Les affres des valises faites à la dernière minute, son rhume qui s’éternisait et le vol brinquebalant jusqu’à Los Angeles, tout cela s’effaça de sa mémoire lorsque Mary Ann vit se dresser devant eux le Pacific Princess.
— Oh, Mouse ! Il est tellement blanc !
Michael posa un index sur son avant-bras.
— Eh bien, on déparera pas, hein ?
Mary Ann négligea de répondre, éperdue devant la majesté de l’énorme paquebot que baignait le clair de lune. L’instant avait quelque chose d’effrayant et d’exaltant tout à la fois. Elle avait l’impression d’être comme une parachutiste téméraire, qui, plongeant dans le vide, sait que cette fois, ça n’a aucune importance, que cette fois, sûr et certain, cette fois son parachute s’ouvrira à temps.
Le chauffeur de taxi se retourna pour s’adresser au couple assis sur la banquette arrière.
— Vous êtes mariés ?
— On vit à la colle, fit Michael, qui récolta comme de bien entendu un regard noir de la part de Mary Ann.
— Eh bien, gloussa le chauffeur. Vous connaissez La Croisière s’amuse ?
Michael acquiesça :
— Le feuilleton télé, c’est ça ?
— Ouais. Bert Convey, Lyle Waggoner, Celeste Holm…
— Toutes les célébrités !
Le chauffeur hocha la tête.
— Ils l’ont tourné là-dedans. Sur le Pacific Princess. Vachement sexy, hein ?
— Mmmh, je me souviens, dit Michael en adressant un petit sourire discret à Mary Ann. Celeste Holm est une dame un peu grassouillette, mais charmante qui pense qu’elle n’a plus rien à espérer des hommes, jusqu’au moment où elle rencontre Craig Stevens pendant la croisière. Craig a été son amant il y a des années et Celeste… Eh bien, la pauvre chérie est terrifiée à l’idée que Craig découvre qu’elle est devenue une grosse vache.
— Et il s’en aperçoit ?… demanda Mary Ann.
— Non. Tout est bien qui finit bien : entre-temps, Craig est devenu aveugle.
— Tu viens de tout inventer, Mouse !
— Non, parole de scout. Même qu’ils se marient à la fin. C’est pas vrai, monsieur ?
— Ouais.
— Manifestement, soupira Michael, le pauvre Craig était infichu de se rendre compte des dégâts, même avec les mains.
Le photographe du bateau les prit par surprise sur la passerelle en leur braillant un jovial : « Souriez, les amoureux ! »
Michael s’y prêta avec complaisance et referma une main sur le sein droit de Mary Ann.
— Mince, fit-il alors qu’ils arrivaient sur le pont. C’est une croisière ou une boum de fin d’année ?
— Mouse, ça ne te ferait rien d’essayer d’être ne serait-ce qu’un tout petit peu convenable ?
— Pendant onze jours entiers ?
— C’est un bateau anglais, Mouse.
— Oui, mais avec des stewards italiens !
Il écarta les mains, index tendus.
Mary Ann rougit, puis elle gloussa.
— Des stewards italiens hétéros, corrigea-t-elle.
— Tu aimerais bien, oui ! fit Michael.
Ils étaient logés sur le pont promenade : cabine de luxe avec lits jumeaux, mobilier en bois, fauteuils confortables et baignoire dans la salle de bains. Une bouteille de champagne les attendait au frais.
Peu après, Mary Ann offrait le premier toast :
— À M. Halcyon. Que Dieu le bénisse !
— Je suis d’accord. Béni soit-il ! renchérit Michael.
— Et, ajouta-t-elle en remplissant de nouveau les verres, à… à nos aventures au grand large !
— Et à l’amour.
— Et à l’amour !
— À Mme Madrigal… À la marijuana… Aux petits fours… Et à toutes les bonnes gens de Floride, excepté Anita Bryant !
— Ouais !
— Mais avant toute chose, dit Michael en prenant un air faussement sérieux, à ce monsieur bien élevé, jovial et incroyablement bandant, qui a maté l’un de nous deux lorsque nous sommes montés à bord !
— Où ? Qui ?
— Comment tu veux que je le sache ? Je viens d’arriver, cocotte ! Tu l’as vu, non ?
— Je ne crois pas.
Michael leva les yeux au ciel, exaspéré :
— Mais il n’a pas arrêté de nous regarder !
— Un passager ?
— Ouais.
— Qui nous regardait ?
— Ça y est, elle a compris !
Mary Ann se mordit le bout de l’index.
— Tu crois qu’il était aveugle ?
Michael poussa un cri de joie et leva son verre.
— OK. Alors… aux aveugles !
— Aux aveugles, répéta Mary Ann.