Mona contre le porc


Le lundi matin, Mona, en route pour une conférence avec M. Siegel, le président des pantys Adorable, s’arrêta net devant le bureau de Mary Ann.

— Ouh la la, mais qu’est-ce qui ne va pas, Babycakes ?

— Rien… rien ne va.

— Ouais. C’est l’horreur. À propos d’horreurs, je vais devoir faire mon humiliant petit cinéma ce matin devant cette face de rat de Siegel. T’as vu Beauchamp ?

— Non.

— Si tu le vois, dis-lui qu’il a dix minutes pour descendre. Eh ?… Tu te sens OK ?

— Oui, oui.

— J’ai un valium, si tu veux.

— Non merci. Ça ira.

— J’aurais probablement dû en prendre un moi-même.

 

Mona se tenait debout à côté de Beauchamp, sa main fermement agrippée à la maquette.

— Notre approche devra être détendue, expliqua-t-elle. Nous ne faisons pas un pas en arrière… Nous améliorons. L’entre-jambes 100 % nylon n’était pas mauvais. C’est le nouveau qui est tout simplement… meilleur.

L’expression du client ne changea pas.

— Une image jeune est essentielle, bien sûr. L’entre-jambes en coton est jeune, vibrant, branché. L’entre-jambes en coton est pour les femmes dans le vent qui savent ce qu’elles veulent.

Que Bouddha ait pitié de son âme !

Elle dévoila le premier panneau de la maquette. Il montrait une jeune femme, coiffée à la Dorothy Hamill, se tenant à un tramway de San Francisco. Le texte disait : « Sous mes vêtements, j’aime me sentir Adorable. »

Mona maniait un bâton en bois.

— Remarquez que nous ne mentionnons pas l’entre-jambes dans le slogan principal.

— Mmm, fit le client.

— Bien sûr, l’idée est bien présente. Hygiénique. Sûr. Pratique. Tout ça sans le dire ouvertement. L’effet est subtil, discret, subliminal.

— Ce n’est pas assez clair, lança le client.

— L’entre-jambes vient plus tard… ici en bas, au quatrième paragraphe. Nous ne voulons pas assommer les gens avec l’entre-jambes.

Assommer les gens avec l’entre-jambes ? Dites-moi que je rêve.

Le client grommela :

— Nous ne vendons pas de la subtilité, mon chou.

— Ah ? Et je peux savoir ce que nous vendons… mon chou ?

Beauchamp serra le bras de Mona.

— Mona… Nous pourrions peut-être déplacer l’entre-jambes au premier paragraphe, M. Siegel…

— Cela n’a pas l’air de plaire à la jeune fille.

— Femme, M. Siegel. Jeune femme. Veuillez ne pas m’appeler fille. À moi, il ne me viendrait certainement pas à l’esprit de vous appeler un gentleman.

Beauchamp devint écarlate.

— Mona, ça suffit… M. Siegel, je pense pouvoir me charger de ces modifications moi-même. Mona, j’ai à te parler.

— Épargne-moi tes petits airs condescendants, pauvre con ! Moi au moins, je ne suis pas mariée à mon boulot.

— Tu dépasses les bornes, Mona.

— Dieu merci ! Qui pourrait rester dans les bornes avec ce gros sexiste, ce capitaliste, ce sac à…

— Mona !

— Vous voulez de l’entre-jambes, M. Siegel. C’est ça ? Je vais vous en donner de l’entre-jambes. Entre-jambes, entre-jambes, entre-jambes, entre-jambes, entre-jambes, entre-jambes…

Elle se précipita vers la porte, s’arrêta, et fit demi-tour pour confronter Beauchamp.

— Ton karma est vraiment merdique !

 

Le soir même, elle annonça la nouvelle à Michael.

— Qu’est-ce que tu vas faire ?

Elle haussa les épaules.

— J’en sais rien. M’inscrire au chômage. Devenir membre d’une communauté de femmes. Faire mes courses au discount. Arrêter la coke. Je m’en sortirai.

— Peut-être qu’Halcyon serait prêt à te reprendre si tu…

— Arrête, tu veux ? C’était mon heure de gloire. Pour rien au monde je ne voudrais me rétracter.

— Peut-être que je pourrais reprendre mon ancien boulot.

— On y arrivera, Mouse. Je peux bosser en free-lance. Mme Madrigal comprendra.

Michael s’assit par terre, ôta ses chaussures à Mona, et se mit à lui masser les pieds.

— Elle est folle de toi, hein ?

— Qui ? Mme Madrigal ?

— Oui.

— Ouais… Je crois bien.

— Ça se voit. Tu lui as déjà dit que tu t’es fait renvoyer ?

— Non… Je suppose qu’il va falloir que je le fasse.