DeDe triomphe


Submergée dans un mètre d’eau tiède, DeDe Halcyon Day coinça maladroitement une balle de volley entre ses jambes.

— Reste là, grommela-t-elle en serrant les dents.

Elle venait, pour la deuxième fois en dix minutes, de torpiller la star de cinéma qui faisait ses exercices à côté d’elle.

La star avait répondu par un sourire complice, montrant ainsi qu’elle ne lui en voulait pas.

— Quelle galère, hein ? J’ai l’impression d’avoir le Hindenburg coincé entre les jambes.

Parvenant malgré tout à immobiliser la balle, DeDe reprit ses rotations, balançant frénétiquement ses bras par-dessus sa tête. Chaque muscle de son corps hurlait de douleur.

— Étirez-le ! cria la monitrice au bord de la piscine. Étirrrrrrez-moi ce corps magnifique.

— Magnifique ? grogna la star de cinéma. Mon cul est si imprégné d’eau qu’il a l’air d’un pruneau.

DeDe sourit à sa compagne, ravie par le côté terre-à-terre d’une femme qui lui avait toujours paru plus grande que nature au cinéma. Vue de près, la cicatrice de trachéotomie qu’elle avait à la base du cou confirmait sa condition de mortelle.

Mais ses yeux étaient réellement violets.

Sa deuxième semaine à La Porte d’Or commençait. Pendant six rigoureuses journées, elle avait poussé son corps jusqu’à ses limites. Elle s’était levée à six heures quarante-cinq pour gambader dans la campagne en survêtement rose pâle, le visage privé de tout maquillage, les cheveux ternes et poisseux sous une épaisse couche de gel. D’accord, elle agonisait, mais elle progressait à grands pas.

À grands pas ?

En tous cas, elle se sentait mieux. Le petit déjeuner au lit lui paraissait d’autant plus attrayant qu’elle anticipait avec joie sa séance d’exercices Léonard de Vinci de neuf heures. Et puis il y avait la session « Bonds dans la Bonne Humeur » et les soins du visage matinaux et le yoga et les compresses aux herbes et… Et puis merde, quoi, quelque chose allait bien finir par se passer !

À la tombée du jour, elle se plongeait dans un bain tourbillonnant en forme d’éventail, pouffant allégrement de rire avec la star de cinéma et une demi-douzaine d’autres membres de l’élite féminine. Elle se sentait redevenir petite fille, placide, simple et entière. Elle avait retrouvé sa fierté, et, par miracle, son self-control. À deux reprises, elle réussit à convaincre la star de cinéma d’abandonner ses projets de razzia sur l’orangeraie.

Désormais, le plus dur était fait.

L’ancienne DeDe — la DeDe d’avant Beauchamp — dirigeait à nouveau sa vie comme elle l’entendait, et cela faisait un bien fou !

 

— Mon Dieu, je n’arrive pas à le croire !

— Si c’est bon, dit d’un air renfrogné la star de cinéma, je ne veux surtout pas l’entendre.

DeDe descendit de la balance, puis remonta, chipotant avec les poids.

— Mais tu as vu ça ? Tu te rends compte ? Neuf kilos ! J’ai perdu neuf kilos en deux semaines !

— C’est anormal. Tu devrais consulter un médecin.

— C’est un miracle.

— Qu’est ce que tu espérais pour $ 3 000 ?

La star de cinéma abandonna son sérieux de façade et gratifia DeDe d’un sourire radieux, l’étreignant de ses bras toujours flasques.

— Oh, j’espère que ça te rend heureuse, DeDe !

Pendant un moment, DeDe crut qu’elle allait pleurer. Son idole — une déesse — était là, devant elle, jalouse de DeDe ! Personne à la maison ne la croirait !

Après tout, ils n’avaient qu’à croire ce qu’ils verraient de leurs propres yeux.

 

Dans l’avion de San Diego à San Francisco, elle se sentait une femme nouvelle.

Son teint hâlé respirait la santé, ses yeux brillaient de confiance en soi. Son T-shirt couleur pêche lui serrait la taille — oui, la taille ! — comme si elle n’avait rien à cacher.

Sur le siège à côté d’elle, un marin agressif avait commencé une conversation inepte à propos de « Frisco ». Il ne lui épargna aucun détail ennuyeux sur ses patrouilles à Treasure Island.

Aucune importance. Elle éprouvait du plaisir quand sa jambe touchait la sienne. Elle se sentait délicieusement célibataire, libérée des intrigues mesquines de Beauchamp et du bourbier de son mariage.

Et pourquoi pas, d’ailleurs ? Elle n’avait pas manqué à Beauchamp. Ça, elle en était sûre. Et Beauchamp ne lui avait certainement pas manqué non plus.

C’est alors qu’elle y pensa soudainement.

Bon Dieu, elle n’avait toujours pas eu ses règles !