Halloween en banlieue


Mary Ann tira sur le bras de son chauffeur.

— Oh ! Norman, tu veux bien klaxonner ?

— Qui est-ce ?

— Michael et ses parents. Le colocataire de Mona.

Norman appuya sur le klaxon. Michael regarda vers eux au moment où Mary Ann lui envoyait un baiser par la fenêtre de la voiture. Il sourit piteusement, et fit semblant de s’arracher une touffe de cheveux en signe de désespoir. Ses parents continuaient à foncer droit devant, sans se rendre compte de rien.

— Le pauvre ! fit Mary Ann.

— Que se passe-t-il ?

— Oh… c’est compliqué.

— C’est un inverti, n’est-ce pas ?

— Un gay, Norman.

Lexy passa la tête par-dessus le siège :

— C’est quoi, un inverti ?

— Assieds-toi, dit Norman.

Mary Ann se retourna et remit en place la cape Wonder Woman de Lexy.

— Comme tu es jolie, Lexy !

La fillette se laissa rebondir sur le siège arrière.

— Pourquoi t’as pas de costume ? demanda-t-elle.

— Eh bien… parce que je suis une grande personne.

La fillette secoua la tête avec véhémence et, par la fenêtre, montra du doigt trois hommes déguisés en majorette.

— Ces grandes personnes-là, elles ont des costumes.

Norman pouffa de rire en secouant lentement la tête.

Mary Ann soupira :

— Quelle âge a-t-elle, déjà, cette petite ?

 

Lorsqu’ils atteignirent San Leandro, la nuit était presque tombée. Norman gara la voiture et ouvrit la porte pour Lexy.

La petite s’élança sur le trottoir en bondissant, équipée d’un gigantesque sachet en plastique pour recueillir les sucreries d’Halloween.

— Tu es sûr qu’elle ne risque rien ? demanda Mary Ann.

Norman hocha la tête.

— Ses parents habitent juste au coin. Je leur ai promis que je la laisserais se défouler.

— J’espère qu’ils te sont reconnaissants.

— Je ne le ferais pas si ça ne me plaisait pas, confia-t-il avec un sourire penaud. Tu sais, c’est un peu comme une enfant à louer.

— Oui. C’est assez agréable.

— Ça ne t’ennuie pas trop ?

— Pas le moins du monde.

Il la regarda avec un air solennel pendant quelques instants, puis il lui prit la main.

— Norman ?

— Oui ?

— As-tu déjà été marié ?

Silence.

— Excuse-moi, dit Mary Ann. C’est juste que tu t’y prends si bien avec les enfants que…

— Roxane et moi, nous devions avoir des enfants. En tout cas, c’est ce qui était prévu.

— Ah… Elle est décédée ?

Norman fit signe que non :

— Elle m’a quitté pour un représentant en carrelage de Daly City. Pendant que j’étais au Vietnam.

— Je suis désolée.

Il haussa les épaules.

— C’était il y a longtemps. Aux alentours de la naissance de Lexy, en fait. Je m’en suis remis.

Elle regarda par la fenêtre, embarrassée par ce nouvel aperçu de la personnalité de Norman. Lexy représentait-elle son seul lien avec ses rêves évanouis ? Avait-il abandonné tout espoir de fonder à nouveau une famille ?

— Norman… Je ne vois pas comment quelqu’un peut vouloir te quitter.

— Ça n’a pas d’importance.

— Bien sûr que si, ça en a ! Tu es un homme doux, gentil, et attentionné, et personne n’a le droit… Norman, tu as tellement d’amour à donner !

Il se tripota les mains, et baissa les yeux.

— Oui : d’amour à donner… répéta-t-il d’un air absent.

Il avait besoin d’un signe de sa part. Des yeux, il la supplia de lui faire un signe.

Elle levait la main pour toucher son grand visage triste quand un tapotement sur l’épaule la fit sursauter.

Lexy était de retour.

— Oh, Lexy… fit Mary Ann.

Elle rit, légèrement soulagée :

— Alors, comment ça a marché ?

— Seulement une pomme.

— Eh alors ? C’est bon, les pommes ! Je la mangerai, moi, si tu n’en veux pas.

La fillette la dévisagea pendant quelques secondes, puis elle sortit la pomme et, en signe de défi, la croqua à pleines dents.

Horrifié, Norman s’écria :

— Lexy… Non !

Lexy lui sourit, le menton dégoulinant de jus.

— Ça va, dit-elle. J’ai déjà vérifié, pour les lames de rasoir.