D’orothea Wilson s’arrêta un instant dans le hall de l’hôpital St. Sebastian pour examiner le tableau qui représentait celui qui avait donné son nom à l’établissement.
Le saint homme était attaché à un arbre, revêtu seulement d’un pagne et d’un sourire béat. Son corps ensanglanté était transpercé de flèches. Au moins une bonne demi-douzaine.
D’orothea fit une grimace qui attira l’attention d’une infirmière qui passait par là.
— Je sais, fit-elle. C’est monstrueux, n’est-ce pas ?
— Mais pourquoi l’exposer ? Dans un hôpital, en plus !
L’infirmière fit un sourire las :
— Le conseil d’administration se chamaille chaque année là-dessus. Je crois qu’on l’a reçu en même temps qu’une grosse donation. Personne ne veut offenser la vieille peau qui l’a offert. On l’a déplacé deux ou trois fois. Là, c’est l’endroit le plus discret jusqu’à présent.
— Quelqu’un devrait venir le bomber pendant la nuit, dit D’orothea.
— Bien vu ! dit l’infirmière.
Après avoir demandé à la réception dans quelle chambre se trouvait DeDe, D’orothea s’arrêta brièvement à la boutique du fleuriste et y acheta une douzaine de roses. Puis elle se dépêcha de monter au deuxième pour rendre visite à son amie.
— Tu ne vas pas pouvoir rester longtemps, sourit DeDe. Ils viennent de foutre ma mère dehors.
— Promis. (D’orothea déposa les roses sur la table de chevet, puis elle se pencha pour embrasser DeDe sur la joue.) Tu as une mine superbe, ma chérie.
— Merci. Et merci aussi pour les roses.
— Comment va le petit bedon ?
DeDe leva les yeux au ciel :
— Ça fait badaboum-badaboum.
— C’est-à-dire ?
— J’ai des contractions tous les quarts d’heure, maintenant.
— Putain de merde ! Quand tu m’as appelée, tu avais l’air tellement détendue. Je croyais… Oh, ma chérie, tu n’es pas tout excitée à cette idée ?
— Bof… fit DeDe avec un faible sourire.
— Mais si ! Qu’est-ce que tu racontes ! Au fait, tu ne m’as pas dit les prénoms.
— Les prénoms ?
— Les prénoms des bébés. Tu as déjà choisi ?
DeDe lissa le drap qui dissimulait son ventre enflé.
— Oh, Edgar, comme mon père, si l’un des deux est un garçon. Et si l’autre est une fille, ce sera Anna.
— C’est joli. Tu l’as choisi pour une raison particulière ?
— Papa me l’a demandé. Juste avant de mourir.
— Un prénom de famille ?
DeDe secoua la tête :
— Pas à ma connaissance. Papa s’est contenté de me dire qu’il aimait bien ce prénom.
Elle tripota le drap à nouveau et détourna la tête. D’orothea mit un certain temps avant de s’apercevoir qu’elle pleurait.
— Ma chérie. Allons, ma chérie, qu’est-ce qu’il y a ?
— J’ai tellement peur, D’or.
D’orothea s’assit sur le bord du lit et caressa doucement les cheveux de DeDe.
— De quoi ? demanda-t-elle.
— J’ai l’impression qu’on va me punir ou je ne sais quoi de ce genre.
— Te punir ? Mais pour quelle raison ?
Le visage de DeDe ruisselait de larmes. Elle prit un kleenex, se moucha et le laissa tomber sur la table de chevet.
Enfin elle leva les yeux vers D’orothea et soupira.
— Les enfants sont chinois, D’or.
D’orothea la fixa d’un regard sans expression :
— Et alors ?
DeDe parvint à sourire à grand-peine à travers ses larmes :
— C’est facile à dire, pour toi.
— Bon, fit D’or. Alors je vais le redire. Et aloooooors ?
DeDe finit par éclater de rire.
— Oh, D’or, merci !
— Je t’en prie. Les Eurasiens sont tellement beaux, d’ailleurs.
— N’est-ce pas ?
— Est-ce que grand-maman est au courant ?
DeDe grimaça et secoua la tête.
— Je m’en doutais, dit D’or. C’est pour ça que tu te mines, c’est ça ?
— En partie, oui.
— Et l’autre partie, c’est quoi ?
— Je ne sais pas. D’or… Aucune de mes amies ne m’a appelée.
— Eh bien, c’est que la chance tourne, chérie.
— Pourquoi ?
— Parce que je suis la première de tes nouvelles amies, DeDe. Et tu ne te débarrasseras pas de nous comme ça ! (Elle se pencha et lui donna de nouveau un baiser.) Sauf quand tu accouches. Là, ça me donne mal au cœur. Mais je resterai quand même. Dans le couloir.
— Tu n’es pas obligée.
— J’ai envie.
— Merci, D’or.
— Tu veux que je parle à ta mère, pour ce qui est des enfants ?
— Non, je le ferai moi-même. Tu es un amour, D’or.
— C’est celle qui le dit qui y est.