La première chose que remarqua Mona chez Betty Ramsey, ce furent ses vêtements. Elle était habillée de la tête aux pieds en vert et blanc Kelly, l’uniforme caractéristique des femmes qui travaillent dans l’immobilier.
Et les vêtements de Mona furent la première chose que Betty remarqua.
— Où as-tu déniché cette robe ? À l’armée du Salut ?
Mona esquissa un petit sourire satisfait :
— Eh bien oui, justement.
— Elle est ignoble.
— Merci.
— Les hippies, c’est terminé, Mona. Vis avec ton temps.
Mona ne lui prêta aucune attention et s’approcha de la fenêtre.
— Qu’est-ce que tu fais ? demanda Betty.
— Je regarde la vue que tu as. (Elle se retourna et sourit à sa mère.) C’est la première chose que font tous les gens de San Francisco quand ils rendent visitent à quelqu’un. (Elle écarta les rideaux et baissa les yeux sur la splendeur nocturne de la ville.) Mmmh, très joli. À qui appartient cet appartement, au fait ?
Betty fit dégringoler des glaçons dans un verre.
— À Susan Patterson. Quelqu’un que j’ai connu il y a des années à Carmel. Elle est en Suisse pour la saison.
Mona jeta un regard circulaire sur la pièce :
— On dirait que tu es là depuis l’année dernière, toi.
L’endroit était jonché de sacs et de boîtes de chez Gump et Saks. Le tapis de yoga de Betty et un assortiment de produits de beauté français étaient visibles par la porte de la chambre.
— Tu veux ça ou du bourbon ? demanda Betty en levant une bouteille de gin.
— Ni l’un ni l’autre, merci.
— Je n’ai pas de Perrier.
— Ce n’est pas grave, j’ai pris un Quaalude tout à l’heure.
— Mon Dieu !
Mona s’assit sur le sofa.
— Tu aurais peut-être préféré que je prenne un de tes valiums ? dit-elle.
— C’est un médecin qui me les a prescrits, rétorqua Betty.
— C’est ce qu’ils font tous, n’est-ce pas ?
— Tu ne devrais pas te gaver de… Mona, ne nous disputons pas. Nous ne nous sommes pas vues depuis une éternité, ma chérie. Le moins qu’on puisse faire, c’est…
— Pourquoi es-tu venue, Betty ?
Betty ne répondit pas immédiatement. Elle termina de préparer son gin-tonic, puis elle alla rejoindre sa fille sur le sofa.
— À ton avis ?
Mona la fixa droit dans les yeux :
— Je ne pense pas que ça ait quoi que ce soit à voir avec moi.
— Ce n’est pas gentil, Mona.
— C’est la vérité.
Betty baissa les yeux sur son verre :
— Tu es au courant, pour Andy, n’est-ce pas ? demanda-t-elle.
Le visage de Mona se figea :
— Je sais qu’il t’a quittée. Ça, ce n’est pas nouveau.
— Ne joue pas avec moi, Mona. Je sais que c’est ton propriétaire. Je sais qu’il a changé de sexe et je sais que tu le sais.
Mona tint bon.
— Pourquoi es-tu venue ?
— Parce que j’en ai le droit, merde ! Il m’a abandonnée, Mona ! Il m’a laissée avec une enfant à charge ! Il m’a quittée sans me laisser ne serait-ce qu’un mot d’explication, et maintenant il s’imagine qu’il peut faire volte-face et faire valoir ses droits sur une enfant qu’il n’a jamais…
— Je ne suis pas une enfant et personne n’a à faire valoir ses droits sur moi, Betty. Il y a encore deux semaines, je ne savais même pas qu’il… qu’elle était mon père.
Betty la considéra avec une expression dégoûtée :
— Et voilà que tu habites avec lui, maintenant !
— Avec elle.
— Est-ce qu’il — oh, pardon, elle – t’a dit, par hasard, ce qu’il a fait du détective privé que j’avais engagé ?
— Du quoi ?
— Mona, ma chérie, c’est tellement plus compliqué que…
— Contente-toi de m’expliquer de quoi tu parles.
Betty prit la main de sa fille :
— L’été dernier, dit-elle, quand tu m’as envoyé une photo de ta propriétaire, j’ai immédiatement vu la ressemblance et j’ai engagé un détective privé pour vérifier si j’avais deviné juste.
Mona l’écouta, stupéfaite.
— Et il n’a plus jamais donné de nouvelles, continua Betty.
— Quoi ?
— Je n’ai plus entendu parler de lui. Il vivait dans la même maison que toi, Mona. Au 28 Barbary Lane.
— M. Williams ? Le type sur le toit ?
Betty acquiesça en serrant plus fort la main de sa fille.
— Nous étions en contact par téléphone, répondit-elle. Il m’appelait au moins une fois par semaine. Il m’a dit qu’il pensait qu’Andy était devenu… Anna Madrigal et que « Anna Madrigal » était une anagramme. Puis il a tout bonnement disparu. (Elle lâcha la main de Mona et prit une gorgée de gin-tonic.) Est-ce que tu le connaissais, Mona ?
Abasourdie, Mona secoua la tête.
— Pas du tout. Il était… bizarre.
— Je sais. C’était le moins nul que j’avais pu trouver en aussi peu de temps. Mais le problème, c’est : qu’est-ce qu’il est devenu ?
Mona goûta au gin-tonic de sa mère.
— On se l’est demandé, nous aussi.
— Qui ça, nous ?
— Tout le monde. Y compris Mme Madrigal. Elle a même appelé la police à ce sujet.
— Je veux la voir, Mona. Tu veux bien arranger ça ?
Mona prit une expression de résignation lasse :
— Que je le fasse ou non, tu iras la voir, alors…
— Tout à fait, dit Betty.