Retour au paradis


Le temps que Prue parvienne aux fougères géantes, une épaisse brume estivale était tombée sur le Golden Gate Park. Frissonnant légèrement devant ce spectacle étrangement familier, elle remonta le col de son trench-coat Montodoro et s’enfonça dans la jungle.

À la poursuite d’un écureuil, Vuitton détala sur le sentier au bord du ravin en fer à cheval. Elle l’appela, mais il décida de ne pas obéir.

— Vuitton ! cria-t-elle. Reviens immédiatement !

Elle était terrifiée à l’idée de se retrouver toute seule.

Le barzoï se retourna, remua poliment la queue et bondit à nouveau dans les profondeurs vert sombre du vallon des rhododendrons.

Elle lui courut après en vociférant :

— Vuitton ! REVIENS IMMÉDIATEMENT, BON SANG !

Comme de bien entendu, elle s’époumonait en pure perte : Vuitton savait très bien où il voulait aller. Il savait tout aussi bien où elle voulait aller. Il y arriverait tout simplement avant. Pourquoi fallait-il que cela lui fît aussi peur ?

Elle retrouva sans peine le sentier qui traversait les massifs en fleurs et continua d’un pas vif, apercevant de temps à autre le pelage beige de Vuitton entre les feuilles. Alors qu’elle cherchait le buisson qui signalait l’entrée du domaine secret de Luke, elle entendit une corne de brume dans le lointain.

Vuitton, comme d’habitude, avait pris les devants. Aboyant frénétiquement, le barzoï accourut, jaillit d’un buisson et vint caracoler autour de sa maîtresse.

— Reste ici, ordonna-t-elle. Au pied ! Vuitton ! Au pied !

Mais il était déjà reparti et descendait la pente sablonneuse qui menait à la cabane. Lorsque Prue aperçut la petite cahute, elle ne fut plus très sûre de vouloir entreprendre la fouille comme prévu. Elle se rappelait un été de son enfance à Grass Valley où elle avait fouiné dans le tiroir de la table de nuit de son père et y avait trouvé un paquet de préservatifs. Il y avait des mystères qu’il valait mieux ne pas déranger.

Cependant, Vuitton était devant la porte de la cabane et jappait comme un fou.

Comme personne ne répondait à ce vacarme, Prue descendit la pente et alla écouter à la porte. Elle souleva le loquet et se rendit compte qu’elle n’était pas verrouillée.

À l’intérieur, il semblait que rien n’avait bougé. Le gros morceau de mousse était toujours là. Tout comme le lit de camp, le plan de la ville et la chère devise de Luke accrochée au mur.

Il n’y avait pas grand-chose à fouiller, en fait. Elle choisit de regarder dans la caisse en bois où Luke rangeait les affaires de Vuitton. Elle n’était plus posée par terre, mais sur une étagère, au-dessus du matelas de mousse.

Quand Prue y porta la main, elle toucha quelque chose de froid et de visqueux. Elle poussa un cri hystérique et laissa tomber la caisse, manquant d’écraser la grosse limace qui avait élu domicile dessus.

Elle resta là, tremblante, à s’essuyer frénétiquement les doigts sur son manteau. Vuitton se coucha à ses pieds et geignit avec elle.

— Tout va bien, mon bébé, murmura Prue. Nous allons partir dans une minute.

— Je crois que c’est une bonne idée, approuva une voix derrière elle.

Prue fit volte-face et vit sur le seuil un policier en uniforme qui la regardait, monté sur un grand cheval alezan.

— Oh, monsieur l’agent, dit-elle. Je… Euh, mon chien s’est enfui jusqu’ici et je…

— Beau chien ! apprécia le policier.

— Oh… Eh bien, merci. Mais il est tellement agaçant, parfois !

L’officier se pencha en avant sur sa selle et scruta l’intérieur de la cabane.

— Drôle d’endroit, hein ?

Prue hocha la tête sans rien dire. Depuis combien de temps l’observait-il ?

— Avant, c’était une cabane à outils pour les jardiniers, jusqu’au jour où un clochard s’y est installé, il y a un an. Je surveille ses affaires, en quelque sorte.

Prue sortit précautionneusement de la cabane, Vuitton à ses côtés. Si elle était intimidée par le policier, le chien l’était encore plus par le cheval.

— Je m’excuse, monsieur l’agent, dit-elle. C’est tellement… fascinant.

— N’est-ce pas ? répliqua le policier.

Maintenant qu’elle le voyait mieux, elle le trouvait beaucoup moins intimidant. Il était jeune, brun, beau garçon, Latino probablement…

Et il portait un Walkman.