Post-mortem


— Beauchamp ?

— Oui ?

— Ça te va, ce côté ?

— Oui. C’est bon.

— Tu es sûr ? Ça ne me dérange pas de changer.

— Je suis sûr.

Mary Ann s’adossa contre le lit et se mordilla l’index pendant un moment.

— Tu sais ce qui serait bien ?

Silence.

— Sur l’autoroute, j’ai vu une pancarte pour un de ces endroits où on peut louer des canoës. On pourrait emporter un pique-nique, louer un canoë et passer une matinée à l’aise en remontant la… Comment elle s’appelle, cette rivière ?

— Big.

— La rivière Big ?

— Oui.

— Ah bon, d’accord : le nom n’est pas génial, mais je suis une pagayeuse chevronnée, et je pourrais te réciter tous les poèmes que j’ai écrits dans ma dernière année de…

— Je dois rentrer de bonne heure.

— Mais tu avais dit que…

— Mary Ann, ça te dérange qu’on dorme un peu ?

S’éloignant jusqu’à quelques centimètres du bord du lit, il lui tourna le dos. Mary Ann resta assise et silencieuse pendant une demi-minute.

Finalement :

— Beauchamp ?

— Quoi ?

— Est-ce que tu es…

— Quoi ?

— Ce n’est rien. Je m’égare.

— Mais quoi, putain !

— Est-ce que tu es… vexé pour tout à l’heure ?

— Qu’est-ce que tu crois ?

— Beauchamp, ça n’a pas d’importance. Enfin, je sais que ça en a pour toi, mais pour moi ça ne change rien du tout. Tu étais probablement trop tendu. C’était un coup de malchance.

— Super. Merci beaucoup, docteur.

— J’essaie seulement de…

— Laisse tomber, tu veux ?

— Il se peut que tu aies bu un peu trop, tu sais.

— J’ai bu trois minables scotches !

— Ça suffit pour…

— Laisse tomber, putain !

— Écoute, Beauchamp, je m’insurge contre l’idée que ce… que ceci… était le but de notre voyage. Je suis venue ici parce que tu me plais. Tu m’avais demandé de t’aider.

— Tu parles d’une aide !

— Tu es trop concentré. Je crois que tes problèmes avec DeDe sont probablement…

— Mais merde ! Est-ce que t’es obligée de parler d’elle ?

— Je pensais juste que…

— J’ai pas du tout envie de parler de DeDe !

— Et si moi j’avais envie d’en parler, hein ? C’est moi qui prends des risques dans cette histoire ! C’est moi qui joue gros. Toi, tu peux retourner dans ton penthouse avec ta femme et tes soirées mondaines. Moi, je me retrouve avec… les agences de rencontre informatisées… et les soirées de merde pour célibataires au Jack Tar Hotel !

Elle bondit hors du lit, et se dirigea vers la salle de bains.

— Qu’est-ce que tu fais ? demanda Beauchamp.

— Je me brosse les dents. Tu permets ?

— Écoute, Mary Ann… je…

— Je ne t’entends pas. L’eau coule.

— Excuse-moi, Mary Ann, s’écria-t-il.

— Blmrrpltlrp.

Il la rejoignit dans la salle de bains, debout derrière elle, en caressant doucement son ventre.

— J’ai dit : excuse-moi.

— Ça te dérangerait de sortir de la salle de bains ?

— Je t’aime.

Silence.

— Tu entends ?

— Beauchamp, tu m’as fait renverser mon gobelet d’eau !

— Je t’aime, bordel.

— Mais enfin, pas ici !

— Si, ici !

— Mais enfin, Beauchamp. Beauchamp !

 

Elle s’appuya sur son coude, et étudia ses traits assoupis. Il ronflait si faiblement qu’on aurait dit un ronron. Il avait posé son bras droit, bronzé et velu, par-dessus la taille de Mary Ann.

Il parlait dans son sommeil.

Au début, c’était du charabia. Puis elle crut entendre un nom. Elle ne parvenait pourtant pas à l’identifier. Ce n’était pas DeDe… ni d’ailleurs Mary Ann.

Elle se glissa près de lui. Les sons devinrent plus indistincts. Il se tourna sur le ventre, retirant son bras de sa taille. Il se mit de nouveau à ronfler.

Elle se faufila hors du lit et alla jusqu’à la fenêtre sur la pointe des pieds. La lune traçait un sillage argenté sur la surface de l’océan. « Ça, c’est une rivière de lune », lui avait expliqué son frère Sonny quand elle avait dix ans. Elle l’avait cru. Elle avait également cru qu’un jour elle serait Audrey Hepburn, et que son George Peppard viendrait.

Pendant les deux heures qui suivirent, elle s’assit près du feu et lut Nicolas et Alexandra.