Alors qu’elle balayait sa cour, Mme Madrigal fut soudain surprise de déceler dans l’air les premiers signes du printemps qui approchait.
Le printemps revenait sur Barbary Lane ! Des jonquilles commençaient à poindre çà et là entre les poubelles, il flottait dans la brise l’odeur des chats, des lilas et des eucalyptus… Et ce cher Brian prenait le soleil sur les briques.
Pour la première fois depuis des semaines, sa famille semblait de nouveau réunie et intacte. L’état de Michael s’améliorait considérablement, d’après Jon, et il allait rentrer d’ici à quelques jours. Mary Ann et Burke avaient fait leur nid dans leurs appartements respectifs même si, apparemment, un seul leur suffisait ces derniers temps.
Brian, bien entendu, était toujours dans sa petite maison sur le toit.
Et Mona — sa fille, sa précieuse fille — avait emménagé définitivement avec elle, à peine Mother Mucca était-elle rentrée à Winnemucca.
C’était le printemps et tout allait bien.
Sauf… Sauf que quelque chose l’inquiétait dans le comportement de Mona.
— Brian, mon cher ?…
Il se tordit le cou et lui sourit, luisant d’huile bronzante et splendide dans son Speedo vert. Ce garçon, songea Anna Madrigal, est un curieux mélange de menace et de vulnérabilité. On dirait un coyote qui réclame les restes d’un dîner.
— Oui ? demanda-t-il. Je vous empêche de balayer ?
— Non, non. Je peux balayer tout autour, ne bouge pas. Je voulais te demander quelque chose.
— Pas de problème, allez-y.
— Est-ce que toi et Mona, vous… vous parlez souvent ?
— Je crois qu’elle préférerait utiliser le mot « communiquer », ricana cyniquement Brian.
— Oh, mon Dieu. Vous vous êtes disputés ?
Il hocha la tête :
— Rien de bien grave. Je l’ai invitée à dîner et elle m’a dit que l’« énergie » était mauvaise. Qu’elle ne pouvait pas communiquer avec quelqu’un qui — ce sont ses propres termes – perdait ses plus belles années à dégrafer des soutiens-gorge.
— Oh, quelle sottise ! J’espère que tu n’as pas laissé passer ça.
Brian eut un petit sourire mauvais :
— Je lui ai dit qu’avec son « énergie » à elle, elle ne pourrait même pas faire marcher un vibromasseur à deux sous. Les petits mots doux habituels, quoi. Elle vous en a parlé ?
— Non. Je pensais simplement que tu avais peut-être une idée de la raison pour laquelle… Elle n’est pas elle-même, Brian. Quelque chose l’angoisse, mais je n’arrive pas à le lui faire dire et je pensais que toi, peut-être… Mais ça passera sûrement.
Brian sentit qu’elle avait de la peine.
— Elle est heureuse avec vous. Dans sa nouvelle maison, je veux dire. Ça, en tout cas, je le sais.
— Oh… Elle t’en a parlé ?
— Elle en a parlé à tout le monde.
— En général, c’est quelqu’un d’agréable, affirma Mme Madrigal en souriant. Je t’en prie, ne renonce pas à l’inviter à ce dîner.
Du coup, Brian s’y essaya à nouveau. Il appela Mona dès qu’il fut rentré dans sa petite maison sur le toit.
— Pourquoi tu me détestes ?
— Qui est à l’appareil ?
— C’est parce que je bosse chez Perry ? Ou parce que je suis hétéro ?
— Brian, je ne suis pas d’humeur…
— Je ne suis pas un con, Mona. Je drague comme une bête, mais je ne suis pas un sale con de macho. Putain ! J’étais à Wounded Knee, Mona !
— Oh, ne t’imagine pas que je vais… Ah bon, tu y étais ?
— Mmm, mmm.
— Je n’en crois pas un mot.
— Mona, j’ai préparé un meat-loaf.
— À Wounded Knee ?
— Hier, femme sans cœur ! Un vrai chantier dans ma cuisine ! J’ai préparé cette espèce de hachis à la con pour la première fois de ma vie et tu ne veux même pas le partager avec moi !
Elle éclata de rire malgré elle :
— Tu ne me l’as pas demandé.
— Maintenant, je te le demande : viens dîner avec moi, Mona. Ce soir.
Elle accepta avec beaucoup plus d’empressement qu’il n’aurait cru.
Et il passa le reste de l’après-midi à cuire son meat-loaf.
Mona et Mary Ann se croisèrent dans l’escalier à quatre heures et demie. Mona faisait un saut à la laverie en catastrophe. Mary Ann allait retrouver Jon qui l’emmenait à l’hôpital.
Mary Ann remarqua que Mona avait l’air moins nonchalante que d’habitude.
Et qu’elle souriait.
— Tu feras un gros bisou baveux à Mouse pour moi, OK ?
— Promis, répondit Mary Ann.
Une fois qu’elle et Jon furent arrivés à l’hôpital St. Sebastian, Mary Ann se rendit compte, avec une certaine culpabilité, que les baisers, c’était tout ce qu’elle avait apporté à Michael pendant ces derniers jours. La phobie de Burke avait interdit ne fût-ce qu’une petite visite au fleuriste de l’hôpital.
Mais comme pour l’instant Burke était à Jackson Square chez le coiffeur, rien ne l’empêchait d’aller acheter une jolie azalée ou quelque chose de ce genre.
Elle dit à Jon qu’elle le rejoindrait dans la chambre et se rendit à la boutique qui se trouvait dans le hall de l’hôpital. Comme personne n’était dans le magasin quand elle entra, elle sonna.
Immédiatement, un homme sortit de la chambre froide située dans l’arrière-boutique.
— Brrr, fit-il sur un ton enjoué, c’est plus agréable dehors.
S’il avait reconnu sa cliente, il n’en avait rien laissé voir.
Mais elle, elle l’avait reconnu. Instantanément.
C’était l’homme aux implants.