Le cauchemar de Burke


Le soir où mourut Beauchamp, chacun pour des raisons différentes, Mary Ann et Burke passèrent une nuit agitée. Lorsqu’elle se réveilla, Mary Ann appela l’hôpital St. Sebastian et prit des nouvelles de Michael. Rien n’avait changé, lui apprit Jon. Mona et Mme Madrigal étaient censées passer un peu plus tard, dans la matinée.

Après, Mary Ann appela Halcyon Communications et demanda à parler à Mildred au service Production. Il n’était pas encore huit heures et demie, mais la vieille fille lui répondit d’une voix déjà faible et lasse :

— Quand avez-vous appris la nouvelle ? demanda-t-elle.

— Hier soir, répondit Mary Ann en faisant bien attention de prendre un ton funèbre. On m’a appelée.

— C’est affreux. La presse nous harcèle. Je crains le pire pour l’émission de Van Amburg de ce soir.

— Est-ce qu’il faut que je vienne, Mildred ?

La véritable question était, bien entendu, de savoir si Beauchamp avait dit à Mildred — ou à un autre cadre — qu’il avait viré Mary Ann.

— Non, répondit Mildred. En fait, on a fermé le bureau pour aujourd’hui. Je ne suis là que pour répondre au téléphone… et à la presse. Ah, autre chose…

— Mmmh, oui ?

— J’ai parlé à DeDe ce matin. Elle va bien, malgré tout ce qui arrive. Ce doit être terrible pour elle, étant donné qu’elle peut accoucher à n’importe quel moment, maintenant ; étant donné aussi, et c’est pire, que sa mère a disparu.

— Mme Halcyon a disparu ?

— Eh bien, pas vraiment… On n’arrive tout simplement pas à la joindre. Elle a dit à DeDe qu’elle allait dans leur maison de Napa, mais, pour le moment, personne ne l’a vue arriver là-bas. J’ai dans l’idée — c’est simplement ma théorie à moi, hein, vous savez, comme c’est une femme très religieuse – qu’elle est peut-être allée faire une tournée des missions, discrètement.

— Est-ce que la presse est au courant ?

— Oh mon Dieu, non ! DeDe me l’a dit sous le sceau du secret ! Elle mène sa petite enquête auprès des amies de sa mère. Elle pense qu’elle devrait rentrer d’un moment à l’autre. Mais vous gardez ça pour vous, n’est-ce pas, Mary Ann ?

— Bien entendu, Mildred… Qu’est-ce qui a été prévu, concernant les obsèques ?

— Oh… répondit Mildred d’une voix affaiblie. C’est là le plus triste. Malheureusement. Beauchamp avait demandé dans son testament qu’on procède à une crémation, mais vu la nature de l’accident, la famille a pensé que ce serait de mauvais goût.

— Je vois.

— Je crois qu’il y aura une messe ou quelque chose de ce genre. DeDe a appelé les parents de Beauchamp à Boston ce matin.

— Merci, Mildred. Eh bien, je ne veux pas vous retenir…

— Je sais que vous devez vous inquiéter pour votre travail, mais ne vous faites pas de souci, ma chérie. Je suis certaine qu’on vous trouvera quelque chose quand tout ça se sera calmé. Pour le moment, pourquoi ne prendriez-vous pas quelques jours de congé ?

— Merci, Mildred.

— De rien, Mary Ann. Je suis sûre que c’est ce qu’aurait voulu Beauchamp.

 

Si Mary Ann avait pu se douter, ne fût-ce qu’un instant, de ce qu’elle pourrait faire pendant ce congé, la question aurait été réglée dès le petit déjeuner.

— Cette nuit, dit Burke, j’ai rêvé de notre ami.

Mary Ann reposa sa tasse de café :

— De Michael ?

— Non, du type aux implants… celui du Marché aux fleurs.

— Quelle horreur !

— D’accord. Je n’aurais pas dû mettre le sujet sur la table.

— Non, tu devrais en parler, Burke.

— Ce n’était qu’un rêve.

— C’était peut-être un souvenir, Burke. Raconte-moi.

Il la regarda d’un air sceptique.

— Je ne veux pas devenir ton… nouveau passe-temps, Mary Ann.

— C’est l’impression que ça te fait ?

— Non, pas vraiment, répondit-il après une hésitation.

— Alors, raconte-moi.

— Eh bien, dans le rêve, il y avait une passerelle, du genre de celle que je t’ai déjà décrite. Elle avait une rambarde métallique, et il me semble que je marchais sur du béton sauf que c’était vraiment très haut.

— Par rapport à quoi ?

— Je ne sais pas. À des gens, peut-être. Mais je ne voyais personne en bas. Il y avait des gens avec moi, des gens que je connaissais.

— Qui ?

— Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que je les connaissais.

— On est bien avancé.

— C’est là qu’est arrivé le type aux implants. Je veux dire qu’il est arrivé à ma hauteur. Et puis, tout d’un coup, il y a eu cette rose, cette affreuse rose.

— Et pourquoi était-elle si affreuse ?

— Je… Je ne sais pas.

— Est-ce que c’est lui qui t’a donné la rose ? L’homme aux implants ?

— Non, pas exactement. Elle était là, tout bêtement. Et puis il s’est penché vers moi et il a dit : « Vas-y, Burke, c’est organique. » Puis je me suis mis à courir.

— Bien. Et après ?

— C’est tout. Après, je me suis réveillé.

Mary Ann prit une gorgée de café :

— Peut-être, dit-elle, ne devrions-nous pas trop nous soucier de ce type aux implants. Je veux dire… Nous en avons tellement parlé que c’est probablement pour ça que tu l’as mélangé à tes souvenirs réels.

— Mmmh. Sauf qu’il y a un détail.

— Lequel ?

— Dans mon rêve, il n’avait pas d’implants. Il était chauve comme un œuf.