Tout, chez Helena Parrish, était élégant, mais raisonnablement. Elle portait une capeline bleu marine, un tailleur Mollie Parnis bleu marine, ainsi que des talons aiguilles en box-calf bleu marine de chez Magnin. Pour Frannie, elle avait l’air du genre de femme qui n’aurait manqué pour rien au monde une conférence géographique du Century Club.
— Voulez-vous encore du thé ? demanda Frannie en se demandant où sa visiteuse était allée se faire faire un balayage aussi réussi.
— Non, merci, dit avec un sourire Helena Parrish en se tamponnant les lèvres avec une serviette de lin.
— Un biscuit ?
— Non. Ils sont délicieux, cela dit. Puis-je vous appeler Frannie, au fait ?
— Bien sûr.
— Que savez-vous de Pinus, Frannie ?
La maîtresse de maison rougit, prise de court par cette approche si directe du sujet :
— Oh… Eh bien, ce sont surtout des ouï-dire, je suppose.
À ce stade, la discrétion semblait plus sage. Helena pouvait faire les frais de la conversation.
Sa visiteuse hocha gravement la tête.
— Le bouche à oreille, nous nous en sommes aperçues, est notre meilleur rempart, dit-elle avec un léger sourire. La discrimination semble être un mot affreux, de nos jours, vous ne trouvez pas ?
— C’est épouvantable.
— Nous préférons appeler cela du contrôle de qualité. Et bien entendu, moins nous bénéficions de publicité, plus nos capacités à… satisfaire les besoins de notre clientèle en sont accrues.
— Je comprends.
— Hormis les critères sociaux, la seule exigence pour être membre est d’avoir atteint son soixantième anniversaire.
Elle avait prononcé les deux derniers mots d’un ton de conspiratrice, comme pour s’excuser de cette embarrassante, bien que nécessaire indiscrétion.
— Le moment est presque parfaitement choisi, répondit Frannie avec un sourire piteux.
— Je sais, dit Helena.
— Vita ?
Helena hocha la tête et poursuivit :
— Selon notre philosophie, les femmes parvenues à la maturité où nous en sommes ont le droit légitime de se forger le style de vie qu’elles sont en mesure de s’offrir. Après tout, nous avons observé scrupuleusement les règlements pendant quarante ans. Nous avons élevé des enfants, toléré des époux, fréquenté les clubs qu’il fallait, soutenu les œuvres qui convenaient. (Elle se pencha en avant et regarda Frannie droit dans les yeux.) Nous avons payé de notre personne, Frannie, et nous n’allons pas passer le reste de notre vie à souffrir comme des veuves geignardes et éplorées !
Frannie êtait hypnotisée. Helena Parrish avait commencé à acquérir à ses yeux l’aura d’un gourou.
— Bien entendu, il y a d’autres solutions. Pinus n’est pas la seule qui existe. C’est simplement la seule qui soit gratifiante. Et si nous en avons les moyens, pourquoi donc devrions-nous gaspiller notre argent en liftings, liposuccions et autres injections de collagène ? Par bonheur, les gens de notre sorte peuvent se permettre ce genre de… luxe. Et qu’y a-t-il de mal à cela ? Qu’y a-t-il de mal à exiger notre part de ce délicieux gâteau qu’est le plaisir ?
Elle tendit une brochure à Frannie. Elle était imprimée à l’encre brune sur vélin gaufré crème et ne comprenait, évidemment, aucune illustration.
PINUS
Pour les Dames de soixante ans Exigeantes
Douillettement blotti dans les opulentes collines de Sonoma, Pinus est, sans aucune équivoque, la plus exceptionnelle résidence de vacances du monde. Résidence de vacances est peut-être un mot mal choisi. Car Pinus offre avant tout un Style de Vie. Pinus est le Royaume idyllique, celui où s’épanouit la Femme Mûre, un Rêve d’Abandon à la Nature. Une fois que vous aurez connu l’expérience Pinus, rien ne sera plus pour vous tout à fait pareil.
— Je vous laisse la brochure, dit tranquillement Helena. Je suis certaine que vous aimerez y réfléchir seule, à tête reposée.
— Oui. Je vous remercie.
— Comme vous le savez peut-être, Frannie, l’admission dépend en dernier ressort de notre conseil d’administration. Dans votre cas, cependant, je suis convaincue qu’il n’y aura aucune… (Elle termina sa phrase en balayant l’air d’un petit geste désinvolte. Le rang social de Frannie n’avait jamais été un problème.) La décision vous appartient, désormais, Frannie. Si vous vous sentez prête, passez-moi un coup de fil à Pinus. Le numéro figure sur la brochure.
— Merci. Euh… Helena, quand pourrais-je… Enfin, à partir de quand… ?
— Le jour de votre anniversaire, si vous le souhaitez, dit sa visiteuse avec un sourire cordial. Nous offrons même pour ce genre d’occasion un gâteau très intéressant.
— Oh, comme c’est amusant !
— Oui, dit Helena. Il était temps, n’est-ce pas ?