L’amour toujours


L’homme qui dansait avec Michael se rendit compte que quelque chose n’allait pas.

— Excuse-moi… Tu connais cet homme ?

Michael était dans un état second, proche de la transe.

— Je… Oui. J’espère que ça ne t’ennuie pas. C’est quelqu’un avec qui… Pardonne-moi.

L’homme hocha la tête, apparemment plus interloqué qu’offensé, et alla rejoindre le bar tout en continuant de danser. Michael resta pétrifié là où il était, tout en cherchant ce qu’il allait bien pouvoir dire. Jon ne l’avait pas encore vu.

Un Cherchez la femme qui craquait jaillit des haut-parleurs. C’était le même air que celui qu’on passait au Endup la nuit où Michael avait gagné le concours de slips… et où le docteur Jon Fielding était sorti pour toujours de sa vie.

Mais les « pour toujours » de Michael ne duraient jamais très longtemps.

— Hé, gringo ! Tou veux asséter ma sœur ? Elle vierge !

— Michael, mon Dieu !

— Je t’en prie : Michael tout court ! On est entre nous.

Jon le serra chaleureusement dans ses bras. Le genre d’accolade, songea Michael, que Danny Thomas aurait pu faire à George Burns au Johnny Carson Show.

— Mais qu’est-ce que tu fous ici ?

— C’est la seule boîte de folles d’Acapulco, fit Michael en haussant les épaules.

Jon éclata de rire :

— Mais non, je voulais dire : qu’est-ce que tu fous à Acapulco ?

— Je fais une croisière.

— Avec le Pacific Princess ?

— Ouais. Et toi, qu’est-ce qui t’amène ici ?

— Oh, les infections vaginales.

— Tu as l’air en bonne santé, pourtant.

Le gynécologue eut un sourire en coin :

— Je participe à une convention, banane !

— Tu t’amuses follement, quoi…

— Oui, en fait. On a beaucoup de temps libre.

Voilà qui embêtait Michael. Les gens qui lui bottaient n’étaient pas censés s’amuser en son absence. Mais si le docteur passait d’excellents moments sans lui, pourquoi se torturer ?

— Ça m’a fait plaisir de te voir, Jon.

— Tu t’en vas ?

— Ouais. Cette boîte, on dirait le Kokpit dans ses plus mauvais soirs. J’en ai marre.

Jon jeta un regard circulaire sur la terrasse :

— Je vois ce que tu veux dire.

— Ouais. Bon, eh bien, je suis sûr que tu vas trouver quelque chose.

— Je pensais que c’était déjà fait.

Michael fit semblant de n’avoir rien entendu :

— Peut-être que l’ambiance s’améliore à mesure que la nuit avance, dit-il.

— J’ai une voiture, Michael. On pourrait aller faire un tour.

Michael le regarda un instant, puis il secoua la tête :

— Je ne crois pas, Jon. Merci quand même.

Le docteur sourit faiblement :

— Tu es en train de me punir, n’est-ce pas ? déduisit-il.

— Pour quoi ?

— Pour… ce qui s’est passé l’autre fois au Endup.

Michael parvint à prendre un air détaché :

— C’était une soirée minable. Je ne peux pas t’en vouloir de…

— Non. C’est moi qui ai été minable ce soir-là. J’étais… gêné, Michael. J’étais accompagné de folles snobs de Seacliff et je n’ai pas été à la hauteur de la situation. C’est moi qui étais en défaut, pas toi.

— J’ai gagné, au fait, tu sais, sourit Michael.

— Tu ne pouvais que gagner.

— Gracias.

 

Ils se rendirent à la Capilla de la Paz dans la Volkswagen qu’avait louée Jon. Comme des inconnus qui se rencontrent dans une ville étrangère, ils discutèrent avec animation de la vie nocturne d’Acapulco, de l’ennui des croisières et des dangers de fumer de l’herbe au Mexique.

En haut de la colline, la chapelle était déserte. Au-dessus, dans le ciel semé d’étoiles, se dressait le calvaire gigantesque, pâle comme les os blanchis d’un monstre antédiluvien. Ils marchèrent jusqu’au bas de la croix en silence.

— On m’a dit, commença Jon, que c’était un monument érigé à la mémoire de deux frères qui se sont tués dans un accident d’avion.

— C’est émouvant. Je veux dire… Je trouve qu’avoir eu cette idée est émouvant.

— Tu sais, j’ai peut-être mal compris l’histoire.

— Peu importe, ça me plaît quand même.

— On voit le paquebot, regarde, dit Jon en désignant le bateau qui clignotait dans le port en-dessous d’eux. (Michael sentit l’haleine du docteur sur sa joue.) Et là-bas, continua Jon, derrière cette rangée d’hôtels… Michael ?

— Excuse-moi, j’avais la tête ailleurs.

— Où ?

— Je pensais aux monuments. Aux enterrements, en fait.

— Agréable !

Michael le regarda :

— Ne me dis pas que tu n’as jamais imaginé tes propres obsèques ?

Jon secoua la tête en souriant.

— Eh bien, écoute ça, alors, dit Michael. Je voudrais pour les miennes qu’on donne une grande fête au Paramount, à Oakland, avec plein de dope et de petits canapés et tous mes copains défoncés jusqu’aux yeux dans cette décadence Art déco. Et une fois que ce serait terminé, je voudrais qu’ils m’installent sur un siège au premier rang, qu’ils sortent du cinéma… et qu’ils enterrent le tout.

Jon éclata de rire et lui pinça la nuque :

— Tu ne crois pas que tu pourrais faire ce genre de fête sans avoir besoin de mourir ?

— Mmm. Si. Et c’est ce que je fais, d’ailleurs.

Jon s’esclaffa, prit le visage de Michael dans ses mains et l’embrassa.

— Ne meurs pas, OK ? En tout cas, pas avant que j’en aie fini avec toi.