Pénitence


Le lendemain de son dîner avec Mona, Brian passa sa journée de travail sur un nuage. Désormais, il se sentait à l’aise avec Mona, il était convaincu qu’il venait de découvrir quelque chose de plus vrai, de plus satisfaisant — et d’infiniment plus sensuel – que ce qu’il avait pu connaître jusque là.

Seulement il se sentait coupable comme jamais vis-à-vis de Lady Onze.

Comment avait-il pu l’oublier aussi facilement ? Il la voyait — oui, c’était le seul mot qui convenait – depuis maintenant un mois. Chaque soir depuis un mois. Elle avait placé leur relation sous le signe de la ponctualité, en tout cas. Et ça ne comptait tout de même pas pour rien.

Bien sûr, il avait prévu de la laisser tomber un jour. L’aspect fantasmatique de leur relation avait fini par s’émousser et il s’était aperçu, dernièrement, qu’il n’arrivait plus à jouir avec elle sans penser à quelqu’un d’autre. Malgré tout, il l’avait traitée d’une façon mesquine : il avait suffi d’un petit peu de Mauï Zowie pour qu’il rompe leur pacte tacite.

Et ce soir-là, à minuit, il s’assit comme un pénitent sur sa chaise, devant la fenêtre, et scruta le onzième étage du Superman Building.

Cependant, la fenêtre de Lady Onze resta éteinte.

Elle est en train de me punir, pensa-t-il. Elle me fait souffrir parce que j’ai fauté. Ou alors — peut-être – elle se tourmente elle-même, elle se torture en vain parce qu’elle pense qu’elle n’a pas réussi à me garder.

Mais soudain, à minuit sept, la lumière s’alluma et Brian décela un léger mouvement dans les rideaux. Il se redressa, tout excité, et leva ses jumelles. Les rideaux s’ouvrirent.

C’était bien Lady Onze, sans conteste, mais elle avait complètement changé d’allure. Elle ne portait plus son peignoir en éponge, mais ce qui semblait être un tailleur en lainage gris. Ses cheveux étaient rassemblés en un petit chignon et son expression — même à cette distance – semblait sévère et pleine de reproches.

Elle leva ses jumelles et examina Brian pendant un moment.

Il se sentit brusquement tout bête en peignoir. Il se demanda si elle avait compté là-dessus.

Elle quitta sa fenêtre pendant quelques minutes, puis elle revint avec une grande feuille de papier qu’elle posa sur la table près de la fenêtre pour y écrire quelque chose. Ensuite, elle la leva devant elle.

Il y était écrit : « LARGUE-LA ».

Brian sentit le sang lui monter au visage. La colère, la confusion et la culpabilité luttaient en lui. Il fixa par-dessus la ville baignée du clair de lune la pancarte qui l’accusait, puis il se précipita dans sa cuisine pour y prendre un grand sac en papier.

Il en trouva un, le déchira en deux, le déplia et griffonna avec un marqueur : « C’EST JUSTE UNE COPINE ».

Puis il leva le papier devant la fenêtre le temps que Lady Onze le lût. Quand il baissa les bras, il la vit debout, les bras croisés, qui secouait la tête.

Brian pesta et répondit en ajoutant : « JE LE JURE » sur sa pancarte. Lady Onze ne bougea pas pendant un moment, puis elle se pencha de nouveau sur sa table.

Cette fois, elle avait écrit : « DÉSHABILLE-TOI ».

Furieux, Brian secoua énergiquement la tête.

Lady Onze fit la même chose avec sa pancarte.

Brian secoua la tête de plus belle.

Lady Onze griffonna de nouveau sur sa pancarte et la leva. En dessous de « DÉSHABILLE-TOI », elle avait ajouté : « SI TU M’AIMES ».

Exaspéré, Brian se demanda s’il n’allait pas fermer ses rideaux et se pelotonner dans son lit avec un vieil exemplaire corné de Playboy pour toute compagnie. Il était hors de question qu’on lui fasse un pareil cinéma. Il y avait des tas de filles qui flashaient sur lui sans qu’il ait besoin de se plier à des exigences aussi dégradantes.

Pourquoi elle, dans ce cas ? Pourquoi fallait-il qu’il s’humilie devant cette cinglée anonyme, névrosée et obsédée ?

Il connaissait la réponse, bien entendu.

Parce qu’elle avait besoin de lui. Parce qu’écrire « Si tu m’aimes » à un inconnu était bien plus pathétique et humiliant que de se déshabiller devant une inconnue. Parce qu’elle était désespérée et que personne d’autre ne pouvait la sauver.

Et il dénoua sa ceinture.

Lady Onze leva de nouveau ses jumelles tandis que Brian laissait glisser son peignoir sur le sol. Elle l’observa — en souriant – jusqu’à ce qu’il commence à bander. Puis elle commença à déboutonner son tailleur.

Une fois qu’ils furent tous les deux nus, leur petit rituel recommença, plus fébrile et passionné que jamais.

Dans le feu de la passion, Brian entendit frapper à la porte.

Puis une voix retentit :

— Brian, c’est Mona. Je viens de rapporter tu sais quoi. Ça te dirait d’en sniffer un peu avec moi ?

Il se figea comme un satyre sur une frise pompéienne et attendit sans bruit que la visiteuse s’en allât.

Puis il se retourna vers sa maîtresse.