Les murs verts de la salle d’attente rappelaient à DeDe le ton oppressant des murs du couvent du Sacré-Cœur. Des posters de clowns ornaient la salle — des clowns tristes — et il n’y avait rien à lire sauf un numéro du Ladies’ Home Journal daté de juillet 74.
Elle aurait pu tout aussi bien attendre pour se faire enlever une dent.
La réceptionniste l’ignorait. Elle se goinfrait de chips barbecue en lisant le San Francisco Chronicle.
— Ce sera encore long ? s’enquit DeDe.
Elle s’en voulut immédiatement d’avoir usé d’intonations suppliantes.
— Quoi ?
La secrétaire sans menton était visiblement agacée de devoir interrompre sa lecture.
— Euh… Le docteur sera à vous dans un instant.
Son visage s’éclaircit un peu, et elle leva le journal en indiquant le feuilleton en dernière page :
— Vous avez déjà lu celui d’aujourd’hui ?
DeDe se raidit :
— Je ne le lis jamais.
— Oh ! C’est pas vrai ?
— Si. C’est parfaitement ordurier. Un ami à moi a failli lui coller un procès.
— C’est dingue, ça ! Vous avez déjà…
Elle s’arrêta en pleine phrase et cacha le journal, juste au moment où la porte s’ouvrit à côté d’elle.
DeDe découvrit un homme blond et élancé, vêtu d’une chemise bleue Oxford, d’un pantalon kaki, et d’une veste blanche en coton. Elle pensa immédiatement à Ashley Wilkes.
— Mademoiselle Day ?
Déjà un point en sa faveur. Elle ne lui avait pas expliqué son statut de femme mariée au téléphone. Elle avait simplement dit qu’elle était « une amie de Binky », d’un air furtif, telle une jeune fille délurée s’approchant d’un bar clandestin pendant la Prohibition.
— Oui, répondit-elle platement, avant de lui serrer la main.
Sentant son malaise évident, il l’entraîna hors de la salle d’attente, dans la pièce aux étriers.
— Avez-vous ressenti des nausées, récemment ? demanda-t-il doucement, tout en continuant son travail.
— Un peu. Pas souvent. Parfois, quand je sens une odeur de cigarette.
— Certains aliments vous dégoûtent-ils ?
— Quelques-uns.
— Par exemple ?
— Le porc aigre-doux.
Il rit gentiment.
— Et une demi-heure plus tard ça va mieux.
Ce n’était pas drôle. Elle lui lança un regard glacial… pour autant que ce soit possible dans cette position.
— Vous vous sentez fatiguée, en ce moment ?
Elle fit signe que non.
— Comment va Binky ?
— Quoi ?
— Binky. Je ne l’ai plus vue depuis le festival du film.
— Elle… elle va bien.
Elle enrageait que quelqu’un ose lui parler de Binky Gruen dans un moment pareil.
Quand il eut terminé, il s’éloigna du lavabo avec un sourire aux lèvres.
— Il est à vous, si vous le voulez.
— Quoi ?
— Le bébé. Pas besoin d’attendre l’analyse d’urines. Vous allez être maman, Mme Day.
Elle se demanda après si un mécanisme automatique de défense n’avait pas atténué sa réaction à cette annonce. Après tout, la plupart des femmes n’auraient pas choisi ce moment précis pour s’attarder sur le bleu lumineux des yeux de leur docteur.
Après ça, elle se mit à l’apprécier de plus en plus, débarrassée de toute gêne par la grâce de ses gestes détendus et de son sourire éclatant. Elle sentait qu’elle pouvait lui faire confiance. Bébé ou pas. Elle était sûre qu’il percevait la délicatesse de la situation.
— Quand vous aurez pris une décision, dit-il, appelez-moi. En attendant, prenez ces comprimés.
Il lui adressa un clin d’œil, et ajouta :
— Ils sont roses et bleus. C’est une subtile campagne de propagande.
Il lui dit au revoir dans la salle d’attente, puis se tourna vers la réceptionniste, tandis que DeDe se dirigeait vers la porte.
— Vous avez fini le journal ?
Elle acquiesça, et lui tendit le San Francisco Chronicle.
Il ouvrit le journal à la même page que la réceptionniste un peu plus tôt. Un sourire jouissif se dessina sur ses lèvres, et il se mit à secouer la tête :
— Écœurant, fit-il. Proprement écœurant.