Mary Ann se mit à lire :
Cher Mikey,
Comment vas-tu ? Je suppose que tu es rentré du Mexique, depuis le temps. Écris-nous. Ton papa et moi sommes vraiment impatients que tu nous racontes ton voyage. Et puis, comment va Mary Ann et quand pourrons-nous enfin la voir ?
Tout va bien à Orlando. On devrait s’en sortir avec la récolte de cette année, même malgré le gel et tout. Le boycott des homosexuels a fait baisser un peu les ventes de jus d’orange, mais papa dit que ça ne changera rien à long terme et d’ailleurs, ça ne…
Mary Ann leva les yeux.
— Mouse… Tu ne crois pas qu’on devrait remettre à une autre fois ?
— Non, t’inquiète pas. Continue.
Mary Ann regarda Jon, qui haussa les épaules.
— J’ai supporté ce discours pendant toute ma vie, dit Michael. Une fois de plus, ça ne changera pas grand-chose.
Mary Ann reprit donc sa lecture :
… d’ailleurs, ça ne fera rien d’autre que montrer au Seigneur de quel côté nous sommes.
Tu te souviens que dans ma dernière lettre, je te disais que nous n’avions rien dit dans notre résolution à propos des locations aux homosexuels, parce que Lucy McNeil loue son garage à celui qui vend des tapis à la galerie marchande Dixie ? Je pensais que ça valait mieux, parce que Lucy est quelqu’un qui ne fait pas d’histoires et qui a des problèmes d’intestins, et que ce ne serait pas chrétien de lui causer inutilement du souci.
Je crois que le type qui a dit que la route de l’enfer est pavée de bonnes intentions avait raison, parce que tout d’un coup Lucy est devenue une militante de la cause des homosexuels. Elle a dit qu’elle ne voulait pas signer la résolution de « Protégeons nos Enfants » ; elle nous a traités de païens et d’hypocrites. Elle a dit que le Seigneur ne nous laisserait même pas lui baiser les pieds s’Il revenait sur la terre demain. Tu imagines une chose pareille ?
J’étais vraiment dans tous mes états après la réunion, jusqu’au moment où papa m’a tout expliqué. Tu sais, je n’y avais jamais bien réfléchi, mais Lucy ne s’est jamais mariée, et pourtant elle était mignonne comme tout quand on allait au collège ensemble. Elle aurait pu trouver un bon mari, si elle avait voulu. En tout cas, papa m’a fait remarquer que Lucy suit des cours d’art moderne à la YMCA, qu’elle porte des chemises indiennes et des vêtements hippies, alors je me dis que c’est possible que les lesbiennes aient réussi à la recruter. C’est vraiment dur à croire, quand même. Elle était tellement jolie.
Etta Norris a organisé une petite soirée pour « Protégeons nos Enfants », chez elle, samedi dernier. C’était vraiment très bien. Lolly Newton a même apporté un gâteau qu’elle avait préparé en suivant une recette du livre de cuisine d’Anita Bryant. Ça nous a donné l’idée de faire plein de plats en suivant ces recettes et de les vendre afin de recueillir des fonds pour l’association.
Nous prions tous le Ciel pour que la motion de Miami passe. Si les homosexuels ont le droit d’enseigner à Miami, la même chose risquerait de se produire à Orlando. Le révérend Harker dit que la situation est tellement grave à Miami que les homosexuels s’embrassent en public. Ton papa n’y croit pas, mais moi, je dis que le diable est beaucoup plus rusé qu’on ne croit.
Mikey, nous avons dû faire piquer Blackie. Je suis désolée de devoir te dire ça, mais il était tellement vieux. Je sais que le Seigneur veillera sur lui, comme Il le fait pour toutes Ses créatures. Bubba te dit bonjour.
Je t’embrasse,
Maman.
Mary Ann s’approcha du chevet de Michael et s’adressa à lui sans même utiliser le miroir :
— Mouse… Je suis vraiment navrée.
— Laisse tomber. Moi, je trouve que c’est à pisser de rire.
— Non, c’est épouvantable. Elle ne sait pas ce qu’elle raconte, Mouse.
— Si, elle sait, dit Michael en souriant. C’est une Chrétienne avec un « C » majuscule. Ils savent toujours ce qu’ils racontent.
— Mais elle ne dirait pas ça, Mouse. Si elle savait. Pas à son propre fils.
— Elle le dirait du fils d’une autre. Qu’est-ce que ça changerait ?
Mary Ann se tourna vers Jon et Burke ; des larmes se mirent à couler sur ses joues. Puis elle se pencha et posa l’une de ses mains sur le corps immobile qui gisait dans le lit.
— Mouse… Si je pouvais t’aider pour changer quelque chose à…
— Mais tu peux, Babycakes.
— Quoi ? Comment ?
— Tu as un Bic ?
— Oui, bien sûr.
— Alors veuillez prendre une lettre, Miss Singleton.