Les cloches sonnent


Laissant le téléphone sonner, Mary Ann martelait la porte de la salle de bains.

— Vincent, écoute-moi bien. La situation n’est jamais aussi catastrophique qu’on le croit ! Vincent, tu m’entends ?

Elle fit un rapide inventaire des objets de la petite armoire au-dessus de l’évier. Y avait-il des ciseaux ? Des couteaux ? Des lames de rasoir ?

DRRRINNNGGGG !

— Vincent ! Je dois aller répondre au téléphone ! Mais dis quelque chose ! Vincent pour l’amour de Dieu !

DRRRINNNGGGG !

— Vincent, tu es un enfant de l’univers ! Tout autant que les arbres et les étoiles ! Vincent, tu as le droit d’exister. Et que tu le… que tu le… Enfin, aujourd’hui est la première journée du reste de ta vie.

Elle se sentit submergée par des vagues de nausée. Elle se précipita vers le téléphone.

— Allo, S.O.S.-Écoute San Francisco, dit-elle, essoufflée.

La voix au bout du fil parlait sur un ton aigu et asthmatique, comme une créature de Disney devenue sénile.

— Qui êtes-vous ?

— Euh… Mary Ann Singleton.

— Vous êtes nouvelle.

— Monsieur, est-ce que vous pourriez patienter une… ?

— Où est Rebecca ? Je parle toujours à Rebecca.

Elle recouvrit le combiné de sa main.

— Vincent !

Silence.

— VINCENT !

Une réponse étrangement faible lui parvint :

— Quoi ?

— Vincent, ça va ?

— Oui.

— J’ai quelqu’un ici qui veut parler à une certaine Rebecca.

— Dis-lui que tu es la remplaçante de Rebecca.

Mary Ann parla dans le téléphone.

— Je suis la remplaçante de Rebecca, monsieur.

— Menteuse !

— Je ne comprends pas, monsieur…

— Arrêtez de m’appeler « monsieur » ! Quel âge avez-vous ?

— Vingt-cinq ans.

— Qu’est-ce que vous avez fait à Rebecca ?

— Écoutez, je ne connais même pas Rebecca !

— Ah bon ?

— Non.

— Tu veux me sucer la bite ?

 

Vincent se tenait au centre de la pièce comme un rongeur effrayé. Ses yeux tristes, au-dessus des touffes de sa barbe, clignaient en cadence.

— Mary Ann ?

Elle ne leva pas les yeux. Elle restait à genoux au-dessus de la poubelle.

— Est-ce que je peux t’apporter quelque chose, Mary Ann ?… Une serviette humide, peut-être ?

Elle fit oui de la tête.

Il lui tendit la serviette, et posa maladroitement sa main sur son épaule.

— Je m’excuse… vraiment. Je ne voulais pas te faire peur. Je suis vraiment…

Elle secoua la tête, et montra du doigt le combiné du téléphone en train de jouer dans le vide au pendule. Il en émanait des « bip bip » courroucés. Vincent raccrocha.

— C’était qui ? demanda-t-il.

Elle se redressa avec difficulté, et examina Vincent. Tout semblait en place.

— Il… Une blague, je crois.

— Ah ! Randy.

— Randy ?

— C’est comme ça que Rebecca l’appelait. J’aurais dû te prévenir.

— Il appelle souvent ?

— Oui. Rebecca s’était dit que quitte à appeler quelqu’un, mieux valait encore que ce soit nous.

— Ah…

— Tu sais… On est là pour tout le monde, et…

— Qu’est-ce qui est arrivé à Rebecca ?

— Overdose.

 

Une fois de plus, ils s’assirent à côté des téléphones.

Vincent lui offrit un sourire bienveillant :

— T’es accro, ou quoi ?

— Hein ?

Il lui prit son paquet de bonbons à la menthe.

— Tu viens de manger la moitié du paquet en cinq minutes, dit-il.

— Je suis un peu sur les nerfs.

— Tiens, sers-toi.

Il lui tendit un sachet de noix et de fruits secs.

— Je l’ai acheté à Tassajara, précisa-t-il.

— Sur Ghirardelli Square ?

Il sourit avec indulgence.

— Près de Big Sur. C’est une retraite zen.

— Ah.

— Évite les sucreries, OK ? Ces trucs-là finissent par tuer.