Le fils de son père


Michael finit par emmener ses parents au Cliff House, l’endroit le plus hétéro qui lui fût venu à l’esprit.

Le restaurant se trouvait par ailleurs assez loin de la folie de Polk Street pour que des sœurs à roulettes ne viennent plus agresser la cellule familiale.

Les sœurs, avait-il expliqué de manière aussi désinvolte que possible, étaient des « amis un peu fous de Mona ». Et, oui, des hommes !

— Des tantouzes ?

— Herb !

La mère de Michael déposa sa fourchette et lança un regard furieux à son mari.

— Quoi, comment voudrais-tu que je les appelle ?

— Ce n’est pas très poli, Herb.

— Pourquoi devrais-je me gêner ? Ils n’oseraient pas venir me casser la gueule, tout de même ?

Il éclata d’un rire rauque.

— On ne parle pas comme ça de gens qui n’y peuvent rien, dit Alice.

— Qui n’y peuvent rien !… On ne les oblige pas à se pavaner en patins à roulettes au beau milieu de la rue déguisés en nonne !

— Herb, ne parle pas si fort ! Il pourrait y avoir des catholiques dans la salle.

Michael détacha son regard de son assiette, et parla en se forçant à la décontraction :

— C’est un peu comme le mardi gras, papa. Il se passe plein de choses un peu folles. Des tas de gens participent.

— Des tas de tantouzes.

— Pas seulement… eux, papa. Tout le monde.

Son père renifla et réattaqua son steak.

— On ne te voit pas là-bas en train de te couvrir de ridicule, toi !

— Herb, Michael est avec nous. Peut-être qu’il aimerait être là, dehors… aller à une fête. Moi, ça m’a l’air plutôt amusant, tout ça.

— C’est ça, allez-y tous les deux. Moi je resterai ici pour finir mon steak en compagnie des gens normaux.

Un serveur, qui remplissait d’eau le verre d’Herbert Tolliver, entendit la remarque, et d’exaspération leva les yeux au ciel.

Puis, il fit un clin d’œil à Michael.

 

De retour au 28 Barbary Lane, Alice Tolliver récapitulait tous les potins d’Orlando depuis six mois.

On avait construit un nouveau centre commercial. La fille des Henley, Iris, fumait de la marijuana et vivait avec un professeur à Atlanta. Une famille de couleur avait racheté la maison des McKinney au bout de la rue. Tante Myriam se portait bien, malgré son opération. Et tout le monde en Floride centrale était d’accord pour dire que Earl Butz n’aurait pas été renvoyé s’il avait fait cette remarque à propos d’un Irlandais.

Ils ne s’attendaient pas à des gelées précoces.

Herbert Tolliver resta calmement assis pendant la narration de cette saga, n’ajoutant qu’occasionnellement un petit rire ou un signe d’approbation. Il était plus détendu, adouci par le vin du repas. Il rayonnait d’une affection ouverte pour son fils.

— Est-ce que… tout va bien pour toi, fiston ? demanda-t-il.

— Pas trop mal.

— Ne te fais pas de soucis à propos de ton amie.

— Je ne me ferai pas de soucis, papa.

— Tu nous manqueras à Noël.

— Écoute, Herb, il est adulte, maintenant, et il a ses propres amis…

— Mais je le sais, ça, bon sang ! Tout ce que j’ai dit, c’est qu’il allait nous manquer !

— Vous aussi, vous allez me manquer, dit Michael. Mais le billet d’avion coûte vraiment trop cher…

— Je sais, Mikey. Ne t’en fais pas.

— Mike… Si on peut te dépanner jusqu’à ce que tu aies trouvé un travail…

— Merci, papa. Je crois que je m’en sortirai tout seul. J’ai économisé ici et là.

— En cas de pépin, tu nous préviens, d’accord ?

— D’accord.

— On est très fiers de toi, fiston.

Michael haussa les épaules :

— Il n’y a pas beaucoup de raisons d’être fier, pourtant.

— Ne sois pas ridicule ! Tu sais ce que tu vaux ! Parfois, les choses prennent un peu de temps. Tu es jeune et célibataire et tu vis dans une ville magnifique remplie de jolies filles. Tu n’as aucun souci à te faire, fiston !

— Tu as peut-être raison.

— Bien sûr que j’ai raison. Tu as toute la vie devant toi.

Il rit affectueusement et effleura la joue de son fils d’un poing enjoué :

— Mais méfie-toi de ces tantouzes !

Michael sourit d’un air viril :

— De toute façon, je ne suis pas leur type.

— Sacré gamin, va ! dit Herbert Tolliver, ébouriffant les cheveux de son rejeton.