LE MAGICIEN APPARAÎT

 

« Levant ses mains vers le ciel, il commence d'une voix claire, calme, ni trop forte, ni trop perçante : une voix qui porte, qui apaise le cœur. Et voici ce qu'il dit :

« Ne croyez plus ! N'espérez plus ! Ne priez plus ! Ouvrez grands vos yeux. Debout. Bannissez toute peur. Un monde neuf va naître. Il est à vous. Désormais tout va changer. Qu'est-ce que la magie ? C'est la révélation que vous êtes libres. Vous êtes libres ! Chantez ! Dansez ! Volez ! La vie vient de commencer. »

Coup de gong !

tout s'éteint. »

Nous quittons la salle de concert et le vacarme familier de la rue nous accueille. Ce n'est pas le bruit des pieds nus grimpant le long de l'échelle d'or ; ce n'est même pas le tintement de la chaîne d'or qui maintient en place la hiérarchie humaine. C'est le tintement de la mort. Ce graillonnement dans la gorge, cet horripilant glou-glou du noyé, voilà la musique de chambre du vaincu.

Voici maintenant le point d'orgue. Il est marqué du fracas des poubelles et des meules. Perforé de balles qu'on pourrait prendre pour le crépitement des applaudissements. De la musique ? Parfaitement, une sorte de marche funèbre, étrange et anachronique. Titre : Mort à Crédit.

Je traverse un terrain vague qui est justement le Désert de Gobi et, pensant aux derniers deux ou trois millions de survivants qu'on massacre sous une lune glacée, je dis à Varèse : « Maintenant embouchez votre cor ! »

Quel vacarme cela fait dans un monde froid et mort ! Est-ce de la musique ? Je ne sais pas. Je n'ai pas besoin de savoir. On vient de liquider le dernier crétin. À l'Ouest, à l'Est, au Sud, au Nord, rien de nouveau. Nous sommes enfin dans le Désert de Gobi. Il ne reste que le chœur. Et les éléments : l'hélium, l'oxygène, l'azote, le soufre et cætera. Le temps se déroule. L'espace se replie. Il ne reste plus de l'homme que l'essence même d'HOMME. Et l'on entend s'éloigner avec l'homme d'autrefois Radio Auckland qui joue It's a long, long way to Tipperary ! Varèse éternue. « Allez, houp ! » dit-il, et nous repartons...