Assise à son écritoire Louis XV, DeDe faisait des annotations dans son carnet Louis Vuitton.
— Tu avais oublié la soirée de Marge, n’est-ce pas ?
— Je me suis grouillé pour arriver ici.
— Ça commence dans une demi-heure.
— Alors on sera en retard. Rentre tes griffes. Ton vieux me bouffe le nez depuis ce matin.
— Tu as fait la présentation Adorable ?
— Non. C’est lui qui s’en est chargé.
— Pourquoi ça ?
— Tu pourrais peut-être me l’expliquer.
— Je ne vois pas de quoi tu parles.
— Il était furax, DeDe. Royalement.
Silence.
— Et bien sûr, tu sais pourquoi.
DeDe regarda son carnet.
Beauchamp persista.
— Il était furax parce que sa fille chérie lui avait téléphoné la nuit pour dire que j’étais un fils de pute.
— Je n’ai jamais fait…
— Mon cul, ouais !
— Beauchamp, j’étais inquiète. Il était minuit passé. J’avais essayé au club, chez Sam, chez Jack. J’ai… paniqué. Je pensais que Papa saurait peut-être où tu étais.
— Bien sûr. Petit Beauchamp ne bouge pas un doigt sans en aviser le Vénérable Patriarche.
— Je t’interdis de parler de Papa comme ça.
— Oh… qu’il aille se faire foutre ! Je n’ai pas besoin de sa permission pour respirer. Je n’ai besoin de lui pour rien du tout.
— Ah ? Je crois que Papa adorerait entendre ça.
Silence.
— Et si on lui téléphonait pour le lui dire ?
— DeDe…
— Toi ou moi ?
— DeDe… Je m’excuse. Je suis fatigué. La journée a été rude.
— Je veux bien le croire.
Elle s’approcha du miroir du hall d’entrée et effectua les ajustements de dernière minute sur son maquillage.
— Comment va Mlle Machin ?
— Qui ça ?
— La secrétaire de Papa. Ta petite… distraction après le travail.
— Tu veux rire ?
— Non. Je ne crois pas.
— Mary Ann Singleton.
— C’est comme ça qu’elle s’appelle ? Comme c’est pittoresque !
— Bon sang, mais je la connais à peine !
— Ça ne t’a jamais arrêté les autres fois, que je sache.
— C’est la secrétaire de ton père !
— Et on ne peut pas dire que c’est un laideron.
— Qu’est-ce que je peux y faire, moi ?
DeDe pinça les lèvres pour répartir son rouge à lèvres. Elle regarda son mari.
— Écoute… J’en ai plus qu’assez. La nuit dernière, tu as disparu de la surface de la terre.
— Je te l’ai dit. J’étais au club.
— Tiens, quelle coïncidence ! Tu étais déjà au club quand tu m’as laissé tomber mercredi pour la réception au De Young, et vendredi dernier quand nous avons raté la fête des Telfairs à Beach Blanket Babylon.
— On a déjà vu ce spectacle cinq fois.
— Là n’est pas la question.
Beauchamp partit d’un éclat de rire amer.
— Tu es incroyable. Tu es vraiment… Où diable as-tu été chercher celle-là ?
— J’ai des yeux, Beauchamp.
— Où ? Quand ?
— La semaine dernière. Je faisais du shopping avec Binky à La Remise du Soleil.
— Quelle classe !
— Tu traversais la rue en sa compagnie.
— Avec Mary Ann ?
— Oui.
— Effectivement, c’est compromettant.
— Il était midi, et vous aviez l’air très copains.
— Tu as raté le meilleur. Quelques minutes plus tôt, je me jetais sur elle dans le bosquet derrière la Transamerica Pyramid.
— Cette fois-ci, Beauchamp, tu ne t’en tireras pas en jouant au plus malin.
— Je n’essaie même pas.
Il s’empara des clés de la Porsche sur la table du vestibule.
— Avec toi, reprit-il, ça fait longtemps que j’ai arrêté.
— J’ai remarqué, lâcha DeDe en lui emboîtant le pas vers la sortie.