En décembre, quand la Cour suprême les eut déboutés, Anthony Amsterdam appela Mikal. Il expliqua que la décision ne donnait pas raison à l’État d’Utah ni tort aux demandeurs. L’arrêt n’était qu’un refus de statuer immédiatement. Il ne s’agissait donc pas d’une défaite mais d’un simple revers. Bessie ou Mikal pouvaient encore présenter la même requête devant un tribunal fédéral d’instance inférieure. Puis l’affaire remonterait l’échelle judiciaire.
Mikal répondit cependant que Gary avait téléphoné à sa mère pour lui demander de n’en rien faire.
Apparemment, Bessie avait décidé de lui obéir et de ne pas intervenir. Toute nouvelle action devrait donc être entreprise par Mikal lui-même, mais il avoua à Amsterdam qu’il n’avait encore rien décidé et qu’il lui faudrait peut-être aller en Utah pour concrétiser ses idées. Il confia d’ailleurs à Amsterdam que la perspective de ce voyage lui faisait horreur.
Amsterdam lui fit remarquer que les Damico ne tiendraient pas forcément à ce qu’il rencontre son frère. Il assura qu’il ne prétendait pas connaître les intentions de Vern Damico mais que cet oncle et ses avocats pourraient bénéficier financièrement de l’exécution du condamné. Ils comprendraient sûrement que Mikal pourrait influencer Gary et lui faire abandonner sa position. Tout en se croyant eux-mêmes fort honnêtes, convenables et imbus d’esprit de famille, ils ne semblaient pas portés à agir.
Mikal se prépara quand même pour le voyage.
Le 11 janvier, Richard Giauque accueillit Mikal à l’aéroport de Salt Lake et le conduisit à Point of the Moutain. Comme sa voiture personnelle était en réparation, il se présenta dans la Limousine de son associé : une Rolls Royce argentée. Il ne manqua pas de s’en excuser. Accablé à la perspective d’une entrevue avec un frère qui risquait de se montrer hostile, Mikal remarqua à peine cette somptuosité. Une fois qu’ils eurent franchi le portail de la prison, et quand on les escorta sur l’allée limitée par des hautes clôtures en fil de fer conduisant au quartier de haute surveillance, long bâtiment pareil à un entrepôt, Mikal fut très étonné de ne pas avoir été fouillé. Giauque avait négocié cette visite par l’intermédiaire de Ron Stanger. Il n’y en aurait qu’une seule, de quatre-vingt-dix minutes, « sans aucun contact physique »… Le directeur de la prison avait sans doute changé d’idée car Mikal fut rapidement autorisé à franchir deux portes métalliques coulissantes et introduit dans une pièce de six mètres sur dix : le parloir du quartier. Tout y était peint d’un beige sinistre qui paraissait vieux et délavé. Des mégots de cigarettes jonchaient le sol et plus de dix jours après le Nouvel An un sapin de Noël continuait à perdre ses aiguilles dans un coin. Bref, tout dénotait la négligence et la crasse.
Gary entra après être passé par une autre porte coulissante. Chaussé de baskets blanc et bleu, vêtu d’une combinaison de travail d’une seule pièce, il jouait à faire passer un peigne d’une main dans l’autre comme un jongleur. Avec un large sourire il dit à son frère : « Eh bien, tu es toujours aussi foutrement maigre. »
Dès que Mikal aborda le sujet de sa visite, Gary lui déclara fermement : « Je ne veux pas que la famille intervienne. » Il fixa son frère droit dans les yeux et poursuivit : « J’espère qu’Amsterdam n’est pas mêlé à cette affaire. » Mikal n’eut pas le temps de répondre que déjà Vern et Ida franchissaient la porte. Mikal n’en crut pas ses yeux. On lui avait promis un entretien en tête à tête avec son frère.
Vern avait apporté un grand T-shirt vert orné d’un portrait en pointillé de Gary avec cette légende :
GILMORE, désir de mort. Mikal ne comprit pas s’ils parlaient sérieusement lorsqu’ils insistèrent auprès de Gary pour qu’il porte ce vêtement lors de son exécution afin qu’ils puissent le vendre ensuite aux enchères avec les trous qu’y feraient les balles et les traces de sang. « Faites-la vendre chez Sotheby », dit Gary en riant. Ce bavardage prit beaucoup de temps. Vern et Gary parlaient avec l’assurance de vétérans racontant leurs farces de jeunesse devant une jeune recrue.
Après le départ des Damico, Mikal resta seul un moment avec Gary qui lui offrit une chemise.
« Elle ne me servirait guère, dit Mikal.
— Ma foi, si elle est trop grande, tu pourras toujours grossir. »
Mikal ne put s’empêcher de demander : « Est-ce que tu penses vraiment vendre des trucs pareils ?
— Et toi, tu crois vraiment que j’aie aussi peu de classe ? »
De retour à Salt Lake, Mikal eut un long entretien avec Richard Giauque. Comme Amsterdam, cet avocat avait confiance mais paraissait extrêmement préoccupé parla marche à suivre.
Giauque fit remarquer que bien des gens exploitaient Gary. Afin de se faire élire, le nouveau procureur général, Bob Hansen, s’était prononcé véhémentement en faveur de la peine capitale. De toute évidence, cet homme et bien d’autres conservateurs cherchaient à utiliser à leurs fins propres l’obstination à mourir de Gary. D’une part, Giauque admettait que ce prétendu droit à mourir, autrement dit droit au suicide, pourrait être soutenu par des gens comme lui, dans la mesure où la libre disposition de soi-même doit s’appliquer aux individus autant qu’aux nations. Néanmoins, dans le cas particulier de Gary, l’affaire n’était pas aussi simple parce que le condamné subissait l’influence de trop nombreuses personnes. Aux yeux de Giauque, cette particularité annulait son droit à mourir. La liberté individuelle ne peut s’étendre assez loin pour nuire au tissu même de la société. Dans ce cas précis, admettre le droit à la mort pour un individu pouvait avoir une suite mortelle sur les quatre ou cinq cents détenus de divers quartiers de condamnés à mort. En Utah quatre-vingt-cinq à quatre-vingt-dix pour cent de l’opinion publique étaient déjà favorables à la peine de mort. « Et voilà le moment que choisit votre frère pour exprimer son désir personnel d’être exécuté. Il fait le jeu des innombrables salopards toujours prêts à se livrer à la chasse à l’homme. »
Mikal exposa son propre dilemme. Il se demandait si en sauvant la vie de Gary par des moyens judiciaires on ne provoquerait pas son suicide. D’autre part, la peine de mort lui faisait horreur.
Giauque acquiesça d’un hochement de tête. Il lui paraissait toujours dangereux de supposer que les autorités étaient assez honnêtes pour avoir le droit de statuer sur une vie humaine. « Dans la pratique du droit, dit-il, on en vient à se méfier de tous les absolus, particulièrement quand il s’agit du pouvoir de l’État. Les leviers de commande sont entre les mains de gens à l’aise qui n’ont guère été exposés aux tentations. »
Néanmoins, la question essentielle pour Mikal consistait à savoir si les deux camps n’exploitaient pas Gary autant l’un que l’autre. Giauque ne s’était pas prononcé et, pour lui rendre justice, il fallait convenir qu’il n’y avait probablement même pas pensé ; pourtant ses remarques aboutissaient à une conclusion logique : les adversaires de la peine capitale s’efforceraient d’empêcher l’exécution même si cela devait pousser Gary au suicide. Ainsi l’État serait au moins privé du cadavre. Cela troublait Mikal. Il se sentit obligé de rester un peu plus longtemps à Salt Lake pour essayer de revoir Gary.
Plus tard il téléphona à Vern afin de savoir si Moody et Stanger étaient disponibles. Il apprit ainsi qu’on ne pouvait les rencontrer que la nuit.
D’autre part Schiller, qui revenait justement de Los Angeles, accorderait volontiers un entretien à Mikal. Il était même très désireux de le rencontrer.
Larry n’arriva à l’hôtel qu’à minuit. Dans le vestibule du Hilton, un jeune homme d’une taille supérieure à la moyenne l’aborda et se présenta. Schiller en fut étonné. Ce jeune frère de Gary portait les cheveux longs, semblait assez délicat et avait l’aspect d’un intellectuel. Vêtu d’un pantalon de toile et d’un sweater, il serrait sous son bras un petit porte-documents en matière plastique. Il se déclarait prêt à parler en plein milieu du vestibule. Lorsqu’ils se furent assis, Mikal déclara d’emblée : « J’ai beaucoup de questions à poser. » Schiller s’embarqua dans un discours d’une dizaine de minutes et le jeune homme prit des notes. Cette attitude gêna Larry qui dit en feignant de plaisanter : « Si vous notez tout ça, vous aurez bientôt de quoi publier un livre. » Quelques semaines plus tard, Schiller découvrit que Mikal, en effet, écrivait un article pour le Rolling Stone.
En dépit d’un certain air de famille, Schiller eut peine à croire que Mikal était le frère de Gary. Ce jeune homme parlait d’une voix douce, manifestait un grand calme, avait les doigts fuselés, un comportement agréable, surtout compte tenu de la situation. Il se tenait sagement à sa place, sans s’adosser ni croiser les jambes mais ne cessait de tirer des papiers de son porte-documents pour consulter des notes et les remettait immédiatement à leur place. Il fit à Schiller l’effet d’un étudiant. S’il n’avait pas eu une chevelure aussi longue, on l’aurait facilement pris pour quelque maigre érudit mormon ou pour un élève collet monté de l’université Brigham Young.
Schiller ne le comprit que lorsqu’il parla de lui-même. Savoir s’il devait ou non suivre Amsterdam et Giauque présentait pour lui un problème épineux. Certes, ce jeune homme ne pleurait pas mais selon toute évidence il était très ému.
Puis, brutalement, à la manière de Gary, Mikal demanda à Schiller s’il préférait la mort ou la survie de son frère. Telle était la question clé, et il l’avait posée ! Schiller regarda Mikal droit dans les yeux et répondit : « Je suis ici pour enregistrer l’histoire et pas pour la faire. » Mikal nota cette réflexion et posa d’autres questions. Il n’était certes pas expert en interrogatoires et manquait de persévérance. Telle fut tout au moins l’opinion de Larry dont Mikal acceptait les réponses sans insister ni contredire. Il les notait puis étudiait son feuillet comme s’il analysait sa propre écriture. Il se faisait tard et Schiller était très fatigué. Il avait pris l’avion pour Los Angeles le matin même et était revenu assez tard. Il se demandait pourquoi Mikal avait voulu un entretien avec lui au lieu de s’adresser à Vern ou à Ida ou à n’importe qui d’autre. « Avez-vous l’intention de vous entretenir avec les Damico ? demanda Schiller.
— Je suis venu pour parler à Gary avant de prendre ma décision. »
Schiller conclut que son interlocuteur était trop froid et manquait de contact humain. Leur entretien n’avait rien de chaleureux. « Pourquoi prenez-vous des notes ? demanda-t-il.
— Afin de pouvoir étudier ce que vous dites », répondit Mikal.
Ils convinrent néanmoins de se revoir et de ne pas divulguer leurs conversations. Après avoir déposé Mikal à son hôtel, Schiller prit la grand-route pour gagner Orem avec l’impression d’avoir fait une percée. Mikal avait eu beau se montrer méfiant, Schiller pressentait que leur prochaine rencontre donnerait de bons résultats. Par l’intermédiaire du jeune homme il pourrait avoir un aperçu de la famille Gilmore et apprendre ainsi, au sujet de la petite enfance de Gary, des détails intimes peut-être bons, peut-être moins bons. Mikal ressemblait si peu à Gary qu’il pourrait peut-être avoir un point de vue dénué de parti pris. Schiller était tellement satisfait qu’il parla de cette rencontre à Vern. Cette indiscrétion devait se révéler malencontreuse au point de vue personnel de Schiller.
DESERET NEWS
Salt Lake, 12 janvier. – Le procureur général de l’Utah, Robert B. Hansen, a reçu aujourd’hui une lettre de Judith Wolbach, avocate à Salt Lake City, dans laquelle cette dernière déclare qu’elle s’est entretenue avec l’avocat bien connu Melvin Belli qui lui aurait déclaré que la famille Gilmore pourrait déposer une plainte pour exécution injustifiée. Les Gilmore pourraient demander un million de dollars de dommages et intérêts plus un million et demi de réparations de préjudice imputables aux dirigeants de l’État… si Gilmore est exécuté et si, par la suite, la Cour suprême des États-Unis rend un arrêt déclarant contraire à la Constitution la peine de mort figurant dans le code de l’Utah…
Barry Golson, de Playboy, se présenta. Schiller avait déjà reçu un à-valoir s’élevant à près de douze mille dollars. Débats et marchandages insensés sur les derniers détails du contrat durèrent deux jours, à la fin desquels chacun devint insupportable à l’autre. La présence de Breslin gênait Golson. Schiller n’était-il pas en train de livrer à d’autres le matériel destiné à Playboy ?
« Rien ne vous retient plus dans ce bureau, dit Schiller.
— Soyez un peu plus courtois et je m’appliquerai aussi à l’être », répondit Golson.
Ça devenait un choc d’amour-propre.
Puis Moody et Stanger revinrent à la charge. Ils se rendirent au motel pour déclarer qu’ils exigeaient une prime. Sinon ils cesseraient d’interviewer Gary.
Schiller fit de son mieux. « Il me faudra dire à Gary le coup que vous essayez de faire », dit-il. Il se demanda aussitôt s’il ne commettait pas une erreur mais n’en insista pas moins : « Je vais lui envoyer immédiatement un télégramme. » Constatant que cette manœuvre n’impressionnait pas les avocats, il adopta une autre tactique.
« Écoutez, vous tombez dans le travers propre à tous les avocats. Vous vous prétendez moralement supérieurs à tout le monde jusqu’à ce qu’on arrive aux questions d’argent. » Finalement Schiller refusa la prime, sauf si Vern y consentait. « S’il approuve, je vous donnerai ce qu’il consentira à signer. » Discussion assez étrange car en réalité l’argent ne serait pas prélevé sur la part de Schiller mais sur celle de Vern. Encore une fois, il s’agissait d’un choc d’amour-propre. Les uns comme les autres étaient à bout.
Après le dîner, Ian Calder, du National Enquirer, appela de Miami pour dire qu’il lui était venu une idée valant peut-être six chiffres. « Persuadez Gary de vous remettre deux petits objets personnels actuellement en sa possession et faites-lui écrire un texte de vingt-cinq mots dont peu importe le sens. Nous enverrons un messager assermenté prendre ces trois choses que vous aurez mises dans une enveloppe scellée et nous la déposerons dans un coffre. Avant la mort de Gary, nous mobiliserons notre réseau international de mages et de voyants afin qu’ils soient en état d’alerte à l’instant même de l’exécution. Puis nous verrons à quel point ils se sont approchés de la vérité en identifiant les deux objets ainsi qu’en devinant le message écrit par Gary.
— Et nous, Ian, jusqu’à quel point nous approchons-nous des six chiffres ? répondit Schiller.
— Si ça marche, Larry, dit Calder, mon idée vaut bien cent mille dollars. C’est ça qui m’intéresse. Cent mille aussi de votre côté si vous réussissez.
— Et que se passera-t-il si aucun de vos mages et voyants ne s’approche de la vérité ? demanda Larry.
— Ma foi, l’affaire rapportera beaucoup moins, avoua Ian.
— Bonne nuit », dit Schiller qui raccrocha.
Dans le coin à gauche du parloir, il y avait une cabine contenant trois sièges, trois appareils téléphoniques et trois alvéoles vitrés. Le lendemain, quand Mikal retourna voir Gary, Moody et Stanger s’entretenaient avec son frère par téléphone et séparés par les vitres. Gary avait deux écouteurs aux oreilles. Par l’un, il entendait la voix de Moody et par l’autre, celle de Stanger. Ni l’un ni l’autre cependant ne savaient que Mikal se trouvait derrière eux et qu’il aurait pu décrocher le troisième appareil téléphonique. Le jeune homme préféra rester discrètement dans un coin. Il entendit Moody dire : « Schiller l’a rencontré la nuit dernière et croit qu’il va empêcher l’exécution. (Puis Moody ajouta :) Savez-vous que Giauque l’a amené en Rolls Royce ? »
Quand il se leva pour s’en aller, Moody parut surpris. Puis Mikal l’entendit demander à un des gardiens qui était ce visiteur.
Gary entra dans le parloir, vêtu d’un maillot sans manche et faisant tourner au bout d’un doigt un béret écossais.
« Je ne veux pas chinoiser avec toi, Gary, dit Mikal. Ton avocat t’a dit la vérité. Peut-être bien que je vais demander un sursis d’exécution. »
Gary prit l’expression qu’il avait sur les photos publiées par les journaux : mâchoire crispée, narines palpitantes. « Est-il vrai aussi que Giauque t’a amené ici dans une Rolls ? »
Mikal comprit aussitôt l’effet que faisait ce détail sur Gary. Des richards aux idées avancées, qui ne s’étaient jamais souciés le moins du monde de lui pendant des années, unissaient maintenant leurs richesses et leur pouvoir pour le frustrer. « Peu importe », dit Mikal.
Ils se disputèrent au sujet d’Amsterdam et de Giauque « Pour qui les prends-tu ? demanda Gary. Pour de saints hommes ? En réalité ils cherchent à se servir de toi.
— Admets pourtant que je peux agir sans eux. Je peux encore demander une commutation de peine. Ce ne serait pas eux qui le feraient, mais moi.
— Pourrais-tu vraiment le faire ? demanda Gary.
— Je le crois. »
Gary fit les cent pas dans le parloir. « Écoute, dit-il, j’ai passé trop de temps en prison. Je n’ai plus rien dans la tête. »
Un gardien entra. « Visite terminée, dit-il.
— Reviens, dit Gary. Nous parlerons encore demain. »
Au moment où Mikal franchissait le seuil de la porte, Gary s’écria : « Où étais-tu, il y a des années, quand j’avais besoin de toi ? »
Pendant toute la durée de son retour vers Salt Lake, Mikal entendit : « Où étais-tu quand j’avais besoin de toi ? » Alors qu’il s’était senti prêt à signer le document que Giauque lui avait soumis, maintenant il ne savait plus s’il devait agir selon son propre gré ou celui de Gary. Il entendait encore la voix de son frère lui dire : « Je n’ai plus rien dans la tête. » Mikal aurait voulu s’enfuir vers un endroit où l’on n’est pas obligé de décider. Après une mauvaise nuit il écrivit à Gary.
Dans sa lettre il expliqua que, lorsqu’il affrontait la colère de son frère aîné, il ne trouvait plus les mots qu’il aurait voulu dire. Il lui avoua aussi qu’il avait toujours eu peur de lui. C’est seulement au cours de leurs deux dernières rencontres qu’il avait découvert cette vérité : il l’aimait. Quelle que soit sa décision, il la prendrait par amour. Si Gary consentait à survivre, il espérait qu’ils démoliraient ensemble la barrière qui les séparait. Il termina en évoquant sa foi : c’est en choisissant la vie plutôt que la mort qu’on a les meilleures chances de rédemption. C’est dans la vie que se trouve la rédemption, pas dans la mort.
L’après-midi, à la prison, un gardien lut d’abord la lettre de Mikal puis la fit transmettre à Gary.
Plus tard, lors de la visite, Gary considéra de nouveau la lettre et se mit à pleurer. Rien qu’une ou deux larmes. Puis il essuya un œil du bout d’un doigt et sourit. « Bien exprimé », dit-il dans l’appareil téléphonique. Puis il demanda à Mikal : « Connais-tu les œuvres de Nietzsche ? Il a écrit qu’à certains moments chaque homme doit se montrer à la hauteur des circonstances. C’est ce que je m’efforce de faire, Mikal. »
Ils restèrent face à face. Gary hocha la tête puis dit : « Écoute, môme. J’ai réfléchi à ce que je t’ai dit hier. J’étais injuste. Je n’étais pas auprès de toi quand tu étais jeune. Alors, ne t’y trompe pas. Je ne te déteste pas. Je sais que tu es mon frère et je sais aussi ce que cela signifie. »
Cette déclaration équivalait à poser la main sur le cœur de Mikal qui eut l’impression d’être manipulé ici, amadoué là, circonvenu ailleurs. Il se força à dire : « Que ferais-tu si j’essayais de te sauver ?
— Bien sûr, tu pourrais faire commuer ma peine mais ce n’est pas toi qui passerais ta vie en prison. As-tu une idée de ce qu’il faut d’énergie pour rester entier dans un endroit pareil pendant des années et des années ? »
À ce moment-là Mikal se sentit prêt à céder. Mais le premier jour qu’il avait passé à Salt Lake City, il avait rencontré Bill Moyers. Depuis lors, il s’était entretenu pendant des heures avec lui et le considérait comme l’un des hommes à la fois les plus sages et les plus charitables qu’il eût jamais connus. Or, Moyers avait dit : « Si l’on est obligé de choisir entre la vie et la mort et que l’on se prononce pour la mort, on abandonne l’humanité. » Mikal pensa que Gary comprendrait peut-être le sens de cette phrase. En effet, elle présentait une netteté identique aux idées que Gary exposait souvent lui-même. Mikal ne se faisait d’ailleurs pas trop d’illusions. Pourtant, avant de le quitter, il demanda à son frère de s’entretenir avec Bill Moyers : « Il ne s’agit pas d’une interview mais seulement d’une rencontre.
— D’accord, dit Gary, mais que cela reste entre nous. N’oublions pas mon accord avec Larry Schiller. »