Valencia Street, avec ses locaux pour associations, ses restaurants mexicains et ses garages à motos, constituait un décor singulièrement sordide pour les portes du Paradis.
Pour Brian, cependant, cela faisait partie de l’excitation.
Il se délectait des conditions sordides, et de cette sensation d’adolescent néophyte, chaque fois qu’il apercevait cette enseigne au néon miteuse : GARDEZ LA SANTÉ — BAINS TURCS.
Derrière la façade, dans une minuscule entrée en forme d’alcôve, il exhiba sa carte d’identité déchirée, et aligna cinq dollars au type de la caisse.
Quatre dollars pour l’entrée.
Un dollar pour La Soirée.
La Soirée rendait les Bains Sutros spéciaux le lundi.
Les femmes pouvaient entrer gratuitement, et cette nuit-ci, il pouvait en dénombrer au moins une douzaine.
Il y avait deux fois plus de messieurs, se mêlant aux dames dans un espace qui rappelait étrangement la salle de jeux de Walnut Creek : des abat-jour roses, des meubles au style dissonant, et un train électrique miniature qui circulait bruyamment sur une étagère tout autour de la pièce.
Sur un écran de télévision accroché au mur, les clients pouvaient regarder Phyllis.
L’écran d’en face, un écran de cinéma, diffusait des classiques du porno.
Les invités étaient tous nus, même si certains choisissaient la protection d’une serviette de bain.
Et la plupart d’entre eux regardaient Phyllis.
Brian se déshabilla dans le vestiaire. Au-dessus de sa tête, dans une tonnelle en plastique, un canari mécanique piaillait sans interruption. Il sourit au volatile, puis mit une serviette autour de sa taille et retourna dans le salon télé.
Dans le couloir, il croisa une des hôtesses.
— Salut, Frieda.
— Brian ! Ça boume ?
— Je viens d’arriver. Des problèmes, ce soir ?
Le travail de Frieda consistait à s’assurer que les femmes, aux bains, ne soient pas harcelées par les hommes… à moins qu’elles ne le désirent.
Elle fit signe que non.
— Ambiance détendue, comme toujours !
— Détendue ? Dommage !
Frieda sourit, et lui pinça les fesses.
— Va te tripoter dans un coin, cochon.
Puis elle s’éloigna, continuant ses rondes dans un T-shirt qui affichait : NOUS VOUS METTONS AU DÉFI.
Brian trouva qu’il était encore un peu tôt pour la salle à orgie. La Soirée battait son plein. La plupart des gens grignotaient des assiettes anglaises et du fromage avant de monter les escaliers. Et Phyllis n’était pas encore terminé.
Ajustant sa serviette, il s’approcha nonchalamment d’une blonde au bronzage intégral.
— Puis-je vous offrir un peu de salami ?
— Alors ça, c’est la première fois !
Il sourit.
— Je vous jure que ce n’est pas ce que je voulais dire.
— Je suis végétarienne.
Elle sourit à son tour.
— Moi aussi, mentit Brian.
Il tendit la main :
— Alors, serrons-nous la pince.
Elle le considéra pendant un moment, puis lui demanda sèchement :
— Quel genre de végétarien ?
— Euh… rigoureux.
— Avec quelques rechutes occasionnelles dans le lacto ou l’ovo, hein ?
— Ouais. Sauf les week-ends, ou les nuits où je suis défoncé. Alors, je deviens un steako-lacto-ovo… ou bien un côte-de-porco-lacto-ovo…
Elle accueillit son imposture avec un sourire narquois :
— Vous êtes un zozo… Oui, ça doit plutôt être ça !
— Je savais bien que nous finirions par trouver.
— En réalité, je ne le fais quasi jamais avec des végétariens.
— Cette femme a du goût.
— Nous nous sommes déjà rencontrés, non ?
— Je préférais mon entrée.
— Non… Je suis sérieuse. On n’a pas joué au Earth Ball ensemble pendant les New Games cette année ?
— Non, mais je…
— Vous êtes branché baleines ?
— Quoi ?
— Les baleines. Sauver les baleines.
Brian secoua la tête en signe d’excuse, regrettant à mort de ne pas avoir sauvé de baleines.
— Des bébés phoques ?
— Non. Mais j’avais des tas de causes, avant. Maintenant, ma cause, c’est ça.
— Au moins, vous êtes franc.
— À vot’ service, madame.
— Hé… Est-ce que vous vous moquez de moi ?
— Certainement pas. J’ai juste l’impression de… poser ma candidature à un poste, c’est tout.
Elle sourit à nouveau.
— Exactement.
Ils rirent tous les deux. Brian décida que le moment était venu de prendre l’initiative.
— Écoutez… je n’ai pas de chambre ici, mais nous pourrions peut-être… enfin… aller en haut.
— Je ne supporte pas ce trip exhibitionniste.
— Alors on pourrait peut-être…
— Pas de problème, fit-elle en souriant, moi j’ai une chambre.