La femme du pâtissier


À minuit, dans l’usine Twinkie, confrontée à l’inconnu, à cet inconnu blanc, Mona resta sans voix pendant un long instant.

— Oui ? fit-il aimablement. Que puis-je pour vous ?

— Je… Excusez-moi… Je crois que c’est l’autre M. Wilson que je cherche.

— Don ? L’emballeur ? Je peux aller le chercher, si vous…

— Non, attendez… Est-ce que vous avez une fille qui s’appelle Dorothy ?

Le visage de Leroy Wilson devint encore plus pâle.

— Oh, mon Dieu ! émit-il.

— M. Wilson, je…

— Vous êtes de la Croix-Rouge, n’est-ce pas, ou un truc de ce genre ? Il lui est arrivé quelque chose ?

— Oh non, elle va très bien, vraiment ! Je viens de la voir ce soir.

— Elle est à San Francisco ?

— Oui.

L’expression du soulagement fit place à celle de l’amertume.

— Je suppose que c’était trop demander d’avoir de ses nouvelles…

— Elle habite ici, maintenant.

— Qui êtes-vous ?

— Pardon… Mona Ramsey. Je partage une maison avec votre fille.

— Qu’est-ce que vous me voulez ?

— Je voudrais… M. Wilson, vous n’auriez pas envie de revoir Dorothy ?

Il renifla :

— Ce que nous voulons n’a pas beaucoup d’importance dans tout ça, dit-il.

— Je crois… Je crois que Dorothy aimerait beaucoup…

— Dorothy n’a pas une très bonne opinion de sa mère et de moi.

C’était donc ça, pensa Mona. La très distinguée Miss D’orothea Wilson était le produit d’un mariage prolétaire interracial. Et cela l’indisposait jusqu’au rejet.

Ce qui expliquait, entre autres choses, les traits semi-caucasiens de D’orothea et sa répugnance farouche à reconnaître son héritage africain.

Elle avait, en clair, honte d’être métisse.

 

Leroy Wilson offrit à Mona une tasse de café dans la cantine de la pâtisserie, au deuxième étage. Visiblement blessé par le comportement de sa fille, il laissa à Mona le loisir de monopoliser la conversation.

— M. Wilson, je ne sais pas pourquoi Dorothy a décidé… de couper les ponts avec vous et Mme Wilson… mais je crois qu’elle a changé, maintenant. Elle veut vivre à San Francisco, et je suis sûre que ça signifie…

— Je ne me souviens même plus de la dernière fois où Dorothy nous a écrit.

— On perd facilement le contact, à New York. Surtout quand on est top model et que…

— Ça va. Où voulez-vous en venir ?

Mona déposa sa tasse et le regarda droit dans les yeux :

— Je voudrais que votre femme et vous veniez dîner cette semaine.

Il resta bouche bée.

— Nous serions juste nous quatre, ajouta-t-elle.

— Dorothy est au courant ?

— Eh bien, c’est-à-dire que… non.

— Je crois que vous feriez mieux de rentrer chez vous.

— M. Wilson, s’il vous plaît…

— Quel intérêt avez-vous à faire ça, d’abord ?

— Dorothy est mon amie.

— Ça ne suffit pas.

— Bon sang, tout ça est un tel gâchis !

Il la regarda d’un air sérieux, et Mona sentit chez lui une sorte d’intuition primaire.

— Vous parlez à votre père, vous ? demanda-t-il.

— M. Wilson…

— Eh bien ?

— Je… Je ne l’ai jamais connu.

— Il est décédé ?

— Je ne sais pas. Il a quitté ma mère quand j’étais bébé.

— Ah.

— Allez-y. Analysez mes motivations profondes, si vous le voulez. Tout ce que…

— D’accord. Quand ?

— Pardon ?

— Quand voulez-vous que nous venions ?

— Oh, je suis si…

Elle lui sauta au cou et l’étreignit, puis elle recula, gênée.

— Le soir de Noël, ça vous convient ?

— Oui, fit Leroy Wilson. Pourquoi pas.