Terre !


Petit déjeuner sur le Pacific Princess. La salle à manger du Pont Aloha bourdonnait des conversations de passagers brûlés par le soleil, impatients d’apercevoir enfin Puerto Vallarta. Mary Ann fit son entrée sans Michael, qui était encore sous la douche.

— Eh bien, brailla Arnold Littlefield en noyant ses œufs brouillés dans le ketchup, votre petit mari vous a laissée tomber, hein ?

Arnold et sa femme, Melba, partageaient une table avec Mary Ann et Michael. Les Littlefield avaient la quarantaine et portaient toujours des vêtements identiques. Aujourd’hui, vu leur destination, ils arboraient tous les deux des pantalons en toile de sac mexicains. Ils étaient de Dublin, Dublin en Californie.

— Il lui faut toujours plus de temps qu’à moi, dit Mary Ann en s’asseyant avec désinvolture.

Il était infiniment plus simple de faire passer Michael pour son mari plutôt que de se mettre en devoir d’expliquer ce que Michael appelait leur « bizarre, mais vraiment très bizarre relation ».

— Ça vous pouvez le dire, fit Melba, la bouche pleine de bacon. Les hommes sont pires que les femmes pour s’apprêter.

Mary Ann acquiesça, soulagée que Michael ne soit pas là pour y aller de son commentaire sur cette sortie.

Elle commanda un énorme petit déjeuner, puis elle se souvint de Burke Andrew et annula les gaufres. Elle était en train d’avaler son jus d’orange lorsque Michael apparut, l’air de bonne humeur et propre comme un sou neuf.

Il portait des Adidas, un Levi’s et un T-shirt blanc orné, pour le motif, d’une boîte de Crisco.

— Mille excuses, dit-il gaiement en faisant un petit signe aux Littlefield avant de s’asseoir.

— Pas grave, fit Arnold. Mais vous feriez bien de ne pas trop laisser la petite dame toute seule, hein ? (Il fit un clin d’œil à Mary Ann.) Elle est trop mignonne pour ne pas la garder en laisse.

— Arnold !

C’était Melba.

— Mike le sait bien, observa-t-i1. Pas vrai, Mike ?

— Je ne peux pas la quitter des yeux une seconde, reconnut celui-ci.

Melba donna un coup de coude à son mari :

— Tu ne dis jamais ça pour moi, Arnold !

— C’est qu’ils sont plus jeunes que nous et tu te souviens bien comment c’était quand… Dites, Mike, depuis combien de temps êtes-vous dans les lubrifiants ?

— Quoi ? fit Michael. (Il était occupé à mater un serveur à la table voisine.)

— Votre T-shirt… Vous travaillez bien chez Crisco ?

Mary Ann avait envie de se cacher dans ses corn-flakes.

— Ouais, répondit Michael, pince-sans-rire. Je suis dans les lubrifiants depuis… Oh, je ne sais pas… Quatre, cinq ans.

— Dans les ventes ?

— Non, les relations publiques.

— Mouse… supplia Mary Ann.

Michael fit un clin d’œil à Arnold :

— Bobonne n’aime pas que je parle boutique à table, fit-il.

— Elle a bien raison, intervint Melba, se rangeant du côté de Mary Ann. Arnold me bassine constamment avec ses structures alvéolaires en aluminium. Ce que ça peut être pénible !

— C’est peut-être pénible pour toi, Melba, mais il y en a que ça intéresse, surtout quand c’est grâce à ça qu’ils gagnent leur vie ! Vous trouvez que c’est pénible, les lubrifiants, vous, Mike ?

— Sûrement que non ! répondit Michael sans l’ombre d’une hésitation.

 

Depuis le pont promenade, on avait l’impression de pouvoir presque toucher le sable blanc et les palmiers de Puerto Vallarta. Mary Ann s’appuya contre le bastingage, puis regarda les chauffeurs de taxi et les vendeurs de serape qui commençaient déjà à envahir le débarcadère.

— Où pourrait-on aller, Mouse ?

— Je ne sais pas. À la plage, non ?

— Nous n’avons pas un sou d’argent mexicain.

— Le commissaire de bord a dit qu’ils acceptent… Attends, voilà l’autre !

— Qui ?

— Le mystérieux et très bandant M. Andrews.

Mary Ann se retourna lentement et vit le beau blond qui traversait le pont à grands pas, visiblement dans sa direction.

— Andrew, corrigea-t-elle. Sans « s ».

— Oh, avec ou sans « s », il me plaît autant…

Mary Ann ne prêta pas attention à cette réplique. Burke Andrew lui adressait un grand sourire.

— Je vous cherchais, dit-il.

Vous ? Est-ce qu’il veut dire tous les deux ? songea Mary Ann.