New York, New York


Rivée au combiné de son téléphone ancien, D’orothea maniait un Mont-Blanc à pointe dorée comme un bâton de chef d’orchestre.

Elle était de nouveau en ligne avec New York.

Pour la quatrième fois en deux jours.

Mona l’observait dans un silence cynique, confortablement recroquevillée sur leur nouveau sofa Billy Gaylord en cuir suédé. Elle en avait assez de devoir rivaliser avec New York.

— Oh, Bobby, s’écria D’orothea, ça fera trois fois ce mois-ci que tu emmènes Lina au Toilet… Oui, je sais, mon chou, mais… Non, écoute, Bobby. Une fois, c’est délicieusement dépravé, mais trois fois, c’est carrément malsain… C’est pas comme au Anvil. Le Anvil était drôle, dans le temps ! Je veux dire : Rudi y allait… J’ai jamais vu ça… Non, Bobby, c’est faux. Je ne les ai jamais rien vus faire avec le poing… En tout cas, le Toilet est un endroit tout simplement crade. J’y ai foutu en l’air une paire de pompes Bergdorf Goodman quasiment neuve…

D’orothea continua ainsi pendant dix minutes. Quand elle raccrocha, elle sourit à Mona en signe d’excuse.

— Putain, je me suis tirée juste à temps : New York atteint des sommets dans le scabreux.

— C’est pour ça que tu as besoin d’un rapport détaillé tous les soirs ?

— Pas tous les soirs.

— On a de la perversité ici aussi, tu sais… Et puis d’abord, c’est quoi cette saloperie d’endroit, le Toilet ?

— Un bar.

— Évidemment.

— Il est dans le Vogue de ce mois-ci.

— Comme c’est maladroit de ma part de…

— Hé, mais qu’est-ce que t’as, Mona ?

— J’en ai marre d’entendre parler de New York, c’est tout. Tu es revenue ici, mais j’ai plutôt l’impression…

— Non, Mona, c’est pas ça. Tu broies du noir. Il y a quelque chose qui te tracasse.

— Je ne broie pas du noir. Je suis toujours comme ça.

— Je crois que Michael te manque.

— Épargne-moi ton analyse.

— Chérie, si on n’en parle pas…

— Ce n’est rien. Je suis de mauvaise humeur. Laisse tomber.

— Moi aussi, je me sens un peu claustro. Viens, on va se balader !

 

À Barbary Lane, Brian Hawkins faisait bouillir un sachet de chow-mein surgelé. Dès que ce fut prêt, il l’engloutit, assis à la table de la cuisine, en parcourant son courrier.

Pas grand-chose. Un prospectus pour une nouvelle pizzeria. Une circulaire de la Ligue Urbaine de Chicago. Une enveloppe rose criard, au dos de laquelle était inscrit « Parc de Treasure Island ».

L’enveloppe contenait une carte ornée d’une nymphette aux airs mielleux qui regardait niaisement par une fenêtre.

Cher Brian,

Chez Perry, ils m’ont donné ton adresse. J’espère que ça ne te dérange pas. Je voulais juste te dire que j’ai passé un moment formidable avec toi. Tu es vraiment quelqu’un de gentil, et j’espère que tu m’appelleras bientôt. Moi, je ne t’appellerai pas car je ne suis pas une mégère ! Ha, ha. Non, sérieusement, tu es vraiment un mec bien. Ne te sens pas obligé de me répondre.

Je t’aime,
Candi.

Au lieu d’un point sur le i de Candi, elle avait dessiné un petit visage souriant.

 

Il jeta le courrier à la poubelle, laissa la vaisselle sale dans l’évier, et retourna dans sa chambre pour se rouler un joint. Il lui restait un peu de Maui Wowie. Assez pour obtenir l’effet désiré, en tout cas.

Il se coucha sur le dos, sur son sofa, et fit l’inventaire des petites histoires foireuses de ces six derniers mois. Mary Ann Singleton, qui le tourmentait toujours… Connie Bradshaw, un véritable musée du kitsch… La gonzesse des bains turcs… Et maintenant, un tandem mère et fille !

Il rit de lui-même à haute voix.

Soit il était masochiste, soit le bon Dieu était sadique !

Quelques minutes plus tard, il se releva et enfila un Levi’s avec une chemise militaire kaki. Il s’approcha de la porte, s’arrêta, et revint sur ses pas pour se rouler un autre joint.

Puis il dévala les escaliers jusqu’au deuxième étage et appuya sur la sonnette de Michael.