Un mot du traducteur
Découvrir Rimbaud à mon âge, quelle merveilleuse absurdité, quelle étrange aventure ! Bien sûr, LE BATEAU IVRE avait depuis longtemps tracé dans mon imagination un bruissant sillage ; j'avais lu UNE SAISON EN ENFER plus que LES ILLUMINATIONS, mais d'un œil distrait, d'un esprit agacé. À dix-neuf ou vingt ans la poésie m'occupait moins que les sciences naturelles, l'exploration des cavernes ou l'affût dans les roselières. Je me méfiais (et encore aujourd'hui) des révoltes littéraires, y flairais quelque supercherie. Davantage m'excitaient la fuite au désert, l'évasion vers les savanes, l'épopée du Harrar, l'odeur du café, du cuir et des femmes épicées. Mais l'Oncle Henry a rencontré Rimbaud à la croisée des chemins. Dangereuse rencontre, éblouissante, féconde, qui nous a valu ce petit livre d'amour et de colère que je n'avais naguère que survolé. Voici donc que, grâce à lui, j'allais retrouver Rimbaud. Car, pour restituer le texte exact des citations incluses par Miller, j'ai dû relire cent fois ces pages électriques et, ce faisant, m'apercevoir que, réellement, je les découvrais. Foudroyé par cet Archange noir porteur de feu, j'oubliais souvent la traduction pour rêver, tard dans la nuit, à de « blanches nations en joie ». Pourquoi cet aveu qu'on dira naïf ? Parce qu'il m'a paru évident que le gain qui fut le mien à traduire LE TEMPS DES ASSASSINS pouvait être celui de qui allait le lire. Il n'est pas fréquent qu'un auteur soit si généreux qu'il vous incite à vous jeter dans les bras d'un autre. Et mieux vaut tard que jamais.
F.-J. TEMPLE.
NOTA. — Henry Miller nous demande de signaler que, depuis la date à laquelle cette préface a été écrite, une excellente traduction des « Poèmes complets » de Rimbaud, due à Wallace Fowlie, a paru aux États-Unis.