Le jour du divorce, j'arrivai au tribunal, d'humeur joyeuse et primesautière. Tout était arrangé d'avance. Je n'avais qu'à lever la main, jurer je ne sais quelle imbécillité, reconnaître ma culpabilité et encaisser le châtiment. Le juge ressemblait à un épouvantail chevauché par une paire de lunes binoculaires ; ses ailes noires battaient lugubrement dans le silence en suspens de la salle. Mon air de sereine complaisance parut l'irriter légèrement : l'illusoire sentiment de son importance (vanité des vanités) n'y trouvait pas son compte. J'étais incapable de faire la moindre différence entre la barre de cuivre et lui, ou le crachoir. La barre de cuivre, la bible, le crachoir, le drapeau américain, le buvard du pupitre, les truands en uniforme qui veillaient sur l'ordre et le décorum, la science emmagasinée dans les cellules cérébrales de cet individu, les livres moisis de son bureau, la philosophie qui servait de substrat à tout l'édifice de la Loi, la paire de lunettes, la liquette et le caleçon, la personne du bonhomme et sa personnalité, autant de détails concourant à la stupidité de l'ensemble, au nom d'une mécanique aveugle dont je me foutais comme de mon pucelage. Je n'avais qu'une idée : savoir que j'étais definitivement libre de me passer de nouveau la corde au cou.
Le mécanisme allait son train... tic-tac-tic... une chose annulant l'autre et, en fin de course, la loi vous écrabouillant telle une grosse punaise juteuse — quand, tout à coup, je me rendis compte que le bonhomme me demandait si j'étais prêt à payer régulièrement, jusqu'à la fin de mes jours, une pension alimentaire de tant et tant.
— Pardon ? dis-je.
La perspective de rencontrer enfin un peu d'opposition le ragaillardit nettement. Il se mit à bafouiller et baragouiner quelque chose où il était question d'engagement solennel et de versement d'une somme de x dollars et de z cents.
— Je ne m'engage à rien de tel, protestai-je énergiquement. Mon intention est de verser... (Et si, de mentionner une somme qui était le double de ce qu'il avait indiqué).
Ce fut à lui cette fois de dire : « Pardon ? »
Je réitérai ma déclaration. Il me regarda comme si j'avais perdu la tête ; puis, vivement, de l'air de me prendre au piège, il lança sèchement :
— Soit ! A votre guise. Vous l'aurez voulu.
— Je m'en fais un plaisir et un honneur, répliquai-je.
— Monsieur !
Je répétai ma phrase. Il me foudroya du regard, fit signe à l'avocat de s'approcher et se pencha pour lui murmurer quelque chose à l'oreille. J'eus l'impression très nette qu'il lui demandait si j'avais tout mon bon sens. Apparemment rassuré sur ce point, il releva la tête et fixant sur moi des yeux de granit, dit :
— Jeune homme, savez-vous ce qu'il en coûte de ne pas faire honneur à ce genre d'obligation ?
— Non, monsieur, dis-je. Et je ne tiens pas non plus à l'apprendre. En avons-nous terminé ? Je dois retourner à mon travail.
Dehors, il faisait une journée magnifique. Je me mis à marcher au hasard. J'arrivai bientôt au pont de Brooklyn. Je m'y engageai, mais, au bout de quelques minutes, le courage me manqua, je revins sur mes pas et plongeai dans le métro. Je n'avais nulle intention de retourner au bureau ; on m'avait donné quartier libre pour la journée et j'entendais en profiter au maximum.
Je sortis à Time Square et pris instinctivement le chemin du restaurant franco-italien tout proche, sur la Troisième Avenue. Il faisait frais et sombre dans l'arrière-salle de l'épicerie où on servait à manger. Au déjeuner, il n'y avait jamais grand monde. Bientôt, il n'y eut plus, en dehors de moi, qu'une grande bringue d'Irlandaise à demi vautrée et qui en tenait déjà un fameux coup. Nous finîmes par entamer une étrange conversation sur l'Eglise catholique, au cours de laquelle elle répétait comme un refrain :
— Va pour le Pape, mais quant à lui lécher le cul, zéro pour moi !
Finalement, repoussant sa chaise, elle se leva tant bien que mal, dans l'intention d'aller aux toilettes. (Les toilettes servaient à hommes et femmes également et se tenaient dans le vestibule d'entrée.) Je vis qu'elle n'y arriverait jamais toute seule. Je me levai et la pris par le bras. Elle était complètement naze et donnait de la bande comme une nef battue par la tempête.
Devant la porte des toilettes, elle me pria de l'aider à s'installer sur le siège. Je la conduisis donc jusqu'au siège et restai debout à côté d'elle, de sorte qu'elle n'avait plus qu'à s'asseoir. Elle retroussa sa jupe et tenta de baisser sa culotte ; mais c'était trop d'effort.
— Baissez ce truc pour moi, voulez-vous ? me dit-elle, avec un vague rictus ensommeillé.
Je fis ce qu'elle me demandait, lui tapotai affectueusement le con et l'installai sur le siège. Puis je fis mine de sortir.
— Ne vous en allez pas ! gémit-elle, pendue à ma main.
Et sur ce, de commencer la vidange.
J'attendis donc qu'elle eût fini ses commissions — la grande comme la petite, bombes puantes et le reste. Tout le temps que dura l'opération, elle ne cessa de répéter :
— Lécher le cul du Pape, non, zéro pour moi !
Elle avait l'air si totalement incapable de rien faire, que je crus un instant qu'il me faudrait la torcher. Cependant, la force et l'habitude aidant, elle parvint à s'en tirer tout de même, au prix d'un temps incroyablement long. J'étais sur le point de rendre, quand enfin elle me demanda de l'aider à se relever. En lui remontant sa culotte, je ne pus m'empêcher de caresser un bon coup son rosier. C'était tentant — mais la puanteur était trop forte pour donner le goût des amusettes.
En nous voyant sortir des toilettes, moi la tenant par le bras, la dame de ces lieux eut un triste hochement de tête. Je me demandai si elle mesurait exactement tout l'esprit chevaleresque qu'avait exigé de moi pareil exploit. Toujours est-il qu'ayant repris place à notre table et commandé du café bien noir, nous restâmes à bavarder encore un peu. Au fur et à mesure que la fille se dégrisait, elle débordait de gratitude — c'en était presque à vomir. Elle me déclara que si je voulais bien la reconduire jusque chez elle, elle était prête à coucher — en guise de compensation.
— Je prendrai un bain et je me changerai, me dit-elle. Je me répugne. Et Dieu sait s'il y a de quoi, quand j'y pense !
Je lui répondis que je la reconduirais effectivement en taxi, mais que je ne pourrais pas rester chez elle.
— Bon, voilà que vous faites le délicat, rétorqua-t-elle. Qu'est-ce qu'il y a ? J'suis pas assez bonne pour vous ? C'est-y ma faute, dites, si j'étais forcée d'aller aux toilettes ? Et vous, vous n'y allez jamais, dites ? Attendez seulement que j'aie pris un bain — vous verrez un peu à quoi j'ressemble... Tiens ! Donne-moi ta main !
Je lui donnai ma main et elle la fourra sous sa jupe, en plein sur la broussaille.
— Tâte un bon coup, reprit-elle. Il te plaît ? Bon, eh bien, t'a qu'à l'prendre. Attends seulement que je l'aie récuré et parfumé. T'as qu'à en faire tout c'que tu veux. J'couche pas si mal, tu sais. J'suis pas une pute non plus ! J'ai reçu un coup sur l'crâne, c'est tout. Un type qui m'a plaquée, et j'ai été assez louf pour prendre ça à cœur. Il reviendra à quatre pattes avant qu'il soit longtemps, t'en fais pas. Mais, j'te jure, c'est un fait que j'tenais à lui. J'lui ai dit qu'quant à lécher le cul du Pape, jamais, zéro pour moi — et il s'est vexé pour ça. J'suis aussi bonne catholique que lui, mais n'empêche que l'Pape et Jésus-Christ, à mon sens, ça fait deux. Et toi, qu'est-ce que t'en penses ?
Elle continua à monologuer ainsi, sautant d'une chose à l'autre comme une chèvre. Je crus comprendre qu'elle était standartiste dans un grand hôtel. Elle n'était pas si mauvaise fille, non plus, sous son cuir d'Irlandaise. J'étais sûr qu'elle ne manquait probablement pas de charme, une fois dissipées les fumées de l'alcool. Elle avait des yeux très bleus et des cheveux d'un noir de jais ; son sourire était sournois et malin comme tout. Ma foi, rien ne m'empêchait de faire un saut jusque chez elle, histoire de l'aider à prendre son bain. Je pouvais toujours filer si ça ne gazait pas. Le seul ennui était que je devais retrouver Mona pour le dîner. J'étais censé l'attendre au Salon Rose de l'Hôtel McAlpin.
Nous montâmes en taxi et nous voilà en route pour le haut de la ville. Assise, elle laissa aller sa tête sur mon épaule.
— T'es très gentil, dit-elle d'une voix ensommeillée. J'sais pas qui tu es, mais t'es O.K. pour moi. Seigneur, si seulement j'pouvais pioncer un peu, avant. Tu m'attendrais, dis ?
— Bien sûr, dis-je. Je piquerai peut-être bien un somme, moi aussi.
L'appartement était confortable et attrayant, mieux que je ne m'y attendais. A peine eut-elle ouvert la porte, qu'elle envoya promener ses souliers.
Quand je la vis debout devant la glace, nue hormis sa culotte, je dus convenir qu'elle avait un corps magnifique. Ses seins était blancs et pleins, ronds et tendus, avec des mamelons éclatants comme des fraises.
— Qu'est-ce que tu attends pour ôter ça aussi ? dis-je, montrant la culotte.
— Non, pas maintenant, répondit-elle, soudain pudique et légèrement rougissante.
— Je te l'ai retirée moi-même tout à l'heure, dis-je. Pourquoi n'est-ce plus la même chose ?
Je la pris par la taille, faisant mine de passer à l'action.
— Non, je t'en prie ! supplia-t-elle. Attends d'abord que j'aie pris un bain.
Elle marqua un temps, puis elle ajouta :
— Mes règles ne sont pas encore tout à fait finies.
Cela liquidait la question pour moi. Je voyais déjà refleurir une guirlande de petites plaies. Je sentis souffler un vent de panique.
— Bien, bien, dis-je. Va prendre ton bain. Je vais m'étendre un peu ici en attendant.
— Tu ne veux pas me frotter le dos ? dit-elle, retroussant les lèvres avec son petit sourire malin.
— Comment donc, si... bien sûr ! dis-je.
Je l'accompagnai à la salle de bains, la poussant presque tant j'avais hâte de me débarrasser d'elle.
Lorsqu'elle fit glisser sa culotte, je repérai une tache sombre rouge... Jamais de la vie, me dis-je à part moi. Pour rien au monde, tant que j'aurai ma tête à moi, oh non ! Lécher le cul du Pape... jamais !
Mais lorsque je la vis dans le bain en train de se savonner, je me sentis faiblir. Je pris la savonnette et me mis à lui récurer proprement le crin. Et elle se prit à se trémousser de plaisir, à mesure que mes doigts pleins de savon s'embrouillaient dans les poils.
— Je crois que ça y est, dit-elle, arquant le pubis et écartant la fente à deux mains. Regarde bien... tu vois encore quelque chose ?
J'introduisis dans ce con le majeur de ma dextre, encore tout savonneux, et procédai à un léger massage. Elle ne bougeait pas, allongée, les mains nouées sur la nuque, se contentant d'imprimer un lent mouvement giratoire à son pubis.
— Dieu, ce que c'est bon ! dit-elle. Continue... encore ! Peut-être que je n'aurai pas besoin de dormir d'abord.
Au fur et à mesure que je la travaillais, elle se mit à remuer plus violemment. Soudain, ses mains se dénouèrent, ses doigts humides déboutonnèrent ma braguette, en tirèrent ma pine, sur laquelle elle fondit, toutes lèvres dehors. Elle y alla en professionnelle, taquinant le goujon, le tourmentant du bout des lèvres, puis à pleine bouche. Je lui giclai dans le goulot : elle avala tout comme nectar ou ambroisie. Puis elle s'abandonna dans la baignoire, poussa un grand soupir et ferma les yeux.
C'est le moment ou jamais de les mettre, me dis-je. Feignant d'aller chercher une cigarette, j'empoignai mon chapeau et fonçai. En dégringolant l'escalier, je portai le doigt à mes narines et le reniflai. Ça ne sentait pas si mauvais que ça... surtout la savonnette...
A quelques soirs de là, il y eut répétition générale au théâtre. Mona m'avait supplié de ne pas venir, affirmant que l'idée que je la regarderais lui donnerait le trac. Cette histoire m'avait tant soit peu vexé, mais j'avais fini par acquiescer. Je devais la retrouver ensuite à l'entrée des artistes. Elle m'avait spécifié l'heure exacte.
J'y étais, bien à l'avance ; non pas à l'entrée des artistes, mais aux portes même du théâtre. Je ne me lassais pas de contempler les affiches, tout ému de voir son nom s'étaler en lettres claires et hardies. Pendant que la foule s'écoulait, je traversai la rue et me mis à guetter. Sans savoir pourquoi. J'étais cloué sur place. Il faisait plutôt sombre devant le théâtre, et les taxis se suivaient à se toucher.
Brusquement, je vis quelqu'un se précipiter impulsivement vers le bord du trottoir, où un petit homme frêle attendait une voiture. C'était Mona. Je la vis embrasser le petit homme, et puis, comme le taxi s'éloignait, agiter la main. Ensuite, laisser retomber cette main mollement le long de son corps, et demeurer immobile quelques minutes, comme absorbée dans ses pensées. Finalement, rentrer précipitamment dans le théâtre par la porte principale.
Lorsque je la retrouvai, quelques minutes plus tard, à l'entrée des artistes, elle avait l'air à bout de nerfs. Je lui racontai la scène à laquelle je venais d'assiter.
— Alors, tu l'as vu ? me dit-elle en me saisissant avidement la main.
— Oui, qui était-ce ?
— Qui ? Mais c'était mon père, voyons ! Il s'est levé de son lit de malade pour venir me voir. Il n'en a plus pour longtemps.
Tandis qu'elle parlait, les larmes lui montaient aux yeux.
— Il m'a dit qu'il pouvait mourir en paix, maintenant.
Sur quoi, s'arrêtant court, elle enfouit sa tête dans ses mains et se mit à sangloter.
— J'aurais dû le ramener à la maison, dit-elle entre ses sanglots.
— Mais pourquoi ne m'avoir pas présenté ? demandai-je. Nous aurions pu le reconduire ensemble.
Elle refusa de discuter la question. Elle voulait rentrer — rentrer seule pour pleurer. Que faire ? Je ne pus qu'acquiescer — le tact ne semblait pas dicter d'autre solution.
Je la mis dans un taxi et la regardai disparaître au loin. Je me sentais tout remué. Puis je partis à grands pas, résolu à me noyer dans la foule. A l'angle de Broadway, j'entendis une voix de femme me héler par mon nom. En fait, la femme me rattrapa en courant.
— Tu m'as dépassée sans me reconnaître, dit-elle. Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as l'air à plat.
Elle me tendait les deux mains. C'était Irma, l'ancienne femme d'Arthur Raymond.
— C'est drôle, me dit-elle. Je viens de voir Mona, il y a quelques secondes. Elle descendait de taxi et elle courait dans la rue. Elle avait l'air d'une folle. Je lui aurais bien parlé, mais elle courait trop vite. Je ne crois pas qu'elle m'ait vue, d'ailleurs... Est-ce que vous ne vivez plus ensemble ? Je vous croyais tous installés chez Arthur.
— Où dis-tu l'avoir vue, exactement ?
Je me demandais si elle avait pu se tromper.
— Juste à ce coin de la rue, je te dis !
— Tu en es absolument sûre ?
Elle eut un étrange sourire :
— Tu crois que je pourrais la prendre pour une autre... elle ?
— Est-ce que je sais, marmottai-je plus pour moi-même que pour elle. C'est à peine croyable. Comment était-elle habillée ?
Elle me fournit le signalement exact. Quand elle me parla « de petite cape de velours », je fus certain qu'il ne pouvait s'agir d'une autre.
— Vous vous êtes disputés ?
— No-o-on... pas précisément...
— Oh, après tout, tu dois connaître Mona, depuis le temps, reprit Irma, dans l'idée d'en finir avec le sujet.
Elle avait pris mon bras et m'entraînait, comme si, ma foi, je n'avais pas eu toutes mes facultés.
— Tu ne peux savoir comme je suis heureuse de te voir, me dit-elle. Dolorès et moi, nous parlons continuellement de toi... Tu ne veux pas monter — pour une minute ? Dolorès sera ravie de te voir. Nous partageons le même appartement. C'est tout près d'ici. Si, je t'en prie, monte un peu... J'aimerais tant bavarder avec toi un instant. Cela doit faire plus d'une année que nous ne nous sommes vus. Tu venais juste de quitter ta femme, tu te souviens ? Et à présent tu vis chez Arthur — comme c'est étrange ! Comment va la vie pour lui ? Et ses affaires ? On me dit que sa femme est très belle ?
Elle n'eut pas besoin de faire beaucoup de frais pour me persuader de monter jusqu'à leur appartement et de vider tranquillement un verre en leur tenant compagnie. Irma avait l'air de pétiller de joie. Elle m'avait toujours témoigné beaucoup d'amitié, mais jamais à ce degré d'effusion. Je me demandais ce qui lui était arrivé.
L'appartement, quand nous y arrivâmes, était plongé dans l'obscurité.
— Ça, c'est drôle ! dit Irma. Elle m'avait dit qu'elle rentrerait tôt ce soir. Oh bien, elle ne va pas tarder, sans nul doute. Débarrasse-toi... assieds-toi... je t'apporte à boire dans une minute.
Je m'assis, ne sachant plus très bien où j'en étais. Il y avait des années, au temps de mes premiers rapports avec Arthur Raymond, j'avais eu un petit faible pour Irma. Lorsqu'ils s'étaient séparés, elle s'était éprise de mon ami O'Mara. Elle avait été aussi malheureuse avec lui qu'avec Arthur. Il se plaignait d'elle : il la disait froide... non pas frigide, mais égoïste. Je n'avais pas fait très attention à elle, alors, parce que c'était Dolorès qui m'intéressait. Une seule fois il y avait eu entre nous quelque chose qu'on pût appeler de l'intimité. Pur accident, qui n'avait pas prêté pour nous à conséquence. Nous nous étions rencontrés dans la rue, un après-midi, devant un petit cinéma ; après avoir échangé quelques paroles, nous étions entrés — par distraction et lassitude plutôt qu'autre chose, de part et d'autre. Le film était d'un ennui intolérable, la salle, presque vide. Nous avions jeté nos manteaux sur nos genoux ; puis, surtout pour passer le temps et par besoin de contact humain, nos mains s'étaient rencontrées et nous étions restés assis de la sorte un moment, les yeux vaguement fixés sur l'écran. Au bout de ce moment, je l'avais prise par la taille et attirée contre moi. Quelques instants plus tard, sa main avait lâché la mienne pour venir se poser sur ma pine. Je n'avais pas bougé, curieux de voir ce qu'elle ferait de la situation. Je me souvenais des paroles d'O'Mara sur sa froideur et son indifférence. Je n'avais donc pas bronché sur mon siège, attendant. Je ne bandais qu'à demi quand elle m'avait touché. J'avais laissé grossir la chose sous sa main, qui reposait immobile. Peu à peu, j'avais senti la pression de ses doigts, puis une solide étreinte, puis une alternative d étau et de caresse — le tout très tranquillement, délicatement, presque comme si nous avions dormi et que cela se fût passé inconsciemment. Quand mon truc s'était mis à frémir et à tressauter, elle avait déboutonné ma braguette, lentement, délibérément, allongé la main et saisi mes couilles. J'avais continué à ne pas faire mine de la toucher. J'éprouvais le désir pervers de la forcer à aller elle-même jusqu'au bout. Je me rappelais encore la forme de ses doigts, je les sentais encore sur moi : ils étaient pleins de sensibilité et d'habileté. Elle s'était blottie comme une chatte en cessant de regarder l'écran. J'avais la pine à l'air, bien sûr, mais toujours à l'abri de mon manteau. Je l'avais regardée repousser le manteau et river son regard à l'outil. Hardiment cette fois, elle s'était mise à le masser, d'une main de plus en plus ferme et rapide. Finalement, j'avais giclé dans sa main... « Pardon », avait-elle dit, attrapant son sac pour y prendre un mouchoir. Je l'avais laissé m'essuyer avec son carré de soie. De tout ce temps je n'avais rien dit, pas fait un geste pour l'embrasser. Rien. Tout comme si je l'avais regardée opérer sur un autre. Ensuite, elle s'était poudrée, avait tout rangé dans son sac. Alors je l'avais attirée à moi et j'avais collé ma bouche à la sienne, repoussé à mon tour son manteau, soulevé ses jambes pour les faire passer par-dessus mes genoux. Elle n'avait rien sous sa robe, et elle était trempée. Je lui avais rendu la monnaie de sa pièce, quasi sauvagement, jusqu'à ce qu'elle eût joui. En sortant du cinéma, nous avions bu un café et mangé des gâteaux dans une pâtisserie et, après une conversation parfaitement neutre, nous nous étions quittés comme s'il ne s'était rien passé...
— Excuse-moi, dit-elle, d'avoir été si longue. J'avais envie de me changer et de me mettre à mon aise.
Je sortis de ma rêverie pour lever les yeux sur une exquise apparition : métamorphosée en poupée japonaise, elle me tendait un grand verre. A peine avions-nous pris place sur le divan, qu'elle se releva d'un bond et courut à la penderie. Je l'entendis remuer des valises ; puis pousser une petite exclamation, un soupir de déception, comme pour m'appeler à la rescousse dans un souffle.
Je bondis à mon tour et courus à la penderie. Je l'y trouvai perchée sur une valise branlante et cherchant à atteindre quelque chose sur l'étagère d'en haut. Je lui tins un instant les jambes pour l'empêcher de tomber et, à l'instant même où elle se retournait pour descendre, je glissai la main sous le kimono de soie. Je la reçus dans mes bras, la main solidement plantée entre ses jambes. Nous restâmes là, dans une étreinte passionnée, baignant dans un frémissement d'étoffes féminines. Puis la porte s'ouvrit et Dolorès entra. Elle fut toute saisie de nous trouver enfouis dans la penderie.
— Eh bien ! s'exclama-t-elle, le souffle tant soit peu coupé. Toi ! Du diable si je m'attendais à te trouver ici !
Je lâchai Irma pour entourer de mes bras Dolorès qui ne protesta que faiblement. Elle me paraissait plus belle que jamais. Tout en se dégageant, elle éclata de son petit rire habituel, où perçait toujours une légère ironie.
— Rien ne nous force à rester dans cette penderie, je pense ? dit-elle, me tenant par la main.
Irma, entre-temps, avait passé un bras autour de moi.
— Pourquoi pas ? répondis-je. On y est bien ; on se croirait dans le ventre maternel.
— Tu es toujours le même, à ce que je vois, dit Dolorès. Tu n'en as jamais assez, hein ? Je te croyais amoureux fou de... de... comment s'appelle-t-elle déjà ?
— Mona.
— Mona, c'est ça... comment va-t-elle ? Ça tient toujours ? Je croyais que les autres femmes ne t'intéressaient plus ?
— C'est la pure vérité, dis-je. Il s'agit d'un accident, comme tu peux le voir.
— Je sais, dit-elle, montrant de plus en plus sa jalousie qui couvait. Je les connais, tes fameux accidents ! Tu n'as pas changé : toujours prêt, hein ?
Nous nous répandîmes dans le living-room où Dolorès se débarrassa de ses vêtements — non sans véhémence, observai-je à part moi, comme si elle s'apprêtait à la bagarre.
— Tu veux boire quelque chose ? lui demanda Irma.
— Oui, et n'aie pas peur de verser, dit Dolorès. J'en ai rudement besoin... Oh, cela n'a rien à voir avec toi, reprit-elle, remarquant le coup d'œil curieux que je lui jetais. C'est ton fameux ami... Ulric.
— Qu'a-t-il ? Il te maltraite ?
Elle ne répondit rien. Elle me lança un regard malheureux, comme pour dire : Tu sais parfaitement de quoi je parle.
Irma trouva qu'il y avait trop de lumière ; elle éteignit tout, sauf la petite lampe de chevet du second divan.
— Qu'est-ce que tu fais ? Tu soignes le décor ? dit moqueusement Dolorès.
En même temps, on sentait un frémissement secret dans sa voix. Je savais que c'était à elle que j'aurais affaire. Irma, de son côté, ressemblait à une chatte : elle se mouvait à pas de velours, ronronnant presque. Elle n'était nullement troublée ; elle se préparait à toute éventualité.
— C'est bon de t'avoir ici tout seul, dit Irma, comme si elle avait retrouvé un frère après un siècle d'absence.
Elle s'était étendue sur le divan, tout contre le mur. Dolorès et moi, nous étions assis presque à ses pieds. Derrière le dos de Dolorès, ma main reposait sur la cuisse d'Irma ; il se dégageait de sa chair une chaleur sèche.
— Elle doit drôlement monter la garde ? dit Dolorès faisant allusion à Mona. Elle a peur de te perdre — ou quoi ?
— Peut-être, répondis-je avec un sourire provocant. Et qui dit que, moi aussi, je n'ai pas peur de la perdre ?
— Alors c'est sérieux ?
— Très, répondis-je. J'ai trouvé la femme qu'il me fallait et j'ai bien l'intention de la garder.
— Vous êtes mariés ?
— Pas encore... mais ça ne va pas tarder.
— Et vous aurez des enfants et tout et tout ?
— Ça je l'ignore... pourquoi ? C'est important ?
— Tant qu'à faire, vous pourriez y aller carrément, dit Dolorès.
— Oh, assez ! intervint Irma. A t'entendre, on te croirait jalouse. Moi je ne le suis pas ! Je suis bien contente qu'il ait trouvé la femme qu'il cherchait. Il le mérite.
Elle pressa ma main et ne relâcha sa pression que pour aiguiller adroitement mes doigts sur son chat.
Dolorès, consciente de ce qui se passait, mais feignant de ne rien remarquer, se leva et se dirigea vers la salle de bains.
— Drôle de fille, me dit Irma. Elle a l'air littéralement verte de jalousie.
— Elle, jalouse ?... De qui ? De toi ? dis-je, quelque peu intrigué de mon côté.
— Mais non, pas de moi, voyons ! De Mona.
— Etrange, dis-je. Et moi qui la croyais amoureuse d'Ulric.
— Bien sûr, mais elle ne t'a pas oublié. Elle...
Je l'interrompis d'un baiser. Elle jeta ses bras autour de mon cou et se blottit contre moi, gigotant et se tortillant comme une grosse chatte.
— Heureusement je ne suis pas comme ça, murmura-t-elle. Je ne voudrais pas être amoureuse de toi. Je te préfère ainsi.
Je glissai de nouveau la main sous le kimono. Elle ne se fit pas prier pour répondre passionnément à ce geste.
Dolorès revint et s'excusa gauchement de déranger nos jeux. Debout tout près de nous, elle nous regardait, les yeux pétillants de malice.
— Passe-moi mon verre, veux-tu ? dis-je.
— Tu voudrais peut-être que je t'évente aussi ? répondit-elle tout en portant le verre à mes lèvres.
Je la forçai à s'asseoir à côté de nous et caressai sa jambe à demi nue, qui sortait de la robe de chambre. Elle aussi s'était dévêtue.
— Vous n'avez pas une espèce de vêtement pour moi, pendant que nous y sommes ? demandai-je, les regardant tour à tour
— Mais si, bien sûr ! répliqua Irma, se levant allègrement d'un bond.
— Oh, ne le dorlote donc pas comme ça ! dit Dolorès avec un sourire boudeur. Il adore ça... plus on fait de chichis autour de lui, plus il est content. Et ensuite il viendra nous raconter qu'il n'a pas son pareil comme mari fidèle !
— Mais elle n'est pas encore ma femme, dis-je, par provocation, tout en prenant le peignoir que me tendait Irma.
— Oh, vraiment ? dit Dolorès. Eh bien alors, c'est encore pire.
— Pire ! Cela veut dire quoi... pire ? Je n'ai rien fait jusqu'ici, que je sache ?
— Non, mais tu y es tout prêt.
— Autrement dit, tu ne demanderais pas mieux ? Patience... ton tour viendra.
— Tu peux toujours courir ! répliqua Dolorès. Moi, je vais me coucher. Libre à vous deux de faire ce que vous voulez.
Pour toute réponse, je fermai la porte et commençai à me déshabiller. A mon retour, je la trouvai allongée sur le divan avec Irma assise à la Turque à côté d'elle, les jambes bien en vue.
— Ne fais pas attention à ce qu'elle raconte, dit Irma. Elle t'aime bien, tout comme moi... plus, peut-être. Elle déteste Mona, c'est tout.
— Est-ce vrai ?
Je les regardai tour à tour. Dolorès se taisait, mais son silence acquiesçait.
— Je ne vois pas ce qui te pousse à lui en vouloir à ce point, me hâtai-je de poursuivre. Elle ne t'a jamais rien fait. Et tu n'as pas de raison d'être jalouse d'elle puisque... mon Dieu, tu n'étais pas amoureuse de moi... à l'époque.
— A l'époque ? Que veux-tu dire ? Je n'ai jamais été amoureuse de toi, Dieu merci ! se récria Dolorès.
— Tout ça n'est pas très convaincant, dit gaiement Irma. Ecoute, puisque tu n'as jamais été amoureuse de lui, inutile de t'exciter en le disant.
Puis, se tournant vers moi, elle ajouta avec cette gaieté qui lui était propre :
— Et toi, pourquoi ne l'embrasses-tu pas, pour mettre fin à ces bêtises ?
— Parfait, dis-je, qu'à cela ne tienne.
Sur ce, me penchant, je pris Dolorès dans mes bras. Elle commença par garder la bouche hermétiquement close, me regardant avec défi. Puis, peu à peu, elle céda et quand enfin elle s'arracha à mon étreinte, elle me mordit bel et bien les lèvres. En retirant sa bouche, elle me repoussa un peu :
— Dis-lui de s'en aller ! lança-t-elle à Irma.
Je lui jetai un regard de reproche, mêlé de pitié et de dégoût. Aussitôt elle se fit repentante et de nouveau consentante. Je me penchai encore sur elle, tendrement cette fois, et tout en lui glissant ma langue dans la bouche, j'insinuai une main entre ses jambes. Elle essaya de la repousser, mais cela demandait trop d'effort.
— Boouh ! On commence à étouffer ici !
C'était Irma qui parlait. L'instant d'après, elle m'arrachait à Dolorès.
— Moi aussi, je suis là, ne l'oublie pas, reprit-elle, m'offrant ses lèvres et ses seins.
Cela promettait. Une vraie séance de lutte à la corde. Je me levai d'un bond pour aller me verser à boire. Mon peignoir était tendu comme une toile de tente.
— C'est bien nécessaire de nous montrer ça ? dit Dolorès, feignant la gêne.
— Non, mais tu vas le voir, puisque tu y tiens, rétorquai-je, ouvrant le peignoir et m'exhibant en entier.
Dolorès tourna la tête du côté du mur, marmottant Dieu sait quoi sur « la dégoûtation et l'obscénité », d'une voix pseudo-hystérique. Irma, au contraire, contemplait la chose d'un regard plein de bonne humeur. Finalement, elle allongea les doigts et me serra doucement le truc. Comme elle se levait pour prendre le verre que je venais de lui remplir, j'ouvris sa robe de chambre et mis ma pine en batterie entre ses jambes. Nous bûmes à notre santé pendant que mon vit cognait à la porte de l'écurie.
— Moi aussi je voudrais bien boire ! dit avec pétulance Dolorès.
Nous nous retournâmes simultanément, lui faisant face. Elle était écarlate ; ses yeux brillaient, énormes, comme si elle y avait mis des gouttes de belladone.
— Vous avez l'air d'une paire de débauchés ! reprit-elle en nous regardant tour à tour, Irma et moi.
Je lui tendis un verre et elle but une grande gorgée. Elle luttait de toutes ses forces pour conquérir cette liberté qu'Irma brandissait comme un drapeau.
Sa voix s'éleva au ton du défi :
— Qu'attendez-vous pour faire ça et qu'on n'en parle plus ? dit-elle, nous jetant les mots à la figure.
A force de gigoter, elle avait défait sa robe de chambre ; elle le savait parfaitement et n'essayait même pas de cacher sa nudité.
— Allonge-toi là, dis-je, forçant doucement Irma à reculer un peu sur le divan.
— Toi aussi, allonge-toi, dit-elle.
Je portai le verre à mes lèvres et, pendant que je me rinçais la dalle, la lumière s'éteignit. J'entendis Dolorès protester :
— Non, pas ça, je t'en prie !
Mais la lampe ne se ralluma pas et tout en achevant de vider mon verre, je sentais la main d'Irma se refermer convulsivement sur ma pine. Je posai mon verre et m'installai d'un bond entre elles deux. Presque aussitôt, elles se rabattirent sur moi. Dolorès m'embrassait passionnément et Irma, tapie comme une chatte, rivait ses lèvres à ma verge. Quelques secondes, j'endurai les affres de la béatitude, puis la bombe explosa dans la bouche d'Irma.
Quand j'arrivai à Riverside Drive, l'aube commençait presque à pointer. Mona n'était pas rentrée. Je me couchai et j'attendis, guettant son pas. Je commençais à craindre qu'il ne lui fût arrivé un accident — ou pire : qu'elle ne se fût suicidée ou ne l'eût tenté à tout le moins. Il était également possible qu'elle fût allée jusque chez ses parents. Alors, pourquoi était-elle descendue de taxi ? Pour se précipiter dans le métro, peut-être ? Mais le métro n'allait pas dans cette direction. J'avais toujours la ressource de téléphoner chez elle, mais je savais qu'elle le prendrait très mal. Je me demandais si elle n'avait pas appelé dans le courant de la soirée et de la nuit. Rebecca pas plus qu'Arthur ne se souciaient jamais de me laisser un message ; ils attendaient toujours de me voir en personne.
Sur le coup de huit heures du matin, j'allai frapper à leur porte. Ils dormaient encore. Je dus cogner fort avant d'obtenir une réponse. Et je ne me trouvai pas plus avancé : ils étaient rentrés très tard de leur côté.
En désespoir de cause, j'allai chez Kronski. Lui aussi était tout emmitouflé de sommeil. Il n'avait pas l'air de comprendre où je voulais en venir. Finalement il me dit :
— Qu'y a-t-il ? Elle n'est pas rentrée de la nuit, une fois de plus — c'est ça ? Non, personne ne t'a demandé au téléphone. Fous le camp... fiche-moi la paix !
Je n'avais pas fermé l'œil. J'étais éreinté. Cependant, l'idée rassurante me vint qu'elle pouvait encore me téléphoner au bureau. Tout juste si je ne m'attendais pas à trouver un message guignant mon arrivée, sur ma table.
Je passai le plus clair de la journée à sommeiller à petits coups comme un chat. Je m'endormis sur la table, la tête au creux des bras. Plusieurs fois j'appelai Rebecca, dans l'espoir qu'elle aurait quelque chose à me dire ; mais la réponse était uniformément la même. Vint le moment de fermer boutique... Je traînai encore. Quoi qu'il fût arrivé, je n'arrivais pas à croire qu'elle laisserait passer la journée sans me téléphoner. La question ne se posait même pas.
J'étais tout nerfs, possédé d'une étrange vitalité. Brusquement, je me sentis d'une lucidité aveuglante ; plus lucide qu'après trois jours de repos complet au lit. J'attendrais une demi-heure de plus et, si elle n'avait pas téléphoné d'ici là, j'irais directement chez elle.
J'arpentais mon bureau comme une panthère en cage, quand la porte qui donnait sur l'escalier s'ouvrit et un petit type à peau brune fit son entrée. Il referma vivement l'huis derrière lui, comme s'il avait eu le diable à ses trousses. Il y avait quelque chose de jovial et de mystérieux dans le personnage, et l'accent cubain vint renforcer cette impression :
— Dites, M. Miller, vous allez m'engager, n'est-ce pas ? explosa-t-il. J'ai absolument besoin de cette place de porteur pour finir mes études. Tout le monde dit que vous êtes la bonté même... et je le vois bien : vous avez une bonne tête. J'ai des tas de cordes à mon arc, vous aurez tôt fait de vous en apercevoir quand vous me connaîtrez mieux. Je m'appelle Juan Rico. J'ai dix-huit ans. Je suis également poète.
— Eh bien, eh bien, dis-je, riant doucement et le caressant sous le menton (il avait la taille, et l'air, d'un nabot). Alors comme ça, tu es poète ? Dans ce cas tu peux être sûr que je t'embauche.
— Et acrobate aussi, me dit-il. Mon père avait un cirque dans le temps. Vous verrez, je sais me servir de mes jambes. J'adore galoper de tous les côtés, allegro pronto. Je suis aussi extrêmement courtois ; en remettant un télégramme, je ne manquerai jamais de dire : « A votre service, monsieur », ni de soulever respectueusement ma casquette. Je connais toutes les rues par cœur, même celles du Bronx. Et si vous étiez assez bon pour m'affecter au quartier espagnol, vous verriez comme je saurais me rendre utile... Dites, monsieur, je vous plais ?
Et de me faire un rictus ensorceleur qui sous-entendait que le gaillard n'avait besoin de personne pour vendre sa camelote.
— Va t'installer à cette table, lui dis-je. Je vais te donner une formule à remplir. Et demain matin, à la première heure, tu pourras commencer... avec le sourire.
— Oh, je sais sourire, monsieur... très bien sourire.
Et de s'exécuter.
— Tu es sûr d'avoir dix-huit ans ?
— Oh oui, monsieur. Et je peux le prouver. J'ai tous les papiers sur moi.
Je lui remis un formulaire blanc et passai dans la pièce voisine — la patinoire — pour le laisser en paix. Brusquement, sonnerie de téléphone... D'un bond, je reviens à ma table, j'empoigne le récepteur...
C'était Mona au bout du fil — la voix de Mona, soumise, contenue, méconnaissable — comme vidée de toute substance.
— Il est mort il y a quelques instants, disait-elle. Je n'ai pas quitté son chevet depuis que je t'ai laissé.
Je marmonnai quelques piètres paroles de condoléances, puis lui demandai quand elle comptait rentrer. Elle ne savait pas exactement... elle voulait me demander un petit service... pouvais-je faire un saut dans un grand magasin et lui acheter une robe de deuil et des gants noirs ? Taille quarante. Des gants en quoi ? Elle ne savait pas... comme je voudrais... Quelques mots encore — elle raccrocha.
Le petit Juan Rico me regardait dans les yeux, tel un bon chien fidèle. Il avait tout compris et essayait, avec sa délicatesse de Cubain, de me faire comprendre combien il désirait participer à ma douleur.
— Ce n'est rien, Juan, lui dis-je. Nous devons tous mourir un jour.
— C'était votre femme qui téléphonait ? s'enquit-il, les yeux humides et brillants.
— Oui, dis-je. Ma femme.
— Je suis sûr qu'elle doit être très belle.
— Qu'est-ce qui te fait dire cela ?
— Votre façon de lui parler... Je la voyais presque. Moi aussi, je voudrais bien épouser un jour une très belle femme. J'y pense souvent.
— Tu es un drôle de petit gars, lui dis-je. Tu penses déjà au mariage ? Mais tu n'es qu'un gosse !
— Voici ma demande, monsieur. Auriez-vous la bonté d'y jeter un coup d'œil tout de suite, de façon que je sois bien certain de pouvoir commencer demain ?
Je parcourus rapidement la feuille et l'assurai que c'était parfait.
— Alors, à votre service, monsieur... Et maintenant, monsieur, avec votre permission, puis-je suggérer que vous me permettiez de rester encore un petit instant avec vous ? Je ne crois pas qu'il soit bon d'être seul en pareil moment. Quand on a le cœur triste, on a besoin d'un ami.
Je partis d'un grand éclat de rire :
— Bonne idée ! Je t'emmène dîner, hein, qu'en dis-tu ? Et après, cinéma... ça te va ?
Il se leva et se mit à gambader comme un chien savant. Tout à coup, la pièce vide du fond attira sa curiosité. Je l'y suivis et le regardai d'un œil bienveillant faire l'inventaire du bric-à-brac. Les patins à roulettes l'intriguaient. Il en avait ramassé une paire et l'examinait comme s'il n'avait jamais rien vu de tel de sa vie.
— Mets-les, dis-je. Et fais un tour. Ici, c'est la patinoire.
— Et vous savez patiner, vous aussi ? demanda-t-il.
— Bien sûr. Tu veux que je te montre ?
— Oui, me répondit-il. Et je patinerai avec vous, si vous le voulez bien. Il y a des siècles que je n'ai essayé. C'est un passe-temps plutôt comique, vous ne trouvez pas ?
Patins aux pieds, je m'élançai, les mains derrière le dos, le petit Juan Rico sur mes talons. Au milieu de la pièce, se dressait une rangée de frêles colonnes. Je décrivis tout autour une série de boucles, comme s'il se fût agi d'une exhibition.
— Dites donc, mais c'est extrêmement divertissant, dit Juan, essoufflé. Vous glissez comme un zéphyr !
— Comme un quoi ?
— Un zéphyr... une brise légère et agréable...
— Oh, un zéphyr !
— J'ai écrit un poème sur un zéphyr autrefois... il y a longtemps.
Je le pris par la main et l'entraînai dans un tourbillon. Puis je le plaçai devant moi et, le tenant à deux mains par la taille, le poussai, le guidant légèrement et adroitement à travers la patinoire. Finalement, d'une forte poussée, je l'expédiai glissando à l'autre bout de la salle.
— Et maintenant, regarde bien : je vais t'exécuter quelques variations sur des thèmes tyroliens, dis-je, croisant les bras devant moi et levant une jambe en l'air.
La pensée que Mona ne soupçonnerait jamais de sa vie ce que je pouvais bien faire en ce moment m'emplissait d'une joie démoniaque. Passant et repassant devant le petit Juan qui, juché sur le rebord d'une fenêtre, s'absorbait dans le spectacle, je lui fis toutes sortes de grimaces — tristes et funèbres, puis gaies, puis mimant l'insouciance, l'hilarité, la méditation, la sévérité, la menace, l'imbécillité totale. Je me grattais les aisselles comme un singe, m'accroupissais comme un infirme, chantais en clef de braque, hurlais comme un dément. Et je tournais, tournais, sans relâche, joyeusement, libre comme l'oiseau. Juan se joignit à moi. Et nous voici piaffant, paradant comme des animaux, nous métamorphosant en souris valseuses, faisant un numéro de sourds-muets...
Et tout le temps je pensais à Mona errant dans sa demeure d'affliction et attendant sa robe de deuil, ses gants noirs et le reste.
De tourbillon en tourbillon et nous moquant de tout. Un rien de pétrole, une allumette — et vvouf ! nous aurions pris feu, escaladant les airs tel un manège en flammes. Je regardai la bouille de Juan... on eût dit du petit bois sec. Une envie folle me prit d'y mettre le feu, de le faire flamber et de le précipiter tout allumé dans la cage de l'ascenseur. Puis deux ou trois tours frénétiques à la Breughel, et hop ! par la fenêtre !
Je me calmai un peu. Non, pas Breughel ; mais Hiéronymus Bosch. Une saison en enfer, parmi les trappes et les poulies de la conscience médiévale. Premier temps rondo, arrachements et flammes. Second temps, vertige unijambiste. Finalement, plus rien que la toupie d'un torse. Et la musique aiguë qui nasille et qui vibre. La harpe de fer de Prague. Une rue naufragée près de la synagogue. Une douloureuse volée de cloches. Une lamentation gutturale de femme.
Fini Bosch. Chagall maintenant. Un ange en bourgeois descendant obliquement juste au-dessus du toit. Neige sur terre et, dans les caniveaux, petits bouts de viande pour les rats. Cracovie baignant dans une lumière violette d'éviscération. Mariages, naissances et funérailles. Un type en pardessus — son violon n'a qu'une corde. La mariée a perdu la tête : elle danse sur des jambes brisées.
Tourne, tourne, tourne, sonnettes de portes grelottant, sonnailles de traîneaux au loin. Ronde cosmococcyque de la douleur et des tibias. A la racine de mes cheveux, un soupçon de gelée blanche ; au bout de mes orteils, un incendie. Le monde entier n'est qu'un manège en flammes ; les chevaux brûlent jusqu'au jarret. Un père, froid et roide, gisant sur lit de plumes. Une mère, verte comme la gangrène. Et le fiancé qui roule et tourne.
Primo, nous l'ensevelirons en terre froide. Secundo, nous enterrerons son nom, ses légendes, ses cerfs-volants et ses chevaux de courses. Pour la veuve, un feu de joie, une suttie viennoise. Et moi j'épouserai la fille de la veuve — en robe de deuil et gants noirs. Et en guise d'expiation, j'oindrai de cendres mes cheveux.
Tourne, tourne, tourne... Et maintenant un huit. Puis le signe du dollar. Puis l'aigle éployé. Un rien de pétrole, une allumette, et je flamberais comme un arbre de Noël.
— M. Miller ! M. Miller ! appelle Juan. Assez, M. Miller ! Je vous en prie, arrêtez-vous !
Il a l'air effrayé, ce petit. Mais qu'a-t-il donc à me regarder fixement ainsi ?
— M. Miller, me dit-il, s'accrochant au pan de mon veston, ne riez pas comme cela, je vous en supplie ! Je vous en supplie... J'ai peur pour vous !
Je me détends. Un large rictus gagne mes traits, puis s'adoucit et se change en aimable sourire.
— J'aime mieux ça, monsieur. Vous commenciez à m'inquiéter. Nous ferions aussi bien de partir, vous ne croyez pas ?
— Je suis de ton avis, Juan. Je crois que nous avons pris assez d'exercice pour aujourd'hui. Demain, tu auras droit à une bicyclette. As-tu faim ?
— Ma foi, oui, monsieur, très faim. J'ai toujours un appétit fabuleux. Une fois, j'ai dévoré un poulet entier à moi tout seul. C'était quand ma tante est morte.
— Eh bien, nous mangerons du poulet ce soir, mon petit Juan. Deux poulets... un pour chacun de nous.
— Vous êtes trop bon, monsieur... Vous êtes sûr que ça va maintenant ?
— Si ça va ? — comme une locomotive, Juan ! Dis-moi : où crois-tu que nous pourrions trouver une robe de deuil à pareille heure ?
— Je n'en sais absolument rien, monsieur.
Dehors, je hèle un taxi. J'ai comme une idée que sur la rive droite il y a encore une chance de trouver des boutiques ouvertes. Le chauffeur est certain de m'en dénicher une.
— Comme il est vivant, ce quartier ! dit Juan, lorsque nous descendons devant un magasin de modes. C'est toujours comme ça ?
— Toujours, dis-je. Une fête perpétuelle. Il n'y a que les pauvres pour jouir de la vie.
— J'aimerais bien travailler quelque temps dans ce coin, dit Juan. Quelle langue parlent ces gens ?
— Toutes les langues, dis-je. Même l'anglais est permis.
Le patron de la boutique est debout sur le seuil. Il administre à Juan une tape amicale sur la tête.
— Je voudrais une robe de deuil, taille 40, dis-je. Quelque chose de pas trop cher. A livrer ce soir, franco de port.
Une jeune Juive très brune, à l'accent russe, s'avance :
— La personne est jeune ou âgée ?
— Jeune, et de votre taille environ. Il s'agit de ma femme.
Elle commence à me montrer divers modèles. Je lui dis de choisir celui qu'elle juge faire le mieux l'affaire. J'implore :
— Mais surtout pas quelque chose de laid. Rien de trop chic non plus. Vous voyez ce que je veux dire.
— Et les gants, dit Juan. N'oubliez pas les gants.
— Quelle pointure ? demande la jeune femme.
— Montrez-moi vos mains, dis-je.
Je les étudie un instant :
— Un rien plus grand.
Je donne l'adresse et laisse un pourboire généreux pour le garçon de courses. Le patron s'approche, maintenant, se met à parler à Juan. Il a l'air de s'intéresser vivement à lui.
— D'où viens-tu, fiston ? demande-t-il. De Porto Rico ?
— De Cuba, répond Juan.
— Tu parles l'espagnol ?
— Oui, monsieur. Et le français et le portugais.
— Tu es bien jeune pour connaître toutes ces langues.
— Mon père me les a enseignées. Mon père était rédacteur en chef d'un journal de La Havane.
— Eh bien, eh bien, dit le patron. Tu me rappelles un jeune garçon que j'ai connu à Odessa.
— A Odessa ! dit Juan. J'ai été à Odessa autrefois. J'étais domestique à bord d'un navire marchand.
— Quoi ! s'exclame le patron. Tu as été à Odessa ? C'est incroyable. Quel âge as-tu ?
Le patron se tourne vers moi. Il veut savoir s'il ne pourrait pas nous inviter à prendre un verre chez le glacier voisin.
Nous acceptons l'invitation avec plaisir. Notre hôte, qui s'appelle Eisenstein, se met à parler de la Russie. A l'origine, il était étudiant en médecine. Le jeune garçon qui ressemblait à Juan était son fils, mort depuis.
— C'était un garçon étrange, explique M. Eisenstein. Il était unique en son genre dans la famille. Et il avait son point de vue bien à lui. Il avait envie de faire le tour du monde à pied. Sur toute chose, il avait son idée, qui n'était jamais la vôtre. C'était un petit philosophe. Une fois, il s'est sauvé jusqu'en Egypte — pour étudier les pyramides. Quand nous lui avons annoncé que nous partions pour l'Amérique, il a déclaré que, lui, il voulait aller en Chine, qu'il n'avait pas envie de s'enrichir comme les Américains. Drôle de garçon. Et d'une indépendance ! Rien ne l'effrayait — pas même les Cosaques. C'est moi, parfois, qui avais presque peur de lui. Et d'où venait-il ? Il n'avait même pas l'air juif...
Sur ce, il se lança dans un monologue sur les apports de sang bizarres qu'avaient valus aux Juifs leurs prérégrinations. Il nous parla d'étranges tribus d'Arabie, d'Afrique et de Chine. Il pensait même que les Eskimos pouvaient avoir du sang juif dans les veines. A mesure qu'il lui parlait, cette idée du mélange des races et des sangs lui montait à la tête. Sans les Juifs, le monde n'eût été qu'une mare stagnante.
— Nous sommes comme des graines emportées par le vent, nous dit-il. Nous nous épanouissons sous tous les cieux. Nous sommes de rudes plantes. Jusqu'au jour où on nous extirpe par la racine. Et même alors, rien ne peut venir à bout de nous. Nous sommes capables de vivre sens dessus dessous. De pousser entre les pierres.
Tout ce temps il n'avait cessé de me prendre pour un Juif. Finalement je lui expliquai que tel n'était pas le cas, mais que ma femme était juive.
— Et elle s'est convertie au christianisme ?
— Non, c'est moi qui suis en train de devenir juif.
Juan me regardait avec de grands yeux étonnés. M. Eisenstein ne savait plus si je blaguais ou non.
— Quand je viens par ici, lui dis-je, je me sens heureux. Je ne sais pourquoi, mais j'y suis infiniment plus à mon aise qu'ailleurs. Peut-être ai-je du sang juif sans le savoir.
— Je crains bien que non, répondit M. Eisenstein. Vous subissez l'attrait parce que nous n'êtes pas juif. Vous aimez ce qui est différent, c'est tout. Peut-être y a-t-il eu un temps où vous haïssiez les Juifs. Ce sont des choses qui arrivent. On s'aperçoit soudain qu'on se trompait, et on se prend à aimer violemment ce que l'on détestait. On va à l'autre extrême. Je connais un gentil qui s'est converti au judaïsme. Nous ne sollicitons pas les conversions, vous savez. Quand on est bon chrétien, mieux vaut le rester.
— Mais je me moque bien des religions, dis-je.
— La religion est tout, rétorqua-t-il. Qui est incapable d'être bon chrétien, ne saurait faire un bon Juif. Nous ne sommes pas plus un peuple qu'une race... nous sommes une religion.
— C'est vous qui le dites, mais je n'en crois rien. Ce n'est pas si simple. On dirait que vous êtes des espèces de bactéries. Rien ne peut expliquer votre survivance — non certes, pas même votre foi. C'est pourquoi ma curiosité, ma passion s'éveillent quand je me trouve mêlé à vous. J'aimerais posséder la clef du mystère.
— Etudiez donc votre femme, me dit-il.
— C'est ce que je fais, mais je n'en sors pas. Elle reste une énigme.
— Pourtant vous l'aimez ?
— Oui, dis-je, passionnément.
— Et pourquoi n'êtes-vous pas avec elle en ce moment ? Pourquoi lui faites-vous livrer cette robe ? Qui donc est mort ?
— Son père, répondis-je. Mais je ne le connais pas, me hâtai-je d'ajouter. Je n'ai jamais pénétré chez elle.
— Mauvais, dit-il. C'est un tort. Vous devriez aller la retrouver. Peu importe si elle ne vous l'a pas demandé. Allez la voir. Ne lui permettez pas d'avoir honte de ses parents. Vous êtes libre de ne pas vous rendre à l'enterrement, mais vous devez lui montrer que sa famille ne vous laisse pas indifférent. Vous n'êtes qu'un accident dans la vie de cette femme. Après votre mort, la famille continuera à exister. Elle absorbera votre sang. Nous avons bu le sang de toutes les races. Et nous continuons notre cours comme un fleuve... N'allez pas croire que ce soit elle seule que vous épousez... vous vous mariez avec la race juive, le peuple juif. Nous vous donnons vie et force. Nous sommes une nourriture. A la fin tous les peuples se retrouveront. La paix régnera. Nous bâtirons un monde neuf. Et il y aura place pour tous... Non, ne l'abandonnez pas à elle-même en ce moment. Vous le regretteriez. Elle est fière, voilà tout. C'est à vous d'être tendre et doux. A vous de roucouler comme un pigeon. Peut-être vous aime-t-elle déjà ; mais, plus tard, elle ne vous en aimera que plus. Elle vous tiendra comme un étau. Il n'est pas d'amour comparable à celui de la femme juive pour l'homme à qui elle a donné son cœur... surtout s'il est gentil par le sang. Pour elle c'est un triomphe. Mieux vaut pour vous rendre les armes que dominer... Excusez ce discours, mais je sais de quoi je parle. Et je vois bien que vous n'êtes pas un gentil comme les autres. Vous êtes un de ces gentils égarés à la recherche de quelque chose... quoi ? — vous ne le savez pas exactement. Nous connaissons bien vos pareils. Nous ne brûlons pas toujours de gagner votre amour. On nous a trahis si souvent ! Mieux vaut parfois un bon ennemi — on sait à quoi s'en tenir. Avec vos pareils, on ne sait jamais sur quel pied danser. Vous ressemblez à l'eau — nous, au roc. Vous nous mangez petit à petit — non par malice, mais par bonté. Vous nous lapez doucement, comme les vagues de la mer, le sable. Les tempêtes, nous savons leur tenir tête ; mais cette caresse des petites vagues... elle nous laisse sans force.
J'étais si passionné par cette dissertation improvisée que je ne pus m'empêcher de l'interrompre.
— Oui, je sais, me dit-il. Je devine vos sentiments. Voyez-vous, nous vous connaissons parfaitement — mais vous autres, vous avez tout à apprendre de nous. Vous aurez beau vous marier mille et une fois — avec mille et une Juives — vous n'atteindrez jamais à notre degré de connaissance. Nous sommes là, au fond de vous, tout le temps. Oui, peut-être sommes-nous des bactéries. Si vous êtes vigoureux, nous sommes pour vous un ferment de vie ; faibles, vous périssez par nous. Nous ne vivons pas dans le siècle, comme le croient les gentils, mais dans l'esprit. Le siècle est éphémère ; l'esprit a pour lui l'éternité. Mon jeune fils avait compris cela. Il voulait demeurer pur. Le siècle ne lui suffisait pas. Il est mort de honte... de honte du siècle...