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En surface, il y a quelque chose non seulement de don-quichottesque, mais de paradoxal dans « la part de chance ». On est toujours disposé à croire qu'Un Tel a mérité que la chance lui sourie, ou bien qu'il a tiré le meilleur parti des bonnes fortunes qui se présentaient à lui. Quant à moi, j'en suis venu à croire que si l'on est réceptif, si l'on garde le cœur et l'esprit ouverts — si l'on a confiance, si l'on a la foi en d'autres termes — les désirs, les prières se réalisent. Par prières, je n'entends pas cette attitude qui consiste à demander, à espérer, à supplier le ciel que ce que l'on désire arrive ; prier, pour moi, c'est vivre une idée, sans la formuler. Bref, se dire de tout son être que, quelle que soit la situation où nous nous trouvons, nous devons la considérer comme un bienfait et comme un privilège aussi bien que comme une épreuve.

Jusqu'à un certain point je crois que j'ai connu, dans ma vie, plus de hauts et de bas que le commun des mortels. Vers l'époque où je m'installai Villa Seurat (1934), je commençai à me rendre compte que les secousses sismiques diminuaient de fréquence. Un rythme et un ordre définitifs commençaient à s'établir, quoique ma vie fût, en apparence, toujours aussi chaotique et désordonnée. Le sentiment que ma vie reposait sur une certaine trame, qui avait un sens, me vint de façon très curieuse. Peu de temps après mon arrivée Villa Seurat, je me mis à noter mes rêves. Et non seulement les rêves, mais les associations que le fait même de les transcrire me suggéraient. Je fis cela pendant plusieurs mois et, tout à coup, je commençai à voir. À « voir soudain » comme dit Saroyan quelque part. Une expression chargée de sens, pour quiconque en a fait l'expérience. Une expression qui ne signifie qu'une chose : voir avec des yeux neufs.

Vers cette même époque, à travers un enchaînement de faits, de « rencontres inattendues », de lectures de certains livres — des livres qu'on me jetait sur les genoux pour ainsi dire — les choses commencèrent à « prendre » comme on dit d'une confiture, d'une gelée, qu'elle prend. Je commençai à prendre de plus en plus clairement conscience d'un curieux phénomène, qui jusque-là avait brillé par son absence : la réalisation de mes rêves, l'un après l'autre. Je me mis alors à adopter une attitude prudente devant mes désirs et mes souhaits, car j'avais compris que nous désirons, le plus souvent, des choses futiles, voire dangereuses. C'est là, comme le savent tous ceux qui en ont fait l'expérience, que se présentent de subtiles tentations.

Le voyage en Grèce (1939-1940), à la suite de mon amitié inattendue avec Lawrence Durrell, me confirma la chose. Ce fut une triple « rupture », car ce n'était pas seulement un coup de chance — ce qui pouvait m'arriver de mieux à cette époque — mais c'était aussi l'occasion de rompre avec une existence qui était déjà arrivée à son terme Villa Seurat. Et plus que tout cela, il y a le fait que cette aventure grecque m'ouvrit les yeux : à partir de cette période, j'ai vu le monde sous un autre jour. Même mon expulsion de Grèce, en raison de la guerre, fut un bienfait que je n'eus pas la sagesse de comprendre sur le moment. Enfin la redécouverte de l'Amérique1, dont je ne vis, tout d'abord, que le côté futile et désagréable, m'amena à la découverte de Big Sur.

Et c'est à partir de là (Big Sur) que les choses commencèrent à arriver pour de bon. Si je n'ai pas réussi à trouver « la paix et la solitude » que j'espérais y trouver, j'ai découvert d'autres choses qui ont largement compensé ma déception. Une fois de plus, je peux dire que j'avais trouvé ce que j'avais besoin de trouver, que j'avais passé par où il fallait que je passe.

De toutes les expériences fructueuses que j'ai faites, depuis que j'ai jeté l'ancre à Big Sur, la découverte de certains livres a peut-être plus d'importance encore — je m'en aperçois avec le recul des années — que les « coïncidences », « rencontres fortuites » et autres faits « imprévisibles ». Sur mes « rencontres » avec ces livres, j'espère pouvoir en dire plus un jour2.

Par où commencer dans cette toile qui s'étend dans toutes les directions — verticalement aussi bien qu'horizontalement — et qui, apparemment, est sans limites ? La première chose dont il faut se pénétrer quand on commence à examiner ce mystère que constitue la « chance » est le fait, et il est prodigieux, qu'il n'y a ni commencement ni fin. Tout est intimement lié et d'une seule pièce. Quand nous séparons les morceaux, comme un puzzle, le bon et le mauvais semblent également « la part du hasard ». Les vétilles surtout prennent une importance disproportionnée par rapport à l'ensemble. Tout tombe en miettes et à un point qui rend dérisoires toutes les vaines prétentions de l'ego. Quand je parlais de rythme et d'ordre, il y a un instant, j'entendais par là une harmonisation de l'intérieur et de l'extérieur, ou : « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ». Si je consultais les étoiles, ce n'était pas pour savoir ce qui allait m'arriver le lendemain, mais pour avoir une confirmation de ce qui avait lieu sur le moment.

Tiens-toi tranquille et regarde tourner le monde !

Oui, mais comme un funambule sur la corde raide, pas comme une limace. Marcher lentement, les yeux en avant. Manquer de près ou de loin, c'est toujours manquer. Ce côté-ci du Paradis et ce côté-là du Paradis. Une chose en vaut une autre. Vigilant et détendu ; vide et bien éveillé. Au pas, mais pas en uniforme. Le revolver toujours à portée de la main, mais chargé de cartouches à blanc. Et faire attention aux épines, aux ronces, aux orties et aux chardons. Aux armes ! quand le clairon sonne, mais pas l'index sur la gâchette.

Ne priez jamais pour obtenir de l'argent ! Si vous envoyez un S. O. S., demandez du poulet. Sinon vous serez cruellement déçus. Ne pensez pas à l'argent pour lui-même, mais seulement à ce qu'il peut vous permettre d'acheter. Faites votre marché et ensuite allumez votre pipe avec un billet de mille s'il vous en reste un. Et rappelez-vous ceci : si vous ne pouvez pas gagner d'argent, faites-vous des amis. Pas trop cependant, parce que vous n'avez besoin que d'un seul ami, mais un vrai, pour vous défendre contre les coups de l'outrageuse fortune.

J'ai dit au début de ce pot-pourri qu'il a commencé comme une hémorragie, avec Cingria. Et qui m'a mis Cingria sous le nez ? Gerald Robitaille du 19e arrondissement. Répondez à cela : comment Gerald Robitaille savait-il que j'avais besoin, pour mettre mon manège en branle, d'un numéro de la Nouvelle Revue Française avec sa « couronne3 » sur la tombe du pauvre et bien-aimé Charles-Albert Cingria ? Et qui aurait pu prévoir que le souvenir d'une seule soirée passée en compagnie dudit Charles-Albert aurait galvanisé ces sept dernières années de ma vie ?

What is Hecuba to me or I to Hecuba4 ?

Un pot-pourri, n'est-ce pas ? Oui, ou un contrepoint. Atout cœur. Qu'on gagne ou perde, c'est toujours la même belote à deux.

Depuis que j'ai commencé à écrire, j'ai été obligé à maintes reprises d'envoyer des lettres pour demander de l'aide. Les intervalles entre ces cris de détresse sont devenus de plus en plus grands, « heureusement5 ». Depuis quelque temps — sept ou huit ans — j'ai remarqué un phénomène étrange et intéressant. Je n'ai pas plutôt mis mon paquet de lettres à la poste qu'un chèque m'arrive et toute l'affaire me paraît alors ridicule. Non pas un chèque en réponse à mon appel, notez-le bien, mais un chèque tombé du ciel. Le plus souvent c'est une dette sur laquelle j'avais déjà tiré un trait et qu'on me rembourse, ou bien il s'agit d'un règlement de droits d'auteur que j'avais complètement oubliés.

« Si seulement j'avais eu la patience d'attendre un peu ! me dis-je. À moins que, en passant à l'action, j'aie donné au destin un petit coup de pouce dans la bonne direction ? »

Le plus étrange, c'est qu'il se révèle que le plus important n'est pas l'argent mais la découverte d'un ami que j'ignorais. Oui, il est bon de lancer un appel, même si au dernier moment il ne s'avère plus nécessaire. Pourquoi ? Parce que, outre le fait de se découvrir de nouveaux amis, ceux qui vous envoient leur obole, vous apprenez ce que vous avez toujours su : que ce sont généralement les riches qui sont les derniers à répondre. Ma dernière expérience en la matière, assez décourageante, m'a révélé que les quatre personnes (sur une liste de cent) qui ne m'ont pas répondu, même pas par un « Non, merci ! », étaient les quatre plus riches de ma liste. L'aide qu'un seul de ces quatre-là aurait pu m'apporter, sans même battre un cil... Mais bah, à quoi bon remuer tout cela ? Le plus triste, le plus amusant, c'est que les quatre membres de ce quatuor se considèrent tous comme de grands amis à moi. L'un d'eux me donne toujours une bonne claque dans le dos quand nous nous rencontrons et, avec un grand sourire épanoui, il me dit : « Henry, tu es un saint ! » Il faudra que je lui demande un jour ce qu'il entend par là, s'il est heureux que je ne me jette pas sur lui ou s'il pense qu'un saint peut vivre de l'air du temps.

Quand je levai l'ancre pour la Grèce, je confiai à un ami une malle contenant des carnets et des manuscrits que je tenais pour précieux. La guerre éclata, je perdis contact avec mon ami et je me résignai bientôt à l'idée que ma malle était fichue. Au bout de quelques années, j'oubliai même complètement l'existence de cette malle. Puis, peu de temps après que je me sois installé à Partington Ridge, je reçus un mot d'un officier de la marine marchande m'informant qu'il tenait deux malles à ma disposition. Il ajoutait qu'il se comptait au nombre de mes lecteurs et qu'il était heureux de me rendre ce service — pas de frais de transport.

Quand les malles arrivèrent, je constatai, à ma grande surprise, qu'une des deux malles appartenait à l'homme que j'appelle Fillmore dans Tropique du Cancer. (Ceux qui connaissent l'histoire se rappelleront comment je l'ai expédié en Amérique, « sans chapeau ni bagages6 ».) À son retour, Fillmore, qui était avocat et « bohème » passa deux ans à rendre fou les employés de la douane et des chemins de fer (à la gare Saint-Lazare où il avait laissé sa malle « en consigne7 »). Je crois même qu'il a adressé une lettre de protestation au président de la République. Et maintenant la fameuse malle était là, intacte. Je l'ouvris par curiosité : elle ne contenait que des livres de droit, des albums de famille et des souvenirs du temps où il était à Yale. J'ouvris l'autre, la mienne, et je vis qu'on n'avait touché à rien. Tout ce que j'y avais mis était là, et en bon état. Il y avait même le volumineux manuscrit original de Tropique du Cancer, un article qui vaudra une fortune un jour.

Où avaient donc passé ces malles pendant tout ce temps ? Et qui me les avait envoyées ? Un « déménageur8 » de la banlieue parisienne, un homme que je n'avais rencontré que deux fois dans ma vie, et avec qui j'avais à peine échangé quatre ou cinq paroles. Quand je lui écrivis pour le remercier, je lui demandai ce qu'il aimerait que je lui envoie en échange du précieux service qu'il m'avait rendu. Je laissais clairement entendre que ces papiers que j'avais retrouvés avaient pour moi une valeur inestimable. Il me répondit : « Rien ! Rien du tout ! J'ai eu grand plaisir à vous rendre service. » Je lui récrivis, plusieurs fois même, dans l'espoir qu'il finirait par me demander, sinon de l'argent, du moins quelque chose dont lui et sa famille pourraient avoir besoin. (Les Français manquaient d'un tas de choses à cette époque.) Mais non, il ne voulait rien. Dans sa dernière réponse, il se décida à me prier d'avoir la bonté de lui envoyer un de mes livres dédicacé — rien d'autre. Au cours de cette correspondance, j'appris que les valises lui avaient été confiées lorsque mon ami avait quitté la France à la déclaration de la guerre. Mais comment cet homme si émouvant et si honnête réussit-il à dénicher mon adresse, mystère. Et comment la malle de Fillmore et la mienne prirent-elles le chemin de la cave du bon Marius Battedou, autre mystère.

La malle aurait pu contenir les manuscrits de la mer Morte, je suis persuadé que ce brave homme aurait fait la même réponse.

« Voilà un chic type9 ! »

L'argent... et comment il vous tombe du ciel ! Les premiers mois de mon séjour à Partington Ridge, je caressai l'idée d'aller au Mexique pour terminer The Air-conditioned Nightmare. Je rédigeai une « demande de fonds » — je spécifiai qu'il me fallait tenir le coup un an — et je priai Frances Steloff, de la Librairie Gotham, à New York, de l'insérer à son tableau d'affichage. Mais je ne me faisais guère d'illusions sur les résultats de cet appel. Il était tourné dans un style plutôt désinvolte, peut-être parce qu'au fond de moi, je n'avais pas vraiment envie d'aller au Mexique. Ce dont j'avais surtout besoin, c'était d'un peu d'argent liquide.

Quelques semaines plus tard, je reçus une lettre, portant le timbre de New York, contenant un chèque de deux cent cinquante dollars. L'expéditeur, qui signait Harry Koverr, me laissait entendre qu'il désirait ne pas révéler son identité. Il me promit de m'envoyer une petite somme tous les mois pendant un an. Il ajoutait qu'il avait lu tous mes livres, du moins tous ceux qu'il avait pu se procurer, et m'assurait que je pouvais le compter au nombre de mes fervents admirateurs. C'était une lettre étrange, rédigée en un parfait anglais, mais avec une nuance étrangère qui excita ma curiosité. Néanmoins je ne cherchai pas à percer l'identité du personnage. (Il ne faut pas tuer la poule aux œufs d'or !)

Les mensualités arrivèrent régulièrement, comme il l'avait promis. Entre-temps, une jeune femme avec qui j'étais en correspondance depuis quelque temps vint habiter avec moi, Elle était danseuse, et qu'il pleuve ou qu'il vente elle faisait ses exercices tous les jours. Si j'allais faire un tour en forêt, il n'était pas rare que je la rencontre, vêtue d'un collant, en train de se balancer à une branche, d'un bras sur l'autre comme un chimpanzé. Cela faisait sans doute partie de son entraînement...

Un jour que nous remontions, chargés de victuailles et du courrier, une voiture s'arrêta derrière nous et le conducteur passa la tête par la portière pour me demander si j'étais bien Henry Miller.

— Je suis Harry Koverr, dit-il.

Je le regardai sans faire tout d'abord le rapprochement avec mon bienfaiteur.

— C'est moi qui vous envoie ces chèques. Vous ne reconnaissez donc pas un ami ?

Pendant un moment je fus trop embarrassé pour répondre. Je rougis jusqu'aux oreilles. Et puis le déclic se produisit.

— Haricot Vert10 ! m'écriai-je. C'est donc cela ?

L'idée de ce jeu de mot ne m'avait pas un seul instant effleuré l'esprit jusque-là.

— Ainsi, vous êtes français ?

— Pas exactement, répondit-il. Je suis suisse. Ou plutôt, je suis né en Suisse.

Et il me donna alors son vrai nom.

Quand nous eûmes gagné la cabane et déchargé les provisions et les bouteilles de vin qu'il avait apportées, je lui demandai, le plus discrètement que je pus, ce qui l'amenait à Big Sur. Sa réponse m'amusa :

— Je voulais voir comment vous vivez.

Puis il se mit à inspecter rapidement la cabane (qui appartenait à Keith Evans), écrasa son nez contre la grande baie vitrée qui fait face à la mer, fit quelques pas dehors pour regarder les collines qui étaient toutes dorées, puis, poussant un soupir, s'écria :

— Je comprends, maintenant, pourquoi vous n'êtes pas parti pour le Mexique. C'est le Paradis ici.

Nous goûtâmes le Pernod qu'il avait apporté et bientôt nous commençâmes à échanger des confidences. Je fus surpris d'apprendre qu'il n'était pas ce qu'on appelle un homme riche, bien qu'il gagnât confortablement sa vie comme agent d'assurances. Mais ses parents, qui étaient fortunés, l'avaient encouragé à mener joyeuse vie dans sa jeunesse, et il avait passé presque toutes ses années de bohème à l'étranger, en France principalement.

— Je n'ai pas pu m'empêcher de vous aider, me dit-il, parce que j'ai toujours eu envie d'être écrivain moi aussi. Mais je n'ai pas autant d'estomac que vous, ajouta-t-il vivement. Crever de faim n'est pas mon fort.

Et à mesure qu'il continuait à me raconter sa vie, je m'apercevais que sa situation présente n'avait rien d'enviable. Il avait fait un mariage désastreux, vivait au-dessus de ses moyens, et son métier ne l'intéressait pas du tout. Je commençais à soupçonner qu'il était venu pour me dire qu'il ne pourrait pas continuer à me verser la rente promise. Mais je me trompais.

— Ce que j'aimerais vraiment, me dit-il brusquement, ce serait « faire un bout de chemin » avec vous.

Je ne m'attendais pas à une telle déclaration. Je crois bien que j'ai dû faire la grimace.

— Je veux dire, poursuivit-il, que vous êtes la seule personne de ma connaissance qui ait l'air de savoir à quel point il a de la chance. Quant à moi, je n'y vois plus clair.

Il ne resta que quelques heures. Nous nous quittâmes les meilleurs amis du monde.

Les chèques continuèrent à arriver pendant quelques mois, puis plus rien. Silence de mort. J'en vins à me dire qu'il s'était peut-être suicidé. (C'était tout à fait le type à faire ça.) Quand j'eus de nouveau de ses nouvelles, une année s'était écoulée. C'est une lettre pathétique, désespérée, qu'il m'écrivit. Lui, l'insouciant bienfaiteur, me demandait de lui envoyer une somme importante et de le rembourser entièrement le plus tôt que je pourrais.

Pour une fois, je tins ma promesse. Je lui expédiai aussitôt une somme rondelette, et en l'espace de quelques semaines, j'avais éteint ma dette.

Après le dernier versement, il m'écrivit une longue lettre passionnée, une lettre qui, je dois le dire, m'exaspéra un peu. Qui se résumait à ceci : il n'arrivait pas à croire ce qui était arrivé. Il m'avoua qu'il ne croyait pas que j'aurais pu m'en tirer, et définitivement, et en si peu de temps. « Pas très flatteur », me dis-je, et je me mis à relire la lettre. Je tombai sur un passage qui me fit écarquiller les yeux. C'était à l'endroit où il m'expliquait que ce n'était que depuis qu'il avait tout perdu qu'il avait commencé à comprendre le point de vue de ses semblables. Quand il avait besoin d'aide, il s'était tout naturellement tourné vers ses amis, et en particulier vers ceux qu'il avait secourus quand ils étaient dans le besoin. Et ils s'étaient tous défilés. Tous. Ce n'est que poussé par le désespoir qu'il se résolut à m'écrire, à moi. Et je lui avais répondu, et j'étais venu à son aide ! Il n'en revenait pas. Il ne savait comment me remercier — et il me bénissait.

Je mis la lettre de côté pour la ruminer un peu, puis je remarquai un post-sciptum qu'il avait griffonné au bas de la dernière page. Il disait que maintenant qu'il avait touché le fond, il allait y rester... et qu'il allait se mettre à écrire. Puisque je pouvais le faire, il le pourrait aussi. Il n'avait plus rien à faire dans le monde, et il ne désirait plus gagner de l'argent. En dépit des malheurs qui lui avaient fondu dessus, il était heureux que les choses aient pris cette tournure. De toute façon, je lui avais rendu la foi en l'humanité. Il devait maintenant prouver à son tour qu'il était un homme...

Je ne puis dire que je me sentis flatté en lisant ces lignes. Et je doute qu'il devienne du jour au lendemain un écrivain. Non, mais ce que je trouvai intéressant, ce qui répondait exactement à mon sentiment d'alors, c'était le fait qu'une réponse ne lui était venue que lorsqu'il était arrivé au bout de son rouleau, et lorsqu'il avait sonné à la dernière porte de toutes. Et cela fait maintenant des années et des années que je sais, et que j'agis en fonction de cette certitude : lorsque vous êtes vraiment au fond du désespoir, c'est vers le dernier de vos semblables que vous devez vous tourner. Vous devez vous adresser à celui qui vous paraît le moins propre à avoir ce dont vous avez besoin. Si nous comprenions ce que nous faisons en agissant ainsi, nous saurions que nous nous prenons pour des magiciens. C'est l'homme sans ressources qui possède le plus de ressources. Ou devrais-je dire : qui possède les vraies ressources ? Cet homme-là n'a pas peur qu'on lui demande quelque chose d'inattendu. La détresse où vous vous trouvez n'est pas pour épouvanter cet homme-là. Pour lui, c'est une occasion de se réjouir, car il lui sera maintenant possible de prouver ce que c'est qu'un ami. Il se conduit comme si on lui avait octroyé un privilège. Il se jette littéralement sur l'occasion.

— Vous dites cent dollars ? (Une somme fabuleuse pour un homme qui n'a même pas un pot de chambre pour pisser.) (Il se gratte la tête.) Laissez-moi réfléchir un moment !

Il réfléchit, puis un sourire illumine son visage. Euréka ! Et il écarte le problème d'un geste de la main, comme pour dire : « Cent seulement ? Je pensais que vous alliez dire mille au moins ! »

Là-dessus, il vous donne quelque chose à manger, vous glisse quelques pièces dans la poche et vous dit de rentrer chez vous et de ne pas bouger.

— Vous les aurez demain matin. Ta-ta !

Pendant la nuit... mais il faut que je dise ça en français, cela sonne plus vrai... « le miracle se produit11 ».

Maintenant, il s'agit d'agir avec délicatesse ! Se retenir de demander d'où vient l'argent, comment est-ce arrivé, quand devrez-vous le rendre, etc. Prenez l'argent, bénissez le Seigneur, embrassez votre ami qui a accompli le miracle, versez une larme ou deux, et filez !

Voilà une ordonnance homéopathique pour laquelle vous n'aurez rien à payer...

L'argent n'est pas tout... Le jour où Raoul Bertrand s'est amené, est à marquer d'une pierre blanche dans ma vie. Non pas parce qu'il a ouvert la porte à ma « chance » chancelante, encore que ce fût déjà une performance sensationnelle, non pas parce qu'il mettait un point d'honneur à m'amener des amis que j'étais heureux de revoir ainsi que des victuailles rares que sa vieille cuisinière française préparait spécialement pour ces occasions, non pas parce qu'il me tenait des propos qui me touchaient et dans une langue que j'aime entendre, mais parce qu'il est un de ces individus rares qui savent créer l'ambiance adéquate, une ambiance où tout fleurit, bourgeonne et verdit et où rien ne se fane. Toutes les fois qu'il arrive, ce cher Raoul Bertrand, quelque chose se met à chanter tout au fond de moi. Il semble un exemple vivant de tout ce que j'ai appris à apprécier dans la manière de vivre des Français ; il ressuscite comme par un coup de baguette magique tout ce que j'ai chéri pendant mes dix ans passés en France. Peu importe que nous commencions à parler des courses cyclistes au Vel-d'Hiv', du cimetière de chiens à Saint-Ouen, des derniers jours de Napoléon à Sainte-Hélène, des mystères de la langue basque ou de la tragique histoire des Albigeois... c'est toujours un voyage symphonique qui nous conduit au cœur même de la France.

Je crois que c'est par l'intermédiaire de Raoul Bertrand que M. Carmoy, de l'Office des Changes à Paris, vint un jour me rendre visite. Ce sont ses services qui se chargent de faire parvenir aux auteurs étrangers leurs droits acquis en France. La visite de M. Carmoy, quoique purement officieuse, me fit grosse impression : j'avais le sentiment de recevoir le gouvernement en personne. En partant, ce gracieux émissaire de la République française me tendit sa carte et me dit que si j'avais la moindre difficulté pour toucher mes droits d'auteur, je n'avais qu'à m'adresser à lui. Pour un peu, il me laissait entendre qu'il se ferait un plaisir de sauter dans un avion et de m'apporter l'argent lui-même.

Quelques mois plus tard, j'eus l'occasion de le prendre au mot. La réponse fut immédiate, presque électrique.

« Merci encore, une fois, cher monsieur Carmoy12 ! »

Mais revenons à Raoul Bertrand. Le jour où il vint me rendre visite pour la première fois, il était accompagné d'un journaliste français que j'avais connu à la Villa Seurat. Presque encore un enfant à l'époque, il était maintenant correspondant d'un grand journal parisien. Au moment de partir, le journaliste, qui prenait l'avion pour Paris le lendemain ou le surlendemain, me demanda s'il pouvait faire quelque chose pour moi là-bas. Sans une seconde d'hésitation, je dis : « Oui. » Cela venait de me traverser l'esprit comme un éclair. Cela avait un rapport avec ce nid où les œufs commencent à pourrir, cette « chance » qui était devenue une plaisanterie. Cela se formulait par une question — Les frères Pachoutinsky : Eugène, Anatole et Léon, qu'étaient-ils devenus ? Avaient-ils survécu à la guerre ? Étaient-ils dans le besoin ? Tout cela était un gros point d'interrogation dans mon esprit. L'autre idée, qui était un corollaire, était très simple : pourquoi ne pas leur donner la clé de voûte?

— Tenez, lui dis-je, il y a un petit service que vous pourriez me rendre. Mettez une annonce dans quelques journaux de Paris disant que Henry Miller, l'auteur de Tropique du Cancer, aimerait retrouver la trace de ses amis, les frères Pachoutinsky. Et faites-la passer jusqu'à ce qu'il y ait une réponse.

Je lui expliquai ensuite ce que ces trois frères avaient représenté pour moi à une époque, ce qu'ils avaient fait pour moi quand je me trouvais dans une mauvaise passe.

Moins d'un mois plus tard, je reçus une lettre par avion d'Eugène, avec qui j'avais été le plus intime ; il me disait qu'ils étaient tous les trois bien vivants, qu'ils étaient en bonne forme et n'avaient besoin de rien. Quant à lui, tout ce qu'il demandait, c'était que le gouvernement — toujours ce sacré gouvernement ! — lui accordât la pension à laquelle il avait droit pour ses services durant la guerre. Il était légèrement atteint de tuberculose, entre autres choses, mais après un an ou deux dans un sana il espérait retrouver sa forme.

Je passerai sur toute l'histoire de sa pension qu'il finit par obtenir — elle paraîtrait trop incroyable — mais je veux en donner l'épilogue.

À Versailles il fit la connaissance d'un vieux monsieur qui voulait vendre sa maison et se retirer en province. Si Eugène réussissait à lui trouver un acheteur, il lui promit qu'il lui donnerait, à lui Eugène, de quoi s'acheter quelque chose à la campagne. Eugène se voyait déjà dans un petit village du Midi appelé Rocquecor (Tarn-et-Garonne). Par une veine incroyable, Eugène, qui ne connaissait rien au commerce d'immeubles, dégotta un acheteur pour la maison de Versailles. Ce que je sais ensuite, c'est qu'il acheta une école désaffectée dans le village de Rocquecor. C'était une bâtisse de treize pièces ; elle ressemblait à une ancienne forteresse qu'on aurait transformée en asile de fous. Sur la carte postale représentant l'école qui était cavalièrement perchée sur une éminence, il m'indiquait les deux pièces qu'il était en train d'aménager pour ma femme et moi, et qui seraient réservées à notre usage exclusif et définitif. Une façon de dire que, comme cela, nous aurions toujours un second foyer dans notre France bien-aimée.

Mon ami Alf m'a toujours traité de « pleurnicheur13 », et là, je ne pus m'empêcher de verser quelques larmes d'attendrissement à la vue de notre nouveau home. Et cela me remit en mémoire ce jour où je vis Eugène pour la première fois, à la porte du cinéma de Vanves : perché en haut d'une grande échelle il était en train de coller une affiche annonçant le prochain film avec Olga Tchekova. Je revois aussi le morceau de carton « dûment timbrée14 » comme doit l'être la plus humble annonce en France, qui me regardait à la fenêtre du bistrot en face du cinéma où Eugène et moi venions souvent guincher une java ou faire une partie d'échecs. L'annonce, rédigée de sa propre main, informait les passants que Henry Miller, Hôtel Alba (quelques numéros plus bas), était disposé à donner des leçons d'anglais pour la modeste somme de dix francs l'heure. Ceux qui ont lu Tropique du Cancer se rappelleront ce bon vieil Eugène et son « jardin du vieux continent ». Son jardin, quel euphémisme ! C'était une décharge quelque part du côté de l'impasse des Thermopyles où ils habitaient, si je me rappelle bien. Quel rapport pouvait-il bien y avoir entre le célèbre champ de bataille et cette ruelle étroite et puante ? Je me le demande encore. Quant au « jardin », il n'existait que dans le cœur du cher Eugène.

Et, tandis que je versais quelques larmes d'attendrissement devant la carte postale de Rocquecor, je me disais qu'il était parfaitement naturel, logique et inévitable que ce fût cet Eugène-là, qui n'avait jamais un sou vaillant, sauf quand j'avais besoin d'un café, qui me fît un cadeau aussi royal...

Et maintenant, passons aux Treize Sauveurs crucifiés et aux Clés de l'Apocalypse. Ce sont les titres de deux ouvrages sur lesquels je n'ai jamais pu mettre la main, bien que plusieurs amis m'aient promis à maintes reprises de me les faire avoir.

Le premier est de Sir Godfrey Higgins, auteur du célèbre Anacalypsis. Il en existe des exemplaires, m'a-t-on dit, mais ils sont difficiles à trouver et à un prix exorbitant. Maintenant je n'en veux plus, Dieu merci.

Quant à l'autre, de l'extraordinaire poète lithuanien Oscar Vladislas de Lubicz Milosz (Milasius en lithuanien), il a une curieuse histoire. Le peu que j'ai lu de Milosz et sur lui m'a énormément intrigué15. Je n'ai jamais parlé à personne de l'intérêt que je lui porte, c'est que je n'ai jamais rencontré personne à qui j'aurais pu en parler.

Il y a à peu près cinq ans, alors que j'essayais de réunir certains livres qui m'étaient nécessaires pour le travail que j'avais entrepris16, je reçus un télégramme signé Czeslaw Milosz, qui se trouvait être le neveu du poète défunt. La lettre qui suivit n'avait rien à voir avec l'écrivain qui m'intéressait ; elle avait trait à la visite que se proposait de me rendre le directeur du Musée d'Art de Varsovie. Nous échangeâmes encore deux ou trois lettres qui jetèrent de l'eau froide sur mon enthousiasme pour l'œuvre du poète. Czeslaw Milosz, qui était alors attaché de la Légation polonaise à Washington, travaillait déjà sans doute au grand roman qui l'a rendu célèbre depuis.

Le temps passa. Au cours de nos vacances en Europe (1953), ma femme et moi passâmes à la Guilde du Livre à Lausanne voir le directeur, Albert Mermoud, avec qui j'étais en correspondance depuis plusieurs années. Brusquement, au milieu de la conversation qui se languissait un peu, M. Mermoud, exactement comme ce cher Raoul Bertrand, me demanda s'il pouvait faire quelque chose pour moi pendant que nous étions à Lausanne. Et tout comme cela m'était déjà arrivé avec le journaliste de Paris, je répondis sans une seconde d'hésitation et sans préméditation aucune : « Oui ! Trouvez-moi un livre de Milosz intitulé Les Clés de l'Apocalypse ! » Je lui expliquai que plusieurs amis m'avaient dit que l'édition complète des œuvres de Milosz avait été publiée en Suisse.

Mermoud m'adressa un étrange sourire et répondit aussitôt : « Rien de plus facile. Je vais immédiatement téléphoner à l'éditeur. C'est un de mes amis et il habite ici à Lausanne. »

Il décrocha le récepteur, obtint son ami dont le nom m'échappa et se lança dans une longue explication pour justifier sa requête. Je l'entendis répéter mon nom à plusieurs reprises. « Oui, il est ici même, dans mon bureau ! » Puis il me regarda en souriant comme pour dire : « Il vous connaît ! » et continua à parler. Cela n'en finissait plus. Pour ne pas le gêner je me tournai vers les amis qui étaient venus avec nous et nous nous mîmes à parler à voix basse.

Au bout d'un moment, je me dis que pour une conversation téléphonique elle se prolongeait d'une manière bien inhabituelle. Mermoud avait cessé de parler ; il se contentait maintenant de hocher la tête et d'émettre de vagues grognements de temps en temps. Il avait l'air d'écouter très attentivement.

Il finit par raccrocher, se tourna vers moi et me dit :

— Je suis désolé. Je peux vous procurer tous les ouvrages de Milosz que vous désirez, sauf celui-là.

Il se rassit et commença à me raconter par le menu la vie de l'éditeur, une vie très extraordinaire et ses relations avec le poète. Cet éditeur avait été non seulement un grand ami de Milosz, mais aussi son bienfaiteur. Si je ne me trompe, il se mit lui-même à écrire de la poésie après avoir lu Milosz. Oui, il avait publié tout ce que Milosz avait écrit. y compris le livre en question. Mais de ce livre — Les Clés de l'Apocalypse — il n'avait fait imprimer qu'un seul exemplaire, qu'il s'était réservé pour lui-même. Et il ne le prêterait à personne. Il voulait que personne ne le lût. Pas même Henry Miller, qu'il adorait (sic). Pourquoi cette attitude ? Parce qu'il considérait ce livre comme indigne de son auteur. D'après ce que me dit Mermoud, j'eus l'impression qu'ils étaient en désaccord sur les perspectives religieuses de l'ouvrage. Je me trompe peut-être, parce que Mermoud parlait maintenant si vite que j'en étais un peu étourdi.

Quelques mois plus tard, dans un modeste restaurant près du Sénat à Paris, un homme s'approcha de notre table et se présenta : Czeslaw Milosz, le même qui m'avait écrit de Washington. Comment me reconnut-il, je ne puis me l'expliquer ; peut-être avait-il entendu prononcer mon nom. Quoi qu'il en soit, après s'être excusé pour une chose qui ne tirait pas à conséquences, qu'il avait écrite dans une de ses lettres, il s'assit et nous engageâmes la conversation. L'incident de Lausanne était encore tout frais dans ma mémoire et j'entrepris de lui raconter ce qui s'était passé dans le bureau de la Guilde du Livre. Il parut n'y rien comprendre, hocha plusieurs fois la tête, puis s'écria :

— Mais c'est ridicule ! Je peux vous procurer le livre. Mais je doute que vous vouliez le lire.

— Pourquoi ? demandai-je.

— Parce que ce n'est pas vraiment un livre... cela ne fait qu'une page et demie !

Je restai ahuri. Quoi, tout ce tintouin pour une page et demie ! Était-ce possible ?

— Trouvez m'en un exemplaire, le suppliai-je. J'ai maintenant plus envie que jamais de le lire.

Il me promit qu'il le ferait à la première occasion. Mais jusqu'à présent je n'ai encore rien vu venir. Verrai-je jamais ce « livre » ? Et que peut bien contenir cette page et demie ?

Restif de La Bretonne est une autre histoire ! Pendant des années son nom m'avait été familier, surtout parce qu'il revenait souvent dans les livres des surréalistes français, ceux d'André Breton en particulier. Pourquoi n'ai-je jamais fait l'effort de le lire, je ne saurais le dire. Son nom seul était déjà si intriguant ; peut-être craignais-je d'être déçu. De loin en loin son nom figure dans une critique d'un de mes livres. (Les critiques m'ont déjà associé avec des gens aussi divers que Pétrone, Rabelais, Swift, Sade, Whitman, Dostoïevsky et... Restif de La Bretonne.)

Un jour, je reçus une lettre de J. Rives Childs, qui était alors notre ministre en Éthiopie. Il me disait qu'il avait tout lu de moi et qu'il trouvait de grandes affinités entre mes écrits et ceux du célèbre Restif. Avais-je lu Restif, me demandait-il ? Il était sûr que oui. Je lui répondis que je n'avais jamais lu une ligne de lui. Là-dessus, je reçus une seconde lettre où il m'exhortait à le faire à tout prix. Et il ajoutait que si je ne pouvais pas me procurer ses œuvres, il se ferait un plaisir de me les envoyer. Pour finir il me disait qu'il avait consacré un temps considérable à étudier sa vie et son œuvre et qu'il était en train de réunir les matériaux pour une bibliographie de Restif.

Il avait tout particulièrement insisté sur deux titres : Monsieur Nicolas et Les Nuits de Paris. Il avait oublié de me parler des dimensions de ces ouvrages. Quand j'appris que Monsieur Nicolas comprenait quatorze volumes, mon enthousiasme s'évanouit rapidement. Vers la même époque, un fin lettré et lecteur vorace habitant Cairo (New York), se mit à me bombarder de panégyriques de Restif de la Bretonne. Pour aiguiser mon appétit, il m'envoya une édition anglaise très abrégée, en un volume, des Nuits de Paris. Je la lus avec intérêt, mais je restai assez tiède. Et, d'après ce hors-d'œuvre, je ne voyais qu'un rapport bien vague entre la démarche littéraire de Restif et la mienne. Je décidai, un peu à la légère, que j'avais assez lu de Restif comme ça.

Puis, un beau jour, le gros ouvrage sur lequel notre ambassadeur en Éthiopie travaillait depuis si longtemps m'arriva par le courrier. Un ouvrage monumental, il faut le dire, et qui sera le livre de chevet de tous les fervents de Restif à n'en pas douter. Je restai confondu par l'immensité de cette œuvre. « Ce n'est pas mon affaire », me dis-je. D'ailleurs, je venais de décider de lire de moins en moins.

Il peut être intéressant de noter ici que Childs lui-même, ainsi qu'il le déclare dans son Introduction à cette vaste compilation17 douta presque de pouvoir mener sa tâche à bien quand il découvrit que les œuvres complètes de son bien-aimé Restif comprenaient une cinquantaine de titres et près de deux cents volumes ! Et la lecture de tout Restif ne représente qu'une fraction de l'immense labeur que nécessita la rédaction de cet énorme ouvrage.

Pour donner une idée du caractère prodigieux de cette extraordinaire créature, Restif, je tiens à citer quelques lignes de l'Introduction de Childs :

« Pour moi, malgré toutes ses faiblesses — et il en avait beaucoup — Restif est un caractère sympathique pour de nombreuses raisons. Et tout d'abord une essentielle bonté de cœur, une large humanité accompagnée d'un sens toujours présent de l'inhumanité de l'homme envers son semblable, un désir passionné d'améliorer le sort de l'humanité, une grande vision du monde, un but absorbant d'être utile à ses contemporains et, plus encore, à la postérité, enfin une franchise foncière dans l'aveu de ses fautes. Il convient de souligner que, dans une époque où, du moins en France, il était de mode de mépriser Shakespeare et Jeanne d'Arc, Restif vantait leurs mérites. Il pensait élargir les horizons intellectuels des hommes et, dans ce but, il agissait sans prudence. Son œuvre présente d'innombrables aspects, d'infinis méandres, de sorte qu'une seule vie suffirait à peine à en suivre les contours. Imparfait comme tous les hommes, il n'a jamais eu la prétention d'être ce qu'il n'était pas. Il était humain, peut-être trop humain et par là, nous lui sommes redevables de grandes dettes qui deviendront de plus en plus apparentes dans les années à venir18. » (Djeddah, Arabie Séoudite, le 27 février 1948.)

Comme je pensais que le débat était clos, je reçus une lettre de Cairo ; Dante m'informait qu'il avait fini de lire les quatorze volumes qui constituaient l'édition française complète et non expurgée de Monsieur Nicolas, et qu'il me les expédiait le jour même. Une semaine plus tard les livres arrivèrent. J'eus l'impression de recevoir le cercueil renfermant les restes de l'incroyable Restif !

Que faire ? D'abord les ranger en ordre, ce que je fis. Puis, je jetai un coup d'œil par-ci par-là dans quelques volumes choisis au hasard. Puis, je les hissai sur le dernier rayon de ma bibliothèque, tout en haut, et les rangeai à côté du mince et modeste volume d'Edward Santiago intitulé The Round, en me disant : « Je me plongerai là-dedans un jour, quand je serai atteint de paralysie. » Et disant cela, je rassemblai les livres déplacés par cette nouvelle addition à ma bibliothèque, les fourrai dans un carton et, attelant le cheval, partis pour le tas d'ordures au bord de la route Alaska-Terre de Feu et balançai le tout dans la mer.

 

 

 

Et maintenant, les Esséniens, avec lesquels j'ai fini par me mesurer à Santa Monica. J'étais allé là-bas sur l'invitation de mon ami, Robert Fink, pour voir les peintures d'Abe Weiner. C'est là qu'on me présenta un ami de Weiner, Lawrence Lipton, qui habitait Venice (Californie).

Ce ne fut que vers la fin d'une longue et merveilleuse soirée que je pus avoir une conversation avec Lawrence Lipton. Toute l'Amérique connaît cet auteur de romans policiers — par son petit nom tout au moins — et c'était bien la dernière personne au monde avec qui j'aurais pu imaginer avoir un entretien sérieux sur cette mystérieuse secte appelée Esséniens.

Le « tête-à-tête19 » où nous nous lançâmes à toute allure, et sans nous embarrasser des préliminaires habituels, fut plus un jeu inspiré qu'un échange d'idées. La dernière fois que je m'étais lancé dans une danse de ce genre, c'était dans un petit village du New Hampshire. Je mentionne ce fait parce que c'est le genre de choses qui ne vous arrive que deux ou trois fois dans la vie. Le fait auquel je fais allusion se produisit par un jour d'hiver après une conférence à laquelle j'avais assisté avec le professeur Herbert West, de Dartmouth, dans une ville à quelque distance de là. Nous ramenions le professeur chez lui à Hanover. L'après-midi s'avançait, et brusquement, Herbert West décida d'aller rendre visite à un de ses amis qui habitait dans le village dont nous approchions.

Il frappa à la porte d'une modeste maison, et l'ami vint ouvrir. Je ne savais rien de lui, et je n'ai pas saisi son nom au cours des présentations. Mais à l'instant où nous nous serrâmes la main, j'eus l'impression que je le connaissais depuis toujours. Nous commençâmes à parler dès le seuil de la porte, comme si nous reprenions une conversation interrompue des milliers d'années auparavant dans une précédente incarnation. Tout ce que je peux me rappeler des activités dans ce monde de cet ami de West c'est qu'il a servi dans l'armée britannique aux Indes, pendant de nombreuses années.

Nous passâmes deux heures chez le « Major », deux heures au cours desquelles nous abordâmes les sujets les plus insolites et sans aucun lien apparent. Il arrivait souvent que nous fassions mention d'un titre de livre obscur, ou du nom de quelque personnage historique peu connu, ou de quelque science étrange : nous échangions alors un bref sourire entendu, et nous passions à autre chose. À aucun moment nous n'avons pressé le mauvais bouton en quelque sorte. C'était comme si nous avions fait fonctionner une machine électronique qui émettait les réponses correctes sans erreur et sans effort. Oui, j'avais l'impression que nous baignions dans une atmosphère extrêmement subtile où nous manipulions un mécanisme infiniment délicat et précis. Les sujets que nous effleurions n'étaient que les prétextes à démêler quelque chose de beaucoup plus important mais que nous ne tentions même pas de formuler.

Ajoutez à cela que la vie de cet homme n'avait aucun point commun avec la mienne. Nous étions deux mondes totalement différents. En outre, je n'ai jamais essayé d'entrer de nouveau en contact avec lui depuis cette rencontre. C'est inutile. Lorsque nous nous reverrons — et ce sera peut-être dans une autre existence — je suis persuadé que nous reprendrons cette conversation au point précis où nous l'avons laissée...

Mais pour en revenir à Lawrence Lipton... Physiquement, et je m'en rendis compte tout de suite, il me rappelait extraordinairement quelqu'un que je déteste profondément. Jusqu'à sa façon de s'exprimer qui était identique à celle de cette personne pour qui j'éprouve toujours un aussi vif dégoût. Mais tous les sujets qu'il abordait — et il avait une façon de passer sans transition d'un sujet à un autre — m'attiraient comme des aimants ; il avait déjà contourné une douzaine de thèmes dont la seule évocation me fait toujours l'effet d'une dose d'adrénaline quand soudain, j'eus l'impression qu'il venait de prononcer le mot « Esséniens ». Il l'avait prononcé correctement, ce qui m'avait pris au dépourvu.

— Vous avez bien dit les Esséniens ? demandai-je.

— Oui, me dit-il. Pourquoi ? Le sujet vous intéresse ? (Il paraissait surpris.)

Je lui expliquai alors que depuis des années, je cherchais à mettre la main sur tout ce qui concernait leurs coutumes, leurs rites et leurs façons de vivre. Je lui dis que je pensais avoir découvert certaines similitudes entre leurs mœurs et celles des Albigeois. Je fis allusion en passant à cet étrange livre intitulé La Vie secrète de Jésus. Je citai le livre de Gerald Heard : Time, Pain and Sex, qui renferme un chapitre passionnant sur cette étrange secte.

Oui, oui, avait-il l'air de dire, je connais tout cela — et bien d'autres choses encore. Mais avons-nous le temps de discuter de cela maintenant ? Il vous jetait à la tête des noms, des dates, des citations et toutes sortes de références bizarres et hermétiques.

— Si vraiment vous avez envie d'en savoir davantage, me dit-il, je dirai à ma femme de vous recopier quelques-uns des faits les plus marquants que j'ai recueillis sur ce sujet depuis plus de dix ans.

— Je ne voudrais pas... commençai-je.

— Mais non, ce n'est rien, dit-il. Elle sera très heureuse de le faire. N'est-ce pas, ma chérie ?

Elle ne pouvait pas dire non, naturellement.

Quelques semaines plus tard, je reçus le mémoire promis. Ainsi que ses propres réflexions et interprétations, extrêmement sagaces et pertinentes.

Puis le temps passa, et le sujet des Esséniens retomba dans sa niche habituelle. Et puis, il y a juste dix jours, un médecin revenant de Palestine vint m'apporter un message de mon vieil ami Lilik, et au cours de la conversation il fit allusion à un article assez copieux sur « Les manuscrits de la mer Morte » paru, « croyait-il », dans le New Yorker. Il me dit que c'était un article très important, d'un certain Edmund Wilson. J'étais un peu sceptique, et me dis qu'il devait confondre. Comme je lis rarement le New Yorker, j'ignorais tout de l'événement.

Deux jours plus tard, je reçus par la poste le numéro du New Yorker dont mon visiteur m'avait parlé. Il m'était envoyé par Lawrence Lipton, dont je n'avais plus de nouvelles depuis des mois. Dans sa lettre, Lipton me disait qu'il pensait que l'article de Wilson m'avait peut-être échappé, et comme il se rappelait que je m'intéressais à la question, il avait cru devoir me l'envoyer.

Coïncidence ? Peut-être. Mais je préfère croire qu'il n'en est rien.

Il arrive toujours un moment dans la vie d'un homme où il s'interroge sur ce mot « coïncidence ». Si nous regardons courageusement la question en face, car c'est une question gênante, nous sommes forcés d'admettre que ce n'est pas une réponse que de dire que les choses arrivent simplement par hasard. Mais si nous employons le mot « prédestination » nous sentons que toutes nos idées sont battues en brèche. Et à juste titre. C'est uniquement parce que l'homme est né libre, que ces mystérieuses conjonctions de temps, de lieux et d'événements peuvent se produire. Dans les horoscopes de ces hommes et de ces femmes marqués par le destin, nous remarquons que de simples « incidents » deviennent des événements d'une signification capitale. C'est peut-être parce que ces individus ont été plus capables que le commun des mortels de réaliser un plus grand nombre de leurs possibilités latentes, que la corrélation entre l'intérieur et l'extérieur, le micro et le macro, est si frappante et si évidente.

Lorsque nous cherchons à percer le mystère du « hasard », nous n'arrivons peut-être pas à donner des explications satisfaisantes, mais nous ne pouvons pas nier que nous prenons conscience de lois qui dépassent l'entendement humain. Et plus nous en prenons conscience, plus nous percevons qu'il y a un rapport entre la chance et le fait de mener une vie droite. Et si nous grattons un peu plus profondément, nous nous apercevons que la chance n'est ni bonne ni mauvaise, mais que ce qui compte c'est la façon dont nous prenons ce qui nous arrive, bon ou mauvais. La sagesse des nations dit : « Tire le meilleur parti de ton sort. » Cet adage renferme l'idée implicite que nous ne sommes pas également favorisés ou défavorisés par les dieux.

Le point sur lequel je veux insister est qu'en acceptant notre destin nous ne devons pas nous imaginer que telle ou telle chose nous a été destinée ou que nous avons été l'objet d'une attention spéciale, mais qu'en mettant en valeur le meilleur de nous-mêmes, nous pouvons nous mettre en harmonie avec les lois supérieures, les lois impénétrables de l'univers, qui n'ont rien à voir avec le bon ou le mauvais, avec vous ou moi.

C'est là l'épreuve que le grand Jéhovah envoya à Job.

Je n'en finirais pas de donner des exemples de ces coïncidences et de ces « miracles », comme je les appelle volontiers, qui surviennent dans ma vie. Mais la quantité ne signifie rien. Qu'il s'en produise un seul et il aura le même pouvoir de choc. Ce qui me déconcerte le plus, c'est de constater avec quelle facilité, les gens ignorent ou passent outre les événements qui ne correspondent pas à leur système de pensée, à leur logique sans réplique. À cet égard, l'homme civilisé a des réactions aussi primitives que le soi-disant sauvage. Ce qu'il ne peut pas expliquer, il refuse de le regarder en face. Il escamote le problème en employant des mots tels que accident, anomalie, hasard, coïncidence, etc.

Mais toutes les fois que « cela » se produit, il en éprouve un choc. L'homme n'est pas chez lui dans l'univers, en dépit de tous les efforts des philosophes et des métaphysiciens pour administrer leur sirop calmant. La pensée est encore un narcotique. La question la plus profonde est pourquoi. Et c'est une question taboue. Le fait même de poser la question ressemble à un sabotage cosmique. Et le châtiment est : les souffrances de Job.

Il ne se passe pas de jour que nous ne soyons mis en présence de l'interconnection la plus vaste, la plus complexe, entre les événements qui gouvernent notre vie et les forces qui régissent l'univers. Si nous refusons de suivre la route que ces éclairs de vision ouvrent en nous, c'est que nous avons peur d'apprendre ce qui pourra nous « arriver ». La seule certitude que nous ayons depuis notre naissance, c'est que nous mourrons. Mais même cela, nous avons du mal à l'accepter, bien que ce soit une certitude inéluctable.

Ce qui « arrive » s'accompagne toujours d'un sentiment de l'imprévisible, de l'impression que cela vient de l'extérieur, sans aucune considération pour nos désirs, nos projets, nos espoirs. Mais ceux à qui les choses « arrivent » peuvent appartenir à deux catégories différentes. Les uns peuvent considérer ces événements comme normaux et naturels, les autres comme extraordinaires ou monstrueux, et comme une insulte à leur intelligence. Les uns répondent à l'événement de toute la sincérité de leur être, les autres de toute la petitesse de leur moi. Les premiers, qui sont des esprits foncièrement religieux, ne voient pas la nécessité d'introduire le mot Dieu. Les autres, qui sont du type superstitieux, bien qu'ils se considèrent volontiers comme des sceptiques ou des athées, nieront avec acharnement qu'il y ait dans l'univers une intelligence plus grande que la leur. Ils ont une explication pour tout, sauf pour l'inexplicable, et lorsqu'ils ne peuvent pas expliquer un phénomène, ils considèrent qu'il n'est pas digne de leur attention. Ces gens-là ont un parent dans le règne animal : il se nomme l'autruche.

Pour en terminer avec cette question — pour l'instant — je citerai un livre qui vient juste de me tomber entre les mains. Celui qui me l'a prêté est un homme dont j'aurais pu penser (bien à la légère) qu'il était la dernière personne au monde à posséder un tel livre. Le rapport entre cette citation et ce qui précède ne sautera peut-être pas aux yeux. Mais ce rapport existe, et si je cite ce passage, c'est que je considère qu'il est une des meilleures réponses que l'on puisse faire à la question qui doit déjà se poser dans l'esprit du lecteur. Elle est tirée de la préface à la biographie du célèbre Kahlil Gibran20.

« C'est après bien des hésitations que je me suis décidé à écrire ce livre. Car je crois qu'il est impossible à un homme de décrire fidèlement, pleinement, d'une manière précise, un seul instant de sa vie dans toute la complexité de ses significations et dans la multiplicité infinie de ses rapports avec la vie universelle. Comment dans ce cas un homme, quel que soit son talent, peut-il prétendre enfermer entre les deux couvertures d'un livre la vie d'un autre homme, qu'il s'agisse d'un idiot ou d'un génie ? À cet égard, tout ce que les hommes racontent des hommes sous le nom d'« Histoire » n'est, à mon sens, qu'un peu d'écume qui bouillonne à la surface de cet océan qu'est la vie humaine ; le fond reste trop profond, et l'horizon trop lointain pour qu'aucune plume ne puisse le sonder, aucun pinceau le décrire. Nous n'avons pas encore été capables jusqu'à ce jour d'écrire l'« histoire » de personne ou de quoi que ce soit. Si nous avions écrit l'histoire totale d'un seul homme, nous serions capables de lire l'histoire de tous les hommes ; et si nous avions relaté fidèlement l'histoire d'une seule chose, nous y découvririons l'histoire de toutes les choses. »

 

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1. Voir The Air-conditioned Nightmare, New Directions, New York, 1945.

2. Dans le second volume de Les Livres de ma vie.

3. En français dans le texte.

4. Cf. Hamlet, II, 2 (N. d. T.).

5. En français dans le texte.

6. En français dans le texte.

7. En français dans le texte.

8. En français dans le texte.

9. En français dans le texte.

10. En français dans le texte.

11. En français dans le texte.

12. En français dans le texte.

13. En français dans le texte.

14. En français dans le texte.

15. Voici quelques fragments de ces aspects de Milosz qui m'ont particulièrement emballé : 1° « Pendant toute sa vie, Milosz tiendra Don Quichotte pour le synonyme de l'homme. » 2° « Il commença ses études (1896) à l'École du Louvre et à l'École des Langues orientales. Il y étudia les arts phénicien et assyrien, ainsi que l'épigraphie orientale sous la direction du célèbre traducteur de la Bible, Eugène Ledrain... Avec une passion innée, il apprit la cryptographie des langues palestino-mésopotamiennes. Étudiant la préhistoire, il songe à l'origine même de l'humanité, à celle du cosmos et à sa cause primordiale. » 3° « Milosz qui avait une vocation spirituelle indéniable, vivait dépaysé dans ce monde auquel il ne s'adaptait pas ; il sentit toujours qu'il n'était créé que pour le bonheur humain, que sa naissance avait déjà été une chute et que son enfance était comme le souvenir de l'époque où il prit conscience de la gravité de cette chute. » 4° « La nature (si belle aux yeux de la plupart des hommes), cette nature au sein de laquelle nous vivons depuis des millénaires et des millénaires, est une sorte d'absolu de la laideur et de l'infamie. Nous ne la supportons que parce que, tout au fond de nous-mêmes, survit le souvenir d'une première nature qui est divine et vraie. Dans cette nature seconde qui nous environne, tout est mauvais indiciblement. » (Ce sont là les termes mêmes de Milosz.) Ces citations sont tirées d'un ouvrage intitulé O. V. de L. Milosz, sa vie, son œuvre, son rayonnement, par Geneviève-Irène Zidonis, Olivier Perrin éditeur, 198, boulevard Saint-Germain, Paris, 1951. (Un cadeau du Consulat français à Los Angeles, Californie.)

16. Les Livres de ma Vie (Gallimard).

17. Restif de La Bretonne : Témoignages et Jugements, bibliographie. Aux dépens de l'auteur. En vente à la librairie Briffaut, 4, rue de Furstenberg, Paris (6e), 1949.

18. En français dans le texte.

19. En français dans le texte.

20. Kahlil Gibran : A Biography, par Mikhail Naimy, Philosophical Library, New York, 1950 (traduit de l'arabe).