XXIX

Au mois d’avril de l’année suivante, le général Johnston, auquel on avait rendu les misérables restes de son ancienne armée, se rendit à l’ennemi, en Caroline du Nord, et la guerre prit fin. Cependant, la nouvelle n’en parvint à Tara que deux semaines plus tard. Il y avait bien trop à faire à Tara pour qu’on perdît son temps en déplacements et en palabres et, comme les voisins eux aussi étaient fort occupés, on n’échangeait guère de visites et les nouvelles se répandaient lentement.

On était en pleins labours de printemps et l’on semait le coton et les graines potagères que Pork avait rapportés de Macon. Pork était si fier d’être revenu sans encombre avec sa charrette remplie de vêtements, de graines, de volailles, de jambons, de quartiers de viande et de farine, qu’il ne faisait pratiquement plus rien. Il n’arrêtait pas de raconter les multiples péripéties de son voyage et les dangers auxquels il avait échappé de justesse. Il se complaisait à décrire les chemins de traverse et les sentiers qu’il avait empruntés pour rentrer à Tara, les routes sur lesquelles personne d’autre que lui n’était passé, les anciennes pistes, les sentes cavalières. Pendant les cinq semaines qu’avait duré son absence, Scarlett avait été au supplice, mais à son retour elle ne lui adressa aucun reproche. Elle était trop heureuse qu’il eût réussi et qu’il eût rapporté tant d’argent sur la somme qu’elle lui avait confiée. D’ailleurs, elle le soupçonnait fort de n’avoir acheté ni les volailles ni les quartiers de viande, ce qui expliquait à merveille qu’il eût réalisé de telles économies. En fait, Pork s’en serait voulu de dépenser l’argent de sa maîtresse alors qu’il y avait le long de la route tant de poules en liberté et tant de fumoirs qui n’attendaient qu’une visite.

Maintenant qu’ils n’étaient plus à court de provisions, les habitants de Tara s’efforçaient de redonner à la vie un aspect normal. Il y avait du travail pour chacun, trop de travail, un travail de tous les instants. Il fallait arracher les tiges desséchées des cotonniers de l’année précédente pour faire place à la prochaine récolte, et le cheval, qui n’était pas habitué à tirer la charrue, se laissait conduire de mauvaise grâce. Il fallait débarrasser le jardin potager des herbes qui l’encombraient, semer des graines, couper du bois pour le feu, commencer à relever les enclos et à remplacer les milles de clôture que les Yankees avaient brûlés avec tant de désinvolture. Deux fois par jour il fallait visiter les pièges à lapins de Pork et amorcer les lignes. Il fallait faire les lits, balayer, faire la cuisine et la vaisselle, donner à manger aux cochons et aux poulets, ramasser les œufs. Il fallait traire la vache, l’emmener paître près des marais et, dans la crainte que les Yankees ou les hommes de Frank Kennedy ne revinssent, il fallait que quelqu’un la surveillât toute la journée. Le petit Wade lui-même avait du travail. Chaque matin, un panier sous le bras, il s’en allait d’un air important ramasser du petit bois ou des brindilles pour allumer le feu.

Ce furent les fils Fontaine, les premiers hommes du comté rentrés dans leurs foyers, qui apportèrent la nouvelle de la reddition de Johnston. Alex, qui avait encore les bottes, allait à pied, tandis que Tony, pieds nus, cheminait sans selle sur le dos d’une mule. Tony s’était toujours arrangé pour être le mieux servi de la famille. Après avoir passé quatre ans exposés au soleil et à la tempête, ils étaient plus basanés que jamais, plus minces aussi, plus secs et, avec les grandes barbes noires qu’ils rapportaient de la guerre, on avait peine à les reconnaître.

Pressés de rentrer chez eux à Mimosas, ils passèrent par Tara, mais ne firent que s’y arrêter un instant pour embrasser les jeunes femmes et leur annoncer la reddition de l’armée. Tout était fini, terminé, dirent-ils, mais ils n’avaient pas l’air d’y attacher beaucoup d’importance. La seule chose qui les préoccupât, c’était de savoir si Mimosas avait brûlé. Sur le chemin du retour, ils n’avaient vu que des cheminées noircies là où autrefois s’élevaient des maisons amies, et ils n’osaient plus espérer que la leur eût été épargnée. Ils poussèrent un soupir de soulagement en apprenant que Mimosas était encore debout et ils se donnèrent des tapes sur les cuisses en entendant Scarlett leur raconter la folle chevauchée de Sally et la façon impeccable dont elle avait sauté la haie.

« C’est une fille qui a du cran, déclara Tony. Quelle déveine pour elle que Joe ait été tué. Auriez-vous par hasard du tabac à chiquer, Scarlett ?

— Non, nous n’avons plus que du tabac à lapins. Papa en fume dans un épi de maïs.

— Je ne suis pas encore tombé aussi bas, fit Tony, mais ça viendra probablement.

— Dimity Munroe va bien ? » demanda Alex un peu gêné, et Scarlett se rappela qu’il ne déplaisait pas à la sœur cadette de Sally.

« Oh ! oui. Elle vit maintenant chez sa tante à Fayetteville. Vous savez que leur maison de Lovejoy a brûlé. Le reste de la famille est à Macon.

— Ce n’est pas ça qui l’intéresse. Il voudrait savoir si Dimity a épousé un de ces héroïques colonels de la Garde locale, railla Tony à qui Alex décocha un regard furibond.

— Mais non, elle n’est pas mariée, répondit Scarlett mise en gaieté.

— Ça vaudrait peut-être mieux pour elle, déclara Alex d’un air sombre. Nom de…, pardon, Scarlett, mais comment voulez-vous qu’un homme demande une jeune fille en mariage quand tous ses esclaves ont été affranchis, que tout son bétail a disparu et qu’il n’a plus un sou en poche ?

— Vous savez bien que ça sera égal à Dimity », fit Scarlett. Elle pouvait se permettre d’être magnanime envers Dimity et de dire du bien d’elle, car Alex Fontaine n’avait jamais été l’un de ses soupirants.

« Sacré nom de…, allons, je vous demande encore pardon. Il va tout de même falloir que je perde l’habitude de jurer, sans quoi grand-mère va sûrement me tanner le cuir. Je ne peux pas demander à une jeune fille d’épouser un gueux. Ça lui serait peut-être égal, mais pas à moi. »

Tandis que Scarlett bavardait avec les jeunes gens sous la véranda, Mélanie, Suellen et Carreen étaient rentrées silencieusement dans la maison après avoir appris la nouvelle de la reddition. Quand les Fontaine furent partis, Scarlett rentra à son tour et entendit les jeunes femmes sangloter sur le sofa du petit bureau d’Ellen. Tout était terminé. C’était la fin du beau rêve pour lequel elles avaient vécu, la fin de cette Cause qui leur avait pris leurs amis, leurs amoureux, leur mari, qui avait ruiné leur famille. Cette Cause dont elles n'avaient jamais mis en doute l’invincibilité était à jamais perdue.

Scarlett cependant trouvait qu’il n’y avait pas de quoi se morfondre. En apprenant la nouvelle, elle s’était dit : « Dieu soit loué ! Plus de danger qu’on vole la vache. Le cheval aussi est sauvé. On va pouvoir sortir l’argenterie du puits et tout le monde aura un couteau et une fourchette. Je n’aurai plus peur de parcourir le pays pour chercher de quoi manger. »

Quel soulagement ! Jamais plus elle ne sursauterait en reconnaissant le pas d’un cheval. Jamais plus elle ne se réveillerait la nuit, retenant son souffle pour mieux écouter, se demandant si elle rêvait ou si c’était bien un bruit de gourmettes, le piaffement de chevaux, des voix dures de Yankees qu’on entendait dans la cour. Enfin, Tara était sauvée ! C’était surtout cela qui comptait. Désormais elle ne redoutait plus de se trouver un jour au milieu de la pelouse à regarder des volutes de fumée s’échapper de la maison adorée, à écouter gronder les flammes qui dévoreraient le toit.

Oui, la Cause était perdue, mais la guerre lui avait toujours paru une chose insensée et la paix valait mieux. Elle ne s’était jamais extasiée quand on avait hissé sous ses yeux le drapeau confédéré et ne s’était jamais senti froid dans le dos en écoutant jouer Dixie. Cet attachement désespéré au triomphe de la Cause, ce fanatisme qui avait soutenu les autres femmes ne l’avaient pas aidée à supporter les privations, ses répugnants devoirs d’infirmière, ses terreurs pendant le siège, la faim dont elle avait souffert au cours des derniers mois. Tout était fini, bien fini, et ce n’était pas elle qui allait se mettre à pleurer pour cela.

Tout était terminé. Terminée cette guerre qui paraissait ne devoir jamais finir, cette guerre qu’elle n’avait pas souhaitée, qui avait tranché sa vie en deux d’une coupure si nette qu’elle avait peine à se souvenir des jours faciles d’autrefois. Elle pouvait se pencher sur le passé et regarder sans émotion la jolie Scarlett avec ses mules fragiles de maroquin vert et ses volants tout imprégnés d’un parfum de lavande, mais elle se demandait si c’était bien elle qu’elle revoyait ainsi. Oui, elle, Scarlett O’Hara, elle qui avait tout le comté à ses pieds, qui possédait une centaine d’esclaves prêts à répondre à son moindre geste, elle qui s’appuyait aux richesses de Tara comme à un rempart, elle dont les parents affectueux ne rêvaient que de lui faire plaisir. Elle, la jolie Scarlett, gâtée, adulée, insouciante, dont tous les désirs s’étaient réalisés, sauf en ce qui concernait Ashley.

Quelque part, sur le long ruban de route qui serpentait à travers quatre années, la jeune fille parfumée, chaussée de mules légères, s’était effacée, avait cédé la place à une femme aux yeux verts et durs qui comptait son argent et s’abaissait à des travaux serviles, une femme à laquelle le naufrage n’avait rien laissé en dehors de l’indestructible sol rouge sur lequel elle vivait.

Tout en restant dans le vestibule à écouter sangloter les jeunes femmes, elle ne cessait d’échafauder des plans. « Nous sèmerons beaucoup plus de coton. Demain, j’enverrai Pork à Macon acheter d’autres graines. Désormais les Yankees ne brûleront plus mon coton et nos troupes n’en auront plus besoin. Bonté divine ! Mais le coton va valoir des prix fous, cet automne ! »

Elle entra dans le petit bureau et, sans un regard pour les jeunes femmes en larmes sur le sofa, elle s’assit devant le secrétaire et prit une longue plume d’oie pour calculer ce qui lui resterait quand elle aurait acheté d’autres graines de coton.

« La guerre est finie ? » se dit-elle. Et soudain, envahie par un flot de bonheur, elle posa sa plume. La guerre était finie et Ashley… si toutefois il était encore en vie… Ashley allait revenir ! Elle se demanda si Mélanie avait seulement pensé à cela tant elle éprouvait de chagrin pour la Cause perdue. « Bientôt, nous aurons une lettre… non, pas de lettre. Il n’y a pas de courrier. Mais bientôt… d’une façon ou d’une autre, il nous donnera signe de vie ! »

Pourtant, les jours et les semaines passèrent sans nouvelles d’Ashley. Dans le Sud, le service postal fonctionnait d’une manière précaire et à la campagne il n’y avait ni levées ni distributions de lettres. Parfois un voyageur d’Atlanta apportait un mot éploré de tante Pitty qui suppliait les jeunes femmes de revenir chez elle, mais il n’y avait aucune nouvelle d’Ashley.

 

Après la reddition de l’armée, un conflit latent opposa Scarlett à Suellen au sujet du cheval. Maintenant que les Yankees n’étaient plus à craindre, Suellen voulait aller rendre des visites aux voisins. Elle se sentait seule et regrettait l’agréable vie mondaine du bon vieux temps. Elle avait envie de voir des amies et désirait également s’assurer que, dans le reste du comté, on vivait aussi mal qu’à Tara. Mais Scarlett demeurait inflexible. Le cheval servait à aller chercher des bûches dans les bois, à tirer la charrue, à emmener Pork faire des provisions et, le dimanche, il avait bien gagné le droit de paître à son aise et de se reposer. Si Suellen voulait rendre visite à ses amies, elle n’avait qu’à aller à pied.

Jusqu’à l’année précédente, Suellen n’avait jamais fait plus de cent mètres à pied dans sa vie, et la perspective d’entreprendre de longues marches était moins que séduisante. Elle resta donc chez elle à se morfondre et à pleurer et répéta un peu trop souvent : « Oh ! si seulement Maman était là ! » À la fin, Scarlett lui donna la gifle qu’elle lui avait promise depuis longtemps et la frappa même si fort qu’elle s’effondra sur son lit en hurlant, ce qui causa une grande consternation dans toute la maison. À la suite de cela, Suellen mit une sourdine à ses lamentations, tout au moins en présence de Scarlett.

Scarlett ne mentait point en disant qu’elle voulait laisser le cheval se reposer le dimanche, mais en fait ce n’était qu’à moitié vrai. Au cours du mois qui avait suivi la reddition de l’armée, elle avait fait une tournée de visites dans le comté, et la vue de ses anciens amis et des anciennes plantations avait ébranlé son courage plus qu’elle ne se plaisait à le reconnaître.

C’était encore les Fontaine qui, grâce à l’endurance de Sally, se trouvaient les mieux partagés, mais leur situation ne semblait surtout florissante que par comparaison avec la situation tragique des autres voisins. La grand-mère Fontaine ne s’était jamais bien remise de la crise cardiaque qu’elle avait eue le jour où elle avait aidé à éteindre l’incendie et à sauver la maison. Le vieux docteur Fontaine se rétablissait lentement après avoir subi l’amputation d’un bras. Alex et Tony maniaient sans aucune habileté la houe et la charrue. Lorsque Scarlett vint leur rendre visite, ils se penchèrent par-dessus une clôture pour lui serrer la main et, l’œil amer, ils se moquèrent de sa charrette délabrée. Elle leur demanda de lui céder des graines de maïs qu’ils lui promirent et tous trois commencèrent à discuter des problèmes de ferme. Les Fontaine possédaient douze poulets, deux vaches, cinq cochons et la mule qu’ils avaient ramenée de la guerre. Un des cochons venait de mourir et ils craignaient que les autres ne suivissent son exemple. En entendant parler ainsi ces ex-dandies dont jadis l’unique préoccupation était de savoir ce qui se faisait de mieux en fait de cravate, Scarlett elle aussi fut prise d’un rire amer. À Mimosas, tous l’avaient accueillie à bras ouverts et avaient insisté pour lui donner et non pas lui vendre les graines de maïs. Lorsqu’elle avait posé un billet vert sur la table, le caractère emporté des Fontaine s’était donné libre cours et ses amis avaient refusé net son argent. Scarlett prit les graines et glissa en secret un billet d’un dollar dans la main de Sally. Depuis la première visite de Scarlett, huit mois auparavant, Sally avait beaucoup changé. À cette époque-là, bien qu’elle fût pâle et triste, on sentait en elle une grande énergie, mais maintenant cette énergie avait disparu comme si la reddition de l’armée eût anéanti ses dernières espérances.

« Scarlett, murmura-t-elle en refermant la main sur le billet, à quoi a servi tout cela ? Pourquoi nous sommes-nous battus ? Oh ! mon pauvre Joe. Oh ! mon pauvre petit garçon !

— J’ignore pourquoi nous nous sommes battus, et je ne veux pas le savoir, fit Scarlett. Cela ne m’intéresse pas. Cela ne m’a jamais intéressée. La guerre, c’est l’affaire des hommes, ce n’est pas celle des femmes. Maintenant, tout ce qui m’intéresse, c’est de faire une bonne récolte de coton. Allons, Sally, prenez ce dollar et achetez une robe au petit Joe. Dieu sait s’il en a besoin. Je ne veux pas profiter de la politesse d’Alex et de Tony pour vous dépouiller de votre maïs. »

Les jeunes gens la raccompagnèrent jusqu’à sa charrette et l’aidèrent à y monter. Hommes du monde malgré leurs loques, ils trouvaient encore le moyen de déployer cette gaieté légère propre aux Fontaine, mais en s’éloignant de Mimosas Scarlett ne put réprimer un frisson à la pensée de leur déchéance. Elle en avait tellement assez de la pauvreté et des privations. Que ce serait donc agréable de connaître des gens riches pour lesquels la question des repas ne serait point un problème !

Cade Calvert était chez lui, à Pin Fleuri, et tout en gravissant le perron de la vieille demeure où elle avait dansé tant de fois en des jours plus heureux, Scarlett vit la mort peinte sur les traits du jeune homme. Il avait les joues creuses et, allongé au soleil sur une chaise longue, un châle sur les genoux, il ne cessait de tousser. Cependant, lorsqu’il vit Scarlett, son visage s’illumina. Rien qu’un petit rhume qui lui était tombé sur la poitrine, expliqua-t-il en essayant de se lever pour dire bonjour à sa visiteuse. Il avait attrapé cela en dormant trop souvent sous la pluie. Mais ça ne durerait pas, et quand il serait sur pied il pourrait se remettre au travail.

Cathleen Calvert sortit de la maison et Scarlett, croisant son regard par-dessus la tête de son frère, put lire dans ses yeux un profond chagrin. Cade ne savait peut-être pas à quoi s’en tenir, mais Cathleen ne se faisait pas d’illusions. Encombrée par ses mauvaises herbes, la plantation paraissait à l’abandon. De jeunes pousses de pin commençaient à grandir au milieu des champs et, dans la maison mal entretenue, régnait le plus grand désordre. Cathleen était hâve et décharnée.

Cathleen et son frère vivaient dans la demeure silencieuse en compagnie de leur belle-mère yankee, de leurs quatre demi-sœurs et de Hilton, le régisseur yankee. Scarlett n’avait jamais beaucoup plus aimé Hilton que Jonas Wilkerson, l’ancien régisseur de Tara, et elle éprouva encore moins de sympathie pour lui lorsqu’il s’approcha d’elle d’un air détaché et la traita d’égal à égal. Jadis il possédait le même mélange de servilité et d’impertinence que Wilkerson, mais maintenant que M. Calvert et Raiford étaient morts à la guerre et que Cade était malade, toute son humilité avait disparu. La seconde Mme Calvert n’avait jamais su en imposer à ses domestiques noirs et il ne fallait pas s’attendre à ce qu’elle se fît respecter d’un homme blanc.

« M. Hilton a été si bon de ne pas nous quitter pendant ces temps difficiles, dit Mme Calvert d’un ton emprunté tout en jetant de furtifs coups d’œil du côté de sa belle-fille. Oui, si bon. J’espère que vous avez appris la façon dont il a sauvé à deux reprises notre maison quand Sherman est venu par ici ? Je me demande comment nous aurions fait sans lui alors que nous n’avions pas un sou et que Cade… »

Une rougeur subite couvrit le visage blafard de Cade, et Cathleen ferma ses yeux frangés de longs cils. Scarlett devinait que le frère et la sœur étaient au supplice d’avoir des obligations envers leur régisseur yankee. Mme Calvert semblait être sur le point de pleurer. Sans s’en rendre compte, elle venait de commettre un impair. Elle passait son temps à faire des gaffes. Bien qu’elle eût vécu pendant une vingtaine d’années en Géorgie, elle n’arrivait pas à comprendre les Sudistes. Elle ne savait jamais sur quel ton s’adresser aux enfants de son mari qui, pourtant, lui témoignaient toujours une exquise politesse. Au fond de son âme, elle souhaitait ardemment de retourner vivre dans le Nord, d’y emmener ses enfants et de quitter ces étrangers bizarrement guindés.

Après ces quelques visites, Scarlett n’éprouva plus aucun désir d’aller voir les Tarleton. Maintenant que les quatre fils n’étaient plus, que la plantation avait brûlé et que le reste de la famille s’entassait dans la petite maison du régisseur, elle ne pouvait se résoudre à pousser jusqu’à Joli Coteau. Mais Suellen et Carreen supplièrent leur sœur, et Mélanie déclara que ça ne serait pas bien de ne pas aller rendre visite à M. Tarleton, qui revenait de la guerre ; bref, un beau dimanche, elles se mirent toutes les quatre en route.

Ce fut l’épreuve la plus pénible.

Tandis que la charrette remontait l’allée et passait devant les ruines de la maison, les jeunes femmes aperçurent Béatrice Tarleton. Vêtue d’un vieux costume d’amazone, une cravache sous le bras, elle était juchée sur une barrière de l’enclos réservé aux chevaux et, la mine renfrognée, regardait dans le vide. À côté d’elle, l’air aussi lugubre que sa maîtresse, était assis le petit nègre aux jambes arquées qui avait dressé tous ses chevaux. L’enclos, jadis rempli de poulains gambadants et de juments placides, ne contenait plus qu’une mule, celle sur laquelle M. Tarleton était revenu de la guerre.

« Je vous jure que je ne sais plus que faire de ma personne, maintenant que mes petits chéris sont partis », déclara Mme Tarleton en se laissant glisser à terre. À l’entendre on aurait pu croire qu’elle faisait allusion à ses quatre fils morts, mais les jeunes femmes savaient très bien qu’elle ne pensait qu’à ses chevaux. « Tous mes beaux chevaux qui sont morts. Et ma pauvre Nellie ! Si encore il me restait Nellie ! Eh ! non, il ne me reste plus qu’une satanée mule. Oui, une satanée bourrique, répéta-t-elle en lançant un regard indigné à l’animal pelé. C’est une insulte à la mémoire de mes petits chéris si racés que de voir une mule dans leur enclos. Les mules ne sont jamais que des produits bâtards, ça devrait être interdit de les élever. »

Méconnaissable sous sa barbe en broussaille, Jim Tarleton sortit de la maison du régisseur pour venir embrasser les jeunes femmes, et ses quatre filles aux cheveux rouges, toutes vêtues de robes rapiécées, sortirent à leur tour en bousculant une douzaine de gros chiens noir et feu qui s’étaient mis à aboyer en entendant des voix qu’ils ne connaissaient pas. La famille respirait un air de gaieté factice qui glaça encore plus Scarlett que l’amertume des Fontaine à Mimosas et l’angoisse de Cathleen à Pin Fleuri.

Les Tarleton insistèrent pour garder les jeunes personnes à dîner. Ils recevaient si peu de visites qu’ils voulaient profiter de la leur et leur faire raconter tout ce qu’elles savaient. Scarlett avait hâte de s’en aller tant l’atmosphère de la maison l’oppressait, mais Mélanie et ses deux sœurs voulaient rester davantage et Scarlett, quoi qu’elle en eût, fut bien obligée de faire honneur aux déchets de viande et aux pois séchés qu’on servit à table. D’ailleurs la maigre chère fut prétexte à moqueries, et la bonne humeur augmenta quand les petites Tarleton décrivirent, comme s’il se fût agi d’excellentes plaisanteries, les expédients auxquels elles avaient recours pour s’habiller. Mélanie renchérit et surprit Scarlett en racontant avec une vivacité inattendue les dures journées de Tara et en se riant des privations qu’on y devait subir. Scarlett avait à peine le courage de parler. La pièce lui semblait si vide sans les quatre fils Tarleton, avec leurs airs nonchalants, leurs cigares et leurs taquineries. Et si la pièce paraissait vide à elle, quelle impression ne devaient pas ressentir les Tarleton qui offraient à leurs invités un visage souriant ?

Carreen n’avait pas dit grand-chose au cours du dîner, mais quand il fut fini, elle se glissa auprès de Mme Tarleton et lui chuchota quelques mots à l’oreille. Le visage de Mme Tarleton s’altéra, son sourire s’effaça et de son bras elle entoura la taille menue de Carreen. Toutes deux sortirent et Scarlett, qui n’y tenait plus, leur emboîta le pas. Elles traversèrent le jardin et Scarlett se rendit compte qu’elles se dirigeaient vers le cimetière familial. Allons, elle ne pouvait plus les quitter maintenant ! Ce serait trop grossier d’aller retrouver les autres. Mais pourquoi diable Carreen voulait-elle à toutes forces emmener Mme Tarleton sur la tombe de ses fils alors que Béatrice se donnait tant de mal pour rester brave ?

Sous les cèdres funéraires, entre les quatre murs de brique de l’enclos, on apercevait deux stèles de marbre toutes neuves, si neuves que la pluie n’avait pas eu le temps de les éclabousser de poussière rouge.

« Nous les avons depuis la semaine dernière, annonça Mme Tarleton avec fierté. M. Tarleton est allé à Macon et les a ramenées dans la charrette. »

Des stèles ! Que n’avaient-elles pas dû coûter ! Tout à coup la situation des Tarleton n’inspira plus le même chagrin à Scarlett qu’au début. Des gens capables de dépenser leur bon argent en stèles funéraires alors que la nourriture coûtait des prix fous ne valaient pas qu’on s’intéressât à leurs malheurs. Et, par-dessus le marché, sur chacune d’elles étaient gravées plusieurs lignes d’inscriptions. Plus il y avait d’inscriptions, plus ça coûtait cher ! Ils devaient tous avoir perdu la tête. Et ça avait dû coûter cher également de ramener les corps des trois garçons… oui, des trois seulement, car on n’avait jamais retrouvé la moindre trace de Boyd.

Entre les tombes de Brent et de Stuart se dressait une stèle sur laquelle on lisait : « Beaux et charmants dans la vie, ils ne furent pas séparés dans la mort. »

Sur l’autre stèle étaient inscrits les noms de Boyd et de Tom, ainsi que quelque chose en latin qui commençait par Dulce et… mais Scarlett n’y comprit rien pour avoir résolument tourné le dos aux études latines quand elle était à l’Académie de Fayetteville.

Tout cet argent-là pour des stèles ! Mais les Tarleton devaient être maboules ! Scarlett était aussi indignée que si c’était son propre argent que l’on avait gaspillé.

Les yeux de Carreen brillaient d’un feu étrange. « Je trouve cela très joli », murmura-t-elle en désignant la première stèle.

Évidemment, Carreen trouvait ça joli, tout ce qui avait un caractère sentimental l’émouvait.

« Oui, fit Mme Tarleton d’une voix douce, nous avons pensé que ça irait très bien… ils sont morts presque en même temps. Stuart a été tué le premier. Brent a ramassé le drapeau que son frère avait laissé tomber et il a été tué à son tour. »

Tandis que les jeunes femmes regagnaient Tara en voiture, Scarlett se mit à réfléchir à ce qu’elle avait vu chez ses différents voisins et ne put s’empêcher d’évoquer les anciens fastes du comté alors que les demeures spacieuses regorgeaient d’invités et que l’argent coulait à flots, que les nègres se pressaient dans les cases et que les champs bien entretenus étalaient somptueusement leur récolte de coton.

« Encore un an et tous ces champs seront envahis par les jeunes pousses de pins, se dit-elle, et, promenant son regard sur la forêt toute proche, elle frissonna. Sans nègres, nous pourrons tout juste subsister. Sans nègres, personne ne peut faire marcher une grande plantation. D’innombrables champs vont rester en friche et les bois vont regagner du terrain. Personne ne pourra cultiver beaucoup de coton et alors que deviendrons-nous ? Que deviendront les gens qui habitent la campagne ? En ville, on se débrouille toujours. On s’y est toujours débrouillé. Mais nous autres, gens de la campagne, nous allons revenir de cent ans en arrière, au temps où les pionniers crevaient dans des cabanes, grattaient quelques arpents de terre et vivaient misérablement. »

« Non, se dit farouchement Scarlett. Ça ne se passera pas comme ça à Tara, même si je dois moi-même pousser la charrue. Que ce comté, que l’État tout entier se laissent envahir par les bois si ça leur plaît, mais moi je ne lâcherai pas Tara. Je n’ai nulle envie de gaspiller mon argent en dalles funéraires ou de passer mon temps à gémir sur les malheurs de la guerre. Nous trouverons bien un moyen de nous en sortir. Je sais bien que nous nous en sortirions si tous les hommes n’étaient pas morts à la guerre. La perte des nègres, ce n’est pas ce qu’il y a de pire : c’est la perte de tous ces hommes, de tous ces hommes jeunes. » Scarlett songea de nouveau aux quatre Tarleton, à Joe Fontaine, à Raiford Calvert, aux frères Munroe, à tous les jeunes gens de Fayetteville et de Jonesboro dont elle avait lu les noms sur les listes des morts. « Si seulement il en restait assez, nous pourrions encore nous en sortir, mais… »

Une nouvelle pensée lui traversa l’esprit… et si jamais elle avait envie de se remarier. Bien entendu, elle n’y tenait pas. Une fois, ça suffisait. D’ailleurs le seul homme qu’elle eût aimé épouser, c’était Ashley, et il était marié, en admettant qu’il fût encore en vie. Mais enfin, si la fantaisie la prenait de se remarier ? Qui trouverait-elle pour l’épouser ? Mieux valait ne pas y penser, c’était épouvantable.

« Melly, fit-elle, que vont devenir les jeunes filles du Sud ?

— Que veux-tu dire ?

— Rien d’autre. Que vont-elles devenir ? Il n’y a plus personne pour les épouser. Voyons, Melly, avec ces milliers de morts, il y aura des milliers de femmes dans tout le Sud qui vont mourir vieilles filles.

— Et qui n’auront jamais d’enfants », ajouta Mélanie pour qui c’était la chose la plus importante.

Évidemment, Suellen qui était assise à l’arrière de la voiture n’avait pas été sans réfléchir à cela, car elle se mit soudain à pleurer. Depuis Noël, elle était sans nouvelles de Frank Kennedy. Elle ignorait si cela tenait à l’absence de service postal ou simplement au fait que Frank s’était joué de ses sentiments et l’avait oubliée. Ou alors, il avait peut-être été tué dans les derniers jours de la guerre ! Cela eût infiniment mieux valu que d’être abandonnée par lui. Il y avait au moins quelque chose de digne dans un amour brisé par la mort comme celui de Carreen ou celui d’India Wilkes, mais dans la désertion d’un fiancé…

« Oh ! pour l’amour de Dieu, tais-toi, fit Scarlett.

— Oh ! tu as beau jeu, sanglota Suellen. Au moins tu as été mariée et tu as un bébé, et puis tout le monde sait que d’autres hommes ont tourné autour de toi. Mais moi ! Et il faut encore que tu sois rosse avec moi, que tu me reproches de ne pas me marier alors que ce n’est pas ma faute. Tu es odieuse.

— Oh ! tais-toi. Tu sais bien que j’ai horreur des gens qui geignent tout le temps. Tu sais très bien aussi que ton vieux à côtelettes n’est pas mort et qu’il reviendra pour t’épouser. Tout s’arrangera, mais en ce qui me concerne, j’aimerais mieux rester vieille fille que de devenir sa femme. »

Suellen se tut et Carreen, prenant sa sœur dans ses bras, la réconforta de son mieux tout en pensant à autre chose. Elle était bien loin de toutes ces préoccupations du moment, elle se revoyait trois ans plus tôt chevauchant dans la campagne aux côtés de Brent Tarleton. Ses yeux brillants trahissaient son exaltation.

« Ah ! fit Mélanie tristement, à quoi va ressembler notre Sud sans tous nos beaux jeunes gens ? Que serait devenu le Sud s’ils avaient vécu ? Nous aurions pu mettre à profit leur courage, leur énergie et leur intelligence. Scarlett, nous qui avons des petits garçons, il faudra les élever pour qu’ils remplacent un jour les hommes qui sont partis, pour qu’ils soient braves comme eux.

— Il n’y aura plus jamais d’hommes comme eux, dit Carreen d’une voix douce. Personne ne pourra les remplacer. »

Les jeunes femmes accomplirent le reste du trajet en silence.

 

Peu de temps après la visite aux Tarleton, Cathleen Calvert vint un jour à Tara au moment où le soleil se couchait. Elle avait sanglé sa selle d’amazone sur le dos de la plus triste mule qu’eût jamais vue Scarlett, une malheureuse bête qui boitait et portait bas l’oreille. Cathleen d’ailleurs n’était guère plus fringante que sa monture. Elle était vêtue d’une robe de guingan déteinte du genre de celles dont s’habillaient naguère les servantes nègres, et sa capeline était retenue sous son menton par un bout de ficelle. Elle s’arrêta en face du perron, mais resta sur sa mule. Scarlett et Mélanie qui étaient en train d’admirer le coucher du soleil descendirent les marches et s’avancèrent jusqu’à elle. Cathleen était aussi pâle et aussi défaite que Cade le jour de la visite de Scarlett. Néanmoins elle se tenait droite et ce fut la tête haute qu’elle dit bonjour à ses amies.

« Non, merci, je ne veux pas descendre, fit-elle. Je venais seulement vous dire que je vais me marier.

— Quoi ?

— Avec qui ?

— Mais, Cathy, c’est merveilleux !

— Quand ?

— Demain », répondit Cathleen très calme. Au son de sa voix, le sourire des deux belles-sœurs se figea sur leurs lèvres. « Oui, je suis venue vous dire que j’allais me marier demain à Jonesboro… et que je ne tiens pas du tout à ce que vous assistiez à la cérémonie. »

Scarlett et Mélanie, intriguées, accueillirent cette déclaration sans mot dire, puis Mélanie demanda :

« C’est quelqu’un que nous connaissons, ma chérie ?

— Oui, dit sèchement Cathleen. C’est M. Hilton.

— M. Hilton ?

— Oui, M. Hilton, notre régisseur. »

Scarlett ne fut même pas capable de faire « Oh ! », mais Cathleen, braquant les yeux sur Mélanie, déclara d’un ton farouche : « Si vous pleurez, Melly, ce sera trop pour moi. J’en mourrai ! »

Mélanie baissa la tête et effleura le pied chaussé d’un sabot grossièrement taillé qui dépassait de l’étrier.

« Et ne me touchez pas ! Je ne pourrais pas supporter ça non plus ! »

Mélanie laissa retomber sa main.

« Allons, il faut que je m’en aille. J’étais venue uniquement pour vous dire cela. »

Cathleen reprit son masque douloureux. Elle tira sur les rênes.

« Comment va Cade ? demanda Scarlett pour rompre l’horrible silence qui s’était abattu.

— Il se meurt, répondit Cathleen d’une voix blanche, et je ferai tout mon possible pour qu’il meure tranquille, sans avoir à se tourmenter de mon avenir. Vous comprenez, ma belle-mère et les enfants partent demain pour le Nord, où ils resteront définitivement. Allons, il faut que je m’en aille. »

Mélanie releva la tête et croisa le regard dur de Cathleen. Les yeux de Mélanie étaient embués de larmes et l’on y pouvait lire qu’elle comprenait. Cathleen ébaucha une sorte de sourire, ou mieux une moue pareille à celle que font les enfants courageux qui ne veulent pas pleurer. Scarlett, stupéfaite, n’arrivait pas à comprendre que Cathleen allait épouser un régisseur… Cathleen, la fille d’un riche planteur. Cathleen qui, elle-même exceptée, avait eu plus de soupirants qu’aucune autre jeune fille du comté.

Cathleen se pencha et Mélanie se haussa sur la pointe des pieds. Elles s’embrassèrent. Alors Cathleen secoua nerveusement les rênes sur le dos de la bête et la mule se mit en route.

Le visage ruisselant de pleurs, Mélanie la regarda s’éloigner. Scarlett, abasourdie, en fit autant.

« Melly, est-ce qu’elle est folle ? C’est impossible qu’elle soit éprise de lui, tu sais.

— Éprise ? Oh ! Scarlett, comment peux-tu insinuer une chose aussi horrible. Oh ! pauvre Cathleen ! Pauvre Cade !

— Oh ! et puis ça va ! » s’écria Scarlett, qui commençait à perdre patience. Ça devenait ennuyeux à la fin de voir Mélanie toujours tout prendre au tragique. Cathleen lui semblait se trouver dans une situation beaucoup plus curieuse que catastrophique. Bien entendu, ça n’avait rien d’agréable d’épouser un Yankee sans le sou, mais après tout une jeune fille ne pouvait pas diriger toute seule une plantation. Il fallait bien qu’elle eût un mari pour l’aider.

« Melly, c’est bien ce que je disais l’autre jour. Il n’y a plus personne pour épouser les jeunes filles, et pourtant elles ont besoin d’un mari.

— Oh ! mais non, elles peuvent s’en passer ! Il n’y a rien de honteux à être une vieille fille. Regarde tante Pitty. Oh ! j’aimerais mieux voir Cathleen morte ! Je sais que Cade aimerait mieux ça. C’est la fin des Calvert. Pense donc à ce que seront ses… oui, à ce que seront ses enfants. Oh ! Scarlett, dis vite à Pork de seller le cheval. Cours après Cathleen et dis-lui de venir habiter avec nous !

— Bonté divine ! » s’exclama Scarlett, choquée par la désinvolture avec laquelle Mélanie offrait le refuge de Tara. Scarlett ne tenait pas du tout à avoir une bouche de plus à nourrir. Elle était sur le point de le dire lorsque quelque chose dans le visage bouleversé de Mélanie l’arrêta. « Elle ne voudra pas venir, Melly, se contenta-t-elle de déclarer. Tu le sais bien. Elle est trop fière et elle se figurerait que nous lui faisons la charité.

— C’est vrai, c’est vrai », murmura Mélanie d’un air absent tout en regardant le petit nuage de poussière rouge disparaître au bas de la route.

« Te voilà ici depuis des mois, pensa Scarlett les yeux fixés sur sa belle-sœur, et il ne t’est jamais venu à l’idée que tu vivais à nos crochets. Du reste, je parie que ça ne te viendra jamais à l’idée. Tu es une de ces personnes que la guerre n’a pas changées et tu poursuis ton petit bonhomme de chemin comme si de rien n’était… comme si nous étions encore riches comme Crésus, comme si nous avions des provisions à ne savoir qu’en faire et qu’un invité de plus ou de moins, ça ne comptait pas. J’ai bien l’impression que je t’aurai toute ma vie sur les bras, mais je ne veux pas avoir en plus Cathleen à ma charge. »