La chambre à coucher d’Anna avait été soigneusement préparée pour l’arrivée d’Edgar.
Les draps avaient été changés, les fougères humectées, et la photo qui trônait habituellement sur le buffet enfouie dans le tiroir à lingerie.
— Quoi, pas de matelas à eau ?
Edgar la gratifia d’un sourire rusé, inspectant la pièce pour la première fois.
— Désolée, dit-elle.
Puis elle haussa les épaules :
— Il est en réfection. Un homme est venu dormir ici la nuit dernière, et nous avons failli noyer le chat.
— Quel chat ?
Elle lui lança un oreiller :
— Tu es censé demander « Quel homme ? », espèce de malotru !
— OK. Quel homme ?
— Oh, je ne sais plus. Il y en a eu tellement !
Il l’enlaça et la serra pendant une demi-minute, puis il se courba et embrassa délicatement ses paupières. Quand il eut terminé, Anna ouvrit les yeux et dit : « Du Fitzgerald. »
— Pardon ?
— Je pense à Gatsby le Magnifique : « Elle était de ces femmes qu’on embrasse sur les yeux. » Enfin, un truc comme ça… Tu veux boire quelque chose, ou tu es déjà ivre ?
— Anna !
Elle lui donna un léger coup de coude.
— Tu sens le bon scotch.
— J’étais invité à un cocktail au Summit.
— Avec Frannie ?
Edgar hocha la tête. Anna reprit :
— Et comment tu as fait pour… ?
— DeDe l’a raccompagnée à la maison.
— Edgar… Elle doit sûrement se rendre compte de quelque chose.
— Elle était à peine consciente, Anna.
Anna appuya sa tête contre le torse d’Edgar et pointa un index long et délicat vers la fenêtre.
— Regarde, fit-elle, réajustant l’oreiller sous sa tête.
Il se tourna vers la fenêtre et aperçut un chat tigré dodu sur le rebord. L’animal s’arrêta un bref instant, miaula en direction d’Anna, et continua sa route.
— Il s’appelle Boris, dit Anna.
— Tu ne le laisses pas entrer ?
— Il ne m’appartient pas.
— Ah… Alors ça ne compte pas.
— Je l’aime, lui renvoya-t-elle simplement. Ça compte pour quelque chose, non ?
Anna lui tendit une tasse de thé et se glissa à nouveau dans le lit.
— Il y a une théorie, commença-t-elle, qui dit que nous sommes tous des habitants de l’Atlantide.
— Qui ?
— Nous. À San Francisco.
Edgar lui sourit avec indulgence, se préparant à une autre longue histoire.
Anna reçut le message.
— Tu veux l’entendre… ou bien tu te ramollis ?
— Vas-y. Raconte-moi une histoire.
— Eh bien… Dans une de nos dernières incarnations, nous étions tous des citoyens de l’Atlantide. Tous. Toi, moi, Frannie, DeDe, Mary Ann…
— Tu es sûre qu’elle n’est pas chez elle ?
— Elle est partie à sa permanence. Détends-toi.
— OK. Je suis détendu.
— Très bien. Nous vivions tous dans ce fabuleux royaume englouti par les eaux il y a très longtemps. Maintenant, nous sommes revenus sur cette péninsule très spéciale, au bord du continent, car nous savons, dans les tréfonds secrets de notre mémoire, que nous devons retourner ensemble à la mer.
— Ah ! Le tremblement de terre.
Anna acquiesça :
— Tu vois. Tu as dit le tremblement de terre, pas un tremblement de terre. Tu l’attends. Nous l’attendons tous.
— Et qu’est-ce que ç’a à voir avec l’Atlantide ?
— Eh bien, pour commencer, notre fameux gratte-ciel en forme de pyramide : la Transamerica.
— Hein ?
— Tu ne savais donc pas ce qui se détachait dans le ciel de l’Atlantide, Edgar ? L’édifice qui dominait toute la cité ?
Il fit signe que non.
— Une pyramide ! Une énorme pyramide, avec un signal lumineux au sommet !
Quand Edgar s’engouffra dans la ruelle une heure plus tard, Anna l’observait par la fenêtre. Elle frappa un coup sec sur la vitre, mais il ne l’entendit pas.
Quelqu’un d’autre, dissimulé dans les buissons au bout de la cour, observait également la scène.
Norman Neal Williams.