À l’arrière


Le téléphone de Mary Ann sonnait à n’en plus finir.

Debout devant la porte, Brian s’interrogeait sur ses responsabilités. Elle ne lui avait pas demandé de s’occuper de ses affaires en son absence. Qui plus est, elle ne lui avait même pas dit où elle allait et il lui en voulait plus pour cela qu’il ne l’aurait avoué.

En tout cas, celui qui appelait était insistant.

C’est donc la curiosité plus qu’autre chose qui le conduisit à remonter dans son petit studio où il se lança dans une recherche éperdue des clés de l’appartement de Mary Ann.

Les ayant trouvées, il dégringola l’escalier quatre à quatre, ouvrit la porte et fondit sur le téléphone mural de la cuisine.

— Oui ?

— Qui est-ce ? demanda une voix d’homme.

— Sid Vicious. Et vous ?

La gens qui ne se présentaient pas au téléphone avaient le don de l’agacer.

Long silence, puis :

— Je suis bien à l’appartement de Mary Ann Singleton ?

Le type est embêté, remarqua Brian avec un certain plaisir.

— Elle n’est pas en ville en ce moment, expliqua-t-il. Je vous suggère de rappeler dans quelques jours.

— Vous savez où elle est partie ?

Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase :

— Dites donc… Si vous me disiez qui vous êtes, vous ?

— Larry Kenan, répliqua la voix. Le patron de Mlle Singleton.

La voix était dégoulinante d’ironie.

— Ah, je vois. Mary Ann m’a parlé de vous. Le directeur des programmes, c’est ça ?

— C’est ça.

— Je suis Brian Hawkins. Son fiancé.

C’était la première fois qu’il employait ce mot pour se situer. Le terme avait un côté curieusement désuet, mais il l’adora. Les choses, se dit-il, étaient désormais officielles.

— Bien… commença le directeur de l’information. Alors vous allez pouvoir lui apprendre qu’elle est dans une sacrée merde.

— Quel est le problème ? demanda Brian, essayant d’adopter un ton responsable et concerné.

— Le problème, aboya Larry, c’est qu’elle nous a lâchés, hier, vingt minutes avant l’antenne ! Voilà le problème, M. Hawkins !

Brian réfléchit rapidement :

— Elle ne vous a rien dit ? risqua-t-il.

— À quel propos ?

— Sa grand-mère est décédée. À Cleveland. Personne ne s’y attendait.

Brian eut honte d’user d’un alibi aussi éculé. Il n’y a pratiquement aucune faute au monde qui n’ait été excusée par le providentiel décès d’une grand-mère.

— Eh bien… J’en suis navré, mais elle n’a rien dit à personne… Pas le moindre mot. Il y a quelque chose qu’on appelle professionnalisme, après tout. On a été coincés. Il a fallu qu’on demande au Père Paddy d’annoncer le film.

— J’ai vu, déclara Brian. Je l’ai trouvé plutôt bien.

— Bon, vous direz à votre future femme qu’elle ferait bien de venir me voir vendredi sinon elle va se faire tanner le cul. Vous saisissez ?

Brian mourait d’envie de lui répondre d’aller se faire foutre. Mais il se retint :

— Je suis sûr qu’elle sera rentrée avant. Elle devrait m’appeler, alors je lui ferai part du message. Je suis confus, je sais qu’elle ne l’aurait pas fait intentionnellement…

— Vendredi, répéta Larry Kenan. Sinon… finito !

Brian était vert de rage quand il raccrocha. Alors que c’était surtout envers Larry Kenan qu’il était remonté, il était également furieux que Mary Ann ne lui eût pas donné assez d’informations pour qu’il pût la couvrir correctement.

Mais au fait, qu’est-ce qui pouvait bien l’avoir amenée à un départ aussi subit ? Il se douta que cela devait avoir un rapport avec l’affaire du retour de DeDe. Cela pouvait même signifier qu’elle était encore en ville… à Hillsborough, peut-être, en train de mettre la touche finale à son sujet.

« Je m’en vais » : c’était tout ce qu’elle lui avait dit. « Je serai probablement partie plusieurs jours, alors ne t’inquiète surtout pas. Je t’appelle dès que je peux. Je suis tellement contente qu’on se marie bientôt. »

Génial. Mais où était-elle ?

Il trouva son carnet d’adresses et chercha le numéro des Halcyon à Hillsborough. Il tomba sur une bonne qui avait l’air tout droit sortie d’Autant en emporte le vent. « Il n’y a personne », lui déclara-t-elle.

À peine eut-il raccroché que le téléphone sonna. Il répondit en essayant d’être un peu plus aimable cette fois-ci.

— Mary Ann est-elle là ? demanda une voix. (Celle-ci parut à Brian étrangement familière.)

— Elle est à Cleveland, répondit-il, préférant rester cohérent dans le mensonge. Elle sera de retour vendredi.

— Vous pouvez lui transmettre un message ?

— Bien sûr.

— Dites-lui que j’ai trouvé les notes qu’elle a laissées au bureau. C’est d’une importance capitale que je puisse lui parler.

— Très bien. C’est de la part de qui, je vous prie ?

— Bambi Kanetaka. Vous voulez que j’épelle ?

— Non, rétorqua Brian. Je sais comment ça s’écrit. Vous êtes la présentatrice, c’est ça ? Vous êtes très connue.

— Dites-lui que si je n’ai pas pu avoir son feu vert vendredi, je m’assois dessus. Elle comprendra.

Brian réprima son fou rire. D’après ce que lui avait raconté Mary Ann, Bambi Kanetaka était une experte dès qu’il s’agissait de s’asseoir sur quelque chose.

— Dites-lui que je n’en parlerai pas à Larry jusqu’à son coup de fil… mais qu’elle doit m’appeler dès que possible. De Cleveland, s’il le faut. Vous comprenez ?

— Je crois, oui, répliqua Brian.

Et maintenant… se dit-il. Que faire ?