Réflexions à voix haute


En moins de vingt-quatre heures, Michael se retrouva totalement paralysé. Il pouvait encore cligner des yeux et bouger les lèvres, mais le reste de son corps était affreusement immobile. Il regarda son visiteur dans le miroir disposé au-dessus de son lit.

— Salut, bébé, dit-il.

— Salut.

— Tu ne devrais pas être au bureau ?

— T’inquiète pas. Y a pas grand-chose à faire.

— Pour moi non plus, grimaça Michael.

— J’ai eu Mary Ann au téléphone. Elle va venir tout à l’heure avec Burke.

— Dis donc, qu’est-ce qu’on m’aime, aujourd’hui ! Brian et les Trois Grâces viennent de passer.

— Qui ça ?

— C’est comme ça que je les appelle : Mona, Mme Madrigal et Mother Mucca.

— C’est vrai que c’est un sacré trio, dit Jon en riant.

— Ouais. Et ça fait du bien à Mona. Je suis content pour elle.

— Est-ce que… ça va, Michael ?

— Eh bien, je me suis souvenu de quelque chose de drôle, aujourd’hui.

— Ouais ?

— Quand j’étais môme, vers quatorze ans, je m’inquiétais de ce qui allait m’arriver si je ne me mariais pas. Mon père s’était marié à vingt-trois ans, alors je me disais qu’il me restait neuf ou dix ans avant que les gens ne se rendent compte que j’étais pédé. Après… Eh bien, il n’y avait pas tellement de raisons valables pour ne pas se marier. Alors, tu sais ce que j’espérais ?

Jon secoua la tête.

— Que je serais paralysé !

— Michael, je t’en prie !

— Pas comme ça : juste des membres inférieurs. Ainsi j’aurais pu être dans une chaise roulante, les gens m’auraient bien aimé et je n’aurais pas eu à me soucier d’expliquer pourquoi je n’étais pas marié. À l’époque, ça me semblait une solution drôlement bonne. Il faut dire que j’étais vraiment cruche, comme gosse…

–… Et que t’es vraiment un chieur, comme adulte. Il ne faut pas que tu t’obsèdes avec ça, Michael. Ce n’est pas sain de… Hé, j’allais oublier ! Ils repassent Chorus Line. J’ai fait réserver nos places aujourd’hui même.

— Arrête ta comédie.

— Merde, Michael ! Veux-tu arrêter de faire dans le… mélodrame ! Je suis désolé de devoir te décevoir, mais tu ne vas pas…

— Le mot que tu cherches est « mourir », bébé.

— Non, tu ne vas pas mourir, Michael. Je suis médecin. Je sais.

— Tu es gynéco, banane !

— Ça te plaît de faire des drames, hein ? Tu te complais dans ton rôle de Dame aux Camélias…

— Hé, hé. (Michael s’était radouci : il n’y avait plus trace d’insolence dans sa voix.) Me prends pas au sérieux, Jon. J’ai simplement besoin de parler. Écoute pas ce que je dis, OK ?

— Marché conclu.

— Tu sais quoi ? On me donne la pilule. Ils appellent ça des stéroïdes ou quelque chose comme ça, mais c’est quand même la pilule. Je délire avec ça depuis ce matin. Je prends la pilule et mon gynécologue passe plus de temps avec moi que mon médecin traitant. Tu trouves pas ça génial ?

— C’est pas mal trouvé, dit Jon en souriant.

— Tu sais, ça a beaucoup d’avantages ! Je veux dire : pour commencer, je peux faire l’andouille pendant des heures sans avoir l’air d’une folle. Si on pouvait me mettre debout avec des étais ou quelque chose de ce genre, je ferais un tabac dans la backroom du Bolt !

 

Quand Mary Ann arriva une demi-heure plus tard, Michael lui fit un clin d’œil dans son miroir :

— Salut, beauté. D’où vient ce bronzage mexicain ?

— Salut, Mouse. Burke est venu aussi.

— J’ai vu. Salut, Gueule d’amour !

— Salut, Michael.

— La voie est libre, mon vieux. Pas de rose en vue.

Le couple eut un petit rire nerveux.

— Mouse, fit Mary Ann, j’ai pris ton courrier. Tu veux que… je te le lise ?

— Qu’est-ce que c’est ? Une convocation du dispensaire antivénérien ?

Mary Ann gloussa :

— Je crois que ça vient de tes parents.

Michael ne répondit rien. Jon jeta un regard à Mary Ann qui essaya immédiatement de se rattraper :

— Je peux te le laisser, Mouse… Si tu veux, Jon pourra…

— Non, vas-y.

Le regard de Mary Ann alla de Jon à Michael.

— Tu es sûr ?

— Mais oui !

Elle ouvrit donc la lettre.