Frannie Halcyon reprenait un toast à la cannelle lorsque sa fille la rejoignit pour le petit déjeuner sur la terrasse d’Halcyon Hill.
— Comment était le mariage, ma chérie ? Tout s’est bien passé ?
DeDe s’assit et se servit une tasse de café :
— Tout à fait charmant, répondit-elle. D’une certaine manière, ça ressemblait beaucoup au mien. Le prêtre a même lu des passages de Khalil Gibran.
Sa mère plissa le front :
— Mon Dieu… s’étonna-t-elle. Ils font encore ça ?
— Il y avait ***, au fait ! fit valoir DeDe.
— Ah bon ? Mais pourquoi donc ?
— C’est un ami de la famille…
— Ah.
— Et Mary Ann te fait parvenir un morceau du gâteau… avec son souvenir affectueux.
— C’est très gentil, dit Frannie. Elle en a vraiment vu de toutes les couleurs, n’est-ce pas ? D’abord, votre expédition insensée… Et puis son fiancé qu’on prend pour un homosexuel !
DeDe fit la grimace :
— Ça n’a pas vraiment de rapport, maman.
— Eh bien, tenta de conclure Frannie d’un ton enjoué. Tout est bien qui finit bien, comme je dis toujours. Il suffit de regarder mes petits-enfants pour s’en convaincre.
— Ils sont déjà levés ? demanda DeDe.
— Ils sont là-bas avec Emma, la renseigna sa mère en désignant le fond du jardin. (Elle eut un sourire bienveillant pour les lointaines silhouettes, puis elle se retourna en poussant un soupir.) Tu sais… Je me sens affreusement bête, à cause de tout ça.
— De tout quoi ? demanda DeDe en beurrant un toast.
— Eh bien… De ne pas avoir vérifié si M. Starr était revenu sur le bateau. Nous l’avons accusé de tous les maux… quand on y pense.
DeDe croqua son toast.
— C’était une réaction parfaitement naturelle, jugea-t-elle.
— Je sais. Mais quand même, j’aimerais pouvoir lui écrire une lettre pour le remercier. Penses-tu qu’il ait laissé son adresse à Prue ? (DeDe secoua la tête et continua à grignoter.) Il a dû nous trouver terriblement sottes, ajouta Frannie. Je veux dire : d’abandonner les enfants comme ça ! Songe à ce qu’il a pu penser.
— À ta place, je ne me ferais pas tant de soucis, lui conseilla DeDe.
— C’était un tel gentleman, énonça Frannie en refermant le chapitre une bonne fois pour toutes. (Elle se retourna vers le jardin et secoua la tête, admirative.) Emma est merveilleuse, n’est-ce pas ? Regarde-la ! Elle est complètement obsédée par son nouveau massif d’azalées !
— Mmm, mmm, fit DeDe.
— On ne peut pas s’empêcher de l’admirer ! gazouilla Frannie. Se mettre au jardinage, à son âge !
DeDe hocha la tête :
— Elle adore notre famille, expliqua-t-elle.
— On dira ce qu’on voudra, déclara l’heureuse grand-mère, mais on ne trouve plus de domestiques de sa trempe !
Quand le téléphone sonna, DeDe décrocha dans la cuisine.
— Halcyon Hill, annonça-t-elle.
— Euh… Emma ?
— Non, c’est DeDe. (Enfin, elle pouvait le dire.)
— Tout va bien alors ! Dieu merci !
— Mais qui est-ce ?
— Qui veux-tu que ce soit ? Le Péril Rouge !
— D’or ! Où es-tu ? Tu as une drôle de voix.
— Ça doit être l’ambiance. Je suis à Miami.
— Quoi ?
— Au Fontainebleau, ni plus ni moins. Quand je me vends au grand capital, je ne fais pas les choses à moitié !
DeDe se mit à rire :
— Tu m’as tellement manqué ! confia-t-elle.
— C’est vrai ? Tu veux me voir ?
— Tu penses ! Dans combien de temps peux-tu être là ?
— Donne-moi un jour ou deux. Mais dis donc, ma chérie, et ta mère ?
— Je m’en occupe ! déclara DeDe.
Cinq minutes après, elle raccrochait et s’en occupait.