Jon revint à l’hôpital avec le courrier de Michael : une carte postale d’un ami qui était à Mauï, une lettre d’information de son député et un bulletin du Reader’s Digest qui l’informait qu’il était « peut-être parmi les heureux gagnants ».
Comme Michael dormait, le médecin s’assit sans bruit dans un fauteuil près de la fenêtre.
Cinq minutes plus tard, l’infirmière de nuit entra.
— Vous venez d’arriver ?
— Ouais.
— C’est un gars sympa, dit l’infirmière en désignant Michael du menton.
Jon hocha la tête.
— Lui et vous, vous êtes… amis, n’est-ce pas ?
— Mmm, mmm.
— Il parle tout le temps de vous.
— Je sais.
— Aujourd’hui, nous avons passé beaucoup de temps à discuter. Nous sommes tous les deux de Floride, vous savez. Moi, je suis de Clearwater. C’est-à-dire que ma famille habitait là-bas quand j’étais gosse et que j’y ai rencontré mon mari, tout ça, mais ensuite, on est allés s’installer à Fort Bragg, en Caroline du Nord, quand il s’est engagé.
— Je vois.
— J’ai pas de honte à le dire : on est tous les deux très conservateurs, docteur Fielding. On a voté Goldwater en 64 ; Earl dit toujours que le socialisme finirait par ruiner notre pays, et je crois qu’il a raison. Je crois pas que c’est réactionnaire, quoi qu’en disent les gens. On m’a élevée dans le respect de la Constitution, de la Bible et de la Libre Entreprise, et je crois que je les respecterai toujours.
L’infirmière s’approcha du lit de Michael. Jon se sentait vaguement mal à l’aise. Où voulait-elle en venir ?
— Des fois, reprit-elle, je me dis qu’on va trop vite. Le monde devient fou, et les gens ont pas… Ils ont simplement pas la moindre notion de décence. On ne peut plus compter sur les mêmes choses que dans le temps. La famille, le mariage, tout ça s’écroule et les libéraux sont en train de détruire ce en quoi les gens avaient foi.
Elle était debout à la tête du lit. Elle baissa la tête pour regarder Michael pendant un moment. Quand elle la releva, ses yeux étaient pleins de larmes.
— Je sais que tout ça, c’est vrai. Je le sais, docteur Fielding. Il y a des tas de choses que je voudrais changer dans ce monde, mais… je ne… (Elle s’essuya les yeux, puis elle les baissa de nouveau vers Michael.) Je serais fière… Je serais fière que ce gars-là soit le professeur de mes enfants. Je le jure devant Dieu !
Jon réprima son émotion avec un sourire.
— Merci, dit-il doucement.
L’infirmière se détourna et se moucha. Elle s’absorba dans sa tâche et retapa le lit de Michael, tout en évitant le regard de Jon. Elle ne le regarda de nouveau en face qu’au moment de partir.
— Docteur, j’espère que vous n’avez pas… que je ne vous ai pas offensé ?
— Non. Bien sûr que non. C’était très aimable à vous de dire cela.
— Vous êtes pas fatigué ?
— Si, un peu.
— Pourquoi vous ne rentrez pas ? Je vais m’occuper de lui.
— Je sais. Je vais y aller bientôt.
— Docteur ?
— Oui ?
— Quand ça sera fini… Quand il ira mieux… Je serai contente de vous avoir… je veux dire, vous avoir tous les deux à dîner, un de ces jours. Je vous ferai des haricots rouges et du riz. (Elle sourit et désigna Michael du menton.) Il dit qu’il aime bien ça.
— Merci. Nous serons heureux de venir.
— Earl est un type bien. Vous l’apprécierez.
— J’en suis certain. Merci.
— Bonne nuit, docteur.
— Bonne nuit. Merci pour tout.
Il resta assis pendant une heure, puis il finit par s’assoupir dans le fauteuil. C’est une voix insistante qui l’éveilla.
— Psst, banane !
— Que… C’est toi, Michael ?
— Non, c’est Marie-Antoinette.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Viens voir là.
— Oui ? fit Jon en s’approchant du lit.
— Regarde.
— Quoi ?
— Là, andouille : ma main !
Jon vit l’index de Michael qui bougeait légèrement.
— Mais reste pas là comme une cruche, fit Michael en rayonnant. Applaudis, si tu crois aux miracles !