Sur la plage, le vent commençait à se lever. Anna réajusta la couverture qui les protégeait.
— Viens, Edgar… Couvre-toi. Quelqu’un pourrait apercevoir ton costume Brook Brothers.
— Attention !
— Dis donc… Mais ces chaussettes sont adorables… si j’ose dire. J’ai entendu qu’absolument tout le monde à Saint-Moritz portait cette couleur, en ce moment !
— Tu me chatouilles, Anna. Arrête.
— Chatouilleux ? Edgar Halcyon ? N’y a-t-il donc plus rien de sacré ?
— Anna, je te préviens…
— On joue les durs, garçon des villes ?
Elle bondit brusquement, tira sur sa cravate dénouée, et caracola le long de la plage. Edgar la poursuivit à travers les dunes, et finit par la plaquer en lançant un cri de samouraï.
Ils restèrent couchés ensemble, hilares et haletants.
— Viens, dit Anna, le prenant par la main. Allons trouver un reste d’épave.
— Attends une minute.
— Ça va ?
— Oui, je…
— J’oublie sans arrêt que tu es une vieille peau.
— J’ai deux ans de plus que toi.
— C’est ce que je disais. Une vieille peau.
Le ciel s’éclaircit vers quatre heures. Ils remontèrent la plage pieds nus.
— Ça me rappelle quelque chose, dit Edgar.
— Un publicité pour du bourbon ?
Il sourit et serra sa main.
— Quand j’avais dix-neuf ans, mes parents m’ont envoyé en Angleterre pendant l’été. J’habitais chez des cousins dans un village qui s’appelait Cley-on-Sea. Je faisais des balades sur la plage pour trouver des pierres.
— Des galets ?
— Non. De magnifiques pierres rouge-orangé, utilisées pour faire des bijoux. Un jour, sur la plage, j’ai rencontré une vieille dame. Enfin, à l’époque, je trouvais qu’elle était vieille. Sa fille l’accompagnait. Elle avait dix-huit ans, et elle était très belle. Elles m’ont demandé de marcher avec elles. Elles cherchaient les mêmes pierres rouges.
— Et tu as accepté ?
— À ton avis ?
— Je crois qu’Edgar devait être trop occupé… ou trop gêné.
Edgar se tourna pour lui faire face. Il ressemblait à un lion avec un épine dans la patte.
— Il est trop tard, Anna, n’est-ce pas ?
Elle laissa tomber ses chaussures dans le sable et enlaça de ses bras la nuque d’Edgar.
— Pour la fille, il est trop tard. Mais la vieille dame te tombe dans les bras.
Ils retournèrent sous la couverture.
— On devrait rentrer, Anna.
— Je sais.
— J’ai dit à Frannie que…
— Ça va.
— Est-ce qu’on fait une erreur monumentale ?
— J’espère bien.
— Tu ne sais pas grand-chose de moi.
— Non.
— Je vais mourir, Anna.
— Oh… je m’en doutais.
— Tu savais…
Anna haussa les épaules.
— Pour quelle autre raison Edgar Halcyon ferait-il tout ça ?
— Mon Dieu.
Elle caressa les boucles blanches de sa nuque.
— Combien de temps avons-nous ?
De retour à Barbary Lane, Anna se plongea dans un bain chaud. Elle fredonnait un air ancien quand la sonnette d’entrée retentit.
Elle se sécha, enfila son kimono, et laissa entrer son visiteur en appuyant sur le bouton d’entrée.
— Qui est-ce ? cria-t-elle dans le couloir.
— Une amie de Mary Ann Singleton, répondit une voix de jeune femme.
— Elle n’est pas là. Elle travaille à S.O.S.-Écoute.
— Ça ne vous dérange pas si je l’attends ici ? Dans l’entrée, je veux dire. C’est assez important.
Anna s’avança jusqu’au bout du couloir. La jeune femme était blonde et grassouillette, avec l’expression d’un enfant perdu. Elle portait un sac fourre-tout de chez Gucci.
— Asseyez-vous, ma chérie, fit la logeuse. Mary Ann devrait bientôt être de retour.
À nouveau plongée dans son bain, Anna se posa des questions sur la jeune femme. Elle lui semblait familière. Quelque chose dans le regard et dans la forme du menton.
Et soudain elle comprit.
Elle ressemblait à Edgar.