Les soucis d’un privé


Quand la sonnerie du téléphone retentit, Norman était occupé à engloutir un petit déjeuner constitué de rouleaux de printemps froids.

Le vacarme le fit sursauter. Dans sa petite maison, sur le toit, il n’avait pas l’habitude de recevoir des appels.

— Oui, j’écoute.

— M. Williams ?

Il reconnut immédiatement l’accent grinçant du Midwest.

— J’espère que c’est important, dit-il.

— Ben, je… je voulais juste savoir si ça avançait.

— Écoutez, je vous avais pourtant donné le numéro de mon bureau.

— M. Williams… J’ai laissé trois messages à votre bureau ces deux dernières…

— Vous vous croyez ma seule cliente ?

— Non, bien sûr, mais je ne vois pas pourquoi vous ne pourriez pas…

— Libre à vous de chercher ailleurs, si vous voulez.

Il savait qu’il ne risquait rien en disant cela. Il était à présent trop précieux à sa correspondante.

— J’ai une confiance absolue en vos…

— Pour l’instant, je travaille pour trois maris différents… en plus d’une affaire de gosse fugueur à Denver et tous ces gars qui trompent leurs femmes et qu’il faut que je surveille… Je vous rappelle que vous me payez à la mission. Pas à l’heure.

— Je sais.

Le ton se voulait conciliant.

— Vous auriez pu tout faire rater en appelant ici, dit Norman. Je n’ai aucune intimité dans cette cage à lapins. Il aurait pu y avoir quelqu’un à un mètre de moi qui aurait deviné toute…

— Je sais, M. Williams. Pardon… Pourriez-vous juste me dire si vous avez découvert quelque chose ?

Il attendit quelques instants.

— Ça avance.

— Vous croyez… ?

— Je crois que c’est bien elle.

Elle en fut toute secouée.

— Mon Dieu, lâcha-t-elle, incrédule.

— Mais il faut que j’avance lentement. C’est très délicat.

— Je comprends.

— Vous savez, les gens tiennent à leur vie privée, ici.

— Bien sûr.

— Ce que je peux vous dire, c’est que cela ne saurait durer plus de deux ou trois semaines.

— J’espère que vous comprenez pourquoi je suis si…

— Écoutez… Dites-vous une chose. Vous avez déjà attendu trente ans. Un mois de plus ne devrait pas vous tuer.

— Mais vous venez de me dire deux semaines !

— Mme Ramsey !

— Très bien. Ça va. Vous avez découvert si le nom… ?

— Ouais. Bidon. C’est un anagramme.

— Anna Madrigal ? Vous voulez dire que les lettres… ?

— Oui, mais ça suffit, maintenant. Vous n’aurez qu’à lire mon rapport !

— Je ne vous dérangerai plus, M. Williams.

Elle raccrocha.

 

Ce coup de téléphone le déstabilisa pour le reste de la matinée. Combien de temps allait-il encore pouvoir faire illusion ?

On avait retrouvé le gosse de Denver il y avait des semaines, ce qui avait mis fin à l’une des affaires les plus potentiellement lucratives de toute sa carrière. La plupart de ses clients pour des personnes disparues s’étaient tournés vers des agences plus reconnues, et on ne lui avait pas proposé une seule affaire de mari infidèle depuis 1972.

Il faisait durer l’affaire Ramsey car c’était sa seule affaire… et il ne pouvait pas admettre la réalité de son échec.

Si les choses ne s’amélioraient pas rapidement, il allait devoir vendre des vitamines pour de vrai.

 

— Paul…

— Oui ?

— C’est Norman.

— Écoute, mon pote… Les épreuves ne sont pas encore prêtes. Je t’appellerai dès qu’elles le seront, OK ?

— Ce n’est pas pour ça que je t’appelle. Je me suis dis que… tu voudrais peut-être déjà fixer la date de la prochaine séance.

— Non. C’est trop tôt. En plus… je crois qu’on commence le tournage cette semaine.

— Ça paie bien ?

— Pas trop mal. Ça te tente ?

— Ouais. Je peux m’arranger.

— Il faut te prévenir combien de temps à l’avance ?

— Deux, trois jours.

— Ça va.

— Paul ? Je veux le fric d’avance.

— Tu l’auras.