7 octobre
Nicole, mon ange,
Je suis en taule maintenant. Je viens d’y arriver. On dirait que je suis au trou. Une cellule pour une personne avec un matelas foutu, pas d’oreiller et, par terre, les assiettes en carton sales de quelqu’un qui était là avant moi. On m’a donné une salopette blanche, et j’ai horreur des salopettes. Ça me serre toujours à l'aine.
8 octobre
Ce matin on m’a apporté un oreiller. Whooou ! Voilà maintenant que je chie dans la batiste !
Un lieutenant et un visiteur de prison m’ont fait un bref exposé des règles de l’établissement. Je leur ai demandé comment ça se passait pour les visites et ils m’ont dit que tu pourrais me voir. Même si nous ne sommes pas légalement mariés, tu pourras venir me voir. Une heure par semaine le vendredi matin entre 9 heures et 11 heures. Je t’ai inscrite sur le formulaire de visite comme Nicole Gilmore (Barrett) et sous la rubrique « Parenté » j’ai mis épouse de droit coutumier-fiancée. J’aimerais que tu utilises mon nom mais bien sûr tes papiers d’identité portent celui de Barrett – et ils te demanderont probablement une carte d’identité.
9 octobre
Je ne sais pas si je t’ai parlé auparavant de ce que je pense de la guerre de Sécession – je l’ai sans doute fait. En tout cas tu ne seras pas surprise d’apprendre que mes sympathies vont toutes vers le Sud. Et c’est une attraction aussi forte que j’éprouve pour l’île d’Émeraude. À tort ou à raison ils Croyaient : vers la fin, c’est tout ce qu’ils avaient pour se battre : une croyance et du courage. Ils étaient à court de tout : de vivres et de munitions et de tout ce qu’il faut pour faire une guerre. Mais ils ont failli gagner. Ils sont arrivés à un cheveu de gagner la plus sanglante des guerres.
« Quand l’Honnête Abe a appris la nouvelle de votre chute,
Les gens ont pensé qu’il allait donner un grand bal de la Victoire,
Mais il a demandé à l’orchestre de jouer Dixie, pour toi
Johnny le Rebelle – et pour tout ce que tu croyais –
Tu as combattu jusqu’au bout, Johnny le Rebelle, Johnny le Rebelle
Tu as combattu jusqu’au bout. »
Ma foi, c’est un des épisodes de l’histoire qui me séduit, comme la défense d’Alamo.
Que va-t-il advenir de nous, Nicole ? Je sais que tu te poses cette question. Et la réponse est tout simplement : par l’amour… nous pouvons nous élever au-dessus de la situation.
Nicole, mon inclination est de les laisser m’exécuter. Si je renonçais à faire appel, ils seraient obligés soit de commuer la peine, soit d’exécuter la sentence. Je ne pense pas qu’ils la commueraient.
Ce n’est vraiment pas à moi seul de prendre la décision. Je ne peux pas te demander de te suicider. J’ai cru à un moment que je le pourrais mais je ne peux pas. Si je suis exécuté et que tu te suicides, eh bien, en toute franchise, je crois que c’est ce que je voudrais.
Mais je ne vais pas t’imposer cela en te demandant de le faire.
11 octobre
J’ai écrit à ma mère vendredi après qu’elle soit venue me voir ici. Jamais je n’ai parlé à ma mère comme je lui ai parlé voilà deux jours. Bien que les sentiments qui existent entre ma mère et moi soient très profonds, ils se sont toujours exprimés de façon superficielle. Bref, j’ai parlé à ma mère de l’amour que toi et moi avons l’un pour l’autre. Je lui ai dit que je ne pouvais pas et que je ne voulais pas expliquer au juste ce qui s’était passé et qui a eu pour résultat la situation où je suis. Je lui ai dit qu’à la suite de toute une vie de solitude et de frustration, j’ai laissé se développer de mauvaises habitudes de faiblesse qui ont fait de moi quelqu’un de néfaste. Que je n’aime pas être mauvais et que je désire ne plus être mauvais.
Oh ! Nicole, il arrive un moment où on doit avoir le courage de ses convictions. Tu sais que j’ai passé à peu près dix-huit ans de ma vie sur trente-cinq sous les verrous. J’en ai détesté chaque instant mais je n’ai jamais versé de larmes là-dessus. Je ne le ferai jamais. Mais j’en ai assez, Nicole. Je déteste cette routine, je déteste le bruit, je déteste les gardiens, je déteste le désespoir que cela me fait éprouver. Tout et n’importe quoi que je fasse, c’est juste pour passer le temps. La prison m’affecte plus que la plupart des gens. Ça me vide. Chaque fois qu’on m’a bouclé je crois que j’ai éprouvé un tel désespoir que je me suis laissé couler à pic et que, ma foi, ça a eu pour résultat de me faire passer plus de temps en prison que je ne l’aurais sans doute dû. Si ça veut dire quelque chose.
Tu es une fille très forte, une âme très forte. Tu le sais et tu sais que je le sais. Tu as dû trouver cette force quelque part, tu n’es pas tout simplement née avec. Je veux dire que tu l’as peut-être puisée dans une vie antérieure, mais qu’à l’origine tu as dû la mériter en surmontant de durs obstacles. Nous sommes seulement plus forts que ce que nous surmontons.
12 octobre
« Les factures s’entassent et les bébés vont pieds nus
Et je suis fauché
Le coton a baissé de vingt-cinq cents la livre
Et je suis fauché
J’ai une vache qui ne donne plus de lait et une poule qui ne pond plus
Un tas de factures qui chaque jour grossit
L’État va venir déménager mes affaires
Je suis fauché
Je suis allé trouver mon frère pour lui emprunter de l’argent
J’étais fauché
Comme j’ai horreur de mendier comme un chien qui réclame un os
Mais je suis fauché
Mon frère m’a dit :“ Je ne peux rien faire pour toi”
Ma femme et mes dix-neuf gosses sont tous au lit avec la grippe,
Et je comptais justement venir te trouver… Je suis fauché. »
Les gens les plus braves sont ceux qui ont surmonté les plus grandes peurs. Moi j’ai horreur de la peur. Je pense que la peur est une sorte de péché…
Il se peut que bientôt, le mois prochain, je me trouve en face de plus de peur que je n’en aie jamais connue. Je ne peux pas dire ce que j’éprouverai quand cette heure arrivera… J’ai un peu l’impression que toute ma vie aboutit à cela.
15 octobre
Si tu viens me voir et qu’on ne veuille pas te laisser entrer, va trouver le directeur, il s’appelle Sam Smith. Ne discute pas avec lui, ne te mets pas en colère : les gens dans sa position n’ont pas à écouter les discussions, ils représentent un pouvoir par eux-mêmes. Explique simplement que nous sommes fiancés, que nous devons nous marier et que les visites et nos lettres signifient énormément pour nous deux.
C’est drôlement chiant ici. Pas moyen de faire la conversation. La seule chose dont ces deux Mexicains parlent, c’est de mettre des filles au turf et se vanter d’être des petits malins. Des vraies merdes. J’ai entendu ce genre de conversation – cela ne varie jamais d’un pénitencier à un autre – de la pure foutaise… de la quintessence de foutaise.
Je ne dis pas que ce soit bien d’enfreindre la loi. Je ne parle pas de ça – mais les prisons telles qu’elles existent, cela n’est pas bien.
17 octobre
Je n’ai pas eu une nuit de sommeil depuis que je suis ici. Les lumières restent allumées, de l’autre côté des barreaux, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. La nuit, j’accroche ma serviette pour la masquer un peu. Mais ils me réveillent quand ils font l’appel et menacent de me prendre mon malheureux matelas si je ne retire pas la serviette. C’est dément.
Kathryne était dans tous ses états à propos de Nicole. Ça n’était déjà pas brillant quand Gary était à la prison municipale, mais alors, Nicole avait juste à faire le trajet de Springville à Provo. Maintenant, c’était différent. Aller en stop à la prison la faisait passer par Pleasant Grove, et souvent elle laissait les gosses à Kathryne et s’arrêtait au retour pour les reprendre.
Kathryne essayait de parler de Gary, mais elle n’y réussissait pas beaucoup. « Comment a-t-il l’air d’être ? » demandait-elle et Nicole répondait : « Comment ? Comment pourrait-il être ? » Puis Kathryne apprit par Cathy que Gary disait qu’il voulait mourir. Nicole était très discrète là-dessus. Kathryne commença vraiment à avoir peur lorsque Nicole déclara que les gosses seraient mieux lotis sans elle.
Elles eurent une scène violente à ce propos. Kathryne dit un tas de choses désagréables qu’elle ne pensait même pas. Tout d’abord, elle avait peur de l’auto-stop, alors elle attaquait Nicole là-dessus. Puis elle s’en prit à Gary. « Il n’est bon à rien, disait Kathryne. Ce n’est qu’un sale assassin et il mérite la peine de mort. Non, disait-elle en se reprenant, c’est encore trop bon pour lui.
— Tu ne le comprends pas », disait Nicole. « Non, disait Kathryne, je ne veux pas le comprendre. Et pourquoi n’essaies-tu pas de te mettre à la place de ces deux pauvres veuves qui doivent élever leurs gosses, seules, maintenant, alors que tu te précipites tous les jours que le bon Dieu fait pour aller voir ce sale assassin. »
Kathryne n’était pas vraiment aussi montée contre Gary qu’elle le prétendait. En secret, peut-être même le plaignait-elle, mais il fallait trouver un moyen d’empêcher Nicole d’aller en stop à la prison. Tout ce que Kathryne pouvait envisager pour l’avenir, c’était que lorsqu’on exécuterait Gary, Nicole s’effondrerait.
Ce fut une grande discussion. À la fin, Nicole hurla, mais au moins, cela valait mieux que le silence. « Parfait, dit Kathryne, va donc tirer une balle dans la tête de quelqu’un. » « Je m’en fiche, répliquait Nicole, je ne veux pas entendre un mot de ce que tu dis.
— Oh ! Nicole, pourquoi, pourquoi, demandait Kathryne, pourquoi au nom du ciel vas-tu là-bas ?
— Parce qu’il n’a personne d’autre. J’irai tous les jours de la semaine jusqu’à ce qu’on l’exécute. Et même, ajouta Nicole, j’irai assister à l’exécution.
— Comment le pourrais-tu ? » hurla Kathryne.
Et puis elles en vinrent à des sujets plus pratiques. « Si tu as besoin qu’on te conduise, dit Kathryne, bon sang, si tu veux absolument aller là-bas, appelle l’une de nous. » « Voyons, fit Nicole, vous travaillez, et je ne veux pas vous embêter. » « Bon Dieu, fit Kathryne, peu importe si je travaille. Je ne veux pas que tu fasses du stop. » « Mais, fit Nicole, je ne peux pas perdre le temps de passer ici. »
Même M. Overman, pour qui Kathryne travaillait, dit à Nicole : « Écoute, ma petite, si tu le veux, je te conduis, téléphone-nous au travail. Peu importe si tu désires partir à 8 heures du matin. Ta mère peut prendre un moment pour t’accompagner. Je n’aime pas te voir faire du stop. » Nicole éclata de rire, puis dit : « Oh ! vous vous faites tous bien trop de souci. »
17 octobre
J’ai été une fois presque totalement privé de rêves pendant environ trois semaines. C’était quand j’étais sous proxiline et que je n’arrivais pas à dormir. Heureusement, je connaissais l’importance des rêves. Alors, je compensais du mieux que je pouvais. Je laissais mon esprit vagabonder en suivant les hallucinations qui s’imposaient à moi, mais jamais assez pour ne pas pouvoir m’en sortir. Je crois que j’ai appris une chose que peu de gens ont jamais pu vraiment comprendre : quelle chose épouvantable ce serait d’être fou.
C’est un fait que je jouais ma tête à ce procès et que mes avocats ne m’ont tout simplement pas défendu. Il est vrai qu’ils n’avaient pas grand-chose sur quoi travailler – mais il ne se sont pas montrés bien curieux non plus. Ils n’ont jamais vraiment essayé de regarder en profondeur, ils s’imaginent que, comme tous les gens qui sont condamnés à mort, je vais me contenter de me maintenir en vie en faisant appel sur appel.
Je veux dire qu’ils ne savent tout simplement pas grand-chose, ces deux marionnettes, Snyder et Esplin. Qu’ils aillent se faire foutre. J’imagine qu’ils ne sont pas mal payés. Ils l’ont mérité. C’est l’État qui les a payés et ils ont fait ce qu’ils étaient censés faire pour l’État.
18 octobre
Le lieutenant… a dit qu’il allait falloir y aller un peu mollo avec nos bécotages dans la salle des visites. Je lui ai dit qu’on était simplement contents de se voir (c’est fichtrement au-dessous de la vérité). Il a dit qu’il pouvait comprendre cela – il est humain aussi. Je ne savais pas, mais le règlement c’est le règlement et il ne veut pas avoir à nous donner trop d’avertissements.
Voici quelques vers de La Sensitive. C’est de Percy Bysshe Shelley.
Et les feuilles, brunes, jaunes et grises et rouges
Et blanches avec la blancheur de ce qui est mort
Comme des cohortes de fantômes sont passées dans le vent sec ;
Leur sifflement a terrifié les oiseaux.
Je n’ose pas imaginer ; mais dans cette vie
D’erreurs, d’ignorance et d’efforts – ou rien n’est mais où tout n’est qu’apparence,
Et nous les ombres du rêve.
19 octobre
Je n’ai rien contre Sue mais tu as dit dans une de tes lettres qu’elle essaie toujours de te faire sortir avec un copain de son petit ami et c’est sans doute à cause de Sue que ce foutu Hawaïen est venu. Je ne sais pas pourquoi tu laisses même ce Hawaïen séjourner chez toi aussi longtemps… Bon Dieu, bébé, fous-moi ça en l’air. Explique clairement à ce fils de pute qu’il doit foutre le camp. Et je voudrais aussi que tu fasses comprendre à Sue que tu n’as pas besoin de petit ami.
Tu n’as pas besoin de laisser je ne sais quel trou du cul s’installer dans ton salon pendant qu’il attend que ses amis viennent le chercher : laisse-le attendre dans le caniveau.
La raison pour laquelle tu n’as pas pu trouver le mot dans le dictionnaire, c’est parce que tu l’as mal lu – ou que je ne l’ai pas bien écrit – en tout cas c’est tautologisme et non pas tantologisme. Regarde encore. J’ai carrément pensé à te demander de te suicider. J’ai pensé à te dire que si tu te suicidais, c’est moi qui assumerais toute la dette, s’il y en avait une à payer. Je le ferais si je pouvais. Mais comment puis-je faire une proposition pareille quand je ne sais pas quel effet cela te ferait de faire ça ? Mon ange, est-ce qu’on nous donne maintenant une chance de revivre quelque chose qu’on a bousillé dans une vie antérieure ? Cela pourrait aussi bien être le cas qu’autre chose.
Écoute, je t’ai dit que je n’ai pas très peur de ça… Eh bien, j’ai peur de faire le mauvais choix. J’ai peur de nous faire du mal. Je ne veux pas nous faire de mal.
20 octobre
Baise-moi dans ton esprit et dans tes rêves mon ange viens à moi et enroule autour de moi ton corps tiède et mouillé et brûlant et poisseux et tout et prends mon sexe dans ta bouche et dans ton con et dans ton cul et allonge-toi sur moi et allonge-toi sous moi et allonge-toi auprès de moi avec ta tête si près et tes jolies jambes si hautes et tes seins partout sur moi et pose ton con sur ma bouche pour que je l’embrasse pour que je le lèche que je l’explore que je le suce que je l’aime et que je te sente exploser et gémir et soupirer et dégouliner ton jus tiède dans ma bouche.
Sue constatait tous les changements qui s’opéraient chez Nicole. Au début, quand Gary était à la prison municipale, Nicole avait vraiment envie de sortir. Peut-être bien qu’elle était aussi amoureuse de Gary qu’elle le disait, mais elle appréciait aussi le fait de ne plus avoir tout le temps personne sur le dos, personne. Elle et Sue commencèrent à sortir ensemble. Quelquefois même, après que Sue ait eu son bébé, elles faisaient une petite fête chez Nicole.
Et puis, cela commença. Nicole ne voulait plus voir d’hommes. Après le procès, Nicole lisait les lettres de Gary toute la nuit. Ou alors, elle passait son temps à écrire. Cela impressionnait Sue Baker. Une fois, Sue la vit même écrire à 4 heures du matin. Elle n’arrivait pas à s’arrêter. C’était comme de fumer en allumant une cigarette avec le mégot de la précédente.
Parfois Nicole éclatait de rire en lisant les choses drôles qu’il mettait dans ses lettres. Mais il y en avait d’autres qui la faisaient pleurer. Elle ne cherchait pas à montrer à Sue qu’elle pleurait, mais on pouvait la voir qui lisait avec les yeux rouges. Des larmes coulaient sur ses joues. Et puis elle se redressait, s’arrêtait de pleurer et se remettait à écrire.
Une quinzaine de jours après le procès, Nicole parut vraiment excitée. « Tu sais, dit-elle à Sue, il ne va pas lutter. Il veut mourir. » Sue commença à dire ce qu’elle en pensait et Nicole répliqua : « S’il en a envie, c’est son droit. » Pas moyen de dire le contraire à Nicole.
Un jour, entendant Sue parler des tranquillisants dont Sue avait tout un flacon, Nicole demanda : « Combien faut-il en prendre pour se tuer ? » Elle lui demanda cela, un soir, tranquille comme Baptiste. Sue n’y prêta pas attention. Elle dit : « Oh ! je ne sais pas. Je n’ai pas envie d’essayer, alors je ne sais pas. » Elle n’y attacha pas plus d’importance, mais comme les jours passaient et que Nicole devenait de plus en plus mélancolique, Sue commença à s’inquiéter.
20 octobre
Tout ne cesse de me rappeler la situation presque terriblement irréelle dans laquelle nous sommes. Je dois l’accepter. Je n’ai pas le choix – tu choisis de l’accepter. Tu me stupéfies, la force et la beauté que tu montres ! Ce serait si facile pour moi de mourir ; je n’ai qu’à congédier ces deux idiots d’avocats, renoncer à tout appel et sortir d’ici le lundi 15 novembre à 8 heures du matin et vite et sans mal me faire fusiller. Si tu choisis de me rejoindre, ce serait beaucoup plus dur pour toi car tu serais obligée de le faire toi-même par le moyen que tu déciderais : somnifères, lame de rasoir, je ne sais quoi – tu devrais le faire toi-même – et c’est dur, je sais. Je ne suis pas insensible non plus au fait que tu es persuadée qu'en se suicidant on contracte une lourde dette. Je n’ignore pas non plus qu’il y a Sunny et Jeremy. Oh ! Seigneur, il n’y a aucune raison pour que tu contractes une dette que moi je n’aurai pas si je me laisse simplement fusiller. Bébé, je ne te demande pas, je ne te dis pas de finir avec moi. Je ne peux faire ça. Mais je t’ai dit ce dont j’avais envie : si c’est une contradiction, eh bien, je n’y peux rien. J’essaie simplement d’être honnête.
21 octobre
Toute la journée je me suis senti dans un sale état. Déprimé. Abattu. Cette foutue cellule est trop petite. Quand j’étais gosse, je chantais tout le temps. Je descendais jusqu’à Johnson Creek, c’était à Portland – et c’était une vraie rivière toute propre, avec des bois et des baignades où je nageais nu et quand j’étais seul je chantais à perdre haleine !
22 octobre
Oh ! bébé, tu as dit dans ta lettre que parfois tu n’arrives pas à sentir mon amour. Mais bébé il est là ! Il est là à chaque seconde, à chaque moment, à chaque heure de chaque jour. Je te l’envoie tout entier… Je veux te donner tout ce que je suis. Je veux que tu connaisses tout de moi. Même les choses que je n’aime pas tellement à mon sujet et que j’ai toujours un peu cachées ou altérées, changées un peu pour qu’elles n’aient pas l’air si moches…
Tout ça, je te le montrerai volontiers.
Bon Dieu, que c’est bruyant ici. Il y a, au fond, je ne sais quel connard qui gueule sans autre raison que le plaisir de gueuler. J’aimerais lui botter le cul avec mon quarante-quatre fillette. C’est la saison du rugby et il semble y avoir une partie chaque soir. J’ai horreur du rugby et j’ai horreur d’écouter ces dingues hurler chaque fois qu’un connard gagne deux mètres.
Bah, et puis merde. C’est que je n’ai jamais été quelqu’un à faire beaucoup de bruit et je ne peux pas comprendre quand les autres font tout ce raffut jour et nuit. Je n’aime même pas parler depuis ces cellules – c’est bizarre de faire la conversation avec quelqu’un qu’on ne peut pas voir – imagine toute une bande de fils de pute bouclés jour et nuit dans des cellules et une dizaine de conversations différentes qui se déroulent à la fois – quelques-unes carrément d’un bout à l’autre du bâtiment.
J’espérais que cela resterait calme un moment. Mais cela n’arrive jamais. Ces portes, bon sang, comme elles claquent et comme elles tapent. Cette saloperie de télé hurle toute la journée. J’entends ces types à longueur de journée voter pour savoir ce qu’ils veulent regarder – cela prend cinq ou dix minutes – il y a un connard qui lit toutes les heures le programme. C’est dément. Quelle connerie. J’ai tiré pas mal de temps en taule – et cela a toujours été comme c’est maintenant.
Dans une lettre, Nicole parla à Gary d’une fille qui faisait du stop et qui s’était fait violer et larder de vingt ou trente coups de poignard par un type, dans une camionnette blanche. Elle disait qu’elle n’avait pas peur de ce maniaque ni d’aucun autre. Si jamais elle se trouvait dans une telle situation, personne ne se servirait de son corps, à moins qu’elle ne l’ait déjà quitté.
Gary ne répondit pas grand-chose, et Nicole en fut contente. Elle se rendit compte que c’était sa façon à elle de s’excuser pour l’ancien président des bergers australiens.
Parfois, quand elle faisait du stop, elle avait comme une vision de sa mort. Dans son esprit, elle voyait la voiture dans laquelle elle se trouvait sortir de la route. Elle se demandait alors ce qui se passerait l’instant d’après qu’elle serait morte. Cette pensée résonnait en elle comme un écho. Elle ne cessait pas de voir la voiture quitter la route. Et puis elle commençait à s’inquiéter : et si la mort était une erreur ? Et si, en ce dernier instant, juste au moment où cela arriverait, elle se rendait compte que son action était vraiment une erreur ? C’était sa seule préoccupation : qu’elle n’avait peut-être pas le droit de mourir.
Subitement, lors de ses visites, Gary se mit à parler de comprimés. Avec les comprimés, on s’en allait en douceur. C’était paisible, disait-il. Pas du tout comme la nausée et le froid qu’elle avait éprouvés dans le tunnel. Les pilules, ça agissait en douceur.
Elle ne savait toujours pas si c’était bien de mourir. Durant tout le mois, elle avait été incapable de prendre une décision. Elle pensait et repensait aux gosses et finit quand même par décider qu’elle le ferait plutôt que d’être séparée de Gary. Tôt ou tard, il faudrait qu’elle essaie. C’était cela la solution.
Bien sûr, Gary n’arrêtait pas de lui en parler dans ses lettres. Deux ou trois fois elle se mit en colère et lui dit qu’il insistait trop là-dessus. Alors il s’excusait et disait qu’il ne faisait qu’exprimer ce qu’il ressentait. Mais le fait qu’il en parlait la faisait se demander si elle avait vraiment envie de le faire.
Gary s’éveilla affolé et fit dire à l’aumônier mormon de la prison, Cline Campbell, qu’il voulait le voir. Campbell passa un peu plus tard et Gary lui parla d’un rêve qu’il avait fait. De la pure paranoïa, dit-il. Nicole faisait du stop et le conducteur commençait à la violenter. Il fallait absolument qu’il la voie aujourd’hui. Est-ce que Campbell voudrait bien l’amener à la prison ? Campbell accepta.
La première fois que Cline Campbell rendit visite à Gary, il mentionna que voilà bien des années, Nicole avait été son élève à l’école des jeunes filles. Il avait passé des heures à lui donner des conseils. La nouvelle parut plaire à Gary. Après cela, ils s’entendirent fort bien. Ils eurent quelques conversations.
Campbell estimait que le système pénitentiaire était un mode de vie totalement socialiste. Pas étonnant que Gilmore se fût attiré des ennuis. Pendant douze ans, la prison même lui avait signifié quand aller se coucher et quand manger, ce qu’il devait porter et à quelle heure il devait se lever. C’était absolument à l’opposé du milieu capitaliste. Et puis un jour, on accompagnait le détenu jusqu’à la porte, on lui disait aujourd’hui, c’est jour magique, à 2 heures vous êtes capitaliste. Maintenant, débrouillez-vous tout seul. Sortez, trouvez du travail, levez-vous tout seul, présentez-vous au travail à l’heure, gérez votre argent. Faites tout ce qu’on vous a enseigné à ne pas faire en prison. C’était l’échec garanti. Quatre-vingts pour cent d’entre eux retournaient sous les verrous.
Il était donc curieux à propos de Gilmore, il attendait avec impatience de l’entendre. Il sauta sur la première occasion, en fait, quelques jours après l’arrivée du prisonnier au pénitencier. Un soir, Campbell entra dans sa cellule et dit : « Je suis l’aumônier, je m’appelle Cline Campbell. » Gilmore portait la tenue blanche qu’on leur imposait en haute surveillance, et il était assis sur sa couchette, absorbé à faire un dessin. Il avait un crayon à la main et devant lui un portrait à demi terminé, mais il se leva, échangea une poignée de main avec l’aumônier et dit qu’il était enchanté de le rencontrer. Ils s’entendirent bien, l’aumônier le vit souvent. Jusqu’alors, Cline Campbell n’avait jamais eu à conseiller quelqu’un qui allait être exécuté. Les hommes du quartier des condamnés à mort étaient toujours là et Campbell avait bavardé avec eux, plaisanté avec eux, mais n’avait pas eu de conversations sérieuses – leurs appels se prolongeaient depuis des années – et ils étaient tous profondément dépravés. Il est vrai que tout le quartier de haute surveillance était un zoo, un zoo à un étage avec de nombreuses cages.
À angle droit avec le hall principal se trouvaient les unités de cellules régulières. Derrière une grille il y avait une série de cinq cellules faisant face à cinq autres. Chaque prisonnier avait donc vue sur le prisonnier en face de lui, et des vues partielles du reste des prisonniers de l’autre côté. Parfois, les dix hommes pouvaient discuter à la fois. C’était un charivari de cris et le bruit se répercutait de l’acier à la pierre. Les échos se rencontraient comme des voitures en collision. C’était un peu comme vivre à l’intérieur d’un intestin de fer.
La plupart des détenus passaient trois mois en haute surveillance, pas davantage. Mais les prisonniers du quartier des condamnés à mort étaient là à jamais. Les autres pouvaient quitter leur étage à l’heure des repas pour aller au réfectoire ou bien dans la cour. Dans le quartier des condamnés à mort, on servait les repas dans la cellule. On n’allait jamais dans la cour. Un par un, chaque homme pouvait quitter sa cellule une demi-heure par jour et marcher le long du couloir de l’étage. On pouvait parler aux autres détenus, exhiber – comme Campbell l’avait vu – le pénis que Dieu vous avait donné, ou bien inviter un autre détenu à passer le sien à travers les barreaux. On pouvait se faire menacer – et Gilmore était le genre d’homme à formuler une pareille menace – de s’éloigner des barreaux si on ne voulait pas prendre une tasse d’urine en pleine figure. C’était cela l’exercice au quartier des condamnés à mort.
Auprès des autres prisonniers qui se trouvaient là, Gilmore était détendu. En fait, Campbell s’en émerveillait. Campbell allait d’abord tout exprès à la cuisine pour lui rapporter une tasse de café noir et Gilmore disait en souriant : « Comment ça va, curé ? » et parlait d’un ton calme.
Parfois, ils discutaient dans la cellule de Gilmore. Mais le plus souvent Campbell le faisait appeler et ils s’installaient dans une des pièces du quartier de haute surveillance réservée à cet effet, de façon que personne ne puisse suivre leur conversation. À plusieurs reprises, Gilmore dit : « Vraiment, j’aime bien discuter le coup avec vous. Il n’y a personne d’autre ici avec qui je puisse parler. »
Une fois de temps en temps, ils avaient eu des conversations plus profondes. Gilmore disait : « Ces choses-là, je n’en parlerais même pas aux psychiatres. » Et il racontait comment, la première fois qu’il était allé à MacLaren, deux garçons l’avaient tenu pendant qu’il se faisait violer. Il détestait cela, disait-il, mais reconnaissait que, plus âgé, il avait participé au même jeu, mais de l’autre côté. Ils hochaient la tête. Il énonçait le vieux dicton de prison : « Dans chaque loup, il y a une lope qui cherche à se venger. »
Une fois, Gilmore fit une déclaration que Campbell n’oublia pas. « J’ai tué deux hommes, dit-il, je veux être exécuté à l’heure. »
Puis il ajouta : « Je ne veux absolument aucune célébrité. » Son ton était catégorique. Il expliqua à Campbell qu’il ne voulait pas d’intervention de média, pas d’interview pour la radio ni la télé, rien. « J’estime simplement que je dois être exécuté, je me sens responsable. »
Campbell dit : « Allons, cela ne peut être votre seul motif de vouloir mourir, Gary, rien que le sens de la responsabilité ? » Gary répondit : « Non, je vais être franc avec vous. J’ai passé dix-huit ans en taule et je n’ai pas l’intention d’en passer encore vingt. Je préfère être mort que vivre dans ce trou. »
Campbell comprenait cela. En général, l’Église des Saints du Dernier Jour tolérait la peine de mort. Campbell en était certainement partisan. Il estimait que voir un homme s’avilir, devenir chaque jour plus haineux, plus mauvais et plein de rancœur, tant envers lui-même qu’envers les autres était d’une cruauté absolue. L’homme était mieux loti et changerait moins et serait davantage lui-même après avoir été exécuté qu’en restant ici. Il était plus sage de passer dans le monde des esprits – et d’attendre la résurrection. Là, un homme pouvait avoir une meilleure chance de défendre sa cause. Dans le monde des esprits, on avait plus de chance de trouver de l’aide que la dégradation.
Campbell avait été missionnaire mormon en Corée, puis aumônier militaire dans une unité de parachutistes. Il avait enseigné aux missionnaires pendant six ans après sa sortie de l’armée. Il avait aussi été flic pendant le week-end. Il prenait une voiture de patrouille à 6 heures le vendredi soir et la rendait le lundi à 8 heures du matin. Comme il avait grandi dans un ranch de l’Utah, il n’avait pas eu besoin d’apprendre à se servir d’une arme à feu. Étant enfant, il avait un pistolet et il savait s’en servir. En tirant de la hanche, il frappait un bidon d’essence à quinze mètres en un quart de seconde. Il avait grandi en se prenant pour un second Butch Cassidy.
Il n’était pas trop grand, mais il aurait considéré comme un péché de ne pas être en bonne forme et soigné. Il se tenait bien droit, les épaules en arrière, et aurait pu être un tireur d’élite. Il avait la patine du métal finement usiné. Durant ces week-ends où il travaillait comme flic, il était de service vingt-quatre heures durant, prenant tous les appels. Bien sûr, c’était une petite ville et, en général, il avait le temps d’aller au temple, mais il avait un petit récepteur radio sur lui qui permettait de toujours être contacté et, d’ailleurs, il procéda à plus d’arrestations à Lindon City que les deux autres inspecteurs réunis, puisque pendant le week-end il lui fallait s’occuper de tous les ivrognes et de toutes les bagarres.
La dernière fois qu’il avait vu Nicole, c’était au cours d’un de ces week-ends, à 2 heures du matin. Il roulait dans Lindon et elle était là à faire du stop. Il lui dit ; « Monte dans la voiture, qu’est-ce que tu fais ici ? C’est dangereux. »
Il avait entendu dire qu’elle avait un enfant et ce soir-là, elle était de toute évidence bourrée de drogue. Il avait toutes les raisons de l’emmener en prison, mais elle lui fit confiance et il veilla à ce qu’elle rentrât chez elle. Il ne cessait de penser à tous les conseils qu’il lui avait donnés une fois par semaine, lors de séances de cinq à trente minutes. Il savait quelle triste situation familiale était la sienne. Elle lui avait parlé d’oncle Lee, mais c’était un sujet délicat. Il ne parvint pas vraiment à la faire aller au fond du sujet. Parfois elle était assise dans sa classe, l’air rêveur, sans apparemment se rendre compte qu’elle était là.
Ce matin-là où Campbell s’en alla chercher Nicole pour la conduire près de Gary, elle dormait sur le divan et ses deux enfants étaient installés sur le plancher avec une couverture sur eux. Après s’être donné un coup de peigne, elle fit entrer Campbell. Elle ne savait même pas qui il était.
Elle entrebâilla le rideau. Sans le reconnaître. Il dit : « Comment vas-tu, Nicole, tu te souviens de moi ? » Elle le dévisagea et dit : « Bien sûr, entrez. » Il poursuivit : « Je suis le frère Campbell. » Elle reprit : « Oui, bien sûr, entrez donc. » Ils échangèrent quelques politesses et il dit qu’il était venu parce que Gary voulait la voir.
Elle déposa les enfants chez son ex-belle-mère, Mme Barrett, et sur le chemin de la prison, Campbell discuta de sa situation. Elle lui dit sans ambages que si Gary mourait, elle pourrait bien mourir aussi.
C’était là une chose que Campbell avait du mal à garder pour lui, et pourtant, il ne pouvait guère en parler. Sa fonction à la prison l’obligeait à garder des secrets.
Parfois un détenu venait lui dire que tel prisonnier en avait après lui. Campbell n’allait pas trouver le directeur pour en discuter avec lui. Cela aurait permis aux autres détenus de déclarer que l’homme était un mouchard. Et ils en auraient encore plus après lui.
Campbell ne révélait donc rien, sauf si c’était une question de vie ou de mort. Mais dans ces cas-là, il en demandait la permission à l’homme qui s’était confié à lui.
Cette fois, bien qu’il sût que Gary et Nicole pensaient au suicide, il ne pouvait rien dire. Cela ne ferait qu’accroître la tension. Après cela, il y aurait un gardien assis jour et nuit dans la cellule de Gilmore. Toutefois, il ne pouvait guère prétendre qu’il avait l’esprit détendu. Ce qui le préoccupait le plus, c’était le calme avec lequel Nicole en avait discuté. Sauf en ces occasions où il était en colère, Gary avait le regard le plus détendu que Campbell ait jamais vu : ses yeux regardaient tout sans acuité. Et la voix de Nicole avait un peu la même qualité : elle ne trébuchait jamais lorsqu’elle disait la vérité.
26 octobre
Tu te souviens le soir où on s’est rencontrés ? J’avais besoin de t’avoir, pas juste physiquement mais de toutes les façons, pour toujours : ce soir-là il y avait un vent de tempête qui soufflait dans mon cœur. Ça restera pour toujours la plus belle nuit de ma vie. Je t’aime plus que Dieu. Je suis content que tu comprennes la façon dont j’entends cela mon ange. Ça me fait encore un drôle d’effet de le dire. Mais je ne veux vexer personne en faisant une déclaration comme ça. Je t’aime plus que n’importe quoi : je crois que Dieu en sourirait. Dans une de tes premières lettres, tu parles de grimper dans ma bouche et de descendre dans ma gorge accrochée à une mèche de tes cheveux pour réparer le coin usé de mon estomac. Tu écris bien.
Vendredi dernier, tu m’as dit que tu aimerais que chacun de nous pense à l’autre à une certaine heure de la journée, que ça nous rapprocherait peut-être. Mais je ne sais jamais quelle heure il est ici. Je ne vois pas de pendule et je n’ai qu’une idée approximative du temps. Je sais qu’on nous apporte le petit déjeuner vers 6 ou 7 heures du matin, le déjeuner vers 11 heures ou midi et le dîner vers 4 heures, mais je ne sais même pas si c’est toujours pareil – peut-être qu’ils font des rotations et qu’ils apportent les repas à une section d’abord un premier jour et à une autre le suivant. Merde, pour tout dire je ne sais tout simplement pas quelle heure il est.
Maintenant, chérie, nous en arrivons à une chose qu’il faut bien discuter ; le reste de ta vie à toi. Je ne veux pas qu’aucun autre homme te possède. Je ne veux qu’aucun autre homme te possède en aucune façon et surtout je ne veux qu’aucun homme me vole une partie de ton cœur.
Si je devais passer de l’autre côté et voir un autre homme avec toi, je ne peux tout simplement pas te dire ce que je ferais. Je crois que je chercherais une façon de mettre fin une fois pour toutes à l’existence de mon âme, de mon être même.
Si une chose comme cela n’était pas possible, j’envisagerais de jeter mon âme au centre de la planète Uranus, dans un endroit horrible entre tous de façon que je puisse à jamais devenir tel qu’il me soit impossible de changer.
28 octobre
Bébé, j’aimerais pouvoir méditer. J’y arrive déjà dans une certaine mesure. Je le fais, mais pas vraiment profondément, tu vois ? Même quand c’est tranquille, on attend le bruit. Je sais qu’on peut trouver la bonne réponse à n’importe quoi par la méditation, mais, à cause du cadre où je vis, je n’y arrive guère. C’est plus que le bruit, on ne peut pas se laisser aller dans un endroit comme ça – il y a une atmosphère de tension, un climat de violence en prison – dans toutes les prisons – et c’est dans l’air. C’est plein de fils de pute paranoïaques ces endroits-là, ils se trimbalent en émettant des ondes paranoïaques négatives, hostiles. J’aime beaucoup que tu médites. Je ne sais si je suis très emballé par l’écriture automatique. Je crois qu’avec des choses comme l’écriture automatique, les planchettes Ouija, il est possible d’ouvrir des portes qu’il vaut peut-être mieux ne pas ouvrir. Je crois qu’il existe de nombreux esprits esseulés, perdus, abandonnés qui cherchent à pénétrer dans un esprit humain. Tous les esprits ne sont pas bienveillants. Beaucoup d’entre eux sont seulement esseulés, mais beaucoup sont malveillants aussi. Bébé, si tu bricoles avec les esprits, il faut que tu te méfies. Je n’essaie pas de prendre des airs sombres et menaçants et je ne sais pas très bien comment j’ai cette certitude-là, mais je suis convaincu qu’il faut garder le contrôle. Il faut être plus fort que la chose avec quoi on communique. Peser avec soin les « messages » qu’on reçoit et si au bout d’un moment on commence à éprouver une attraction, quelque chose qui ne va pas, si ça vous rend triste ou bizarre ou pas bien – alors il faut s’arrêter. Comme pour tout le reste dans la vie, il faut garder le contrôle. Être forte, ne pas avoir peur.
Bébé, je ne sais pas au juste ce qui se passe quand on meurt sauf que ce sera pour moi quelque chose de familier. C’est juste un sentiment fichtrement fort que j’ai – c’est quelque chose à quoi j’ai pensé, que je connais en fait depuis des années. Ce qu’il y a dans le fait de mourir c’est qu’il faut garder le contrôle. Ne pas se laisser distraire par des esprits esseulés et perdus qui t’interpellent au passage : peut-être même qu’ils essaient de vous attraper.
Quand cela nous arrive, nous devons chacun penser à l’autre. Je ne sais comment, mon ange, mais c’est une de ces choses que je sais. Quand on meurt, on est libre comme jamais on ne l’a été dans la vie – on peut voyager à une vitesse formidable. Rien qu’en pensant à un endroit on y est. C’est une chose naturelle et on s’habitue – c’est juste la conscience qui n’est plus encombrée du corps.
Tu sais, ce type dans la cellule à côté de moi lâche les pets les plus formidables que j’aie jamais entendus. Je croyais que Gibbs était un sacré péteur, mais il n’arrive pas à la cheville de ce mec ! Des pets bruyants, rauques, grondants, furieux – je n’ai jamais rien entendu de pareil. Cela fait un bruit pire que le démarrage d’une tondeuse à gazon.
Snyder et Esplin eurent quelques discussions avec Noall Wootton à propos de l’affaire. Ils se rencontraient dans les couloirs ou à la cafétéria et parfois se posaient des questions à propos de la stratégie de l’autre camp. Comme il avait gagné, Wootton les asticotait un peu, mais pas trop méchamment. C’était dans le genre : « Êtes-vous sûrs, pauvres poires, que vous avez eu toute la coopération que vous pouviez escompter de votre client ? » ou bien : « Pourquoi diable n’avez-vous pas fait citer sa petite amie ? » « Il n’a pas voulu », répondaient-ils. Tous reconnaissaient que c’était un vrai problème. Dès l’instant qu’un accusé était reconnu sain d’esprit et jouissait de toutes ses facultés, il avait le droit de mener sa défense comme il l’entendait.
Depuis que Gary était au pénitencier d’État, Snyder et Esplin n’avaient eu que peu de contacts avec lui. Ils lui parlèrent au téléphone deux ou trois fois et, au début, prirent des dispositions pour que Nicole puisse aller le voir, mais ils n’y allèrent eux-mêmes que deux jours avant que l’affaire ne passe en appel le 1er novembre. Ce jour-là, toutefois, ils eurent un contact oral dans la salle des visites au quartier de haute surveillance. Juste assez d’espace pour pouvoir marcher de long en large, peut-être quatre mètres cinquante sur six.
Ils arrivaient porteurs d’une bonne nouvelle. Leurs chances de faire commuer la peine de mort en emprisonnement à vie étaient bonnes. Tout d’abord, comme ils le lui expliquèrent, le statut de l’Utah sur la peine de mort, voté par la dernière législature, ne prévoyait pas de révision obligatoire d’un verdict de mort. C’était grave. Sans doute contraire à la Constitution. Cette critique, « contraire à la Constitution », représentait sans doute ce qu’on pouvait trouver de plus fort dans le domaine juridique. Un grand nombre de juristes estimaient que le statut de l’Utah allait presque certainement être annulé par la Cour Suprême des États-Unis. Snyder et Esplin pensaient donc que la Cour Suprême de l’Utah allait beaucoup hésiter avant de faire appliquer une peine de mort. La Cour Suprême de l’Utah n’aurait certainement pas bonne mine si, peu après avoir laissé exécuter la sentence, la Cour Suprême des États-Unis rendait un jugement contraire. Et puis ils avaient aussi un autre bon filon légal à exploiter. Lors de l’audience de révision de peine, le juge Bullock avait admis la preuve du meurtre d’Orem. Cela devrait avoir un gros effet sur le jury. C’était certainement plus facile de voter la mort d’un homme si on entendait parler d’un autre meurtre. Snyder et Esplin étaient donc optimistes. L’essentiel de leur système de défense avait été de manœuvrer pour pouvoir utiliser d’excellentes raisons de faire appel. Maintenant, ils éprouvaient même une certaine excitation. Une partie du dossier allait peut-être faire jurisprudence dans le Comté de l’Utah.
Gary écouta, puis il dit : « Cela fait trois semaines que je suis ici, et je ne sais pas si j’ai envie de passer ici le restant de mes jours. (Il secoua la tête.) Je suis arrivé avec l’idée que je pourrais peut-être le supporter, mais les lumières restent allumées vingt-quatre heures sur vingt-quatre et le bruit n’est pas supportable. »
Les avocats continuaient à lui exposer leurs raisons de faire appel. Le dernier argument de Wootton dans lequel ses commentaires sur les souffrances de Debbie Buschnell pouvaient facilement être considérés comme de nature à causer un préjudice à Gary, étaient bons, excellents même.
Gary marchait de long en large et avait l’air un peu nerveux. Il répétait quelles difficultés il éprouvait à vivre en haute surveillance. Finalement il dit d’un ton tranquille : « Est-ce que je peux vous congédier ? »
Ils répondirent qu’il le pouvait. Toutefois, ajoutèrent-ils, ils pensaient qu’ils devraient peut-être continuer à faire appel. C’était leur devoir.
Gilmore dit : « Voyons, est-ce que je n’ai pas le droit de mourir ? (Il les dévisagea.) Est-ce que je ne peux pas accepter mon châtiment ? »
Gary leur fit part de la certitude qu’il avait d’avoir déjà été exécuté une fois auparavant, dans l’Angleterre du XVIIIe siècle. Il dit : « J’ai l’impression d’être déjà venu ici. Il y a un crime dans mon passé. (Il se tut puis reprit :)
J’ai l’impression que je dois payer pour ce que j’ai fait en ce temps-là. » Esplin ne put s’empêcher de penser que cette histoire d’Angleterre du XVIIIe siècle aurait sûrement fait une sacrée différence si les psychiatres l’avaient entendue.
Là-dessus, Gilmore commença à expliquer que sa vie ne se terminerait pas avec cette vie-ci. Il existerait encore après sa mort. Tout cela semblait faire partie d’une discussion logique. Esplin finit par dire : « Gary, nous comprenons votre point de vue, mais nous estimons quand même de notre devoir de faire appel. » Lorsque Gary reprit : « Qu’est-ce que je peux y faire ? » Snyder répondit : « Ma foi, je ne sais pas. » Gary dit alors : « Est-ce que je peux vous congédier ? » Esplin répondit : « Gary, nous allons faire comprendre au juge que vous voulez nous virer, mais nous allons quand même déposer notre demande. » Ils se séparèrent en assez bons termes.
Noall Wootton était à San Francisco à un symposium national sur l’homicide. Il y était allé, comme il le dit, pour apprendre à mener l’accusation dans les affaires de meurtres, et on lui donna même un certificat. Sa femme devait venir le rejoindre pour quelques jours de vacances, mais un message venant de son bureau fit tomber tout ça à l’eau. La secrétaire de Wootton téléphona pour dire que Gary Gilmore avait l’intention de retirer sa requête pour un nouveau procès. Il n’allait pas faire appel. Il voulait être exécuté et Snyder et Esplin étaient très embêtés. Ils ne savaient pas quelle position adopter. Wootton en conclut qu’il ferait mieux de rentrer. Qui savait ce que Gilmore avait déniché ? Wootton ne se souvenait pas avoir connu une telle situation.
En ce 1er novembre, le tribunal était bien calme. Il n’y avait pas beaucoup de monde dans la salle et, tout bien considéré, le discours de Gary au juge était, se dit Wootton, plutôt ouvert et courtois. Wootton obtint du juge Bullock la permission de poser quelques questions.
PROCUREUR WOOTTON : Monsieur Gilmore, la façon dont vous avez jusqu’ici été traité au pénitencier de l’État d’Utah a-t-elle, en aucune façon, influencé votre décision ?
GILMORE : Non.
PROCUREUR WOOTTON : Et la façon dont vous avez été traité à la prison municipale ?
GILMORE : Non.
PROCUREUR WOOTTON : Bien. Vous avez été représenté par deux avocats payés par le Comté d’Utah. Admettez-vous cela ?
GILMORE : Oui.
PROCUREUR WOOTTON : Êtes-vous satisfait des avis qu’ils vous ont donnés et de la défense qu’ils vous ont assurée ?
GILMORE : Pas entièrement.
PROCUREUR WOOTTON : En quelle façon, monsieur ?
GILMORE : Je suis satisfait d’eux.
PROCUREUR WOOTTON : Donc, la façon dont ils vous ont représenté n’a pas nécessairement eu une influence sur votre décision. Est-ce correct ?
GILMORE : C’est une décision que j’ai prise seul. Elle ne dépend pas d’autre chose que du fait que je n’ai pas envie de passer le restant de ma vie en prison. Cela ne veut pas dire cette prison-ci ou cette prison-là, mais n’importe quelle prison.
PROCUREUR WOOTTON : Votre décision a-t-elle été influencée par autre chose que vos propres réflexions, monsieur, ou par quelqu’un ?
GILMORE : Je prends mes décisions moi-même.
PROCUREUR WOOTTON : Êtes-vous en ce moment sous l’influence d’un alcool, d’une drogue ou d’un produit quelconque ?
GILMORE : Non, bien sûr que non.
PROCUREUR WOOTTON : Avez-vous subi une influence de ce genre, monsieur, dans le cours de vos pensées précédant cette décision ?
GILMORE : Je suis en prison. On ne sert pas de bière, de whisky, ni rien de ce genre.
PROCUREUR WOOTTON : Monsieur, selon vous, vous estimez-vous mentalement et affectivement en mesure de prendre maintenant cette décision ?
GILMORE : Oui.
PROCUREUR WOOTTON : Prétendez-vous actuellement n’être pas sain d’esprit ou souffrir de troubles mentaux ?
GILMORE : Non. Je sais ce que je fais.
PROCUREUR WOOTTON : Monsieur, souhaiteriez-vous que la Cour remette la date de l’exécution au-delà de la période normalement prévue pour interjeter appel afin de vous donner plus de temps pour réfléchir à cette décision ?
GILMORE : À aucun moment je ne penserai différemment.
DESERET NEWS
Le prisonnier ne veut pas changer la date de sa mort.
Provo (A.P.) 1er novembre. – À moins qu’il ne change d’avis et ne fasse appel, ou que les tribunaux et le gouvernement interviennent, un prisonnier libéré sur parole de trente-cinq ans, accusé d’avoir tué un employé d’hôtel, tient à maintenir au 15 novembre la date de son exécution.
« Vous m’avez condamné à mourir. À moins qu’il ne s’agisse d’une plaisanterie, je tiens à ce que les choses aillent jusqu’au bout », a déclaré hier Gary Gilmore.
Le juge Bullock, du tribunal du 4e district, a signifié à Gilmore qu’il pouvait encore changer d’avis et faire appel. De plus, un avocat de l’accusé a déclaré qu’il allait préparer les demandes d’appel au cas où Gilmore déciderait d’interjeter appel.
DESERET NEWS
Houdini ne s’est pas montré
Provo (A.P.) 1er novembre. – La Toussaint a été une déception pour des groupes essayant d’établir un contact avec l’esprit du spécialiste de l’évasion, Harry Houdini, qui est mort le jour de la Toussaint, voilà cinquante ans.
Plusieurs prestidigitateurs s’étaient rassemblés dimanche dans la chambre de l’hôpital de Détroit où Houdini est mort, en espérant un message du maître. Tout ce qu’ils ont obtenu sur le magnétoscope apporté pour enregistrer l’événement, a été des parasites d’une station locale diffusant du rock.
« Ça n’est même pas de la très bonne musique », a remarqué un prestidigitateur.