La glacière


Tandis qu’il glissait la petite clé dans la serrure du panneau de commande de l’ascenseur, Burke avait les mains qui tremblaient. Mary Ann se pencha par-dessus son épaule :

— Burke, force un peu…

— C’est ce que je fais !

Ça n’entrait qu’à moitié.

— Essaie dans l’autre sens, alors.

Burke retira la clé et réessaya. Cette fois, elle pénétra sans peine. Mary Ann laissa échapper un petit cri de victoire. Burke se retourna et lui fit un sourire admiratif.

— On peut aller au « 2 » ou au « 3 », dit-il. Lequel on choisit ?

Sans savoir pourquoi, Mary Ann opta pour le « 3 ».

Burke poussa le bouton et l’ascenseur se mit lentement en branle.

L’exaltation de Mary Ann s’évanouit et laissa de nouveau la place à une terreur sournoise.

— Qu’est-ce qu’on va faire s’il est là-haut, Burke ? L’homme aux implants.

— On fera ceux qui ne sont pas au courant, dit Burke.

— Ouais. Et on n’est même pas sûr qu’il ait pris l’ascenseur.

— Il l’a pris, dit-il avec un sourire qui terrifia Mary Ann.

— Mais pourquoi quelqu’un qui chante simplement dans le chœur aurait-il la clé de cet ascenseur ?

— Manifestement pour la même raison que moi j’en avais une, lâcha Burke.

L’ascenseur s’arrêta avec une petite secousse. La porte s’ouvrit sur un hall de la grandeur du salon de Mary Ann. Il n’y avait pas de fenêtre. Un tube au néon clignotant, accroché au mur d’en face, projetait une lumière verdâtre sur les missels et les livres de messe empilés dans la pièce.

La seule issue était un escalier métallique en colimaçon.

Qui montait.

Mary Ann frissonna et recula dans l’ascenseur.

— Burke… Essayons le « 2 ».

Il secoua la tête.

— C’est ça.

— C’est ça quoi ?

— Je ne sais pas. Ça me paraît simplement être l’endroit.

— Cette pièce ?

— Non, dit-il en désignant l’escalier en colimaçon. Là-haut.

— Oh, mon Dieu, Burke ! Tu es sûr qu’il le faut ?

Il répondit d’un air décidé, mais d’une petite voix qui semblait hésitante :

— Je le dois.

— Peut-être qu’on pourrait revenir plus tard…

— Non. Je risque de ne plus en avoir le courage.

— Mais si jamais l’homme aux implants est là-haut ?

Burke se détourna :

— Il a eu le temps de descendre, affirma-t-il.

— Mais si… ?

— Je monte, Mary Ann. Toi, fais ce que tu veux. Tu m’as déjà assez aidé comme ça.

 

Burke passa le premier. Mary Ann le suivait de si près que le bas de sa veste en velours lui frôlait le visage. Une fois le plafond franchi, ils débouchèrent sur un endroit plus sombre. Nettement plus sombre. Mary Ann tira sur la veste de Burke.

— On n’y voit rien, Burke.

— Ne t’inquiète pas, chuchota-t-il. Tes yeux vont finir par s’y habituer.

L’escalier continuait vers le haut. Sept mètres environ au-dessus de la pièce où étaient stockés les missels, ils atteignirent une sorte de palier.

— Ça ne va pas plus haut, dit Burke.

— Oh, mon Dieu, on ferait mieux de…

— Attends. (Elle l’entendit tâtonner dans l’obscurité.) Je crois qu’il y a une porte, là.

Soudain, la porte s’ouvrit en grand sur une lumière qui les aveugla momentanément. Ils se recroquevillèrent tous deux en voyant ce qu’ils avaient devant eux. Une passerelle en métal qui partait en direction de l’autel. À au moins trente mètres au-dessus du sol de la cathédrale.

 

— Je ne peux pas ! dit Mary Ann, sans que Burke lui eût rien demandé.

— Si moi je peux, tu peux. Écoute, il y a une rambarde. Tu ne peux absolument pas tomber.

— Ce n’est pas la question… (Le mot « rambarde » eut sur elle l’effet d’une illumination.) Burke ! Une passerelle avec une rambarde ! C’est l’endroit de ton rêve !

— Je répète, dit-il d’un ton morne. Si moi je peux, tu peux.

Il lui prit la main et la précéda sur la passerelle. Mary Ann regarda sa montre. La messe allait commencer dans douze minutes. Huit étages plus bas, les fidèles lui apparaissaient sous forme d’amas de taches de couleur que la distance réduisait aux teintes primaires : rouge, jaune et bleue. On aurait dit un vitrail humain.

Ils parcoururent une quarantaine de mètres jusqu’au moment où ils se trouvèrent juste au-dessus du transept de la cathédrale. À cet endroit, reflétant la structure même du bâtiment, une autre passerelle croisait celle sur laquelle ils marchaient.

Et là, trônait une glacière en polystyrène.

Mary Ann regarda derrière elle, puis à gauche et à droite sur la seconde passerelle. L’homme aux implants n’était nulle part en vue. Burke était resté pétrifié, les yeux fixés sur la glacière. La nuance crayeuse qu’avait prise son visage incita Mary Ann à rassembler tout son courage.

— Burke, c’est ça, le Croisement des Lignes ?

Il hocha la tête en signe d’acquiescement.

Elle s’approcha de la glacière :

— Tu veux que je l’ouvre ?

— S’il te plaît, dit-il d’une voix faible.

Elle souleva le couvercle. Une épaisse fumée blanche vint lécher les rebords du récipient. Non. Pas de la fumée. De la neige carbonique. Elle s’agenouilla près de la glacière et souffla à la surface du nuage qui se dissipa.

Ce qu’elle vit était d’un violet pâle, presque mauve. Une fine frange de poils courait sur le dessus. C’était noir d’un côté, celui où on avait tranché, et les ongles étaient d’une horrible couleur jaunâtre. Mais c’était indéniablement un pied humain.

Mary Ann laissa tomber le couvercle, bondit sur ses pieds et se réfugia dans les bras de Burke. Elle essaya de crier, au lieu de quoi elle vomit en s’éloignant de lui juste à temps pour se pencher par-dessus la rambarde.

En bas, les gens eurent du mal à se rendre à l’évidence : ce qui leur était tombé dessus, c’était bien ça !