Vita la bonne fée


Tous les souvenirs d’adolescence de DeDe hantaient encore son ancienne chambre d’Halcyon Hill : un poster des Beatles en lambeaux, une girafe en peluche, un fouet à champagne de la Tonga Room, et un bocal de pétales de roses séchées remontant à l’époque de son bal de débutantes.

Rien n’avait changé, rien n’avait été déplacé, comme si l’occupante de cette petite chambre rose et verte dénuée de tout artifice était morte dans un accident d’avion et qu’une mère dévastée par le chagrin et une passion morbide avait conservé telles quelles ces reliques pour la postérité.

D’une certaine façon, en fait, elle était morte. Aux yeux de maman, en tout cas.

— Ma chérie, je suis désolée, mais pour moi cela n’a aucun sens.

— C’est entre Beauchamp et moi, Maman.

— Je pourrais faire quelque chose, si tu me le permettais.

— Non, tu ne peux rien faire. Personne ne le peut.

— Je suis ta mère, ma chérie. Je suis sûre qu’il y a…

— Laisse tomber.

— En as-tu parlé à Binky ?

L’irritation de DeDe s’accrut :

— Mais qu’est-ce que ça vient foutre là-dedans ?

— Je me demandais…

— Tu te demandais si ces vieilles peaux du Francesca Club n’allaient pas se mettre à colporter des saloperies sur ta précieuse petite fille chérie !

— DeDe !

— Tu penses que Carson Callas va parler dès demain de notre séparation dans sa rubrique mondaine et que tu ne pourras pas garder la tête haute à la Cow Hollow Inn. Eh bien, tant pis, Maman ! Tant pis et merde !

Frannie Halcyon s’assit sur le bord du lit de sa fille et fixa le mur d’un air atterré :

— Je ne t’avais jamais entendue parler ainsi, DeDe.

— En effet.

— C’est ta grossesse ? Parfois, cela peut…

— Non.

— Tu devrais être radieuse, ma chérie. Quand je t’attendais, je me sentais si…

— Maman, ne recommence pas, je t’en prie.

— Mais pourquoi as-tu agi ainsi à un pareil moment, chérie ? Pourquoi quitter Beauchamp quelques semaines seulement avant…

— Écoute, je n’y peux rien. Je n’y peux rien si je ne me sens pas radieuse. Je n’y peux rien du tout en ce qui concerne Beauchamp. Je garde les bébés. Je les veux. Est-ce que ça te suffit, Maman ?

Frannie se rembrunit :

— Mais pour quelle raison, mon Dieu, ne voudrais-tu pas les garder ?

Silence.

— DeDe ?

— J’ai la migraine, Maman.

Frannie soupira, l’embrassa sur la joue et se leva.

— Je t’aime, mais tu ne ressembles plus à ma fille. Je crois que j’ai compris… ce qu’a dû ressentir la mère de Patty Hearst.

 

La maîtresse d’Halcyon Hill était en train de se préparer un cocktail Mai Tai quand le téléphone sonna.

— Madame Halcyon ?

— Oui.

— Je m’appelle Helena Parrish. C’est Vita Keating qui m’a demandé de prendre contact avec vous.

Frannie rassembla tout son courage et se résigna à écouter un discours de plus destiné à la convaincre de faire partie d’un conseil d’administration de musée.

— Ah… oui, fit-elle prudemment.

— Je vais être directe, madame Halcyon. On m’a priée de vous contacter parce que vous avez émis le souhait de vous inscrire à Pinus. (Frannie ne fut pas très sûre d’avoir bien entendu.) Vous ne voyez pas très bien qui nous sommes peut-être ?

— Non, je… Eh bien, oui, bien sûr, j’ai entendu parler de… Excusez-moi, mais si c’est encore une des plaisanteries de Vita, je ne pense pas que…

Son interlocutrice eut un petit rire de gorge :

— Il ne s’agit pas d’une plaisanterie, madame Halcyon.

— Je… Je vois.

— Pensez-vous que nous pourrions nous rencontrer pour en discuter un peu prochainement ?

— Oui. Oui, bien sûr.

— Que diriez-vous de demain ?

— Très bien. Euh… Voulez-vous que nous déjeunions quelque part ensemble ?

— Pour tout vous dire, nous préférons être discrets. Puis-je vous rendre visite à Halcyon Hill ?

— Certainement. À quelle heure ?

— Oh, disons vers deux heures.

— Parfait.

— Très bien. Bye-bye !

— Bye-bye, fit Frannie qui se sentit l’estomac noué.