Au chevet du malade


Quand Michael se réveilla à l’hôpital St. Sebastian, Jon était à son chevet, muni d’un pot de crème glacée, de trois vieux numéros de Playgirl et de quelque chose enveloppé dans un sac en papier.

— Regardez-moi ça, murmura Michael en souriant. On nage en plein fantasme de folle frustrée !

Jon lui fit un petit clin d’œil :

— Comment tu te sens ?

— Je me sens de moins en moins. Mais c’est normal, non ?

— Bien sûr. Généralement, ça… ça monte… Michael, ça empire avant de s’améliorer.

— Pigé.

— Est-ce que… Tu sens si ça progresse ?

— Ouais, je crois. Une espèce de chatouillis, c’est ça ? (Il posa la main sur le haut de sa cuisse, juste sous l’aine.) Tu ne vas plus pouvoir en profiter très longtemps, mon pote. Mieux vaut que tu t’y mettes maintenant pendant que ça marche encore !

Jon éclata de rire :

— À propos, dit-il, j’ai vu l’infirmier. Et je suis beaucoup plus inquiet à ce sujet que pour… ça.

— Basta ! Qu’est-ce qu’il y a dans le sac, menteur ?

Jon le laissa tomber sur ses genoux :

— Devine.

— Un vibromasseur pour moi tout seul ?

— Ouvre, banane !

Michael prit le sac et un exemplaire de Little Lulu en sortit.

— Jon ! Mais c’est… une pièce de collection ! Ça doit remonter au moins à la fin des années cinquante ! Où tu l’as trouvé ?

— Dans la boutique de B.D., sur Colombus.

— Bon sang ! fit-il, tout excité, en feuilletant la bande dessinée. Regarde ! Il y a même la petite maison avec le panneau « Interdit aux Filles » ! Et les petites annonces doivent être… Nom de Dieu : faut que je voie les pubs !

— Mais qu’est-ce que tu racontes ?

— Tu sais… Les farces et attrapes qu’ils vendaient, les verres baveurs et les coussins péteurs, et puis ce truc qu’était censé te transformer en ventriloque quand tu te le mettais sous la langue. C’est pas vrai ! T’en as jamais commandé ?

Le médecin secoua la tête en souriant.

— Non, soupira Michael, évidemment. Et tu n’as jamais vu la publicité pour le « Bullworker » de Charles Atlas. Tu n’as jamais été un môme rachitique de vingt-quatre kilos, toi.

— OK, tu m’as eu. Maintenant, écoute, tête de con : si tu as vraiment été un môme rachitique de je ne sais trop combien de kilos, tu t’en es plutôt bien sorti, répliqua Jon en refermant doucement l’une de ses mains sur le biceps de Michael.

— Ça passera aussi, ça, fit Michael en regardant son bras.

— Michael…

— Ça et les pecs. Les pecs, ils vont descendre en gants de toilette plus vite qu’une fille de prêcheur qui se met à genoux.

— Mais où t’es allé la pêcher, celle-là ? gloussa Jon.

— À ton avis ? En Floride, évidemment. Le Pays des Braves et des Beaufs. Quand est-ce que ce sera fini, Jon ?

Jon lui lâcha le bras :

— Eh bien… Parfois, le syndrome arrive à son terme en quelques semaines.

— Parfois ?

— Un fort pourcentage des cas a…

— Jon, je m’en tape. Je vais finir paralysé, c’est ça ? Complètement ?

— Je crois, oui, dit le médecin.

— Comment je vais respirer ?

— Il est possible que ça ne monte pas aussi haut.

— Et si c’est le cas ?

— Si c’est le cas, une trachéotomie peut s’avérer nécessaire. Ce n’est pas aussi affreux que ça en a l’air, Michael. Dans la plupart des cas, le mal est seulement…

— Mon pauvre vieux ! dit Michael en ricanant.

— Quoi ?

— Tu te disais que t’avais trouvé une belle plante et voilà que tu te retrouves avec un légume !

— Tu vas te taire, oui ?

— Je pensais que je pouvais pas éviter de te la sortir, celle-là.

— Bon, eh bien, évite de penser, alors.

— Tiens-moi la main, s’il te plaît.

— Comme ça, ça va mieux ? demanda Jon en lui prenant la main.

— Ça chatouille.

— Dans la main ?

— Mmm. C’est le début de l’Acte II, hein ?

Silence.

— Je veux pas mourir, Jon.

— Michael, ferme-la !

— Excuse-moi, t’as raison : ça faisait vraiment trop Joan Crawford.

— Tu n’as aucune raison de t’inquiéter. Je vais rester avec toi tout le temps.

— Tu veilleras à ce qu’on me fasse bien ma toilette : que je n’attrape pas de points noirs ! J’ai vingt-six ans… Il manquerait plus que ça.

— Quelle coquetterie !

— Je vous aime, docteur Fielding.

Pour toute réponse, Jon pressa sa main dans les siennes.