TIME
Ce que le directeur de la prison a appelé « l’événement » a pris tout juste dix-huit minutes. En entendant la fusillade, les prisonniers des trois blocs de cellules voisins ont hurlé des grossièretés.
SALT LAKE TRIBUNE
L’A.C.L.U. traite Hansen de complice d’assassinat
18 janvier 1977. – Henry Schwarzschild, coordinateur à New York de l’Association nationale contre la peine de mort et directeur du Projet contre la peine capitale à l’American Civil Liberties Union a eu des commentaires sévères à propos de l’exécution et des fonctionnaires de l’Utah.
« Il ne s’agissait pas d’un suicide de M. Gilmore mais d’un homicide judiciaire avec M. Hansen comme complice », a déclaré M. Schwarzschild lors d’une conférence de presse donnée à l’hôtel Hilton de Salt Lake.
La rapidité avec laquelle « le procureur général de l’État s’est précipité à Denver ne trahit rien d’autre qu’une soif de sang », a ajouté M. Schwarzschild.
« Je suis consterné de voir un tel geste dans cette société qui se prétend civilisée », a déclaré l’adversaire de la peine capitale.
« Je ne saurais mesurer le déferlement d’insensibilité et de perversité humaines provoqué par un tel spectacle. » M. Schwarzschild a dit que ses propos étaient sévères, mais il a précisé que la situation l’exigeait. « Que M. Hansen en pense ce qu’il veut. »
SALT LAKE TRIBUNE
Justice a été rendue, dit Hansen à propos de l’exécution
Par Dave Johnson
De la rédaction du Tribune
7 janvier 1977. – Le procureur général de l’Utah, Robert B. Hansen, qui a pris personnellement position au tribunal contre les sursis d’exécution de Gary Mark Gilmore, a déclaré lundi après la mort du condamné : « Justice a été rendue. »
« La peine capitale symbolise la détermination de la société de faire appliquer toutes ses lois. Si nous ne faisons pas respecter les plus sévères de nos lois, les criminels pourraient en conclure qu’on ne leur imposera pas les châtiments prévus par d’autres lois », a dit M. Hansen.
« Aucune mort ne saurait être exaltante ni la tristesse qui domine lorsque quelqu’un meurt, a ajouté M. Hansen, le visage tiré après trente heures passées sans sommeil, mais je suis intimement plus peiné quand je songe aux familles des deux victimes que par le fait que Gilmore n’est plus en vie. »
Les déclarations de Hansen furent publiées à côté d’une grande photographie de lui dans le Salt Lake Tribune. À côté de l’article, toutefois, se trouvait le gros titre de l’article de Schwarzschild et l’on pouvait lire : « Homicide légal. »
Bob Hansen avait l’habitude de voir écrites à son propos des phrases plutôt dures, mais « homicide légal » le blessa. Il hésita longtemps à poursuivre le type de l’A.C.L.U . Comme il était un personnage public, il savait qu’il devrait établir qu’il y avait une malveillance délibérée. Si, du point de vue de Hansen, la déclaration de Schwarzschild puait la malveillance, le problème était que Schwarzschild ne pouvait guère être tenu pour responsable du titre de l’article. Qui constituait le point le plus sensible de toute l’histoire. C’était un problème et Hansen en était très agacé.
Un jour, peu après l’exécution, Judy Wolbach se rendit au Capitole de l’État pour dire à Earl Dorius ce qu’elle pensait de lui. Ce n’était pas une décision bien judicieuse, mais elle s’assit dans le bureau d’Earl et lui demanda s’il était satisfait de lui. Il répondit : « Judy, il faut que vous compreniez que, si vous pouvez penser que ce que nous avons fait était épouvantable, nous estimions de notre côté que tout ce que vous faisiez était absolument injuste. Dans l’avenir, nous aurons à travailler ensemble sur d’autres affaires. Je serais donc heureux si vous pouviez maîtriser un peu vos sentiments. » Peut-être n’employa-t-il pas exactement ce langage, mais elle l’entendit lui tenir un discours de cet ordre. Ce fut à peine si elle put l’écouter. « Earl, répondit-elle, dites-moi, vous avez des petits-enfants. Cela ne vous dérange pas de vous dire qu’ils apprendront un jour que vous avez été complice de cette exécution ? » Il acquiesça. C’était vrai que cela le préoccupait, lui dit-il. Un des enfants avait entendu des commentaires disant que lui et le procureur général Hansen avaient participé à un meurtre de sang-froid. Il avait dû leur expliquer toute l’affaire.
Assis à son bureau, Earl avait le sentiment que Judy avait le droit de venir l’affronter. En fait, il était heureux qu’elle l’eût fait. Après une affaire mettant en jeu de tels sentiments, procureurs et avocats s’en vont chacun de leur côté. Il n’aimait pas, quand ils se rencontraient plus tard dans la rue, ne pouvoir échanger avec eux que des regards noirs. À vrai dire, il trouvait que c’était bien de la part de Judy d’avoir eu le courage d’être venue le voir et de lui lâcher ce qu’elle avait sur le cœur. Cela valait mieux que de remâcher une rancœur pendant des années.
En quittant le bureau, Judy songea qu’elle s’était attendue à souffrir beaucoup de l’exécution, mais que cette souffrance ne s’était pas manifestée, seulement une colère qui la brûlait. Elle avait dû réagir en profondeur, sinon elle ne serait pas allée voir Earl Dorius ; mais elle n’avait tout simplement pas eu de réaction affective en soi à la mort de Gilmore. Elle se demanda si cela ne tenait pas à l’horrible doute qu’elle avait eu de temps en temps que c’était elle qui allait à l’encontre des droits de Gilmore.
SALT LAKE TRIBUNE
L’exécution de l’Utah : sur les lieux du crime
Par Bob Greene du Groupe Field.
20 janvier 1977. – Nous ne vous avons pas dit comment nous avons rampé autour des sacs de sable devant le fauteuil du condamné, des sacs de sable encore tachés de son sang. Nous ne vous avons pas dit comment nous nous sommes précipités dans la petite pièce où le peloton d’exécution attendait derrière son rideau, et comment nous avons regardé par les fentes verticales où passaient les fusils, regardé le fauteuil et comment nous avons profité de la même vue qu’avaient les bourreaux.
Nous n’avons pas dit comment nous avons touché à tout, touché toutes les surfaces imaginables du lieu de l’exécution. Nous ne vous avons pas parlé des expressions du visage du gardien de prison, qui nous regardait avec stupéfaction aller et venir avec une telle soif. Nous ne vous avons pas dit ce que nous avons fait du fauteuil du supplicié – le fauteuil avec les trous laissés par les balles dans le dossier de cuir. Nous ne vous avons pas dit ça, n’est-ce pas ? Nous ne vous avons pas dit comment nous avons plongé nos doigts dans les trous et frotté ensuite nos doigts pour nous rendre compte quelle était la profondeur et la largeur de ces trous par où la mort était passée. Pour tout sentir.
Brenda était complètement épuisée. De retour chez elle, flottant dans son lit, elle recevait des visites, mais elle avait le plus grand mal à se rappeler qui venait. Elle parlait, mais n’arrivait pas à se souvenir de ce qu’elle disait. Trois jours passaient comme un seul. Puis la fièvre la prit et elle se mit à avoir des vomissements. Sa seule pensée était : « Il faut que je me lave et que j’aille aux funérailles. » Elle alla jusqu’à la salle de bains. Elle ne savait pas que les funérailles avaient eu lieu deux jours auparavant. Ce fut vraiment un choc pour elle de l’apprendre. Elle ne serait pas avec Gary, à son dernier service. C’était vraiment le laisser tomber.
Quelques jours après l’exécution, Nicole se trouva prise dans une bagarre. Alors que la nuit tombait, elle éprouva soudain une violente envie d’aller se coucher. Ce n’était pas encore l’heure, mais elle s’allongea et quatre ou cinq malades s’approchèrent pour la tirer de son lit. Lorsqu’on la toucha, Nicole se mit à donner des coups de poing.
Elle cassa presque le nez de quelqu’un et à un moment faillit bien mettre au tapis les cinq filles. Ça dura probablement plus de trois minutes. C’était long de lutter contre cinq femmes. Elles finirent par réussir à l’allonger sur le dos, mais elle parvenait à se libérer les pieds pour les frapper, alors elles la retournèrent sur le ventre et s’assirent sur elle pendant, elle l’aurait juré, une vingtaine de minutes, sur le sol glacé, chacune d’elles assise sur un bras ou sur une jambe. Tout d’un coup, elle comprit tout le ridicule de la situation et éclata de rire. Elle se mit à rire comme si son cœur allait éclater.
Bien entendu, les filles qui la tenaient ne trouvaient pas ça drôle. Pourtant, Nicole avait le sentiment qu’elle n’était pas seule à rire. Quelqu’un était là avec elle. Puis elle sut que c’était Gary. Il allait lui dire à l’oreille : « Alors, pétasse, maintenant tu sais ce que c’est. »
Suite à cela, on l’enferma pendant quelques jours. Durant cette période, souvent elle éclata de rire. Elle avait l’impression qu’elle ne riait pas seule.
Pendant tout ce temps, elle ne pleura jamais sur Gary. Ça n’était pas nécessaire. Elle ne s’apitoyait pas sur son sort. Elle continuait à espérer qu’il serait proche d’elle lorsqu’elle sortirait de l’asile et pensait que peut-être elle allait se suicider, mais elle n’en était pas très sûre. C’était difficile à dire.
Stanger et Moody avaient pris des billets pour une croisière dans le golfe du Mexique dont le départ était fixé au samedi, mais ils n’avaient pas envie d’attendre le week-end. Aussi, le jeudi après-midi, partirent-ils pour la Nouvelle-Orléans, accompagnés de leurs épouses. Ils dînèrent à 6 heures, mais ils étaient dans un tel état d’épuisement physique qu’ils regagnèrent leur motel et ne se réveillèrent que deux jours plus tard.
Le lendemain soir, ils étaient assis dans un restaurant quand une fille, à la table voisine, se montra un peu bruyante. Son mari dit en souriant : « Ne vous occupez pas d’elle, nous allons rentrer. » Il plaisantait, mais elle se leva et déclara : « Je tiens à ce que vous sachiez que je suis une étudiante en droit et que je fais des recherches sur une affaire importante, le procès Gary Gilmore. Vous en avez entendu parler ? »
Kathryne, la femme de Bob, ne put s’empêcher de répondre : « Ce sont les avocats de Gilmore. » Ça aurait valu la peine de perdre sa culotte en plein tribunal rien que pour voir la tête de cette fille.
Les jours suivants, Earl Dorius fit toute une histoire à propos de la dispersion des cendres de Gilmore. D’après les règlements d’hygiène c’était un acte illégal et il aurait dû l’empêcher s’il avait été prévenu d’avance. Il découvrit alors que la prison était au courant mais ne l’avait pas contacté. Il dut se forcer à ne plus y penser. De plus ce n’était pas le genre de chose où l’on pouvait engager des poursuites et d’ailleurs il était passablement fatigué. Bob Hansen lui conseilla de prendre un peu de vacances pour compenser toutes ces heures de travail presque chaque soir, et depuis novembre, jusqu’à des 9 ou 10 heures.
Earl voulait des vacances tranquilles, brèves et sans but spécial, aussi emmena-t-il sa femme et ses enfants à Orem, où ils avaient de la famille. Juste à côté de l’autoroute, il aperçut un Travel Lodge et alla demander s’ils avaient des chambres. Comme la réceptionniste commençait à emplir leur fiche, le téléphone sonna et Earl l’entendit répondre : « Ne vous inquiétez pas, monsieur Damico. » Lorsqu’elle eut raccroché, Earl dit : « Qu’est-ce que Vern Damico a à voir avec ce motel ? Si c’est lui ou M. Schiller qui en est le propriétaire, je m’en vais.
— Comme c’est curieux, dit la fille, M. Schiller et ses collaborateurs sont partis hier. « Je n’échappe pas à Gilmore », se dit Earl.
Plus tard, Earl pensa souvent à cet instant où, dans le couloir de la Cour fédérale à Denver, il regardait par la fenêtre après avoir appris que Gilmore était mort et qu’il contemplait les gens se rendant à leur travail. Il était tout seul. Même lorsqu’il avait exposé sa requête, il était un personnage solitaire ; et c’était bien ainsi, au fond, de pouvoir regarder dehors, et voir, sur la place, les autres donner des interviews à la presse. Il devait avouer qu’il éprouvait pourtant une certaine déception et fit de son mieux pour en rire et se dire qu’il recherchait vraiment le masochisme du martyr. S’il avait tenu à s’abrutir de travail, rien que pour s’assurer que tout était au point dans les moindres détails, alors il ferait mieux d’acquérir une maturité affective suffisante pour ne pas se soucier de qui bénéficiait de la publicité.
Il n’allait d’ailleurs par tarder à vérifier cette exigence. Deux semaines plus tard, la Société historique de l’Utah alla visiter le bureau et interrogea tout le monde pour un de leurs volumes sur l’histoire de l’État. Toutefois personne ne s’adressa à Earl. Il n’était pas au bureau ce jour-là. C’était à peu près comme toute l’affaire Gilmore : il était toujours loin du centre de l’action, là où se trouvaient les gens des médias ou les historiens. L’essentiel, se dit-il, c’était d’être toujours content que tout soit fait.
SALT LAKE TRIBUNE
Une enquête exigée sur la photo de Gilmore
Par George A. Sorensen de la rédaction du Tribune
28 janvier 1977. – La Commission des Peines de l’État d’Utah a ordonné jeudi l’ouverture d’une enquête sur la façon dont les magazines Time et Newsweek se sont procuré des photos de Gilmore buvant une petite flasque de whisky peu avant l’exécution.
Salt Lake Tribune
L’exécution de Gilmore a coûté soixante mille dollars à l’État.
Par George A. Sorensen.
30 janvier. – Cela a coûté plus de soixante mille dollars aux contribuables de l’Utah pour juger le meurtrier Gary Mark Gilmore et le ramener à la vie lors des deux tentatives de suicide. À l’exception des frais réels du procès, estimés par le procureur du Comté d’Utah, Noall T. Wootton, à quinze ou vingt mille dollars, tous les autres chiffres résultent d’heures supplémentaires ou d’engagements de personnel adjoint.
Plus de deux cents membres du personnel de la prison sur trois cent vingt ont été rappelés à 3 heures le matin de l’exécution.
Le procureur général de l’Utah, Robert B. Hansen estime à dix-neuf mille dollars le travail supplémentaire de ses adjoints et secrétaires. Certaines ont travaillé jusqu’à trente heures d’affilée durant le dernier jour et la nuit qui ont précédé l’exécution.
Une des tâches les plus dures pour Toni Gurney fut de se rendre à l’hôpital de l’université d’Utah pour reprendre les vêtements de Gary. Ils avaient été entreposés quelques jours dans un magasin et avaient fini par rancir au point qu’on avait dû les congeler.
Ce fut ce colis glacé qui fut remis à Toni et elle le mit dans le coffre de sa voiture, mais durant son retour chez elle, il dégela. Le temps qu’elle mit pour rentrer fit qu’elle n’était pas loin d’être en retard pour son travail, mais il n’était cependant pas question de ne pas mettre ces vêtements immédiatement dans la machine à laver. Il s’en dégageait toute la puanteur d’une perte mortelle.
Avec les semaines, le flot des lettres de menaces commença à ralentir et Shirley Pedler retrouva une sorte de train-train quotidien, mais cela lui faisait un drôle d’effet d’entrer dans le bureau de l’A.C.L.U. sans trouver les couloirs pleins de monde. Tant de son énergie affective restait attachée à Gary Gilmore que le monde normal lui semblait bizarre et bien petit.
Non seulement Gilmore était mort, mais elle se trouvait elle-même dans une sorte de réalité en marge. De temps en temps, comme une brume qui traverse le ciel, elle se sentait en étrange communion avec lui, comme si une pensée l’avait traversée, et elle était heureuse qu’il se trouvât libéré de la tension sous laquelle il avait vécu. C’était paradoxal, mais elle en était contente.