Lève-toi et marche


Une semaine plus tard.

 

Appuyé sur Jon, Michael trébucha d’un pas incertain jusqu’à la salle de bains.

— Mais regarde-toi ! s’exclama Jon. Tu es fantastique !

— N’est-ce pas ?

— Je suis sûr que tu peux y arriver tout seul.

— Oh, non.

— Allez, banane. Essaie.

— Arrête de me la jouer série B ! Je ne suis pas encore prêt !

— Je vais te lâcher.

— Si tu fais ça, j’appelle ton père et je lui dis que tu couches avec des garçons !

— Attention…

— Jon !

— Ça fait suffisamment longtemps que tu joues les assistés. Maintenant, tu es tout seul.

Le médecin se déroba de sous le bras de Michael et recula d’un ou deux mètres. Michael battit l’air des deux bras pour essayer de garder l’équilibre. Il avait les genoux en coton, mais il réussit à demeurer debout, immobile.

— Maintenant, marche, dit fermement Jon.

— C’est vraiment grotesque. J’espère que tu t’en rends compte.

— Avance !

— Tu aurais pu trouver un meilleur endroit pour cette touchante scène dramatique. Je vais tomber et me cogner à la cuvette des chiottes. Je vais mourir avec la balayette dans une main.

— Tais-toi et marche !

Michael soupira et leva le pied gauche pour le reposer à une dizaine de centimètres devant lui. Puis il traîna le droit.

— Godzilla approche de Tokyo… grommela-t-il.

Il répéta le mouvement jusqu’à se trouver devant la cuvette. Puis, en se tenant à la barre à serviettes, il fit volte-face, s’accorda une grimace et lâcha tout.

Il atterrit sur le trône.

Jon était resté appuyé cavalièrement contre le chambranle de la porte, souriant.

— Tu vois ?

— Est-ce que la dame pourrait avoir un peu d’intimité, je vous prie ? demanda Michael.

— Juste une seconde. (Jon fila dans le salon et en revint avec le Chronicle qu’il laissa tomber ouvert sur les genoux de Michael.) Juste un petit peu de lecture facile pour toi.

La une était presque occupée par une photo de Burke et de Mary Ann en grand émoi lors d’une conférence de presse.

Le gros titre disait :

DÉCOUVERTE D’UNE SECTE ÉPISCOPALIENNE CANNIBALE

 

Peu après, Jon et Michael discutaient des événements de la semaine tout en prenant du café et des toasts aux raisins dans la cuisine. Michael leva le journal.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? Je croyais que Burke allait annoncer la nouvelle en exclusivité au New West.

— C’était son intention, répondit Jon, mais la police l’a pris de court. Le commissaire a organisé une conférence de presse hier pour essayer de se faire un petit peu de publicité personnelle. Burke était vert, parce que les flics avaient promis de ne rien dire jusqu’à la parution dans le New West. Quoi qu’il en soit, le résultat est grosso modo le même. C’est la panique à bord. Burke a donné une conférence de presse lui-même au New West, hier, en fin d’après-midi.

— Mary Ann doit être sur les genoux, sourit Michael.

— Elle tient le coup, en fait. Elle a dit qu’elle passerait cet après-midi pour te voir.

— Super.

— Mais pas de vannes, Michael. Elle est encore un petit peu sous le choc de toute cette histoire.

— OK. Je te promets de ne pas prendre mon pied à l’interroger, ironisa Michael.

— C’est exactement le genre de sortie que je pense préférable d’éviter.

— OK, OK. Écoute, d’une certaine façon, cette histoire me concerne presque autant que Mary Ann.

— Comment ça ?

— Eh bien, et si j’étais mort à l’hôpital St. Sebastian ? C’est moi que ces cinglés seraient en train de grignoter là-haut sur leur passerelle.

Jon secoua la tête et sourit :

— Ils ne mangeaient pas des gens entiers, gros malin. Juste des morceaux. Les membres amputés.

— Eh bien, ils auraient pu en manger en entier.

— Non. Les morceaux, c’était plus facile à cacher. Et à transporter. Ils n’avaient aucune difficulté à les prendre en service de chirurgie et à les entreposer dans la chambre froide de la boutique de Tyrone. Et ils entraient parfaitement dans la glacière qui servait à les transporter jusqu’à la cathédrale.

Michael fit la grimace :

— Combien de fois ils ont fait ça, au fait ?

— Qui sait ? fit Jon en haussant les épaules. Peut-être deux ou trois fois par semaine pendant quatre ou cinq mois. Apparemment, Burke a découvert la secte par hasard alors qu’elle commençait à exister, quand il chantait encore dans le chœur.

Michael leva les yeux au ciel :

— C’est à ce moment-là que je serais reparti en courant à Nantucket, moi !

— Oui, mais sûrement pas Burke. C’est un journaliste, n’oublie pas. Il voulait faire un article. À tel point qu’il s’était donné la peine d’infiltrer la secte pour pouvoir observer leurs agissements sur la passerelle. Il s’attendait à découvrir quelque chose de bizarre, c’est sûr, mais pas à ce point-. Et il n’a pas supporté.

— Donc, il n’est jamais allé chez le fleuriste à l’hôpital ?

— Apparemment non. Il dit qu’il ne savait rien des contacts avec l’hôpital, jusqu’au moment où Mary Ann lui en a parlé.

— Ça n’a aucun sens, fit Michael en fronçant les sourcils.

— Pourquoi ?

— À cause de la phobie des roses. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de phobie des roses ?

— Bonne question, lui accorda le médecin.