Drame dans une caravane


Le caravaning de Treasure Island était une sorte de parc sinistre juste à la sortie de l’autoroute, à la frontière entre Colma et South San Francisco. Il avait comme voisin le plus proche le cimetière de Cypress Lawn.

Alors que la Camaro de Candi quittait la bretelle d’autoroute pour pénétrer dans le caravaning, Brian grimaça à la vue d’une rangée hideuse d’habitations de Monopoly serpentant sur une colline lointaine.

Des rangées.

Les gens de la Péninsule se condamnaient souvent aux rangées, pensa Brian. Des rangées de maisons, des rangées d’appartements, des rangées de tombes…

Ah, mais pas dans le parc de Treasure Island. Le caravaning de Treasure Island avait des rues.

En français. Bien plus classe.

Rue 1, Rue 2, Rue 3… Candi habitait dans une caravane rose délavé embourbée dans un lit de cactées, dans la Rue 8. Sur la devanture, une plaque gravée en séquoia disait : CANDI ET CHERYL.

Et c’était tout ce qu’il avait besoin de savoir.

— Euh… Candi. Il faut que je te dise quelque chose.

— Oui ?

— Je sais que tu ne vas pas me croire, mais je crois que je connais ta colocataire.

— Cheryl ?

— Est-ce qu’elle travaille aussi chez Zim ?

Candi sourit :

— Dans la tranche horaire du matin. C’est OK, Brian. Elle et moi nous voyons à peine.

— Candi, je suis déjà venu ici.

Elle lui serra la cuisse :

— J’ai dit que c’était OK.

 

Apparemment, c’était bien OK pour Cheryl aussi.

Dévorant son petit déjeuner — un bol de céréales — elle ne parut que moyennement surprise de voir Brian entrer au bras de Candi.

— Tiens, tiens, regardez ce que le chat a ramené.

Elle était plus jeune que Candi. Considérablement. Brian l’embrassa — ce n’était pas la première fois — sur la bouche. Une bouche à la Bernadette Peters qui semblait faire la moue. S’il avait pu, il aurait volontiers échangé la vieille contre la jeune.

— Comme le monde est petit !

Elle répliqua par un sourire obscène :

— Pas particulièrement. Moi je dirais plutôt que t’es à court de matériel.

Candi entra dans la chambre à coucher en claquant la porte, et accabla sa colocataire d’invectives :

— Tu es encore en retard, Cheryl. Je ne vais pas passer mon temps à inventer des excuses pour toi. Ça commence à devenir gênant.

— J’attendais ma putain de perruque, si ça ne te dérange pas !

Silence.

— Tu m’as entendue ?

La voix de la chambre à coucher se fit basse et menaçante.

— Cheryl, viens ici une seconde.

— Je termine mes céréa…

— Cheryl, nom de Dieu !

Cheryl repoussa sa chaise avec fracas, leva les yeux vers Brian, et quitta la pièce. Il entendit les bruits étouffés du combat qui suivit. Quand Cheryl réémergea quelques minutes plus tard, elle portait un uniforme de chez Zim et les cheveux de Candi.

— Casse pas le lit, ronronna-t-elle, claquant les fesses de Brian avant de sortir.

 

— Brian ?

— Mmm ?

— Tu veux boire un verre ? Un Pepsi ou autre chose ?

— Hé ! Je te rappelle que t’es plus au boulot, là.

— Je pensais juste que… Enfin, tu sais : parfois, on a soif, après.

— Non, ça va.

— Est-ce que j’ai été… ? Tu me trouves aussi jolie que Cheryl ? Enfin… Je sais que je suis vieille, mais, pour mon âge ?… Est-ce que tu me trouves pas trop moche ?

Il chatouilla le lobe de son oreille et l’embrassa sur le bout du nez.

— Tu es bien mieux que ça. Même sans cette satanée perruque.

Elle rayonna.

— Tu sais quoi ? Je suis en congé toute la journée, et le réservoir de la Camaro est plein…

— Il faut que je rentre, Candi. J’attends un coup de fil.

— Ça ne prendra pas longtemps. Je pourrais te montrer un champ de citrouilles. Elles sont magnifiques à cette époque de l’année.

Il secoua la tête en souriant.

— Tu veux que je te reconduise à la maison ? demanda-t-elle.

— Il y a un bus, non ?

— Ouais. Si tu préfères. Mais ça ne me dérange pas du tout, tu sais.

Il sortit du lit.

— Je n’ai rien contre le bus, assura-t-il.

— Ça me ferait plaisir, que tu me téléphones.

— D’accord. T’es dans l’annuaire ?

Elle acquiesça.

— Alors je t’appelle.

— Le nom, c’est Moretti.

— OK.

— Avec deux t.

— Très bien. Je t’appelle dans une semaine.

Il quitta la caravane sans lui donner son nom de famille, mais non sans remarquer une photo encadrée sur le mur de la salle de bains.

Cheryl dans sa tunique noire de diplômée du lycée.

Candi en tenue de ville, la serrant dans ses bras.

Et une inscription : « À la meilleure maman du monde. »