Une rose est une rose


Michael alla accueillir Mary Ann à la porte avec son déambulateur.

— Salut ! dit-il d’un ton enjoué. Bienvenue à l’Hôtel des Invalides de Barbary Lane !

Elle l’embrassa sur la joue :

— Tu as une mine superbe, je trouve.

— Devine ce que j’ai fait ce matin ?

— Je donne ma langue au chat.

— J’ai marché, Babycakes. Sans utiliser cet horrible machin.

— Mouse !

— C’est pas sensationnel ?

— Vas-y, fais-le devant moi, Mouse.

Il lui adressa un petit sourire.

— Désolé, je ne fais jamais mon numéro sans musique. Et toi, alors ? Qu’est-ce que ça fait, d’être une star des médias ?

Elle fit une moue et s’assit sur le sofa :

— Je suis épuisée. J’ai donné des interviews sur toutes les chaînes, à People, Time, Newsweek, au New York Times, au National Enquirer et à mes parents. C’est avec eux que ça a été le plus pénible.

— Je m’en doute.

— Ils sont complètement hystériques, Mouse. À les entendre, on croirait que San Francisco grouille d’épiscopaliens cannibales. J’ai essayé de leur expliquer que la presse exagérait beaucoup, mais ils n’écoutent même pas. Ils veulent que je rentre à Cleveland par le premier avion.

— Tu vas y aller ?

Elle secoua la tête en souriant :

— Assieds-toi, Mouse, j’ai besoin qu’on me fasse un câlin.

Il abandonna le déambulateur et se laissa tomber sur le sofa. Ils se tinrent enlacés pendant un long moment.

— Comment va ma petite copine ? demanda Michael.

— Très bien.

— Ça va aller mieux, tu verras.

— Je ne devrais pas râler. Moi, ce n’est rien, par rapport à Burke. Il a passé la matinée avec la police à essayer de se souvenir des détails.

— Pour donner des noms ?

Mary Ann opina :

— Il s’est souvenu de quatorze pour le moment, dont trois qui sont membres du chœur, deux chirurgiens de St. Sebastian et même deux hommes d’affaires.

— Sa mémoire doit lui être complètement revenue, alors.

— Presque. Il se rappelle la plupart des détails de la nuit où il a découvert le… enfin, la fameuse nuit. Cela dit, il ne retrouve toujours pas comment il a échoué dans Golden Gate Park. À mon avis, ils l’ont drogué quand ils se sont rendu compte qu’il était amnésique.

— C’est bizarre qu’ils ne se soient pas donné la peine de se débarrasser définitivement de lui.

— Pas forcément. Pour commencer, ils ne commettaient pas vraiment un crime. C’est ce qui rend les flics dingues en ce moment. Les médecins, on peut les pincer pour avoir dérogé à la déontologie de leur métier, bien sûr, mais la loi ne prévoit rien pour le reste. Ces morceaux de corps humains n’étaient que des déchets hospitaliers, en fait. Et aucune loi n’interdit de manger des déchets.

— C’est vraiment ce qu’ils faisaient ? demanda Michael avec une grimace.

— Apparemment, ils… y goûtaient. C’était censé être symbolique. Quelque chose au-delà de la simple transsubstantiation. Burke dit qu’ils le faisaient au moment précis où ceux d’en bas mangeaient le pain et buvaient le vin de la communion. La tâche de l’homme aux implants était de faire en sorte que les morceaux fussent déposés sur la passerelle quand il le fallait.

— Qu’est-ce qui va arriver à ce type, au fait ?

— Qui sait ? Burke dit qu’il va probablement ramasser une fortune. Il a déjà engagé un agent littéraire.

— Tu rigoles !

— Non. C’est écœurant, hein ? (Elle frissonna un peu et se détourna.) Moi, je veux simplement que ça soit terminé le plus vite possible.

Michael la considéra un moment en hésitant :

— Ça t’embête si je te pose une question ?

— Non, vas-y.

— Qu’est-ce que c’était que cette histoire de roses rouges ? Est-ce que c’était à cause de la rosace du vitrail, ou de la Rose Incarnée de leur incantation ?

Mary Ann esquissa un pauvre sourire.

— C’est ce que j’ai cru au début. J’ai aussi pensé que ça avait un rapport avec le fleuriste de St. Sebastian. En fait, ce n’était ni l’un ni l’autre : c’était un tatouage.

— Un tatouage ?

Elle fit oui de la tête :

— Le soir où Burke est devenu amnésique, c’était le premier où la secte lui faisait assez confiance pour l’emmener sur la passerelle. Seulement, il ignorait qu’ils allaient lui demander de participer à leur cérémonie. Il savait que c’étaient des traditionalistes, bien entendu… Bref, il n’avait pas une idée précise de ce qui allait se produire jusqu’au moment où ils ont commencé leur incantation et où Tyrone a ouvert la glacière et sortit le bras.

— Argh !

— Je sais, dit Mary Ann avec un petit frisson. Qui ne serait pas dégoûté ?

— Mon Dieu ! Alors la rose rouge était…

— Tatouée sur le bras, oui.

— Est-ce que Burke… Je veux dire : est-ce qu’il… ?

Mary Ann haussa les épaules :

— Je suppose qu’il a dû essayer, le pauvre chéri.