CHAPITRE 10

CONTRAT

1

Schiller décida de quitter Salt Lake et d’aller s’installer au Travel Lodge, à Provo. De sa chambre, il pouvait voir, de l’autre côté d’University Avenue, les montagnes et chaque matin il y avait davantage de neige sur les sommets. La lettre Y tracée en pierres blanches sur une des montagnes commençait à être recouverte.

Il prit tout de suite rendez-vous avec Phil Christensen, l’avocat de Mme Baker, et avec Robert Moody. Christensen à 3 heures, Moody à 4 heures. Il estimait que le premier rendez-vous lui prendrait à peu près une demi-heure et qu’il irait ensuite à pied jusqu’au bureau de l’autre avocat. Ils devaient se trouver dans le même quartier. Ayant prospecté un peu le milieu juridique de Provo, il savait que les cabinets d’avocats étaient groupés autour du Palais de Justice. Schiller ne prit même pas la peine de regarder l’adresse de Moody. Ça devait être au coin de la rue. Aussi, lorsqu’il entra dans l’immeuble de Christensen, il eut une surprise. En bas annonçait la pancarte : « Christensen, Taylor et Moody. » Au même cabinet. Schiller rayonnait.

Le bureau faisait province. Même les lambris du placage, la moquette jaune orange et les petits fauteuils de cuir marron foncé, tout collait. Autant de choses qu’on aurait pu trouver dans un petit appartement meublé de vacances. Quand il y avait deux associés du même cabinet représentant des clients séparés dans la même affaire, on pouvait supposer qu’ils allaient s’arranger pour ne pas avoir à se retirer pour conflits d’intérêts. Comme il avait déjà proposé cinquante mille dollars à Gary et vingt-cinq mille à Nicole, ces deux hommes de loi n’allaient vraisemblablement pas s’opposer à cette offre et perdre les honoraires qu’ils pourraient récolter.

Phil Christensen se révéla être un avocat distingué et d’un certain âge avec des cheveux blancs, mais cinq minutes ne s’étaient pas écoulées que Schiller avait l’impression qu’il avait commencé à impressionner Christensen par sa connaissance du droit. Il dit aussitôt : « Je ne veux pas que les frais juridiques soient déduits de ce que j’offre à Nicole Barrett, aussi vous demanderai-je ce qui vous semble convenable. » Christensen lui dit que mille dollars seraient bien et Schiller dit : « Disons alors vingt-six mille dollars pour Nicole Barrett, mais je veux que, là-dessus, Mme Baker vous paie vos honoraires. » C’était, pour Schiller, une façon de bien établir que Christensen allait être l’avocat de la mère de Nicole et non de Schiller. Cela frappa beaucoup Christensen. Puis Schiller dit : « Il est bien entendu que tout cela doit être approuvé par la Cour. » Il ne voulait pas aller de l’avant tant que Christensen n’aurait pas un curateur désigné légalement. Schiller dit qu’à son avis la mère de Nicole devrait être nommée curatrice à la succession, et la Cour, bien sûr, curatrice à la personne. Christensen le regarda. « Où avez-vous appris tout ça ? » demanda-t-il. C’est encore un détail qui accrut le respect de Christensen.

Un peu plus tard, Kathryne Baker vint participer à l’entretien. Christensen dit lui-même : « Nous n’avons pas réglé toutes les questions financières, mais je peux vous dire que je me sens très en confiance avec M. Schiller. » En fait, Christensen demanda cinq mille dollars pour les frais médicaux d’April, et Schiller accepta de payer cette somme en plusieurs versements. Schiller stipula aussi qu’il voudrait les droits de l’histoire d’April et celle de la grand-mère, Mme Strong. L’entretien se poursuivit donc, sur un ton agréablement professionnel. Quand ce fut l’heure pour Schiller d’aller à son rendez-vous avec Woody, de l’autre côté du couloir, Christensen participa à la réunion. Ron Stanger vint aussi un moment, et Schiller commença son exposé. Il se retrouva parlant beaucoup à Stanger qui avait un bagou extraordinaire et dont la réplique assez vive aurait pu lui permettre d’être présentateur à la télévision.

Schiller sortit les contrats et ils commencèrent à parler argent. Il ne leur dit pas qu’il avait téléphoné à ABC pour dire que quarante mille dollars ne suffisaient pas. Ça devait être cinquante. Le chiffre final, il le savait, allait être bien supérieur, mais il avait calculé que pour l’instant soixante mille dollars versés de suite suffiraient. Gary devrait toucher ses cinquante mille d’un coup, mais Nicole étant dans un asile, il pouvait rédiger son contrat de façon à lui verser dix mille maintenant, dix mille quand elle serait prête à être interviewée et cinq quand le film serait produit. Qu’on lui donne les cinquante mille d’ABC et il pourrait toujours trouver les dix mille autres.

Le lendemain, pour faire avancer les choses un peu plus, Larry dit à Vern : « Écoutez, je vous ai dit que ma proposition de contrat ne dépend pas des autorisations que vous obtiendrez, et c’est vrai, mais évitons les problèmes pour l’avenir. Voulez-vous aller trouver Brenda pour qu’elle signe, ainsi que son mari Johnny ? J’ai aussi besoin de votre signature et de celle d’Ida. Dites à tout le monde que je ne vais pas demander un contrat exclusif leur interdisant de parler à personne d’autre, mais une simple autorisation. » Vern accepta, monta dans sa camionnette et s’en alla récolter les signatures. Le total allait augmenter de quatre mille dollars.

Vern lui dit que Gary ne voulait donner son accord à aucun contrat avant de l’avoir rencontré. Schiller acquiesça. Très bien. C’était normal. Vern dit : « Mais il n’y a pas moyen que vous puissiez rencontrer Gary. »

« Voyons, dit Schiller, parlez-moi de l’horaire de la prison. On m’a déjà dit dans ma carrière qu’il y avait des endroits où je ne pourrais pas entrer et j’y suis arrivé. » Larry poursuivit : « Dessinez-moi un plan, et dites-moi, est-ce qu’on vous fouille ? Est-ce que l’heure de la journée change quelque chose ? Est-ce qu’on vous autorise à y aller de jour ou de nuit ? Quel genre de gardiens y a-t-il selon les heures ? » Schiller se disait : Gary va trouver de l’aide à l’intérieur. Ça ne fait pas très longtemps qu’il est détenu ici, mais, d’un autre côté, il a un statut à part auprès des condamnés et des gardiens. « Vern, dit Schiller, que Gary nous dise comment faire. Il saura bien quand le moment sera venu. »

2

Susskind reçut un coup de fil de Moody et de Stanger. Ils lui dirent que Dennis Boaz avait été congédié. Susskind trouva que ces nouveaux avocats étaient réguliers et semblaient très sûrs. Très petite ville dans le bon sens du terme. Des hommes corrects, décréta-t-il.

Toute cette affaire, expliquèrent-ils, avait été vraiment très mal menée. Ils ne pensaient pas pouvoir compter sur la coopération de Boaz, aussi aimeraient-ils connaître directement l’offre de Susskind. David n’était pas disposé à monter ses prix, mais il se lança quand même dans une discussion financière sur les sommes que cela pouvait rapporter et précisa qu’ils pourraient toucher cent cinquante mille dollars. Susskind semblait de nouveau intéressé. Le problème était de s’assurer s’il était plausible de retrouver de l’intérêt à une affaire momentanément abandonnée.

Mais oui ! Le numéro de Newsweek du 29 novembre parut le mardi matin, 23 novembre, avec Gary Gilmore en couverture. En travers de sa poitrine on pouvait lire en gros caractères je veux mourir. Moody estima que c’était excellent pour les enchères.

Il s’ensuivit de nouvelles conversations avec Susskind qui voulut savoir si Bob avait jamais entendu parler de Louis Nizer, et qui cita deux ou trois autres vedettes du barreau comme Edward Bennett Williams. Et il avait à peine raccroché qu’on appelait Moody au téléphone.

« Maître Moody, ici Louis Nizer. Mon ami David Susskind m’a demandé de vous appeler pour vous confirmer qu’il est exactement ce qu’il prétend être et à mon avis il serait content de traiter avec vous. Je le sais. J’ai eu affaire à lui.

— Je suis très heureux de vous entendre, maître Nizer, répondit Tom, mais, vous savez, vous n’avez pas besoin de me vanter les mérites de M. Susskind. Nous connaissons son travail et je sais fort bien que c’est un homme très compétent et plein de talent. » Ça n’était pas la bonne façon de s’y prendre avec Bob Moody : il n’aimait pas qu’on le traite comme un plouc.

Moody avait eu souvent affaire à des avocats de San Francisco et de Los Angeles, et ils étaient rarement pontifiants. Ils se trouvaient assez près de Salt Lake pour supposer qu’il pouvait se passer en Utah des choses d’importance raisonnable, alors que dans ses rapports avec des avocats de New York ou de Washington, il avait toujours ressenti que ceux-ci avaient un certain dédain vis-à-vis des avocats d’une petite ville comme Provo.

Moody expliqua donc à Susskind qu’il devrait peut-être penser à se déplacer. Schiller faisait chaque jour meilleure impression sur Vern Damico, expliqua Moody, et c’était Vern qui était en relation avec Gary.

Susskind se mit alors à critiquer violemment Larry Schiller. « Monsieur, dit-il, je ne voudrais pas me vanter, mais la différence entre Susskind et Schiller, en tant que producteurs, est la même que celle qui existe entre une équipe de football nationale et l’équipe d’un lycée. » Moody répéta cela à Schiller, qui sourit dans sa barbe noire, un sourire si large qu’on le percevait à travers toute cette masse de poils, et il dit : « Susskind a raison. Il joue dans une équipe nationale et moi seulement dans une équipe de lycée. Mais je suis ici, en tenue et prêt à jouer. Où est l’équipe nationale ? Même pas sur le stade. »

Moody, en outre, trouvait Susskind beaucoup trop ferme sur un point. Personne n’aurait un sou de lui tant que ne seraient pas acquis les droits de l’histoire de Nicole, de Bessie et d’un certain nombre d’autres personnes. Susskind voulait que les avocats se chargent de ça. À eux les ennuis. Au fond, il faisait d’eux des Larry Schiller. Comme Larry avait pratiquement l’accord de Nicole et que c’était Phil qui s’occupait de cela, Moody ne tenait pas à se trouver dans une situation où son vieil associé et lui pourraient avoir à représenter des clients différents avec des conflits d’intérêts flagrants.

Au milieu de toutes ces conversations, Schiller invita Ron, Phil et Bob dans une suite de l’hôtel Utah. Ils eurent une soirée paisible, pas d’alcool, mais un tas de desserts mormons, du genre pâtisseries à la crème, et il les présenta à Stephanie. Elle leur fit grosse impression. Elle était si belle. Elle était mince, avait les traits finement dessinés et semblait vibrer intensément à tout ce qu’elle ressentait, mais prête à offrir une résistance de pierre à ce qui la laissait insensible. « Seigneur Tout-Puissant, dit Stanger, cette fille est aussi attachante que Néfertiti. » Il se mit à plaisanter Larry. « Mais qu’est-ce qu’une belle fille comme Stephanie fait en compagnie d’un vilain barbu ? » Et il ajouta : « Vous savez, Schiller, un type qui a une telle amie ne peut pas être foncièrement mauvais. »

Sur ces entrefaites, les films Universal entrèrent en scène. Les avocats qui avaient représenté Melvin Dumar dans l’affaire concernant le testament de Howard Hughes, arrivèrent à Provo et discutèrent dans le bureau de Bob pendant deux heures. L’un d’eux était même un spécialiste des questions fiscales et il avait été à la faculté de Droit avec Bob. Il proposa son expérience non négligeable pour rédiger des contrats extrêmement avantageux pour Gilmore et pour Vern. Moody était tenté, car, en plus, ces gens étaient de bons mormons. Tout semblait donc bien se présenter. Toutefois, à la fin de la journée, les avocats déclarèrent : « Nous sommes gênés de vous dire ceci, mais le contrat ne prendra effet que si l’exécution a lieu. »

Quand Moody et Stanger racontèrent cela à Gary, il éclata de rire derrière sa vitre et dit au téléphone : « Vous ne pensez pas que ce soit un bon contrat, hein ? » Il but une gorgée de café – pendant son jeûne il se permettait du café – et poursuivit : « Bon sang, je pense bien que l’exécution aura lieu. » Moody répondit : « Ma foi, Gary, ça ne dépend peut-être pas seulement de vous. » Sur quoi Gary explosa : « Ces enfants de salaud, ces enfants de salaud », hurlait-il. Il était d’une pâleur à faire peur.

Pendant ce temps, Larry Schiller était au téléphone pour expliquer à Stanley Greenberg qu’il avait sous contrat Danico et la mère de Nicole et que le seul élément qui manquait, c’était l’écrivain que voulait Schiller : Stanley Greenberg.

Alors David Susskind appela Stanley et lui dit : « Schiller n’a pas de contrat du tout. Il y a de nouveaux avocats mormons à sa place. Stanley s’imagina quatorze voitures de pompiers faisant la course dans Salt Lake et Provo. Tout le monde avait l’air de vouloir gagner du fric sur le dos du pauvre Gary Gilmore. Tout à fait écœurant. Stanley n’allait pas se lancer dans la bagarre pour ramasser les morceaux. Il avait envie de faire quelque chose à propos de l’effet de la peine capitale sur le public en général plutôt que ce scénario de chasseurs d’ambulance.

Schiller rappela et Stanley Greenberg dit non. Il n’avait rien personnellement contre M. Schiller, mais il avait atteint un point de sa carrière qui ne lui permettait pas de s’engager avec un producteur qu’il ne connaissait pas. C’était ainsi, Stanley estimait que c’était beaucoup trop dangereux.

3

Si Greenberg avait accepté d’écrire le scénario, Schiller aurait pu obtenir d’avantage d’argent d’ABC. Maintenant, ils allaient sûrement demander une part des droits d’édition. C’était une chose qu’il ne voulait pas céder. Il allait falloir s’y prendre autrement. Peut-être vendre les lettres adressées à Nicole par Gary. Les échantillons qu’il avait lus dans l’article de Tamera Smith avaient l’air bons. Mais pour une telle transaction, il avait besoin d’une couverture. Il appela donc Scott Meredith à New York pour lui demander d’en être l’agent.

À son horreur, Meredith dit : « Larry, vous êtes sûr que vous avez les droits ? Susskind était ici tout à l’heure et prétendait qu’il les avait.

— Aucun contrat n’a encore été signé, répondit Schiller. Ni par moi ni par Susskind. Scott, c’est à vous de décider qui vous voulez croire. Je vous affirme que personne n’a signé. » « Alors, dit Meredith, quel argent utilisez-vous ? » « Je représente ABC, dit Schiller, mais je suis propriétaire des droits de presse et d’édition. » Meredith semblait très embêté. « Susskind vient de me dire qu’il représentait ABC.

— QUOI ?

— Mais, oui, dit Meredith, il m’assure qu’il représente ABC. »

Schiller appela Lou Rudolph à Los Angeles. « Qu’est-ce que vous fabriquez, hurla-t-il, ce n’est pas juste. » « Larry, répondit Rudolph, je vous jure que Susskind ne travaille pas pour ABC. » Il y eut un silence puis Rudolph reprit : « Ne quittez pas. Je vais appeler New York. » La réponse ne tarda pas. En fait, Susskind avait bien un accord avec le bureau de New York. New York n’en avait jamais parlé à Los Angeles et Los Angeles n’en avait jamais parlé à New York. Oh ! mes enfants.

Schiller était très ennuyé. Susskind venait de produire Eleanor and Franklin. En ce moment, personne ne pourrait avoir une meilleure cote à ABC.

Il dit à Lou Rudolph : « Quand Susskind a-t-il passé son accord ? Quelle est la date ? Je veux la date. Celui qui a passé un accord avec vous le premier est celui qui doit être appuyé par ABC. »

On retrouva les dates. Susskind n’avait pris contact avec aucun patron du studio avant le 9 novembre, le lendemain du jour où l’histoire de Gilmore avait fait pour la première fois son apparition à la une du New York Times. Schiller avait tâté le studio le 4.

« J’ai demandé le premier, fit Schiller, je veux l’appui du studio. » Il lui fut refusé. Il y eut des conversations téléphoniques entre New York, Los Angeles et Provo. Et enfin une décision. ABC allait retirer équitablement son soutien. Ni Susskind ni Schiller ne pouvaient dire maintenant que c’était un projet ABC. D’un autre côté, celui d’entre eux qui apporterait le premier le contrat Gilmore aurait l’argent. Schiller était au bord de l’apoplexie. ABC n’avait fait que se protéger. Les gens d’ABC ne voulaient tout simplement pas qu’on apprenne qu’ils étaient de foutus connards.

Susskind le rappela. Schiller se trouvait dans la cabine du drugstore de Walgreen et il entendait Susskind lui faire une proposition.

« Pourquoi nous battons-nous ? Pourquoi faire monter les prix ? demanda Susskind. Vous êtes sur place. Moi, je suis à New York. Associons-nous. » Schiller, on le pense bien, l’écoutait attentivement. « Je vais monter une société de production à Los Angeles, dit Susskind. Utilisons ce projet pour voir comment marchent nos relations. Après cela, peut-être ferez-vous des films pour nous. » « J’aimerais beaucoup faire des films avec vous, répondit Schiller, mais dans l’immédiat c’est un problème séparé, David. »

Schiller était si tenté qu’il en avait les narines frémissantes. C’était comme l’attente du premier rendez-vous quand on est jeune. Mais ça voulait dire aussi que ce serait Susskind qui ferait l’émission télévisée. Schiller décrocherait peut-être le projet, mais ça ne serait jamais le sien. Schiller déclara qu’il voulait réfléchir.

Après avoir raccroché, tout devint clair. Si Susskind voulait qu’ils unissent leurs forces, c’était parce que Susskind ne pouvait pas se procurer les droits sans lui. Ça signifiait donc que l’histoire lui appartenait. Il pouvait l’avoir, s’il était prêt à en accepter les soucis. Il voulait avoir les droits de l’histoire de Gary Gilmore comme jamais il n’avait rien désiré auparavant dans le domaine des affaires et de la création. Il ne savait pas pourquoi. C’était comme ça.

Ça voulait dire aussi qu’à partir de maintenant il allait avoir à chaque instant des problèmes d’argent.

Schiller s’apprêtait à repartir pour la Côte, avec Stephanie, pour passer le week-end de Thanksgiving. Il n’avait pas vu ses enfants depuis quelque temps, et il comptait les emmener à La Costa, à San Diego. Ce serait le premier Thanksgiving avec ses enfants en l’absence de sa femme, Judy. Alors que les gosses commençaient maintenant – il en avait l’impression – à aimer beaucoup Stephanie – compte tenu de leur fidélité envers leur mère – ce serait quand même un Thanksgiving avec des fantômes. Des fantômes en plus de tous ces foutus problèmes.

Il partit donc pour La Costa avec de solides problèmes économiques sur les épaules et il n’était pas arrivé depuis vingt-quatre heures que le vendredi 26, dans la soirée, il reçut un coup de fil de Moody. « Nous croyons que nous pouvons vous faire rencontrer Gary demain après-midi, dit l’avocat. S’il doit jamais y avoir une chance, c’est maintenant. »

4

Gibbs, tu ne croirais pas le volume de courrier que je reçois. Trente à quarante lettres par jour. Un tas de jeunes nanas, quinze, seize ans, mais il est vrai que j’ai toujours été un assez beau petit diable. Et tu ne croirais pas combien il existe en ce monde de fanatiques chrétiens et d’autres religions. J’ai reçu tant de Bibles que je pourrais ouvrir une église… Tu as besoin d’une Bible ? Un homme m’a écrit pour dire que s’il pouvait changer de place avec moi, il le ferait. Je crois que je vais lui répondre en disant : « Mon Dieu, ils viendront vous chercher lundi matin dès l’aube. » Je parie qu’ils auraient un sacré mal à trouver.

Tiens, j’ai obtenu le droit d’inviter cinq témoins à mon exécution, j’aimerais t’inviter pour pouvoir te dire adieu en personne. Dis-moi si tu veux venir…

 

Gibbs songea : ça doit être une première. J’ai été invité à des mariages, à des anniversaires, à des distributions de prix, mais je n’ai jamais entendu parler d’être invité à une exécution.

Il répondit : « Si tu veux que je sois là, j’y serai. »

Moody et Stanger préparaient le chemin pour Schiller. Aux autorités de la prison, ils expliquèrent qu’ils avaient à régler les problèmes techniques qui les dépassaient. Il fallait prévoir un étalement fiscal des revenus possibles que Gary pouvait tirer de l’histoire de sa vie, inclure ça dans un testament, ce qui impliquait dans le contrat de nombreux facteurs compliqués. Ils amenaient un nommé Schiller, de Californie, pour en discuter avec Gary. « Il vient en tant que votre conseiller ? » demanda-t-on à Moody et à Stanger. « Oui, répondirent-ils, en tant que notre conseiller. » Ils disaient la vérité. Mais ils la formulaient avec soin.

Schiller prit l’avion jusqu’à Salt Lake et se rendit en voiture à Pointe de la Montagne de bonne heure samedi après-midi. Il était très nerveux et avait peur de tout louper.

Le gardien décrocha un téléphone et parla pendant dix minutes avant de laisser entrer Larry. À son grand étonnement, Schiller ne passa pas plus de deux portes à barreaux coulissantes et de l’autre côté, à cinq ou six mètres au bout du couloir, dans une cellule fermée à clé sur la droite, il aperçut Gilmore qui le regardait par une petite fenêtre. Au bout du couloir, de l’autre côté, dans une pièce dont la porte était ouverte, se trouvaient Vern, Moody et Stanger, qui le dévisageaient tous en souriant. Il vit alors que Gilmore souriait aussi. Ils avaient réussi.

Vern fit les présentations et Larry, gardant son manteau, s’assit dans le fauteuil que Vern lui avait réservé. La porte resta ouverte. Il laissa son regard traverser les trois mètres de couloir jusqu’à la pièce où Gary se tenait et leurs yeux se croisèrent. Schiller comprit tout de suite que cet homme aimait regarder droit dans les yeux. Il fallait agir comme s’il était la seule force qui existât.

Ce genre d’épreuves ne gênait pas Schiller. Il avait constamment un subtil avantage : il n’y voyait que d’un œil. Son interlocuteur se heurtait toujours, dans l’autre œil, à une absence totale d’expression et s’y usait.

Gilmore, cependant, s’était installé derrière la petite fenêtre de telle façon que, si Schiller se penchait vers la gauche, lui, à son tour, devait aussi se pencher vers la gauche et maintenir ainsi l’encadrement de la fenêtre dans la même position par rapport à eux deux. C’était comme s’ils regardaient dans des viseurs. Comme il se trouvait loin de la vitre, Schiller commença à avoir l’impression que c’était lui qui était prisonnier alors que Gilmore était dehors, en liberté et qu’il le dévisageait.

Quoi qu’il en fût, Schiller attaqua son discours. Il dit, d’un ton formel : « Vous connaissez manifestement la raison de ma présence ici, en indiquant d’un léger déplacement de l’œil que, selon toute probabilité, les téléphones étaient sur table d’écoute. Bob et Vern vous ont sans nul doute expliqué que je suis ici pour vous conseiller, ajouta-t-il avec un petit sourire, en supputant toute la signification de ce mot, afin d’aborder les problèmes concernant votre succession, vos avoirs et des détails de ce genre. » Ils échangèrent un petit sourire. À ce moment un gardien vint s’asseoir sur un banc dans le couloir pas bien loin et Gary dit : « Pas la peine de s’occuper de lui », juste au moment où le gardien prenait un magazine et se mettait à le lire. « C’est, reprit Gilmore, l’un des deux types qui sont tout le temps avec moi, que je sois dans ma cellule ou dehors. D’assez braves types. » Il déclara cela comme l’aurait fait le chef d’une équipe qui savait que ses coéquipiers sont fiers de jouer avec lui. Schiller fut surpris de voir combien il avait l’air ordinaire. Cela faisait plus d’une semaine qu’il l’avait vu quitter l’hôpital et on pouvait dire qu’il avait beaucoup changé. Vern avait pourtant dit à Schiller que Gary faisait la grève de la faim, mais ça ne se voyait pas. Il avait l’air en bien meilleure santé que la dernière fois. Et plutôt calme.

D’après ce qu’avaient dit Vern, Moody, Stanger et Boaz, Larry s’attendait à rencontrer un homme pétillant d’intelligence et d’esprit. En fait il se trouvait devant un type dont on sentait qu’il ne serait pas à l’aise dans un restaurant où les tables seraient agrémentées de nappes.

Schiller estimait qu’il avait quinze à vingt minutes pour faire passer son message, aussi parla-t-il avec un débit dur et rapide, sans jamais quitter Gilmore des yeux et durant ces quinze premières minutes, pas une question ne fut posée, jusqu’au moment où Schiller finit par dire : « Si vous voulez m’interrompre, je vous en prie », mais Gilmore dit : « Non, non, j’écoute. » Schiller alors s’orienta vers le genre de discours qu’il avait tenu à Kathryne Baker et à Vern, sauf qu’il utilisait beaucoup le mot « merde », et aussi « connerie » et « me couillonner » et que de temps en temps il disait : « On a essayé de me le faire au baratin. » Pendant ce temps, il observa Gilmore et se dit : c’est ça, ce type avec un quotient intellectuel si élevé ? Schiller avait totalement terminé les quinze minutes préparées et il improvisait depuis un bon moment, lorsque Gilmore finit par intervenir pour la première fois pour dire : « Qui va jouer mon rôle dans le film ? »

Une demi-heure était passée. « Qui va jouer mon rôle dans le film ? » Pour Schiller, ça signifiait : à malin, malin et demi. « Voyez-vous, fit Gary d’un ton traînant, il y a un acteur, que j’aime bien. Je n’arrive pas à me rappeler son nom, mais il jouait dans un film qui s’appelait Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia et il était aussi dans un autre film avec Sam Peckinpah. » « Je crois, dit Schiller, que c’est de Warren Oates que vous voulez parler.

— Eh bien, fit Gilmore, il me plaît, ce type. Je voudrais qu’il joue mon rôle. (Il hocha la tête, regardant toujours Schiller droit dans les yeux et poursuivit :) Je veux, dans le cadre de notre accord, que ce soit cet acteur qui joue mon rôle dans le film. »

Schiller prit son temps et réfléchit avant de répondre. « Gary, dit-il, vous m’avez écouté, mais je ne sais pas encore grand-chose de vous. Peut-être qu’il n’y aura pas d’histoire possible. Commençons par établir un bon scénario avant de parler de quoi que ce soit d’autre.

— Je pense, dit Gilmore, que j’aimerais que Warren Oates joue mon rôle et je veux que ça fasse partie de l’accord.

— Ça n’est pas possible, fit Schiller, que j’inclue cette clause dans notre accord. Je ne peux pas vous lier à une condition qui pourrait vous coincer. Warren Oates pourrait ne pas être disponible. Je pourrais ne pas vouloir de Warren Oates. Il pourrait y avoir des acteurs qui conviennent mieux au rôle. Il se pourrait aussi qu’on puisse obtenir un gros paquet d’argent uniquement si on employait un autre acteur. Là, vous intervenez dans ma partie de l’affaire. Je dois dire non à l’idée que Warren Oates soit une condition de notre accord ! »

Gilmore eut un sourire. « Larry, dit-il, j’ai horreur de Warren Oates.

— Très bien, fit Schiller avec un grand sourire. Qui voulez-vous vraiment ?

— Gary Cooper, fit Gary Gilmore, c’est de lui que je tiens mon prénom. »

Ça brisa la glace. Maintenant Gilmore avait l’air disposé à parler de lui.

« Quand vous étiez gosse, demanda Schiller, que vouliez-vous être ?

— Un gangster, fit Gilmore, appartenir à une bande. » Il se mit à raconter comment, étant gosse, il était une petite canaille, piquant des choses ici, faisant un casse là. Un de ses amis et lui s’étaient trouvés pris dans une folle poursuite en voiture. Il avait fallu une demi-heure aux flics pour les avoir. Son visage s’éclairait en parlant. On aurait dit un type en train de vous parler des nanas séduisantes qu’il s’était envoyées.

Après avoir discuté à peu près trois quarts d’heure, Schiller dit : « Je vous ai parlé de moi et vous m’avez un peu parlé de vous, je pense que nous aurons encore l’occasion de bavarder et de décider si je peux vous être de quelque utilité. »

Gilmore demanda : « Vous avez un endroit où aller ?

— Non, dit Schiller, mais on ne va pas me laisser rester assis là jusqu’à demain.

— Pourquoi pas ? dit Gilmore. Restez toute la nuit.

— Vraiment ?

— Oh ! oui, Vern et moi on parle six heures d’affilée quand on en a envie. »

Schiller commençait à comprendre à quel point Gilmore contrôlait la situation. De temps en temps il se tournait vers le gardien pour dire : « Où sont mes comprimés ? » ou bien : « Apporte-moi mon café », et il déclarait ça d’un ton qui ne permettait pas de douter qu’il allait obtenir ce qu’il voulait. « Apporte-moi mon café », comme : « Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia. »

Mais, comme un long moment s’était passé et que le café n’était pas arrivé, Gilmore hurla tout d’un coup : « où est le café ? » Schiller avait bien constaté un peu d’agacement chez Gilmore, mais ça arriva vraiment sans avertissement, un cri perçant qui démontrait à Schiller l’insouciance absolue de Gilmore quant à la détestable impression qu’il pouvait faire sur Vern ou sur ses avocats. On aurait ressenti la même chose en parlant à une femme qui brusquement se serait mise à vociférer après ses gosses.

Un employé en uniforme blanc finit par apporter des comprimés, et Gary l’engueula copieusement. « Vous m’avez fait attendre une heure et quart, dit-il. Vous ne savez donc pas que quand je demande des médicaments, je suis censé les avoir de suite ? C’est le règlement. C’est vous autres qui faites le règlement et ensuite vous ne l’appliquez pas. » Il se montra si violent, en fait, que Schiller fut surpris de constater qu’on ne le ramenait pas de force dans sa cellule. C’était extraordinaire de se rendre compte jusqu’à quel point Gilmore pouvait aller.

Le café arriva bientôt, servi dans un gobelet en carton, et il se mit à crier avec colère qu’il n’était pas censé utiliser des ustensiles en carton. Le règlement prévoyait de la vraie vaisselle. Puis il dit à Schiller : « Ces types s’attendent à ce que je vive d’après le règlement, que je fasse mon temps d’après le règlement, que j’aille au lit d’après le règlement, que je sois exécuté d’après le règlement, mais ils passent leur temps à enfreindre le règlement. Ils l’enfreignent chaque fois qu’ils en ont envie. » Il se lança dans une tirade de dix minutes et tout d’un coup Schiller sut qui Gilmore lui rappelait : c’était Mohammed Ali faisant des déclamations extravagantes ; cette même voix dure, implacable, inhumaine que Mohammed savait prendre quand il le désirait. Schiller s’était trouvé un jour dans la chambre d’Ali, au Hilton à Manille, et il avait dû rester là une heure à écouter Mohammed Ali piquer une crise de colère. Gilmore avait le même ton. Il se moquait de ce qu’on pensait de lui. Schiller reprit donc : « Vous avez vraiment tué ces deux types, n’est-ce pas ? » « Bien sûr que oui », dit Gilmore, l’air presque vexé. Et Schiller dit alors : « Vous les avez tués », comme pour faire sentir qu’il y avait une énorme différence entre tuer quelqu’un dans un accès de rage et tuer de sang-froid, en ayant pleinement conscience du fait. Gilmore appartenait à la seconde catégorie. Il était capable de vous tuer parce que vous lui serviez du café dans une tasse en carton.

Ça refroidit pas mal l’ambiance de la conversation. Schiller comprit qu’il était temps de faire machine arrière, aussi dit-il : « Vern, vous voulez dire quelque chose ? » Et Vern prit l’appareil pour quelques minutes. Lorsque Schiller estima que l’atmosphère s’était de nouveau détendue, il dit : « Voyons, Gary, c’est l’heure du dîner. Vous voulez que je revienne après ? » Et Gilmore dit : « Oui, oh oui. On va rester toute la nuit à bavarder. » Il était redevenu plus chaleureux. Schiller s’en alla en songeant : « Mon vieux, ce que je vais pouvoir faire avec ce type ! C’est un sujet en or pour une interview. »

6

À mesure que l’interview se poursuivit, Moody et Stanger commencèrent à s’inquiéter à l’idée d’être découverts et gênés sur le plan professionnel. Ils n’auraient pas hésité à insister pour faire partir Schiller, mais Gary avait envie de continuer à bavarder. De toute évidence, il aimait ça. Comme les avocats ne pouvaient entendre que les propos de Schiller, ils n’avaient aucune idée précise de ce que disait Gary.

Ils en vinrent alors à se demander avec inquiétude s’il n’était pas en train de se mettre à table et de raconter toute l’histoire à Schiller sans se préoccuper du contrat. Gary était assurément radieux. C’était la première fois que Moody le voyait aussi enthousiaste. Cela confirma son impression que Schiller représentait un bon choix, mais cela les exposait aussi à un débordement par l’aile : si Schiller était en train d’obtenir des tonnes de matériel, il pourrait bien lui venir à l’idée de les doubler.

Au restaurant, Schiller demanda souvent si c’était toujours comme ça que se conduisait Gary. Tout le monde fut unanime à dire : « Mon Dieu, il n’a jamais parlé à personne comme il vous a parlé. » Schiller se demandait s’ils disaient ça pour l’amadouer, mais Vern dit d’un ton doux : « Je crois vraiment qu’il vous aime bien. » Aussi la confiance de Schiller se consolidait-elle. Lorsqu’ils revinrent, il se mit à parler à Gary d’un certain nombre de sujets, mais la conversation n’avait pas débuté depuis un quart d’heure qu’ils furent interrompus par le téléphone, et il y eut une longue conversation entre Moody et quelqu’un à l’autre bout du fil. Le directeur de la prison, ou le directeur adjoint. Schiller en avait terminé.

Gary était très énervé. Il n’arrêtait pas de demander : « Qui a dit ça ? Qui en a donné l’ordre ? Il fait partie de mon équipe d’avocats. Il a le droit d’être ici. » Schiller dit : « Ne vous en faites pas, Gary, nous aurons largement le temps. » Moody, alors, se leva et dit : « Tenez, Gary, voici le contrat dont nous avons discuté. » Ils brandirent une longue feuille de papier et se mirent à énoncer des sommes au téléphone. Gary dit : « Oui, faites taper ça. Je regarderai encore une fois et je signerai. »

Une fois les avocats et Schiller partis, Gary demanda à Vern : « À ton avis, c’est le type qu’il nous faut ? » Vern répondit : « Je ne sais pas encore exactement, mais je crois que oui.

— Et Susskind ? » demanda Gary. Mais il répondit lui-même. « J’ai l’impression que M. Schiller est notre homme. J’aime bien sa façon de traiter les affaires. »

Ce samedi soir et le dimanche matin, Schiller travailla avec Moody et Stanger à établir les contrats, à y apporter des modifications, et firent venir les secrétaires pour faire fonctionner ces foutues machines à écrire. Les avocats n’allèrent pas au service religieux, et ce fut le sujet de nombreuses plaisanteries. Mais le dimanche après-midi les contrats étaient rédigés et Schiller regagna son motel en attendant la signature.

À peu près au même moment, Boaz appela Susskind en P.C.V. Il appelait toujours en P.C.V. Susskind dit : « Vous n’avez même pas le téléphone ? » Dennis se mit à rire.

« Écoutez, fit Susskind, vous êtes allé trop loin. Je ne sais pas ce que vous avez fait, mais vous n’êtes plus dans le coup et il y en a d’autres qui y sont. Vous n’avez plus aucun droit sur cette affaire. » « Oh ! non, dit Boaz, ça ne peut pas se faire sans moi.

— Oh que si, rétorqua Susskind, ça peut se faire et ça se fera. Et ce n’est pas moi qui vais le faire. » « Écoutez, dit Dennis, je ne suis peut-être plus l’avocat de l’affaire, mais j’ai quelques documents et j’ai… » Susskind décréta qu’il battait vraiment la campagne. « Vous êtes un imposteur, déclara-t-il, un menteur et un type qui fait de l’esbroufe. J’estime que vous êtes un peu reluisant personnage. Ne me retéléphonez plus jamais, ni en P.C.V. ni autrement. » Il n’était pas exagéré de dire que les choses se terminaient sur une note extrêmement désagréable.

7

Moody et Stanger se reposèrent un peu puis, en fin d’après-midi du dimanche, ils se rendirent à la prison. Par le téléphone intérieur ils énumérèrent les termes du contrat. Gary n’exigeait pas beaucoup de changements, et ce fut seulement lorsqu’ils discutèrent de l’utilisation de ses lettres qu’il se mit en colère. Il raya la clause et écrivit sur le contrat qu’il n’accordait aucune autorisation de les utiliser avant d’en avoir parlé à Nicole. Les avocats essayèrent de discuter. « Vous ne pouvez guère intervenir sur ce sujet, le prévint Moody, ces lettres sont maintenant la propriété absolue de Nicole.

— Eh bien, bon Dieu ! insista Gary, on ne les publiera pas sans mon accord. »

Pendant ce temps-là Schiller attendait dans sa chambre. Il resta dans son motel jusqu’à 3 heures du matin le lundi, attendant qu’ils appellent. Il téléphona même à la prison où il apprit qu’ils n’étaient plus là. Puis, il téléphona au domicile de Moody et le réveilla. Ils étaient rentrés depuis longtemps. En fait, depuis 8 heures et demie du soir. Tout simplement l’idée ne leur était pas venue qu’il pouvait attendre. Et pourtant, pour s’occuper, Larry avait fait défiler dans sa tête une série de scénarios plus désespérés les uns que les autres.

8

Le Gros Jake revint avec un grand pot de café soluble, un grand pot de jus d’orange et une cartouche de cigarettes de la marque que fumait Gibbs, des Viceroy super-longues. Il dit à Gibbs que Gary avait demandé à Vern Damico de les déposer à la prison. Il y avait aussi un message : Gibbs, tout d’un coup, je suis devenu plutôt riche : si tu as besoin de n’importe quoi, tu n’as qu’à demander. Gibbs se dit que Gary avait dû vendre l’histoire de sa vie à quelqu’un. Ceci dit, il se versa un gobelet de jus d’orange.

Boaz appela Susskind une dernière fois. Ça n’était pas en P.C.V. « Je vous l’ai dit, fit Susskind, je ne veux plus entendre parler de vous. » Boaz assura : « J’ai un point de vue tout à fait nouveau. Je veux écrire mon histoire. » « Boaz, répondit Susskind, vous êtes fou. » « Non, insista Dennis, la véritable histoire extraordinaire, c’est la mienne. C’est une histoire formidable, répéta Dennis. J’ai pris des notes. » « Je vous en prie, je vous prie, dit Susskind, allez voir M. Schiller. Je suis sûr qu’il serait ravi de vous voir. »

Le lendemain, Gibbs reçut une carte blanche dans une enveloppe. Gary avait rédigé dessus une invitation :

 

BANG !

BANG !

Une vraie fusillade en direct !

Mme Bessie Gilmore, de Milwaukie, Oregon, vous invite cordialement à l’exécution de son fils, Gary Mark Gilmore, trente-six ans.

Adresse : Prison d’État de l’Utah. Draper, Utah.

Heure : Lever du soleil.

ON FOURNIRA LES BALLES ET LES PROTÈGE-TYMPANS.

Avec la carte était jointe une lettre :

Je vais dans peu de temps distribuer un tas d’argent. J’aimerais te donner à peu près deux mille (2000) dollars. Je t’en prie, ne dis pas non. Accepte-le comme je te le donne, en ami. Autant que je te donne un peu de mon argent, parce que sans ça, je le donnerai tout bonnement à quelqu’un d’autre.