Mona était en train de laver la vaisselle comme s’il s’était agi de s’acquitter d’une punition, lorsque Mme Madrigal entra dans la cuisine.
— Tu es fâchée contre moi, ma chérie ?
Mona haussa les sourcils :
— Non. Bien sûr que non.
— Alors, tu es fâchée contre quelqu’un. Contre Brian ?
Silence.
— Je croyais que tu m’avais dit que vous aviez passé une excellente soirée en dînant ensemble.
— Il est complètement barjot, lâcha Mona.
Mme Madrigal prit un torchon et commença à essuyer la vaisselle.
— Je sais, répondit-elle. Je croyais qu’il ferait un merveilleux gendre, sous ou sans les liens sacrés du mariage. Tu as besoin de quelqu’un, Mona.
— Pas de lui, en tout cas.
— Mais qu’est-ce qu’il a fait, pour l’amour du Ciel ?
Mona ferma le robinet, s’essuya les mains et s’effondra sur une chaise.
— Nous avons effectivement passé une excellente soirée en dînant ensemble. C’était merveilleux, OK ? Donc je suis retournée le voir le lendemain soir. Il était tard, je crois, mais pas si tard que ça et il aurait pu au moins répondre sans m’ouvrir si…
Elle se tut.
— Si quoi ? demanda Mme Madrigal.
— S’il était avec quelqu’un.
— Ah.
Mona se détourna, fulminante.
— Comment sais-tu qu’il était chez lui ? demanda Mme Madrigal.
— Il était là. Je l’avais vu monter dix minutes plus tôt.
— Et il était avec quelqu’un quand tu l’as vu ?
— Non, mais il aurait pu… Je ne sais pas. Laissons tomber, OK ?
Mme Madrigal sourit gentiment à sa fille, puis elle tira une chaise et s’assit à côté d’elle. Elle posa doucement sa main sur le genou de Mona.
— Tu sais, ce panneau que tu détestes tellement, celui qu’il y a devant Abbey Rents ?
— Ouais, répondit Mona d’un ton boudeur. « Cotillons et Accessoires Funéraires. »
— Eh bien, c’est ça, non ?
— Quoi ?
— La vie, ma chérie, dit-elle en serrant légèrement le genou de Mona. Dans la vie, si on veut sa part de cotillons, il faut savoir supporter le funéraire.
Mona leva les yeux au ciel.
— Alors ça, c’est vraiment simpliste.
— Pas du tout, ma chérie, repartit gracieusement Mme Madrigal. Simple, au contraire.
La mauvaise humeur de Mona se dissipa. Dans l’après-midi, Mme Madrigal et elle descendirent bras dessus, bras dessous chez Molinari Delicatessen où elles achetèrent du salami, du fromage et une barquette de champignons à la grecque. Elles pique-niquèrent dans Washington Square en regardant des grands-mères chinoises qui faisaient du taï-chi sur les pelouses.
Mona se jeta finalement à l’eau :
— Il faut que je te dise quelque chose, fit-elle à brûle-pourpoint.
— Oui, ma chérie ?
— C’est quelque chose de pas très… cotillon.
— Je t’écoute, dit Mme Madrigal avec un sourire.
— Ma mère vient à San Francisco.
Le sourire de Mme Madrigal disparut.
— La délicieuse Betty Ramsey, expliqua Mona. Je crois que vous vous connaissez.
— Mona… Pourquoi ?
— Je ne sais pas exactement, dit-elle en prenant la main de Mme Madrigal. Je suis désolée. Vraiment. Je l’ai suppliée de ne pas venir. Elle a dit que je lui devais bien ça et que j’étais en train de faire une grosse bêtise. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour l’empêcher.
— Tu lui as parlé de moi, Mona ?
— Non ! Je te le jure !
— Eh bien, qu’est-ce que c’est que cette histoire de « grosse bêtise » ?
— J’espérais que tu pourrais m’expliquer. Je veux dire : est-ce qu’il y a quelque chose que je devrais savoir, en dehors de ton opération ?
— Je n’arrive pas à voir ce que… (La voix de Mme Madrigal mourut. Elle tripota d’une main distraite les boucles de cheveux qui encadraient son visage anguleux.) Mona, si elle ne sait pas que toi et moi vivons ensemble, je ne vois pas comment je pourrais savoir quoi que ce soit qui explique ce qu’elle t’a dit.
— Mais elle sait. Je veux dire, je crois qu’elle sait. Oh, mon Dieu, on est dans le caca !
Mme Madrigal parvint à glousser :
— Alors, que faisons-nous, ma fille ?
— On l’invite à dîner ? fit Mona avec un pauvre sourire.
— Oh là là ! Pas cotillon, pas cotillon du tout, ça !
Mona se mit à rire.
— Peut-être que je devrais d’abord lui parler. Si elle n’est pas au courant pour toi, inutile de te trahir.
— Excellente idée.
… Mais qui sembla de moins en moins excellente au fur et à mesure que la journée passait. Ce soir-là, pendant que Mona était partie rendre visite à Michael à l’hôpital, Mme Madrigal enfreignit l’une de ses règles de conduite et resta assise dans sa chambre à se ronger les sangs en envisageant ce qui allait arriver.
Elle savait que c’était idiot. Si une confrontation avec Betty était inévitable, pourquoi s’angoisser ? Le plus important était désormais de mobiliser toute son énergie pour le bonheur de Mona.
Aussi se rendit-elle chez Brian pour lui parler.
Il lui en apprit plus qu’elle ne s’y attendait.