Pendant que la procédure de divorce suivait son cours, les événements allaient leur train, roulant, s'amoncelant comme au déclin d'une époque. Il ne manquait qu'une guerre pour couronner le tout. Tout d'abord Leurs Sataniques Majestés de la Compagnie Cosmodémoniaque du Télégraphe avaient estimé opportun de changer une fois de plus mon GQG, le transportant au faîte d'un vieil édifice tout en greniers, dans le quartier des industries de la ficelle et du carton. Mon bureau se dressait au centre d'un immense parquet abandonné qui servait de salle de sport et loisir à notre brigade de porteurs, après les heures de travail. La pièce adjacente, également vaste et vide, tenait à la fois de la clinique, du dispensaire et du gymnase. Pour compléter le tableau, il ne manquait que l'installation de quelques tables de jeu. Un certain nombre de types de notre bande de demeurés, apportaient leurs patins à roulettes, histoire de tuer les heures « de pause ». Il en résultait un ramdam infernal, tout le jour durant, mais je ne me moquais à tel point, désormais, de tous les plans et projets de la Compagnie, que, loin de me déranger, ce vacarme m'amusait follement. J'étais maintenant complètement isolé des autres services. Fini les oreilles ennemies et les yeux collés au trou des serrures ; j'étais en quarantaine, pour ainsi dire. Nous continuions à engager et à saquer, mais comme en rêve ; je n'avais plus que deux personnes sous mes ordres : moi-même et l'ex-pugiliste anciennement préposé aux vestiaires. Je ne faisais aucun effort pour tenir à jour les fichiers, pas plus que je ne me souciais de vérifier les références ou d'entretenir la moindre correspondance. La moitié du temps, je ne me donnais pas la peine de répondre au téléphone ; en cas d'extrême urgence, il y avait toujours le télégraphe.
L'atmosphère de ces nouveaux quartiers était nettement à la démence précoce. On m'avait relégué en enfer et j'y prenais un plaisir infini. Dès que j'avais expédié les candidatures du jour, je passais dans la pièce voisine et regardais évoluer ma bande de diables fous. De temps à autre je mettais moi-même une paire de patins et faisais une pirouette avec mon équipe de cinglés. Mon adjoint me lorgnait du coin de l'œil, incapable de comprendre ce qui m'arrivait. Parfois, malgré son austérité, ses « principes » et autres éléments détracteurs de sa psychologie, il partait d'un éclat de rire qui se prolongeait jusqu'aux frontières de la folie. Un jour il me demanda si j'avais des « ennuis à la maison ». Il devait craindre que le prochain stade ne fût la boisson.
De fait, il est vrai que, vers cette époque, je m'adonnai plutôt librement à la bouteille, les occasions ne manquant pas. Forme de rite assez innocente, d'ailleurs, qui ne débutait que le soir, à table. Un pur hasard m'avait fait découvrir un restaurant franco-italien, dans l'arrière-boutique d'une épicerie. L'atmosphère y était des plus joviales. On n'y voyait que des « types » — jusqu'aux sergents de police et aux inspecteurs qui se gorgeaient honteusement aux frais du patron.
Il me fallait bien un endroit où tuer les soirées, maintenant que Mona avait réussi à se faufiler dans le monde du théâtre, par la petite porte. Etait-ce Monahan qui lui avait trouvé ce boulot ? Ou, comme elle le disait, s'était-elle recommandée de ses propres mensonges ? — jamais je n'ai pu le savoir exactement. En tout cas, elle s'était accrue d'un nouveau nom, adapté à sa nouvelle carrière, et d'une histoire inédite, complète et ad hoc, de sa vie et de ses antécédents. Du jour au lendemain, elle était devenue anglaise, et sa famille avait toujours entretenu d'étroits rapports avec le théâtre, aussi loin que pouvait remonter sa mémoire... et c'était pharamineux jusqu'où cela la conduisait, souvent. C'est sur une des petites scènes qui fleurissaient alors, qu'elle fit son entrée dans ce monde du trompe-l'œil qui lui convenait si bien. On la payait si peu qu'on pouvait bien feindre de gober toutes ses fariboles.
Arthur Raymond et sa femme se montrèrent d'abord enclins à douter de l'événement. Elle n'en était pas à une fable près, pensaient-ils. Rebecca, dont l'hypocrisie n'était certes pas le fort, faillit lui éclater de rire au nez. Mais, le soir où elle rentra avec le manuscrit d'une pièce de Schnitzler et se mit sérieusement à répéter son rôle, l'incrédulité, chez nos amis, fit place à la consternation. Ils ne virent plus que de sombres désastres à l'horizon. Et quand Mona (par quel mystérieux tour de passe-passe ?) réussit à entrer à la Guilde du Théâtre, l'atmosphère de la maisonnée se sursatura d'envie, de dépit et de malveillance. La comédie se changeait par trop en réalité... Mona risquait vraiment de devenir l'actrice qu'elle disait... attention, danger !
Il n'y avait pas de fin aux répétitions, apparemment. Je ne savais à quelle heure rentrerait Mona. Quand il m'arrivait de passer une vraie soirée avec elle, j'avais l'impression de recueillir les propos d'une vache saoule. Le lustre de cette vie nouvelle lui avait complètement tourné la tête. De temps en temps, je restais le soir à la maison et j'essayais d'écrire, mais en vain. Arthur Raymond était toujours là, aux aguets dans un coin, comme une pieuvre.
— A quoi rime ce besoin d'écrire ? me disait-il. Bon Dieu, comme s'il n'y avait pas assez d'écrivains, déjà, en ce monde !
Et le voilà parti dans de grands discours sur les auteurs — ceux qu'il admirait — pendant que je restais cloué devant ma machine, comme n'attendant que son départ pour me remettre au travail. Souvent, je me contentais de rédiger une lettre — une lettre à un auteur célèbre, à qui je disais toute mon admiration pour son œuvre, lui suggérant discrètement que, s'il n'avait pas encore entendu parler de moi, cela ne saurait plus tarder. C'est ainsi qu'il m'arriva un jour de recevoir une lettre stupéfiante du Dostoïevski du Nord (comme on l'appelait) : Knut Hamsun. La lettre était de la main de sa secrétaire, en mauvais anglais ; et, de la part d'un homme qui devait bientôt recevoir le Prix Nobel, elle constituait (c'est le moins qu'on puisse dire) un bizarre spécimen de prose dictée. Après avoir expliqué le plaisir, l'émotion, même, que lui avait causés mon hommage, il déclarait ensuite (par le canal de sa bûche de secrétaire) que son éditeur américain était loin d'être content des résultats financiers de la vente de ses œuvres et craignait de ne pas être en mesure de publier ses autres livres... à moins que le public ne vînt à donner des gages d'un plus vif intérêt. Le ton était celui d'un géant en détresse. Il se demandait vaguement ce que l'on pouvait bien faire pour rattraper la situation — non tant pour lui-même que pour son cher éditeur qui pâtissait vraiment par sa faute. Puis — au fur et à mesure de la lettre — une heureuse idée semblait lui venir, qu'il s'empressait bientôt de formuler. A savoir : il avait reçu autrefois une lettre d'un certain M. Boyle, qui vivait comme moi à New York et que je connaissais sans nul doute ( !). Il avait donc pensé que, M. Boyle et moi, nous pourrions peut-être nous réunir, nous triturer les méninges, penchés sur la situation, et finir très probablement par trouver une brillante solution. Faire savoir, par exemple, à d'autres gens en Amérique, qu'il existait, perdu dans les solitudes marécageuses de la Norvège, un écrivain du nom de Knut Hamsun dont les livres, consciencieusement traduits en anglais, languissaient actuellement sur des étagères, dans les caves d'un éditeur. Il était certain que, pour peu que l'on parvînt à en faire vendre quelques centaines d'exemplaires de plus, l'éditeur reprendrait courage, et foi en lui. Il avait été en Amérique, disait-il encore, mais son anglais était trop médiocre pour l'autoriser à m'écrire lui-même ; il avait toute confiance en sa secrétaire pour m'exprimer clairement ses pensées et ses intentions. Que je n'oublie pas d'aller voir M. Boyle, dont il ne se rappelait plus l'adresse. Faites votre possible, me demandait-il instamment. Peut-être se trouvait-il d'autres personnes à New York qui avaient ouï parler de son œuvre et avec qui nous pourrions nous entendre. Il terminait sur une note douloureuse, mais qui ne manquait pas de majesté... J'examinai cette lettre de très près, pour voir si peut-être il ne l'avait pas mouillée de quelques larmes.
Si l'enveloppe n'avait pas porté le timbre norvégien, s'il n'y avait eu au bas de la lettre les pattes de mouche de sa signature, que je vérifiai par la suite, j'aurais pris la chose pour une mauvaise farce. Il s'ensuivit d'énormes discussions accompagnées de bruyants éclats de rire. On considérait que j'étais royalement payé de mon culte imbécile des héros. L'idole était déboulonnée, et mon esprit critique, réduit à zéro. Personne ne pouvait comprendre comment, après cela, j'oserais encore lire Knut Hamsun... A vrai dire, j'en aurais pleuré. C'était pour moi une sorte d'avortement atroce, sans qu'il me fût possible d'en mesurer exactement la cause ; mais en dépit de tout ce qui tendait à prouver le contraire, je n'arrivais strictement pas à croire que ce fût bien l'auteur de La Faim, de Pan, de Victoria, de L'Eveil de la Glèbe, qui eût dicté cette lettre. Il était parfaitement concevable qu'il s'en fût remis à sa secrétaire, qu'il eût griffonné sa signature en toute bonne foi, sans se soucier de se faire lire le texte. Un homme aussi célèbre recevait sans nul doute des douzaines de lettres par jour, d'admirateurs du monde entier. Rien, dans ce panégyrique que je lui avais envoyé et qui sentait la jeunesse, ne pouvait retenir l'attention d'un homme de sa stature. D'ailleurs, il méprisait probablement en bloc notre race ; l'expérience qu'il avait eue d'elle, durant ses années de pèlerinage, avait été assez amère. Non, la vérité était probablement qu'à plus d'une reprise il avait dû raconter à son andouille de secrétaire que la vente de ses livres en Amérique était négligeable. Peut-être son éditeur l'avait-il relancé — c'est un fait connu que les éditeurs n'ont qu'un souci, dans leurs rapports avec les auteurs : la vente, très précisément. Peut-être avait-il dit, en passant, devant sa secrétaire, que les Américains avaient toujours de l'argent à dépenser pour ce qui ne valait pas la peine dans la vie. Et l'autre, pauvre idiote, probablement dans son adoration pour le Maître, avait décidé de saisir au vol cette occasion de glisser une ou deux suggestions parfaitement dingues, dans l'idée de redresser une situation pénible. Il y avait toute chance qu'elle n'eût rien d'une Dagmar, d'une Edwige. Non, même pas d'une âme simple à la Martha Gude, s'efforçant désespérément de ne pas se laisser prendre aux envolées et aux avances romanesques d'un Herr Nagel. C'était probablement une de ces têtes de hure, une de ces Norvégiennes cultivées et parfaitement émancipées, à l'imagination près. Férue d'hygiène, probablement ; l'esprit scientifique ; capable de tenir en ordre son ménage ; ne faisant de mal à personne ; se mêlant de ses affaires ; et rêvant de diriger un jour un institut d'insémination ou une crèche pour petits bâtards.
Non, je n'avais pas perdu toute illusion sur mon dieu. A dessein je relus certains de ses livres et, dans la candeur de mon âme, je versai encore un pleur sur tel et tel passages. J'en fus si profondément impressionné que j'en vins à me demander si je n'avais pas rêvé la fameuse lettre.
Cet « avortement » eut des répercussions absolument extraordinaires. Je me transformai en être sauvage, amer, caustique. En vagabond pinçant de muettes cordes métalliques. J'incarnai à tour de rôle tous les personnages de mon idole. Mes discours n'étaient que merde pure, contes à dormir debout. Je déversais sur tout des torrents de pisse bouillante. Je me dédoublai : j'étais à la fois moi-même et les personnages que j'incarnais (et ils étaient légion).
Le procès en divorce était imminent. Cela me rendit encore plus sauvage et amer — pour Dieu sait quelle raison. J'avais horreur de la farce que l'on vous impose en pareil cas au nom de la justice. Je détestais et méprisais l'avocat que Maude avait chargé de défendre ses intérêts. Il avait l'air d'un Romain Rolland gavé à la polenta, d'une chauve-souris sans un brin d'humour ou d'imagination. Il semblait lourd de vertueuse indignation — une peau de verge dans toute l'acception, un lâche, un sournois, un hypocrite. Il me flanquait la chair de poule.
Je dis à Maude ce que je pensais de lui, le jour de notre petite sortie. Nous étions couchés dans l'herbe, quelque part non loin de Mineola. La petite courait autour de nous et cueillait des fleurs. Il faisait chaud, très chaud ; il soufflait un vent sec et brûlant qui portait sur les nerfs et le reste. J'avais sorti ma pine pour la mettre dans la main de Maude. Elle l'examinait timidement, ne désirant pas entrer dans des détails trop cliniques, et pourtant mourant d'envie de se convaincre que mon truc se portait bien. Au bout d'un moment, elle le lâcha et se laissa aller à la renverse, les genoux remontés, le vent chaud lui léchant les fesses. Je l'aiguillai sur une position favorable et l'incitai à retirer sa culotte. Elle était encore dans un de ses jours protestataires. N'aimait pas l'idée de se laisser tripoter comme ça en plein champ. « Mais il n'y a pas âme qui vive », insistai-je. Je la fis écarter un peu plus les jambes ; je palpai l'intérieur du con. Il visquait. Je l'attirai à moi et cherchai à entrer. Elle se déroba. Elle se tracassait au sujet de l'enfant. Je tournai la tête :
— Ne t'inquiète pas pour elle, lui dis-je. Elle s'amuse bien. Elle nous a oubliés.
— Mais suppose qu'elle revienne... et qu'elle nous voie...
— Elle croira que nous dormons. Elle ne saura pas ce que nous faisons.
Sur quoi elle me repoussa violemment. C'était outrageant :
— Tu ferais l'amour même devant ta fille ! Tu es horrible !...
— Comment, je suis horrible ? C'est toi, oui, qui l'es. Puisque je te dis qu'il n'y a aucun mal. Même si elle venait à s'en souvenir plus tard — quand elle sera grande — elle serait femme alors, et elle comprendrait. Cela n'a rien de sale. C'est toi qui as l'esprit sale, voilà tout.
En attendant elle remettait sa culotte. Moi, je n'avais pas pris la peine de rengainer mon truc dans ma braguette ; il mollissait et finit par se coucher dans l'herbe, dégoûté.
— Eh bien, alors, cassons la croûte, dis-je. A défaut de baiser, on peut toujours manger.
— Manger, oui ! Rien ne t'empêcherait de manger ! Manger, dormir, il n'y a que cela qui compte dans la vie, pour toi !
— Baiser, dis-je. Pas dormir.
— Je voudrais bien que tu te décides à me parler autrement... (Elle se mit à déballer les victuailles)... Il faut toujours que tu gâches le plaisir. Je pensais que, pour une fois, nous passerions tranquillement la journée. Depuis le temps que tu répétais que tu voulais nous emmener pique-niquer ! Mais jamais tu ne l'as fait ! Pas une seule fois ! Tu ne pensais qu'à toi, à tes amis et à tes femmes. Dire que j'ai pu croire que tu changerais peut-être... idiote que je suis ! Tu te moques de ta fille — à peine si tu as fait attention à elle. Tu n'es même pas capable d'un minimum de retenue en sa présence. Tu serais fichu de faire l'amour avec moi devant elle, en prétendant qu'il n'y a pas de mal. Tu n'es qu'un vil individu... Je suis bien contente que tout cela soit fini ! La semaine prochaine, au moins je serai libre... débarrassée de toi pour la vie. Tu m'as empoisonnée. Si je suis pleine d'amertume et de haine aujourd'hui, c'est ta faute. De même que c'est ta faute si j'en viens à me mépriser moi-même. Depuis que je te connais, je ne me reconnais plus. Je suis devenue ce que tu voulais. Tu ne m'as jamais aimée, jamais ! Tout ce que tu voulais, c'était contenter tes désirs. Tu m'as traitée comme une bête. Tu prends ce dont tu as envie ; après quoi, adieu ! Tu me quittes pour passer à la suivante — la première venue — du moment, simplement, qu'elle se couche devant toi et qu'elle ouvre les jambes. Il n'y a pas en toi un gramme de loyauté, de tendresse ou de respect... Tiens, attrape ça ! dit-elle, me fourrant un sandwich dans la main. Et puisses-tu t'étouffer !
Portant le sandwich à mes lèvres, je flairai vaguement l'odeur de son con sur mes doigts. Je reniflai plus fort et levai les yeux sur elle en ricanant.
— Tu n'es qu'un dégoûtant ! me cria-t-elle.
— Oh, n'exagérons rien, ma toute belle ! Tu as beau m'être odieuse, avec ta gueule au vinaigre, je trouve au moins que ça fleure bon. J'aime bien son odeur, à ce truc ; c'est tout ce que j'aime en toi.
Elle était furieuse maintenant. Elle se mit à pleurer.
— Allons, bon ! Tu pleures parce que je te dis que j'aime bien ton con ! Quelle femme ! Bon Dieu, et c'est toi qui te permets de me mépriser, encore ? Quelle sorte de créature es-tu donc ?
Elle redoubla de larmes. Au même instant, l'enfant rappliqua en courant... Qu'y avait-il ? Pourquoi sa maman pleurait-elle ?
— Ce n'est rien, répondit Maude en séchant ses larmes. Je me suis foulé la cheville.
Malgré tous ses efforts pour se maîtriser, elle laissa échapper deux ou trois sanglots, secs comme des rots. Elle se pencha sur le panier et choisit un sandwich pour la petite.
— Pourquoi ne fais-tu rien, Henry ? dit l'enfant.
Elle restait assise et son regard grave et intrigué allait de Maude à moi.
Je me mis à genoux et voulus frictionner la cheville de Maude.
— Ne me touche pas ! dit-elle durement.
— Mais c'est pour te guérir ! protesta l'enfant.
— Oui, papa va guérir ça, dis-je, frictionnant doucement la cheville, puis caressant à petits coups le mollet de Maude.
— Embrasse-la, dit la petite. Embrasse-la pour qu'elle ne pleure plus.
Je me penchai et embrassai ma femme sur la joue. A ma stupéfaction, elle jeta ses bras autour de moi et me donna un baiser véhément sur la bouche. Et la petite, à son tour, se serrant contre nous, se mit à nous embrasser tous les deux.
Brusquement, Maude fut secouée d'un nouveau spasme de sanglots. Cette fois, le spectacle était vraiment pitoyable. J'étais navré pour elle. Je l'enlaçai affectueusement et la consolai.
— Seigneur ! sanglotait-elle. Quelle farce !
— Mais non, dis-je. Je t'assure que je suis sincère. Je te demande pardon, pardon pour tout.
— Ne pleure plus, implorait l'enfant. J'ai faim. Je voudrais qu'Henry me porte jusque là-bas... (Elle montrait de sa petite main un bosquet à l'orée du champ)... Et je veux que tu viennes aussi.
— Dire que c'est la seule et unique fois... et qu'il devait en être ainsi ! marmotta Maude (elle reniflait maintenant).
— Ne dis pas cela, Maude. La journée n'est pas finie. Ne parlons plus de toutes ces histoires. Mangeons plutôt, tiens !
A contrecœur, d'un geste las, eût-on dit, elle prit un sandwich et le porta à sa bouche.
— Je n'ai pas faim, murmura-t-elle, laissant choir le sandwich.
— Allons, allons, bien sûr que si, tu as faim ! insistai-je, l'entourant de mon bras une fois de plus.
— Tu fais ce geste maintenant... et dans quelques instants, tu t'arrangeras pour le gâcher.
— Non, non... je te promets.
— Embrasse-la encore, dit l'enfant.
Je me penchai et j'embrassai Maude tendrement, sur les lèvres. Elle avait l'air réellement apaisé, maintenant. Ses yeux se mirent à briller d'un doux éclat.
— Pourquoi ne peux-tu être tout le temps ainsi ? dit-elle au bout d'un bref silence.
— Mais je le suis, dis-je, si on m'en laisse la chance. Je n'aime pas me disputer avec toi. N'est-ce pas naturel ? Puisque nous ne sommes plus mari et femme ?
— Alors, pourquoi me traiter comme cela ? Pourquoi toujours me poursuivre et m'importuner ? Pourquoi ne pas me laisser en paix ?
— Mais je ne te poursuis pas, répondis-je. Ce n'est pas de l'amour, c'est du désir. Est-ce un crime, dis ? Pour l'amour du Ciel, nous n'allons pas recommencer, hein ? Je suis décidé à te traiter comme tu le veux... aujourd'hui Je ne te toucherai plus.
— Je ne t'en demande pas tant. Je ne dis pas que tu ne dois pas me toucher. C'est la façon dont tu t'y prends... tu ne montres pas le moindre respect pour moi... pour ma personne. Voilà ce qui me déplaît. Je sais bien que tu ne m'aimes plus, mais rien ne t'empêche de te conduire honnêtement à mon égard, même si tu te moques de moi à présent. Je suis loin d'être aussi prude que tu le prétends. Moi aussi, je sens les choses... plus profondément, plus vivement que toi peut-être. Si tu te crois irremplaçable, tu te trompes. Qu'on me laisse seulement un peu de temps...
Elle mâchonnait son sandwich sans grande conviction. Tout à coup, ses yeux se mirent à luire. Elle prit un air à la fois modeste et coquin.
— Je pourrais me remarier demain, si je le voulais, poursuivit-elle. Cela tétonne,h ein?A v raid ire,o nm 'ad éjà fait trois demandes. La dernière venait de...
Ici, elle prononça le nom de son avocat.
— Lui ? dis-je, incapable de réprimer un sourire de mépris.
— Parfaitement, lui, reprit-elle. Et il n'est pas ce que tu crois. Il me plaît beaucoup.
— Bien, bien, tout s'explique. Je comprends maintenant son intérêt passionné pour l'affaire.
Je savais parfaitement qu'elle se moquait de ce Rocambole, tout comme du docteur qui lui explorait le vagin avec un doigt de caoutchouc. Au fond, les gens lui étaient égal ; tout ce qu'elle voulait, c'était la paix, un sursis dans la souffrance. Elle voulait une paire de genoux sur quoi se poser dans la pénombre, une pine qui entrât en elle mystérieusement, un babil diluvien qui noyât sous les mots tous ses désirs honteux. Et pourquoi pas, bien sûr, Me Comment-diable-s'appelait-il ? Oui, pourquoi pas ? Lui, au moins, il serait fidèle comme un stylo, discret comme un piège à rat, prévoyant comme une police d'assurance... espèce de serviette de cuir ambulante, avec des casiers dans le beffroi... de salamandre au cœur de pastrami ! Cela l'avait scandalisé, celui-là, pour sûr, d'apprendre que j'avais ramené une autre femme dans mon foyer. Scandalisé, d'apprendre que j'avais laissé les capotes de service sur le bord du lavabo. Et que j'étais resté avec ma bien-aimée pour prendre le petit déjeuner. Mais un escargot ressent un choc quand une goutte de pluie vient heurter sa coquille. Et un général, donc, à la nouvelle que sa garnison s'est fait massacrer en son absence ! Et Dieu lui-même, sans nul doute, quand il voit à quel degré révoltant de stupidité et d'insensibilité peut atteindre en réalité la bête humaine ! Et cependant je doute que rien puisse jamais choquer les anges — rien, pas même la présence de la folie.
J'en vins à tenter de démontrer à Maude, dialectiquement, la valeur du dynamisme moral. Je me tortillai la langue en de vains efforts pour lui expliquer le mariage de l'animal et du divin. Elle ne comprenait guère plus que le profane à qui l'on explique la quatrième dimension. Elle parlait de tact, de respect, comme elle eût fait de tranches de gâteau de Savoie. Le sexe était une bête féroce, enfermée au zoo, que l'on allait voir de temps à autre si l'on s'intéressait à l'évolution des êtres vivants.
Vers le soir, nous prîmes le train pour revenir en ville et fîmes la dernière étape en métro aérien. L'enfant dormait dans mes bras. Maman-Papa retour de pique-nique. Au-dessous de nous, la grande ville s'étalait, dans sa rigidité géométrique et dénuée de sens — rêve mauvais se cabrant en forme d'architecture. Rêve dont il est impossible de s'éveiller. M. Mégalopolite et Mme et Bébé. Clopin-clopant, traînant leurs chaînes. Suspendus dans le ciel comme quartiers de venaison. Une paire de chaque sorte. Accrochés comme de la viande. A un bout de la ligne, famine ; à l'autre, faillite. Dans l'intervalle des stations, le prêteur sur gages — trois boules d'or, trois couilles d'or, symbolisant la tri-unité du Dieu de naissance, d'enculage et de destruction. Jours heureux. Un brouillard monte en houle de Rockaway, pendant qu'à Mineola se recroqueville la nature, comme une feuille morte. De temps à autre les portières s'ouvrent, se referment : nouvelles fournées de viande de boucherie. Çà et là, des rognures de conversations, comme un concert de musaraignes. Qui penserait que le galopin joufflu, assis sur le siège à côté de moi, sera d'ici dix ou quinze ans en train de conchier de sa cervelle une terre étrangère ? Tout le long du jour on fabrique des tas de petits trucs et de machins innocents ; le soir venu, on va s'asseoir dans une grande halle sombre et on regarde gigoter des fantômes sur un écran blanc luisant. Peut-être les seuls instants de réalité que l'on connaisse sont-ils ceux où l'on trône et fait caca dans la solitude des waters ; ça ne coûte rien ni n'engage à rien. Pas comme de manger, ou de baiser, ou de pondre des œuvres d'art. On sort des waters, on fait un pas et on se retrouve dans les grandes chiottes. Tout ce qu'on touche est merdeux. Même à travers la cellophane, l'odeur est là. Caca ! Pierre philosophale de l'âge de l'industrie. Mort et transfiguration... en merde ! Vie grand-magasinière — pour les soieries, voyez rayon spécial, pour les bombes, rayon d'en face. Quelle que soit l'interprétation qu'on en donne, pas une pensée, pas un acte qui ne soient enregistrés à la caisse. Dès la première goulée d'air, on est baisé et rebaisé. Tout est aux mains de la grandiose, de l'unique International Business Machine Corporation... Logistique, ils appellent ça !
Papa-Maman sont maintenant aussi tranquilles que boudin en plat. Kaput, absolument kaput. Une journée de grand air en compagnie des vers de terre et autres inventions divines — quelle splendeur ! Quel ravissant entracte ! La vie coule à vos pieds comme un rêve. Si l'on prenait le scalpel, si l'on ouvrait le ventre de ces corps encore tièdes, on ne trouverait rien d'aussi idyllique. Si l'on vidait et récurait proprement l'intérieur de ces corps, pour les remplir de pierres, ils sombreraient au fond des mers, tels des canards crevés.
Gouttes de pluie. Averse. Grêle : une dégelée de bruantins rebondissant sur la chaussée. La grande ville fait penser à une termitière éclaboussée de désinfectant. Les égouts montent et dégorgent leur vomi. Ciel maussade et blafard comme un fond d'éprouvette.
Tout à coup, je me sens pris d'une gaieté meurtrière. Nom de Dieu, s'il pouvait pleuvoir comme cela pendant quarante jours et quarante nuits ! J'aimerais voir cette ville nager dans sa merde ; — voir les mannequins des vitrines s'en aller à vau-l'eau vers la rivière et les machines enregistreuses broyées sous les roues des camions ; — voir les foules se déverser des asiles, couperet au poing, et cogner, faucher, à droite, à gauche. Une bonne cure d'eaux ! Mais où est-il notre Aguinaldo ? Où est-il, le petit rat capable d'affronter le déluge, la machette entre les dents ?
Je les reconduis en taxi, les dépose saines et sauves, à l'instant précis où les foudres célestes tombent sur le clocher de la bondieu d'église catholique, au coin de la rue. Les cloches brisées font un vacarme d'enfer en s'écrasant sur la chaussée. A l'intérieur de l'église, une Vierge de plâtre est volatilisée. Le prêtre est si ahuri qu'il n'a pas le temps de boutonner sa culotte. Ses couilles enflent, on dirait de gros cailloux.
Mélanie bat des ailes çà et là, tel un albatros en délire.
— Il faut vous sécher ! se lamente-t-elle.
Déshabillage général, avec accompagnement de soupirs à fendre l'âme, de cris aigus, d'objurgations. Je passe un peignoir de Maude — celui avec les plumes de maribou. J'ai l'air d'une tapette qui se prépare pour un numéro d'imitation de Loulou Hurluberlu. Léger comme plume et duvet. Et je bande lentement... « personnellement » (si vous voyez ce que je veux dire).
Maude est en haut, en train de coucher la petite. Je me balade pieds nus, peignoir grand ouvert. Exquise sensation. Entre doucement Mélanie, histoire de voir comment je me porte. Elle se promène en culotte, perroquet juché sur le poignet. Le fait est qu'elle a peur des éclairs. Je lui parle, les deux mains rabattues sur ma pine. Décor et personnages dignes du « Sorcier d'Oz » de Memling. Temps : drei-viertel tak. De temps à autre, une foudre neuve laisse un goût de caoutchouc brûlé dans la bouche.
Debout devant la glace, j'admire mon vit frémissant, lorsque Maude entre, d'un pas léger. Folâtre comme une hase, et parée à virer — tout tulle et mousseline. Ce qu'elle voit dans la glace n'a nullement l'air de l'effrayer. Elle traverse la pièce, vient se mettre à côté de moi.
— Ecarte-moi ça ! dis-je d'une voix pressante.
— As-tu très faim ? me répond-elle, défaisant sans hâte sa robe de chambre.
Je la fais pivoter et la serre contre moi. Elle lève la jambe pour me laisser entrer. Nous nous regardons dans la glace. Elle est fascinée. Je retrousse sa robe de chambre par-derrière, découvrant son cul, pour qu'elle se voie mieux. Je la soulève et elle enroule ses jambes autour de moi.
— Oui, me dit-elle, vas-y, baise-moi ! Baise-moi !
Brusquement, elle défait ses jambes, décroche. Elle empoigne le grand fauteuil, le tourne, s'appuie des mains au dossier, tendant le cul comme une invite. Elle n'attend pas que je l'enfile, elle s'empare de mon truc et l'emboîte elle-même — sans cesser de regarder dans la glace. Je procède à un lent va-et-vient, tenant levés les pans de mon peignoir, telle une souillon pataugeant dans sa cuisine. Ça lui plaît de voir le truc sortir — de voir le chemin qu'il doit faire avant de retrouver l'air libre. Elle coule une main par-dessous et joue avec mes couilles. Elle est parfaitement déchaînée maintenant, défiant toute pudeur comme une casserole le feu. Je défourne aussi loin que possible sans me retirer entièrement, et elle fait tourner son cul, se laissant retomber de temps à autre sur mon manche et le saisissant dans un bec de velours. Finalement elle en a assez de ce jeu. Elle tient à s'allonger sur le sol et à me faire un collier de ses jambes.
— Va jusqu'au fond, me supplie-t-elle. N'aie pas peur de me faire mal... j'en ai envie. J'ai envie que tu me fasses tout.
J'y vais si à fond que j'ai la sensation de m'enliser dans un tas de moules. Elle frémit et tremble dans toute sa charpente. Je me penche et lui tète les seins ; les mamelons sont roides comme des clous. Soudain elle prend ma tête à deux mains, l'attire à elle et se met à me mordre sauvagement — lèvres, oreilles, joues, nuque.
— Dis que tu en as envie, siffle-t-elle entre ses dents. Dis-le, dis que tu en as envie... (Ses lèvres se tordent en un rictus obscène)... Dis-le, dis, dis !
Tout juste si elle ne se soulève pas du sol, dans sa rage passionnée. Et puis, un gémissement, un spasme, l'air égaré, torturé — on dirait un visage sous un miroir que martèlerait une masse.
— Ne t'en va pas, geint-elle.
Elle est là, les jambes toujours passées autour de mon cou, et le petit drapeau secret se met à frissonner et à voltiger.
— Seigneur ! dit-elle. Je ne peux pas me retenir !
Ma pine tient toujours le coup. Elle pend, soumise à l'orée de l'antre humide, comme pour recevoir les sacrements d'un ange lascif.
Maude jouit encore ; on dirait un accordéon s'affalant dans une outre de lait. Je bande de plus en plus. Je dénoue ses jambes et les étire le long des miennes.
— Ne bouge plus, Nom de Dieu ! Ah, tu en veux ? Tiens, en voilà... direct et franco de port !
Et lentement, férocement, je commence à entrer, sortir...
— Ah, ah... Oh ! siffle-t-elle, tétant son souffle.
Moi, je continue comme un robot. Moloch baisant son saoul de bombasine. Organza Friganza. Un boléro de jabs bien raides. Son regard devient fou ; elle a l'air d'un éléphant de cirque juché sur une boule... il ne lui manque que la trompe pour barrir. Baisage à mort. Je m'écroule sur elle, je lui mords les lèvres à en faire de la dentelle.
Puis, brusquement, je pense à la douche.
— Lève-toi ! Debout ! dis-je, la rudoyant du coude.
— Ce n'est pas la peine, me répond-elle faiblement, avec un sourire entendu.
— Tu veux dire...?
Je la regarde, stupéfait.
— Oui, ce n'est pas la peine, ne te tracasse pas... Comment te sens-tu ? Tu n'as pas envie de te laver ?
Dans la salle de bains, elle m'avoue qu'elle est allée voir le médecin — pas le même, un autre. Apparemment, il n'y aurait plus rien à craindre.
— Tu m'en diras tant ! dis-je avec un sifflotement.
Elle me poudre la pine, l'étire comme un ouvre-gants, puis se penche, l'embrasse.
— Mon Dieu ! dit-elle, m'entourant de ses bras. Si seulement...
— Si seulement quoi ?
— Tu sais bien ce que je veux dire...
Je me décolle de son étreinte, je détourne la tête, je dis :
— Oui, bien sûr... De toute façon, tu ne me détestes plus, hein ?
— Je ne déteste personne, répond-elle. Je regrette que les choses aient tourné ainsi. Je serai bien forcée de partager avec... avec cette femme... Tu dois mourir de faim, s'empresse-t-elle d'ajouter. Attends, je vais te préparer quelque chose avant que tu partes.
Elle commence par se poudrer soigneusement la figure, se rougir les lèvres et se coiffer négligemment, mais non sans attrait. Sa robe de chambre bâille au-dessus de la ceinture. Elle a mille fois plus de charme que je ne lui en ai jamais vu. Elle ressemble à un animal intelligent et vorace...
Je l'accompagnai à la cuisine, pine au vent et pendante, et l'aidai à préparer un petit casse-croûte froid. A ma surprise, elle sortit de derrière les fagots une bouteille de boisson ménagère — du vin de sureau, cadeau d'une voisine. Ayant fermé toutes les portes, nous laissâmes brûler le gaz pour nous tenir chaud. C'était formidable, cristi ! Comme si nous avions renoué connaissance. De temps à autre, je me levais, je la prenais dans mes bras, je l'embrassais passionnément tout en glissant une main dans la fente. Elle n'avait pas la moindre timidité, ne se dérobait pas. Au contraire. A un moment, je m'écartai d'elle ; elle prit ma main, puis plongeant rapidement, riva sa bouche à ma pine et se mit à téter.
— Tu as bien encore un petit moment, dis ? me demanda-t-elle comme je me rasseyais et prenais une bouchée.
— Bien sûr, si cela te fait plaisir, répondis-je (me sentant plein d'amabilité, prêt à acquiescer à tout).
— Est-ce ma faute, reprit-elle, vraiment ma faute si ce genre de choses n'était encore jamais arrivé ? C'est vrai, que j'étais si bégueule ?
Elle me regardait avec tant de franchise et de sincérité que c'était à peine si je reconnaissais la femme avec qui j'avais vécu tout ce temps.
— C'est probablement notre faute à tous les deux, dis-je, me jetant un autre verre de vin de sureau.
Elle alla à la glacière, fureta, cherchant s'il ne restait pas quelque gourmandise.
— Sais-tu ce que j'aurais envie de faire ? dit-elle, revenant vers la table, les bras chargés. J'aimerais descendre le gramophone et danser. J'ai une boîte d'aiguilles très douces... Cela te dirait ?
— Bien sûr, répondis-je. Ça m'a l'air d'une excellente idée.
— Et boire, nous griser un peu... cela te serait égal, dis ? C'est si extraordinaire ce que je ressens ! Je voudrais fêter cela.
— Et le vin ? dis-je. C'est tout ce qu'il y a ?
— La fille du dessus m'en donnera d'autre, si je veux, répondit-elle. A moins que tu ne préfères un peu de cognac... qu'en dis-tu ?
— Peu importe... du moment que ça te fait plaisir.
Elle se hâtait, prête à sortir. Je me levai d'un bond et la pris par la taille. Je soulevai son peignoir et l'embrassai sur le cul.
— Laisse-moi, murmura-t-elle. J'en ai pour une minute.
A son retour, je l'entendis chuchoter avec la fille du dessus. Elle frappa un coup léger au panneau de verre :
— Mets quelque chose, roucoula-t-elle. Elsie est avec moi.
Je passai dans la salle de bains et me ceignis les reins d'une serviette. Elsie fut prise de fou rire en me voyant. Nous ne nous étions pas revus depuis le jour où elle m'avait trouvé couché avec Mona. Elle semblait d'excellente humeur et nullement embarrassée par la tournure des événements. Elles apportaient une autre bouteille de vin de sureau et un peu de cognac. Et le gramophone avec ses disques.
Elsie était mûre à point pour participer à notre petite fête. Je m'étais attendu à voir Maude lui offrir un verre, puis l'expédier plus ou moins poliment. Non, rien de la sorte. La présence d'Elsie ne la troublait pas du tout. Elle s'excusa bien d'être demi-nue, mais avec un bon rire, comme d'un détail sans importance. On mit un disque et je dansai avec Maude. La serviette glissa de mes reins, mais personne ne fit mine de la ramasser. Quand nous nous décrochâmes, Maude et moi, je restai planté sur place, la pine saillant comme un beaupré, et je pris tranquillement mon verre. Elsie me lança un regard ébahi — un seul — et puis tourna la tête. Maude me tendit la serviette, ou plutôt la suspendit à ma pine.
— Tu permets, Elsie ? dit-elle.
Elsie était d'un calme effrayant — on croyait entendre le sang battre sous ses tempes. L'instant d'après, elle se dirigea vers le phono, tourna le disque et, prenant son verre sans nous regarder, le vida d'un trait.
— Pourquoi ne danses-tu pas avec elle ? dit Maude. Je ne t'en empêche pas. Vas-y, Elsie, danse avec lui !
Je m'approchai d'Elsie, serviette se balançant au bout de ma pine. Profitant de ce qu'elle tournait le dos à Maude, elle arracha brusquement la serviette et se saisit fiévreusement de mon truc. Je sentis tout son corps frissonner, comme sous l'effet d'un coup de froid.
— Je vais chercher des bougies, dit Maude. Il y a trop de lumière ici.
Elle disparut dans la pièce voisine. Aussitôt, Elsie s'arrêta de danser, colla ses lèvres aux miennes et darda sa langue dans ma bouche. Je lui mis la main au con, pressant très fort. Elle n'avait pas lâché ma pine. Le disque était à bout de course. Pas plus qu'elle, je ne songeai à arrêter la machine. J'entendais Maude qui revenait. Pourtant je ne m'arrachais pas à l'étreinte d'Elsie. Attention, gare à la bagarre, me disais-je... Mais Maude, apparemment, était aveugle. Elle allumait les bougies ; elle éteignait l'électricité... Je me détachai d'Elsie : cette fois, Maude était tout près de nous, je le devinais.
— Je vous en prie, dit-elle. Cela m'est égal. Vous voulez bien de moi ?
Sur ce, elle nous entoura de ses bras et nous voilà tous trois échangeant des baisers.
— Boouh ! Quelle chaleur ! dit Elsie, s'écartant à la fin.
— Ote ta robe si tu en as envie, dit Maude. Moi, j'enlève ce truc.
Et, joignant le geste à la parole, elle fit glisser sa robe de chambre et se tint nue devant nous.
L'instant d'après, nous étions complètement à poil tous les trois. Je m'assis et pris Maude sur mes genoux. Elle mouillait de nouveau. Elsie restait debout à côté de nous, un bras autour du cou de Maude. Elle était un peu plus grande qu'elle et fort bien bâtie. Je lui caressai le ventre et j'entortillai mes doigts dans son buisson, qui était presque à la hauteur de ma bouche. Maude regardait, un charmant sourire de satisfaction aux lèvres. Je me penchai en avant et mis un baiser sur le con d'Elsie.
— C'est merveilleux, de ne plus être jalouse ! dit très simplement Maude.
Elsie était cramoisie. Elle ne voyait pas très bien son rôle, ni jusqu'où elle pouvait aller. Elle scrutait intensément Maude, comme doutant encore de sa sincérité. Moi, cependant, je couvrais Maude de baisers passionnés, les doigts dans le con d'Elsie. Je sentis celle-ci se rapprocher encore, bouger doucement. Le jus dégoulinait sur mes doigts. En même temps, Maude se soulevait et, déplaçant son cul, s'arrangeait habilement pour retomber, ma verge très proprement emboîtée en elle. Elle me tournait presque le dos maintenant, le visage tout contre un sein d'Elsie. Elle haussa la tête et prit la pointe du sein entre ses lèvres. Elsie vibra tout entière et son con se mit à battre à coups spasmodiques et satinés. A présent, la main de Maude, qui s'était attardée sur la taille d'Elsie, descendait doucement et venait caresser les fesses soyeuses. Peu après, elle glissa plus bas encore et rencontra la mienne. Instinctivement, je lui cédai la place. Elsie se déplaça un peu et Maude, se penchant en avant, posa ses lèvres sur le con d'Elsie. En même temps, Elsie se penchait par-dessus Maude et plaquait ses lèvres sur les miennes. Nous tremblions comme si nous avions eu les fièvres.
Quand je sentis Maude commencer à jouir, je me retins de toutes mes forces, résolu à garder des munitions pour Elsie. La pine toujours raide, je soulevai délicatement Maude, la fis descendre de mes genoux et empoignai Elsie. Elle s'assit à califourchon, face à moi, et dans un élan de furieuse passion jeta les bras autour de mon cou, glua ses lèvres aux miennes et se mit à baiser comme s'il y était allé de sa vie. Maude, discrètement, avait pris le chemin de la salle de bains. Quand elle revint, Elsie était toujours assise sur mes genoux, un bras autour de mon cou, le visage en feu. Elle se leva alors pour se diriger à son tour vers la salle de bains. Pour moi je me contentai de me laver sur l'évier.
— Jamais je n'ai été aussi heureuse ! dit Maude, mettant un autre disque sur le phono. Donne-moi ton verre, reprit-elle.
En le remplissant, elle murmura :
— Que diras-tu chez toi ?
Je ne répondis pas. Alors, elle ajouta très bas :
— Tu pourrais dire que quelqu'un est tombé malade... la petite ou moi.
— Sans importance, répliquai-je. Je trouverai bien quelque chose.
— Tu ne m'en voudras pas ?
— T'en vouloir ? Et pourquoi ?
— Pour t'avoir retenu si longtemps.
— Bêtises ! dis-je.
Elle m'entoura de ses bras et me couvrit de tendres baisers. Et, nous tenant étroitement enlacés, nous saisîmes nos verres et levâmes silencieusement le coude à notre santé. Au même instant, Elsie revenait. Tous trois, debout, nus comme des porte-chapeaux, les bras tressés en guirlande autour de nos corps, nous trinquâmes les uns aux autres.
Puis nous recommençâmes à danser. Les bougies coulaient. Je voyais bien que, dans quelques instants, elles mourraient de leur belle mort et que personne ne lèverait le petit orteil pour renouveler le stock. Nous changions rapidement de partenaire, pour éviter qu'aucun de nous trois eût l'embarras de rester seul spectateur. Parfois, c'était à Maude et à Elsie de danser ensemble, et elles se frottaient mutuellement le con, de façon obscène, puis se séparaient en riant, et l'une d'elles essayait de m'agripper. Il régnait une telle atmosphère de liberté et d'intimité que n'importe quel geste, n'importe quel acte devenait permis. Les éclats de rire, les blagues fusaient de plus en plus. Quand finalement, les bougies se furent éteintes l'une après l'autre, et que ne ruissela plus qu'un pâle rayon de lune par les fenêtres, toute prétention à la retenue et à la décence s'évanouit.
Ce fut Maude qui eut l'idée de débarrasser la table. Elsie l'y aida machinalement, comme sous hypnose. En un clin d'œil la vaisselle se retrouva dans les bassines. Un saut rapide dans la chambre voisine pour y prendre une molle couverture que l'on étendit sur la table, agrémentée d'un oreiller. Elsie commençait à piger. Elle roulait de grands yeux.
Avant d'en venir au fait, cependant, Maude eut une autre inspiration : préparer des eggnogs. Il fallut rallumer pour cela. Toutes deux se mirent au travail d'arrache-pied, presque frénétiquement, versant généreusement le cognac dans la mixture. A mesure que le liquide me coulait dans le gosier, je le sentais filer droit à mon oiselet, me chauffer les rustines. Pendant que je buvais, la tête renversée en arrière, Elsie me prit les couilles dans le creux de la main.
— Il y en a une plus grosse que l'autre, dit-elle en riant.
Puis, après une seconde d'hésitation :
— Est-ce qu'on ne pourrait pas faire quelque chose tous ensemble ?
Elle regardait Maude. Maude eut un rictus, comme pour dire : pourquoi pas ?
— Si on éteignait le plafonnier ? reprit Elsie. Il ne sert plus à rien ; d'accord ?
Elle s'installa sur la chaise, à côté de la table.
— Moi, je regarde, dit-elle, caressant de la main la couverture.
Puis prenant Maude, elle la souleva et la hissa sur la table.
— Jamais rien vu de pareil, poursuivit-elle. Attendez une seconde !
Elle me prit par la main, m'attira à elle. Puis, regardant Maude :
— Je peux ?
Et sans attendre la réponse, elle se pencha en avant, s'empara de ma pine, se la mit dans la bouche. Au bout de quelques instants, elle ôta ses lèvres.
— Cette fois, ça y est... je regarde !
Elle me donna une petite poussée, comme pour me dire de me dépêcher. Maude s'étira comme une chatte, cul pendant par-dessus le bord de la table, coussin sous la tête. Elle noua les jambes autour de ma taille. Puis, brusquement, les défaisant, les jeta par-dessus mes épaules. Elsie était debout à côté de moi, la tête penchée, retenant son souffle, absorbée dans l'observation.
— Retire-toi un tout petit peu, me chuchota-t-elle d'une voix rauque. Je voudrais encore le voir entrer.
Puis, courant rapidement à la fenêtre et relevant le store :
— Vas-y ! me dit-elle. Fonce, baise-la !
En même temps que j'enfonçais le gouge, je sentis Elsie se laisser couler à genoux à côté de moi. L'instant d'après, j'avais la sensation de sa langue sur mes couilles, qu'elle léchait vigoureusement.
Soudain, à mon extrême surprise, j'entendis la voix de Maude :
— Retiens-toi encore. Attends... laisse une chance à Elsie.
Je dégainai, plaquant mon cul sur la figure d'Elsie, ce faisant, et l'envoyant promener par terre. Elle poussa un cri de belette en extase et se releva d'un bond. Maude dégringola de la table et Elsie, lestement, se mit en position.
— Tu ne vas pas rester sans rien faire ? dit-elle à Maude en se redressant brusquement. J'ai une idée !
Et de sauter à bas de la table, de jeter la couverture par terre, et l'oreiller avec... Il ne lui fallut pas longtemps pour imaginer une distribution intéressante des rôles.
Maude était étalée sur le dos ; Elsie, les genoux pliés, se tenait accroupie au-dessus d'elle, la tête regardant les pieds de Maude, mais la bouche gluée à la fente de cette dernière. Moi, j'étais à genoux, enfilant Elsie par-derrière. Maude jouait avec mes couilles, les manipulant avec infiniment de tact, du bout des doigts. Je la sentais grouiller et gigoter, cependant qu'Elsie la travaillait furieusement, avidement, de la langue. Une pâle lumière surnaturelle dansait à travers la pièce et j'avais dans la bouche la saveur du con. Et je bandais ! — une de ces érections décisives, qui menacent de ne jamais avoir de fin. De temps en temps je sortais mon chose, et, poussant un peu Elsie, je me baissais et me penchais et l'offrais à la langue agile de Maude. Puis je le remettais au fourreau et Elsie se tortillait follement, fouillant du museau la fourche de Maude et secouant la tête comme un terrier. Finalement je défournai et, écartant Elsie, me laissai tomber sur Maude et l'estoquai à mort.
— Vite ! Vite ! me suppliait-elle, du ton de la victime qui implore le bourreau d'en finir.
De nouveau, j'eus la sensation de la langue d'Elsie sur mes couilles. Puis Maude se mit à jouir comme un astre qui explose, et une volée de mots inachevés, de phrases à demi articulées vint expirer sur ses lèvres. Je me retirai, toujours raide comme un tisonnier, et cherchai Elsie à tâtons. Elle était comme une figue molle et sa bouche ressemblait exactement à un con, à présent.
— A ton tour, maintenant, dis-je, la ramonant comme un démon ivre.
— Oui, oui, baise-moi ! Baise-moi ! s'écria-t-elle, me balançant ses jambes par-dessus les épaules et remorquant son cul plus près de moi. Mets-le-moi, mets-le-moi, gros salaud !
Elle gueulait presque maintenant.
— Sois tranquille, pour ce qui est d'être baisée, tu vas l'être !
Et elle de grouiller, de se tordre, de se tortiller, et je te mords, et je te griffe...
— Oh, oh ! Non ! Non, je t'en supplie ! Ça fait mal, braillait-elle.
— Ta gueule, espèce de garce ! criai-je. Ah, ça fait mal, hein ? C'est toi qui l'as voulu, non ?
Je la tenais solidement ; je me soulevai un peu plus pour le lui mettre jusqu'à la garde et poussai... je crus que sa matrice allait craquer. Puis je lâchai tout — droit dans cette chair béante et baveuse. Elle se convulsa — elle délirait de plaisir et de douleur. Puis ses jambes glissèrent de mes épaules et vinrent heurter le sol avec un bruit mat. Et elle resta allongée là, comme morte, baisée pour le compte, out.
— Bon Dieu ! dis-je, à califourchon au-dessus d'elle et le sperme continuant à couler, à lui dégouliner sur les seins, le visage, les cheveux ! Foutredieu, je n'en peux plus. Non, mais vous vous rendez compte... K.O., vidé !
C'était à l'espace à l'entour que s'adressait ce discours.
Maude alluma une bougie.
— Il se fait tard, dit-elle.
— Je ne rentre pas, dis-je. Je couche ici.
— Vrai ? dit Maude, un frisson dans la voix, comme si sa langue avait eu la chair de poule.
— Tu ne veux tout de même pas que je rentre dans cet état, dis ? Cristi, je suis groggy, flapi, flagada...
Je me laissai choir dans un fauteuil.
— Donne-moi une goutte de ce cognac, veux-tu ? J'ai besoin d'un remontant.
Elle me versa une grande rasade et porta le verre à mes lèvres, comme elle m'eût administré un remède. Elsie s'était remise debout ; elle chancelait et tanguait un peu.
— Donne-m'en aussi, demanda-t-elle. Quelle nuit ! On devrait remettre ça, un de ces jours.
— Ouais, pourquoi pas demain ? dis-je.
— Ça, c'était quelque chose ! dit-elle en me caressant le dôme. Jamais je ne t'aurais cru capable d'une pareille performance... Tout juste si tu ne m'as pas tuée, ma parole !
— Tu ferais bien de te doucher, dit Maude.
— Oui, il y a des chances, soupira Elsie. Mais je crois que je m'en fous. Si je dois être prise, je le serai...
— Va faire un tour à côté, Elsie, dis-je. Ne sois pas idiote, Bon Dieu !
— Je suis trop fatiguée, répondit-elle.
— Attends une seconde, dis-je, que je jette un coup d'œil.
Je la fis grimper sur la table et ouvrir grandes les jambes. Sans lâcher mon verre, je lui écartai le con, du pouce et de l'index de l'autre main. Elle rendait encore le sperme.
— C'est une beauté, ce con, Elsie !
Maude l'examinait attentivement de son côté.
— Embrasse-le, dis-je, lui poussant doucement le nez dans la fourrure d'Elsie.
Je restai assis un moment à la regarder mordiller le con d'Elsie.
— Oh, c'est bon, disait celle-ci, c'est extraordinaire comme c'est bon !
Elle remuait comme une moukère qui danserait la danse du ventre enchaînée au plancher. Le cul de Maude s'offrait comme une tentation. Malgré la fatigue, ma pine se remit à enfler... raide comme une saucisse fumée. Je passai derrière Maude et l'enfilai en douce... sans enfoncer. Elle se mit à faire tourner son cul comme une roue. Elsie maintenant se contorsionnait de volupté ; elle avait porté un doigt à sa bouche et se mordait les phalanges. Nous continuâmes de la sorte durant plusieurs minutes, jusqu'à ce qu'Elsie eût un orgasme. Puis, nous démêlant les uns des autres, nous nous regardâmes comme nous voyant pour la première fois. Nous nagions dans le brouillard.
— Je vais me coucher, dis-je, résolu à en finir.
Je me dirigeai vers la pièce voisine, pensant m'étendre sur le divan.
— Tu peux rester avec moi, dit Maude, me retenant par le bras. Pourquoi pas ? reprit-elle en voyant une lueur de surprise dans mes yeux.
— Mais oui, dit Elsie, pourquoi pas ? Et moi aussi je pourrais coucher avec vous... tu veux bien ? demanda-t-elle à Maude à brûle-pourpoint. Je ne vous dérangerai pas, ajouta-t-elle. Simplement, je détesterais vous quitter en ce moment.
— Mais, et tes parents, que vont-ils dire ? s'enquit Maude.
— Ils ne sauront pas qu'Henry est resté ; qui le leur dirait ?
— Personne, sans doute, oui c'est vrai, dit Maude, un peu effrayée à cette idée.
— Et Mélanie ? demandai-je.
— Oh, elle part de bonne heure le matin. Elle travaille à présent.
Brusquement, je me demandai ce que diable je raconterais à Mona. Je fus presque saisi de panique.
— Je crois que je devrais téléphoner à la maison, dis-je.
— Non, pas maintenant, dit Elsie d'une voix caressante. Il est si tard... Tu as le temps.
Nous cachâmes les bouteilles, empilâmes la vaisselle sur l'évier et prîmes le gramophone pour l'emporter en haut. Mieux valait ne pas trop éveiller les soupçons de Mélanie. Sur la pointe des pieds, nous traversâmes le vestibule, puis gagnâmes l'escalier, les bras pleins.
Je m'allongeai entre les deux femmes, un con sous chaque main. Elles restèrent un bon bout de temps tranquilles — dormant à poings fermés, pensais-je. J'étais trop fatigué pour en faire autant. Immobile, de mes yeux grands ouverts je fixai le noir. Finalement je me tournai sur le côté... côté Maude. Aussitôt elle se retourna vers moi, m'entourant de ses bras et collant ses lèvres aux miennes. Puis, les décollant, les posant tout contre mon oreille :
— Je t'aime, murmura-t-elle dans un souffle.
Je ne bronchai pas.
— Tu entends ? chuchota-t-elle. Je t'aime !
Je la serrai contre moi et glissai la main entre ses cuisses. Au même instant, je sentis Elsie se tourner et se blottir comme moi en chien de fusil ; puis sa main ramper entre mes jambes et étreindre mes couilles. Ses lèvres étaient sur mon cou et m'embrassaient doucement, ardemment, humides et fraîches.
Au bout d'un moment je repris ma position de gisant. Elsie fit de même. Je fermai les yeux, m'efforçant de mander le sommeil. Impossible. Le lit était délicieusement moelleux ; les corps qui m'encadraient, pareils à de tendres ventouses ; j'avais les narines pleines d'une odeur velue de sexe. Du jardin venait une senteur lourde de terre imprégnée de pluie. C'était étrange, étrangement apaisant, de nous retrouver dans ce grand lit — le lit conjugal — avec une tierce personne à côté de nous, baignant tous trois dans une atmosphère de sensualité et de franche luxure. Trop beau pour être vrai. Je m'attendais à voir d'un instant à l'autre la porte s'ouvrir violemment et à entendre une voix accusatrice s'écrier : « Hors d'ici, créatures impudiques ! » Mais rien — rien que le silence de la nuit, la noirceur, et ces lourdes odeurs sensuelles de terre et de sexe.
Quand je bougeai de nouveau, ce fut pour me retourner vers Elsie. Elle m'attendait, impatiente de plaquer contre moi son con, de glisser sa langue épaisse et dure dans ma gorge.
— Tu crois qu'elle dort ? me chuchota-t-elle. Recommençons, dis, tu veux bien ? supplia-t-elle.
Je demeurai immobile, la verge molle, un bras languissant sur son flanc.
— Pas maintenant, murmurai-je. Au réveil, peut-être.
— Non, tout de suite ! implora-t-elle.
Ma pine était toute recoquillée dans sa main, tel un escargot mort.
— Dis, tu veux bien ? chuchota-t-elle. J'en ai envie. Baise-moi encore, Henry... rien qu'une fois.
— Laisse-le dormir, dit Maude, se pelotonnant contre moi (elle avait une voix de droguée).
— Bien, bien, dit Elsie, tapotant affectueusement le bras de Maude.
Puis, après quelques instants de silence, elle reprit lentement, dans un souffle, les lèvres pressées contre mon oreille, marquant un léger temps entre les mots :
— Quand elle dormira, alors, oui ?
J'acquiesçai de la tête. Tout à coup je me sentis sombrer... « Dieu soit loué ! » songeai-je à part moi.
Il y eut un vide, un long tunnel de vide, me sembla-t-il, un temps durant lequel je ne fus plus de ce monde. Je revins à moi lentement, avec la vague conscience que ma pine était dans la bouche d'Elsie. Je laissai mes doigts courir dans ses cheveux, puis caresser doucement son dos. Sa main monta, vint se poser sur mes lèvres, comme pour prévenir toute protestation de ma part. Avertissement parfaitement inutile, car, chose curieuse, je m'étais réveillé en pleine connaissance de ce qui allait se passer. Ma verge répondait déjà aux caresses labiales d'Elsie. Ce n'était plus la même verge ; elle semblait plus mince, plus longue, pointue — un peu comme une pine de chien. Et pleine de vie ; comme si elle avait puisé de son côté une fraîcheur nouvelle, comme si elle avait piqué un somme indépendamment de moi.
Doucement, lentement, furtivement (pourquoi ce changement, ces manières furtives entre nous, maintenant ? me demandais-je), je halai Elsie, l'attirai sur moi. Elle avait un con différent de celui de Maude : plus long, plus étroit ; on eût dit un doigt de gant glissant sur ma pine. Je me livrais à des comparaisons tout en imprimant à la fille un prudent mouvement de va-et-vient. Je suivis des doigts le bord de la fente, me saisis de la toison et tirai doucement dessus. Pas un souffle ne sortait de nos lèvres. Ses dents étaient rivées au gras de mon épaule. Elle s'était arquée de telle sorte que, seul, le nez de mon truc pénétrât en elle ; et autour de cet axe, avec une lenteur et une habileté suppliciantes, elle semblait entortiller son con. De temps à autre, elle se laissait tomber de tout son poids et se mettait à fouir comme une bête, sauvagement.
— Dieu, ce que ça peut être formidable ! chuchota-t-elle finalement. J'aimerais baiser avec toi toutes les nuits.
Nous roulâmes tous deux sur le côté et demeurâmes allongés ainsi, collés l'un à l'autre, sans mouvement, sans bruit. Avec d'extraordinaires contractions musculaires, son con jouait avec ma pine comme s'il avait bénéficié d'une vie et d'une volonté indépendantes.
— Où habites-tu ? me murmura-t-elle. Où peut-on te voir... seul ? Ecris-moi demain... donne-moi rendez-vous. Je veux qu'on baise tous les jours... tu entends ? Retiens-toi encore, je t'en prie ! Je voudrais que ça dure comme ça toute une éternité...
Silence. Rien, que le battement du pouls entre ses jambes. Jamais je n'ai eu la sensation d'une chose aussi parfaitement à ma taille — d'un fourreau aussi serré, long, lisse, soyeux, propre et frais. Elle n'avait pas dû baiser plus d'une douzaine de fois. Et ce crin si dru à la racine, si odorant ! Ces seins si fermes et doux sous la main, presque comme des pommes ! Les doigts aussi : forts, souples, goulus, toujours à errer, à saisir, caresser, titiller ! Comme elle aimait m'empoigner les couilles, les supputer, puis me blaguer le scrotum à deux doigts et serrer, comme si elle allait me traire ! Et sa langue — toujours en action ; ses dents qui mordaient, pinçaient, tenaillaient...
Elle ne bouge plus maintenant. Pas un tressaillement. Elle recommence à chuchoter :
— C'est comme ça qu'on fait, dis ? Tu m'apprendras, dis que tu m'apprendras ? J'ai tous les nerfs dehors. Je pourrais baiser jusqu'à la fin des temps... Tu n'es plus fatigué, dis ? Laisse-le bien où il est... ne remue plus. Et reste, quand je jouirai... dis, tu promets ? Dieu, on se croirait au paradis !
Repos, de nouveau. J'ai l'impression que je pourrais demeurer couché ainsi indéfiniment. J'ai envie qu'elle parle encore.
— J'ai une amie, chuchote-t-elle. On pourrait se retrouver chez elle... ça lui serait égal. Seigneur ! Jamais je n'aurais cru que ce serait ainsi, Henry. Est-ce que tu es capable de baiser comme ça toutes les nuits ?
Je souris dans le noir.
— Qu'as-tu ? chuchote-t-elle.
Tout juste si je n'éclate pas doucement de rire ; je réponds à voix basse :
— Pas toutes les nuits.
— Vite, Henry ! Vite, baise-moi !... Je sens que ça vient !
Nous jouissons ensemble... un de ces orgasmes prolongés qui font qu'on se demande d'où diable on tire tout ce jus.
— Tu as gagné, Henry ! chuchote-t-elle... (Un temps)... C'est très bien comme ça ; c'était merveilleux.
Maude se retourne pesamment dans le sommeil. Je murmure :
— Bonne nuit. Moi, je pionce... Je suis mort.
— Ecris-moi demain, dit-elle dans un souffle en m'embrassant sur la joue. Ou donne-moi un coup de fil... promis ?
Je grogne. Elle se pelotonne contre moi, un bras autour de ma taille. Nous sombrons dans l'hypnose.