Edgar explose


Edgar lança un regard noir à son beau-fils. Il se demandait comment quelqu’un de si bien soigné, de si éloquent, et d’une manière générale, de si présentable, pouvait être un tel emmerdeur.

— Je crois que tu es au courant de l’affaire ?…

Beauchamp se pencha en avant et enleva d’une chiquenaude une poussière de son veston Gucci.

— Ouais, la campagne pour les pantys. Je crois qu’on peut faire une croix sur l’angle du Bicentenaire.

— Je parle de DeDe et tu le sais très bien !

— Ah bon ?

Edgar plissa les yeux. Son poing se resserra autour du cou d’un appeau en acajou que Frannie lui avait offert.

— Où étais-tu la nuit passée ?

Silence.

— Tout cela, reprit-il, ne m’amuse pas particulièrement. Ça ne m’enchante pas de me souvenir que ma propre fille m’a appelé cette nuit, en larmes…

— Franchement, je ne vois pas de quoi…

— Nom de Dieu ! Frannie a passé deux heures au téléphone avec DeDe pour essayer de la calmer. Et puis d’ailleurs, à quelle heure es-tu rentré ?

— Pourquoi est-ce que vous ne posez pas la question à DeDe ? Je suis sûr qu’elle l’a noté sur le registre !

Edgar pivota sur sa chaise pour faire face au mur. Il étudia une gravure de chasse et essaya de se calmer. Il articula lentement, calmement, conscient de la menace que suggérerait son ton :

— Pour la dernière fois, Beauchamp. Où étais-tu ?

La réponse fut adressée à l’arrière de sa tête.

— J’avais une réunion du comité au club.

— Quel club ?

— De l’Université. Pas la toute grande classe, mais…

— Tu es resté là jusqu’à minuit ?

— On a bu quelques verres après.

— On ? Toi et l’une de ces putes de Ruffles ?

— Ripples. Et je n’étais pas… J’étais au club. Demandez à Peter Cipriani. Il y était.

— Je ne dirige pas une agence de détectives.

— Tiens, j’aurais pourtant juré ! Ce sera tout ?

Du bout des doigts, Edgar se massa les tempes. Il ne se retourna pas.

— Nous avons une présentation.

— C’est ça, répliqua Beauchamp en quittant la pièce.

 

Dès midi, Mary Ann se précipita au Royal Exchange avec Mona.

— Merde, grommela la rédactrice publicitaire en sirotant son Pimm’s Cup. Je suis vraiment dans un état second, aujourd’hui.

Pas étonnant pensa Mary Ann. Mona était payée pour être dans un état second. Elle était la dingue de service chez Halcyon Communications. Les clients qui n’auraient pas été immédiatement frappés par sa créativité changeaient vite d’avis quand ils apercevaient son bureau : un assortiment de narguilés, une glacière en bois de chêne qui servait de bar, une ancienne chaise roulante, un collage de beaux mecs dans Playgirl, et un verre fluo à Martini du Tenderloin Bar.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda Mary Ann.

— J’ai pris de la mescaline hier soir.

— Ah ?

— On est allé à Mission Street, et on a passé notre trip à se balader dans ces magasins de meubles monstrueux, avec des abat-jour à pompons et des lits ronds et… tu sais… ces espèces de lampes liquides à bulles multicolores. C’était si kitsch, mais… tu piges… comme une sorte de kitsch cosmique… et bizarrement, c’était incroyablement spirituel, quelque part, si tu vois ce que je veux dire.

Mary Ann ne voyait pas ce qu’elle voulait dire. Elle évita le sujet en commandant un sandwich à la dinde et une salade de pois. Mona commanda un autre Pimm’s Cup.

— Devine quoi ! lança Mary Ann.

— Je ne sais pas…

— Je suis invitée à dîner chez Mme Madrigal ce soir.

— Félicitations. Elle t’aime bien.

— Tu me l’as déjà dit.

— Bon… Alors elle te fait confiance.

— Pourquoi est-ce qu’elle devrait me faire confiance ?

— Pour rien… Je voulais juste dire…

— Mona, comment est-ce que je dois m’y prendre ?

— T’y prendre pour faire quoi ?

— Avec elle. Je sais pas… J’ai l’impression qu’elle attend quelque chose de moi.

— Paranoïa bourgeoise.

— Je sais… mais tu es vraiment proche d’elle, et je pensais que tu pourrais me dire… enfin… ses excentricités.

— C’est quelqu’un de bien. Voilà son excentricité. Elle fait aussi un fabuleux gigot d’agneau.

 

Mona quitta son bureau à quatre heures et contourna délibérément celui de Mary Ann près de l’ascenseur. Quand elle arriva à la maison, elle trouva Mme Madrigal dans le jardin.

La logeuse portait un pantalon en tissu écossais, une blouse tachée de peinture, et un chapeau de paille. L’effort lui donnait des couleurs.

— Eh bien, trésor ?… De retour des champs si tôt ?

— Oui.

— Tu as fait le tour de tout ce qu’il y avait à dire sur les pantys ?

Mona sourit.

— Je voulais vous dire quelque chose. Rien d’important.

— Je t’écoute.

— Mary Ann m’a posé des questions sur vous.

— Tu lui as dit quelque chose ?

— Je me suis dit que c’était à vous de le faire.

— Tu crois qu’elle n’est pas prête, n’est-ce pas ?

Mona acquiesça.

— Non, pas encore.

— Nous dînons ensemble, ce soir.

— Elle me l’a dit. C’est pour ça… enfin, je ne voulais pas que vous soyez embarrassée, c’est tout.

— Merci, trésor.

— Je devrais me mêler de mes oignons, hein ?

— Non. J’apprécie que tu te fasses du souci pour moi. Tu as envie de venir, ce soir ?

— Non, je… non merci.

— Tu comptes énormément pour moi, trésor.

— Merci.