Le dimanche matin de bonne heure, alors qu’ils paressaient au lit, Gary demanda à Nicole de raser sa toison pubienne. Il en parlait depuis deux semaines. Cette fois, elle dit oui. Tout en grimpant dans la baignoire, elle pensait : « Ça représente vraiment quelque chose pour lui. »
Il l’aida. Il se servait d’une grande paire de ciseaux, il faisait très attention et souriait beaucoup. Nicole se sentait intimidée, mais elle aussi pensait que c’était la chose à faire. Ce n’était pas tant de couper les poils qui l’inquiétait que l’idée de ce à quoi ça ressemblerait peut-être après.
Il la porta de la baignoire jusqu’au lit et pour la seconde fois elle eut un orgasme avec Gary. Elle savait que c’était un peu parce qu’elle se retrouvait comme une gosse de six ans. Un bref instant elle évoqua le souvenir d’oncle Lee en se sentant transportée à travers la pièce.
Ce dimanche matin-là, cette petite toison rasée suffit à déchaîner Gary. Depuis l’histoire avec Pete, il adorait deux fois plus Nicole. Maintenant il était vraiment fou d’elle.
Ce même soir, Laurel vint avec ses cousins et une amie qui s’appelait Rosebeth. Quand Gary et Nicole revinrent de leur promenade, les obligations de Laurel comme baby sitter étaient terminées et elle rentra chez elle. Mais Rosebeth resta. Elle soupirait rien qu’à regarder Gary. Nicole se mit à rire. Rosebeth était si jeune, si mignonne, et elle avait un tel béguin pour Gary. Le lendemain soir, elle revint toute seule et, sans y réfléchir, Nicole invita Rosebeth à donner un baiser à Gary. Puis ils se mirent tous à rire et Nicole donna aussi un baiser à Gary. Ils en arrivèrent à un tel point qu’ils se retrouvèrent tous déshabillés et vautrés dans le lit.
On ne pouvait pas appeler ça une orgie, à proprement parler. Rosebeth resta vierge. Toutefois elle était prête à n’importe quoi. C’était gentil. Nicole aimait bien cette idée de faire ce cadeau à Gary.
Pendant le week-end, ils recommencèrent. Une fois, Rosebeth vint dans la journée et Gary ferma les portes et les fenêtres. Comme les gosses du voisinage traînaient dans les parages, on les sentait qui s’énervaient un peu dehors. Dieu sait ce que les voisins entendaient. Ça ne se passait pas dans le silence. Nicole commença à s’affoler un peu. Si jamais le bruit se répandait que Gary faisait des bêtises avec des mineures, ça risquait de bousiller son dossier. Puis l’idée vint à Nicole qu’elle n’était pas dans une situation si brillante non plus. On pourrait lui retirer ses enfants.
Elle se mit à penser à Annette. Nicole était persuadée que Gary avait dû avoir des idées de derrière la tête lorsqu’il avait donné à Annette ce petit baiser sur la joue. C’est vrai qu’il adorait les jeunes filles. Mais Nicole était tout aussi certaine qu’il n’aurait jamais rien fait, sur le plan physique. Aussi, du point de vue de Nicole, Pete était complètement à côté de la plaque. D’ailleurs, Nicole ne se sentait pas prête à arrêter les choses avec Rosebeth.
En fait, elle adorait la façon dont la jeune fille percevait la nouveauté de la chose. Le sexe n’avait jamais été nouveau pour Nicole. Que ç’aurait été merveilleux si elle avait été initiée comme Rosebeth. C’était excitant de regarder Gary la faire s’épanouir. Bien sûr, Gary pouvait aussi se montrer très exigeant avec la petite et lui ordonner de le sucer à fond, des choses comme ça. Ça l’excitait, la manière dont Rosebeth témoignait son gros béguin.
Puis Nicole se trouva confrontée à un autre problème. Pendant la semaine, quand Gary était au travail et que Rosebeth venait, Nicole avait envie de continuer avec elle. Elle se demandait si elle n’était pas en train de s’enfoncer un peu plus de ce côté-là du sexe.
Deux jours plus tard, après le travail, Gary s’arrêta chez Val Conlin afin de faire un paiement pour la Mustang. Il avait déjà manqué le premier versement et Val n’était pas content. Bien sûr, ce n’était pas un incident grave. La moitié des gens à qui Conlin vendait des voitures avaient tôt ou tard des retards dans leurs paiements. Ça faisait partie de l’histoire de la vie de Val, une histoire du style vous-parlez-d’une-réussite.
Au cours des quinze dernières années, Conlin, directeur général de Buick-Chevrolet à Orem, en était arrivé à devenir concessionnaire Lincoln-Mercury. Puis il avait eu une violente querelle avec la société Ford, une autre avec son associé et le litige n’était pas réglé que, du plus grand vendeur de voitures neuves du Comté de l’Utah, il était devenu le plus petit revendeur de voitures d’occasion. Vous parlez d’une réussite. Le garage D. J. Motors vendait de très vieilles voitures plus souvent que des voitures un peu plus récentes ; il les vendait pour une petite somme comptant, le reste, quand on pouvait. Ses acheteurs étaient des gens au chômage qui touchaient une petite pension, d’anciens détenus, de vieux chevaux de retour qui ne pouvaient avoir de crédit nulle part ailleurs.
Val était un grand type mince avec des lunettes et un air vif et aimable. Il était bâti comme un joueur de golf : les épaules souples, un soupçon de brioche. Ce jour-là il portait un pantalon à carreaux rouges et une chemise de sport jaune pâle. Gary était tout crasseux d’isolant dont la poussière lui recouvrait le visage et les vêtements. Il était d’un jaune un peu pâle, assorti à la chemise de Val.
Conlin entreprit alors de faire la leçon à Gary pour ne pas lui avoir effectué le versement prévu. Comme D. J. Motors occupait ce qui était auparavant un petit restaurant miteux, sa salle n’était pas assez grande pour exposer des voitures. Il n’y avait que deux bureaux, une douzaine de chaises et les gens qui attendaient. Tout ce que Val Conlin avait à dire, on l’entendait.
« Gary, déclara-t-il, je ne veux pas commencer à aller frapper aux portes. Je t’ai expliqué comment ça marche. Nous essayons de fixer des versements que les gens puissent respecter. On est tombé d’accord pour estimer que tu pourrais me verser cinquante dollars tous les quinze jours. Alors ne va pas me raconter que tu vas me donner cent dollars la semaine prochaine ou deux cents le mois prochain. Il faut que tu arrives à verser l’argent à l’heure.
— Cette voiture ne me plaît pas, dit Gary.
— Ah ! fit Val, ça n’est pas un vrai bolide.
— Au feu vert, elle reste sur place. Je suis gratté par toutes les autres bagnoles. C’est une mauvaise voiture.
— Mon vieux, dit Val, expliquons-nous franchement. Quand vous achetez une voiture ici, c’est moi qui vous rends service. Vous ne pouvez en acheter à personne d’autre qu’à moi.
— Ce que je voudrais, c’est une camionnette.
— Fais-moi les versements à l’heure. Quand tu auras payé celle-ci, on pourra l’échanger contre une camionnette. Mais, Gary, je veux mes cinquante dollars tous les quinze jours. Sinon, plus de voiture. »
Gary alla encaisser sa paye et lui donna cinquante dollars.
Cette nuit-là, ça ne marcha pas bien au lit pour Nicole et Gary. Ça dura trop longtemps et une fois de plus il se retrouva aux trois quarts en érection, puis à moitié et ça finit par ne plus aller du tout. Gary se leva, s’habilla, sortit de la maison en trombe et alla dormir dans la voiture. Nicole était folle de rage et ça n’arrangea pas les choses qu’il ait réveillé les gosses au passage.
Elle se dit que si elle voulait l’adoucir, il faudrait qu’elle se calme d’abord. Après tout, ce n’était pas la première fois qu’il quittait la maison en claquant la porte pour aller s’installer dans la voiture. En général, c’était quand le bruit des enfants lui tapait sur les nerfs. Elle savait, d’après ce qu’il lui avait raconté, que le niveau du bruit en prison était toujours élevé et il avait les oreilles extrêmement sensibles. Dieu sait pourquoi, avec toutes ces années qu’il avait passées en taule, il n’arrivait pas à s’habituer au bruit.
Elle réussit à calmer les enfants, elle leur donna du lait chaud, les borda et s’en alla jusqu’à la Mustang de Gary. Il était assis derrière le volant, muet comme une carpe. Elle ne parla pas pendant dix minutes. Puis elle posa une main sur lui.
De temps en temps, Gary parlait d’un rêve. Cette nuit-là, assis dans la voiture, il en reparla. Il croyait qu’autrefois, dans une autre vie, il avait été exécuté. Qu’on lui avait coupé la tête.
Dans le rêve, il était question de vieillesse. Quelque chose de laid, de vieux et de moisi. En l’entendant parler, elle en avait le frisson. Elle pensait à la façon dont il s’éveillait souvent, baigné de sueurs froides. Une fois il lui avait parlé d’un autre rêve où on le mettait dans une boîte, puis dans un trou du mur, qui avait une porte comme un four.
Le week-end suivant, Gary tomba sur Vern. Ils se dévisagèrent. Bonté divine, se dit Vern, il me regarde d’un sale œil. « Tu ne crois pas que je sois vraiment un homme, n’est-ce pas ? lui demanda Gary.
— Peut-être bien », dit Vern. Puis il fit demi-tour et s’éloigna. Après, il le regretta.
Le même jour, pendant que Toni rendait visite à Brenda, Gary passa. Toni ne savait pas quoi dire. Elle n’allait pas accuser Gary : le pauvre diable avait déjà été accusé d’assez de choses dans sa vie. D’un autre côté, elle ne trouvait pas bien de laisser passer tout ça sans rien dire. Annette était une belle jeune fille et Gary avait peut-être eu des intentions.
Elle passa dans la cuisine se faire une tasse de café et Gary, au même moment, sortit de la salle de bains. Ils furent obligés de se regarder en face.
« Toni, fit Gary, tu ne m’as pas parlé de cette histoire avec Annette. » Elle répondit : « Gary, s’il y a quelque chose à dire, je vais le dire. » Il lui prit la main et dit : « Mon chou, je ne te ferais jamais de mal à toi, ni à ta famille. » Il y eut un silence. Toni le croyait. C’est-à-dire qu’elle croyait pouvoir accepter ce qu’il disait. Malgré tout, elle avait l’impression aussi qu’elle n’allait plus laisser Annette seule avec lui. Il y avait toujours un risque. « Gary, répondit-elle enfin, je suis d’accord avec toi, mais, n’oublie pas, je suis d’abord une mère. » Il sourit et dit : « Si ça n’était pas le cas, tu me décevrais. » Il lui donna un baiser sur la joue et revint dans le salon.
Brenda essaya d’amuser Gary en lui racontant une histoire à propos de Val Conlin. Au bon vieux temps, quand Val avait la concession Lincoln-Mercury, il jouait toujours les personnages importants au Country Club de Riverside. Il était du genre à claquer des doigts pour appeler les serveuses. Un jour, Brenda servait à sa table et avait trouvé Val un peu brusque. Alors elle avait dit : « Ça vous plairait si je vous versais le potage sur la tête ?
— Ça vous plairait, avait répliqué Val, de vous faire flanquer à la porte pour cette remarque ?
— Je dirais à mon patron que vous mentez », avait-elle répondu.
Gary éclata de rire. Il la prit dans ses bras et la souleva en l’air sans effort. Étant donné qu’elle pesait soixante-dix kilos à l’époque, il était rudement fort. Comment avait-il pu se faire battre par Pete ?
Gary avait dû lire ses pensées. « Brenda, dit-il, ça n’est pas encore fini. En prison, on ne laisse pas les choses comme ça en suspens. »
Le samedi suivant, Gary et Nicole avaient encore l’intention d’aller faire un tour dans les canyons, mais les deux Mustang leur créaient des ennuis. Nicole se posait des questions sur leur chance. Toute la semaine dernière, la voiture de Gary avait eu chaque matin sa batterie à plat. Comme il fallait la pousser, il arrivait en retard à son travail. Ce samedi-là, il décida même d’aller voir Spencer McGrath qui trouverait peut-être ce qui n’allait pas.
Spencer vit tout de suite qu’il fallait probablement une batterie neuve. « La vieille n’a rien de mal, lui dit Gary.
— Comment le sais-tu ? » fit Spencer. Gary dit : « Ma foi, elle m’a l’air bien. » Spencer éclata de rire. « On ne peut pas le dire en regardant. »
Spencer alla jusqu’à l’atelier, prit un pèse-acide et vérifia. Le degré était terriblement bas. « La batterie, annonça-t-il, a un élément mort. » Gary dit : « Alors, qu’est-ce que je vais faire ? » Spencer dit : « Tu en achètes une neuve. Ça vaut de vingt à trente dollars. » Gary dit : « Fichtre, je ne les ai pas. » « Tu as été payé hier », reprit Spencer. « Je sais, dit Gary, mais j’ai fait le versement pour la voiture et il ne me reste pas grand-chose. » Spencer dit : « Comment vas-tu tenir jusqu’à vendredi ? » Gary répondit : « Je me débrouillerai. Seulement je n’ai pas assez pour acheter une batterie neuve. » Spencer lui prêta trente dollars.
Une demi-heure après, Gary était de retour. Au supermarché il avait trouvé un bijou pour vingt-neuf dollars quatre-vingt-quinze. Avec la taxe, ça faisait trente-deux. Spencer dit : « Tu as dû prendre deux dollars de ta poche ? » Gary dit : « Ma foi, oui. » Spencer reprit : « Gary, comment vas-tu te débrouiller cette semaine ? » Gary répondit qu’il ne savait pas. Spencer lui donna encore un billet de cinq pour l’essence et dit : « Termine de payer la voiture. Ensuite, on s’arrangera. »
Les trente-deux dollars pour remplacer la batterie marquèrent le début d’une vraie série de malchances. Le lundi soir, pensant qu’il allait lui faire une surprise, Gary passa prendre Nicole à l’auto-école, trouva la dame de ses pensées qui déambulait dans le hall avec quatre types dans son sillage. Dès qu’elle vit Gary, elle se précipita, lui fit un grand sourire et s’efforça de faire comprendre à tout le monde qu’elle était à lui. Mais elle se rendait compte de l’effet qu’elle faisait. Sur le chemin de la maison il dit : « Je ne veux pas t’attacher. » Elle savait qu’il pensait à oncle Lee, à Jim Barrett, à la partouze de trois jours, à deux ou trois autres mecs et à la vie qu’elle avait menée.
Il en parla à Sterling. « Elle est libre. Je ne veux pas empiéter sur sa liberté », dit-il. Il traversa jusqu’au cimetière sur lequel donnaient toutes les maisons de la rue de Sterling, et celui-ci l’accompagna. Il y avait une tombe qui n’avait pas de fleurs. La tombe d’un petit garçon. Gary alla prendre une fleur sur chacune des autres tombes et les déposa dans un petit vase rouillé près de la pierre du gamin. Puis ils se mirent à fumer un bon joint. Tout de suite Gary dut sortir du cimetière. Il expliqua à Sterling qu’il se voyait dans une tombe.
Un soir, à peu de temps de là, Rikki était chez Sterling et Gary se mit à l’asticoter pour l’affronter au bras de fer. Il s’était vanté auprès de Nicole d’avoir battu son frère. Ils s’installèrent.
Nicole ne savait pas si Gary était fatigué par la nuit précédente, mais cette fois ce fut Rikki qui l’emporta. C’est-à-dire, il allait gagner, mais Gary tricha de façon visible, allant même jusqu’à lever son coude de la table.
Gary voulut alors essayer avec l’autre bras. Rikki lui régla vite son compte. Gary prit un air mauvais. En rentrant de chez Sterling, il s’arrêta dans une petite épicerie qui était constamment ouverte de jour comme de nuit et il en ressortit après avoir piqué deux paquets de six boîtes de bière.
C’était risqué de voler dans un établissement aussi petit, mais il avait une technique. Il prenait deux paquets, pas un seul. Aucune hésitation dans sa démarche. En même temps, il réussissait à prendre un air très désagréable. On n’allait pas s’amuser à interrompre le cours d’aussi sombres pensées pour lui demander s’il avait payé la bière.
Au début, c’était drôle. Maintenant, ça commençait à taper sur les nerfs de Nicole. Chaque fois que quelque chose agaçait Gary, il jouait au brave. Nicole avait toujours été prête à piquer aux étalages si elle avait besoin de quelque chose ; maintenant qu’ils étaient ensemble, elle aurait peut-être été la première à le faire, mais ce fut Gary qui lui montra vraiment comment sortir d’un magasin avec quelque chose. Pendant un moment, ce fut drôle. Puis elle remarqua que si quelque chose n’allait pas, il chapardait pour leur remonter le moral.
Et puis après, il buvait sa bière. C’était toujours à la bière qu’il carburait. Elle en vint à s’apercevoir qu’il n’y avait pas eu plus de deux ou trois soirs où il n’avait pas bu. Elle essaya de tenir son rythme, mais elle n’aimait pas beaucoup ça. Il ne lui laissait même pas de bière. Il n’aimait pas la gâcher. Si elle ouvrait une boîte, il insistait pour la lui faire finir.
Nicole était un peu ennuyée de voir que non seulement Gary piquait des choses, mais qu’il le racontait à tout le monde. Il s’en vantait même auprès de son oncle. Ça n’allait déjà pas si bien, mais voilà que Gary s’était cru obligé de passer pour lui offrir un carton de bière. Quand Vern remarqua qu’il y en avait deux autres dans le coffre de la Mustang, il demanda à Gary comment il pouvait se le permettre.
« Je n’ai pas besoin d’argent », fit Gary.
« Tu te rends compte, dit Vern, que tu violes ta parole ?
— Ça n’est pas toi qui me dénoncerais, non ?
— Je pourrais, dit Vern. Si ça continue, je pourrais bien te dénoncer. »
Un jour, il rentra à la maison avec des skis nautiques et ça agaça Nicole. Ça ne valait vraiment pas le risque. Il volait quelque chose qu’il ne pourrait probablement pas vendre plus de vingt-cinq dollars, et pourtant le prix porté sur l’étiquette était plus de cent dollars. Ça voulait dire que c’était du vol qualifié. Nicole avait horreur d’habitudes aussi stupides. Il risquait de tout compromettre pour vingt-cinq dollars. Elle constata que c’était la première fois qu’elle le prenait en grippe.
Comme s’il le sentait, il lui raconta alors la pire histoire qu’elle eût jamais entendue. C’était super dégueulasse. Voilà des années, alors qu’il était encore un gosse, il avait fait un cambriolage avec un type qui était un vrai sadique. Le directeur du supermarché était là, tout seul après la fermeture, et ne voulait pas leur donner la combinaison du coffre. Alors l’ami de Gary avait emmené le type en haut, il avait chauffé un fer à friser et le lui avait fourré dans le cul.
C’était plus fort qu’elle : elle éclata de rire. L’histoire la frappa. Elle s’imaginait ce gros directeur de supermarché essayant de garder son argent malgré le fer qui lui entrait dans le cul. Elle riait aussi en pensant à tous ceux qu’elle détestait : ceux qui avaient des tas de choses et qui ne voulaient rien lâcher.
Pour la première fois, elle passa la journée à se dire qu’elle ne devrait pas tant vivre avec Gary. Il y avait une partie d’elle-même qui ne souhaitait pas rester près d’un homme pendant une aussi longue période, mais dès qu’elle se rendit compte de ce qu’elle ressentait, Nicole comprit qu’elle ne pourrait pas le lui dire. Lui s’attendait à sentir vibrer leurs âmes à l’unisson. De plus en plus, pourtant, un sentiment désagréablement familier revenait. C’est comme ça qu’elle était lorsqu’elle devait s’adapter à quelqu’un. Elle n’arrivait à reculer ça qu’un certain temps. Pourtant elle se sentait mieux avec Gary qu’avec n’importe qui d’autre, mais ça n’allait pas changer le fait que, lorsqu’elle était de mauvaise humeur, c’était comme si elle avait deux âmes et que l’une d’elles aimait Gary beaucoup moins que l’autre. Bien sûr, il éprouvait peut-être la même chose. Il ne pouvait pas l’aimer à ce point-là lorsqu’ils avaient des discussions de plus de cinq heures.
Ça arriva le soir où il avait rapporté à la maison les skis nautiques. Le lendemain matin, elle se demanda si ça avait quelque chose à voir avec Barrett. Jim était passé l’autre jour pendant que Gary était allé faire des courses. Il avait franchi la porte le plus naturellement du monde après avoir été absent pendant des mois. C’était peut-être juste un réflexe conditionné, mais ça lui avait quand même fait quelque chose.
Après le départ de Barrett, elle eut des remords de n’avoir pas dit toute la vérité à Gary. Elle n’avait aucun respect pour Barrett, c’était vrai. C’était une vraie lope. Mais elle n’avait pas expliqué à Gary qu’il était malin comme une anguille lorsqu’il s’agissait de s’introduire dans la place. Aussi, quand Gary rencontra Jim cette première fois, il n’avait pas trop roulé les mécaniques. Bien sûr, Barrett se conduisait juste comme s’il était le père de Sunny et satisfait d’être toléré. Quand même Nicole avait l’impression de garder un secret honteux. Parce que Barrett pouvait vous passer une cigarette et en faire tout un cinéma. Ça vous chatouillait la mémoire comme s’il vous chatouillait la paume de la main. Il laissait entendre qu’on avait un don.
Ces deux dernières nuits, elle avait rêvassé un peu aux bons côtés du passé avec Jim pour se mettre plus dans l’ambiance avec Gary. Barrett savait toujours choisir son moment, alors que Gary – elle devait bien l’admettre – commençait à perdre de sa finesse. Depuis Rosebeth, Gary voulait faire l’amour sept fois par semaine. Ça pouvait leur arriver de sauter un soir, mais ils se rattrapaient en le faisant deux fois le lendemain. C’était son idée à lui, pas à elle. Elle préférait un jour ou deux de différence, mais il insistait toujours.
Ce soir-là, de 7 heures à minuit, Nicole et Gary se disputèrent d’abord à propos des skis nautiques, puis à propos de tout le reste. Elle finit par convaincre Gary qu’elle n’avait pas envie de faire l’amour avec lui. Il y avait eu trop de hauts et de bas. Si elle avait un don, ça n’était pas Gary qui rendait ça évident. Pas avec ses exigences de lui faire ceci et cela. Maintenant il voulait se faire sucer. Elle regarda Gary et dit : « J’ai horreur de faire des pipes. »
Le fiorinal lui avait rendu le regard un peu vitreux, mais les paroles de Nicole le touchèrent quand même. Il s’en alla. Il partit à minuit et ne revint qu’à 2 heures du matin. Il avait à peine franchi le seuil qu’il lui redemandait de le sucer.
« Pourquoi ? » demanda-t-elle. Comme une conne. « Fais-le parce que je veux que tu le fasses », dit-il. Ce fut aussi pénible que leur première nuit ensemble. Ils ne finirent par s’endormir qu’à 5 heures. À 5 heures et demie, Gary était debout, comme un dingue, prêt à s’en aller travailler.
Entre minuit et 2 heures, Gary était allé voir Spencer et Marie. Quand McGrath ouvrit la porte, Gary demanda si Marie et lui pouvaient faire un poker à trois.
Marie était déjà au lit, mais elle se leva et prépara du café. Les McGrath, toutefois, n’avaient pas envie de jouer au poker. Pas après minuit. Spencer avait bien du mal à s’empêcher de dire : « C’est un peu grossier de venir aussi tard. »
En fait, ils avaient l’habitude de voir Gary ivre. Ça lui était arrivé deux ou trois fois de passer à des heures bizarres. Une fois il avait vraiment besoin de se calmer. Il s’était mis à parler de ce qu’il allait faire à un nommé Pete Galovan.
Une autre fois, Gary était arrivé alors que Spencer et Marie pique-niquaient dans la cour, derrière. Il était tellement ivre qu’il n’arrivait pas à soulever le loquet de la barrière.
Spencer dut aller lui ouvrir et lui donner quelque chose à manger. Il y avait pas mal d’invités mais Spencer consacra toute son attention à Gary et lui fit boire quelques tasses de café. Gary alors se mit à parler de choses insensées. Par exemple, de réincarnation.
« Est-ce que tu y crois vraiment ? demanda Spencer.
— Oh ! je pense bien, fit Gary.
— Un tas de gens croient que nous revenons dans une autre espèce, comme un cheval ou un insecte, dit Spencer. Ça ne doit pas être commode de mettre un peu d’ordre là-dedans avec toutes ces allées et venues. »
Gary ne penchait pas pour la théorie de Spencer. Lui pensait revenir comme humain. S’il gâchait cette vie-ci, il ferait mieux avec la suivante. « Pourquoi ne pas faire mieux avec celle-ci ? » songea Spencer. Mais il s’abstint de le dire.
Bien sûr, depuis que Gary avait découvert que Spencer s’y connaissait un peu en voiture, il commençait à passer le samedi avec sa Mustang. Un jour il perdit son pot d’échappement et Gary ne savait pas comment le remettre en place. Il n’en avait pas la moindre idée. Ça n’était pas qu’il était paresseux, mais, un mois plus tôt, il aurait pu essayer de réfléchir à la situation. Maintenant, il semblait n’avoir aucune initiative. On aurait dit qu’il était vexé quand quelque chose n’allait pas avec la voiture. Ce qu’il ne voulait pas reconnaître, c’était que ces pépins pourraient bien être dus à son incapacité à conduire intelligemment. Une raison de plus pour Spencer de le harceler pour qu’il commence à étudier le programme du permis de conduire. Autant parler à un mur. On pouvait dire que Gary savait vous obliger à tenir des discours. Spencer aurait aussi peu dormi s’il avait joué au poker.
Il fallait le reconnaître, Gary l’attristait. Au début, il venait toujours demander à Graig Taylor ou à lui-même de jeter un coup d’œil à ce qu’il avait fait. Si Gary saisissait le truc pour faire quelque chose de nouveau, il était ravi lorsqu’on l’en félicitait. Il se pavanait, tout fier. Depuis qu’il vivait avec Nicole, Spencer ne savait pas si ça l’intéressait de faire du bon travail ou pas. On avait plutôt l’impression qu’il venait faire ses heures pour toucher sa paye. Ces shorts en jeans qu’elle portait ! Gary avait l’air de descendre au niveau de cette fille.
Incapable de dormir, Spencer se mit de nouveau en colère en pensant à la façon dont Gary, maintenant, carottait pendant la journée. Il fallait voir le temps qu’il prenait pour déjeuner. Et puis, tous les jeudis, il devait partir de bonne heure pour voir son délégué à la liberté surveillée. Plus les autres moments qu’il prenait sous d’autres prétextes. Pas une semaine ne s’écoulait sans qu’il demande un supplément d’argent et Spencer ne déduisait jamais de sa paye les heures perdues ni le fric qu’il lui donnait de sa poche. Un jour Gary parla bien de faire un tableau pour éponger sa dette, mais à peine Marie et Spencer avaient-ils commencé à y réfléchir que Gary n’en parla plus jamais.
Le lendemain matin, ils n’avaient même pas commencé le travail que Gary demandait si quelqu’un voulait acheter une paire de skis nautiques. Un type vint trouver Spencer pour demander si Gary, par hasard, ne les aurait pas volés. Spencer s’informa : « Ils sont tout neufs ? » Il n’arrivait pas à croire que Gary ait piqué des skis nautiques. Un type pouvait fourrer dans sa poche une paire de boutons de manchettes ou une montre mais comment pouvait-on voler ces grandes planches dans un magasin ?
Spencer se considérait comme quelqu’un de vraiment simple, et pourtant il commençait à se demander si Gary ne fumait pas de la marijuana pendant le travail. Il avait l’air dans un triste état ce matin-là.
« Gary, dit Spencer, parlons de quelque chose de fondamental. Toutes les semaines, tu es fauché. Pourquoi ne prends-tu pas l’argent que tu dépenses à acheter de la bière pour le mettre de côté ? » Gary dit : « Je ne paie pas la bière. » « Eh bien alors qui donc te la donne ? » Gary répondit : « J’entre dans un magasin et je prends un paquet de six boîtes. »
Spencer dit : « Alors, personne ne te pince ? » « Non. » « Ça fait combien de temps que tu fais ça ? » « Des semaines. » Spencer reprit : « Tu voles un paquet de six boîtes de bière tous les jours et tu ne t’es jamais fait pincer ? » Gary répondit : « Jamais. » « Je ne comprends pas, fit Spencer. Comment se fait-il que les gens se fassent prendre et pas toi ? » Gary répondit : « Je suis plus malin qu’eux.
— Je crois que tu te paies ma tête », dit Spencer.
Gary se mit à lui raconter l’histoire du détenu noir auquel il avait donné cinquante-sept coups de couteau. Spencer, cette fois, crut que Gary cherchait à l’impressionner en lui montrant quel dur il était, histoire de voir si ça allait lui faire peur. « Allons, Gary, dit-il, cinquante-sept ; c’est comme les cinquante-sept variétés de potage Heinz. »
Lorsqu’ils eurent fini de rire, Gary annonça la nouvelle à Spencer. Il aimerait partir de bonne heure vendredi.
« Je ne sais pas si tu as remarqué, dit Spencer, mais les autres ne prennent pas d’heures de congé. Ils travaillent toute la journée et ils font ce qu’ils ont à faire après leurs heures de travail. C’est comme ça que ça se fait normalement. »
Cependant, il lui permit de partir plus tôt. Une fois de plus, Spencer se sentait un peu mal à l’aise. Après tout, le gouvernement, avec ce programme de récupération des prisonniers, payait la moitié des trois dollars cinquante de l’heure de Gary. Ça pouvait justifier que Gary ne lui donne qu’une demi-heure par heure.
Un après-midi où Nicole était partie pour voir Kathryne, Barrett vint à la maison de Spanish Fork où il trouva Rosebeth. Lorsque Nicole revint, sa petite amie n’était plus vierge.
D’abord, Rosebeth se contenta de dire que Barrett était passé. « Oh, demanda Nicole, combien de temps ? » « À peu près une heure et demie », dit Rosebeth. Nicole éclata de rire. Si Barrett n’était pas intimidé, il était au lit. Une heure et demie, ça suffisait à Barrett. Voyant que Nicole ne lui en voulait pas, Rosebeth se mit à pouffer. Elle savait maintenant, raconta-t-elle à Nicole, pourquoi Gary n’avait jamais pu le lui mettre. Trop gros. Nicole et Rosebeth eurent une bonne séance de fou rire en attendant que Gary rentre de son travail.
Mais Gary était passé chez Val Conlin. La bière qu’il rapporta était glacée. Après s’être fait engueuler pour ne pas payer à temps, Gary avait pris l’habitude d’apporter un paquet de six boîtes de bière en passant et Val appréciait.
Gary avait envie d’une camionnette. Celle qui était peinte en blanc.
« Mon vieux, dit Val, paye la Mustang et je te trouverai quelque chose de mieux.
— C’est cette camionnette-là que je veux.
— Pas possible sans mucho mazuma, dit Val. (La camionnette était à vendre pour mille sept cents dollars.) Écoute, mon vieux, à moins de revenir avec quelqu’un qui se porte caution, cette camionnette est trop bien pour toi. »
Gary se dit qu’il pourrait trouver quelqu’un. Peut-être son oncle Vern.
« Je connais Vern, fit Val, et je ne crois pas qu’il soit de taille pour ce genre de crédit. Mais, si tu veux, fais-lui remplir la demande. On peut toujours voir ce qu’on peut faire.
— O. K., dit Gary, O. K. (Il hésita.) Val, reprit-il, cette Mustang ne vaut rien. J’ai dû mettre une batterie neuve et un alternateur. Ça s’est monté à cinquante dollars.
— Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?
— Eh bien, si j’achète la camionnette, je pense que vous pourriez tenir compte de ce que j’ai dû dépenser sur la Mustang.
— Gary, tu achètes la camionnette et on fait un abattement de ces cinquante dollars. Pas de problème. Trouve-moi seulement une caution.
— Val, je n’ai pas besoin de caution. Je peux faire les versements.
— Pas de caution, pas de camionnette. Que ce soit bien entendu.
— Cette foutue Mustang ne vaut rien.
— Gary, c’est moi qui te rends un service. Si tu ne veux pas de la Mustang, laisse cette bagnole ici.
— Je veux la camionnette.
— La seule façon d’avoir la camionnette, c’est d’apporter plein d’argent pour le premier versement. Ou alors reviens avec quelqu’un qui porte caution pour toi ; porte cette demande de crédit à Vern. »
Gary était assis de l’autre côté du bureau, et regardait par la fenêtre la camionnette blanche tout au bout de la rangée. Elle était aussi blanche que la neige qu’on voyait encore au sommet des montagnes.
« Gary, remplis la demande et rapporte-la. »
Val savait ce qu’il faisait. Gary était fou furieux. Il ne dit pas un mot, il prit juste le formulaire, se leva, franchit la porte, roula la feuille en boule et la jeta par terre.
Harper, le vendeur de Val lui dit : « Eh ben, il a l’air excité.
— Je m’en fous pas mal », fit Val. Autour de lui les gens s’énervaient. Il était habitué. C’était sa vie avec vous-parlez-d’une-réussite.
Ce soir-là ils étaient en train de faire l’amour quand Gary appela Nicole « mon vieux ». Elle prit ça mal. Elle crut qu’il lui en voulait à cause de Rosebeth. Mais, comme il essaya de le lui expliquer par la suite, ça lui arrivait souvent d’appeler de la même façon les hommes et les femmes, « mon vieux », « mon pote », des choses comme ça.
Le matin, c’était encore la Mustang. Sa voiture ne voulait pas démarrer. On aurait cru qu’il y avait quelque chose chez Gary qui, tous les matins, bousillait le circuit électrique.