Boris entre en scène


Un chaud samedi d’automne à Barbary Lane, Mary Ann s’étira paresseusement au lit, savourant le parfum de l’eucalyptus qui se trouvait juste devant sa fenêtre.

Un gros chat tigré apparut d’un pas pesant sur le rebord de la fenêtre, et se gratta le dos contre le châssis. Lassé de cet exercice, il décocha quelques coups de patte distraits au papillon en verre teinté qui pendait au rideau.

Mary Ann sourit et lança un coussin en direction du chat.

— Arrête, Boris !

Boris perçut le geste comme une invitation au jeu. Il atterrit avec un bruit sourd sur la moquette synthétique de Mary Ann, et s’approcha du lit d’un pas nonchalant.

— Tu en as de la chance, Boris ! dit Mary Ann en grattant le chat derrière l’oreille.

Elle ne pouvait pas s’empêcher de penser que Boris était beau, indépendant et aimé. Il n’appartenait à personne en particulier (du moins, personne au 28 Barbary Lane), mais il circulait librement parmi un vaste cercle de bienfaiteurs et d’amis.

Pourquoi n’était-elle pas capable de faire la même chose ?

Elle en avait assez de se retrouver sans cesse larguée — dans ses amours, dans ses émotions, et dans n’importe quel autre domaine. Le temps n’était-il pas venu de reprendre le contrôle de sa vie ? De faire face à ses problèmes et de vivre chaque instant intensément ?

Si ! Elle bondit hors du lit, surprenant Boris, et virevolta dans la pièce sur la pointe des pieds. Quelle belle journée ! Ici, dans cette ville magique, ici, dans cette ruelle de conte de fées ! Où des petits tramways escaladent les cimes et où les chats se faufilent par votre fenêtre et où le boucher parle français et…

Boris déguerpit à toute vitesse, bien décidé à éviter cette cinglée.

Il fonça à travers le salon, pour se trouver face à une porte d’entrée fermée.

— Tu veux sortir, Boris ? C’est ça que tu veux, mon bébé ?

Mary Ann lui ouvrit la porte, et se rendit immédiatement compte de la gaffe qu’elle avait commise. Boris s’élança dans le couloir, et chercha la protection des hauteurs en gravissant l’escalier qui menait au toit.

La maison sur le toit.

 

En bas, au deuxième étage, Michael apportait à Mona son petit déjeuner au lit : des œufs pochés, des toasts au pain complet, un café italien fraîchement moulu et des saucisses françaises de chez Marcel & Henri. Lorsqu’il déposa le plateau sur le lit, il sifflotait What I did for Love.

— Eh bien, lança Mona avec un large sourire, un petit câlin a l’air de te faire beaucoup de bien.

— Tu l’as dit, Babycakes !

— Où est Jon ? Fais-le entrer. On peut prendre notre petit déjeuner tous ensemble.

— Il est resté chez lui. J’ai passé la nuit là-bas.

— Coquin ! Et tu es revenu exprès pour me préparer le petit déjeuner ?

— J’ai aussi apporté mon linge sale.

— Ton linge sale ? Va te faire foutre !

— Désolé, mais M. Lee ne fait que les draps et les chemises. Il se pencha et l’embrassa sur le front.

— Bon, d’accord… reprit-il, tu me manquais un peu.

 

La soirée de Michael avait débuté avec un cocktail donné par le magazine After Dark au Stanford Court.

— Qu’est-ce que tu veux que je te dise, Mona ? De l’élégance prout-ma-chère du meilleur cru !

Avec « amourette », « élégance prout-ma-chère » était l’expression favorite de Michael.

— En fait, c’est Jon qui a reçu l’invitation. Moi, je ne connaissais personne… sauf Tab Hunter, bien sûr.

— Bien sûr.

— Il avait l’air drôlement sexy, pour ses quarante-cinq ans, et j’avais assez envie de lui parler, mais il était constamment entouré. Et puis, qu’est ce que j’aurais pu dire à Tab Hunter ? « Bonjour, je m’appelle Michael Tolliver, et je vous ai toujours préféré à Sandra Dee » ?

— Ça sonne faux, t’as raison.

— Bref… Je me suis empiffré de petits canapés pizzas, et j’ai fait mon possible pour éviter le type d’une agence qui m’avait un jour dit que j’étais trop ordinaire pour devenir mannequin.

— Pauvre Mouse !

— Il avait raison ! Mona, si tu avais vu ces beautés, dans la salle ! Il y avait tellement de laque qu’ils ont certainement dû remplir un Rapport d’Impact Environnemental avant d’organiser la soirée !

 

— Ton projet est toujours sur les rails ? demanda Mona après le petit déjeuner.

— Quel projet ?

— Le concours de danse en slip.

— Je m’entraîne depuis une semaine. Tu viendras, hein ? C’est demain à cinq heures trente.

— Pourquoi est-ce que tu veux que je vienne ?

— Je ne sais pas… Pour me soutenir moralement.

— Tu n’as qu’à inviter Jon.

— Non. Je préférerais que Jon n’apprenne rien de tout ça.

— OK, dit-elle doucement. Je viendrai.