Mme Madrigal parut étrangement détendue quand elle ouvrit la porte.
— Mona, ma petite fille…
— Bonjour. Je me disais que vous aviez peut-être envie de compagnie.
— Mais certainement.
— En fait, c’est un mensonge. Je me disais que j’avais envie de compagnie.
— Ça marche dans les deux sens, non ? Entre.
La logeuse offrit un verre de sherry à sa locataire.
— Michael est sorti ?
Mona acquiesça.
— En train de transpirer dans un décor de planches de sapin, je crois.
— Ah bon.
— Dieu sait quand il sera de retour.
— C’est un gentil garçon, Mona. Je l’approuve de tout mon cœur.
Mona renifla.
— Vous en parlez comme si on était mariés.
— Il y a toutes sortes de mariages, trésor.
— Je ne crois pas que vous comprenez ce qu’il y a entre moi et Michael.
— Mona… il y a de meilleurs moyens que le sexe pour créer des liens profonds. Et durables. Quand j’étais… petite, ma mère m’a dit un jour que si un couple marié mettait un centime dans un pot chaque fois qu’ils faisaient l’amour la première année, et puis retirait un centime pour chaque fois après ça, ils ne parviendraient jamais à épuiser tous les centimes amassés… Ah tiens, mince ! Ça faisait des années que je n’avais plus pensé à ça.
— Ce n’est pas mauvais du tout.
Mme Madrigal sourit.
— Et c’est aussi un réconfort pour ceux d’entre nous qui de toute façon n’ont jamais mis beaucoup de centimes.
Gênée, Mona sirota son sherry.
— Vous avez parlé, Michael et toi ? demanda Mme Madrigal.
— Parlé de quoi ? Parlé de vous ?
La logeuse opina.
— Je… non, je n’ai parlé de rien, dit Mona. Je crois que c’est à vous de le faire.
— Vous êtes très proches. Il doit bien avoir posé des questions.
— Non. Aucune.
— Ça ne me dérange pas, tu sais… avec lui.
— Je comprends… mais je crois que c’est à vous de le faire.
— Merci, trésor.
— J’ai perdu mon boulot, dit enfin Mona.
— Quoi ?
— Le vieux fils de pute m’a renvoyée.
— Qui ça ?
— Edgar Halcyon. Son beau-fils lui a soufflé quelques gentillesses à mon propos, et le vieux m’a jetée à la rue.
— Mais Mona… Pourquoi ferait-il une chose aussi…
Mona grogna :
— Vous ne connaissez pas Edgar Halcyon. C’est le plus grand enfoiré de toute la Côte Ouest.
— Mona !
— Ben quoi, c’est vrai ! En fait, c’est un soulagement. Je détestais ce job… toutes ces conneries démographiques et ces profils de consommateurs, et…
— Mona, est-ce que tu as… fait une bêtise ?
— J’ai été franche avec un client, voilà ! Le Grand Tabou.
— Qu’est-ce que tu as dit ?
— Ça n’a pas d’importance.
— Mona ! Ça en a pour moi !
— Ouh la la ! Mais qu’est-ce qu’il y a ?
— Je… je m’excuse. Je ne voulais pas… Tu vas t’en sortir ? Financièrement, je veux dire.
— Oui, bien sûr. Je peux payer le loyer.
— Ce n’est pas ce que je voulais insinuer.
— Je sais. Pardon. Ça ira, Mme Madrigal. Vraiment.
En réalité, ça n’allait pas du tout.
Elle retourna dans son appartement dix minutes plus tard, et prit un Quaalude qui la fit s’endormir. Michael rentra à une heure et demie.
Il la réveilla sur le sofa.
— Babycakes, ça va ? Tu veux pas aller au lit ?
— Non, ça me convient, ici.
— Mona, je te présente Chuck.
— Salut, Chuck.
— Salut, Mona.
— Dors bien, Babycakes.
— Toi aussi.
Les deux hommes entrèrent dans la chambre à coucher de Michael et fermèrent la porte.