CHAPITRE 6

NICOLE SUR LA RIVIÈRE

1

Maintenant, Nicole voulait entendre l’histoire de la vie de Gary. Seulement lui n’avait pas envie d’en parler. Il préférait l’écouter, elle. Il fallut un moment à Nicole pour se rendre compte que, ayant passé son adolescence en prison et à peu près toutes les années depuis, ça l’intéressait plus de savoir ce qui se passait dans sa petite tête à elle. C’était tout simplement qu’il n’avait pas grandi, entouré de douceur comme elle.

En fait, s’il lui racontait une histoire, ça concernait généralement l’époque où il était gosse. Elle adorait la façon dont il parlait. C’était comme ses dessins. Très précis. Il expliquait les choses en quelques mots. Il est arrivé A puis B et puis C. La conclusion ne pouvait être que D.

A. Dans sa dernière année de lycée, sa classe vota pour savoir si, entre garçons et filles, ils devaient s’envoyer des cartes pour la Saint-Valentin. Il estimait qu’ils étaient trop vieux. Il fut le seul à voter contre. Quand il eut perdu, il acheta des cartes pour envoyer à tout le monde. Personne ne lui en envoya. Au bout de deux jours, il en eut assez d’aller regarder dans la boîte aux lettres.

B. Un soir, il passait devant un magasin où il y avait des armes dans la vitrine. Il trouva une brique et cassa la vitre. Il se coupa la main mais vola le fusil dont il avait envie. C’était une Winchester semi-automatique qui, en 1953, coûtait cent vingt-cinq dollars. Par la suite, il acheta une boîte de cartouches et s’entraîna à tirer. « J’avais deux copains, lui raconta Gary, Charley et Jim. Ils adoraient vraiment ce 22 long rifle. Et j’en avais marre de cacher ma carabine à mon vieux : quand je ne peux pas avoir quelque chose comme j’en ai envie, ça ne me dit plus rien. Alors j’ai dit : « Je jette le fusil dans la rivière ; si vous autres avez le cran de plonger pour le chercher, il est à vous. » Ils crurent que je racontais des bobards jusqu’au moment où ils entendirent le flac. Jim sauta à l’eau et se blessa le genou sur une grosse pierre. Il ne trouva jamais le fusil. La rivière était trop profonde. J’ai ri à m’en décrocher la mâchoire. »

C. Pour son treizième anniversaire, sa mère lui donna le choix entre donner une fête ou recevoir un billet de vingt dollars. Il choisit la fête et invita juste Charley et Jim. Ils prirent l’argent que leurs parents leur avaient donné pour Gary et le dépensèrent pour s’acheter des choses. Ensuite, ils lui racontèrent.

D. Il se battit avec Jim. Il se mit en colère et le tua à moitié. Le père de Jim, une brute qui avait l’habitude de la bagarre, prit Gary à part. Il lui dit : « Ne remets jamais les pieds ici. » Peu après, Gary eut des histoires pour autre chose et fut envoyé en maison de correction.

Quand ses récits devenaient un peu succincts, quand on avait l’impression d’écouter un vieux cow-boy découper en petits bouts un morceau de viande séchée pour les mâchonner, alors il prenait une gorgée de bière et parlait de sa Guitare Céleste. Il pouvait en jouer tout en dormant. « Ça n’est qu’une vieille guitare, disait-il à Nicole, mais c’est comme la roue d’un navire avec ses manettes, et dans mes rêves la musique sort quand je tourne la roue. Je suis capable de jouer n’importe quel air au monde. »

Gary lui parla alors de son Ange Gardien. Un jour, quand il avait trois ans, et que son frère en avait quatre, son père et sa mère s’arrêtèrent pour dîner dans un restaurant de Santa Barbara. Puis son père dit qu’il avait besoin de faire de la monnaie. Il allait revenir de suite. Il ne revint pas pendant trois mois. Sa mère resta seule, sans argent et avec ses deux petits garçons. Alors, elle se mit à faire du stop jusqu’à Provo.

Ils se trouvèrent bloqués dans la Dépression de Humboldt, dans le Nevada. Ils auraient pu mourir dans le désert. Ils n’avaient pas d’argent et ça faisait deux jours de suite qu’ils n’avaient rien mangé. Et puis un homme arriva à pied sur la route, avec un sac marron à la main et il dit : « Tiens, ma femme m’a préparé à déjeuner, mais c’est plus que je ne peux en avaler. En voudriez-vous un peu ? » Sa mère dit : « Ma foi, oui, nous vous serions très reconnaissants. » L’homme lui donna le sac et poursuivit son chemin. Ils s’arrêtèrent et s’assirent au bord de la route. Dans le sac il y avait trois sandwiches, trois oranges et trois gâteaux. Bessy se tourna pour le remercier mais l’homme avait disparu. C’était sur une longue ligne droite de la grande route du Nevada.

Gary disait que c’était son Ange Gardien. Il rappliquait quand on avait besoin de lui. Une nuit d’hiver, dans son enfance, il était dans un parking, avec de la neige partout et Gary avait les mains endolories par le froid. Ce fut alors qu’il trouva sur la neige des mitaines fourrées toutes neuves. Elles lui allaient parfaitement. Oui, il avait un Ange Gardien. Seulement ça faisait longtemps qu’il était parti. Mais, le soir où Nicole entra chez Sterling Baker, il le retrouva. Il aimait raconter ça à Nicole quand elle avait les jambes appuyées sur le tableau de bord de la voiture, qu’elle avait retiré sa culotte et qu’ils descendaient State Street.

Ça ne les gênait pas si quelqu’un regardait. Par exemple, un gros camion vint s’arrêter à côté d’eux au feu rouge, et le type, de sa cabine, plongeait dans leur voiture. Gary et Nicole éclatèrent de rire tous les deux parce qu’ils s’en foutaient éperdument. Gary alluma un joint en annonçant que ça allait être le meilleur qu’ils avaient jamais fumé. Comme ils tiraient une bouffée à tour de rôle, Gary dit : « C’est Dieu qui a créé tout ça, tu sais. »

Un soir, ils allèrent de bonne heure au cinéma en plein air et s’aperçurent qu’ils étaient les premiers. Histoire de s’amuser, Gary se mit à rouler par-dessus les talus qui séparaient chaque rangée. Mais un type de la direction se mit à les poursuivre avec une camionnette, en leur disant d’un ton grossier de cesser de rouler comme ça n’importe comment. Gary s’arrêta, descendit de voiture, s’approcha du type et lui dit d’aller se faire voir avec une telle violence que le type gémit : « Oh ! pas la peine de s’énerver comme ça. »

Mais Gary était énervé. L’obscurité tombée, il prit ses pinces et coupa les fils de deux haut-parleurs. Il ne manqua pas d’en piquer deux autres la fois suivante, lorsqu’ils retournèrent au cinéma en plein air. Ces haut-parleurs étaient de bons trucs à avoir. On pouvait en brancher un dans chaque pièce et comme ça on avait de la musique dans toute la maison. Toutefois, ils n’allèrent jamais jusqu’à les installer. Ils se contentèrent de les laisser dans le coffre de la voiture de Nicole.

Parfois, ils allaient vagabonder dans l’herbe entre l’asile et les montagnes.

L’idée d’être sur la grande colline derrière l’asile de fous excitait Nicole. Après tout, c’était le même asile où on l’avait flanquée six ans plus tôt.

Ça ne plaisait toujours pas beaucoup à Sunny ni à Jeremy, et ils s’effrayaient, la nuit, quand un drôle de coup de froid déferlait comme une bourrasque et que les montagnes au-dessus paraissaient froides comme de la glace. Alors Gary et elle allèrent là-bas tout seuls.

Un jour qu’elle courait par là, il l’appela. Quelque chose dans sa voix lui fit dévaler la pente et, incapable de s’arrêter, elle lui rentra dedans, se cognant le genou si fort qu’elle se fit vraiment mal. Alors Gary la porta. Elle avait noué ses jambes autour de la taille de Gary et passé les bras autour de son cou. Les yeux fermés, elle avait l’étrange impression d’une présence maléfique près d’elle qui venait de Gary. Elle trouva cela presque agréable. Elle se dit : « Ma foi, s’il est le diable, peut-être que j’ai envie d’être plus près. »

 

Ce n’était pas une sensation terrifiante mais plutôt forte et bizarre, comme si Gary était un aimant et qu’il avait attiré à lui tout un tas d’âmes. Bien sûr, ces dingues derrière toutes ces fenêtres grillagées suffisaient à faire monter n’importe quoi de la nuit du fond de l’asile.

Dans le noir elle demanda : « Est-ce que tu es le diable ? »

Là-dessus, Gary la déposa à terre sans rien dire. Il faisait vraiment froid. Il dit à Nicole qu’il avait un ami du nom de Ward White, qui un jour lui avait posé la même question.

Des années auparavant, alors que Gary était en maison de correction, il était entré sans crier gare dans une chambre où Ward White se faisait enculer par un autre gosse. Gary n’en avait jamais soufflé mot. Ward White et lui se trouvèrent séparés pendant des années, et puis se retrouvèrent en prison. Ils n’en parlaient toujours pas. Un jour, pourtant, Gary entra à l’atelier de la prison et Ward lui annonça qu’il venait de recevoir un lingot d’argent qu’il avait acheté par correspondance et demanda à Gary de lui en faire une bague. À partir d’un livre de motifs égyptiens intitulé l’Anneau d’Osiris Gary copia quelque chose qui s’appelait l’Œil de Horus. Quand ce fut terminé, Gary déclara que c’était un anneau magique et qu’il le voulait pour lui. Il ne fit jamais allusion à leurs vieux souvenirs. Ce n’était pas la peine. Ward White lui donna tout simplement l’Œil de Horus. Nicole pensait toujours que cette bague venait du gosse qui s’était fait enculer.

Maintenant Gary voulait lui en faire cadeau. Il lui expliqua que les Hindous croyaient qu’on avait un œil invisible au milieu du front. L’Anneau pouvait vous aider à voir par cet œil-là. Lorsqu’ils rentrèrent à la maison, il la fit s’allonger par terre. Il lui dit qu’elle devrait attendre que le troisième œil apparaisse dans l’espace entre ses yeux fermés. Elle n’avait qu’à se concentrer jusqu’à ce qu’il s’ouvrit. Si ça marchait, elle pourrait voir par là.

Rien n’arriva cette nuit-là. Elle riait trop. Elle attendait tout le temps une pyramide et ne voyait rien.

Mais un autre soir, elle crut voir en effet quelque chose s’ouvrir. Peut-être était-ce la bonne qualité de la marijuana. Elle croyait voir sa vie lui revenir par cet œil-là, elle se rappelait des choses qu’elle avait oubliées, mais elles étaient si enfouies à l’intérieur qu’elle n’était pas trop sûre de vouloir lui en parler. Elle avait peur que ça n’évoque d’autres spectres.

Alors, elle continua à lui parler d’elle, mais ce n’était plus aussi sincère. De plus en plus, elle rabaissait ses anciens petits amis en faisant croire qu’ils n’avaient compté pour rien dans sa vie, et elle commença à se donner toujours le meilleur rôle. Après cette nuit passée à l’asile, une grande partie de son passé resta en elle. C’était comme si elle voyait un film où elle-même flottait au fil de la rivière et le plus souvent elle était seule à le voir et se contentait de lui décrire quelques paysages au passage.

2

Sunny n’avait même pas dix semaines que Nicole trouva un nouveau truc. Elle se mit à sortir à Midway avec des types qui n’avaient jamais connu de filles qui baisaient bien. C’était en partie parce que Barrett l’avait persuadée qu’elle ne valait rien au lit. Peut-être préférait-elle donc voir quelqu’un qui ne savait pas ce que ça voulait dire que d’être bien au lit. Bien sûr, Barrett avait ses propres handicaps : il n’était jamais sûr de bander avec une autre fille qu’avec elle. Alors, de façon sournoise, il pouvait se montrer d’une jalousie maniaque. Parfois, ils se promenaient en ville et puis un type souriait à Nicole, et Barrett était convaincu qu’elle avait couché avec ce mec. Seulement il gardait ça pour lui. Trois ou quatre jours plus tard, ça ressortait. Il la traitait comme une traînée. Il insistait sur le nombre de fois où elle s’était fait sauter avant de le rencontrer. Il lui faisait les remarques les plus cruelles, disant qu’elle était large comme une porte cochère. Elle avait toujours envie de répliquer que ce ne serait pas si gênant s’il avait en guise de queue quelque chose de plus épais qu’un doigt. Elle se dit donc qu’elle avait besoin d’une période où elle se contenterait de faire ça avec des types qui lui en seraient totalement reconnaissants.

Mais bientôt Nicole décida de quitter Midway. Elle avait pris pas mal d’exercice, se sentait en pleine forme, était redevenue mince et le bébé était magnifique. C’était l’été et Barrett était là pour l’accueillir à l’aéroport. Il plaçait chaque jour à peu près deux livres d’herbe de la meilleure qualité ; il avait l’air prospère lui-même et voulut la reprendre avec lui. Mais elle avait un nouveau refrain. « Je ne suis pas ta bourgeoise, lui dit-elle. Tu n’es pas mon mari. Je peux faire ce que je veux. » Malgré tout, elle s’installa avec lui. Ce fut un été où ils étaient tout le temps dans les vapes. Elle avait vraiment envie de faire l’amour.

Ce fut alors que Barrett devint le type avec qui elle pouvait prendre son pied constamment. Elle se demanda si ça voulait dire qu’il était celui avec qui elle était censée se ranger. C’était peut-être un réflexe conditionné, mais Barrett pouvait l’exciter rien qu’en entrant dans une pièce. Le T. H. C. l’avait adoucie et elle avait envie de danser. (Mais elle commençait à avoir des migraines quand elle ne prenait rien et elle avait mal aux dents et aux reins. C’était fort, ce truc.) Quand même, c’était rudement bien pour s’envoyer en l’air.

Pourtant, c’était une vie solitaire. Barrett ne savait rien de ce qui se passait dans sa tête à elle. Ça lui plaisait simplement de jouer au caïd. Le Karma, ça ne voulait rien dire pour lui. Nicole lui offrit A World Beyond de Ruth Montgomery Ford. Plus tard, il dit l’avoir lu, mais n’alla pas plus loin. C’était un peu maigre comme commentaire de la part d’un type astucieux comme lui. Ça n’arrangea certainement pas Nicole, car avec le cannibanol, voilà qu’elle avait des tendances au suicide. Elle faisait un rêve où elle se voyait morte et où elle était allongée dans une tombe creusée dans le désert. Durant les dernières secondes, une nuit douce et noire s’abattait sur elle en disant : « Viens avec moi. »

Elle fut si secouée qu’elle dit à Barrett que la mort lui avait parlé et qu’elle l’accueillerait volontiers. « Eh ! doucement, fit-il, tu es bien trop précieuse. » Mais il n’avait rien d’autre à lui dire là-dessus.

Ils commencèrent aussi à avoir des problèmes personnels. Il avait un associé, Stoney, qu’elle aimait bien, et qui habitait avec eux. Une nuit, alors qu’elle se sentait excitée comme une chatte sur un toit brûlant, elle alla trouver Barrett et lui dit d’un petit air bien doux : « Si tu allais coucher sur le divan pour laisser une chance à Stoney. »

Barrett trouva ça dingue ; mais il avait accepté qu’elle n’était plus sa bourgeoise, alors il alla coucher sur le divan et Stoney vint s’installer avec elle. Barrett était si vexé qu’il prit sa voiture et s’en alla faire un tour, puis il revint une vingtaine de minutes plus tard et dit à son associé de foutre le camp. Ça parut régler le problème.

Deux soirs plus tard toutefois, Barrett avait dû commencer à se dire que c’était vraiment ce qu’elle voulait, voyez-vous, parce qu’il l’emmena à une soirée dans le Canyon et se donna un mal de chien pour se la partager avec deux copains. Puis il craqua. Ils eurent une grande scène et Nicole lui lança une machette qui passa à travers la moustiquaire de la porte. Puis elle lança un marteau à travers la fenêtre de la cuisine. Là-dessus, ils se séparèrent. Elle prit Sunny avec elle et s’en alla vivre avec Rikki et Sue chez son arrière-grand-mère.

C’était remplacer un malheur par un autre. Jamais elle ne s’était entendue si mal avec Sue, qui laissait tout le temps traîner des langes pleins de merde. La maison empestait.

Et puis Rikki et Sue trouvèrent Nicole dans le lit de son arrière-grand-mère avec Tom Fong, un Chinois. Il était gentil et se faisait pas mal de fric dans un restaurant chinois, en roulant un peu son patron. Il voulait l’épouser. Encore un autre homme dans sa vie qui voulait l’épouser. Elle avait emmené Tom dans cette chambre pour être un peu tranquille : il lui faisait des massages, sa spécialité, et Rikki et Sue étaient justement entrés au moment où elle avait enlevé son corsage. Après le départ de Tom Fong, il y avait eu une scène violente et elle n’avait pas mâché ses mots. Rikki lui avait promis de lui botter le cul si jamais elle reparlait aussi mal. Sur ces entrefaites un oncle et une tante étaient arrivés et avaient été si furieux d’apprendre qu’on l’avait trouvée dans ce lit qu’ils n’avaient rien voulu entendre. Ils l’avaient traitée de putain. Son oncle l’avait bel et bien giflée. Elle fourra dans une taie d’oreiller des couches, des aliments pour bébé, des biberons, trouva un sac à dos, prit Sunny et s’en alla.

Elle pleurait. Son arrière-grand-mère était brave, mais c’était une mormone pratiquante. Ça rappelait à Nicole son enfance où cette même arrière-grand-mère sortait de la baignoire, se séchait et passait aussitôt à même la peau son vêtement religieux. Un truc plein de bosses qui empêchait ses vêtements de bien tomber. Si on était marié au temple, il fallait porter ça directement sur la peau.

Son arrière-grand-mère l’emmenait toujours à l’école du dimanche. C’était plutôt assommant. On vous enseignait que les ténèbres étaient ce qui vous attendait si on péchait. Si on était une bonne petite fille, on s’assiérait aux pieds de Dieu.

Le seul ennui, c’étaient que toutes les gentilles petites filles ne l’aimaient pas et faisaient des remarques désagréables à propos de Nicole et des garçons. Elles ricanaient en passant. Tout cela lui revenait maintenant après cette scène dans la chambre. Elle essayait de ne pas sangloter en marchant sur la route.

Un type qui bégayait un peu et qui allait en Pennsylvanie la prit dans sa voiture. Peu lui importait où il allait. Nicole ne savait pas s’il lui plaisait ou non, mais ce qui était sûr, c’était qu’il avait besoin de quelqu’un et que ça lui était bien égal où elle allait. Elle partit donc avec lui et ils se retrouvèrent à vivre ensemble à Davon, en Pennsylvanie, où il gagnait pas mal sa vie dans son atelier de maroquinerie. Ils parlèrent même de se marier. Au lit, c’était un bon numéro. Il se donnait beaucoup de mal pour lui faire plaisir.

3

Ce type, qui s’appelait Kip Eberhardt, se révéla toutefois difficile à vivre. Il était plutôt parano et elle commit l’erreur de lui parler d’elle. Dès qu’il s’en allait au travail, il s’inquiétait à l’idée que Nicole était avec un type. Ça n’était jamais le cas, mais elle n’arrivait pas à le persuader. Ça la bousilla vraiment. Ce qui la tracassait, c’était qu’elle pensait bien en secret à se ramener un type gentil pour passer un après-midi. Kip était capable de faire l’amour comme une bête, mais parfois il lui donnait l’impression d’en être une.

Il poussait ses soupçons jusqu’au ridicule. Kip l’accusa même de coucher avec un vieil obèse au visage tout noir de saleté. De temps en temps, Kip la rossait. Oh ! Seigneur, elle l’adorait et c’était un tel trou du cul. Il lui fit plus de mal que tous les autres types réunis.

Estimant qu’elle lui avait donné un an de sa vie et qu’il avait failli la rendre folle, Nicole se mit à le mépriser parce qu’il la frappait. Ce n’était qu’un petit bonhomme, malingre, noueux et les épaules voûtées, alors ils avaient d’assez méchantes bagarres. Une ou deux fois elle fut même près de l’emporter.

Nicole avait dix-sept ans lorsqu’elle découvrit qu’elle était de nouveau enceinte. Dès l’instant où Kip apprit la nouvelle, il fut très heureux pour lui et pour tous les deux. Ils allaient avoir un bébé, ne cessait-il de répéter. Elle en était écœurée. Elle n’avait pas envie de passer le reste de sa vie avec ce type.

Elle n’avait jamais su comment éviter d’être enceinte. En fait, elle ne l’apprit que cette fois-là à l’Association du Planning Familial, près de Devon, où elle était allée se procurer un stérilet. Nicole ne prenait jamais de pilule, ne regardait jamais le calendrier. Elle avait lu qu’à certaines périodes du mois on risquait plus d’être enceinte qu’à d’autres, mais elle ne savait pas lesquelles. Elle avait lu des trucs là-dessus mais ça semblait concerner des jours différents. D’ailleurs, elle était sûre, qu’au fond, ça ne lui arriverait pas.

Cette fois, pourtant, il y avait une fille qui faisait ses études d’infirmière juste à côté et elle insistait auprès de Nicole pour lui faire prendre un rendez-vous au Planning Familial. Lorsqu’elle finit par se présenter, on lui dit que pour sûr elle avait un polichinelle dans le tiroir.

Ça n’arrangea pas les choses de le raconter à Kip. Il était assis là, avec sa belle barbe noire et ses cheveux bouclés, et il l’aimait assez pour eux deux. Il commençait à dire quelque chose et puis il était si ému que ça lui prenait des heures pour sortir deux mots. Elle devait rester là, souriante, ayant l’envie de dire : « Tu sais, je ne sais pas lire dans tes pensées. » Mais lorsqu’elle savait ce qu’il allait dire, il continuait à traîner. Ça lui donnait plus que tout envie de s’enfuir.

Plus sa paranoïa. De temps en temps, il disait que quelqu’un le suivait ou qu’il allait lui arriver de drôles de choses. Des ennuis en perspective. Il disait : « Tu vois, non ? » Elle ne voyait pas.

Elle lui dit adieu et prit le car pour l’Utah. Vingt-quatre heures plus tard, elle était au lit avec un type charmant qu’elle avait rencontré dans le car. Pas terrible, mais elle se détendit, rit et bavarda. Après tout, elle n’était pas si pressée pour ce qu’elle avait à retrouver.

Elle envisagea de se faire avorter. Mais elle n’arrivait pas à se décider à tuer un bébé. Elle ne pouvait plus supporter Barrett, mais elle adorait Sunny. Alors elle ne se voyait pas tuer un nouveau bébé qu’elle pourrait peut-être aimer aussi.

Le lendemain de la naissance de Jeremy, Barrett vint à l’hôpital. Elle n’arrivait pas à croire aux jeux qu’il jouait avec elle. Il dit, en voyant Jeremy, qu’il avait l’impression que c’était son fils.

Et puis, quand elle fut sortie, Barrett continua à venir. Jeremy était si prématuré qu’elle avait dû le laisser en couveuse et tous les deux jours elle allait en stop à l’hôpital.

Barrett l’accompagnait. Il parlait tout le temps du bébé. Il lui disait comme il avait envie de la voir revenir avec le nouveau bébé. Barrett était très ému, mais pour elle, c’était le train-train quotidien. Elle dit : « Bon, je vais vivre avec toi quelque temps. » Elle devait reconnaître que Barrett avait vraiment l’air d’aimer venir à l’hôpital, passer la blouse blanche et le masque pour regarder le bébé. Il n’avait jamais fait ça avec Sunny.

Jusqu’à la naissance de Jeremy, Nicole travaillait à plein temps dans un motel, à changer les draps et à nettoyer les salles de bains. C’était à peu près tout ce qu’elle pouvait trouver, étant donné qu’elle avait arrêté ses études à treize ans. Bref, elle finit par appeler Kip. Elle avait besoin de quelqu’un d’autre que Barrett à rattacher au fait qu’elle avait un fils. Kip n’en croyait pas ses oreilles. Il pensait qu’elle avait encore des semaines à attendre. En tout cas, il ne bégayait pas du tout, et il fut si gentil au téléphone qu’elle décida de faire un nouvel essai.

Pendant les premiers jours, ce fut une vraie lune de miel avec Kip. Ça dura jusqu’à ce qu’il reprît son travail à l’atelier de maroquinerie. Cet après-midi-là, elle s’affairait à ramasser des affaires pour les fourrer sous le divan. Il aimait vraiment voir la maison bien rangée. Si tout n’était pas en ordre, il s’imaginait toujours qu’elle avait fait des bêtises avec un type : voilà comment il était avant. Alors elle essayait de mettre de l’ordre lorsqu’il apparut sur le pas de la porte.

Elle était plantée là, attendant de l’embrasser, mais il ne la regarda pas. Au lieu de ça, il se mit à loucher. Elle lui avait déjà vu cette expression-là.

Il se mit à rôder dans la maison. Il entra dans la salle de bains. Lorsqu’elle le suivit, Kip plongeait les mains dans le panier à linge sale et examinait les dessous de Nicole pour voir s’ils ne portaient pas de taches poisseuses. Il allait vraiment fort. Elle essayait toujours de savoir ce qui le rendait si méfiant. Il finit par lui dire qu’au moment où il était passé en voiture, il avait vu deux personnes passer derrière la fenêtre. Comme il y avait deux doubles fenêtres, il avait sans doute vu deux ombres, dit-elle, mais il ne voulut pas la croire. Il jura qu’il y avait deux personnes. C’en était assez pour la faire hurler.

4

Lorsqu’elle fut de retour à Utah, sa famille n’arrêtait pas de lui répéter combien elle avait de la chance d’avoir une fille et un garçon. Nicole ne voyait pas ce qu’il y avait de si merveilleux à avoir à s’occuper de deux gosses alors qu’elle n’avait jamais été sûre d’en vouloir un seul. Dans ses mauvais jours, son sentiment dominant c’était qu’elle avait manqué bien des choses.

Une fois de plus, Barrett n’avait pas manqué de l’accueillir à l’aéroport. Ils parlèrent du bon vieux temps et s’en allèrent chez lui écouter leurs disques préférés. Il lui expliqua qu’il avait préparé cette maison pour elle et qu’il ne l’embêterait pas, alors elle s’y installa.

En fait, il avait deux amis qui habitaient là, ils fumaient de l’herbe et remettaient toujours leur départ à plus tard. Au bout de quelques jours il finit même par se mettre en colère en disant que merde, c’était sa maison. Comme ça elle se retrouvait avec Barrett et il n’y avait rien à faire. Pas de voiture, pas d’argent, pas de maison. Deux gosses. Kathryne et Charley étaient rentrés de Midway et proposèrent de l’accueillir, mais elle n’avait pas envie de rentrer chez elle en chien battu. Et puis, ils avaient leurs problèmes. Charley avait dû donner sa démission de la marine parce que April commençait à flipper. Ils avaient l’air d’être tous destinés à passer par l’asile. En tout cas, sa vie était déjà assez difficile pour qu’elle puisse supporter d’entendre ses parents se disputer.

À peu près à ce moment-là, les affaires de Barrett se mirent à mal tourner. Il y avait un flic à Springville qui arrêtait Jim chaque fois qu’il le pouvait. N’importe quelle excuse pour fouiller sa voiture. Le flic prétendait que la plaque minéralogique de Barrett n’était pas bien vissée. Un soir, il se fit arrêter pour avoir un feu arrière qui ne marchait pas. Un peu plus tard dans la soirée, Barrett avait liquidé cent doses de came, il avait pris un petit coup de reniflette et commit l’erreur de s’imaginer qu’il ne risquait rien. Mais avant de quitter la maison, il prit un pantalon qui traînait par terre et l’enfila sans remarquer le tube de comprimés coincé au fond de la poche. Il ne s’en aperçut qu’après s’être fait stopper par les flics. Il était là, descendu de voiture, les mains posées sur le toit de la camionnette pour la fouille et pensait que tout allait bien. Il planait et il n’avait rien sur lui. Comme il le raconta plus tard à Nicole, il regardait autour de lui, tranquille, quand le flic lui retourna ses poches. En baissant les yeux, Barrett vit ce tube de vingt-cinq comprimés que le type tenait dans la main. Vif comme un chat, lui raconta Barrett, il sauta dessus. Il aurait dû tout avaler, mais au lieu de cela, il lança la came aussi loin qu’il put. Oliver Nelson lui passa alors les menottes et se mit à inspecter les lieux en le traînant derrière lui. Il y avait de la neige par terre et ça n’était pas facile de retrouver les comprimés, mais il sentait que Nelson n’allait pas renoncer. Barrett finit par les apercevoir près d’un poteau télégraphique et, sitôt qu’Oliver l’approcha suffisamment près, il essaya d’enfoncer le tube dans la neige. Mais au moment où il allait allonger la jambe, le flic s’en aperçut et repéra les comprimés. On l’emmena au poste.

Rikki vint payer la caution de cent dix dollars et le ramena à la maison. Il était dans les 2 heures du matin. Il le ramena chez Nicole et sur le moment elle ne se mit pas en colère. Elle était vraiment compréhensive. Mais Barrett était dans un sale pétrin. Deux jours après, ils emballèrent toutes leurs affaires et partirent pour Verno, dans l’Utah. Ce fut la fin du trafic pour quelque temps.

5

Maintenant Nicole laissait les choses aller. Elle ne se faisait plus tellement de souci. Barrett conduisait des camions d’essence à Verno, c’est-à-dire qu’il trouvait un boulot, qu’il le perdait, puis qu’il en retrouvait un autre. Il n’avait pas bon caractère et n’avait pas besoin de beaucoup de provocation pour dire à son patron d’aller se faire voir. Un jour, elle avait si désespérément besoin d’un peu de sécurité qu’elle descendait la rue avec ses deux gosses et quelques affaires quand Barrett la remonta pour rentrer chez lui. Ils eurent alors une grande scène. Il essaya sérieusement de lui flanquer une rossée. Mais ce fut elle qui s’empara de la chaise de bébé de Sunny et qui lui colla une correction : il avait des bleus partout. Donc, elle ne partit pas. C’était trop bon de le regarder.

De temps en temps, elle pensait à retourner à l’école et écrivit même dans deux ou trois établissements, mais Barrett disait oui, oui, et il lui répétait qu’elle n’avait pas besoin d’aller en classe. Il pouvait l’entretenir. Elle en conclut qu’il la considérait comme une petite connasse lui appartenant.

Peu après, Barrett lui dit qu’ils déménageaient encore une fois. Il emprunta un camion et dit qu’il allait transporter leur mobilier. Mais elle n’avait pas eu le temps de comprendre qu’il avait déjà tout vendu ; la stéréo, son séchoir à cheveux, les lampes et tout. Avec l’argent, il acheta du H pour le revendre et décampa. Mobilier ou pas, elle s’inscrivit à l’école, se fit verser cent trente dollars par mois de l’assistance sociale et s’installa dans un petit camp de camping loin de tout. Elle était tranquille là-bas. Elle adorait ça.

Barrett parti, ce fut une sorte de période heureuse dans sa vie. Il n’y avait que le loyer, quatre-vingt-dix dollars par mois, qui la tracassait. Il ne lui restait pas assez pour la nourriture et elle recommença à s’énerver.

Survint alors un nommé Steve Hudson, beaucoup plus âgé qu’elle. Il n’avait peut-être que trente ans, mais il paraissait bien plus que cela. Il lui semblait plus raisonnable que tous ceux qu’elle avait rencontrés jusqu’alors, il était réglo et il allait au temple. Elle ne passa que quelques mois avec lui avant qu’ils se marient. Deux semaines plus tard, elle le quitta. Ils n’arrivaient pas à s’entendre. C’était déprimant. Elle se sentait si mal qu’elle ne tarda pas à trouver un autre type qu’elle avait rencontré au temple, un grand gaillard qui parlait lentement, Joe Bob Sears. Il était soigné, travaillait dur, faisait l’amour avec vigueur et aimait vraiment les gosses de Nicole. À vrai dire, Joe Bob était plus gentil qu’elle avec Jeremy. Jusque-là, elle n’avait pas réussi à aimer Jeremy. Quand il se mettait à pleurer, elle le prenait dans ses bras. S’il ne s’arrêtait pas, elle le remettait dans son berceau. Elle ne lui faisait jamais de mal, mais malgré tout elle le reposait sèchement sur son matelas. En fait, Joe Bob traitait Jeremy mieux qu’elle. C’était peut-être parce qu’il avait eu lui-même un enfant qu’il avait à peine connu.

Le père de Joe Bob, dans le Mississipi, était en train de mourir d’un cancer et il voulait aller le voir. Alors Nicole laissa les gosses à Charley et Kathryne et partit. Elle avait des espoirs pour Joe Bob et pour elle. Il lui donnait un vrai sentiment de sécurité et en même temps était aussi un type excitant.

Un soir, dans le Mississipi, Nicole eut le choc de sa vie. Les parents de Joe Bob avaient la plus grande boucherie de la ville et ils gardaient quelques vaches pour leur usage personnel. Ce soir-là, Nicole était allée dans la grange et, par les interstices des planches mal jointes, de l’autre côté, elle vit un veau en train de sucer son nouvel amoureux.

De temps en temps, Joe Bob racontait de drôles d’histoires à propos de photos qu’il avait vues d’un poulet en train de se faire sauter par un chien, et il voulait savoir si elle avait jamais vu des choses comme ça, mais Nicole se contentait d’éluder. Cette fois elle se dit : « Tu seras toujours une perdante. Regarde les choses en face. »

Elle dut même faire semblant, pour elle-même, de n’avoir pas vu Joe Bob avec le veau. Il parlait tout le temps de reprendre la boucherie de son père. Ils seraient alors entourés d’animaux. D’animaux morts. Mais il se révéla que son père n’était pas malade au point où Joe Bob l’avait dit mais prêt à se retirer. Ils allaient retourner en Utah, prendre Sunny et Jeremy, puis revenir dans le Mississipi. Nicole se sentait plus coincée que jamais.

De retour à Utah, un quart d’heure après qu’ils eurent franchi la porte de la maison de Joe Bob, on n’aurait pas pu imaginer plus d’ennuis. Quelques-uns des animaux de Joe Bob étaient sortis de leurs cages et couraient partout. Les travaux de la maison étaient en retard, on était encore en train de dresser les cloisons, les planchers étaient arrachés, on posait les lavabos. Pire. Sa petite remorque avait disparu de la cour. Joe Bob sut tout de suite qui l’avait volée parce qu’il l’avait piquée à un type qui ne voulait pas lui payer ce qu’il lui devait. Maintenant elle avait disparu. Joe Bob était sorti pour aller parler aux flics. Nicole était plantée sur le pas de la porte. Elle avait une migraine épouvantable. Sunny et Jeremy pleuraient.

Elle entendit le flic expliquer que la possession vaut les neuf dixièmes du titre. Puisque Joe Bob n’avait jamais pris légalement possession, il ne pouvait pas faire grand-chose.

Lorsqu’il revint et qu’il commença à le lui expliquer, elle dit : « Je sais, j’ai entendu. Je ne veux plus rien entendre. » Elle jura qu’elle était fatiguée et qu’elle n’avait pas envie de parler. Il devint grossier. Elle aussi. Elle dut dire quelque chose qui déclencha tout. Ça faisait un quart d’heure qu’ils étaient à la maison lorsqu’il la souleva de terre et la projeta à travers la pièce.

Puis il revint la ramasser et la lança encore une fois. Il y avait des matelas sur le sol, mais elle rebondit quand même sur les cloisons.

Il s’assit sur elle et lui serra le cou. Il dit qu’il en avait marre. Qu’il ne voulait pas de ça. Il lui déclara que maintenant elle était son esclave. Il ne pesait pas loin de cent kilos et il resta assis sur elle pendant des heures, la giflant de temps en temps quand l’envie lui en prenait. Il la boucla pendant quelques jours dans une pièce du fond.

Joe Bob faisait manger les enfants une ou deux fois par jour. De temps en temps, il leur permettait d’aller dans la pièce où elle était. Il ne fermait pas la porte à clé, mais elle ne pouvait quand même pas sortir. Il ne voulait pas. Elle pleurait beaucoup. Parfois elle hurlait. Parfois elle restait assise là pendant des heures. Quand il entrait, il lui flanquait une taloche pour avoir fait du bruit. Mais elle ne laissait aucune émotion paraître sur son visage, elle n’émettait pas un son. Elle agissait comme s’il n’était pas là.

Il la baisait aussi beaucoup – sur ce plan-là, il n’avait pas changé ses habitudes – et il l’appelait Poopsie, Baby Doll et Honey. Quelquefois elle hurlait et criait, d’autres fois, elle faisait comme si rien ne se passait. Au bout d’un certain temps elle se souvint qu’il avait un pistolet et se demanda comment s’en emparer. C’était un gros calibre et cette idée la soutenait. Lorsqu’elle aurait trouvé l’arme, elle le tuerait. Elle n’arrêtait pas de dire à Joe Bob qu’il pouvait l’assommer mais qu’elle ne resterait pas avec lui. Jamais.

Ça continua encore une semaine. Maintenant, il ne la châtiait plus qu’une fois par jour et la laissait sortir dans la cour. Il allait même à son travail. Au début, elle soupçonna un piège et ne bougea pas. Mais au bout de deux jours, elle fila jusqu’à la gare routière. C’était le premier anniversaire de Jeremy. Elle passa un coup de fil et une fois de plus Barrett vint à son secours. Elle l’appelait toujours quand il n’y avait personne d’autre qui puisse l’aider. Il le savait. Il adorait ça. Il était le seul qui voulait bien la tirer des pires situations. Le Prince Charmant.

Ils s’installèrent avec les gosses sous une petite tente, sur la pelouse d’un de ses amis. Puis ils trouvèrent un appartement à Provo et passèrent Noël ensemble. Sans cesse, elle tentait de faire comprendre à Barrett qu’elle ne voulait pas vivre avec lui et il essayait de la persuader de le faire. Barrett finit par partir pour Cody, dans le Wyoming, avec un de ses amis qui s’appelait aussi Barrett, juste après qu’elle eut trouvé la maison de Spanish Fork qui était une drôle de baraque qu’on aurait dit sortie d’un conte de fées.