Mme Madrigal et Mouse


Michael transférait la moitié de ses vêtements dans le placard de Mona quand Mme Madrigal téléphona.

— Michael, mon p’tit. Pourrais-tu descendre un instant ?

— Bien sûr. Dans trois minutes, ça ira ?

— Prends ton temps, mon chéri.

Bon, pensa-t-il en raccrochant le téléphone. Voilà. L’heure de l’expulsion a sonné. Elle a été plus qu’indulgente pour le loyer jusqu’à présent, mais la coupe est pleine.

Il enfila un pantalon en velours côtelé et une chemise blanche, se brossa les dents, se coiffa, et passa une serviette humide sur ses chaussures.

Rien ne servait d’avoir l’air d’un pouilleux.

 

Le visage anguleux de la logeuse, généralement si animé, s’était figé dans un sourire de réceptionniste.

Ses gestes paraissaient si artificiels, et elle se déplaçait avec une dignité si contrôlée que même son kimono, ce soir-là, ne lui allait plus.

— Mona est partie, n’est-ce pas ?

Il confirma :

— Hier.

— Pour de bon ?

— C’est ce qu’elle dit. Mais vous connaissez Mona.

— Oui.

Son sourire semblait décalé.

— Moi, je vais rester, Mme Madrigal. Enfin… j’aimerais rester. Mona paiera le reste du loyer pour ce mois-ci, et je me suis inscrit dans une agence d’intérim ; donc si vous vous inquiétez…

— Michael, où est-elle allée ?

— Ah… euh… chez une amie. Dans une maison à Pacific Heights.

Mme Madrigal s’avança jusqu’à la fenêtre, devant laquelle elle resta sans bouger, le dos tourné à Michael.

— Pacific Heights, répéta-t-elle.

— Mme Madrigal ? Elle ne vous a… rien dit ?

— Non.

— Je suis sûr qu’elle allait le faire. Les choses se sont précipitées pour elle, récemment. Et puis, moi je suis toujours là. Ce n’est pas une rupture de contrat.

— Michael ? Tu connais cette personne ?

— Qui ?… Ah… Non, je ne l’ai jamais rencontrée.

— C’est une femme ?

Il fit signe que oui :

— Quelqu’un qu’elle a connu à New York.

— Ah.

— Mona dit qu’elle est très gentille.

— J’en suis convaincue. Michael… Bien sûr, tu n’es pas obligé de répondre si tu n’en as pas envie, mais…

— Oui ?

— Cette femme… elle et Mona sont-elles des amies très proches ?

— Euh…

— Tu m’as comprise, chéri ?

— Oui, Mme Madrigal. Je ne sais pas. Elles l’étaient, avant… à New York. Je crois que maintenant… ce sont seulement de bonnes amies.

— Bon… Mais alors pourquoi diable… ? Michael, est-ce que Mona t’a jamais raconté quelque chose sur moi ? Quelque chose… qui aurait pu te faire penser qu’elle était malheureuse ici ?

— Non, madame, répondit-il avec grand sérieux, retrouvant des attitudes de Floride Centrale. Elle était folle de Barbary Lane… et elle vous aimait beaucoup.

Mme Madrigal fit volte-face.

— Elle m’aimait beaucoup ?

— Non. Vous aime beaucoup. Elle tient énormément à vous. Je suis sûr qu’elle va appeler. Vraiment.

La logeuse retrouva ses airs de maîtresse femme :

— Bien. Mais toi tu restes. C’est déjà ça.

— J’essaierai de faire un effort pour le loyer.

— Je sais, mon p’tit. Je viens de rentrer une nouvelle récolte, et il n’est pas encore très tard. Te joindrais-tu à moi ?

 

Ses doigts, en essayant de rouler le joint, tremblaient de façon très frappante. Elle marqua une pause, inspira profondément, et, des deux mains, se massa le front.

— Excuse-moi, Mouse. Je suis complètement ridicule.

— Non, ne vous… Où avez-vous entendu ce surnom ?

Elle se mordilla la lèvre inférieure pendant quelques secondes, les yeux rivés sur lui.

— Je ne suis pas la seule personne à qui Mona tenait énormément, tu sais…

— Ah, oui.

— Mes pauvres doigts me jouent des tours. Pourrais-tu… ?

Il lui prit le joint, évitant de croiser son regard parce qu’il le savait embué de larmes.

— Mme Madrigal, je ne sais pas quoi dire…

Elle ne se rapprocha pas, mais sa main longue et fine vint s’échouer sur son genou. Elle porta un mouchoir à son visage.

— Je déteste les femmes larmoyantes, fit-elle.