Le visiteur de Michael


Michael faisait son lit quand la sonnette retentit. Il accéléra la cadence, et rit de se voir faire. Il ne faisait pas son lit pour lui-même. Il le faisait pour les autres… ou dans l’attente des autres.

La même raison, en fait, qui le poussait à garder les toilettes propres et une brosse à dents neuve dans le cabinet de la salle de bains. On ne sait jamais quand exactement on devra auditionner pour le rôle de bonne ménagère.

Il ouvrit la porte à la deuxième sonnerie, préparé à servir une fois de plus d’oreille attentive à Mary Ann.

— Brian !

— Je… ne t’interromps pas dans quelque chose ?

— À vrai dire, Casey Donovan est en train de se languir dans mon boudoir.

— Ah, je suis…

— Je plaisante, Brian. Excuse-moi, c’est un peu ésotérique. Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?

— Euh, rien… Je… il me reste un peu de Maui Wowie. J’ai pensé que ça te dirait de fumer un pétard et de… entrer en relation pendant un moment.

Quelle expression pittoresque, pensa Michael. « Entrer en relation. » Les hétéros ne sont toujours pas remis de la période hippie !

 

L’herbe fit rapidement son effet.

— Mince, dit Michael. Combien ça coûte, ce truc ?

— Deux cents pour tout ça.

— Tu charries !

— Je te jure.

— Je ne sens plus mes dents.

— Pour ce qu’elles te servent !…

Michael pouffa de rire :

— Tu l’as dit ! Ce truc vient de la région ?

— Non. Los Angeles.

— Sacrée Lah !

— Hein ?

— Lah. L, A… tu piges ?

— Ah… ouais.

— L.A. devient Lah. S.F., Sif.

— Putain !

Ils éclatèrent de rire.

— Merde, Brian, encore une bouffée et je verrai Dieu.

— Trop tard. Il a déménagé à Lah.

— Dieu est à Lah ?

— À qui tu crois que je l’ai acheté ?

 

— Parfois, dit Brian, j’ai le sentiment que notre vieux rêve de la Nouvelle Moralité est passé. Tu vois ce que je veux dire ?

— Plus ou moins.

— Enfin… Je veux dire… Qu’est-ce qu’il en reste ? Tu vois ?

— Ouais.

— Des mecs et des nanas, des nanas et des nanas, des mecs et des mecs.

— Exactement.

— Mais maintenant… tu vois… c’est le retour du pendule.

— Ouais… le putain de pendule.

— Tu sais, Michael… je crois que… je crois que tout ça va se terminer, mon vieux.

— Quoi ?

— Tout ça.

— Sodome et Gomorrhe, hein ?

— Peut-être pas aussi… dramatique, mais quelque chose comme ça. On sera… enfin je veux dire, des gens comme toi et moi… on sera de vieux libertins de cinquante ans dans un monde rempli de calvinistes de vingt ans.

Michael grimaça :

— La passion dans les têtes… mais nulle part ailleurs ! dit-il.

— Ouais… Est-ce que tu bandes ?

Le cœur de Michael cessa de battre.

— Euh…

— Moi, l’herbe, ça me fait toujours bander.

— Ouais… je connais ça.

— Pourquoi est-ce qu’on… ne règle pas ça tout de suite ?

 

La pièce était tellement silencieuse que Michael pouvait entendre les poils de Brian pousser sur sa poitrine.

— Brian… C’est plutôt… compliqué, non ?

— Pourquoi ?

— Pourquoi ? répéta Michael. Eh bien, je… Toi et moi, on n’est pas vraiment du même bord.

— Et alors ? Il doit bien y avoir un endroit dans cette putain de ville où on trouve des gonzesses hétéros et des mecs homos ?

— Tu veux qu’on aille… draguer ensemble ?

— Plutôt excitant comme perspective, non ?

Michael le regarda pendant plusieurs secondes, avant de laisser un sourire se dessiner lentement sur ses lèvres.

— T’es vraiment sérieux ?

— Et comment !

— C’est complètement pervers.

— Je savais que ça te brancherait.

— Peut-être qu’on pourrait faire rompre un couple, dit Michael en prenant ses airs de Pan.