Une boîte à Frisco


La discothèque s’appelait Dance Your Ass Off. Mary Ann trouvait cela répugnant, mais ne le dit pas à Connie. Connie était trop occupée à faire semblant de jouer à Marisa Berenson.

— Le truc, c’est d’avoir l’air morte d’ennui.

— Ça ne devrait pas être trop dur.

— Si t’as envie d’être baisée, Mary Ann, t’as intérêt à…

— Je n’ai jamais dis ça.

— Personne ne le dit jamais, bon sang ! Écoute, ma chérie, si tu n’es pas capable d’assumer ta sexualité, tu vas te faire piétiner pour de bon dans cette ville.

— Ça me plaît, ce que tu dis là. Tu devrais en faire une chanson country.

Connie soupira d’exaspération.

— Allez. Et essaie de ne pas prendre le même air que Tricia Nixon en train de passer les troupes en revue.

Elle entra dans le bâtiment la première, et se réserva un sofa abîmé près du mur.

La pièce était supposée avoir l’air branché : murs en brique rouge, pubs de bières virevoltantes, souvenirs kitsch. Des femmes rincées au henné et des hommes en chemise de rugby s’agglutinaient de façon décorative le long du bar, comme s’ils posaient pour une pub Seagram.

Pendant que Connie achetait les boissons, Mary Ann s’installa tant bien que mal dans le sofa et s’efforça d’arrêter de tout comparer avec Cleveland.

À quelques mètres de là, une fille en bottes de cow-boy, pantalon de training et veste Eisenhower roux écureuil, fixait le pantalon en polyester de Mary Ann d’un air hautain. Mary Ann lui tourna la tête, pour se retrouver face à une autre femme, cheveux ras, vernis à ongles noir, l’air blasé dans un décolleté en macramé.

— Il y a un mec au bar qui ressemble exactement à Robert Redford.

Connie était de retour avec les boissons : un tequila sunrise pour elle, un vin blanc pour Mary Ann.

— Verrues comprises ? demanda Mary Ann en prenant son verre.

— Quoi ?

— Ce mec. Est-ce qu’il a des verrues ? Parce que Robert Redford, lui, il en a.

— C’est dégoûtant. Bon… J’ai envie de me remuer le cul. On va sur la piste ?

— Non. Je crois que je vais juste… m’imprégner un peu de l’ambiance. Vas-y.

— Tu es sûre ?

— Oui. Merci. Je tiendrai le coup.

Quelques secondes après que Connie eut disparu sur la piste dans l’autre salle, un homme aux cheveux longs, vêtu d’une chemise de paysan grec, s’assit sur le sofa à côté de Mary Ann.

— Je peux ?

— Euh… oui.

— Danser, c’est pas vot’ truc, hein ?

— Pas pour l’instant.

— Vous êtes branchée trips mentaux, alors ?

— Je ne vois pas très bien ce que…

— C’est quoi, vot’ signe ?

Elle eut envie de dire : « Ne pas déranger. » Elle répondit :

— À votre avis ?

— Ah… Des devinettes. OK. Je dirais que vous êtes Taureau.

Elle fut étonnée.

— D’accord… Comment vous avez fait ?

— Facile. Les Taureaux sont hyper-têtus. Ils refusent toujours de vous révéler leur signe.

Il se pencha sur elle, suffisamment près pour que Mary Ann puisse sentir son huile au musc. Il la regarda droit dans les yeux.

— Mais sous cet implacable masque de Taureau bat un cœur de romantique invétérée.

Mary Ann recula légèrement.

— Alors ? fit l’homme.

— Alors quoi ?

— Vous êtes romantique, non ? Vous aimez les tons ocre et les nuits de brouillard et les films de Lina Wertmuller et l’odeur des bougies à la citronnelle pendant que vous faites l’amour.

Il prit sa main. Elle sursauta.

— Ça va, dit-il calmement. Je ne vous ai encore rien proposé. Je veux juste regarder votre ligne de cœur.

Doucement, il glissa son index le long de la paume de Mary Ann.

— Regardez votre point d’insertion, reprit-il. Juste ici, entre Jupiter et Saturne.

— Ça veut dire quoi ?

Mary Ann regarda ce doigt qui reposait entre son propre index et son majeur.

— Ça veut dire que vous êtes quelqu’un de très sensuel.

Il se mit à faire glisser son doigt d’avant en arrière.

— C’est exact, non ? Vous êtes quelqu’un de très sensuel.

— Eh bien, je…

— On vous a déjà dit que vous ressembliez exactement à Jennifer O’Neill ?

Mary Ann se leva brusquement.

— Non, mais si vous chantonnez quelques notes…

— Hé, oh ! Ça va, ça va. Je vous laisse de l’espace…

— Bien. Je prendrai l’autre salle. Bonne chasse.

Elle s’approcha de la piste de danse à la recherche de Connie. Elle la trouva dans l’œil du cyclone, en train de s’éclater avec un homme noir, habillé d’une culotte en Lurex et chaussé de hauts talons à paillettes.

— Ça boume ? lança l’hôtesse, s’extrayant de la masse tout en continuant à danser.

— Je suis crevée. Tu pourrais me donner les clés de l’appartement ?

— Tout va bien ?

— Oui, oui. Je suis juste fatiguée.

— Une touche ?

— Non, juste un… Est-ce que je peux avoir les clés ?

— Voilà un double. Fais de beaux rêves.

Au moment de monter dans le bus 4l, Mary Ann comprit soudainement pourquoi Connie gardait un double des clés dans son sac.

 

Mary Ann regarda la télé avant de s’endormir.

Il était deux heures du matin passées quand Connie rentra. Elle n’était pas seule.

Mary Ann se retourna sur le sofa et enfonça sa tête sous les couvertures pour faire semblant de dormir. Connie et son invité se déplacèrent bruyamment sur la pointe des pieds jusqu’à la chambre à coucher.

La voix de l’homme était déformée par les effets du whisky mais elle le reconnut immédiatement.

Il demandait des bougies à la citronnelle.