Brian en chasse


Brian sonna à la porte de Mary Ann trois fois, grommela un « merde » adressé à nul autre que lui-même et furtivement retraversa le couloir vers son propre appartement.

Logique. Une fille comme ça n’allait pas passer ses samedis soir au lit devant la télé. Une fille comme ça mordait la vie à pleines dents. Elle allait boire, danser et mordiller l’oreille d’un jeune cadre parfumé au Brut, un mec pourvu d’une 240 Z, d’un trimaran à Tiburon, et d’un appartement en copropriété à Sea Ranch.

Il ôta sa chemise en jeans de chez Perry, et exécuta deux fiévreuses douzaines de pompes sur le sol de la chambre à coucher. À quoi bon bander mentalement pour Mary Ann Singleton ?

C’était de toute façon probablement une pauvre conne. Elle lisait sûrement les livres condensés du Reader’s Digest, participait à des chaînes postales, et dessinait des petits ronds sur ses i, au lieu d’y mettre des points.

C’était probablement une bombe sexuelle au plumard.

 

Il entra sous la douche, et sublima sa libido avec une chanson de Donna Summer.

Où irait-il ce soir ? Chez Henry Africa’s ? C’était assez éloigné de Perry et de Union Street pour représenter, au moins symboliquement, une forme d’évasion. Là-bas, certaines des filles étaient connues pour leur maîtrise d’expressions plus variées que « sans blague ! » et « génial ! » Enfin, au moins deux d’entres elles.

Il ne parvint pourtant pas à s’y résoudre.

Les fougères le rendaient malade, il faisait une overdose de lampes Tiffany, et il était dégoûté de tous ces décors plastiques. Mais où alors… ?

Eurêka ! Le Come Clean Center, la laverie.

Le mois passé, il y avait levé quelques supergonzesses. Les belles nanas affluaient au Come Clean Center à la recherche du bonheur conjugal. Mais pas besoin de les épouser pour se les faire !

Parfait ! Il s’essuya avec hâte, enfila une paire de Levi’s en velours côtelé et un maillot de rugby gris et marron. Pourquoi diable n’y avait-il pas pensé avant ?

Face au miroir du placard, il se tapa sur le ventre. Le son produit était solide, comme une balle dans un gant de base-ball : pour un mec de trente-deux ans, c’était pas mal du tout !

Il se dirigea vers la porte, puis s’arrêta net, réalisant soudain où il allait : il empoigna une taie d’oreiller, retourna vers le placard et bourra la taie de caleçons, de chemises et de draps sales…

Il descendit Barbary Lane pratiquement en courant.

 

Le Come Clean Center trônait de manière ingrate à l’intersection de Lombard et de Fillmore, en face du centre de fitness de Marina. La laverie était bleue, dans un style sixties fonctionnel, assez passe-partout pour voir le jour n’importe où aux États-Unis. Un signe sur la porte annonçait : « Pas de lessive après 20 h, S.V.P. »

La pancarte fit sourire Brian. Il appréciait le dépit de la direction. Certaines personnes s’incrustaient tristement jusqu’à la fin. Il jeta un œil à sa montre : 19 h 27. Il allait devoir travailler vite.

À l’intérieur, le long d’un mur de machines à laver en marche, une douzaine de jeunes femmes faisaient semblant d’être absorbées par leur lessive. Les regards dévièrent furtivement vers Brian, avant de se fixer à nouveau sur les machines. Le sang de Brian ne fit qu’un tour.

Il jaugea la présence masculine dans la laverie : pas vraiment de concurrence. Deux costumes décontractés, une mauvaise moumoute, et une mauviette avec un faux diamant dans l’oreille.

Enfonçant son maillot dans son pantalon, le ventre bien rentré, il se dirigea avec la grâce d’une panthère vers le distributeur de détergent. Maintenant chaque détail comptait, chaque frémissement de tendon et chaque battement de cils.

 

— Psst, Hawkins !

Brian se retourna, pour être confronté à Chip Hardesty et son plus mauvais sourire d’animateur télé. Chip, célibataire, vivait à Larkspur, et pratiquait la dentisterie dans un hangar réaménagé de Northpoint. Son bureau était rempli de vitraux et de bannières Renaissance en soie.

Brian laissa échapper un soupir maussade.

— J’ai compris, fit-il, chasse gardée.

— Je m’en vais. Déconstipe-toi.

Du Chip Hardesty tout craché ça, « Déconstipe-toi. » Il avait beau avoir la gueule d’un commentateur sportif, pensa Brian, son humour volait au ras des pâquerettes.

— Ça ne mord pas ? s’enquit Brian, pour l’aiguillonner.

— Je ne cherchais personne.

— Ah tiens ?

Chip souleva son panier à linge.

— Eh non, comme tu peux voir.

— Je suppose qu’il n’y a pas de laverie à Larkspur.

— Écoute, mon pote, j’ai un rendez-vous ce soir. Sans ça je serais déjà sur un coup garanti.

— Ici ?

— À cet instant précis, mon vieux.

— Où ça ?

— Hé, vieux, fais tes propres recherches.

— Merci beaucoup, enculé.

Chip ricana et détourna son regard vers le coin de la pièce.

— Elle est à toi, mon pote. Celle en orange.

Il tapa Brian sur l’épaule et se dirigea vers la sortie.

— Et ne dis pas que je ne t’ai jamais rendu aucun service.

— C’est ça, marmonna Brian, qui se concentrait déjà avant de lancer son attaque.