Mona célébra son premier jour de liberté avec un capuccino matinal chez Malvina. Quand elle rentra à Barbary Lane, Michael était sous la douche.
— Dis donc ! T’as pas eu assez de vapeur aux bains la nuit dernière ?
La tête de Michael émergea de derrière le rideau.
— Oh… pardon. Ouvre une fenêtre, si tu veux. Non, attends… Je vais le faire.
Il émergea de la douche dégoulinant, et entrouvrit la fenêtre.
— Euh… Michael, mon chou ?
— Oui ?
— Tu peux me dire ce que tu es en train de faire ?
— Comment ça ?
— Pourquoi est-ce que tu portes ton Levi’s sous la douche ?
— Oh…
Il rit, et bondit sous le jet d’eau.
— Je me frotte le paquet avec une brosse métallique. Regarde.
Il ramassa la brosse métallique sur le sol de la douche.
— C’est exactement ce qu’il faut pour obtenir cet aspect usé aux bons endroits.
Frottant vigoureusement la brosse autour de l’entre-jambes, il grimaça d’une douleur feinte.
— Arrrggh !
— De l’auto-sadomasochisme ? s’enquit Mona d’un air narquois.
Michael l’aspergea d’eau.
— Ce sera irrésistible quand ce sera sec.
— Et où est-ce que tu as trouvé ça ? Les Bons Conseils d’Héloïse ?
— Tais-toi, femelle. Ceci n’est pas un sujet frivole. Ce bébé doit être parfait pour ce soir.
— Rendez-vous avec Chuck ?
— Qui ?… Ah, non. Je vais à la Grande Arène.
— Un nouveau bar ?
— Non. Une patinoire.
— Quoi ? Tu vas faire du patin à glace, toi ?
— Du rollerskate. Le mardi, c’est la soirée gay.
Mona leva les yeux au ciel.
— Ça y est, maintenant c’est décidé, je me suicide.
— C’est super. Tu adorerais.
Michael sortit de la douche, ôta le jeans trempé, et quitta la pièce en s’essuyant.
— Et ça se prend pour une fille à pédés !
— Je fais comme si je n’avais rien entendu, lui renvoya Mona du couloir.
Comme il n’arriva pas à la Grande Arène avant huit heures, il s’attendait au pire.
Évidemment le pire advint.
Tous les patins pour hommes avaient déjà été pris.
Pas étonnant. La gigantesque patinoire du sud de San Francisco débordait d’hommes en chemise de flanelle, tournant autour de la piste avec une délectation prédatrice.
Michael retint sa respiration.
Il ôta son parka bleu marine en coton, subit l’affront de devoir chausser des patins pour dames (blancs, avec des petites franges complètement tapette) et progressa d’un pas bruyant et maladroit jusqu’au bord de la patinoire.
Il sourit en entendant la musique : I Enjoy Being a Girl.
Il y avait une demi-douzaine de filles sur la piste. Quatre d’entre elles avaient moins de douze ans. Les deux autres étaient des sosies de Loretta Lynn, avec des coiffures en casque de Minerve, chacune soudée à un partenaire du sexe opposé, qui, en se prenant pour Barychnikov, la propulsait à travers la piste.
Les cent autres mâles étaient moins gracieux.
Sourire Pepsodent et bras battant l’air, ils déferlaient autour de la piste tels une marée montante de jeans. Certains restaient seuls ; d’autres sillonnaient la piste en de joyeuses files de quatre à cinq personnes. Pour Michael, le spectacle était magique.
Il attendit un moment, prenant son courage à deux mains.
À quand remontait la dernière fois ? La patinoire Murphy… Orlando, 1963.
Il murmura une brève prière baptiste traditionnelle.
En fait, il ne s’en tirait pas trop mal.
Un rien tremblant dans les virages, mais pas de quoi ricaner.
Après cinq minutes, il avait assez confiance en lui pour se concentrer sur la drague.
Pour le moment, son préféré était un blond en chemise outremer et en pantalon kaki. Il ressemblait au délégué de classe de tous les lycées de Floride du Nord. Sans doute conduisait-il toujours une Mustang.
Et il patinait seul.
Michael s’approcha de sa proie, dépassant deux gosses blacks en T-shirt Dyn-O-Mite. Le seul obstacle, à présent, était un couple d’hétéros à moins de trois mètres, en train de se donner en spectacle avec des pas de danse à la Arthur Murray.
Le couple dériva vers la gauche, comme emporté par une bourrasque, et laissa la voie libre à Michael…
Le moment était venu de donner l’estocade.
Le regard fixé sur sa cible, il accéléra dans la courbe… et se rendit compte trop tard de ce qui allait arriver. L’homme blond ne tournait pas.
Il stoppait.
Et Michael avait oublié comment stopper. Cherchant désespérément une prise, ses bras virevoltants s’agrippèrent à la chemise outremer de sa victime. La jambe droite de Michael se déroba, il dérapa et s’écrasa contre le rail métallique, traînant derrière lui son noble chevalier.
Les deux petits blacks freinèrent brièvement, contemplèrent le spectacle avec une jubilation non voilée, et s’éloignèrent à nouveau d’un grand coup de patin.
Le visage de Michael était recouvert de sang. L’homme blond l’aida à se relever.
— Oh, mon Dieu… Ça va ?
Michael tâta prudemment son visage du bout des doigts.
— C’est mon nez. Il saigne quand on lui parle méchamment. Ça ira.
— Tu es sûr ? Je peux aller te chercher un kleenex ?
— Merci. Je crois que je vais boitiller jusqu’aux toilettes.
Quand il revint, l’homme blond l’attendait.
— Ils viennent d’annoncer un « réservé aux couples », dit-il en souriant. Tu as ce qu’il faut pour te jeter à l’eau ?
Michael sourit à son tour.
— Bien sûr. Préviens-moi juste quand tu as l’intention de stopper.
Cette fois, donc, ils se déplacèrent en couple, main dans la main, sous les scintillements de la boule lumineuse.
— Je m’appelle Jon, dit l’homme blond.
— Moi, c’est Michael, répondit Michael, à l’instant précis où son nez se remit à saigner.