Quittant la demeure des Hampton-Gidde, Jon remplit ses poumons du brouillard purificateur qui avait débordé de la baie dans Seacliff.
Collier lui sourit.
— Je savais que tôt ou tard tu ferais une overdose.
— Ta gueule.
— T’as toujours ce petit Tolliver dans la tête, hein ?
— Je n’ai personne dans la tête, Collier. J’en ai juste marre de ces conversations de pétasses sur les minets. C’est leur façon à elles de jouer aux phallocrates !
— Est-ce que je peux envoyer ça au dictionnaire des citations ?
— Concentre-toi sur la route.
— On va au sauna, donc ?
— C’est ça que tu veux, non ?
— Je peux te déposer chez ton p’tit mec ?
— Collier, si tu me parles encore une seule fois de lui…
— Bon. Direction le sauna, milord.
Tout au long du trajet jusqu’à la 8e Avenue et Howard Street, Jon garda le silence. Il haïssait ces moments où l’esprit étriqué des Hampton-Gidde et le désœuvrement des Michael Tolliver semblaient tous deux inapplicables à sa propre vie.
Dans des moments pareils, le sauna offrait une issue facile.
Discret, sans passion, sans engagement. Il pouvait s’y défouler à gauche et à droite pendant une heure ou deux, et puis retourner sans une tache à sa profession de médecin.
Il n’avait d’ailleurs pas vraiment le choix.
Les décorateurs, les coiffeurs et les shérifs adjoints : à San Francisco, on attendait d’eux qu’ils soient gays.
Mais qui voudrait d’un gynécologue gay ?
La plupart des femmes, avait-il remarqué, attendaient de leur gynécologue un certain détachement quand il s’occupait de leur anatomie intime. Elles ne s’attendaient pas, en revanche, à ce que ce détachement vienne facilement. Au fond de leur cœur logeait le minuscule espoir qu’elles rendaient le pauvre bougre cinglé.
Pas d’homos en obstétrique-gynéco.
Le salon télé était plein à craquer de tarzans en serviette.
Pour une fois, ils étaient véritablement absorbés par la télévision.
— Oublie la backroom, lança Collier. Elle se vide, pendant Mary Hartman.
Jon sourit. Il se sentait déjà mieux.
— J’ai faim, de toute façon. On n’a pas dépassé le stade de l’endive braisée, je te le rappelle.
Ils réchauffèrent deux hot-dogs au micro-ondes, se moquant de l’avertissement obligatoire sur les pacemakers. Un pacemaker au Club Baths était à peu près aussi fréquent que le poppers dans un couvent.
Puis ils se séparèrent, chacun à la recherche de sa propre aventure au Pays des Merveilles.
Jon rôda dans les couloirs pendant un quart d’heure, et opta finalement pour un beau ténébreux, dans une cabine près des douches, qui se reposait sur ses coudes.
Il avait gardé sa serviette et laissé la lumière allumée.
Un bon signe, pensa Jon. Les cas désespérés éteignaient immanquablement la lumière et enlevaient leur serviette.
Quand ils eurent terminé, Jon dit :
— Fais-moi signe si tu veux que je parte.
— Tu peux rester, répondit l’homme aux cheveux bruns.
— Ça fait du bien de se reposer.
— Ouais. C’est la cohue, là, dehors.
— Pour cause de pleine lune.
— Je préfère les soirées plus calmes. Parfois, je viens ici seulement pour m’évader.
— Moi aussi.
L’homme aux cheveux bruns mit ses mains derrière la tête et fixa le plafond.
— Je n’avais même pas particulièrement besoin de baiser, ce soir.
— Moi non plus. En général, j’essaie de me dire que je viens pour la vapeur, mais ça tourne toujours autrement.
L’homme rit.
— Quelle coïncidence !
Jon se releva.
— Bon, ben je crois que je vais…
— Je peux t’offrir un café ?
— Non merci. Je suis ici avec un ami.
— Un amant ?
Jon rit :
— Oh, non !
— Est-ce que tu fais partie des gens… joignables ? demanda l’homme.
— Bien sûr !
— Je peux te donner mon numéro de téléphone ?
Jon acquiesça, et lui tendit la main.
— Je m’appelle Jon.
— Salut. Moi c’est Beauchamp.