La bête, devant la porte, donna la chair de poule à Mary Ann.
Son visage était d’un blanc de craie avec d’effrayantes taches rouges sur les pommettes. Il avait le torse nu et les cuisses velues. Deux cornes de bouc pointaient affreusement sur son front.
La bête lui adressa la parole.
— Une vraie bête de sexe, non ?
— Michael ?
— Faux, ô grande Chieuse ! Je suis le Dieu Pan.
— Tu m’as foutu une trouille verte !
— Mais je suis une créature douce et enjouée ! L’esprit des forêts et des bergers… Bon, merde ! J’abandonne ! Avec toi j’arrive pas à garder mon sérieux.
Mary Ann sourit :
— Tu vas à un bal costumé ?
— Non. Je vais accueillir ma tante Agnès à la station des bus Greyhound.
— Tu vas à la gare dans cet… ? Oh, pourquoi est-ce que je tombe à chaque fois dans le panneau !
— Tu ne me laisses pas entrer ?
Elle pouffa de rire :
— Tu plairais beaucoup à ma mère.
— Je ne veux pas te décevoir, mais je n’ai pas particulièrement envie de plaire à ta mère. Dis… si tu me laisses planté là dans l’entrée, le type d’en haut va nous faire une crise cardiaque.
— Entre. Quel type d’en haut ?
Michael bondit dans la pièce et s’assit, réajustant la perruque marron de style afro qui soutenait ses cornes.
— Le nouveau locataire. Machin-chouette Williams. Je l’ai vu sur les marches qui mènent au toit, tout à l’heure. Il a complètement paniqué.
— Il y a un appartement sur le toit ?
— Si on veut. Moi j’appelle ça une cabane. Elle n’est pas très souvent louée, mais la vue est sublime. Il a emménagé il y a deux jours. Euh, je peux avoir quelque chose à boire ?
— Bien sûr… Il me reste…
— Si tu me dis « de la crème de menthe », je t’étripe.
Elle secoua l’une de ses cornes.
— Du vin blanc, Votre Sainteté !
— Parfait… Enfin, non. Je dois partir bientôt. En fait, j’espérais que tu viendrais avec moi.
— Déguisée en quoi ? En biquette ?
— En bergère. J’ai une très jolie robe de paysanne avec un corsage à rubans et… Ne me regarde pas comme ça. Elle appartient à Mona !
Mary Ann rit.
— J’aimerais beaucoup venir, Michael… mais j’ai ma permanence à S.O.S.-Écoute, ce soir.
— Mais ceci est un S.O.S. ! Homophile solitaire et cornu, jambes poilues, cherche séduisante jeune femme, catégorie chieuses, genre Cleveland, pour folle nuit de…
— Et ce type avec qui je t’ai vu ?
— Jon ?
— Aux cheveux blonds ?
Michael acquiesça.
— Il est à la soirée d’ouverture de l’opéra.
— Ah… Et tu n’aimes pas l’opéra, c’est ça ?
— Non… enfin, si. Il se trouve que je n’aime pas… mais c’est pas ça. Jon a acheté un abonnement avec un ami. Mais t’as raison… ça craint, l’opéra. Je crois pas que ça m’aurait… enfin, bref.
Elle embrassa prudemment sa pommette rouge.
— On remet ça à une prochaine fois ?
Il se leva, soupira, et réajusta ses cornes.
— Elles disent toutes ça.
— Elle a lieu où, ta soirée ?
— Pas loin d’ici. Au magasin de plantes Hyde et Green. J’y vais à pied.
— Habillé comme ça ?
— Oh, ne sois pas si… Cleveland ! La moitié des gens ressemblent à ça sur Russian Hill.
— Bon, ben, fais attention.
— Attention à quoi ?
— Je ne sais pas… aux autres gens qui ressemblent à ça.
— Amuse-toi bien avec tes suicides.
— Merci.
D’un geste espiègle, elle le poussa vers la sortie, et ajouta :
— Va te trouver un joli bouc.