Le déjeuner chez The Noble Frankfurter, sur Polk Street, de Mona et de Michael se composait de deux cheese-dogs et d’une portion de frites.
— J’aurais dû changer de vernis à ongles, dit Mona.
— Je te demande pardon ?
— Du vernis à ongles vert devant un stand de hot-dogs, ce n’est pas de la Divine Décadence, c’est carrément vulgaire.
Michael rit :
— Moi, je trouve que ça te donne un air pauvre mais digne.
— Ouais, ben, tu n’as pas tout à fait tort. On est au bord de l’humiliation financière, Mouse. Mon allocation de chômage ne nous permettra pas de garder le train de vie auquel toi et moi, on s’est habitué.
Elle ne plaisantait qu’à moitié, et Michael le savait.
— Mona, dit-il. Je me suis inscrit dans une agence, cette semaine. Ils peuvent me trouver un job de serveur très rapidement. Je ne veux pas que tu croies que je me tourne les pouces…
— Michael, je sais. Vraiment. Je disais ça comme ça. Y a seulement qu’on a déjà un mois de retard sur le loyer, et ça me gêne un peu vis-à-vis de Mme Madrigal. Elle ne nous le réclamera pas, mais elle a des taxes à payer, tout ça, et…
— Hé hé ! fit Michael, brandissant une frite en point d’exclamation. Je ne t’ai pas encore parlé de mon plan cash instantané !
— Oh mon Dieu ! Je ne suis pas sûre de vouloir entendre ça.
— Cent dollars, Babycakes ! En une seule nuit !
Il dévora la frite.
— Tu te sens prête à encaisser ça ? conclut-il.
— Tu ne crains pas d’avoir froid, à arpenter le trottoir au coin de Powell et Geary ?
— Très drôle, Wonder Woman. Tu veux entendre mon plan, oui ou merde ?
— Je t’écoute.
— Moi, Michael Mouse Tolliver, je vais participer au concours de danse en slip du Endup.
— Oh, c’est pas vrai !
— Je suis très sérieux, Mona.
Et il l’était réellement.
De l’autre côté de la ville, chez Halcyon Communications, Edgar Halcyon appela Beauchamp Day dans son bureau.
— Assieds-toi, dit-il.
Beauchamp sourit d’un air narquois :
— Merci.
En effet, il était déjà assis.
— Nous avons à parler.
— Bien.
— Je sais que tu me prends pour un vieux con, mais il faut bien qu’on se supporte. On n’a pas le choix.
Le sourire de Beauchamp devint embarrassé :
— Je n’irais pas jusqu’à…
— Beauchamp, est-ce que cette entreprise c’est du sérieux, pour toi ?
— Pardon ?
— Est-ce que tu en as quelque chose à foutre de la publicité ? C’est ça que tu as envie de faire dans la vie ?
— Eh bien, je pense avoir amplement démontré…
— Oublie ce que tu as démontré, bordel ! Qu’est-ce que tu ressens ? Est-ce que tu peux sincèrement digérer l’idée de passer le reste de ton existence à vendre des pantys ?
Le concept était loin d’enthousiasmer Beauchamp, mais il savait ce qu’il devait répondre.
— Ceci est ma carrière, répliqua-t-il avec conviction.
Edgar semblait las :
— Ça l’est bel et bien, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Tu veux ma place, hein ?
— Je…
— Je n’engage pas d’hommes qui ne veulent pas ma place, Beauchamp.
Beauchamp décroisa les jambes, à présent complètement déstabilisé.
— Oui, dit-il. Je peux comprendre ça.
— Je veux te parler tant que DeDe est absente. Est-ce que tu es libre ce soir pour prendre un verre au club ?
— Ça serait avec plaisir.
— Ce que j’ai à te dire doit rester strictement entre nous. Est-ce que c’est clair ?
— Oui.