis là à écrire des mots qu’on ne lira pas ? Oooh bébé. Tu vas lire ça. Tu savais que tu la lirais avant de la recevoir. Tu peux la lire et la relire. Tu ne recevras jamais de moi une autre lettre comme ça. Je sais l’émotion qu’il y a ici et si tu veux éprouver ça il faudra que tu relises cette lettre. Parce que je ne te reparlerai plus jamais de ma douleur.

RIEN AU MONDE. PAS MÊME LA CÉCITÉ, LA PERTE DE MES YEUX, LA PERTE DE MES BRAS OU DE MES JAMBES, LA PARALYSIE TOTALE, LES PIQÛRES DE PROLIXINE, RIEN NE POURRAIT ME FAIRE PLUS DE MAL QUE DE SAVOIR QUE TU DONNES TON CORPS ET TON AMOUR À QUELQU’UN D’AUTRE.

Il y avait dans la lettre de Gary plus de souffrance qu’elle ne pensait que quelqu’un pouvait en supporter. Elle se sentait modeste au milieu de son propre chagrin, comme si quelqu’un de tranquille, au ciel, pleurait aussi avec elle. Alors elle lui écrivit que plus jamais elle ne ferait rien de ces choses qui lui déchiraient le cœur. Elle lui dit qu’elle préférerait être morte que de lui causer encore une telle souffrance. Qu’elle souhaitait qu’on lui retire la vie si ses yeux, jamais, lui mentaient encore. Elle laissa la lettre à la prison.

À un moment, vers l’aube ce matin, j’ai senti l’amour revenir – il coulait tiède et tendre… Il n’était jamais parti, bien sûr, mais il attendait seulement que je redevienne capable de l’accepter. Je t’ai fait mal encore mais de façon différente et je crois que ça va te faire mal longtemps.

Oh ! Nicole.

Je t’ai écrit une lettre inutilement laide. Tu es une bonne fille.

Tu t’en tires avec très peu d’argent, tu aimes et tu élèves tes enfants du mieux que tu peux. Je ne suis pas aveugle à tout cela. Tu es une belle fille. Je t’aime totalement.

En ce moment j’ai encore mal. C’est quelque chose que je ne voulais plus jamais éprouver. Mais c’est revenu encore une fois, ma chérie, c’est associé à une rage qui aveugle ma raison. Je t’en prie essaie de comprendre ce que je ressens. Une voix en moi me dit d’être doux – d’aller lentement, de comprendre, d’aimer et de connaître mon ange, ma fée. Connaître ses nombreuses souffrances, les choses qui lui sont arrivées dans sa jeune vie. Mais plus que cela – de comprendre son amour pour toi. La confiance qu’elle a en toi, qui se manifeste par le fait qu’elle ne te ment pas, qu’elle peut dénuder son âme et te faire confiance – savoir GARY que toi aussi tu as des habitudes dont il n’est pas si facile de se débarrasser. Que toi GARY tu n’es pas parfait – que toi GARY tu serais un idiot si tu ne comprenais pas maintenant que cette femme t’aime. Mais au lieu de cela j’ai écrit cette horrible lettre que je t’ai donnée hier – Oh ! mon ange. Je t’en prie, aie plus de foi et de force que je n’en ai eu dans mes moments de rage aveugle.

Je suis resté allongé sur le lit toute la journée dans un brouillard, un marasme, une stupeur totale. Je suis désolé je suis désolé je suis si foutrement désolé. Tout mon corps me semble lourd comme du plomb. C’est à peine si je réponds à Gibbs quand il me parle. Je crois qu’il se rend compte que quelque chose ne va pas. Il n’allume pas la radio parce qu’il sait que je ne supporte pas de l’entendre.

3

Le dernier jour de septembre, juste avant l’aube, quatre flics amenèrent un mec trapu, avec une barbe bien taillée, dans la cellule de haute surveillance. Il sentait la gnôle. Quand il vit Gilmore et Gibbs qui le regardaient, il dit d’une voix forte : « Les gars, vous connaissez Cameron Cooper ? » Ils ne répondirent ni l’un ni l’autre. Alors le type dit : « Eh bien, je m’appelle Gerald Starkey, et je viens de tuer ce fils de pute. »

Gibbs dit : « S’il y avait le moindre doute, tu viens de l’éliminer. Mon vieux, il y a quatre policiers qui viennent écouter ta déclaration. » Même Gary se mit à rire. Mais Starkey était trop ivre pour s’en soucier. Il déposa son matelas et ses couvertures sur la couchette d’en bas et s’allongea avec la tête à cinquante centimètres de la cuvette des cabinets. Très vite il s’endormit.

Au bout d’un moment le petit déjeuner arriva. Ils partagèrent sa part. Il n’allait pas reprendre conscience avant quelques heures.

Vers 9 heures et demie ce matin-là, le Gros Jake dit à Starkey de se lever pour aller au palais de justice. Après cela le Gros Jake expliqua que Cameron Cooper appartenait à une vraie famille de fondateurs de l’Utah, qu’il connaissait tout le monde. Pour l’instant, quatre ou cinq de ses amis étaient dans la cellule centrale, alors Starkey devrait rester avec Gilmore et Gibbs.

Lorsque le type revint du tribunal, il était dégrisé et demanda s’il pouvait prendre un des livres de poche qu’il y avait sur la table. Tout l’après-midi il resta allongé sur sa couchette à lire. Il avait l’habitude d’éternuer en plein sur les pages. Gary marmonnait : « Il n’a pas assez de bon sens pour tourner sa grosse gueule ? »

Plus tard, il leur raconta qu’il était cuisinier au Steak House de Beevee à Lehi, et qu’il était un copain de Cameron Cooper, mais qu’ils avaient eu une discussion. Cameron avait pris sa ceinture, il en avait enroulé une extrémité autour de sa main et s’était mis à menacer Starkey avec la boucle. Starkey esquiva, se releva, et lui enfonça un poignard en plein à travers dans le cœur, « Eh bien, dit Gary à Starkey, voilà qui ne manque pas de piquant ! » Ça les fit rire.

Il apparut là-dessus que Brenda et John étaient entrés dans le café juste au moment où la bagarre commençait. Sitôt que Starkey eut poignardé le mec, Cameron s’effondra sur Brenda en barbouillant de sang tous ses vêtements. « C’est pas croyable, dit Gary à Gibbs, elle va être aussi le témoin-vedette à son procès. Cette garce n’a plus une minute à elle avec tout ce qu’elle a à faire au tribunal. » Il prit une lettre de Brenda et la lut tout haut : « Gary, tu ne sauras jamais assez combien je suis navrée. Quand j’étais à l’audience préliminaire, à témoigner contre toi, j’avais vraiment mal. » Il secoua la tête : « Est-ce que vous pouvez croire que c’est une parente ? Je comprends mieux maintenant, reprit-il, pourquoi elle s’est mariée et à divorcé tant de fois. N’importe qui, avec un QI de 60, qui est le niveau d’un demeuré, pourrait dire que quelqu’un vous poignardait dans le dos. Tiens-toi bien, Gibbs, elle finira par payer un jour. »

4

Samedi 2 octobre

Je me suis tellement branlé ces dernières semaines en pensant à toi et aux choses qu’on faisait – ma foi, j’ai l’impression que je me branlais trop, deux, trois, quatre, quelquefois cinq fois par jour. Maintenant on me donne un peu de fiorinal et de somnifère, du dalmine, le soir et des calmants, et je ne me branle plus autant.

Ah, bébé, ça m’a toujours tracassé parce que je n’ai jamais eu l’impression de vraiment te donner le grand frisson à te mettre en nage à perdre tout contrôle en plongeant sur la terre. Soupir ! J’étais si intoxiqué entre l’alcool et le fiorinal, que je savais tout le temps que ça me bousillait sur le plan sexuel et que je me privais de quelque chose de tellement plus doux de tellement mieux. J’ai dû en parler assez souvent pour que tu te rendes compte que ça me tracasse. Et puis, bébé Nicole, j’étais un peu timide avec les filles et avec toi. C’est vrai, ça faisait si fichtrement longtemps que je n’avais pas été avec une nana. Je ne veux pas dire que j’ai jamais déconné avec les lopes en taule, pas du tout, sauf la fois dont je t’ai parlé où j’ai embrassé deux ou trois jolis garçons et où j’en ai même enculé un. Mais ça n’était rien ça ne me disait rien. Ce qui m’a toujours plu, c’étaient les nanas, mais ça faisait si longtemps que je n’en avais pas vu que j’étais pétrifié de timidité même d’être nu avec toi. Tu étais toujours si belle, si douce si patiente et si compréhensive. Je crois que dans la première ou la deuxième semaine tu m’avais détendu et que je me sentais de nouveau tout à fait naturel. J’avais été bouclé pendant douze ans et demi je ne donne pas d’excuses ni rien mais tout ce temps ça faisait une différence dont je n’avais même pas conscience.

Quand j’avais quinze ans, le cul c’était rare. Je veux dire qu’on avait du mal à en trouver. Les filles n’avaient pas la liberté sexuelle qu’elles ont aujourd’hui. Elles parlaient même de façon différente. Je n’ai jamais entendu une fille dire « baiser ». Ça ne se faisait pas. Tu as vu ce feuilleton Happy Days à la télé… Eh bien, les choses n’étaient pas tout à fait aussi connes, mais pas loin, vraiment.

Je peux te dire, quand j’étais gosse si on arrivait à sauter quelques pépées, c’était quelque chose. Je trouvais des filles à sauter de temps en temps, mais il fallait se donner du mal, la morale était différente. Les filles étaient censées rester vierges jusqu’à leur mariage. C’était comme un jeu, tu sais. On flirtait, on se taquinait. Quand une fille finissait par décider de vous laisser la baiser elle faisait toujours un numéro comme si on profitait d’elle et puis, neuf fois sur dix, elle disait : « Oh ! est-ce que tu me respecteras encore ? » Des conneries de ce genre. Dans ces cas-là, on était toujours si excité et si prêt à s’y mettre qu’on voulait bien lui promettre n’importe quoi, même le respect. Ça semblait toujours si idiot, mais c’était la règle du jeu. Et une pépée m’a demandé ça une fois, une petite blonde vraiment mignonne, tout le monde avait envie de se l’envoyer et un soir voilà que je l’avais toute seule avec moi chez elle. On avait tous les deux dans les quinze ans, on flirtait dur, on s’excitait tous les deux, j’étais dans la place et je le savais. Et là-dessus voilà qu’elle me sort cette réplique de mélo : « Gary, si je te laisse faire, est-ce que tu me respecteras encore ? » Eh bien, j’ai fait mon coup, j’ai éclaté de rire en lui disant : « Te respecter ? Pourquoi ? J’ai juste envie de baiser et toi aussi, pourquoi veux-tu que je te respecte ? Tu es arrivée première au Cinq Cents Miles d’Indianapolis ou quoi ? » Bref, comme je le disais, j’ai tout loupé.

Oh ! allons ! Il y a encore deux ou trois semaines. Si Gibbs arrive à se faire libérer sous caution – mais c’est le moment maintenant C’est le meilleur moment. Ce crétin de Mexicain, Luis, il est de nuit en ce moment et ne revient jamais pour voir ce que je fais. Il ne vérifie pas les barreaux pour voir s’il y a des traces de scie. Il se planque au bureau à regarder des feuilletons policiers à la télé. Et puis c’est le moment idéal pour moi pour avoir des chaussures : juste avant d’aller au tribunal, ce serait si naturel pour Snyder et pour Esplin de m’apporter une paire de godasses.

 

Sterling finit par dire qu’il ne voulait pas mettre la lame de scie dans la semelle des chaussures. On avait perdu un temps précieux. Nicole décida d’essayer elle-même. Elle acheta une paire de brodequins chez le brocanteur et découpa une petite fente dans la semelle. Au prix de bien des efforts, elle parvint à pousser la lame à l’intérieur, mais elle était trop longue. Alors elle prit le risque de la casser en deux. Elle parvint à en faire entrer une moitié. Mais lorsqu’elle essaya de recoudre la fente, ça n’était pas beau à voir. Jamais on ne laisserait passer ces chaussures.