SALT LAKE TRIBUNE
Les chefs de l’Église mormone expriment leur opinion sur la peine capitale.
13 novembre 1976. – Mgr McDougall a déclaré que la majorité des théologiens modernes sont opposés à la peine capitale, estimant que la peine de mort tend à œuvrer contre ceux qui sont désavantagés sur le plan social et économique.
Le révérend Jay H. Confair, pasteur de l’Église presbytérienne de Wasatch, 1626 17e rue Est, a déclaré : « La notion « œil pour œil » de l’Ancien Testament a été remplacée par les concepts d’amour et de réhabilitation du Nouveau Testament. »
« Mais l’affaire Gilmore est un problème différent, a ajouté le pasteur Confair. L’homme veut mourir. Il ne veut pas être récupéré », et il a fait remarquer que son cas est similaire à celui d’un malade maintenu en vie dans un hôpital par des machines et qui veut « être débranché ».
Bien des gens, ici, tout en déclarant qu’ils sont partisans de la peine de mort, surtout pour des crimes aussi violents que celui de Gilmore, disent aussi qu’ils ne peuvent supporter l’idée de prendre part à l’exécution proprement dite.
« Pas question de me traîner là-bas, a dit Noall T. Wootton, le procureur qui a dirigé l’accusation contre Gilmore. J’ai fait mon travail. J’ai demandé et obtenu la peine capitale – et je crois à l’efficacité de cette peine. Mais l’exécution est une opération répugnante et je ne veux pas y participer. »
SALT LAKE TRIBUNE
Le vieux fusil est encore prêt si besoin en est.
13 novembre 1976. – Un fusil, qui se trouve actuellement dans un magasin d’armes et qui a été utilisé lors de précédentes exécutions dans l’Utah, se trouvera parmi les cinq prêtés aux services du shérif du comté de Salt Lake si le meurtrier condamné à mort Gary Mark Gilmore est exécuté.
Léo Gallenson, un des directeurs du magasin, a déclaré que ce fusil qui n’a jamais été destiné à la vente, a dû être utilisé entre six et douze fois au cours d’exécutions.
LOS ANGELES TIMES
L’ancien patron du tueur de l’Utah prêt à faire partie du peloton d’exécution.
14 novembre 1976, Provo, Utah. –… Spencer McGrath avait offert à Gary Mark Gilmore une bonne place et lui donnait de dix à vingt dollars de supplément chaque semaine de sa poche. Il avait fait, à ses frais, réparer la voiture de Gilmore et l’a gardé parmi ses employés même quand celui-ci s’est mis à boire et à arriver en retard au travail.
Aujourd’hui, McGrath, un homme plutôt bienveillant qui dirige un atelier de matériaux isolants et qui a déjà aidé de nombreux anciens détenus, affirme qu’il serait prêt à faire partie du peloton d’exécution que réclame Gilmore, « rien que pour montrer à Gary que les lois s’appliquent aussi à lui ».
14 novembre
Mon chou, je suis en train de devenir très célèbre.
Je n’aime pas ça… Pas de cette façon, ça n’est pas bien.
Je crois parfois que je sais ce que c’est que la célébrité et quel effet ça fait parce que j’ai été célèbre dans une vie antérieure. J’ai l’impression de le comprendre. Mais je ne veux pas en arriver au point où nous savourerons la gloire sans ne plus être nous-mêmes. Nous ne sommes que GARY ET NICOLE et il ne faut pas oublier ça.
14 novembre
Salut Gibbs.
Ça n’était qu’oune enfant.
Content d’avoir de tes nouvelles – tu sais que tu as pas mal de classe toi aussi.
Si un jour tu es plein aux as et que tu as quelques dollars à dépenser, je suis sûr que ma mère pourrait les utiliser. Elle est vieille, infirme et ne vit que de sa pension. Même maintenant, si tu voulais bien lui écrire une lettre pour l’aider un peu à digérer ça…
Merci pour le billet de dix.
Ton ami Gary
Gibbs se demanda : comment écrit-on à la mère de quelqu’un quand on ne l’a jamais vue ?
Chère madame Gilmore, tout va bien se passer. Quatre seulement des cinq fusils sont chargés.
Il demanda au Gros Jake de lui trouver une jolie carte postale et Gibbs y joignit trente dollars et la lui posta.
LOS ANGELES TIMES
La pittoresque carrière de l’avocat de la mort
14 novembre. – Ce n’est qu’en janvier dernier que Boaz est parti en croisade contre ce qu’il appelle l’« hypocrisie du système », tout en tentant sans succès de se faire arrêter pour fumer de la marijuana dans le hall du bâtiment fédéral de cette ville.
Il vient maintenant de se présenter à la prison d’État de l’Utah, à Draper, en qualité tout à la fois d’avocat et de biographe du condamné Gary Gilmore.
Ce double rôle est impossible à tenir en respectant les règles du Barreau de l’État d’Utah, a déclaré Craig Snyder. Ces règlements exigent qu’un avocat représente un client et non pas son portefeuille. « Si cette exécution a lieu, a dit Snyder, Boaz va en tirer profit. »
Bien que Boaz ait été critiqué pour avoir exploité son client, le doyen adjoint de Boalt Hall, James Hill, garde néanmoins de lui un bon souvenir.
« C’est un garçon timide, modeste et tendre, un très brave type », raconte Hill qui dit avoir vu Boaz de temps en temps depuis son départ de l’université.
SALT LAKE TRIBUNE
15 novembre 1976… Utah. – Le meurtrier Gary Gilmore voulait mourir à 8 heures aujourd’hui. En fait, il a pris ce matin un petit déjeuner de petits pains au lait, de céréales, d’oranges, de café au lait et a regagné sa cellule dans le quartier des condamnés à mort. Gilmore recevra aujourd’hui la visite de Nicole Barrett, vingt ans, divorcée et mère de deux enfants.
« Il tient beaucoup à cette fille et elle doit tenir beaucoup à lui, sinon elle ne ferait pas ce qu’elle fait maintenant », (rendre visite à Gilmore) a déclaré Vern, l’oncle de Gilmore.
Boaz, qui a passé trois heures et demie avec Gilmore dimanche soir, a annoncé que son client aimerait rencontrer le chanteur Johnny Cash.
« Il n’y a pas de plus grand admirateur de Johnny Cash », a affirmé Boaz. Il a adressé un télégramme au chanteur pour l’informer du souhait de Gilmore.
Vern n’avait pas vu Gary depuis près de six semaines, depuis le dernier jour du procès. En allant lui rendre visite, il se sentait mal à l’aise. Vern venait de quitter l’hôpital après s’être fait opérer de son genou et marcher, même avec une canne, lui était extrêmement douloureux, comme si, à chaque pas, on lui enfonçait un clou dans l’os. Ce fut un long et pénible trajet depuis l’endroit où il dut laisser sa voiture près de la porte de la prison, jusqu’au quartier de haute surveillance. Ça lui faisait vraiment serrer les dents que de poser un pied devant l’autre le long du parcours d’une centaine de mètres au moins qu’il dut faire entre deux clôtures parallèles de barbelés.
Dans la salle des visiteurs, avec un air plus robuste que Vern ne lui avait jamais vu, Gary exhiba immédiatement la lettre furieuse que Ida lui avait écrite.
Vern dit : « Écoute, c’est toi qui as écrit le premier une lettre désagréable. Tu ne voulais plus rien avoir à faire avec nous. »
Ils se regardèrent, et Vern poursuivit : « Gary, nous ne t’en voulons pas. Nous voulons t’aider, au contraire.
— Bon, fit Gary, j’ai des remords d’avoir écrit cette lettre à Ida et je veux m’excuser.
— Ida aussi veut te faire ses excuses, dit Vern. Elle voudrait que tu déchires sa lettre comme elle a déchiré la tienne. Jette-la dans les toilettes. » On n’en parla plus. Gary semblait soulagé et ils discutèrent un petit moment. Dans l’ensemble, ça ne fut pas une mauvaise visite.
Lorsque Dennis arriva à la prison le lundi matin, Vern venait de partir. Il ne fallut pas longtemps à Boaz pour comprendre que le vieil oncle Vern était de nouveau dans le coup. Gary parlait de son oncle en termes élogieux et affectueux.
Dennis ne l’avait jamais entendu s’exprimer ainsi avant. Jusqu’alors, il exprimait plutôt pas mal de ressentiment, et voilà que tout d’un coup Gary avait ce revirement complet envers son oncle. Pour Dennis il était évident que Gary avait vraiment envie d’être aimé par sa famille. Peu importait ce qui s’était passé avant.
La veille, Dennis avait eu une drôle de discussion avec lui. Le samedi, Gary avait insisté pour que Dennis lui apporte en douce cinquante comprimés de deux somnifères différents. Dennis le lui promit mais une fois rentré chez lui, cette idée l'empêcha de dormir. Le lendemain, il dut se résoudre à dire à Gary qu'en aucun cas il ne voulait faire une chose pareille, mais ça l'avait secoué. Dimanche soir, en revenant chez Everson, Dennis perçut nettement que l'idée du suicide se précisait. Dès l'instant où il alluma la radio, il tomba sur le Blue Oyster Cuit. Pendant les deux derniers jours, ils avaient été largement diffusés et en ce moment même, Dennis écoutait les paroles de N'aie pas peur de la Faucheuse. De quoi vous geler le sang. « Allons, bébé, n'aie pas peur de la faucheuse, se prit à fredonner Dennis, Roméo et Juliette sont unis dans l'éternité. » Mon Dieu, il y avait de quoi devenir fou si on se lançait dans le synchronisme, songea Dennis, percevant le grand enchaînement de toutes les petites choses. C'était effarant. De quoi vous embrouiller les idées.
Le lundi, après la visite de Vern, Brenda reçut un coup de téléphone de Gary qui lui demanda le nom du médecin qui soignait sa fille. Il voulait que le docteur s'assure que sa glande pituitaire irait à Cristie, après son exécution. Comme Johnny et Brenda dépensaient tout leur argent pour que Cristie ne manquât pas d'extrait de glande pituitaire, qui était le produit le plus cher du monde, cet appel de Gary arrivant ainsi, pour annoncer à Brenda qu'il voulait que le docteur s'assure qu'après sa mort sa glande pituitaire serait utilisée pour Cristie, c'était comme s'il lui donnait mille dollars. Ce fut une conversation démente. Brenda ne savait pas s'ils étaient de nouveau amis. « Prends garde à toi, Gary », dit-elle à la fin. Il se contenta de raccrocher.
Ce matin-là, lorsque Tamera entra dans la salle des informations, son rédacteur en chef lui dit : « On reçoit un tas de coups de fil à propos de Nicole. Ton article n'attendra pas l'exécution de Gary. Je veux que tu obtiennes de Nicole la permission de le publier. »
En roulant vers Springville, Tamera ne savait pas comment le lui demander. Mais lorsqu'elle exposa son problème à Nicole, celle-ci eut un sourire et dit : « Eh bien, il faut que je vous confesse quelque chose. J'ai décidé d'accorder une interview, pour deux mille dollars. » Une filiale de la N.B.C. à Boston — c'était du moins ce que Nicole avait compris — avait envoyé un grand type, beau garçon, Jeff Newman, qui avait des cheveux bouclés, des yeux bleus et une barbe. Il l'avait persuadée. Elle devait donner son interview le vendredi. Tamera découvrit par la suite que c'était en fait le National Enquirer, et non pas une filiale à Boston de N.B.C. Mais sur le moment, sa seule réaction fut que Nicole lui avait dit qu'elle pouvait y aller. Tamera la quitta donc en très bons termes. Elle retourna au bureau et passa le reste de la soirée à travailler sur son article.
Au cours de la semaine précédente, Nicole était allée consulter plusieurs médecins dont elle avait relevé l’adresse dans l’annuaire, afin de les consulter sur le fait qu’elle était très énervée et qu’elle n’arrivait pas à dormir. La seule chose qui marchait, c’étaient les somnifères, disait-elle.
Elle réussit à en recueillir cinquante d’une marque et vingt d’une autre. Maintenant qu’il fallait qu’elle s’occupe de Gary, elle décida que lundi matin serait le bon moment pour les lui faire passer. Elle partagea donc les médicaments en deux, vingt-cinq d’une marque et dix de l’autre pour Gary, le reste pour elle. Puis elle mit les comprimés de Gary dans une petite balle de gosse, deux balles, en fait. Jaunes toutes les deux, l’une à l’intérieur de l’autre. Puis elle les introduisit dans son vagin.
Pendant tout le trajet jusqu’à la prison, elle eut peur de se faire gronder par Gary. Il n’avait pas cessé de lui répéter de s’en procurer plus. Il la poussait et la poussait à aller trouver de nouveaux médecins, mais elle avait le sentiment qu’aucun de ces docteurs ne lui faisait confiance et que si elle allait en trouver un de plus, ça pouvait tout faire échouer. Ces médecins pourraient bien même appeler les flics dix minutes après lui avoir donné leurs ordonnances. Elle avait ruminé ça toute la journée du dimanche. Et voilà que maintenant elle se retrouvait au quartier de haute surveillance avec ces balles cachées dans son ventre.
On la fouilla, mais la surveillante ne lui mit les doigts nulle part, elle se contenta de regarder sous ses aisselles et à l’intérieur de ses joues, d’inspecter ses longs cheveux. C’était une fouille tout à fait convenable et, d’ailleurs, la surveillante aurait dû avoir le doigt très long, car la balle était bien enfoncée.
Pour une fois, dans la salle de visites, il n’y avait personne, rien que le gardien dans sa cage de verre. Gary et elle allèrent s’installer sur la chaise près de la fenêtre et elle s’assit sur ses genoux. Parfois on les laissait faire, d’autres fois non, mais ce jour-là le gardien ne les ennuya pas. Ils purent se peloter tout à loisir. Une vraie chance. Car il y avait quelquefois jusqu’à quatre ou cinq personnes dans la pièce, un, deux ou trois avocats, mais cette fois Gary et elle étaient seuls.
Comme elle était assise sur ses genoux, Gary essaya d’enfoncer son doigt pour attraper la balle, mais sans résultat. Elle était trop loin. En fin de compte, Nicole se planta devant la fenêtre, et Gary la serra par-derrière pour que le gardien ne puisse pas la voir. Dans cette position, les bras de Gary lui entourant les épaules, elle plongea une main sous sa jupe pour attraper la balle. Un sacré boulot. Elle l’avait placée si haut que ses doigts ne rencontraient rien. Elle en arriva au point qu’elle fut obligée de pousser comme pour accoucher. Elle poussa même si fort, tout en enfonçant ses doigts le plus loin possible, que lorsqu’elle parvint enfin à attraper la balle, elle en avait la migraine. Des étoiles dansaient devant ses yeux. Elle avait l’impression que sa tête venait d’éclater ou tout au moins qu’elle s’était fait péter un vaisseau sanguin. Gary ne se rendait pas compte de ce qu’elle avait enduré. Il s’était contenté de lui murmurer des paroles douces et encourageantes.
Lorsqu’elle lui eut donné la balle, Gary s’assit et passa la main par le devant de son grand pantalon large et flottant, pour s’enfoncer la balle dans le rectum. Ce fut lent et difficile, pas commode du tout, et ça lui prit plus d’une minute. Quand ce fut fait, il dit simplement : « Voilà, elle est en place. » Elle s’assit alors sur ses genoux et l’embrassa.
Elle se sentait bien. Elle mesurait maintenant à quel point elle s’était inquiétée. Nicole était persuadée que la prison avait été alertée par les médecins et qu’on allait la fouiller soigneusement. Elle était donc fière de ce qu’elle venait de faire, et Gary était encore plus fier d’elle. La visite se prolongea encore au moins une heure. Ils se bécotaient comme des dingues. C’était la plus belle de toutes leurs visites. Quand ils ne s’embrassaient pas, ils se chantaient des chansons. Aucun d’eux ne savait chanter mais c’était beau quand même. Jamais de sa vie elle ne s’était sentie aussi proche de l’âme de qui que ce soit.
Ce jour-là, Marie Barrett reçut un coup de fil de Nicole lui demandant si elle voulait passer la prendre. Nicole voulait venir avec Sunny. Elles s’installèrent dans la salle de séjour pour regarder Sybil à la télé, et Nicole fit la remarque que la fille ressemblait à April. Elle alla dans la chambre pour lire des histoires à Sunny, l’écouta dire ses prières, puis alla faire la conversation dans le salon avec Marie et son ex-beau-père Tom Barrett, qu’elle aimait bien aussi. Enfin, elle finit par rentrer, bien qu’elle n’en eût guère envie.
Ensuite, elle alla faire des courses avec sa voisine, Cathy Maynard. Le centre commercial était ouvert jusqu’à 9 heures du soir et Nicole se lança dans une orgie de dépenses en achetant des albums à colorier et des crayons pour tous les gosses de Cathy. Lorsqu’elles revinrent, elle tendit dix dollars à Cathy en lui disant : « Allons, si tu ne les prends pas, tu vas me faire de la peine. » Cathy la regarda. Cathy n’était pas très grande, elle avait des cheveux blond cendré, des yeux un peu ronds et un visage doux et simple. Elle avait l’air ahurie. Nicole insista : « Profites-en. » « À demain matin », dit Cathy. « À demain matin », répondit Nicole.
Maintenant seule dans l’appartement avec Jeremy qui dormait à poings fermés, Nicole attendait minuit. C’était l’heure que Gary et elle avaient choisie pour absorber les comprimés, seulement le temps semblait long pour y arriver. Nicole ne cessait de penser combien Gary était inquiet à l’idée que la quantité ne fût pas suffisante. Il lui avait expliqué que si on en prenait assez pour vous faire perdre conscience, mais pas assez pour mourir, on pouvait devenir un légume. Il y avait vraiment de quoi s’inquiéter. Ils étaient pourtant convenus de le faire quand même. Ou bien ça marcherait ou bien ça ne marcherait pas. Nicole sortit alors son testament contenant ses dernières volontés. Elle avait passé toute sa journée de dimanche à le rédiger et elle le relut pour voir s’il n’y avait pas trop de fautes d’orthographe. Elle était à peu près sûre d’ailleurs d’en avoir fait quelques-unes. C’était un long testament et il y avait sans doute des erreurs qu’elle n’avait pas remarquées, mais elle en était quand même contente.
Nicole K. Baker
Dimanche 14 novembre 1976
À TOUTES FINS UTILES :
Moi, Nicole Kathryne Baker, ai un certain nombre de requêtes personnelles que je désirerais voir exaucées au cas où à un moment quelconque, on me retrouve morte.
Je me considère comme totalement saine d’esprit, si bien que ce que j’écris ici devra à tous égards être pris au sérieux.
Au moment où j’écris ces lignes, je suis engagée dans une procédure de divorce avec un homme du nom de Steve Hudson.
À mon avis, l’éventualité de ma mort devrait dissoudre tous les liens avec cet homme et le divorce être prononcé et enregistré a tout prix.
Je désire qu’on me rende mon nom de jeune fille qui est Baker. Et que personne ne me cite jamais sous un autre nom.
L’acte de naissance de ma fille mentionne qu’elle s’appelle Sunny Marie Baker, bien qu’à l’époque de sa naissance, je me sois trouvée légalement mariée à son père, James Paul Barrett.
L’acte de naissance de mon fils stipule que son nom est Jeremy Kip Barrett. J’étais à cette époque encore mariée à James Paul Barrett, mais ce n’est pas lui le père de Jeremy.
Le père de Jeremy est feu Alfred Kip Ederhardt.
Jeremy a donc légalement des grands-parents dont le nom de famille est Ederhardt et qui désireront peut-être être informés de l’endroit où il se trouve. Ils résident à Paoli, en Pennsylvanie, je crois.
Quant à la garde et à l’entretien de mes enfants, je n’exprime pas seulement le désir mais la volonté que la responsabilité de les élever et toutes décisions les concernant soient confiées directement et immédiatement aux mains de Thomas Giles Barrett et/ou Marie Barrett de Springville, Utah.
Si les Barrett souhaitent adopter mes enfants, ils ont mon consentement. Cela, bien sûr, jusqu’à ce que les enfants aient l’âge légal de choisir eux-mêmes.
J’ai une bague avec une perle qui est au clou chez un prêteur de Springville. J’aimerais vraiment que quelqu’un la sorte pour la donner à ma petite sœur, April L. Baker.
J’ai pris aussi des dispositions pour qu’une somme d’argent soit consacrée au problème de la santé mentale d’April. Ma mère ne devrait pas dépenser cet argent pour autre chose que pour payer les frais d’une bonne clinique capable d’aider April à retrouver sa santé d’esprit.
Maintenant quant à la décision de ce que l’on devra faire de mon cadavre, je demande qu’il soit incinéré. Et avec le consentement de Mme Bessie Gilmore, j’aimerais que mes cendres soient mêlées à celles de son fils, Gary Mark Gilmore. Pour être ensuite, à toute date adéquate, répandues au flanc d’une colline verdoyante de l’État d’Oregon et aussi de l’État de Washington.
Si ma mère et mon père, Charles R. Baker et Kathryne N. Baker, sont hostiles à cette demande, qu’il en soit fait selon leur volonté. Qu’ils décident.
Je demande aussi qu’ils s’arrangent pour qu’au moins trois chansons soient chantées à mon enterrement…
Une chanson écrite par John Newton intitulée Amazing Grace, une de Kris Kristofferson intitulée Pourquoi moi ? et enfin une chanson intitulée Valley of tears, dont je ne connais pas l’auteur.
Si d’autres personnes, parents ou amis, souhaitent chanter ou faire chanter d’autres chansons à mon enterrement pour moi ou pour ceux qui pleurent, sont sensibles ou indifférents à ma disparition, eh bien… je leur en serai reconnaissante.
Maintenant qu’elle l’avait relu, Nicole se rendait compte qu’elle avait plus à dire, un tout petit peu plus. Elle n’avait pas vraiment disposé de ses affaires. Dans le silence de son appartement, elle s’assit à la table devant une feuille de papier :
Nicole K. Baker
Lundi 15 novembre 1976
Je n’ai pas beaucoup envie d’écrire aujourd’hui. Mais je suppose qu’il y a des choses encore dont il faut que je m’occupe.
Juste ce qui suit.
Bien entendu, ma mère peut décider de ce qu’elle veut faire de tout ce qui se trouve dans mon appartement.
Je n’ai rien ici de grande valeur sauf le tableau de deux petits garçons qui regardent la lune. Toutefois il appartient maintenant à Sunny Marie Barrett. Il doit être accroché dans sa chambre dans la maison de Tom et Marie Barrett – jusqu'à ou à moins qu'elle ne demande qu'on l’enlève – et je préférerais qu'elle ne le vende jamais – ce sera à elle de choisir lorsqu’elle aura atteint dix-huit ans.
Je le déclare une fois de plus : le tableau des deux petits garçons regardant la lune et peint par Gary Gilmore appartient maintenant à Sunny Marie Baker Barrett.
Ma mère a mon plein accord pour prendre tout ou partie de mes lettres et en faire ce que bon lui semble. Si elles peuvent en quelque façon lui rapporter de l’argent, alors j’en serai d’autant plus contente. Mais je désirerais qu’elle partage l’argent comme cela lui semble juste, avec tous mes frères et sœurs et aussi avec ma tante, Kathy Kampmann.
Comme il y a tant de gens qui essaient – et qui y réussissent – de gagner de l’argent avec l’histoire de Gary Gilmore et de moi, j’aimerais autant que ce soit quelqu’un que j’aime, à qui je suis attachée et en qui j’ai confiance, qui participe à cette réussite. Alors… les lettres sont à ma mère, Kathryne N. Baker.
Si elle souhaite les brûler, qu’il en soit ainsi.
Ma mère n’a sans doute pas grand-chose à faire de tout ce qu’il y a dans la maison – qui est sans valeur – alors j’aimerais vraiment que ma bonne amie Kathy Maynard prenne tout ce qu’elle veut dans mon mobilier et tout ce qui est accroché à mon mur – n’importe quoi dans cet appartement que ma mère ne répugnerait pas trop à abandonner. J’espère que maman sera raisonnable à ce sujet. Kathy M. m’a aidée à passer plus d’une longue et dure journée, elle n’a pas beaucoup de meubles ni de choses comme ça… C’est tout.
NICOLE K. BAKER
Il y avait tout un tas de comprimés et elle les prit lentement, en avalant un ou deux à la fois, prenant soin de ne pas s’étrangler. Si elle vomissait, tout serait foutu. Au beau milieu de son absorption, elle se mit à penser à un tas de choses. Elle se souvint du type de la station de télévision de Boston qui devait lui payer les deux mille dollars et se demanda s’il tiendrait sa parole alors qu’elle ne serait plus là. Sans cette somme, où April trouverait-elle l’argent pour sa clinique ? Elle pensait aussi qu’il avait dit qu’il viendrait le matin et que se passerait-il si elle ne répondait pas à son coup de sonnette ? Entrerait-il ? Si elle n’était pas encore morte, on pourrait la ranimer. Elle devait donc décider si elle allait ou non fermer la porte à clef.
Elle voulait que personne ne puisse entrer. Mais s’il fallait enfoncer la porte, ce bruit pourrait terrifier Jeremy. D’un autre côté, si la porte n’était pas fermée à clef, Jeremy pourrait l’ouvrir sans mal et s’en aller vagabonder le lendemain matin. Kathy Maynard pourrait le retrouver, le ramener à la maison et la découvrir trop tôt. Nicole finit par tourner le verrou. Mais ça la navrait de penser à Jeremy qui pleurerait demain en la regardant.
Elle prenait maintenant trois ou quatre comprimés à la fois avec de l’eau et agissait comme si Gary était assis près d’elle. Il n’y avait pas eu une minute tous ces jours-ci où elle n’avait pas pensé à lui. Mais maintenant il était tout proche et elle commença à se dire qu’elle allait être bientôt avec lui et comme elle lui faisait confiance elle n’avait pas peur. Puis elle songea à s’allonger sans ses vêtements et se demanda ce qu’elle devait faire. Elle ne voulait pas mourir tout habillée, cela c’était sûr. Mais ça lui faisait quand même un drôle d’effet d’enlever ses vêtements. Les journalistes pourraient venir demain matin et regarder son corps.
En se mettant au lit elle prit une photo de Gary qu’elle plaça sur l’oreiller et posa la main dessus. Elle se sentit encore un peu plus nue. Et puis les comprimés commencèrent à faire leur effet. Elle sentait que ça venait. Elle se leva et marcha un peu, rien que pour avoir cette agréable sensation de ses jambes se déplaçant dans un délicieux flottement. C’était rudement captivant, comme si elle apprenait à marcher pour la première fois. Puis ses jambes commencèrent à peser. Elle s’allongea et reprit la photo de Gary puis pensa à la lettre qu’elle avait écrite dix minutes avant d’avaler les comprimés. Relisant son testament contenant ses dernières volontés et la lettre dans laquelle elle disposait de son mobilier, elle se dit qu’il n’y avait vraiment rien de très personnel pour sa mère et pour sa famille. Elle allait donc écrire une lettre supplémentaire, mais en même temps sa pensée alla vers Kathy Maynard, juste à côté, qui était la plus charmante voisine qu’elle eût jamais eue, un véritable ange. Cette toute dernière lettre commença à surgir dans son esprit et Nicole s’endormit.
Lundi 15 novembre 1976
Maman, papa, Rik, April, Mike mon ange
Tout le monde sait que je vous aime et que vous comptez pour moi.
Surtout ne m’en veuillez pas de quitter cette vie.
J’essaie de ne faire de mal à personne – si je pouvais vous épargner à tous la moindre douleur, je le ferais sûrement.
Mais je m’en vais. Parce que j’en ai une véritable envie.
Vouloir une chose comme ça – et ne pas me l’accorder – me transformerait sûrement en une vieille femme laide et amère avec le temps, ou peut-être que je perdrais ma raison.
Je crois que vous tous comprenez à peu près ce qu’il y a entre Gary et moi. Sinon, eh bien, le temps vous l’apprendra.
Je l’aime. Plus que la vie et plus que ça.
Et je vous aime tous beaucoup. Je n’aurais jamais pu demander une meilleure famille. On en a vu de dures une fois ou deux, mais j’espère que tout le mal que j’ai pu faire à l’un de vous me sera pardonné aussi facilement que je pardonne.
Je ne peux plus parler. Je regrette de ne pas avoir écrit ça plus tôt. J’avais tant de choses à dire.
Enfin, on finira tous par y voir clair rien qu’en sachant que je vous aime tous aujourd’hui et que je vous aimerai toujours.
Je vous en prie, essayez aussi de ne pas avoir de chagrin pour moi… et de ne pas en vouloir à Gary.
Je l’aime.
J’ai fait mon choix.
Je ne le regrette pas.
Je vous en prie, aimez toujours mes enfants comme ils font partie de la famille.
Ne leur cachez jamais aucune vérité.
Quand l’un de vous aura besoin de moi, je serai là pour écouter car Gary et moi – et vous-mêmes – vous faites tous partie d’un Dieu merveilleux, bon et compréhensif.
Que cette séparation nous rapproche dans l’Amour, la compréhension et la tendresse qu’on peut attendre les uns les autres.
Je Vous Aime Tous
NICOLE