Peu après sept heures, Beauchamp tituba hors de son lit, jusqu’à la salle de bains.
DeDe se retourna et continua à respirer profondément, feignant d’être endormie.
Cette fois-ci, elle ne voulait plus entendre son excuse. Elle était assommée d’excuses, vidée par tous les efforts qu’elle avait consentis pour continuer à le croire.
Il était rentré à quatre heures du matin. Point à la ligne.
Il n’y avait pas forcément Une Autre Femme, mais il y avait indubitablement d’autres femmes.
Sa réaction à cet état de choses se devait d’être vigoureuse, raisonnée, et intrinsèquement féminine. Elle essaya de s’imaginer comment Helen Reddy aurait réagi.
Le téléphone la réveilla à neuf heures quinze.
— Allo… fit-elle.
— Tu dormais, ma chérie ?
— Pas vraiment.
— Tu as l’air déprimée.
— Ah ?
— Voilà. Je t’appelle à propos de ce que tu sais… C’est une petite procédure toute simple, et tu…
— Binky, j’…
— On n’en est plus à l’époque du vieux cintre rouillé !
— Ça va, Binky !
Silence.
— Binky… Je m’excuse, OK ?
— Je comprends.
— J’ai eu une mauvaise nuit.
— Bien sûr. Dis, j’en ai une juteuse à te raconter ! Tu veux l’entendre ?
— Je suis toute ouïe.
— Jimmy Carter est un Kennedy !
— Euh… Tu peux répéter ?
— N’est-ce pas la rumeur la plus savoureuse que tu aies entendue depuis des mois ?
— Je dirais plutôt la plus fétide.
— Écoute… Je ne fais que répéter ce que tout le monde racontait chez les Stonecypher hier soir. Apparemment, on a acheté le silence de certaines personnes pour être sûr que…
— Mais de quoi est-ce que tu parles ?
— Miss Lillian était la secrétaire de Joe Kennedy.
— Quand ça ?
— Oh, ma chérie, ne sois pas si rabat-joie. Moi je trouve cette histoire absolument divine.
— Divine, oui.
— Ça expliquerait toutes ces dents, non ?
Quand elle parvint enfin à se détacher du téléphone, DeDe frissonna et entra dans la salle de bains.
Une demi-heure de conversation avec Binky lui faisait le même effet que de manger un kilo de chocolats en une fois.
Elle évita soigneusement la cuisine, puis enfila à la hâte un pull-over en cachemire et un Levi’s, emportant par précaution sa veste en daim Ann Klein.
Elle voulait marcher. Et réfléchir.
Comme d’habitude, elle alla jusqu’aux Filbert Steps, où les petites maisons de contes de fée et les impasses en pente constituaient un décor Walt Disney idéal pour ses malheurs.
Elle s’assit sur le passage en planches de Napier Lane, et observa les chats du quartier qui déambulaient au soleil.
Il était une fois un chat qui s’était assoupi au soleil et qui avait rêvé d’être une femme endormie au soleil. Lorsqu’il se réveilla, il ne parvenait plus à se rappeler s’il était un chat ou une femme.
Où avait-elle entendu cela ?
Aucune importance. Elle ne se sentait ni chat ni femme.
Toute sa vie, elle avait fait ce qu’on attendait d’elle. Elle avait glissé, sans même un battement de cils, de l’autocratie bienveillante d’Edgar Halcyon à la tyrannie flasque de Beauchamp Day.
Son mari la dominait tout autant que l’avait fait son père, la manipulait avec des sentiments de culpabilité, des promesses de regain d’amour et la crainte de la répudiation. Elle n’avait jamais rien fait pour elle-même.
— Allo, Dr Fielding ?
— Oui ?
— Je suis désolée de vous déranger chez vous.
— Ce n’est rien. Euh… À qui ai-je l’honneur ?
— DeDe Day.
— Ah. Comment allez-vous ?
— Je… J’ai pris une décision.
— Bien.
— Dr Fielding, je garde le bébé.