L’indice de la logeuse


— Très bien, fit Mona en dégustant les dernières gouttes de son Verdicchio. Ça voulait dire quoi, cette petite phrase énigmatique ?

Mme Madrigal sourit.

— Qu’est-ce que j’ai dit ?

— Vous avez dit que Barbary Lane m’avait choisie. Pour vous, ce n’est pas juste une image, n’est-ce pas ?

La logeuse acquiesça.

— Tu ne te rappelles plus comment nous nous sommes rencontrées ?

— C’était au Savoy-Tivoli.

— Il y a tout juste trois ans.

Mona haussa les épaules.

— Je ne comprends toujours pas.

— Ce n’était pas un hasard, Mona.

— Quoi ?

— J’avais tout préparé. De manière assez fabuleuse, je dois dire.

Elle sourit, et fit tourbillonner le vin dans son verre.

Mona tenta de se remémorer cette soirée d’été. Mme Madrigal était venue à sa table avec un panier de brownies à la Alice B. Toklas. « J’en ai fait beaucoup trop, avait-elle dit. Prenez-en deux, mais gardez-en un pour plus tard. Ils sont du tonnerre de Dieu ! »

Une conversation animée, et bien arrosée, avait suivi à propos de Proust, de Tennyson et d’astrologie. À la fin de la soirée, les deux femmes étaient devenues amies.

Le lendemain, Mme Madrigal avait appelé pour proposer l’appartement.

— Bonjour. Je suis la vieille timbrée que vous avez rencontrée au Tivoli. Il y a une maison sur Russian Hill qui affirme qu’elle est à vous.

Deux jours plus tard, Mona avait emménagé.

 

— Mais pourquoi ? demanda Mona.

— Tu m’intriguais. Et puis tu étais célèbre !

Mona leva les yeux au ciel :

— C’est ça.

— Si, si. Tout le monde avait entendu parler de ta campagne pour les maillots chez J. Walter Thompson.

— À New York ?

Mme Madrigal confirma :

— De temps en temps je lisais les journaux spécialisés.

— Il y a des jours où vous m’épatez.

— Tant mieux.

— Et si j’avais dit non ?

— Pour l’appartement ?

— Oui.

— Je ne sais pas. J’aurais probablement essayé autre chose.

— C’est plutôt flatteur pour moi.

— En effet, ça l’est.

Mona se sentit rougir :

— En tout cas, je suis contente !

— Bien… Levons notre verre à ça.

— Non, non, interrompit Mona en regardant le verre levé de la logeuse. Pas avant que je ne découvre ce que « ça » signifie.

Mme Madrigal haussa les épaules :

— Qu’est-ce que tu veux que ce soit d’autre, mon petit cœur ? Un chez-soi.

 

Mary Ann était déjà rentrée, récupérant de sa nuit passée à S.O.S.-Écoute.

Elle recouvrit ses étagères d’un nouveau papier auto-adhésif couleur noix, nettoya derrière la gazinière une bonne couche de graisse, et remplaça dans les toilettes le bidule qui faisait de l’eau bleue.

Quand Mona passa lui dire bonjour, elle était penchée sur la table de la cuisine.

— Je peux te demander ce que tu fous ?

— Je classe mes petits pots d’épices par ordre alphabétique.

— Oh, mon Dieu…

— C’est thérapeutique.

— Je croyais que S.O.S.-Écoute te servait de thérapie.

— Ne me parle surtout pas de ça.

— Pourquoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Je préfère ne pas en parler.

— Bien. Refoule-le. Garde toute cette névrose de reine du bal enfouie en toi ; comme ça…

— Je n’ai jamais été la reine du bal, Mona.

— Ça n’a pas d’importance. C’était ton genre.

— Et qu’est-ce que tu en sais ? Comment est-ce que toi tu pourrais savoir quel genre…

— Eh ho ! Du calme, les filles, du calme !

Michael se tenait dans l’embrasure de la porte. Ses jambes de Pan velues étaient ébouriffées et tachées de vin.

— Mouse !… T’es de retour ?

— Si tu crois que c’est facile de se faire draguer dans cette tenue !

Se retenant de rire, Mona s’approcha de lui et effleura ses poils en faux chinchilla.

— Beurk !

— D’accord, concéda Michael. La fourrure ne va pas à tout le monde.