Mary Ann quitta l’appartement de Burke juste après le petit déjeuner. Elle lui dit qu’elle avait des doutes sur son statut chez Halcyon Communications. Il fallait qu’elle passe quelques coups de fil pour rappeler à ses supérieurs qu’elle voulait un nouveau poste. Ces vacances inattendues ne pouvaient pas durer éternellement.
Mais elle ne lui avait pas dit toute la vérité.
Après avoir téléphoné à Mildred (qui l’assura que le conseil d’administration allait élire un nouveau président la semaine suivante), elle appela le restaurant arménien Ararat et demanda si un certain Burke Andrew y avait jamais travaillé.
Le directeur lui répondit qu’il ne connaissait personne de ce nom.
C’était une idée stupide, évidemment, mais ce couplet idiot, l’homme aux implants et tous les problèmes que Burke avait avec les roses commençaient à l’inquiéter sérieusement.
Burke lui aussi semblait énervé, ces derniers temps. Il était d’ailleurs de plus en plus irritable au fur et à mesure que Mary Ann s’acharnait à vouloir résoudre l’énigme de son passé. Se souvenait-il enfin suffisamment, se demanda-t-elle, pour être effrayé de la révélation finale ?
Lui avait-il dit tout ce qu’il savait ?
Elle se rendit compte qu’elle avait besoin d’un allié, d’un tiers impartial qui pourrait l’aider à mettre en place toutes les pièces du puzzle.
— Il y a quelqu’un ?
Michael lui fit un sourire depuis son lit :
— Juste moi et mon nouvel amant.
— C’est ça, dit-elle en s’approchant du lit pour embrasser Michael et faire semblant de s’intéresser à ce qu’il y avait à la télévision. Eva Gabor a encore l’air tellement jeune, rajouta-t-elle d’un ton las.
— C’est grâce aux pinces.
— À quoi ?
— Elle a des pinces. (Des deux mains, il se tira le cuir chevelu derrière les tempes.) Là… et là. On ne les voit pas, parce qu’elles sont sous la perruque.
— Oh, Mouse, gloussa Mary Ann. Tu m’as tellement manqué, dit-elle en s’asseyant sur le bord du lit et en lui passant une main dans les cheveux. Tu es complètement hirsute, tu sais.
Il éteignit le poste avec la télécommande.
— Où en es-tu du Grand Mystère ? demanda-t-il.
— Ça s’épaissit de plus en plus, de jour en jour, grogna-t-elle.
Elle lui raconta le rêve du couplet, le subtil changement de comportement de Burke et sa peur croissante que ce dernier ne commençât à en avoir assez qu’elle joue les détectives amateurs.
Michael roula des yeux :
— Redis-moi le texte.
Elle s’exécuta.
— Qu’est-ce que tu en penses ? demanda-t-elle.
— Ça pue la secte à plein nez, ça c’est sûr.
— J’avais justement peur que tu dises ça.
— Eh bien, ça expliquerait pas mal de choses. L’amnésie, par exemple. Peut-être qu’on l’a déprogrammé ou quelque chose comme ça. Ou peut-être que ce sont ses parents qui l’ont fait déprogrammer, comme avec les Moonies.
— Oh, Mouse !
Cette possibilité-là ne l’avait jamais effleurée.
— C’est possible, dit Michael.
— Tu crois qu’ils auraient fait ça ? Sans lui demander son avis, je veux dire ?
Il répondit en souriant :
— Mes parents seraient ravis de me déprogrammer. Mmmh… Je me demande comment on s’y prend… Peut-être qu’on t’enferme dans une cellule capitonnée avec de la musique de supermarché et qu’on t’envoie une décharge électrique dans les parties génitales chaque fois que tu réagis positivement à un film avec Bette Davis…
— Mouse, est-ce que tu as eu des nouvelles de tes parents ?
— Non, je ne crois pas qu’on puisse dire que c’était des « nouvelles » : ma mère m’a écrit pour me dire que mon « péché à la face du Seigneur » avait tué mon père et mon père m’a écrit pour me dire que ça avait tué ma mère, dit-il avec un faible sourire. Ils s’inquiètent terriblement l’un de l’autre. Rien de nouveau dans tout ça.
Plus tard dans l’après-midi, Jon vint lui rendre une petite visite.
— Devine qui va entrer à la maternité d’ici peu ?
— Qui ? demandèrent Mary Ann et Michael en chœur.
— DeDe Day. Elle a presque une semaine de retard. Et avec des jumeaux, rien que ça !
Mary Ann se rembrunit.
— C’est un peu triste, fit-elle remarquer.
— Comment ça ?
— Eh bien, qu’ils n’aient pas de père, je veux dire.
Jon haussa les épaules. Question paternité, selon lui, Beauchamp Day n’était pas une perte.
— J’ai vu le type dans le parking, dit-il pour changer de sujet.
— Qui ?
— Le type de la boutique de fleurs. Je comprends que tu aies eu peur.
— Pourquoi ? demanda Mary Ann qui sentit ses poils se dresser sur sa peau.
— Eh bien, il m’a regardé comme si je l’avais surpris en train de violer une religieuse ou je ne sais quoi.
— Qu’est-ce qu’il faisait ?
— Je n’ai pas vraiment vu, avoua Jon. Il était en train de charger une glacière dans sa voiture.
— Une glacière ?
— Tu sais, les glacières en polystyrène. Comme celles qu’on utilise pour garder la bière au frais.
— À ce sujet, intervint Michael, mon gynécologue ne m’avait-il pas promis de m’apporter quelque chose, aujourd’hui ?
Jon éclata de rire et s’assura que la porte était bien fermée. Puis il tendit à Michael un joint de la meilleure herbe maison de Mme Madrigal.
— Vous pouvez le fumer ensemble, dit-il, mais laissez la porte fermée et attendez que j’aie quitté l’hôpital.
Mary Ann ne l’entendait déjà plus, s’interrogeant :
Une glacière en polystyrène ?