Où est l’amour ?


Malgré son attitude toute de défi, Mona était visiblement déprimée d’avoir perdu son travail. Michael tenta son stratagème habituel pour la mettre de bonne humeur : lui lire les petites annonces « rencontres » du magazine The Advocate.

— Oh mon Dieu ! Écoute celle-ci : « Journaliste judiciaire, cheveux courts, aspect hétéro, 32 ans, dégoûté des bars, saunas et des vacheries, cherche une liaison durable avec vrai homme aimant le rafting, la musique classique et le jardinage. Gros, efféminés ou drogués s’abstenir. Suis sincère. Ron. »

Mona gloussa.

— Et toi, t’es sincère ? lança-t-elle.

— Qui ne l’est pas ?

— Tu me quitterais dans la seconde, pas vrai ?

Michael réfléchit un moment.

— Uniquement s’il possède une petite maison sur Potrero Hill avec une cuisine en bois, une cheminée en état de marche et… un labrador dans son petit jardin entretenu avec goût.

— Ne rêve pas trop.

— Tu sais… quand je me suis installé ici il y trois ans, je n’avais jamais vu autant de pédés de toute ma vie ! Je ne savais même pas qu’il pouvait y avoir autant de pédés dans le monde ! Je croyais que tout ce que j’avais à faire, c’était d’aller à une soirée et choisir quelqu’un. Tout le monde cherche l’âme sœur, pas vrai ?

— Faux.

— D’accord… Presque tout le monde. Bref, je pensais qu’on allait me mettre le grappin dessus en moins de six mois. Grand maximum !

— Mais on t’a mis le grappin dessus ! Des centaines de fois.

— Très drôle.

— Et Robert ?

— Les brèves liaisons ne comptent pas.

— Et si je me laissais pousser une moustache ?

Michael sourit et lui lança un coussin à motifs cachemire.

— Allez. Si on allait au cinéma ? proposa-t-il.

— J’sais pas…

— Il y a un soirée Fellini au Surf.

— Déprimant.

— Au contraire ! Des tas de gros nénés, de beaux garçons et de nains. Quoi de plus excitant ?

— Vas-y. Tu peux prendre la voiture, si tu veux.

— Et toi, qu’est-ce que tu vas faire ?

Mona haussa les épaules :

— Me recroqueviller avec Anaïs Nin, prendre un Quaalude. J’sais pas.

— Mes MDA sont toujours dans ta cachette ?

— Ouais. Mais bordel, t’as pas besoin de ça pour aller voir un film !

— Il se peut que je n’aille pas voir un film, mère !

— Ah.

— Je déteste aller au cinéma tout seul.

— Michael, je n’en ai pas très envie, c’est tout…

— Je comprends.

— Où tu vas ?

— À gauche, à droite.

— Une nuit de débauche, hein ?

— Possible.

— Soit prudent, OK ?

— Comment ?

— Ne fais rien de risqué.

— Tu lis trop les journaux.

— Fais juste attention… et ne perds pas espoir. Un jour ton prince viendra.

Michael lui envoya un baiser sur le pas de la porte.

— Le tien aussi.

 

Elle s’affaira dans l’appartement pendant une demi-heure, faisant la conversation avec son cactus et chipotant avec ses pièces de monnaie Ching.

Elle décida de ne pas avaler de Quaalude. Les Quaaludes la rendaient lubrique, et quel intérêt pouvait-il y avoir à être lubrique quand on n’a personne avec qui lubriquer ?

Ça se conjugue, ça ? Je lubrique. Tu lubriques. Nous avons lubriqué.

Les mots l’agaçaient sans cesse, et lui rappelaient l’existence du gouffre entre l’Art et En Faire Son Métier. « Mona jongle si bien avec les mots », avait dit sa mère jadis, ajoutant d’un ton neutre : « … pourvu qu’elle apprenne à En Faire un Métier. »

Sa mère avait fait de l’immobilier son Métier.

Mona ne lui avait plus parlé depuis huit mois, depuis que sa mère avait rejoint les rangs de la campagne Reagan à Minneapolis, et que Mona lui avait jovialement annoncé dans une lettre son stage de « Réveil Sexuel » à l’Association de la Lumière Cosmique.

Ça n’avait pas d’importance.

De plus en plus, la vraie mère de Mona, c’était cette femme si unie avec le cosmos que même ses plants de marijuana portaient des noms.

C’est ainsi que Mona descendit péniblement les escaliers pour annoncer la nouvelle à Mme Madrigal.