CHAPITRE 27

ACCUSATION

1

Le procès dépendait de la juridiction du Tribunal d’Instance du Comté d’Utah. Il se déroulerait dans la salle d’audience du juge Bullock, salle 310 Centre Administratif de l’Utah, le plus grand édifice de Provo, un vieux temple de la loi, guerrier et massif, qui rappelait à Noall Wootton un autre bâtiment officiel surmonté d’un fronton grec supporté par des colonnes de pierre.

Étant né et ayant grandi à Provo, Wootton aimait assez se rendre au palais de justice, et ç’allait être la plus grande affaire de meurtre qu’il eût jamais plaidée.

Comme beaucoup d’autres avocats de la région, Wootton était allé à B.Y.U. et ensuite à l’université de l’Utah pour faire son droit. Il l’avait fait sans grand enthousiasme, du moins au début. Seulement son père avait une clientèle florissante et Noall s’était dit qu’après tout il pourrait suivre les cours et s’essayer ensuite aux affaires. Lorsqu’il eut terminé on lui offrit un poste au F.P.U. et une situation à United Airlines ; mais il les refusa toutes les deux parce que son père lui proposa de le prendre avec lui. Ça marcha bien. Le père Wootton lui apprit beaucoup de choses.

Toutefois, Noall ne tarda pas à se dire qu’être toute la journée dans un bureau ne correspondait pas à l’idée qu’il s’était faite de la profession d’avocat. Il aimait l’ambiance du tribunal. Il éprouvait même un certain mépris pour ses camarades de classe qui s’en allaient travailler à Salt Lake, à Denver ou à L. A. Ils se retrouvaient dans de petits bureaux à préparer des dossiers pour de grands avocats. Alors que Noall était là où il avait envie d’être. En plein tribunal face à ces grands avocats.

Il commença par être défenseur, mais Noall arriva à la conclusion que la plupart de ses clients étaient des lopailles. Son devoir, tel qu’il l’entendait, était de s’assurer que son client était acquitté s’il était innocent et pas condamné trop lourdement s’il était coupable. Les lopailles voulaient s’en tirer à n’importe quel prix, coupables ou non. Noall ne pouvait pas admettre ça. Il commença à se dire que l’accusation, c’était la bonne voie.

Il y eut une affaire qui lui fît bien comprendre cela. C’était un homme qui se défendait et qui avait à peu près les mêmes antécédents que Gilmore. Ce type, Harlow Custis, avait passé dix-huit années en prison et venait d’être inculpé pour une simple histoire de fausses cartes de crédit. On allait le renvoyer en prison pour cela. Wootton trouvait que c’était injuste pour Custis. Il se battit pendant neuf mois pour le faire sortir de prison. Et finit par réussir.

Le jour où Custis fut mis en liberté surveillée, il se rendit à la maison de Noall pour réclamer des pneus qu’il lui avait laissés en paiement. Quand Wootton lui dit qu’il ne les lui rendrait que s’il était payé en espèces, il se fit traiter de tous les noms.

Trois semaines plus tard, Custis s’enivra et bousilla sa voiture. En tuant un homme. Pas de permis. Wootton décida alors qu’il avait commis une erreur et qu’il n’aurait pas dû se donner autant de mal pour défendre cet homme. Ce fut à ce moment qu’il décida de passer du côté de l’accusation.

En préparant le procès Gilmore, Wootton pensait souvent à son autre grande affaire, lorsqu’il avait dû requérir contre Francis Clyde Martin, qui avait été forcé de se marier parce que sa petite amie était enceinte. Martin emmena sa nouvelle épouse dans les bois et lui donna vingt coups de poignard, lui trancha la gorge, arracha le bébé du ventre de sa mère, le poignarda et rentra chez lui.

Dans cette affaire, Wootton avait décidé de ne pas réclamer la peine de mort. Martin était un étudiant de dix-huit ans, à l’air charmant, et sans passé criminel. C’était juste un gosse, pris dans un piège terrible, qui avait perdu la tête. Wootton avait réclamé la prison à vie et le garçon y était maintenant et finirait sans doute par être libéré.

À vrai dire, Wootton ne se considérait pas comme un avocat sans concession de la peine de mort. Il n’estimait pas que cela avait un effet dissuasif sur les autres criminels. La seule raison pour laquelle il voulait obtenir la peine capitale pour Gilmore, c’était le danger : Gilmore vivant était un danger pour la société.

2

Le lundi 4 octobre, la veille du jour où le procès devait s’ouvrir, Craig Snyder et Mike Esplin eurent une longue conférence avec Gary. Au bout d’un moment, celui-ci demanda : « À votre avis, quelles sont mes chances ? » Et Craig Snyder répondit : « Je ne crois pas qu’elles soient bonnes… Je ne crois pas du tout qu’elles soient bonnes. »

Gary observa : « Oh, vous savez, ça n’est pas une grosse surprise. »

Ils avaient, lui dirent-ils, fait beaucoup d’efforts du côté des psychiatres. Aucun d’eux ne voulait déclarer Gary dément. Sur ce point, Gary était d’accord avec eux. « Comme je l’ai dit, remarquait-il, je peux arriver à convaincre le jury que je n’ai pas toute ma tête. Mais je n’ai pas envie de faire ça. Ça me dit rien de voir insultée mon intelligence. »

Et puis il y avait l’histoire de Hansen. Snyder et Esplin convenaient qu’ils seraient ravis de voir Phil Hansen venir. Aucun avocat, disaient-ils, n’était égoïste au point de déclarer qu’il n’avait pas envie ni besoin de la meilleure assistance professionnelle qu’on pouvait trouver. Mais Hansen n’avait pas donné signe de vie.

Ils ne lui dirent pas qu’ils ne se sentaient pas disposés à décrocher leur téléphone pour appeler Hansen. Après tout, ils n’avaient que la version de Nicole. Cela pouvait se révéler embarrassant si elle avait mal compris ce que Hansen avait promis.

Ils demandèrent une fois de plus à Gary de faire citer Nicole comme témoin. « Je ne veux pas qu’elle soit mêlée à ça », répondit Gary. Ils comprenaient son objection. Elle devrait dire qu’elle l’avait provoqué de façon insupportable. Préciser quelques détails sordides. Il n’aurait rien à voir avec ça. En fait, il était furieux que Wootton citât Nicole comme témoin. Il dit à Snyder et à Esplin qu’il ne voulait pas qu’on interdise aux témoins de l’accusation l’accès du tribunal car cela voulait dire que Nicole, ayant été citée par Wootton, se verrait également interdire l’entrée. Les avocats de Gary lui dirent que cela donnerait un avantage à Wootton. Ses témoins pourraient entendre ce que disaient les autres avant eux. Tout, dans l’exposé de Wootton, sonnerait beaucoup mieux. Pas d’importance, leur dit Gary.

Snyder et Esplin s’efforcèrent de le faire changer d’avis. Quand les témoins, dirent-ils, ne pouvaient pas s’entendre les uns les autres déposer, ils étaient plus nerveux à la barre. On ne savait pas dans quoi ils allaient se lancer. C’était une grande concession à faire pour la défense rien que pour pouvoir avoir Nicole dans la salle. Gary secoua la tête. Il fallait que Nicole soit là.

3

Le premier jour fut consacré à constituer un jury. Le second jour, ce fut à Esplin qu’incomba la désagréable tâche, au tout début du procès, de demander au juge de faire sortir le jury puisqu’il y avait un point de droit à discuter. Il expliqua alors au juge Bullock que le prévenu, malgré leurs conseils, ne voulait pas qu’on exclût de la salle aucun témoin de l’accusation. C’était un piètre début. Plus d’un juge perdait toute considération pour un avocat qui n’était pas capable de montrer à un client où se trouvait son intérêt.

Me ESPLIN : Votre Honneur, M. Gilmore a exposé la raison de sa décision qui s’appuie sur le fait que Nicole Barrett, l’amie du prévenu, est citée comme témoin par l’accusation, et il ne veut pas qu’elle soit exclue de la salle. Je crois que c’est la seule base de sa décision.

LA COUR : Est-ce vrai, monsieur Gilmore ?

GILMORE : Ma foi, oui. J’ai vu qu’elle n’était pas sur la liste précédente, vous savez, hier ou avant-hier, et il me semble que la raison en était qu’elle devrait être exclue du tribunal. Et je ne veux pas qu’elle soit obligée de rester assise toute la journée dans ce hall inconfortable.

LA COUR : C’est vrai qu’elle aura peut-être à attendre dans le hall, mais nous avons là des sièges et certain confort.

GILMORE : En tout cas, Votre Honneur, c’est ma décision qu’elle ne soit pas exclue.

LA COUR : C’est tout ?

Me ESPLIN : Tout ce que nous avons, Votre Honneur.

LA COUR : Le seul point de droit ? Très bien, vous pouvez faire rentrer le jury.

Gary, comme pour rattraper ce qu’il venait de lâcher, passait son temps à foudroyer Wootton du regard.

L’ironie de tout cela, songea Esplin, c’était que Nicole, pour autant qu’il put s’en apercevoir, n’était même pas au tribunal. Toute la matinée Gary ne cessa de la chercher du regard. Elle ne se montra pas. Elle n’arriva en fait qu’à l’heure du déjeuner, et Gary, alors, fut ravi de la voir.

4

Wootton commença par expliquer au jury ce qu’allaient être les dépositions de ses témoins. « Chacun d’eux, dit-il, vous donnera un petit fragment de l’histoire d’ensemble. Ils vous raconteront comment le prévenu, Gary Gilmore… est sorti dans la rue avec la cassette du motel dans une main et un pistolet dans l’autre… a abandonné la cassette au bout du pâté de maisons… et abandonné son arme. Ils vous raconteront comment peu de temps après il a été aperçu à une station-service au coin de Third South et d’University Avenue où il a repris sa camionnette, saignant alors assez abondamment d’une blessure à la main gauche. Les témoins vous raconteront aussi comment ils ont suivi la traînée de sang depuis la station-service jusqu’au trottoir où il s’est arrêté devant un buisson de verdure planté au bord du trottoir. Ils vous raconteront comment ils ont trouvé un pistolet automatique de calibre 6.35 qui semblait avoir été lancé dans le buisson, car il y avait des brindilles et des bouts de feuille accrochés au mécanisme de l’arme et ils vous diront qu’ils ont trouvé là une douille. Vous entendrez aussi un témoignage d’après lequel les enquêteurs, au bureau du motel où M. Buschnell a été tué, ont trouvé une autre douille de 6.35. Vous entendrez le témoignage d’un expert attestant que la balle qu’il avait dans la tête était en fait une balle de calibre 6.35 tirée par un pistolet ayant le même genre de rayures dans le canon que le pistolet de 6.35 retrouvé dans le buisson. »

À mesure que les pièces à conviction et témoins étaient présentés au long de la journée, le dossier de Wootton se révélait à peu près comme il l’avait présenté ; solide et cohérent. Snyder et Esplin ne pouvaient qu’élever des doutes sur des points de détail ou s’efforcer de réduire la crédibilité de la déposition. C’est ainsi qu’Esplin amena le premier témoin, Larry Johnson, dessinateur industriel, à reconnaître que son plan du motel, tracé sur commande cette dernière semaine avant le procès, ne pouvait donner « aucune idée de quelles plantes ou légumes poussaient le 20 juillet » devant les fenêtres du motel. C’était un détail, mais qui diminua la valeur de la première pièce à conviction, et qui empêcha le jury d’être trop vite impressionné par la quantité même de celles-ci. Wootton, après tout, comptait produire dix-huit pièces à conviction.

Le témoin suivant, l’inspecteur Fraser, avait pris un certain nombre de photographies au bureau du motel. Esplin l’amena à convenir que l’on avait peut-être touché aux rideaux avant de prendre les photos.

Cela continua ainsi. De petites corrections, de menus ajustements au dossier que constituait Wootton. Lorsque Glen Overton arriva à la barre et décrivit Benny Buschnell mourant dans son sang, ainsi que l’attitude de Debbie Buschnell lorsqu’il la conduisit à l’hôpital, la défense resta silencieuse. Esplin n’allait pas souligner l’horreur de ces scènes par un contre-interrogatoire.

Le deuxième témoin, le Dr Morrison, était le médecin légiste de l’Utah, et c’était lui qui avait pratiqué l’autopsie de Bennie Buschnell. Le Dr Morrison déclara que l’absence de brûlure de poudre à la surface de la peau de Buschnell indiquait que l’arme du crime avait été placée en contact direct avec la tête de la victime.

Esplin dut faire quelque effort pour le discréditer.

Me ESPLIN : Au moment où vous avez examiné le défunt, avez-vous examiné l’arme qui a été prétendument utilisée pour commettre ce crime ?

DR MORRISON : Non, maître…

Me ESPLIN : Et je présume qu’au moment où vous avez examiné le défunt, vous ne connaissiez pas le type de munition qui avait été utilisée.

DR MORRISON : C’est exact.

Me ESPLIN : Et vous dites pourtant que ces détails étaient de nature à vous faire modifier vos conclusions ?

DR MORRISON : Ils pourraient faire une différence… Dans ce cas particulier, à mon avis, cela ne changeait rien… Il ne me semble pas que le genre de munition ou le type d’arme utilisée pose un problème en ce qui concerne les conclusions. On m’a informé toutefois, lorsque j’ai pratiqué l’autopsie, que l’arme en question était un pistolet.

Me ESPLIN : Mais vous ne l’avez pas examiné ?

DR MORRISON : Non, je n’ai pas examiné l’arme, maître.

La défense en était réduite à prendre des risques. À défaut d’autre chose, la vigueur du contre-interrogatoire d’Esplin pouvait jeter la confusion dans l’esprit du jury. Ainsi, alors même que le Dr Morrison expliquait qu’il n’avait pas besoin de connaître l’arme ni la munition puisque, dans ce cas, ni l’une ni l’autre n’affectaient le résultat, Esplin obtenait l’aveu que le Dr Morrison n’avait pas examiné l’arme. Cela pourrait tracasser certains jurés.

Martin Ontiveros se présenta ensuite et déclara que Gary avait laissé sa camionnette à la station-service, à deux blocs du motel, et qu’il s’était absenté une demi-heure. Lorsqu’il était revenu, Gary avait du sang sur la main gauche.

Ned Lee, un policier, avait trouvé le pistolet en suivant la traînée de sang de Gilmore depuis la station-service jusqu’aux buissons. « Tout ce qui est liquide a tendance à couler dans la direction où on se déplace », déclara-t-il, aussi avait-il été en mesure de déterminer que les mouvements de Gilmore allaient de l’endroit du buisson où était caché le pistolet jusqu’à la station d’essence de Furmer. Une fois de plus, la défense n’avait pas grand-chose à faire de son témoignage.

L’inspecteur William Brown avait reçu la douille et le pistolet du sergent Lee et les avait faits photographier dans la position où ils avaient été découverts. Wootton présenta la photographie comme la pièce à conviction numéro 3.

Me ESPLIN : Inspecteur Brown, est-ce vous qui avez pris cette photographie ?

INSPECTEUR BROWN : Non, maître.

Me ESPLIN : Savez-vous qui l’a prise ?

INSPECTEUR BROWN : Non, maître, je ne sais pas.

Me ESPLIN : Nous faisons objection, Votre Honneur. La preuve n’est pas suffisamment établie.

LE PROCUREUR WOOTON : Pas du tout, Votre Honneur, je n’ai pas à établir quand et dans quelles circonstances les photos ont été prises. Tout ce que j’ai à établir, c’est qu’il regardait le buisson et que, lorsqu’on examine la photo, il s’agit bien du même buisson.

C’était quand même une petite victoire. Une pièce à conviction de plus légèrement sujette à caution. On ne savait jamais si quelques petites victoires ne pouvaient pas modifier l’effet final.

Me ESPLIN : Vous avez bien utilisé l’arme pour relever les empreintes ? C’est exact ?

INSPECTEUR BROWN : Oui, maître.

Me ESPLIN : Avez-vous trouvé des empreintes ?

INSPECTEUR BROWN : J’en ai trouvé une.

Me ESPLIN : Avez-vous transmis cela au laboratoire du F.B.I. ?

INSPECTEUR BROWN : Je l’ai fait…

Me ESPLIN : Quels ont été les résultats ?

INSPECTEUR BROWN : Ils avaient besoin d’une meilleure comparaison.

Me ESPLIN : Autrement dit, ils ne pouvaient pas parvenir à une conclusion ?

INSPECTEUR BROWN : Exact.

Me ESPLIN : Plus d’autres questions ?

Lorsque Gerald Nielsen vint à la barre, Wootton ne lui demanda rien à propos des aveux. Nielsen se contenta de confirmer l’existence d’une blessure par balle récente à la main gauche de Gilmore au moment où on l’avait arrêté.

Gerald F. Wilkes, un agent du F.B.I., était expert en balistique.

PROCUREUR WOOTTON : Voudriez-vous, je vous prie, dire au jury quelles ont été vos conclusions ?

M. WILKES : En me fondant sur l’examen de ces deux balles, j’ai pu déterminer que les deux douilles ont été tirées avec cette arme et aucune autre.

Esplin n’avait d’autre recours que de poser des questions susceptibles d’amener des réponses gênantes.

Me ESPLIN : Existe-t-il un certain nombre de marques qui doivent se retrouver sur une pièce à conviction… avant que vous soyez en mesure d’affirmer, au-delà d’un doute raisonnable, que la balle a été tirée par la même arme ?

M. WILKES : Non, maître. Je ne fixe pas de nombre minimal de marques microscopiques pour procéder à une identification.

Me ESPLIN : Avez-vous une idée du nombre de marques, de similarités ou de points de similarité que vous avez trouvés entre la pièce à conviction numéro 12 et la balle témoin que vous avez tirée au laboratoire ?

M. WILKES : Les marques de similitude se retrouvaient tout autour de la circonférence de la douille. En fait il y en a tant que cela ne laissait dans mon esprit aucun doute quant à la conclusion à laquelle j’étais parvenu.

Peter Arroyo déclara avoir vu Gary au bureau du motel.

PROCUREUR WOOTTON : À quelle distance de lui étiez-vous à ce moment ?

M. ARROYO : Oh ! quelque chose comme trois mètres.

PROCUREUR WOOTTON : Était-il à l’intérieur du bureau ?

M. ARROYO : Oui.

PROCUREUR WOOTTON : Et vous étiez dans l’allée ?

M. ARROYO : Oui.

PROCUREUR WOOTTON : À ce moment, avez-vous observé quelque chose qu’il avait en sa possession ?

M. ARROYO : Oui.

PROCUREUR WOOTTON : Dites-nous ce que vous avez vu.

M. ARROYO : Dans la main droite il avait un pistolet avec un canon long. Dans sa main gauche, le tiroir-caisse d’une caisse enregistreuse.

PROCUREUR WOOTTON : Pouvez-vous nous décrire le pistolet ?

M. ARROYO : Oui.

PROCUREUR WOOTTON : Dites-nous exactement ce que vous avez vu.

M. ARROYO : En fait il s’est arrêté en me voyant. Je l’ai d’abord regardé, puis le pistolet et je l’ai regardé de nouveau pour voir ce qu’il allait faire avec le pistolet. Je croyais qu’il travaillait au bureau et qu’il tripotait le pistolet. Ça m’inquiétait. Alors je l’ai encore regardé droit dans les yeux. Il s’est arrêté et m’a regardé. Au bout de quelques secondes il a fait demi-tour et est repassé de l’autre côté du comptoir.

PROCUREUR WOOTTON : Qu’avez-vous fait ?

M. ARROYO : Nous avons continué à marcher en direction de la voiture.

PROCUREUR WOOTTON : Monsieur Arroyo, l’homme que vous voyez maintenant dans la salle du tribunal est-il celui que vous avez observé avec le revolver et le tiroir-caisse ?

M. ARROYO : Oui.

PROCUREUR WOOTTON : Voudriez-vous, s’il vous plaît, l’identifier pour la Cour et pour le jury ?

M. ARROYO : (en le désignant du doigt) : L’homme avec la veste rouge et la chemise verte.

PROCUREUR WOOTTON : Assis à la table de l’avocat en face de moi ?

M. ARROYO : Oui.

PROCUREUR WOOTTON : Votre Honneur, le greffier peut-il noter que le témoin identifie le prévenu ?

LA COUR : Il le peut.

PROCUREUR WOOTTON : J’en ai terminé, Votre Honneur.

Me ESPLIN : Monsieur, pourriez-vous décrire l’homme que vous avez observé au bureau du motel cette nuit-là ?

M. ARROYO : Oui. Il avait l’air un peu plus grand que moi…

Me ESPLIN : Quelles autres caractéristiques pourriez-vous décrire ?

M. ARROYO : Il avait une petite barbiche et de longs cheveux.

Me ESPLIN : Quels autres signes distinctifs vous rappelez-vous ?

M. ARROYO : Ses yeux.

Me ESPLIN : Que vous rappelez-vous à propos de ses yeux ?

M. ARROYO : Quand j’ai regardé ses yeux… c’est assez difficile à décrire. Je n’oublierai jamais ces yeux-là.

Me ESPLIN : Avez-vous vu la couleur de ses yeux ?

M. ARROYO : Non. Juste le regard.

Ça n’est pas difficile de comprendre ce que voulait dire Arroyo. Gilmore avait foudroyé Wootton du regard pendant toute la déposition.

Lorsque Arroyo eut terminé, l’accusation déclara qu’elle n’avait rien à ajouter pour l’instant. Esplin se leva et dit que la défense, elle non plus, n’avait rien à ajouter.

LA COUR : Vous n’avez pas l’intention de citer de témoignage ?

Me ESPLIN : Non, Votre Honneur.

LA COUR : Très bien. Les deux parties en ayant terminé, il serait du devoir de la Cour de donner ses instructions au jury… J’y suis prêt mais cela prendrait une demi-heure et nous amènerait, une fois de plus, à poursuivre assez avant dans la soirée. Et je crois savoir qu’il y a de grands débats ce soir.

Le juge faisait allusion au second débat prévu entre Jerry Ford et Jimmy Carter.

LA COUR : Dans l’intérêt de tous je donnerai donc mes instructions demain matin plutôt que ce soir, et nous terminerons l’affaire demain.

5

6 octobre

Je viens de rentrer du tribunal.

Whoo !

Je t’avais dit que je n’attendais pas grand-chose de Snyder ni d’Esplin mais je ne m’attendais pas à les voir ne pas présenter la moindre défense.

Dire que j’ai été surpris quand Esplin a dit qu’il n’avait rien à ajouter serait fichtrement au-dessous de la vérité.

Ils ne m’ont jamais dit qu’ils allaient faire ça : ne pas présenter la moindre défense.

Je n’arrivais pas à y croire ! Je comptais sur une certaine défense… si faible soit-elle.

Je croyais qu’ils allaient au moins essayer d’obtenir une accusation de meurtre sans préméditation.

C’est une certitude maintenant que je vais être accusé d’homicide et Esplin et Snyder le savaient lorsqu’ils ont dit aujourd’hui qu’ils en avaient terminé.

Ils ne m’ont jamais dit qu’ils allaient me faire un coup pareil.

Quand je leur en ai parlé après le procès, ils avaient un air coupable et sur la défensive.

Ils n’ont même pas essayé.

Tout ce qu’ils veulent c’est se garder une possibilité d’appel, et ils n’ont même pas fait ça.

C’est comme ça avec les avocats désignés d’office.

 

Dès que la Cour se fut ajournée, il y avait eu une conférence et Gary leur avait déclaré qu’il n’était pas content.

« Je croyais que vous alliez faire venir un psychiatre ou quelque chose comme ça. »

Ils expliquèrent de nouveau : ils comptaient en faire venir un demain à l’audience de révision. Inutile de le faire au procès. Aucun médecin ne dirait qu’il était légalement fou, alors ça ne servirait qu’à inciter le jury à la condamnation. Tandis que comme ça, quelques-uns des jurés pourraient se poser des questions au sujet de sa santé mentale.

« Est-ce qu’on aurait pas pu faire venir quelqu’un ? demanda-t-il, rien que pour les apparences ? »

Ils exposèrent leur stratégie. Sa situation n’était peut-être pas aussi mauvaise qu’elle en avait l’air, disaient-ils. Premièrement, l’accusation n’avait pas comparé le sang de Gary au sang dont on avait trouvé la trace. Si l’analyse avait révélé que c’était du O, qui était celui de Gary, ç’aurait été très grave. Deuxièmement, dit Craig Snyder, ils n’avaient pas relevé les empreintes sur le pistolet. Donc on ne pouvait pas rattacher le pistolet et sa main sans un soupçon de doute. Troisièmement : l’accusation avait négligé de présenter l’argent du vol comme pièce à conviction. Ils avaient l’argent, mais ils ne l’avaient pas présenté. Quatrièmement, Wootton n’avait pas osé utiliser les aveux de Gary à Gerald Nielsen. Le jury, dit Craig, le regard grave derrière ses lunettes, avait encore à assimiler ces doutes pour le juger coupable. Ce n’était pas facile de condamner un homme à mort, pensaient-ils sans le dire. Le jury devrait absolument se forcer pour surmonter ces lacunes. Alors, si l’affaire pouvait être menée selon les règles, si les débats restaient calmes, l’atmosphère pourrait donner à réfléchir au jury. Ce serait difficile pour lui de condamner un homme à mort dans un climat d’incertitude.

Gary annonça qu’il voulait faire une déclaration au juge. Il voulait témoigner.

Ils étaient contre. Pour l’instant, dit Craig Snyder, il était déjà condamné à quatre-vingt-dix-neuf pour cent. S’il témoignait, on en viendrait à cent pour cent.

Gary parut un moment consterné. « Je l’ai fait, voilà tout. » Il insista de nouveau pour être cité à la barre.

Ils tentèrent de réfléchir à l’effet que ça ferait de rouvrir le dossier. Mauvais effet. Une fois de plus ils pensèrent à citer Nicole, mais ils s’étaient fait depuis si longtemps à l’idée de ne pas la citer que la perspective de la voir à la barre les contrariait. Ça pouvait avoir un effet de boomerang. Si jamais on apprenait que Gary avait des pistolets dans sa voiture et qu’il circulait avec des enfants… Non, Nicole aussi, c’était un mauvais cheval.

On ne prit aucune décision. Chacun des trois hommes dormit du mieux qu’il put.