La délicieuse odeur boisée du bain moussant chatouilla le nez de Frannie tandis qu’elle s’allongeait dans l’immense baignoire de marbre et se laissait aller aux effets de la vitamine Q.
— Oooh, bonté divine ! Cette baignoire est assez grande pour deux.
Birdsong s’arrêta de lui masser les pieds :
— Voulez-vous que j’y entre aussi, madame Halcyon ? demanda-t-il.
— Oh, non, pouffa-t-elle. Non, ce n’était pas une invitation déguisée, Birdsong.
— Ce ne serait pas un problème.
— Non, j’en suis certaine… Birdsong ?
— Oui, madame ?
— Depuis combien de temps travaillez-vous à Pinus ?
— Environ deux ans.
— Vous aviez quel âge ?
— Euh… vingt ans.
— Vous vous plaisez, ici, alors ?
— Oui, madame.
— Toutes ces vieilles dames. Vous aimez… les servir ?
— Je ne les considère pas comme vieilles.
Frannie eut un sourire indulgent :
— Je sais qu’on vous demande de dire cela, répliqua-t-elle, mais tout de même… Enfin, je veux dire : nous avons toutes plus de soixante ans, n’est-ce pas ? Un jeune homme comme vous doit se sentir ici un peu… bizarre ? Vous me comprenez ?
— Non, madame. J’aime les femmes mûres.
Elle lui fit un sourire en coin, en baissant ses paupières.
— Vous êtes diplomate, jeune homme.
Birdsong lui fit un clin d’œil et lui tordit gentiment le gros orteil.
— Quel est votre vrai nom ? demanda-t-elle.
— Nous n’avons pas le droit de le dire.
— Ah bon ? Vraiment ?
— Non, madame.
— Vous allez me frotter le dos ?
— Si vous voulez.
— Oui, je veux, avoua Frannie avec un sourire coquin, en se retournant dans la mousse.
La néophyte dormit à poings fermés jusqu’à six heures du soir et fut réveillée par Helena Parrish qui frappait à la porte.
— L’heure est proche, dit-elle gaiement en entrant.
Elle avait quitté ses vêtements de ville pour le caftan vieux rose de la résidence. Elle avait également défait son chignon et ses cheveux flottaient désormais triomphalement sur ses épaules.
Frannie se frotta les yeux et s’assit au bord du lit.
— Je ne suis pas particulièrement angoissée. Je devrais ?
— Mais, ma chérie, cela va être la nuit la plus extraordinaire de toute votre vie.
— Là, maintenant, je suis angoissée.
— Tout se passera bien.
— Je commence à avoir l’impression d’être une vieille idiote.
— Sottises. Vous serez la plus jeune de toutes les filles qui sont ici.
— Je n’avais pas réfléchi au fait qu’on pouvait voir les choses sous cet angle, gloussa Frannie.
— Ne réfléchissez pas aux choses, ma chérie… Éprouvez-les. C’est le secret de Pinus. Laissez-vous aller à vos sens.
— Je vais essayer.
— Bon. Maintenant… Encore une petite vitamine Q et nous y allons.
En découvrant l’amphithéâtre, Frannie eut le souffle coupé. Sur le flanc d’une colline que gagnaient les ombres du crépuscule, une centaine de femmes étaient vautrées dans des chaises longues vieux rose et contemplaient d’un air languide la scène en plein air qui s’ouvrait devant elles.
Le centre de la scène était embrasé par un feu de joie qui projetait une lumière mystique sur le « P » doré qui oscillait, suspendu au-dessus. Lorsqu’Helena fit son entrée, tout le monde se mit à janer.
— Aaaaaaaahihahihaaaaaahhhh !
La clameur était retentissante, presque assourdissante. Frannie sentit un petit frisson lui parcourir l’échine. Elle rajusta son caftan et tripota ses cheveux, attendant un signe d’Helena.
— Mesdames, entonna Helena d’une voix qui n’avait pas besoin de micro, nous savons toutes pourquoi nous sommes rassemblées ici ce soir, alors avançons. Sans plus de manières, permettez-moi de vous présenter… la petite nouvelle qui connaîtra bientôt les mystères de Pinus : Frannie Halcyon !
Cette fois, le janing faillit ébranler jusqu’aux arbres. Frannie monta sur la scène, la tête haute, et alla prendre position auprès d’Helena et du feu de joie. Au même moment, les femmes se levèrent et on fit entrer sur la scène un gigantesque gâteau posé sur un chariot. Les femmes recommencèrent leur janing et se lancèrent en chœur dans une version enthousiaste de Happy Birthday to You.
Le sommet du gâteau explosa en une éruption de chair et de chantilly à la lueur des flammes.
Au vu de la silhouette nue qui en sortait, de petits cris envieux parcoururent l’assistance.
— Bluegrass ! piailla une femme qui était près de la scène. Elle a décroché Bluegrass !
Frannie leva les yeux et vit un colosse aux cheveux blonds qui ressemblait à un culturiste. Il sourit à la Reine de la Soirée, bondit avec enthousiasme hors du gâteau… et, d’un geste souple, il souleva Frannie dans ses bras, l’emportant au pas de course dans la forêt.
Le janing reprit de plus belle.