La Porsche gris métallisé de Beauchamp dévalait la pente de la colline comme une boule de flipper en route pour un beau score.
Mary Ann faisait tourner nerveusement sa bague autour de son doigt.
— Beauchamp ?
— Oui ?
— Qu’est-ce que tu as dit à ta femme ?
Il sourit comme un gentil boy-scout.
— Elle croit que je suis en train d’accompagner un gosse au camp.
— Quoi ?
— Je lui ai raconté que les Gardes organisaient un week-end au Mont Tam pour des gosses défavorisés. Ça n’a pas d’importance. Elle n’écoutait pas. Elle était en train d’arranger une réception avec sa mère pour Nora Cunningham.
— La diva ?
— Oui.
— Ta famille connaît une foule de gens célèbres, non ?
— Faut croire.
— Tu n’as rien dit à M. Halcyon, hein ?
— À propos de quoi ?
— À propos de… notre escapade.
— Tu es folle ou quoi ?
Elle se tourna vers lui :
— Je ne sais pas. Est-ce que je suis folle ?
L’endroit se trouvait sur un promontoire en bois qui domine la côte de Mendocino. Il y avait là une demi-douzaine de chalets plus ou moins bien entretenus. Cela s’appelait le Fools Rush Inn.
La dame qui tenait l’établissement n’arrêtait pas de faire des clins d’œil à Mary Ann.
Quand elle les eut laissés seuls, Mary Ann dit :
— Il n’y a qu’un seul lit ?
— Oui. Je lui demanderai d’apporter un lit pliant.
— Elle pensera que nous sommes bizarres.
— Ouais, c’est possible.
— Beauchamp, tu avais dit que nous ne…
— Je sais. J’étais sincère. Ne t’en fais pas. Je lui dirai que tu es ma sœur.
Il alluma un feu dans la cheminée, pendant que Mary Ann déballait son sac. Par habitude, elle avait emporté l’exemplaire déchiré de Nicolas et Alexandra qu’elle lisait depuis trois étés.
— Scotch ? fit-il.
— Non, merci.
— Pour me détendre.
— Je t’en prie, vas-y.
— Ça me fait vraiment plaisir, tu sais. J’avais besoin d’espace.
— Je sais. J’espère que ça t’aidera.
Il s’assit près de la cheminée et but son scotch à petites gorgées. Elle s’assit à côté de lui.
— Tu n’as pas énormément d’amis, n’est-ce pas ? s’enquit-elle.
Il hocha la tête.
— Ce sont tous des amis de DeDe. Je ne fais confiance à aucun d’eux.
— Je voudrais que tu puisses avoir confiance en moi.
— Moi aussi.
— Tu peux avoir confiance en moi, Beauchamp.
— J’espère.
Elle posa sa main sur ses genoux.
— Tu peux.
À la tombée de la nuit, ils roulèrent jusqu’au village et dînèrent au Mendocino Hotel.
— C’était merveilleux, dans le temps, dit Beauchamp en examinant la salle. Sympa et pas cher, le parquet irrégulier… bref, un truc authentique.
Mary Ann regarda autour d’elle.
— Ça m’a l’air très bien.
— C’est trop précieux. Ils se prennent au sérieux, maintenant. Le charme s’est envolé.
— Mais ils ont quand même installé des antifeux au plafond.
Il sourit.
— Parfait. C’était exactement la chose à dire.
— Qu’est-ce que j’ai dit ?
— Toi aussi, Mary Ann, tu es comme ça. Comme ce bâtiment. Ne te prends jamais au sérieux… ou la magie disparaîtra.
— Tu me trouves naïve, n’est-ce pas ?
— Un peu.
— Je manque de raffinement ?
— Exactement !
— Beauchamp… Je ne trouve pas que ce soit…
— Et ça Mary Ann, j’adore. J’adore ton innocence.
Lorsqu’ils retournèrent dans le chalet, quelques braises luisaient encore dans la cheminée. Beauchamp s’accroupit, et jeta une bûche de sapin dans le feu.
Il resta immobile, doré comme un faune de Maxfield Parish.
— Ils n’ont pas apporté le lit pliant. Je vais vérifier à la réception.
Mary Ann s’assit sur le sol à côté de lui. Doucement, elle caressa la toison d’ébène de ses avant-bras.
— Oublie le lit pliant.