En quête d’une dame


Brian passa la matinée dans Washington Square à prendre le soleil pour quelqu’un qui ne verrait probablement pas la différence. Alors qu’il rentrait d’un pas traînant à Barbary Lane par Union Street, il décida brusquement que le moment était venu de voir en face celle qui hantait ses nuits.

Il quitta Union Street pour Leavenworth et remonta jusqu’à Green Street, où le Superman Building étincelait, magique, dans les rayons du soleil.

Vus de près, les modernes hiéroglyphes qui le décoraient lui semblèrent revêtir une signification mystique, comme si c’étaient eux qui recelaient le secret de l’identité de Lady Onze.

Alors que Brian arrivait devant, un taxi Luxor déposa une passagère, une vieille dame avec des gants blancs, qui s’apprêtait à entrer dans le Superman Building.

— Excusez-moi, madame.

— Oui ?

— Je cherche une amie qui habite ici. Je suis un peu gêné de vous demander cela, en fait. J’ai oublié son nom. Elle habite au onzième étage, elle a à peu près mon âge, des cheveux assez longs et…

Le visage de la vieille dame se ferma immédiatement. Brian était sûr qu’elle avait une bombe lacrymogène dans son sac à main.

— Les noms sont sur les sonnettes, répondit-elle sèchement.

— Ah, oui. Je vois.

Il s’approcha des interphones en sentant le regard de la vieille le suivre. Il resta devant un instant en faisant semblant d’examiner les noms. Puis il se retourna et affronta le regard accusateur.

— Je ne suis pas un violeur, madame.

La vieille dame lui lança un regard noir, se redressa et se précipita dans l’immeuble. Elle dit quelques mots au vigile, qui se tourna et scruta Brian avant de lui répondre.

Brian continua d’examiner nonchalamment les noms, espérant que sa conduite n’éveillerait pas trop les soupçons. Il était rongé par un sentiment de culpabilité et se sentait furieux contre lui-même.

Six noms correspondaient au onzième étage : Jenkins, Lee, Mosely, Patterson, Fuentez et Matsumoto. Ça lui faisait une belle jambe.

Peut-être que s’il donnait un message au vigile… Non, ce connard le regardait déjà d’un sale œil. Et il était hors de question qu’il reste à traîner dans les parages si Lady Onze n’était pas là. D’un autre côté, si…

— Vous cherchez quelque chose ? lui demanda le vigile qui s’était approché en essayant de lui faire un numéro à la Karl Malden dans Les Rues de San Francisco.

— Eh bien, je cherche une jeune femme. (Le regard que le type lui lança signifiait clairement : « Je te vois venir, mon p’tit gars. ») Oh, laissez tomber, fit Brian.

De toute façon, il la voyait dans douze heures.

 

Il rebroussa chemin et redescendit Union Street jusqu’à La Contadina. Il avait besoin d’un verre de vin pour se calmer. Parfois, la vue d’un facho en uniforme suffisait à lui gâcher toute sa journée.

Quand il arriva au restaurant, une silhouette incongrue, assise dans un immense fauteuil qui ressemblait à un trône, lui fit signe derrière la vitrine. C’était Mme Madrigal, arborant un turban à motifs en cachemire, un sarouel et du fard à paupières bleu. Elle lui faisait signe d’entrer.

— Veux-tu te joindre à moi ?

— Bien sûr, dit-il en s’asseyant en face d’elle.

Il se trouvait un peu déplacé, avec son short de gym et son sweat-shirt. De son côté, Mme Madrigal avait l’air un peu affolé sur les bords :

— Brian… Tu n’as pas vu Mona ?

— Non. Ça fait bien une semaine.

— Je suis inquiète. Elle m’a laissé un mot lorsque Mary Ann et Michael sont partis. Elle me disait qu’elle s’absentait pour une courte période, mais je n’ai pas eu une seule nouvelle depuis. Je me disais que tu aurais peut-être… Rien, hein ?

Brian secoua la tête :

— Non, désolé.

Mme Madrigal tripota nerveusement son turban.

— Il lui arrive d’être un peu… imprudente, parfois.

— Je ne la connais pas aussi bien que vous. Depuis combien de temps habite-t-elle à Barbary Lane ?

— Oh, largement plus de trois ans ! Brian, t’a-t-elle jamais… parlé de moi ?

— Jamais, répondit-il après un instant de réflexion. Pourquoi ?

— J’ai peur d’avoir été moi-même un peu imprudente. J’espère simplement qu’il n’est pas trop tard.

— Je ne…

— Mona est ma fille, Brian.

Ses locataires, songea Brian, étaient toujours « ses enfants ». Il eut un sourire entendu.

— Vous devez être très proche d’elle.

— Non, Brian. Je veux dire par là que c’est ma fille pour de vrai.

Il resta bouche bée :

— Votre… Mona est au courant ?

— Non.

— Je croyais qu’elle disait que sa mère vivait dans…

— Je ne suis pas sa mère, Brian. Je suis son père.

Avant qu’il ait pu prononcer un mot, elle posa un doigt sur ses lèvres pour lui intimer l’ordre de se taire.

— Nous en reparlerons une fois rentrés, chuchota-t-elle.