Questions et réponses


— Bonsoir, Betty.

Mme Madrigal avait prononcé ces mots avec une chaleur et une assurance qui laissèrent Mona stupéfaite. En plus, la logeuse n’avait jamais paru aussi belle. Une peau éclatante, satinée. Des yeux étincelants. Un kimono vert pâle qui flottait autour d’elle comme des ailes de papillon.

Et ce soir-là, elle ne portait pas son turban. Ses cheveux encadraient son visage de boucles douces et romantiques. Betty était à l’évidence prise de court.

— Bonsoir. J’espère que je ne… Comment vas-tu ?

Mme Madrigal sourit comme une bienveillante déesse hindoue.

— Appelle-moi Andy, si tu veux. Je me doute que tu dois avoir du mal à te faire à Anna.

— Non, c’est tout à fait… C’est un quartier adorable. Je comprends pourquoi Mona en est folle.

— Je crois savoir que tu n’habites qu’à quelques rues de là, dit Mme Madrigal en prenant le manteau à sa visiteuse.

— Oui. Enfin, c’est un grand immeuble. Mais ici, c’est tout bonnement… délicieux. Cet escalier qui mène jusqu’ici, on dirait qu’il sort tout droit de… Je ne sais pas d’où, en fait.

Elle entra dans le salon en s’extasiant avec nervosité sur tout ce qu’elle voyait. Sauf, bien sûr, sur celui qui avait jadis été son mari.

Mme Madrigal rapporta du sherry de la cuisine.

— Je ne t’en ai pas servi, Mona chérie. Je crois que ta mère et moi devrions parler toutes les deux.

Mona se leva d’un bond.

— OK. Très bien. Je vais aller faire un tour.

— Ça ne sera pas long, dit Mme Madrigal. Pourquoi n’irais-tu pas au Tivoli ? Peut-être que nous pourrons t’y retrouver après.

— Bon, dit Mona sur un ton morne en s’apprêtant à sortir.

 

Mme Madrigal resta à boire son sherry sans mot dire, les yeux fixés sur Betty dont le sourire s’évanouit rapidement.

— Mon Dieu, dit-elle enfin, tu as vraiment bonne mine. Tu as gardé la même silhouette qu’il y a trente ans.

Betty lissa les plis de sa jupe et s’assura qu’elle cachait bien ses genoux.

— Le yoga, ça aide, lâcha-t-elle.

— Mmmh… Ça et un petit coup de bistouri par-ci par-là.

Betty se raidit.

— Je ne vois pas ce que…

— Je ne suis pas en train de te mettre en boîte, Betty, dit Mme Madrigal en éclatant de rire. Je serais bien la dernière personne au monde à dénigrer l’importance de la chirurgie ! (Cet accès de gaieté disparut aussi vite qu’il était venu.) Alors, que puis-je faire pour toi ?

L’agent immobilier baissa les yeux sur son verre.

— J’ai le droit de voir ma fille, dit-elle doucement, pesant ses mots comme si elle était sur le point d’exploser. J’ai le droit de savoir ce que tu fais avec elle.

Un faible sourire glissa sur les lèvres de la logeuse :

— Ce que je fais avec elle ? Quelque chose de monstrueusement pervers : je lui offre un toit. Et mon amour.

— Ce que je n’ai pas fait. C’est ça, que tu sous-entends ?

— Ne sois pas stupide, Betty. Mona a plus de trente ans.

Une grosse veine commença à gonfler sur le cou tendu de Betty.

— Je sais ce que tu es en train de faire. Tu la montes délibérément contre moi. Tu l’utilises pour satisfaire je ne sais quel désir morbide de maternité, histoire d’avoir l’impression que tu es une vraie femme ! Mon Dieu ! C’est tellement tordu que je ne peux même pas…

— Je suis navrée que tu m’en veuilles autant. Tu te sentiras peut-être mieux quand je t’aurai dit ceci : je pense que ce que tu ressens est, d’une certaine manière, justifié.

— Justifié d’une certaine manière ! Écoute-moi, Andy ! Je veux qu’on me donne plus qu’un pauvre verre de sherry et quelques excuses molles. Je veux des réponses, merde !

Mme Madrigal posa son verre et croisa les mains sur ses genoux.

— Très bien, dit-elle doucement. Je vais faire de mon mieux.

Son attitude agaça Betty.

— Pour commencer, dit celle-ci, je veux savoir ce qui est arrivé à Norman Williams.

Mme Madrigal ouvrit ses yeux de porcelaine grands comme des soucoupes.

— Tu le connaissais ?

— Épargne-moi tes salades, gronda Betty.

— Betty, honnêtement, mais de quoi tu parles ?

— Je l’ai engagé et tu le sais très bien ! Qu’est-ce que tu as fait ? Tu lui as donné de l’argent ?

— Il a disparu il y a quelques mois. Il n’est tout simplement jamais revenu, Betty. Mon Dieu, c’était un détective, c’est ça ?

— Comme tu mens bien ! fit Betty en se dressant d’un bond. J’aurais dû me douter que tu ne me dirais pas la vérité. Et je crois qu’il est temps que Mona connaisse la vérité sur son véritable père !

— Betty, je t’en prie…

— À moins, bien sûr, que tu ne la lui aies déjà dite, avec ta naïveté de femme libérée !

Silence.

— Je m’en doutais, dit Betty avec un sourire mauvais.

— Comment peux-tu être aussi cruelle ? lui reprocha Mme Madrigal. Tu vas lui faire du mal, c’est tout.

— Tu l’as dit toi-même. Mona a plus de trente ans. Elle pourra encaisser ça. C’est une grande fille, maintenant.