Chez Perry, la foule de midi était plus dense que d’habitude. Beauchamp se faufila jusqu’au fond du bar, et fit un signe au maître d’hôtel en blazer bleu.
— J’ai rendez-vous avec un ami.
Jon l’attendait à une table dans la minuscule cour arrière.
— Désolé, dit Beauchamp. J’ai de nouveau été retenu par les pantys.
Le gynécologue sourit :
— Tu essaies toujours de me faire de la concurrence ? demanda-t-il.
— C’est drôle. Je n’y avais jamais pensé.
— Je t’ai commandé un Bullshot.
— Parfait.
— Je ne peux pas rester longtemps, Beauchamp.
— Ce n’est rien. Moi non plus.
— De toute façon, je ne trouve pas que ceci soit une très bonne idée.
Beauchamp fronça les sourcils.
— Écoute, commença-t-il. Il n’y a aucune raison pour que deux hommes ne puissent pas…
— Tu trouves que ta femme n’est pas une raison suffisante ?
— Tu ne vas pas recommencer avec ça !
— Ce n’était pas mon intention.
— Et puis, de toute façon, pourquoi ça devrait te déranger, si moi ça ne me dérange pas ? DeDe ne te connaît pas du tout. Tu pourrais être n’importe qui. Un ami du club… Pour ce qu’elle en sait !
— Là n’est pas le problème.
— Bon, alors il est où, le putain de… ?
— Puis-je prendre votre commande ?
Les Bullshots étaient arrivés, accompagnés d’un serveur dont les yeux verts et les cheveux auburn détournèrent temporairement les deux hommes de la crise imminente.
Beauchamp rougit et choisit le premier plat qu’il aperçut sur le menu.
— Euh, oui. Le hachis Parmentier.
— Moi aussi, fit Jon.
Le serveur s’éclipsa sans un mot.
— Renfrogné, critiqua Beauchamp.
Jon haussa les épaules :
— Peut-être, mais mignon.
— C’est le genre de chose que tu remarques, n’est-ce pas ? demanda Beauchamp.
— Pas toi ?
— Pas quand je suis avec quelqu’un qui compte pour moi.
Jon regarda son verre.
— J’ai l’impression que tu attends trop de moi, Beauchamp.
Silence.
— Il vaudrait mieux… qu’on arrête ici, ajouta Jon.
— Comme ça ? D’un seul coup ?
— Ce n’est pas « comme ça, d’un seul coup » et tu le sais très bien. Tu le voyais venir depuis longtemps.
— C’est à cause de DeDe, hein ?
— Non. Pas entièrement.
— Bon, alors c’est quoi ?
— Je ne suis pas tout à fait sûr.
— Oh si, tu l’es !
— Beauchamp… je crois que je ne te fais pas vraiment confiance.
— Putain, c’est pas vrai !…
— Je sais que DeDe ne peut pas te faire confiance. Pourquoi le ferais-je, moi ?
— C’est différent.
— Ce n’est pas différent. Elle souffre autant que toi et moi.
— Mais pourquoi tu me racontes toutes ces conneries sur DeDe ? Qu’est-ce que DeDe a à voir avec… ?
— Beauchamp, elle est enceinte.
Silence.
— C’est une de mes patientes.
— Putain de merde !
— Sympa pour elle. Même s’il a bien fallu qu’elle couche avec quelqu’un…
— Dieu de Dieu !
— Oui, celui-là est un candidat comme un autre.
— Comment est-ce que tu peux plaisanter sur un sujet pareil ?
— Ce n’est pas ma plaisanterie, Beauchamp. C’est la tienne. Et je ne veux pas en faire partie.
La commande arriva. Aucun des deux ne prononça une parole avant que le serveur ne s’en soit allé.
— Jon, je veux continuer à te voir.
— Ça ne m’étonne pas.
— Il y a une réception au club, le soir de Noël.
— Je suis déjà pris, le soir de Noël.
Il repoussa sa chaise et se leva, avant de déposer un billet de dix dollars sur la table :
— Je n’ai pas faim, fit-il. C’est moi qui règle.
Beauchamp saisit son poignet.
— Attends une petite minute ! Tu as parlé de nous deux à DeDe ?
— Lâche-moi.
— Je veux savoir !
Jon libéra son bras d’un geste brusque et redressa sa cravate.
— C’est une femme bien, dit-il. Elle méritait mieux que toi.