LES ARRIVÉES SONT DES DÉPARTS
C'est de vous qu'il dépend de rester longtemps ou non avec Mr. Jordan. Il est des âmes qui évoluent rapidement, d'autres qui progressent avec une démarche d'escargot. « Tout est mouvement », comme dit Varèse. C'est la loi de l'univers. Si vous n'adaptez pas votre rythme à celui de l'univers, vous retombez, vous êtes en régression, vous devenez un légume, une amibe ou une incarnation de Satan.
Personne ne vous demande de jeter Mozart par la fenêtre. Gardez donc Mozart. Choyez-le. Et gardez Moïse aussi, et Bouddha, et Confucius et le Christ. Gardez-les dans votre cœur. Mais faites de la place pour les autres, pour ceux qui viennent, qui grattent déjà à votre porte.
Rien n'est plus mort qu'un statu quo, qu'il ait nom Démocratie, Fascisme, Communisme, Bouddhisme ou Nihilisme. Si vous avez un rêve de l'avenir, sachez qu'un jour il se réalisera. Les rêves deviennent vérité. Ils sont l'essence même de la réalité. La réalité n'est pas protégée ni défendue par les lois, les proclamations, les ukases, les canons et les armadas. La réalité, c'est ce qui jaillit sans cesse de la mort et de la désintégration. On n'y peut rien ; on ne peut pas ajouter ni soustraire, on ne peut que devenir de plus en plus conscient. Ceux qui sont en partie conscients sont les créateurs ; ceux qui sont pleinement conscients sont les dieux, et ils évoluent parmi nous, silencieux et inconnus. La fonction de l'artiste, qui n'est qu'un type de créateur, est de nous éveiller. Les artistes stimulent notre imagination. (« L'imagination », dit Varèse, « c'est l'ultime recours ».) Ils nous donnent accès à des domaines nouveaux de la réalité, ils ouvrent des portes qu'on tenait d'ordinaire fermées. Ils nous troublent, et certains plus que d'autres. D'aucuns comme Varèse me font penser à ces Russes qui sont entraînés à aller seuls au-devant des tanks ennemis. Ils ont l'air si minuscules et si désarmés, mais quand ils font mouche ils causent des ravages. Ceux d'entre nous qui dorment ont de bonnes raisons de les redouter. Ils sont porteurs en effet de la lumière qui tue tout comme elle éclaire. Ils sont les combattants solitaires, avec des idées pour toute arme et parfois même une seule idée, qui font sauter des époques entières où nous sommes enrobés comme dans des cocons. Certains sont même assez puissants pour ressusciter les morts. D'autres se glissent à notre insu pour jeter un sort dont nous mettons des siècles à nous débarrasser. D'autres encore maudissent notre stupidité, notre inertie et il semble que Dieu lui-même soit impuissant à soulever le poids de cette malédiction.
Derrière chaque création et l'étayant comme une arche, se trouve la foi. L'enthousiasme n'est rien : il s'en va comme il vient. Mais si l'on croit vraiment, alors il se produit des miracles. La foi se soucie peu des profits ; c'est le domaine plutôt des prophètes. Des hommes qui savent et qui croient peuvent voir l'avenir. Non pas qu'ils cherchent à nous jeter la poudre aux yeux : ils cherchent plutôt à donner des fondations solides à nos rêves. Le monde ne continue pas à tourner parce que c'est une affaire qui rapporte. (Dieu ne gagne pas un son dans l'opération.) Le monde continue parce que dans chaque génération il se trouve une poignée d'hommes qui ont en lui une foi sincère, qui l'acceptent sans restriction ; ils lui donnent la caution de leur vie. Dans la lutte qu'il leur faut mener pour se faire comprendre, ils créent de la musique ; à partir des éléments discordants de la vie, ils tissent une mélodie lourde de signification. Sans le constant effort de quelques créateurs pour développer chez l'homme le sens de la réalité, le monde à la lettre mourrait. Ce ne sont pas les législateurs ni les militaristes qui nous font vivre, c'est évident. Nous le devons aux croyants, aux visionnaires, qui sont comme des germes de vie dans l'infini mouvement du devenir. Place donc à eux, place aux donneurs de vie !
« L'époque révolutionnaire que nous traversons », dit un contemporain (Dane Rudhyar dans l'Art, expression de puissance), « ne marque pas seulement la transition entre deux cycles mineurs de culture, entre ce qu'on appelle l'Âge des Poissons et l'Âge du Verseau. Elle marque un début autrement important, l'ouverture des portes qui annoncent peut-être des centaines de milliers d'années ; des périodes peut-être plus vastes encore... »
Parlant de « l'espace musical », l'auteur écrit :
« La musique classique occidentale a consacré pratiquement toute son attention au cadre musical, à ce qu'on appelle la forme musicale. Elle a oublié d'étudier les lois de l'Énergie Sonore, de penser la musique en terme de réelles entités sonores, en terme d'énergie c'est-à-dire de vie. C'est ainsi qu'on en est venu à produire les cadres les plus magnifiquement abstraits et vides de toute peinture. C'est pourquoi les musiciens orientaux disent souvent que notre musique est une musique de trous. Nos notes sont des arêtes d'intervalles, d'abîmes vides. Les mélodies sautent d'arête en arête. Elles ne volent pas ni ne planent. C'est à peine si elles ont encore des contacts avec la terre vivante. C'est une musique de momies, d'animaux empaillés qui gardent peut-être l'apparence de la vie, mais qui n'en sont pas moins morts et immobiles. L'espace intérieur est vide. Les entités tonales sont mortes car elles manquent d'énergie sonique, de sang sonique. Elles n'ont que la peau et les os. Nous les appelons des tons « purs ». Et ils sont si purs qu'ils ne risquent pas de jamais bouger pour faire du mal ! C'est le véritable idéal religieux de la virilité : le chanteur de la Sixtine, des hommes qui n'ont plus le pouvoir de créer. Voilà le symbole de la musique européenne classique, de la musique pure...
« Mais maintenant que l'on a de plus en plus le sens de ce qu'on appelle l'atonalisme, que l'on comprend sans cesse plus clairement que, comme l'a dit Edgar Varèse, « la musique doit rendre un son », qu'elle n'est rien d'autre que l'expérience traduite en notes d'une créature humaine vivante, eh bien, nous en venons lentement et non sans hésitation, et en dépit du mouvement de réaction qui s'ébauche en Europe sous l'étiquette de néo-classicisme, nous en venons à une nouvelle conception de la musique fondée sur ce que les Russes appelaient la « Pansonorité », que nous avions baptisé quelques années plus tôt Tonepleromas et qu'un autre novateur, Henry Cowell a essayé de rendre, grâce à ce qu'il appelle ses « groupes d'accords ».
Dans ce passage sur l'espace musical, l'accent, on le voit est mis sur l'accord. « Un accord est une entité complexe composée de divers éléments disposés de différentes façons et suivant des rapports précis. Chaque accord, en d'autres termes, est une molécule de musique que l'on peut donc dissocier en atomes et en électrons soniques ; ceux-ci n'étant au bout du compte que des ondes de cette énergie sonique omniprésente et irradiant tout l'univers, comme les rayons cosmiques que le docteur Millikan appelle « les vagissements de nouveau-nés des éléments fondamentaux : hélium, oxygène, silice, fer. »
Mais est-ce de la musique ? C'est la question qui vient inévitablement chaque fois que l'on prononce le nom de Varèse. Varèse, lui-même, élude ainsi la question : je cite un de ses derniers articles intitulé Son organisé pour Piste Sonore.
« Comme le terme de « musique » me paraît avoir perdu de plus en plus de sa signification, je préférerais employer l'expression de « son organisé » et éviter la question monotone : « Mais est-ce de la musique ? » « Son organisé » semble mieux souligner le double aspect de la musique, à la fois art et science, alors que les récentes découvertes de laboratoire nous permettent d'espérer une libération inconditionnelle de la musique, en même temps que la possibilité pour ma musique de s'exprimer et de satisfaire ses exigences. »
Mais est-ce de la musique ? Vous pouvez dire ce que vous voulez, les gens enragent de ne pouvoir lui donner un nom, de ne pouvoir la classer. Toujours la crainte, toujours la panique en face du nouveau. Et n'entendons-nous pas ce même cri à propos d'autres arts ? Mais est-ce de la littérature ? Mais est-ce de la sculpture ? Mais est-ce de la peinture ? Il va de soi que c'en est et aussi que ce n'en est pas. Bien sûr, ce n'est pas de la plomberie, ni de la construction mécanique, ni du hockey, ni du jeu de puce. Si vous vous mettez à cataloguer tout ce qu'une nouvelle œuvre d'art ou tout ce qu'une nouvelle forme d'art ne sont pas, vous finirez par en arriver à quelque chose qui est de la musique, de la peinture, de la sculpture ou de la littérature, selon les cas. Quand le juge Woolsey rendit sa mémorable décision sur l'Ulysse de Joyce, cela provoqua des remous. Mais nous avons tendance à oublier qu'en défendant le livre, le vénérable vieux singe a bien souligné que le succès qu'il pourrait avoir serait limité à une infime minorité, que c'était dans l'ensemble un livre d'une lecture difficile et que par conséquent le tort que pourraient causer les passages obscènes qu'il contenait se limiterait à un nombre négligeable de nos bons citoyens. C'est une façon timide et prudente de capituler devant une œuvre dont le mérite est l'objet de multiples controverses, une façon qui n'est pas à l'honneur de qui la pratique, dirais-je. Au lieu de demander « Quel mal l'œuvre en question est-elle susceptible de provoquer ? », pourquoi ne pas demander « Quel bien ? Quelle joie ? » Les tabous, tout inavoués qu'ils soient, sont puissants. Que craignent donc les gens ? Ce qu'ils ne comprennent pas. À cet égard l'homme civilisé ne diffère pas d'un iota du sauvage. La nouveauté apporte toujours avec elle un sentiment de violation, de sacrilège. Ce qui est mort est sacré ; mais ce qui est neuf, c'est-à-dire différent, voilà qui est pernicieux, dangereux, voire subversif.
Je me souviens très bien de la première fois où j'entendis la musique de Varèse, sur un magnifique phonographe. J'en restai abasourdi. J'étais comme assommé. Quand j'eus retrouvé mes esprits, j'écoutai encore une fois. Je reconnus alors les émotions que j'avais éprouvées lors de la première audition mais que, en raison même de leur nouveauté, de cette cascade ininterrompue de nouveauté qu'elles formaient, j'avais été incapable d'identifier. Mes émotions s'étaient accumulées jusqu'au point de parvenir à un crescendo dont le choc fut comparable à un coup de poing en pleine mâchoire. Plus tard, comme je discutais avec Varèse d'une nouvelle œuvre à laquelle il travaillait, il me demanda si je voulais bien écrire quelques phrases pour le chœur — « des phrases magiques », dit Varèse — et tout ce que j'avais entendu déjà me revint en mémoire avec une force redoublée. « Je voudrais », dit Varèse, « quelque chose qui donne l'impression du Désert de Gobi. »
Le Désert de Gobi ! Ma tête se mit à tourner. Il n'aurait pu trouver d'image plus exacte pour décrire l'effet que ce son organisé avait sur mon esprit. Ce qu'il y a de curieux dans la musique de Varèse, c'est qu'après l'avoir écoutée, vous gardez le silence. Ce n'est pas une musique à sensation, comme le croient les gens, mais une musique qui vous emplit d'une sorte de crainte respectueuse. C'est une musique qui vous ébranle, certes, si vous tenez à ce que la musique ait sur vous une action apaisante et rien de plus. C'est cacophonique aussi, si vous estimez que la mélodie est tout. C'est une musique qui vous porte sur les nerfs bien sûr si vous êtes incapable de supporter qu'une dissonance ne finisse pas par être résolue. Mais quels ont été les résultats de ce soin appliqué à éviter les éléments déconcertants, voire désagréables ? Notre musique reflète-t-elle la paix, l'harmonie, l'inspiration ? De quelle nouvelle forme musicale pouvons-nous nous vanter hormis le boogie-woogie ? Que nous donnent nos chefs d'orchestres année après année ? Rien d'autre que des cadavres frais. Et par-dessus ces sonates somptueusement embaumées, ces toccatas, ces symphonies, ces opéras, le public danse le jitterbug. Jour et nuit, sans répit, la radio déverse sur nous la lavasse des chansons sentimentales les plus écœurantes. Et des églises vient la triste mélopée du Christ mort, une musique qui est aussi proche du sacré qu'un navet pourri.
Varèse cherche à provoquer un véritable bouleversement cosmique. S'il pouvait contrôler les ondes et faire tout sauter en tournant un bouton, je crois bien qu'il mourrait dans l'extase. Quand il parle de sa nouvelle œuvre et de ce qu'il se propose de faire, quand il parle de la terre et de ses habitants inertes et abêtis, on le voit qui essaie de l'attraper par la queue et de la balancer par-dessus sa tête. Il veut la faire tourner comme une toupie. Il veut qu'on tue, qu'on fasse l'amour et qu'on vole plus souvent. Êtes-vous idiots, sourds et aveugles ? semble-t-il demander. Bien sûr, il y a une musique contemporaine, mais elle est vide de tout son. Bien sûr, on continue à tuer, mais à quoi cela sert-il ? Et les manchettes des journaux sont riches de tragédies, mais où sont les larmes ? Vivons-nous dans un monde où l'on frappe sur des balles de caoutchouc avec des maillets de caoutchouc ? Est-ce que c'est du croquet ou du boniment ? La mort est une chose et la torpeur en est une autre.
Si nous ne sommes pas capables d'entendre les hurlements d'angoisse des gens, comment pouvons-nous entendre quoi que ce soit ? Tous les jours, je passe devant un établissement de la Cinquième Avenue qui s'appelle Sonotone, et où les gens sont invités à entrer pour venir faire examiner leur ouïe. Nous avons fini par nous rendre compte que nous avions des oreilles et qu'elles ne fonctionnaient peut-être pas parfaitement. Cela ne veut pas dire que nous entendons mieux : cela signifie seulement qu'un nouvel article vient de s'ajouter à la longue liste de nos soucis. Quoi qu'il en soit, nous savons maintenant que des millions d'Américains sont sourds ou au bord de la surdité. C'est un véritable miracle que nous continuions à vaquer à nos occupations, alors que les statistiques nous décrivent comme infirmes, empoisonnés, et mutilés. Nous voilà maintenant qui devenons sourds. Bientôt nous serons muets.
Quand les bombes commenceront à dégringoler du ciel, même ces retentissants gongs chinois auxquels Varèse a recours demeureront sans effet sur l'auditoire. Il reste, il est vrai, les amplificateurs électriques on peut donner à ces instruments une intensité quasi diabolique. Mais il faudra encore en trouver qui puissent rivaliser avec le fracas du bombardier en piqué. Quiconque a vu et entendu le documentaire intitulé Kukan n'oubliera certainement jamais le bruit de ces avions japonais grouillant dans le ciel de Chungking. Et l'on n'oublie pas facilement non plus le rugissement des flammes après le passage des bombardiers. Et puis le silence, un silence qui ne ressemble à rien de ce que nous avons connu. Une ville entière assommée, prostrée. Quel horrible silence cela fait ! Imaginez ce que cela serait si New York, San Francisco, Los Angeles ou d'autres grandes villes subissaient le même sort ! Évidemment ce ne sera pas pour nous de la musique. Mais ce sera du son. Même le silence sera lourd de son. Ce sera une sorte de musique de chambre qui viendra combler le vide de nos âmes insensibles.
Demain peut-être tout ce que nous trouvons tout naturel changera de visage. New York ressemblera peut-être à Petra, la cité maudite d'Arabie. Les champs de blé auront peut-être l'air de déserts. Les habitants de nos grandes villes seront peut-être réduits à se réfugier dans les bois pour y chercher leur pâture à quatre pattes, comme des animaux. Ce n'est pas impossible. C'est même très probable. Dès l'instant où la rage de destruction se sera emparé de nous, il ne sera pas un coin de cette planète qui puisse s'estimer en sûreté. Le grand organisme qu'on appelle la Société peut se briser en molécules et en atomes ; il peut ne pas demeurer un vestige du moindre corps social. Ce que nous appelons « société » peut devenir une dissonance que jamais aucun accord ne viendra résoudre. C'est bien possible.
Nous ne connaissons qu'une infime fraction de l'histoire de l'homme sur cette terre. C'est un long recueil péniblement monotone de bouleversements catastrophiques allant parfois jusqu'à provoquer la disparition de continents entiers. Nous présentons cette histoire comme si l'homme était une innocente victime, entraîné à son corps défendant dans les révolutions imprévisibles de la nature. Peut-être en était-il ainsi jadis. Mais plus maintenant. Tout ce qui se passe aujourd'hui sur cette terre est l'œuvre de l'homme. L'homme a donné la preuve qu'il était le maître de tout... sauf de lui-même. S'il était hier encore un enfant de la nature, il est aujourd'hui un être responsable. Il est parvenu à un point de conscience qui ne lui permet pas de se mentir à lui-même plus longtemps. La destruction désormais est délibérée, volontaire. Nous sommes au nœud du problème nous pouvons aller de l'avant ou régresser. Nous avons encore la faculté de choisir. Demain nous ne l'aurons peut-être plus. C'est parce que nous refusons de faire ce choix que nous sommes rongés de remords, tous autant que nous sommes, ceux qui font la guerre et ceux qui ne la font pas. Nous baignons tous dans le meurtre. Nous nous méprisons les uns les autres. Nous haïssons ce que nous voyons quand nous regardons dans les yeux d'autrui.
Quel est donc le mot magique de cette époque ? Que vais-je offrir à Varèse pour son Désert de Gobi sonore ? Paix ? Courage ? Patience ? Foi ? J'ai bien peur qu'aucun de mots ne soit plus utilisé. Nous les avons usés à force de les prononcer à tout propos et hors de propos. À quoi bon des mots quand il ne reste plus rien de l'esprit qui anime la lettre ?
Tous nos mots sont morts. La magie est morte. Dieu est mort. Les morts s'entassent autour de nous. Ils ne tarderont pas à emplir le lit des fleuves, et des mers, à inonder les vallées et les plaines. Peut-être faudra-t-il à l'homme fuir dans le désert pour respirer sans être asphyxié par la puanteur de la mort. Varèse, devant quel dilemme m'avez-vous placé ? Tout ce que je puis faire, ajouter une note en marge de votre nouvelle composition. La voici...
« Que le chœur représente les survivants. Que le Désert de Gobi soit le lieu de refuge. Aux confins du désert que les crânes s'empilent en une formidable barricade. Un silence plane sur le monde. C'est à peine si l'on ose respirer. Ou écouter. Tous se sont figés sur place. Un calme absolu règne. Seul le cœur bat encore. Il bat dans un silence suprême. Qu'un homme se lève et fasse le geste d'ouvrir la bouche. Qu'il ne puisse émettre un son. Qu'un autre homme se lève et échoue à son tour. Alors un étalon blanc descend du ciel. Il caracole dans un silence de mort. Il agite la queue.
« Le silence se fait plus profond. Le silence devient presque intolérable.
« Un derviche se lève d'un bond et se met à tourner comme une toupie. Le ciel devient blanc. L'air fraîchit. L'éclair d'un couteau brille soudain et dans le ciel une lueur apparaît. Une étoile bleue s'approche, s'approche... une étoile étincelante, aveuglante.
« Une femme maintenant se lève et se met à hurler. Puis une autre, une autre encore. L'air résonne de leurs clameurs. Soudain un grand oiseau se laisse tomber du ciel. Il est mort. Personne ne fait le geste de s'approcher.
« On entend le faible bruissement des cigales. Puis les trilles d'une alouette, puis le chant de l'oiseau moqueur. Quelqu'un rit... un rire dément qui vous brise le cœur. Une femme éclate en sanglots. Une autre commence à se lamenter. Un homme pousse un grand cri : NOUS SOMMES PERDUS ! Une voix de femme : NOUS SOMMES SAUVÉS ! Des cris éclatent de toute part : Perdus ! Sauvés ! Perdus ! Sauvés ! »