Amoureux de l’amour


Le bruit courait que les plus beaux mecs du City Athletic Club allaient désormais au Muscle System, plus bas sur Market Street, mais Michael avait du mal à le croire.

Aujourd’hui, par exemple, le club était comme à l’accoutumée bondé de belles bêtes : on ne comptait plus les superbes torses bronzés qui souffraient héroïquement sous la tyrannie high-tech des appareils Nautilus. Finalement, c’était un spectacle tout à fait décourageant.

Car Michael avait besoin de se retaper. Et sacrément !

Après trois douloureux quarts d’heure d’ischios, de presse inclinée, de développés nuque et de super-seven, il alla se replonger dans l’immense jacuzzi où Ned se languissait déjà comme un gladiateur vieillissant.

Michael se glissa dans l’eau bouillonnante en disant :

— C’est aussi imparable qu’un axiome.

— Quoi donc ? s’enquit Ned.

— Quand je suis dans une forme parfaite, je ne suis pas amoureux. Et quand je suis amoureux, je me traîne.

Ned lui pinça la nuque en riant :

— Qui est l’heureux élu ?

— Salaud, dit Michael.

— Je pensais que tu voulais dire…

— Laisse tomber. Il n’y a pas d’heureux élu, de toute façon, et je suis juste à la recherche d’un… d’un moment agréable.

Ned étendit ses jambes et se laissa flotter sur le dos.

— Et ton copain le flic ? se renseigna-t-il. Je croyais qu’il te faisait grimper aux rideaux ?

— Juste au plumard, rien de plus. (Ned éclata de rire.) D’ailleurs, j’en ai marre d’être amoureux de l’amour. Je fais beaucoup plus attention maintenant qu’avant.

— Très bien.

Toujours sur le dos, Ned tourna la tête et sourit d’un air narquois.

— C’est vrai, je t’assure ! insista Michael. Il faut faire attention. Il y a des mecs qui ont complètement laissé tomber l’amour et qui ont décidé de se contenter d’un cheptel de dix mecs avec qui la baise est géniale. Tu crois que tu flirtes avec le Prince Charmant, alors qu’en fait, t’es simplement en train d’auditionner pour faire partie du troupeau. Tu trouves un sens à tout ça ?

— Tu as réussi à faire partie de son Top 10 ? ironisa Ned.

— Je ne parlais pas particulièrement de Bill.

— Ah.

— Je crois que maintenant j’ai trop l’air d’une vieille rengaine, pour entrer dans le Top 10 ! Ce n’est pas grave. J’en ai un peu marre de la baise entre copains. Mais pourquoi est-ce que je te raconte tout ça, d’ailleurs ? Tu n’as pas toi-même tout un cheptel ?

Ned changea de position et se rassit :

— C’est cent fois mieux que d’écumer les bars et de collectionner les coups sans lendemain. Il y a beaucoup d’avantages à coucher avec ses copains, Michael.

— Peut-être. Mais un brin de romance n’a jamais fait de mal. Un peu de sentiment, je veux dire.

— Bien. Alors, va en chercher, Bubba.

— J’essaie, je te jure ! s’exclama Michael.

— C’était ce que tu faisais au Glory Holes, la semaine dernière ?

— Oui, à ma façon… Merde, je ne sais pas. Je traverse des cycles, sûrement. Parfois, je me dis que je suis le mec le plus obsédé du monde, qu’il ne me faut rien de plus qu’un inconnu sexy qui me travaille les seins et m’appelle « Mec » dans le noir… C’est vrai : parfois la baise anonyme est tellement merveilleuse que ça prouverait presque l’existence de Dieu.

Ned l’éclaboussa :

— Tu penses ça sur le moment parce que t’es à genoux comme à l’église, bonhomme !

Michael se mit à rire :

— Mais ça ne dure pas ! Suffit qu’on soit passé à la pleine lune, ou je ne sais quoi de ce genre, et j’ai de nouveau envie de me marier. Je rêve d’être assis en peignoir sur le canapé à regarder la télé avec mon mec. Je veux faire des projets : balades en montagne, dîners à Chinatown, abonnements au théâtre… Je veux que ma vie soit en ordre, je veux compter sur quelqu’un qui m’apporte mon tranquillisant quand je suis déprimé. Et pourtant… Je sais que ça va me passer. En tout cas, de temps en temps. Je sais qu’il y aura des moments où j’aurai envie de repartir en chasse. J’aime trop l’aventure. Je panique à l’idée de rester avec la même personne pendant le reste de ma vie. Alors c’est quoi, la réponse, merde ?

— Trouve quelqu’un qui comprenne tout ça. Et qui t’aime pour ça ! rétorqua Ned en haussant les épaules.

Michael regarda un instant son ami, puis il se laissa couler.

— Pourquoi je me mets à faire de l’introspection comme ça dans le jacuzzi ? demanda-t-il à Ned lorsqu’il ressortit de l’eau. Ça doit être à cause de ce sacré mariage !

— Celui de Mary Ann et de Brian ?

— Non : de Charles et Lady Di, banane !

— C’est aujourd’hui ?

— Demain matin. À trois heures, heure locale.

— Je crois que je vais déclarer forfait.

— Pas moi. Je la trouve géniale. Lui est un peu trop ringard, sûrement, mais elle, c’est un ange. Et je suis tellement romantique !

Ned considéra Michael avec affection, puis il lui pressa gentiment le genou.

— God save the Queen, dit-il.

— Allez ouste, lança Michael en sortant de l’eau. C’est presque l’heure de l’émission de Mary Ann.