Mona lève le camp


La matinée était claire et venteuse. Michael lança un caillou dans la baie et glissa un bras autour des épaules de Mona.

— J’aime tellement le parc de la Marina, dit-il.

Mona grimaça et s’arrêta net, raclant sa vieille chaussure de marche contre le trottoir.

— Sans parler des crottes de la Marina.

— T’es d’un romantisme, toi, quand tu t’y mets !

— Le romantisme, je m’en tape ! Regarde où ça t’a mené.

— Merci, c’est juste la réflexion dont j’avais besoin.

— Pardon. Je ne voulais pas être méchante.

— Bah !… En fait, t’as raison.

— Non, je n’ai pas raison. Je suis veule à chier dans mon froc. Un jour, Mouse, il t’arrivera un truc formidable. Et ce jour-là, tu l’auras vraiment mérité parce que tu ne t’es jamais découragé. Moi, ça fait trop longtemps que j’ai décroché.

 

Michael s’assit sur un banc et nettoya la place à côté de lui.

— Qu’est-ce qui te chiffonne, Mona ?

— Rien en particulier.

— Vas-y, essaie de me faire croire ça !

— Tu n’as pas besoin d’une nouvelle déprimante de plus.

— Laisse-moi rire ! Je carbure aux nouvelles déprimantes.

Elle s’assit à côté de lui, fixant son regard vitreux sur la baie :

— Je crois que je vais peut-être déménager, Mouse.

Le visage de Michael ne changea pas d’expression :

— Ah ?

— Une amie voudrait que j’emménage avec elle.

— D’accord…

— Ça n’a rien à voir avec toi, Mouse. Sincèrement. Il y a seulement que quelque chose doit changer dans ma vie. C’est ça ou craquer… J’espère que tu…

— C’est qui ?

— Tu ne la connais pas. Elle est mannequin. Je l’ai connue à New York.

— Alors, tu me fais ça comme ça ?

— Mouse, c’est vraiment quelqu’un de bien. Elle vient d’acheter une magnifique maison victorienne rénovée à Pacific Heights.

— Friquée à ce point ?

— Ouais. Je suppose.

Il la fixa sans dire un mot.

— J’ai besoin… d’un sentiment de sécurité, Mouse. Merde, j’ai trente et un ans !

— Et alors ?

— Et alors, j’en ai marre d’acheter des fringues d’occas’ en me convainquant qu’elles sont géniales. Je veux une salle de bains nettoyable et un micro-ondes et un endroit où planter des roses et un putain de klebs qui me reconnaisse quand je rentre à la maison !

Michael se mordilla le petit doigt et lui lança un regard oblique.

— Ouaf, fit-il faiblement.

 

Ils marchèrent un moment le long du quai.

— Mona, vous étiez ensemble, toi et elle ?

— Oui.

— Pourquoi ne me l’as-tu jamais dit ?

— Ça ne m’a jamais vraiment paru important. Je ne faisais pas exactement… partie de ce milieu. Comme gouine, j’étais nulle.

— Et maintenant tu ne l’es plus ?

— Ça n’a pas d’importance.

— Tu parles !

— Elle est gentille, et…

— Elle prendra bien soin de toi, et tu pourras rester à la maison et bouffer des chocolats et lire des magazines jusqu’à l’écœurement…

— Mouse, arrête.

— Mais putain !… Peut-être que ça fait longtemps que tu as décroché, mais je ne vais pas te laisser foutre ta vie en l’air. Tu n’es même pas juste envers elle, Mona ! Qu’est-ce qu’elle va foutre d’une partenaire à la noix qui flashe sur les salles de bains en marbre ?

— Écoute, tu n’as pas…

— Rien n’est gratuit, Mona ! Rien !

— Ah ouais ? Et ton loyer, alors ?

Ces mots firent plus de mal qu’elle ne l’avait prévu. Michael se tut.

— Mouse, je ne voulais pas dire ça.

— T’excuse pas. C’est la vérité.

— Mouse… J’en ai rien à cirer de ça.

Il pleurait, à présent. Elle s’arrêta de marcher et serra sa main.

— Écoute, Mouse. Tu auras tout l’appartement pour toi tout seul, et Mme Madrigal va certainement lâcher du lest pour le loyer jusqu’à ce que tu trouves un job.

Il se frotta les yeux avec le dos de la main.

— On se croirait à la fin d’une romance de série B, dit-il.

Elle l’embrassa sur la joue :

— C’est vrai, hein ?

— Tu parles d’une romance ! Tu ne seras même pas restée assez longtemps pour rencontrer mes parents.