Le petit garçon à sa maman


Quand elle ouvrit la porte, Mme Madrigal arborait un turban en satin rouge et son kimono couleur prune. Elle s’était maquillée comme Mona ne l’avait jamais vue.

La logeuse sourit en voyant sa fille :

— Tu me fais un gros câlin ou je n’y ai pas droit ?

— Oh, si… Oh si, bien sûr ! dit Mona en rougissant.

Elle entra dans l’appartement l’air embarrassé, laissa tomber son sac de selle persan sur le plancher et se jeta dans les bras de Mme Madrigal. Celle-ci lui caressa la tête un instant, puis se dégagea doucement de son étreinte :

— Est-ce qu’il n’y aurait pas quelqu’un que tu voudrais me présenter, ma chérie ?

— Oh… Mon Dieu, excuse-moi.

Elle se tourna et fit face à Mother Mucca, qui était restée sur le seuil. La vieille femme la fixa d’un regard patibulaire, secoua la tête et se tourna vers Mme Madrigal :

— C’est à se demander où elle a été élevée, celle-là !

Mme Madrigal sourit gentiment et tendit la main à Mother Mucca :

— Je suis tellement heureuse que tu sois venue.

La vieille maquerelle prit cette main dans la sienne et grogna :

— C’était son idée à elle.

— Eh bien, je devrais te remercier, Mona, dit la logeuse. C’est agréable de vous retrouver toutes les deux.

— Je peux pas rester longtemps, fit Mother Mucca.

— Je sais, dit Mme Madrigal en prenant le bras de Mona. Nous allons boire un petit sherry et bavarder un peu.

Son regard ne croisa que brièvement celui de Mother Mucca. C’était la même expression cordiale, mais distante, qu’elle utilisait avec les témoins de Jéhovah.

Elle disparut dans la cuisine, laissant Mona et sa grand-mère dans le salon. Mother Mucca gardait un visage de pierre, maussade et indéchiffrable.

— Alors, dit Mona. Elle est charmante, n’est-ce pas ?

— C’est pas naturel, cette histoire.

— Je croyais que c’était une question réglée.

— Parle pour toi. C’est mon fils.

— Eh bien, elle n’en reste pas moins mon père.

— C’est pas pareil.

— Oh, je vous en prie !

— J’ai élevé ce gosse, ma fille ! C’est la chair de ma chair !

— Vous l’avez élevé dans une saloperie de claque, oui ! Qu’est-ce que vous croyiez que vous alliez retrouver ? John Wayne ?

— Je vais te coller une bonne paire de…

La vieille femme se raidit de nouveau lorsque Mme Madrigal reparut. Elle portait un plateau avec trois verres de sherry et un bol de chocolats fourrés aux cerises.

— Je croyais que j’avais des sablés, mais c’est probablement Brian ou l’un des autres enfants qui les aura sifflés.

— T’as des enfants ? demanda Mother Mucca en fronçant les sourcils.

— Brian est un locataire, dit sèchement Mona.

— Oui, dit calmement Mme Madrigal. Je les appelle mes enfants. C’est un peu idiot, sans doute, mais cela n’a pas l’air de les gêner. (Elle sourit à Mona.) En tout cas, si ça les ennuie, ils ne me l’ont pas dit.

Mother Mucca prit un chocolat et l’engloutit. Elle faisait tout ce qu’elle pouvait pour ne pas regarder son hôtesse. Mona sentit que la catastrophe était imminente.

— Alors, fit Mme Madrigal en se pelotonnant sur le sofa, tu as dû vivre tout un tas d’aventures, j’imagine ?

— Oui, Winnemucca a été une sacrée expérience ! répondit Mona en hochant la tête.

— Je comprends. (Mme Madrigal se retourna vers Mother Mucca qui venait de finir de se nettoyer les dents du chocolat qui les maculait.) J’espère que notre jeune fille n’aura pas été trop encombrante.

La vieille femme ricana et s’abstint de tout commentaire en avalant son verre de sherry d’un trait. Mme Madrigal encaissa le coup et continua de regarder sa mère :

— Mona nous ressemble sur bien des points, n’est-ce pas ?

Silence.

— Cela dit, elle tient davantage de toi, ajouta Mme Madrigal.

Mother Mucca garda les yeux fixés sur son verre.

— Pas étonnant, bougonna-t-elle enfin.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— T’appelles ça un chapeau ?

— Je ne vois pas ce que…

— Merde, ma fille ! T’as pas de tiffes ?

— Bien sûr que j’ai…

— Bon, alors, pourquoi tu les planques sous ce bonnet à la con comme si t’étais chauve ? Écoute, ma fille… Toi et moi, va falloir qu’on cause !

— Je supposais que c’était justement le but de cette petite…

— Où est ta chambre ?

— Qu’est-ce que cela…

— Où c’est qu’est ta putain de chambre ?

 

Les deux femmes étaient parties depuis dix bonnes minutes et Mona attendait, terrorisée, dans le salon, tendant l’oreille pour entendre leurs voix étouffées. Puis elle entendit Mme Madrigal qui disait : « Maman, maman ! » et se mettait à pleurer.

Elle attendit que les pleurs se fussent éteints, puis elle s’approcha silencieusement de la porte de la chambre et l’ouvrit. Mme Madrigal était assise à sa coiffeuse. Elle tournait le dos à la porte. Mother Mucca était debout à côté d’elle et brossait les longs cheveux de sa fille. Elle leva les yeux et vit Mona :

— File, dit-elle doucement.