La femme qui se trouvait en bas, près des poubelles, avait ses cheveux roux frisés, et portait une robe paysanne en coton, très chic-country.
Elle déposa son sac d’ordures avec un dédaigneux plissement du nez, et sourit à Mary Ann.
— Vous savez, c’est très révélateur, les ordures. Bougrement plus que le tarot ! Que pourrait-on conclure de… voyons ça… quatre cartons de yaourt, un sac Cost Plus, des épluchures d’avocat, et des emballages de cellophane assortis ?
La femme pressa ses doigts contre son front à la manière d’une voyante.
— Ah, oui… le sujet fait attention à elle… d’un point de vue nutritif, en tous cas. Elle fait probablement régime et… est en train de meubler son appartement !
— Saisissant !
Mary Ann sourit. La femme continua :
— Elle aime également… faire pousser des choses. Elle n’a pas jeté le noyau d’avocat, ce qui signifie qu’elle le fait probablement germer dans la cuisine.
— Bravo !
Mary Ann lui tendit la main.
— Je m’appelle Mary Ann Singleton.
— Je sais.
— Par mes ordures ?
— Par notre logeuse. Notre Mère à Tous.
Elle serra fermement la main de Mary Ann.
— Moi c’est Mona Ramsey… juste en dessous de vous.
— Salut. Vous auriez dû voir ce que Mère a scotché à ma porte hier soir.
— Un joint ?
— Elle vous l’a dit ?
— Non. C’est la procédure habituelle. On en reçoit tous un.
— Elle fait pousser ça dans son jardin ?
— Juste là, derrière les azalées. Elle a même des noms pour chacune des plantes… comme Dante et Béatrice et… Hé, vous voulez un peu de ginseng ?
— Pardon ?
— Du ginseng. Je suis en train d’en infuser en haut. Allez, venez.
L’appartement de Mona, au deuxième étage, était orné de tapisseries indiennes, d’un assortiment de panneaux indicateurs, et de lampes Art déco. Un rouleau de câble industriel faisait office de table. Et une vieille chaise percée victorienne lui servait de fauteuil.
— J’avais des rideaux, avant.
Elle sourit en offrant une tasse de thé à Mary Ann.
— Mais après un moment, reprit-elle, les couvre-lits à motifs cachemire semblaient si… sixties.
Elle haussa les épaules.
— De toute façon… à quoi bon cacher mon corps ?
Mary Ann regarda furtivement par la fenêtre.
— Et cet immeuble là, de l’autre…
— Non, je veux dire… personne n’a rien à cacher devant le Cosmos. Sous les Rayons de la Blanche Lumière Guérisseuse, nous sommes tous Nus, avec un N majuscule. Alors j’en ai rien à foutre du n minuscule.
— Ce thé est vraiment…
— Pourquoi voulez-vous être secrétaire ?
— Comment vous savez ?
— Mère Grande. Mme Madrigal.
Mary Ann ne parvint pas à cacher son irritation.
— Elle ne perd pas de temps à répandre les nouvelles, en tout cas.
— Elle vous aime bien.
— C’est elle qui vous l’a dit ?
Mona indiqua que oui.
— Vous ne l’aimez pas ?
— Euh… si. C’est-à-dire que je ne la connais pas depuis assez longtemps pour…
— Elle pense que vous la trouvez bizarre.
— Oh, super. L’intuition instantanée.
— Est-ce que vous la trouvez bizarre ?
— Mona, je… ouais, un peu, avoua-t-elle en souriant. C’est peut-être de ma faute. On n’a pas de gens comme ça à Cleveland.
— C’est possible.
— Elle te veut dans la famille, Mary Ann. Laisse-lui une chance, OK ?
La condescendance de Mona agaça Mary Ann.
— Je ne vois pas où est le problème.
— Non, pas encore.
Mary Ann sirota en silence son thé au goût étrange.
La meilleure nouvelle de la journée tomba quelques minutes plus tard. Mona était rédactrice publicitaire pour Halcyon Communications, une agence de pub reconnue, sur Jackson Square.
Edgar Halcyon, le P.D.G., avait besoin de quelqu’un pour remplacer sa secrétaire personnelle qui « lui avait fait le coup de tomber enceinte ».
Mona arrangea un entretien pour Mary Ann.
— Vous n’avez pas l’intention de retourner à Cleveland, j’espère ?
— Pardon ?
— Vous ne bougez pas, là ?
— Non, monsieur. J’aime San Francisco.
— Elles disent toutes ça.
— Dans mon cas, il se trouve que c’est la vérité.
Les énormes sourcils blancs d’Halcyon ne firent qu’un bond.
— Êtes-vous aussi impertinente avec vos parents, mademoiselle ?
Pince-sans-rire, elle répondit :
— Pourquoi croyez-vous que je ne peux pas rentrer à Cleveland ?
C’était risqué, mais cela avait fonctionné. Halcyon jeta sa tête en arrière, et partit d’un grand éclat de rire.
— OK, fit-il tout en reprenant son air digne. C’était la dernière fois.
— Pardon ?
— C’est la dernière fois que vous me voyez rire comme ça. Allez vous reposer. Demain, vous vous mettez à travailler pour le plus grand fils de pute de toute la ville.
Quand Mary Ann rentra à Barbary Lane, Mme Madrigal était en train d’arracher les mauvaises herbes de son jardin.
— Alors, tu l’as eu, hein ?
Mary Ann acquiesça.
— Mona vous a appelée ?
— Non. Mais je savais que tu l’aurais. Tu obtiens toujours ce que tu veux.
Mary Ann sourit et haussa les épaules.
— Merci. Enfin, je crois.
— Tu me ressembles beaucoup, mon enfant… Que tu le saches ou non.
Mary Ann se dirigea vers la porte d’entrée, puis fit demi-tour.
— Mme Madrigal ?
— Oui ?
— Je… Merci, pour le joint.
— C’était avec plaisir. Je crois que Béatrice te plaira.
— C’était gentil de votre part de…
La logeuse l’interrompit d’un geste de la main.
— Va dire tes prières et fais de beaux rêves. Maintenant tu es une femme active.