Bobbi tourbillonnait en babillant autour de Mona comme une demoiselle d’honneur qui arrange à la dernière minute la robe d’une mariée.
— Je crois que la coiffure est de travers, Judy. Essaye de… Non, dans l’autre sens ! Là. Regarde comme c’est joli !
— Mais bon sang, Bobbi. Ce n’est pas censé être joli !
— Peut-être, mais toi, tu es quand même jolie. Tu devrais être très fière.
Mona parvint à esquisser un sourire :
— Arrête de faire tout ce que tu peux pour me mettre de bonne humeur, dit-elle.
— Tu vas être la meilleure, Judy. Il va t’adorer !
— Je préférerais que non.
— Ne t’inquiète pas, gloussa Bobbi. On a des tas de clients comme lui.
— Qui aiment ça ? demanda Mona en désignant son costume.
— Non, mais ils… Eh bien, ils veulent pas te baiser. Ils veulent simplement… comme qui dirait des trucs spéciaux qu’ils peuvent pas trouver ailleurs. Une fois, par exemple, j’ai eu un type de Stockton qui voulait que je porte une petite culotte en dentelle noire et que je m’assoie sur ses genoux pendant qu’il me dictait son testament.
— Oui, bien sûr…
— Je te jure, Judy. Et ça a duré, mais duré ! Il a fallu que j’aille voir le docteur Craig, cette fois-là, d’ailleurs.
— Pourquoi ?
Bobbi égrena un petit rire nerveux avant de continuer :
— Il a dit qu’à moi toute seule, j’avais fait passer la crampe de l’écrivain dans la catégorie des maladies vénériennes !
Toujours en costume, Mona repartit dans le salon et prit une bière dans le réfrigérateur derrière le bar. Elle mourait d’envie de fumer un joint.
Charlene fit son apparition et fut surprise de voir Mona déjà habillée.
— Eh bien, dis donc, lui lança-t-elle, tu seras pas en retard.
— Je n’aime pas me précipiter, répondit Mona.
— Il vient pas avant une heure.
— Ça va.
— Tu vas transpirer.
— Arrête, Charlene !
— T’as les jetons, hein ?
Elle avait posé la question méchamment. Elle doit m’en vouloir, songea Mona. Elle est furieuse parce que Mother Mucca m’aime bien.
— Je me sens très bien, répondit Mona, imperturbable.
— Peut-être, fit Charlene, mais tu es en train de renverser ta bière, tellement tu trembles.
Un quart d’heure avant l’arrivée du client, Mona alla s’asseoir dans le salon pour patienter. Mother Mucca arriva de la cuisine et s’assit tranquillement à côté d’elle.
— Ça va ?
Mona hocha la tête.
— C’est quelque chose que tu pourras raconter à tes petits-enfants.
— Oui, c’est ça.
La vieille femme passa gentiment son bras autour des épaules de Mona en prenant bien garde de ne pas froisser le costume.
— Tu es vraiment… très jolie, comme ça.
— Merci.
— Les autres filles sont toutes dans leurs chambres. Elles doivent y rester jusqu’à ce qu’il soit reparti. Tu prendras la chambre de Charlene et je te dirai quand il faudra y aller. Il t’y attendra. Tu te rappelles ce que tu as à faire ?
— Je crois.
Mother Mucca lui tapota la main :
— Tu t’en sortiras très bien.
— Mother Mucca, comment peut-il… ? Comment est-ce qu’il va arriver ?
— Oh, en limousine.
— En limousine ?
— Bien sûr, fit Mother Mucca en pointant son index sur son front pour montrer que c’était un type malin. Comme ça, personne ne s’imagine que c’est lui, tu vois ?
On frappa à la porte de Mona.
— Il est arrivé, chuchota Mother Mucca.
Mona sortit dans la nuit étoilée. Un petit vent chaud soufflait du nord et faisait voler les pans de son costume. Mother Mucca jeta un dernier regard à sa nouvelle protégée, arrangea la guimpe et repartit prestement dans le salon. Après quoi, Mona ouvrit la porte de la chambre de Charlene.
Le client était assis en tailleur sur le sol, près du lit. Il portait la robe safran d’un moine bouddhiste.
— Ma Sœur… J’ai péché.
Mona s’éclaircit la voix :
— Je sais, mon enfant.
Le fouet, comme prévu, était posé sur le lit.