Péché non originel


Prue se creusait la tête avec frénésie pour trouver les mots adéquats.

— Il est simplement… différent, mon Père. Il est différent de tous les hommes que j’ai connus.

— Je ne sais pas pourquoi, fit le prêtre. Mais je n’ai aucune difficulté à vous croire.

— C’est quelqu’un de gentil, d’attentionné et d’intuitif… Et il respecte tellement la nature… Il comprend Dieu mieux que personne.

— Et en plus, c’est une vraie affaire au pieu !

— Mon Père !

— Bon, jouons cartes sur table, ma fille. Vous savez, nous ne sommes pas dans une cabine d’essayage chez Saks.

Prue resta un moment sans rien dire. Elle était assise dans l’obscurité et dans le silence, lequel n’était troublé de temps à autre que par un bruit de pas devant le confessionnal.

— Mon Père, dit-elle enfin. Je crois qu’il y a quelqu’un qui attend.

Un soupir lui parvint par la grille.

— Il y a toujours quelqu’un qui attend, gémit le prêtre. C’est la mauvaise période du mois. Est-ce qu’on ne peut pas remettre ça jusqu’à notre déjeuner de mardi ?

— Non, je ne peux pas.

— Très bien.

— Vous êtes si gentil de…

— Revenons-en aux faits, ma chère.

— Bon… (Prue hésita, puis elle reprit.) Nous avons couché ensemble, c’est vrai.

— Continuez.

— Et… c’était bien.

Le prêtre s’éclaircit la gorge :

— Est-ce qu’il est… propre ?

Silence de mort.

— Vous me comprenez, n’est-ce pas, mon enfant ? Je parle d’hygiène, pas de moralité. Tout de même, vous ne savez pas d’où il sort, non ?

Prue baissa la voix et chuchota, furieuse :

— Il est parfaitement propre !

— Tant mieux. On n’est jamais trop prudent.

— Je n’ai pas besoin de vous pour me dire à quel point il est… différent, mon Père. Je le sais mieux que personne. Je sais aussi que j’ai terriblement besoin de lui. Je ne peux pas manger… Je ne peux pas écrire… Je ne peux plus retourner chez moi et m’occuper comme avant. Je ne peux plus, mon Père. Vous comprenez de quoi je parle ?

— Bien sûr, mon enfant, dit-il plus gentiment, cette fois. Comment est sa dentition, au fait ?

— Mais Bon Dieu !

— Prue, baissez d’un ton. Mme Greeley est juste là devant, n’oubliez pas.

Après un long silence, elle reprit :

— Comment voulez-vous que je vous fasse part de ce que je ressens, si vous n’êtes pas sérieux ?

— Mais je suis parfaitement sérieux, ma chère. Si je vous ai parlé de ses dents, c’est pour une bonne raison. Cela me permet de savoir s’il est… euh… présentable. Quel genre d’allure a-t-il, à part ses vêtements ? Je veux dire : est-ce qu’il faut l’arranger un peu ?

— Mais ce n’est pas vrai, je ne peux pas le croire !

— Contentez-vous de répondre à ma question, mon enfant.

— Il est… magnifique, bredouilla Prue. Il a la quarantaine, il est beau, il a une très belle peau, de belles dents. Et il s’exprime mieux que moi.

— Donc tout ce qu’il lui faut, c’est du Wilkes ?

— Pour quoi ?

— Pour faire bonne impression. Mais enfin, cet homme a besoin d’un nouveau costume, ma chérie ! Nous avons tous dû faire bonne impression un jour ou l’autre. Henri Higgins, dans Pygmalion, a réussi cet exploit pour Eliza. Vous pouvez en faire autant pour Luke. C’est simple, non ?

Prue était horrifiée :

— Il est hors de question de… d’arranger Luke, mon Père.

— Vous lui en avez parlé ?

— Je n’y songe pas. Il est tellement fier.

— Demandez-lui.

— Je ne pourrai pas.

Le prêtre soupira :

— Très bien.

— De toute façon, où pourrais-je la réaliser ?

— Réaliser quoi ?

— Cette transformation. Il ne voudra pas venir chez moi. Je le sais. Et qu’est-ce que je ferais ? Je lui demanderais de se cacher dans le placard si ma secrétaire arrive ? C’est tout à fait grotesque.

Le Père Paddy sembla réfléchir un instant.

— Laissez-moi m’en occuper, ma chère. J’ai une idée.

— Laquelle ?

— Ça va prendre un peu de temps à mettre en place. Je vous rappellerai. Maintenant, filez. Faites confiance au Père Paddy.

Prue prit ses affaires et quitta le confessionnal.

Tandis qu’elle sortait de la cathédrale, Mme Greeley la fusilla du regard.