Les beach boys


Les locataires de Mme Madrigal avaient surnommé ce coin de la cour « Barbary Beach ».

D’accord, pensa Michael en étalant sa serviette de bain sur les briques, ça ne vaut pas les dimanches au lac Temescal, mais ça devra faire l’affaire.

Dans moins de sept heures, il serait sur la scène du Endup.

Il lui fallait absorber un maximum de rayons.

— Salut ! dit une voix quelque part entre lui et le soleil.

Il leva la tête, protégeant ses yeux. C’était le type du troisième étage. Brian quelque chose. Il tenait une serviette à l’emblème d’une marque de bière.

— Salut. Bienvenue. L’eau est délicieuse.

Brian opina du bonnet et jeta sa serviette à terre. Un mètre et demi, remarqua Michael : proche, mais pas trop. Le parfait S.M.C. : Sexy Mais Coincé.

— Tu crois que ça vaut la peine ? demanda Brian.

— Probablement pas, mais tant pis. Pourquoi décevoir tous ces autres corps roses dans les bars ?

Brian se mit à rire. Il avait compris l’ironie de la remarque. OK, pensa Michael, il sait que nous ne fréquentons pas les mêmes bars. Et encore moins les mêmes corps. Bref, il sait, et il sait que je sais qu’il sait. Tout va bien.

— Tu es Brian, et je suis Michael. C’est ça ?

— Exact.

Il se serrèrent la main, toujours couchés sur le ventre, levant le bras dans le vide pour se toucher.

Michael rit.

— On dirait une scène du plafond de la chapelle Sixtine !

 

Quinze minutes plus tard, Michael avait de nouveau envie de parler.

— T’es célibataire, non ?

— Ouais.

— Ça doit être une ville formidable pour un célibataire. Je veux dire… un hétéro.

— Ah ?

— Enfin… Il y a tellement d’homos que les femmes doivent s’arracher les hétéros, si tu vois ce que je veux dire.

Brian grogna. Il était allongé sur le dos à présent, les mains derrière la tête.

— La nuit dernière, j’ai passé quatre heures dans un bar à draguer une gonzesse sur laquelle je ne me serais même pas retourné à l’université.

— Oui, fit Michael, un rien surpris par la remarque. Ça devient comme un jeu. Plus drôle de défaire le paquet que de découvrir le contenu. Enfin, parfois…

Il jeta un coup d’œil à Brian, et se demanda s’ils se comprenaient un peu…

— Tu connais Mary Ann Singleton ? s’enquit Michael.

— Oui.

— Eh bien, on a eu une longue conversation, Mary Ann et moi, et elle m’a avoué qu’elle voulait rentrer à Cleveland. Je lui ai fait la morale sur la nécessité de se prendre en charge et tout ça… Mais le plus effrayant, c’est que j’ai parfois l’impression qu’elle a raison. Peut-être qu’on devrait tous rentrer à Cleveland.

— Ouais. Ou bien aller se réfugier dans une ferme de l’Utah. Retourner aux choses vraies.

— J’ai aussi mon endroit. Un village au Colorado, sans aucun confort. Juste un bon restaurant français et un décorateur design.

Ils éclatèrent tous les deux de rire. Michael se sentit instantanément plus à l’aise avec lui.

 

— Ce qui me fait vraiment chier, expliqua Brian, c’est qu’on ne sait jamais ce que les femmes ont derrière la tête… Pas pour longtemps, en tout cas. Elles ne montrent que ce qu’elles veulent bien montrer.

Michael approuva.

— Et donc tu t’imagines toutes sortes de choses fausses.

— Exactement.

Brian se mit à arracher des touffes d’herbe entre les briques.

— Ça m’arrive tout le temps, dit Michael. Je rencontre quelqu’un du type viril, dans un bar ou un sauna, et il ressemble vraiment à ce que je cherche. Une belle moustache, un jean, une chemise militaire kaki… Costaud… Quelqu’un que tu peux ramener à Orlando sans que les gens s’aperçoivent de la différence… Puis tu l’accompagnes dans son appartement à Upper Market, et tu évites la salle de bains à tout prix parce que c’est dans la salle de bains que le rêve s’évanouit, que le mythe du mâle tombe en poussière…

Brian parut désorienté.

— C’est l’armoire de la salle de bains, expliqua Michael. Toute une panoplie de shampooings et de crèmes de beauté. Et au-dessus des toilettes, ils ont tous un de ces foutus petits récipients dorés remplis de boules de savon multicolores !