Le visage de la jeune femme était dans l’ombre. Elle avait pris tellement de poids que Mary Ann ne la reconnut pas immédiatement.
— Mary Ann ?
— Oh…
— Je suis la femme de Beauchamp. DeDe. Votre logeuse m’a laissée entrer.
— Oui. Mme Madrigal.
— Elle a été très gentille. J’espère que ça ne vous dérange pas. J’avais peur de vous rater.
— Non… Ne vous mettez pas martel en tête. Je peux vous inviter à prendre un verre en haut ?
— Vous… n’attendez personne ?
— Non, fit Mary Ann, qui niait déjà l’accusation.
DeDe s’assit dans une chaise de régisseur en vinyle jaune, et croisa les mains par-dessus son sac fourre-tout.
— Voulez-vous une crème de menthe ? demanda Mary Ann.
— Merci. Vous en avez de la blanche ?
— De la blanche ?
— Oui, de la crème de menthe blanche.
— Ah… Non : juste l’autre sorte.
— Alors je vais m’abstenir.
— Un soda, peut-être ?
— Non, vraiment. Ça ira.
Mary Ann s’assit sur le bord du sofa.
— Apparemment, ça ne va pas si bien que ça.
Elle sourit faiblement.
DeDe regarda ses mains.
— Non, effectivement. Mary Ann… Je ne suis pas venue ici pour faire une scène.
Mary Ann ravala sa salive, et sentit son visage devenir chaud.
— Je voulais vous rendre ceci, reprit DeDe. Elle fouilla dans son sac et sortit le foulard à pois brun et blanc de Mary Ann.
— Je l’ai trouvé dans la voiture de Beauchamp, ajouta-t-elle.
Mary Ann fixa le foulard, consternée.
— Quand ?
— Le lundi après que vous êtes allée à Mendocino avec lui.
— Ah.
— Il m’a tout raconté.
— Je vois.
— Ce foulard est à vous, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Ça n’a pas d’importance. Enfin… si, ça en a, mais j’ai cessé de me torturer à ce sujet. Je l’ai digéré. Et je crois même comprendre comment il vous a… entraînée dans cette histoire.
— DeDe, je… Pourquoi est-ce que vous êtes venue, alors ?
— Parce que… J’espère que vous allez me dire la vérité.
Mary Ann mima un geste d’impuissance.
— C’est ce que je viens de faire.
— Où êtes-vous allée avec lui le week-end dernier, Mary Ann ?
— Nulle part ! J’étais…
— Et le jeudi de la semaine précédente ?
Mary Ann resta bouche bée.
— DeDe… Je vous jure que j’ai été avec Beauchamp une fois, et une fois seulement. Il m’a demandé de l’accompagner à Mendocino à cause de…
Elle s’interrompit.
— À cause de quoi ?
— Ça va vous paraître idiot. Il… m’a dit qu’il avait besoin de parler à quelqu’un. J’ai eu pitié de lui. On s’est à peine adressé la parole depuis.
— Vous le voyez tous les jours.
— Nous sommes dans le même bâtiment. C’est à peu près tout.
— Mais vous avez couché ensemble à Mendocino ?
— Je… Oui.
DeDe se leva.
— Bien… Désolée de vous avoir dérangée. Je crois que ce petit feuilleton a assez duré. Pour toutes les deux.
Elle se retourna et se dirigea vers la porte.
— DeDe ?
— Oui ?
— Est-ce que Beauchamp vous a raconté que j’étais avec lui le week-end dernier… et cet autre jour dont vous avez parlé ?
— Pas explicitement, non.
— Mais il l’a laissé entendre ?
— Oui.
— C’est faux, DeDe. Je n’étais pas avec lui. Vous devez me croire.
DeDe sourit amèrement.
— Mais je vous crois. C’est ça le pire.
De retour à Montgomery Street, DeDe ouvrit brutalement le courrier qu’elle avait ignoré toute la journée.
Il y avait de nouvelles factures de chez Wilkes et Abercrombie, le dernier numéro d’Architectural Digest, une demande de dons émanant de l’Association des Anciens Élèves de Bennington, et une lettre de Binky Gruen.
Elle emporta la lettre de Binky dans la cuisine, où elle se prépara un bol de céréales avec du lait. Elle ouvrit l’enveloppe avec un couteau de cuisine.
La lettre était écrite sur du papier à en-tête de la Porte d’Or :
Ma chérie,
Voilà ta vieille copine Bink en train de se prélasser dans la luxueuse misère du centre d’amaigrissement le plus élégant d’Amérique. On nous réveille le matin à une heure impossible pour nous faire courir en rase campagne dans un hideux survêtement rose en éponge, appelé « pinky » (je t’en prie, pas de plaisanteries du style Binky dans son Pinky). J’ai déjà perdu trois kilos. Sonnez trompettes. Il y a ici un nombre incroyable de vedettes de cinéma. Je me sens « déclassée » si je ne porte pas mes Foster Grant dans le sauna. Essaie, tu vas détester !
Je t’embrasse.
Binky.
Beauchamp pénétra dans la cuisine.
— Où étais-tu, ce soir ? demanda-t-il.
— À la Ligue Junior.
Il regarda le bol de céréales :
— Ils ne t’ont pas nourrie ?
— Je n’ai pris qu’un petit bol !
— Comme tu voudras. De toute façon, il est déjà trop tard pour retrouver ta ligne avant la soirée d’ouverture de l’opéra.
Il sourit d’un air exaspérant et quitta la pièce.
DeDe lui lança un regard noir jusqu’à ce qu’il ait disparu. Puis elle prit la lettre de Binky et la relut.