Idole d’ébène


Chez Perry, la femme black mangeait son dîner du dimanche toute seule, dans la salle du fond.

Elle personnifiait la grâce et la sophistication, noire et pure. Brian remarqua qu’elle ne touchait pas à ses frites, et que ses yeux quittaient rarement son assiette.

— Encore un peu de café ?

Elle leva les yeux et sourit. Avec une tristesse rêveuse, pensa-t-il. Elle secoua la tête et dit : « Merci. » Irrésistible.

— Un dessert, peut-être ?

Un autre refus.

OK, pensa-t-il, assez de stratagèmes de conversation standard. C’est le moment de sortir la grosse artillerie du baratin :

— Vous n’aimez pas les frites, hein ?

Elle tapota sa taille de guêpe.

— J’y suis allergique. Mais elles ont l’air délicieuses.

— Une ou deux ne vous feront pas de mal.

— Je n’en ai jamais vu de rondes comme celles-ci. On dirait des chips malades de la thyroïde.

Il partit d’un éclat de rire viril. Voilà, c’est en route, mon pote. Mais surtout, ne rien précipiter. Prendre son temps…

Elle replia sa serviette. Merde ! Elle allait demander l’addition.

Elle sourit à nouveau.

— Pourrais-je… ?

— Vous savez que vous ressemblez exactement à Lola Falana ?

Super subtil, bravo. Si ça ne la faisait pas fuir, rien ne le ferait.

Pourtant, son expression ne changea pas. Elle souriait toujours.

— Vous voulez m’offrir un verre, n’est-ce pas ?

— Euh… oui, justement.

— À quelle heure finissez-vous le service ?

— À dix heures.

— Rendez-vous à dix heures ?

— Pile. Je m’appelle Brian.

— D’orothea.

À l’autre bout de la ville, au Endup, Michael Tolliver se frayait un chemin à travers une forêt de mecs en chemises Lacoste. Mona l’accompagnait.

— Bon, maintenant Mouse, c’est certain.

— Quoi ?

— Je suis une fille à pédés.

— Oh, c’est pas vrai !

— Mais regarde un peu autour de toi. Je suis la seule femme, ici !

Michael la prit par l’épaule, et la fit pivoter en direction du bar. Une femme robuste en jeans et en chemise de travail tenait le bar.

— Tu te sens mieux, maintenant ?

— Beaucoup mieux. Bon, tu pars te changer ou quoi ?

— Je crois que je suis censé m’inscrire. Ça va, si je te laisse seule ici ?

— Mais oui, tu parles !

Elle lui adressa un clin d’œil et lui claqua le derrière.

 

La barmaid dirigea Michael vers le responsable des inscriptions. L’homme prit le nom et les mensurations de Michael, et lui délivra un numéro en papier accroché à une cordelette.

Il portait le numéro 7.

— Euh… Où puis-je me changer ?

— Dans les toilettes pour dames.

— Logique.

Il y avait déjà trois mecs dans les toilettes pour dames. Deux d’entre eux étaient en slip, et fourraient leurs vêtements dans un sac en plastique fourni par la direction. Le troisième fumait un joint, toujours habillé de son treillis recyclé du Vietnam.

— Salut, lança Michael à ses collègues gladiateurs.

Ils lui renvoyèrent son sourire, certains avec plus d’hypocrisie que d’autres. Ils lui rappelaient ses concurrents au Concours des Sciences du Lycée d’Orlando en 66. Faussement désinvoltes. Et assoiffés de victoire.

Après tout, pensa Michael, cent dollars, c’est cent dollars.

— Est-ce qu’on… On est censé rester ici et attendre notre tour ?

Un blondinet en slip Mark Spitz sourit de la naïveté de Michael.

— Fais ce que tu veux, mon chou, mais moi je vais me mêler à la foule. Il se peut qu’ils élisent aussi une Miss Convivialité.

Michael se glissa donc dans la foule, vêtu uniquement de son numéro en papier et du slip qu’il avait acheté la veille chez Macy’s.

Mona leva les yeux au ciel en le voyant arriver.

— Je vais payer le loyer, dit-il.

— N’en sois pas si sûr. Je crois que je viens de voir Arnold Schwarzenegger sortir des toilettes pour dames.

— Merci pour ce réconfort, Mona.

Elle tira l’élastique de son slip.

— Ça va marcher, petit.