Le jour de l’iguane


Assis sous une paillote de Posada Vallarta, le curieux trio sirotait des Cocos Locos tout en contemplant le plus bleu des océans.

— C’est agréable, dit Burke en s’étirant. Je suis content que vous soyez venus vous joindre à moi. Je ne me sens pas vraiment… de points communs avec la plupart des gens de cette croisière.

Michael fit un petit sourire par-dessus sa noix de coco :

— Le bleu lavande n’est pas ton truc ?

— Le bleu quoi ? demanda Burke.

— Il parle des vieilles dames qui se teignent les cheveux, traduisit Mary Ann.

— Oh ! (Il éclata de rire en regardant tour à tour Mary Ann, puis Michael.) Je ne suis pas tellement dans le coup, hein ?

Mary Ann secoua la tête.

— Mouse parle toujours en langage codé, Burke. La moitié du temps, je n’ai pas la moindre idée de ce qu’il raconte.

Michael lança un coup d’œil à Mary Ann :

— C’était il y a combien de temps, le Safeway ? s’interrogea-t-il. Neuf mois ? Un an ?

— Ouais, je crois.

— On s’est rencontrés dans un supermarché, expliqua Michael. Mary Ann était en train de draguer mon mec.

Burke cligna des yeux :

— Ah, parce que tu es ?…

— … Pédé comme un foc, oui, fit Michael. (Il se leva en souriant et rajusta son short en satin bleu.) Je vais aller faire un tour. Je vous donne exactement une heure pour vous mettre d’accord.

Mary Ann se retourna et regarda Michael courir vers les vagues. Elle regarda Burke d’un air d’excuse amusée.

— Je n’arrive à rien avec lui, dit-elle.

— Pas étonnant, dit Burke en riant.

Elle se joignit à lui.

— Non, je ne parlais pas de ça !

— Il a l’air très sympa, en fait.

— Il l’est. Je l’adore.

— Mais ce n’est pas ton…

Elle secoua la tête et s’esclaffa.

— Il dit qu’il se considère comme mon mac. (Son sourire s’évanouit lorsqu’elle vit l’expression de Burke.) Tu trouves que ça fait vulgaire, ce que j’ai dit ?

— Non, pas du tout. C’est simplement que… Eh bien, je n’ai jamais rencontré de gens comme vous deux.

Songeuse, Mary Ann contempla son visage pendant un moment, s’intéressant à ses mâchoires carrées, ses lèvres pleines et à la stupéfiante naïveté qu’exprimaient ses grands yeux gris. Est-ce qu’il était possible que quelqu’un soit encore aussi candide de nos jours ?

— D’où es-tu, Burke ?

Il la considéra un instant, puis :

— De partout, en fait, dit-il en caressant le rebord de sa noix de coco du bout de l’index.

— Ah. Bon, alors, l’endroit le plus récent ?

— Euh… San Francisco.

— Génial ! Moi aussi ! Tu habites où ?

— En fait, je suis de Nantucket. Je veux dire que mes parents, maintenant, y sont installés, et je vis chez eux. Avant, je vivais à San Francisco, mais c’est du passé.

— Où habitais-tu quand tu étais…

Il repoussa brusquement son fauteuil :

— Tu ne voudrais pas nager, ou autre chose ? On devrait profiter de l’heure qu’on nous a accordée.

— Tu as raison, dit-elle en souriant. Allons-y.

 

Ils longèrent la plage en direction de la ville, s’arrêtant de temps en temps pour chahuter dans les vagues ou contempler les parachutes ascensionnels qui s’élevaient, gonflés de vent, dans le ciel limpide. Burke regardait tout avec un émerveillement sincère et la joie d’un enfant qui découvre pour la première fois l’océan.

Il était charmant, songea Mary Ann, charmant, avec un petit côté primaire et vraiment viril, viril sans être macho pour autant. Impossible de l’imaginer en train de draguer des minettes dans les supermarchés. Ils croisèrent un marchand ambulant qui portait autour du cou d’affreux iguanes empaillés. Burke sortit immédiatement son portefeuille :

— Lequel tu veux ?

— Quelle horreur ! Tu rigoles ?

— Tu veux un chemisier, alors ? Celui-là, avec les broderies ?

— Burke… Tu n’es pas obligé de me faire des cadeaux.

Il plissa gravement le front :

— Comment te souviendras-tu de moi si tu n’as pas un iguane ?

En souriant, elle posa sa main sur ses reins, là où une touffe de poils dorés dépassait de son maillot de bain.

— Je me souviendrai de toi, dit-elle. Ne t’inquiète pas pour ça.