Beauchamp décida de boire son déjeuner chez Wilkes Bashford.
Là, au milieu de la vannerie, des matériaux plastiques translucides et des murs plâtrés, il vida trois Negronis, tout en essayant une paire de bottes Walter Newberger à $ 225.
Walter Newberger en personne les lui enfila.
— Comment vous sentez-vous ? demanda le styliste.
— Divin, répondit Beauchamp. Juste ce qu’il faut de Campari.
— Les bottes, Beauchamp. Vous pouvez vous lever, n’est-ce pas ?
Beauchamp lui adressa un sourire espiègle :
— Seulement si c’est indispensable… Pardon, où est votre téléphone ?
— Il y en a un dans la salle des miroirs.
Beauchamp marcha gaiement jusqu’à la salle des miroirs et forma le numéro du bureau de Jon au 450 Sutter.
— Salut, blondinet.
— Bonjour.
— Dis, beauté, je suis dans le quartier. Pourquoi est-ce qu’on ne se louerait pas une chambre au Mark Twain pour une petite sieste ?
— Je suis occupé, en ce moment. Si vous pouviez appeler ma secrétaire plus tard, je suis sûr…
— Ah, j’ai pigé !
— Bien.
— Il y a une cliente dans ton bureau ?
— C’est exact.
— Elle est mignonne ?
— Je regrette… Je ne peux pas parler de…
— Ooooh… Allez, quoi ! Dis-moi juste si elle est mignonne.
— Je dois vous interrompre.
— Elle n’est quand même pas plus mignonne que moi ?
Le médecin raccrocha.
Beauchamp rit à haute voix, s’appuyant contre le cactus en coton rembourré dans la salle des miroirs. Puis il retourna d’un pas nonchalant au bar, ou le styliste l’attendait.
— Mettez-les sur mon compte, commanda Beauchamp.
Le Vieux n’avait apparemment toujours pas terminé de déjeuner à la Villa Taverna.
D’un pas assuré, Beauchamp pénétra dans le bureau du président et prit mentalement quelques notes.
Pas si mal, comme espace, finalement. Des lignes claires et un éclairage décent. Une fois débarrassé de ces abominables gravures géantes et des chaises Barcelona vieillottes, Tony Hail pourrait probablement en faire quelque chose d’époustouflant avec des paniers et quelques ficus, et peut-être des œufs d’autruche sur l’étagère, derrière le…
— Tu cherches quelque chose de particulier ?
C’était Mary Ann, en train de jouer les chiens de garde pour défendre le territoire du Vieux.
— Non, lui renvoya-t-il sèchement.
— M. Halcyon ne sera pas de retour avant deux heures.
Beauchamp haussa les épaules.
— Très bien.
Elle resta figée dans l’embrasure de la porte jusqu’à ce qu’il l’eût croisée pour retourner dans son propre bureau, au bout du couloir.
Cette nuit-là, Mary Ann céda à une tentation qui l’avait rongée tout au long de la semaine.
Elle parla de Norman à Michael, et lui raconta son étrange soirée au Beach Chalet.
Pour Michael, il n’y avait aucune raison de se mettre martel en tête :
— Où est le problème ? Tu es une fille sensée, non ? Tu brises les cœurs. Ce n’est pas de ta faute, que je sache.
— Mouse, là n’est pas la question. Je n’arrive pas à me débarrasser de cette impression… qu’il mijote quelque chose.
— Ça m’a tout l’air d’un écran de fumée.
— Pardon ?
— Il essaie de t’impressionner. Tu lui as parlé, depuis ?
— Une ou deux fois. Des trucs superficiels. Il m’a acheté une glace chez Swensen. Il y a quelque chose de terriblement… je ne sais pas… désespéré, chez lui. Comme s’il attendait le bon moment pour me prouver quelque chose.
— Tu sais, si tu avais quarante-deux ans et que tu vendais des vitamines au porte à porte…
— Mais justement, ce n’est pas ce qu’il fait ! Ça, j’en suis certaine : il me l’a dit… et je le crois.
— En tout cas, il n’arrête pas de se balader avec cette valise Nutri-Vim ridicule.
— Il fait semblant, Michael. Je ne sais pas pourquoi, mais il le fait.
Michael sourit malicieusement.
— Il n’y a qu’un moyen de le savoir, fit-il.
— Lequel ?
— Je sais où Mme Madrigal garde le double des clés.
— Oh, Mouse… Non, tu es fou. Je ne pourrais pas.
— Il n’est pas là ce soir. Je l’ai vu partir.
— Mouse, non !
— OK, OK. Si on allait plutôt au ciné ?
— Mouse… ?
— Oui ?
— Tu trouves vraiment que je suis une fille sensée ?