Le diagnostic


Stupéfaite, Frannie dévisageait sa fille.

— Mon Dieu, DeDe, tu es sûre ?

DeDe confirma, tentant de retenir ses larmes :

— Je lui ai parlé ce matin.

— Et… il est certain ?

— Oui.

— Oh, mon Dieu.

Elle s’agrippa au treillage de la pièce, comme pour s’empêcher de tomber.

— Et pourquoi n’en avons nous… rien su avant ? continua-t-elle. Pourquoi ne nous a-t-il rien dit ?

— Il n’était pas sûr, maman.

La voix de Frannie devint stridente :

— Pas sûr ? De quel droit ose-t-il jouer à être Dieu ? Nous n’avons pas le droit de savoir ?

— Maman…

Frannie se détourna de sa fille, cachant son visage. Elle tripota un pot de chrysanthèmes « araignée » jaunes.

— Est-ce que le docteur a dit… combien de temps il lui restait ?

— Six mois, répondit délicatement DeDe.

— Va-t-il… souffrir ?

— Non. En tout cas pas avant la fin.

Sa voix se cassa. Sa mère s’était mise à pleurer.

— Non, maman, je t’en prie. Il est très vieux. Le vétérinaire a dit que son heure avait sonné.

— Et où est-il en ce moment ?

— Sur la terrasse.

Frannie quitta la pièce, frottant ses yeux rougis.

Dehors, sur la terrasse, elle s’accroupit devant la chaise longue où Faust gisait, endormi.

— Pauvre bébé, dit-elle en caressant le museau grisonnant du chien. Mon pauvre bébé.

 

Plus tard dans la journée, Frannie picorait son soufflé au fromage d’un air maussade au Cow Hollow Inn. Elle éleva la voix :

— J’ai dit… Pourvu que je sache m’y préparer.

— Bien sûr que oui.

Helen Stonecypher s’affairait avec une serviette humectée, pour retirer un morceau de rouge à lèvres sur l’une de ses incisives.

— Je ne suis pas trop pénible ?

— Pas du tout.

— J’ai pensé à faire couler son écuelle dans du bronze, pour faire une sorte de monument.

— Comme c’est touchant !

— Tu sais à quel point je hais les femmes qui deviennent hystériques à propos de leur chien… Mais Faust était… mais Faust est…

Sa voix faiblit.

Helen lui tapota le dos de la main, faisant cliqueter ses bracelets à l’unisson.

— Fais tout ce qui pourra te consoler, ma chérie. Tu te souviens de Choy, n’est-ce pas ? Le cuisinier de ma grand-mère, dans notre grande maison de Pacific Heights ?

Frannie fit signe que oui, retenant ses larmes.

— Eh bien, ce bon vieux Choy était le meilleur compagnon de mamie… et quand il est mort…

— Je m’en souviens. Ce n’est pas lui qui la promenait en chaise roulante à la fête de Treasure Island ?

Helen confirma.

— Quand il est mort, poursuivit-elle, mamie a fait couper sa queue de cheval et en a fait faire un collier.

— Un quoi ?

— Tu as bien entendu, ma chérie : un collier… Avec trois ou quatre perles en ivoire, très discrètes, enfilées aux mèches. C’était tout à fait ravissant, et mamie l’adorait. D’ailleurs, elle le portait quand elle est morte dans notre loge à l’opéra en 1947.

— Je m’en souviens, dit Frannie en souriant courageusement. Pendant Le Crépuscule des Dieux.

 

Helen remit le poudrier dans son sac à main.

— Viens, ma chérie, dit-elle. Allons prendre un petit remontant chez Jean.

— Helen… Pas maintenant, il est trop tôt.

— Ma chérie, mais tu es vraiment déprimée !

— Ça ira mieux dans un…

— Frannie, c’était un très, très vieux chien.

— C’est.

— C’est… Frannie, tu dois voir les choses ainsi : il a eu une vie riche et pleine, aucun chien n’a jamais eu une aussi belle vie.

— Ça, c’est vrai, lui renvoya Frannie, retrouvant un peu de courage. C’est tout à fait vrai.