XXXIV

Le lendemain matin, le soleil brillait par intermittence et la bourrasque qui lui soufflait au visage de gros nuages noirs secouait les vitres et remplissait la maison de faibles gémissements. Scarlett adressa de brèves actions de grâces au Seigneur pour le remercier d’avoir fait cesser la pluie de la nuit précédente qu’elle avait écoutée tomber en pensant que ce serait la perte de sa robe de velours et de sa capote neuve. Maintenant qu’elle surprenait de furtives échappées de ciel bleu, son moral se relevait. Elle eut bien du mal à rester au lit, à conserver son air dolent et à tousser à fendre l’âme jusqu’à ce que tante Pitty, Mama et l’oncle Peter fussent partis en procession chez Mme Bonnell. Lorsqu’elle entendit se refermer la grille et qu’elle se trouva seule dans la maison, à l’exception de Cookie, qui chantait dans la cuisine, elle sauta à bas de son lit et sortit ses vêtements neufs de la penderie.

Elle avait puisé dans le sommeil des forces fraîches et, du fin fond de son cœur endurci, elle tira le courage dont elle avait besoin. Dans la perspective de se mesurer avec un homme, avec n’importe quel homme, il y avait quelque chose qui stimulait son énergie, et, après des mois et des mois de lutte contre d’innombrables déboires, elle éprouvait une sensation grisante à l’idée d’affronter enfin un adversaire précis sur lequel elle arriverait peut-être à prendre le dessus grâce à ses seules ressources.

S’habiller toute seule ne fut pas une petite affaire ; néanmoins elle y réussit et, après s’être coiffée de sa capote aux plumes provocantes, elle se précipita dans la chambre de tante Pitty pour vérifier sa toilette dans la haute psyché. Comme elle était jolie ! Les plumes de coq lui donnaient un petit air effronté et le velours vert mat de la capote rehaussait singulièrement l’éclat de ses yeux qui en prenaient presque une teinte d’émeraude. Quant à la robe, elle n’avait pas sa pareille pour le luxe, l’élégance et en même temps le bon ton ! C’était merveilleux d’avoir de nouveau une belle robe. C’était si agréable de se sentir jolie et désirable. Scarlett se pencha en avant, embrassa son image dans la glace, puis se mit à rire de son enfantillage. Elle ramassa le châle d’Ellen qu’elle avait laissé tomber pour mieux se regarder et voulut s’en envelopper, mais les couleurs en étaient fanées et juraient avec le vert de la robe. Scarlett ouvrit l’armoire de tante Pitty, en sortit une large mante de drap fin que Pitty ne portait que le dimanche et elle s’en couvrit les épaules. Elle passa à ses oreilles les boucles en diamant qu’elle avait apportées de Tara et rejeta la tête en arrière pour juger de l’effet produit. Les boucles cliquetèrent d’une manière fort satisfaisante et Scarlett se dit qu’une fois en présence de Rhett il ne faudrait pas qu’elle oublie de rejeter souvent la tête en arrière. Le mouvement des boucles d’oreilles séduisait toujours les hommes et donnait aux jeunes femmes un air tellement spirituel.

Quel dommage que tante Pitty n’eût pas d’autres gants que ceux qu’elle portait en ce moment ! Sans gants, une femme ne pouvait pas se sentir distinguée, mais Scarlett n’en avait plus depuis qu’elle avait quitté Atlanta. Et les rudes besognes auxquelles elle s’était livrée à Tara lui avaient rendu les mains si calleuses qu’elles n’étaient vraiment pas belles à voir. Allons, elle n’y pouvait rien. Elle allait emprunter le petit manchon en phoque de tante Pitty et y cacherait ses mains. Scarlett estima que ce manchon ajoutait la dernière touche élégante à sa tenue. En la voyant, personne ne pourrait se douter qu’elle était pauvre et même réduite aux abois.

Il importait tant que Rhett ne se doutât de rien. Il fallait absolument lui faire croire que seuls de tendres motifs avaient inspiré sa visite.

Scarlett descendit l’escalier sur la pointe des pieds et sortit de la maison sans éveiller l’attention de Cookie, qui continuait son concert dans la cuisine. Afin d’échapper aux regards des voisins, elle emprunta la rue du Boulanger et, lorsqu’elle eut atteint la rue aux Houx, elle alla s’asseoir sur une borne en face d’une maison en cendres dans l’espoir qu’une voiture ou une charrette complaisante voudrait bien la rapprocher du but de son expédition.

Le soleil jouait à cache-cache avec les nuages échevelés et brillait d’un éclat trompeur. Le vent s’amusait avec les dentelles du pantalon de Scarlett, qui se mit à frissonner et s’emmitoufla d’un geste impatient dans la cape de tante Pitty. Au moment où elle allait se résigner à se rendre à pied au camp yankee, elle vit venir vers elle une carriole délabrée traînée par une mule flegmatique. Sur le siège était assise une vieille à la lèvre barbouillée de tabac à priser, au visage tanné par la vie au grand air. Elle se rendait du côté de la mairie et accepta de mauvaise grâce que Scarlett s’installât auprès d’elle. À coup sûr, la toilette de la jeune femme, sa capote, son manchon n’avaient point ses faveurs.

« Elle me prend pour une gourgandine, pensa Scarlett, et, ma foi, elle n’a peut-être pas tort. »

Lorsque la carriole atteignit enfin le jardin public, Scarlett remercia, descendit et regarda s’éloigner la vieille paysanne. Puis, après s’être assurée que personne ne pouvait la voir, elle se pinça les joues pour leur redonner de la couleur, et se mordit les lèvres pour les rendre plus rouges. Elle rajusta sa capote, se lissa les cheveux et promena les yeux autour d’elle. La mairie en briques rouges avait échappé à l’incendie de la ville, mais, sous le ciel gris, elle paraissait abandonnée. Tout autour du bâtiment et sur toute l’étendue des jardins dont il était le centre s’alignaient des baraquements militaires sales et couverts de boue. On voyait partout flâner des soldats yankees et Scarlett sentit une partie de son courage l’abandonner. Comment allait-elle s’y prendre pour joindre Rhett au milieu de ce camp d’ennemis ?

Elle regarda du côté de la caserne des pompiers et remarqua que les grands porches voûtés étaient fermés et garnis de lourds panneaux. De chaque côté du bâtiment passaient et repassaient des sentinelles. Rhett était là. Mais qu’allait-elle dire aux soldats yankees ? Et eux, qu’allaient-ils lui dire ? Elle redressa les épaules. Quand on avait eu le courage de tuer un Yankee, on n’allait tout de même pas avoir peur pour si peu.

Scarlett traversa tant bien que mal la rue boueuse et marcha droit devant elle jusqu’à ce qu’elle fût arrêtée par une sentinelle sanglée dans une capote bleue.

« Qu’est-ce que vous voulez, m’dame ? » Il avait beau nasiller d'une manière bizarre comme les gens du Middle West, il ne s’en exprimait pas moins d’un ton poli et déférent.

« Je voudrais voir un homme qui est ici… un prisonnier.

— Ça, j’pourrais pas vous dire, fit la sentinelle en se grattant la tête. Ils sont rudement durs pour les visites et… » Il s’arrêta net. « Bon Dieu, m’dame. Faut pas pleurer ! Allez donc au Quartier Général demander la permission aux officiers. J’parie qu’ils vous laisseront passer. »

Scarlett, qui n’avait nullement envie de pleurer, gratifia l’homme d’un sourire radieux. Il se tourna vers une autre sentinelle : « Eh ! Bill. Ramène-toi. »

La seconde sentinelle, un gros homme doté d’horribles moustaches noires qui émergeaient du col relevé de sa capote, s’approcha en pataugeant dans la boue.

« Conduis-moi donc cette dame au Quartier Général. »

Scarlett remercia et suivit son guide.

« Faites attention à ne pas vous tordre la cheville sur ces dalles, dit le soldat en la prenant par le bras. Et puis, vous feriez mieux de retrousser un peu votre jupe, à cause de la boue. »

Il avait lui aussi une voix nasillarde, mais il était très aimable et très respectueux. Allons, les Yankees n’avaient rien de terrible.

« Il fait un temps bougrement froid pour une dame, dit la sentinelle. Vous venez de loin ?

— Oh ! oui, de l’autre bout de la ville, répondit Scarlett, tout heureuse de l’amabilité de cet homme.

— C’est pas un temps pour se promener, insista le soldat, avec toute cette grippe qui court dans l’air. Nous voilà arrivés au bureau des officiers, madame… Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Cette maison… c’est ça votre Quartier Général ? »

Scarlett contempla la ravissante et vieille demeure qui donnait sur le jardin public et elle eut envie de pleurer. Elle y avait assisté à tant de réunions pendant la guerre. On s’y amusait si bien jadis, et maintenant on y voyait flotter un grand drapeau des États-Unis.

« Qu’est-ce qui se passe ?

— Rien… seulement… seulement je connaissais les gens qui habitaient là.

— Allons, c’est dommage. M’est avis qu’ils ne s’y reconnaîtraient plus aujourd’hui. Tout est sens dessus dessous à l’intérieur. Allons, m’dame, vous n’avez plus qu’à entrer. Vous demanderez le capitaine. »

Scarlett gravit le perron en caressant la rampe blanche et poussa la porte. Dans le vestibule, il faisait sombre et froid comme dans une cave. Une sentinelle transie était en faction devant la porte de la pièce qui jadis servait de salle à manger.

« Je désirerais voir le capitaine », dit Scarlett.

Le factionnaire ouvrit la porte et Scarlett entra, le cœur battant, le visage empourpré par la gêne et l’émotion. À l’intérieur régnait une forte odeur de renfermé. Cela sentait le feu qui tire mal, le tabac, le cuir, l’uniforme mouillé et la crasse des corps mal lavés. Scarlett distingua confusément des murs nus aux papiers déchirés, des rangées de capotes bleues et de chapeaux de feutre accrochés à des clous, une longue table couverte de paperasses et un groupe d’officiers en vestes bleues ornées de boutons de cuivre.

Elle avala sa salive et s’éclaircit la gorge. Elle ne voulait pas montrer à ces Yankees qu’elle avait peur et tenait en même temps à produire la meilleure impression possible.

« Le capitaine ?

— C’est moi l’un des capitaines, répondit un homme replet dont la veste était déboutonnée.

— Je voudrais voir un prisonnier, le capitaine Rhett Butler.

— Encore ce Butler ? Il en a du succès, cet homme, déclara le capitaine, qui ôta un cigare mâchonné de sa bouche et se mit à rire. Vous êtes une de ses parentes, madame ?

— Oui… sa… sa sœur. »

L’officier rit de nouveau.

« Il en a des sœurs. Il en est déjà venu une hier. »

Scarlett rougit. Il s’agissait sûrement d’une de ces créatures que Rhett fréquentait, la Watling sans doute. Et ces Yankees allaient s’imaginer un tas de choses sur son compte. Ce n’était pas tenable. Même pour Tara elle ne resterait pas une minute de plus à se laisser insulter. Elle recula vers la porte, en saisit la poignée d’un geste rageur, mais un autre officier s’approcha d’elle. Jeune et rasé de frais, il avait un air gai et aimable.

« Une minute, madame. Vous ne voulez pas vous asseoir près du feu pour vous réchauffer ? Je vais aller voir ce que je peux faire pour vous. Comment vous appelez-vous ? Vous comprenez, le prisonnier a refusé de recevoir la… hum, la dame qui est venue hier. »

Scarlett s’assit sur la chaise qu’on lui offrait, lança un coup d’œil au gros capitaine tout penaud et déclina son identité. Le jeune officier enfila sa capote et sortit tandis que ses camarades se retiraient à l’autre extrémité de la pièce où ils se mirent à discuter à voix basse tout en compulsant des papiers.

Au bout d’un certain temps on entendit un murmure de voix derrière la porte et Scarlett reconnut le rire de Rhett. La porte s’ouvrit, un courant d’air froid balaya la pièce et Rhett apparut, tête nue, une longue cape jetée négligemment sur l’épaule. Il était sale et mal rasé. Il ne portait pas de cravate, mais, en dépit de sa tenue négligée, il avait encore son petit air conquérant et ses yeux pétillèrent de joie en apercevant la jeune femme.

« Scarlett ! »

Il prit ses deux mains dans les siennes, et comme toujours de leur étreinte se dégageait quelque chose de tiède et d’émouvant. Avant même que Scarlett ait eu le temps de se rendre compte de ce qu’il allait faire, il se pencha vers elle et l’embrassa sur la joue. Comme elle se reculait instinctivement, il la prit par les épaules et s’écria en souriant : « Ma petite sœur chérie ! » Scarlett ne put s’empêcher de lui rendre son sourire. Quelle canaille ! La prison ne l’avait pas changé.

« Tout à fait contre les règlements, bougonna le gros capitaine en s’adressant au jeune officier. Il n’aurait pas dû quitter la caserne. Vous connaissez la consigne.

— Oh ! je vous en prie, Henry ! La dame va mourir de froid dans cette grange.

— Ça va, ça va. Vous prenez ça sous votre responsabilité ?

— Croyez-moi, messieurs, fit Rhett en se tournant vers les officiers sans lâcher les épaules de Scarlett, ma… ma sœur ne m’a apporté ni scie à métaux, ni limes pour m’aider à m’évader. »

Tous se mirent à rire, Scarlett jeta un regard éperdu autour d’elle. Juste Ciel ! allait-elle être obligée de parler à Rhett en présence de six officiers yankees ! Était-il donc un prisonnier si dangereux qu’ils ne voulaient pas le perdre de vue un seul instant ? Le jeune et aimable officier devina son anxiété. Il ouvrit une porte et murmura quelques mots à deux simples soldats qui se levèrent pour le saluer. Ils prirent leurs fusils et passèrent dans le vestibule après avoir refermé la porte derrière eux.

« Si le cœur vous en dit, vous pouvez aller vous asseoir dans la pièce réservée aux plantons, déclara le jeune capitaine. Seulement n’essayez pas de prendre la poudre d’escampette. Mes deux hommes montent la garde dehors.

— Tu vois, Scarlett, la réputation que j’ai, dit Rhett. Merci, mon capitaine. C’est fort aimable à vous. »

Il s’inclina avec beaucoup de grâce et, prenant Scarlett par le bras, il la fit entrer dans la pièce en désordre. Scarlett ne devait jamais se rappeler le moindre détail de cette pièce, si ce n’est qu’elle était petite, qu’il y faisait sombre et pas trop chaud, qu’aux murs étaient épinglés des ordres écrits à la main et qu’on y avait placé des chaises dont le siège en cuir de vache conservait encore ses poils.

Lorsqu’il eut refermé la porte, Rhett s’approcha de Scarlett et se pencha vers elle. Devinant ce qu’il désirait, la jeune femme détourna vivement la tête, mais du coin de l’œil décocha à son compagnon un sourire provocant.

« Je n’ai pas le droit de vous embrasser pour de bon, maintenant ?

— Si, sur le front, en bon frère.

— Fichtre non, grand merci. Je préfère attendre quelque chose de mieux. »

Les yeux de Rhett se portèrent sur ses lèvres et s’y arrêtèrent un moment.

« Mais comme vous êtes bonne d’être venue me voir, Scarlett ! Vous êtes la première personne respectable qui m’ait demandé depuis qu’on m’a incarcéré, et je vous assure qu’on apprécie l’amitié lorsqu’on est en prison. Quand êtes-vous arrivée en ville ?

— Hier après-midi.

— Et vous êtes venue dès ce matin ! Mais, ma chère, c’est encore mieux que de la bonté. »

Il lui sourit et, pour la première fois, elle lut sur son visage une expression de plaisir sincère. Scarlett s’en réjouit intérieurement et baissa la tête comme si elle était gênée.

« Bien entendu, je suis venue tout de suite. Tante Pitty m’a parlé de vous hier soir et je… je n’ai pas pu fermer l’œil de la nuit tellement je trouve ça affreux. Rhett, je suis malheureuse.

— Voyons, Scarlett ! »

Rhett s’exprimait d’une voix douce qui avait pourtant d’étranges vibrations. Elle leva les yeux sur lui et s’étonna de ne plus trouver trace de ce scepticisme, de cet humour cinglant qu’elle connaissait si bien. Cette fois, elle se sentit gênée pour de bon. Les choses prenaient encore meilleure tournure qu’elle n’avait espéré.

« Ça vaut la peine d’être en prison rien que pour vous revoir et vous entendre dire des choses comme ça. Quand on m’a transmis votre nom, je ne pouvais pas en croire mes oreilles. Vous comprenez, je n’escomptais pas que vous me pardonneriez la conduite patriotique dont j’avais fait preuve cette nuit-là sur la route de Rough and Ready. Dois-je interpréter cette visite comme un signe de pardon ? »

Au souvenir de cet événement pourtant lointain, Scarlett sentit monter sa colère, mais elle se domina et secoua la tête de droite et de gauche jusqu’à ce qu’elle eût entendu tinter ses boucles d’oreilles.

« Non, je ne vous ai pas pardonné, dit-elle en faisant la moue.

— Allons, un autre espoir qui s’effondre. Et dire que je me suis offert en holocauste à ma patrie, que je me suis battu pieds nus dans la neige à Franklin et qu’en échange de mes souffrances j’ai attrapé le plus beau cas de dysenterie dont vous ayez jamais entendu parler.

— Je ne tiens pas à entendre parler de vos… souffrances, dit-elle en continuant de faire la moue, mais en même temps ses yeux bridés souriaient à Rhett. Je pense toujours que vous vous êtes montré odieux cette nuit-là et je ne crois pas que je vous pardonnerai jamais. Me laisser seule, comme cela, alors qu’il pouvait m’arriver n’importe quoi !

— Mais il ne vous est rien arrivé du tout. Vous voyez bien que ma confiance en vous était justifiée. Je savais que vous rentreriez chez vous saine et sauve et que Dieu vous viendrait en aide contre tous les Yankees qui se trouveraient sur votre chemin !

— Rhett, pourquoi diable avez-vous commis pareille sottise… vous engager à la dernière minute quand vous saviez que nous allions être écrasés ? Après tout ce que vous aviez dit sur les imbéciles qui allaient se faire tuer !

— Scarlett, épargnez-moi ! Chaque fois que j’y pense, je me sens accablé de honte.

— Allons, je suis ravie d’apprendre que vous avez honte de la façon dont vous vous êtes conduit avec moi !

— Vous ne me comprenez pas. J’ai le regret de dire que ma conscience ne m’a nullement reproché de vous avoir abandonnée. Mais en ce qui concerne le reste… quand je pense que j’ai rejoint l’armée en bottes vernies, en complet de toile blanche, avec pour seules armes une paire de pistolets de duel… quand je pense aux longues marches que j’ai faites dans la neige après que mes bottes furent devenues inutilisables… oui, quand je pense que je n’avais pas de pardessus, que je n’avais rien à me mettre sous la dent… eh bien ! je n’arrive pas à comprendre comment je n’ai pas déserté. Tout cela a été de la pure folie. Mais quoi, on a ça dans le sang. Les Sudistes ne peuvent jamais résister à l’appel d’une cause perdue. Enfin, peu importent mes arguments. Il me suffit d’être pardonné.

— Vous ne l’êtes pas. Je trouve toujours que vous vous êtes comporté comme un être ignoble. »

Scarlett s’attarda si bien sur ce dernier mot, le prononça d’une voix si caressante qu’il sonna presque comme un mot d’amour.

« N’essayez pas de me donner le change. Vous m’avez pardonné. Les jeunes femmes n’ont pas coutume d’affronter les sentinelles yankees pour aller voir un prisonnier uniquement par bonté d’âme et, dans ces cas-là, elles ne portent ni robes de velours, ni plumes, ni manchon en peau de phoque. Scarlett, comme vous êtes jolie ! Dieu merci, vous n’êtes ni en guenilles, ni en deuil ! J’en ai assez des femmes mal fagotées avec leurs vieilles robes et leurs éternels voiles de crêpe. Vous me faites penser à la rue de la Paix. Tournez-vous, ma chère, laissez-moi vous regarder. »

Il avait donc remarqué sa robe. Naturellement, il ne serait pas Rhett s’il ne remarquait pas ces choses-là. Elle rit, pivota sur les talons, étendit les bras, fit remonter les cerceaux de sa crinoline pour découvrir les jambes de son pantalon garni de dentelles. Aucun détail de sa toilette n’échappa au regard de Rhett, à ce regard impudent qui semblait déshabiller les femmes et donnait toujours la chair de poule à Scarlett.

« Vous me semblez être en pleine prospérité. Vous paraissez très, très à point. Pour un peu, on vous croquerait. S’il n’y avait pas de Yankees de l’autre côté de la porte… mais vous êtes en sûreté, ma chère. Asseyez-vous. Je n’abuserai pas de ma force comme la dernière fois que je vous ai vue. » Il se frotta la joue avec une douleur feinte. « En toute franchise, Scarlett, vous ne trouvez pas que vous avez été un peu égoïste cette nuit-là ? Songez à tout ce que j’avais fait pour vous, songez que j’avais risqué ma vie en volant un cheval, et quel cheval ! Et puis, ne courais-je pas au secours de notre glorieuse Cause ? Qu’ai-je obtenu pour me dédommager de mes peines ? Quelques mots durs et une bonne gifle. »

Scarlett s’assit. La conversation ne s’engageait pas tout à fait sur la voie qu’elle avait espérée. Rhett avait paru si gentil sur le moment, si sincèrement heureux de la voir. Il avait presque donné l’impression d’être devenu une créature humaine, de ne plus être l’individu pervers qu’elle connaissait si bien.

« Vous faut-il donc toujours quelque chose en dédommagement de vos peines ?

— Mais bien sûr ! Je suis un monstre d’égoïsme, comme vous devriez le savoir. Quand je donne quelque chose, je caresse toujours l’espoir d’être payé de retour. »

Scarlett sentit un petit frisson la parcourir, mais elle réagit et secoua ses boucles d’oreilles.

« Oh ! vous n’êtes pas aussi foncièrement mauvais que cela, Rhett. Vous voulez simplement vous en donner l’air.

— Ma parole, mais vous avez changé, dit-il en souriant. Qui donc a fait de vous une chrétienne ? Grâce à Mlle Pittypat je me suis tenu au courant de vos faits et gestes, mais la brave demoiselle ne m’avait point laissé entendre que vous aviez acquis une douceur toute féminine. Parlez-moi un peu plus de vous, Scarlett. Qu’avez-vous fait depuis la dernière fois que nous nous sommes vus ? »

Scarlett sentait se réveiller en elle le vieil antagonisme qu’elle avait toujours éprouvé contre Rhett, et elle aurait bien voulu lui répondre par des paroles méchantes, mais au lieu de cela elle sourit et une fossette lui creusa la joue. Rhett avait attiré une chaise tout contre la sienne. Elle se pencha en avant et, sans avoir l’air d’y penser, elle lui posa affectueusement la main sur le bras.

« Oh ! moi, je me porte à merveille, et à Tara maintenant tout marche à souhait. Bien entendu, nous avons connu des heures épouvantables lorsque Sherman est passé par là, mais, après tout, il n’a pas incendié la maison et les noirs ont sauvé presque toutes les bêtes en les lâchant dans les marais. Et puis, nous avons eu une bonne récolte cette année, vingt balles. Oh ! bien sûr, ce n’est pratiquement rien par rapport à ce que Tara peut produire, mais nous manquons de main-d’œuvre. Papa dit que nous ferons mieux l’année prochaine. Mais, Rhett, on s’ennuie tellement à la campagne, désormais. Figurez-vous qu’il n’y a plus ni bals, ni pique-niques et que les garçons ne savent plus parler que de la dureté des temps ! Bonté divine, j’en ai par-dessus la tête. La semaine dernière j’ai fini par être tellement excédée que papa m’a conseillé d’aller faire un petit voyage et de m’amuser. Je suis donc venue ici me commander quelques robes et ensuite je me rendrai à Charleston chez ma tante. Ça va être délicieux de retourner au bal. »

« Allons, se dit Scarlett avec fierté, je lui ai raconté ma petite histoire tout à fait comme il fallait, sans me faire passer pour trop riche ni pour trop pauvre ! »

« Vous êtes ravissante en robe de bal, ma chère, et vous le savez, voilà le malheur ! D’après moi, la véritable raison de votre voyage, c’est que les bergers de votre comté n’ont plus d’attraits pour vous et que vous désirez chasser sur d’autres terres. »

Scarlett se félicita que Rhett ne fût revenu que depuis peu à Atlanta après une absence de plusieurs mois. Sans cela il n’eût jamais émis une hypothèse aussi ridicule. Elle accorda une brève pensée aux bergers du comté, aux petits Fontaine qui rongeaient leur frein sous leurs haillons, aux fils Munroe qui traînaient une existence misérable, aux jeunes gens de Jonesboro et de Fayetteville si occupés à charruer, à couper du bois, à soigner de vieilles bêtes malades qu’ils en avaient perdu le souvenir des bals et des flirts agréables. Mais Scarlett écarta ce souvenir et ricana d’un petit air satisfait comme si elle reconnaissait le bien-fondé des suppositions de Rhett.

« Vous n’avez pas de cœur, Scarlett, mais c’est peut-être ce qui fait une partie de votre charme. »

Rhett sourit comme autrefois, un pli moqueur au coin de la bouche, mais Scarlett n’en comprit pas moins qu’il venait de lui adresser un compliment.

« Naturellement, poursuivit-il, vous n’ignorez pas que vous avez plus de charme qu’il ne devrait être permis. Moi-même, si endurci que je sois, j’en ai subi les effets. Je me suis souvent demandé ce qu’il pouvait bien y avoir en vous pour que je n’arrive pas à vous oublier. Enfin, j’ai connu pas mal de dames plus jolies que vous et, à coup sûr, plus habiles, sans parler de leur incontestable supériorité morale. Mais, quoi que je fasse, mes pensées reviennent toujours vers vous. Tenez, après la reddition, quand j’étais en France et en Angleterre, je ne vous avais pas revue, je n’avais aucune nouvelle de vous et j’entretenais des relations fort agréables avec un grand nombre de jolies femmes, eh bien ! je pensais quand même à vous et je me demandais ce que vous deveniez. »

Pendant un instant, Scarlett fut indignée. Comment ! il osait dire qu’il connaissait des femmes plus jolies, plus habiles ou meilleures qu’elle. Pourtant ce désagrément fut compensé par le plaisir qu’elle éprouvait en constatant que Rhett ne l’avait pas oubliée. Cela allait lui faciliter la tâche. Et son attitude était si gentille, il se conduisait presque comme n’importe quel homme du monde l’aurait fait en pareilles circonstances. Maintenant il ne restait plus à Scarlett qu’à amener la conversation sur lui-même afin de lui faire entendre qu’elle non plus ne l’avait pas oublié et alors…

Elle lui secoua gentiment le bras et une nouvelle fossette lui creusa la joue.

« Oh ! Rhett, comme vous y allez ! Taquiner une petite paysanne comme moi ! Je sais pertinemment que vous n’avez pas pensé un seul instant à moi après m’avoir abandonnée. Ne venez pas me dire que vous avez pensé à moi au milieu de toutes ces jolies Françaises et Anglaises. Cependant, je ne suis pas venue jusqu’ici pour vous entendre me raconter des sornettes. Je suis venue… venue… parce que.

— Parce que quoi ?

— Oh ! Rhett, je me fais tant de soucis pour vous ! J’ai si peur pour vous ! Quand vous laissera-t-on sortir de cette terrible prison ? »

Il immobilisa la main de Scarlett dans la sienne et la maintint serrée contre son bras.

« Votre chagrin vous fait honneur. Il n’est pas question de me laisser sortir. Je ne sais pas pour ma part quand ce sera. Peut-être quand on aura allongé un peu plus la corde.

— La corde ?

— Oui, je m’attends à sortir d’ici au bout d’une corde.

— On ne va tout de même pas vous pendre ?

— On le fera si on arrive à réunir d’autres preuves contre moi.

— Oh ! Rhett ! s’écria Scarlett, la main sur le cœur.

— Ça vous ferait de la peine ? Si vous avez suffisamment de chagrin, je vous mettrai sur mon testament. »

Son testament ! Scarlett baissa vite les yeux pour ne pas se trahir, mais pas assez, car, dans le regard de Rhett, s’alluma soudain une lueur de curiosité.

« D’après les Yankees, je devrais en avoir un beau testament ! En ce moment, les gens ont l’air de s’intéresser diablement à mes finances. Chaque jour on me traîne de commission d’enquête en commission d’enquête et l’on me harcèle de questions abracadabrantes. Le bruit court que j’ai pris le large avec l’or mythique de la Confédération.

— Eh bien ! est-ce vrai ?

— Ça, c’est une question directe au moins ! Vous savez aussi bien que moi que la Confédération faisait marcher la planche à billets au lieu de fabriquer des pièces d’or.

— Mais d’où tirez-vous tout votre argent ? Vous avez spéculé ? Tante Pitty prétend…

— En voilà des preuves ! »

Que le diable l’emporte ! Mais bien sûr, c’était lui qui l’avait, l’argent de la Confédération. Elle était si agitée qu’il lui devenait difficile de conserver un ton aimable.

« Rhett, ça me met dans un tel état de vous savoir ici. Pensez-vous avoir une chance de vous tirer d’affaire ?

— Nihil desperandum, telle est ma devise.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Ça veut dire “peut-être”, ma charmante ignorante. »

Elle battit des cils, regarda Rhett, puis baissa de nouveau les yeux.

« Oh ! vous êtes trop intelligent pour vous laisser pendre. Vous allez bien trouver le moyen de rouler les Yankees et de sortir d’ici. Quand vous serez libre…

— Quand je serai libre ? demanda-t-il d’une voix douce en se rapprochant de Scarlett.

— Eh bien je… » alors, Scarlett prit un joli petit air confus et se mit à rougir. Rougir ne lui fut pas difficile, car elle avait la respiration coupée et son cœur battait comme un tambour. « Rhett, je regrette tellement ce… ce que j’ai dit cette nuit-là… vous savez… près de Rough and Ready. J’avais… oh ! j’avais si peur, j’étais si bouleversée et vous, vous étiez si… si… » Elle aperçut la main brune de Rhett qui retenait les siennes prisonnières. « Et… je… je croyais que je ne vous pardonnerais jamais, jamais ! Mais hier, quand tante Pitty m’a dit que vous… que vous risquiez d’être pendu… j’ai senti brusquement quelque chose en moi et je… je… » Elle lui adressa un regard implorant dans lequel on aurait pu lire toutes les souffrances d’un cœur torturé. « Oh ! Rhett ! Si l’on vous pend, j’en mourrai. Je ne pourrai pas m’en remettre ! Vous comprenez, je… » et comme elle n’avait plus la force de supporter l’éclat brûlant des yeux de Rhett, elle baissa les paupières.

« Dans une minute, je vais pleurer, se dit-elle au comble de l’étonnement et de l’agitation. Faut-il retenir mes larmes ? Est-ce que ça aura l’air plus naturel si je pleure ? »

« Mon Dieu, Scarlett, fit Rhett, vous ne voulez pas entendre par là… » Et il étreignit si fort les mains de la jeune fille qu’il lui fit mal.

Les paupières serrées, elle s’efforçait de faire venir les larmes, mais en même temps elle eut la présence d’esprit de tourner légèrement la tête pour que Rhett pût l’embrasser sans difficulté. Oui, il allait l’embrasser sur la bouche, elle allait sentir contre les siennes ses lèvres fermes et insistantes dont elle se rappela soudain le contact avec une netteté qui la laissa pantelante. Mais il ne l’embrassa pas. Déçue, elle entrouvrit les yeux et regarda Rhett à la dérobée. Sa tête noire était penchée sur ses mains et, tandis qu’elle l’observait il porta l’une d’elles à ses lèvres, puis s’empara de l’autre et l’appuya un instant contre sa joue. Scarlett s’attendait à un geste violent, aussi, devant cette manifestation de tendresse, demeura-t-elle stupide. Elle aurait pourtant toujours bien voulu étudier le visage de Rhett, mais elle dut y renoncer car il tenait toujours la tête baissée.

Elle referma les yeux de peur que Rhett en se redressant brusquement n’y surprît une expression de triomphe trop visible. Il allait la demander en mariage… ou du moins il allait lui dire qu’il l’aimait et puis… Elle continuait de l’observer, les cils mi-clos. Il voulut lui embrasser le creux de la main et soudain il poussa un bref soupir. Alors, pour la première fois depuis un an, Scarlett vit la paume de sa main telle qu’elle était pour de bon, et elle se sentit glacée de terreur. C’était la paume de quelqu’un d’autre, ce n’était pas la paume douce et blanche de Scarlett O’Hara. Le travail avait durci cette main-là, le soleil l’avait tannée, elle était couverte de taches de rousseur. Les ongles en étaient cassés et la paume calleuse. Une coupure à demi cicatrisée balafrait le pouce. La brûlure qu’elle s’était faite le mois précédent avec de la graisse bouillante était hideuse. Elle la regarda horrifiée et, sans y penser, elle serra vivement le poing.

Rhett ne relevait toujours pas la tête. Scarlett ne pouvait toujours pas voir son visage. Il lui ouvrit la main d’un geste impitoyable, s’empara de l’autre et les examina toutes les deux en silence. « Regardez-moi, dit-il enfin d’un ton très calme tout en se redressant. Quittez cet air de sainte nitouche. »

Elle se tourna vers lui de mauvaise grâce et lui présenta un visage à la fois provocant et bouleversé. Rhett fronçait les sourcils, ses yeux noirs étincelaient.

« Alors, tout marche à souhait à Tara, hein ? On y récolte tellement de coton que vous pouvez vous offrir des voyages. Qu’avez-vous donc fait avec vos mains… vous avez poussé la charrue ? »

Scarlett essaya de se dégager, mais Rhett la tenait ferme. « Ce ne sont pas des mains de femme du monde, dit-il en les lâchant tout d’un coup.

— Oh ! taisez-vous ! s’exclama Scarlett qui, sur le moment, éprouva un soulagement intense à pouvoir exprimer librement ses sentiments. Est-ce que ça vous regarde ce que je fais de mes mains ? »

« Quelle imbécile je suis ! » se dit-elle dans un accès de rage contre elle-même. « J’aurais dû emprunter ou voler les gants de tante Pitty. Mais quoi, je ne me rendais pas compte que mes mains étaient dans cet état. C’était forcé qu’on les remarque. Et voilà que je me suis mise en colère et que j’ai peut-être tout gâché. Oh ! en arriver là au moment où il était sur le point de me faire une déclaration. »

« Évidemment, ça ne me regarde pas », déclara Rhett d’un ton glacial tout en s’appuyant nonchalamment au dossier de son siège.

Ainsi il voulait faire la forte tête. Eh bien ! si elle tenait à transformer cette débâcle en victoire, elle n’avait plus qu’à filer doux comme un agneau, quoi qu’il lui en coûtât. Peut-être qu’en lui parlant gentiment…

« Vous n’êtes vraiment pas chic avec mes pauvres mains. Tout cela parce que je suis montée à cheval la semaine dernière sans mes gants et…

— Monter à cheval, elle est bien bonne ! Vous avez peiné comme une négresse avec ces mains-là. Qu’avez-vous à répondre ? Pourquoi êtes-vous venue me raconter des mensonges sur Tara ?

— Voyons, Rhett…

— Si nous en venions droit au fait. Quel est le véritable motif de votre visite ? À voir la façon dont vous minaudiez, j’ai failli croire que vous aviez un peu de tendresse pour moi et que vous regrettiez ce qui m’arrivait.

— Oh ! mais si, je suis navrée ! Je…

— Non, ce n’est pas vrai. On peut bien me pendre plus haut qu’Aman, pour ce que ça vous fera ! Ça se voit sur votre visage aussi nettement que sur vos mains les marques d’un travail pénible. Vous vouliez obtenir quelque chose de moi, quelque chose dont vous aviez si grand besoin que vous avez monté toute cette petite comédie. Pourquoi n’êtes-vous pas venue me dire tout de go de quoi il s’agissait ? Vous auriez eu beaucoup plus de chances d’obtenir gain de cause, car s’il y a une qualité que j’apprécie chez les femmes c’est bien la franchise. Mais non, il a fallu que vous veniez ici agiter vos boucles d’oreilles, minauder et vous tortiller comme une prostituée qui veut séduire un homme. »

Il prononça ces derniers mots sans même élever la voix et pourtant ils sifflèrent aux oreilles de Scarlett comme un coup de fouet. C’était la ruine de toutes ses espérances. Après cela, il ne pouvait plus la demander en mariage. S’il avait laissé éclater sa colère ou s’il l’avait accablée de reproches, elle aurait encore su comment le prendre. Mais le calme redoutable de sa voix l’effrayait et lui ôtait tous ses moyens. Il avait beau être prisonnier, Scarlett se rendait compte que c’était dangereux de se payer la tête d’un homme de la trempe de Rhett Butler.

« Allons, c’est à ma mémoire qu’il faut que je m’en prenne. J’aurais dû me rappeler que vous me ressemblez et que vous n’entreprenez jamais rien sans y avoir été poussée par un motif quelconque. Voyons un peu, quelle idée pouviez-vous bien avoir derrière la tête, madame Hamilton. Est-il possible que vous vous soyez méprise au point de vous imaginer que j’allais vous demander en mariage ? »

Scarlett rougit jusqu’aux oreilles et ne répondit pas.

« Je vous ai pourtant répété assez souvent que je n’étais pas fait pour le mariage. Vous ne pouvez pas l’avoir oublié. »

Devant son mutisme, il dit avec une violence soudaine : « Vous n’aviez pas oublié, hein ? Répondez-moi.

— Non, je n’avais pas oublié, bredouilla Scarlett, désemparée.

— Quelle joueuse vous faites, Scarlett ! Vous aimez tenter la chance. Vous vous étiez livrée au petit calcul suivant : “Il est prisonnier, il ne voit pas de femmes. Ça a dû le mettre dans un tel état que lorsque je viendrai lui rendre visite il se jettera sur moi comme une truite sur un ver.”

« Et c’est bien ce que vous avez fait, pensa Scarlett avec colère. Sans mes mains… »

« Maintenant nous connaissons à peu près toute la vérité, mais il nous manque encore le motif auquel vous avez obéi. Voyons si vous pouvez me dire exactement pour quelle raison vous vouliez m’enfermer dans les liens du mariage ? »

Il y avait quelque chose de doucereux et de taquin dans la voix de Rhett, et Scarlett reprit courage. En somme, tout n’était pas forcément perdu. Bien entendu, il n’était plus question de mariage, mais avec de l’adresse et en faisant appel à leurs souvenirs communs, elle réussirait peut-être à se faire prêter de l’argent.

« Oh ! Rhett, fit-elle en prenant une expression enfantine, vous pourriez me rendre un si grand service… si vous vouliez seulement être gentil.

— Rien ne me plaît autant que d’être… gentil.

— Rhett, au nom de notre vieille amitié, je voudrais que vous m’accordiez une grande faveur.

— Allons, la dame aux mains calleuses en arrive enfin au but de sa mission. Je craignais bien aussi que ce rôle de bonne âme qui “rend visite aux malades et aux prisonniers” ne fût point dans vos cordes. Que désirez-vous ? de l’argent ? »

La rudesse de la question détruisit en Scarlett tout espoir d’en arriver à ses fins à l’aide de subterfuges ou d’arguments d’ordre sentimental.

« Ne soyez pas méchant, Rhett, dit-elle d’un ton câlin. J’ai besoin d’argent. Je voudrais que vous me prêtiez trois cents dollars.

— Enfin, la vérité. On dit des mots tendres et on pense à son argent. Comme c’est bien femme ! Vous avez très grand besoin de cet argent ?

— Oh ! oui… c’est-à-dire pas tellement, mais ça m’est nécessaire.

— Trois cents dollars ! C’est une grosse somme. Pour quoi est-ce faire ?

— Pour payer les impôts de Tara.

— Alors vous voulez m’emprunter de l’argent. Eh bien ! puisque vous êtes si femme d’affaires, moi aussi je vais me montrer homme d’affaires. Qu’avez-vous à m’offrir en nantissement ?

— En quoi ?

— En nantissement. Qu’avez-vous à me donner en garantie ? Ça tombe sous le sens, je ne tiens pas à perdre tout cet argent.

— Mes boucles d’oreilles.

— Ça ne m’intéresse pas.

— Je vous consentirai une hypothèque sur Tara.

— Que ferais-je d’une ferme ?

— Eh bien ! vous pourriez… vous pourriez… c’est une bonne plantation. Vous n’y perdriez pas. D’ailleurs je vous rembourserais sur la prochaine récolte.

— Je n’en suis pas sûr. » Il se renversa en arrière et enfonça les mains dans ses poches. « Les cours du coton dégringolent. Les temps sont durs et l’argent est cher.

— Oh ! Rhett, vous me taquinez ! Vous savez bien que vous avez des millions ! »

Les yeux de Rhett pétillèrent de malice.

« Ainsi donc, tout marche à souhait pour vous et vous n’avez pas tellement besoin de cet argent. Eh bien ! ça me fait plaisir. J’aime à savoir que tout va très bien chez mes vieux amis.

— Oh ! Rhett, pour l’amour de Dieu… commença Scarlett dont le courage et l’assurance faiblissaient.

— Plus bas, s’il vous plaît. Vous ne voulez pas que les Yankees vous entendent, je suppose. On ne vous a jamais dit que vous aviez des yeux de chat… de chat dans l’obscurité ?

— Rhett, je vous en prie ! Je vous dirai tout. J’ai le plus grand besoin de cet argent. Je… j’ai menti en vous racontant que tout marchait bien. Tout va aussi mal que possible. Père n’est… n’est plus… lui-même. Depuis la mort de ma mère il est devenu bizarre et il ne m’est d’aucune aide. C’est un vrai enfant. Nous n’avons personne pour s’occuper du coton et nous sommes tant de bouches à nourrir, treize à table tous les jours. Et les impôts… ils sont si élevés. Rhett, je vais tout vous dire. Pendant plus d’un an nous avons été sur le point de mourir de faim. Oh ! vous ne savez pas, vous ne pouvez pas savoir ! Nous n’avons jamais mangé à notre faim et c’est terrible de se réveiller ou d’aller se coucher le ventre creux. Nous n’avons rien de chaud à nous mettre sur le dos. Les enfants ont toujours froid, ils sont toujours malades et…

— Où avez-vous trouvé cette belle robe ?

— On l’a taillée dans l’un des rideaux du salon de ma mère, répondit Scarlett trop désemparée pour avoir honte de cet aveu. J’arrivais encore à résister à la faim et au froid, mais maintenant… maintenant les Carpetbaggers ont augmenté nos impôts. Il faut payer, on ne peut pas faire autrement et je ne possède qu’une pièce de cinq dollars en or. Il me faut cet argent ! Vous ne comprenez donc pas ? Si je ne paie pas mes impôts, je… nous perdrons Tara. Ce n’est pas possible. Non, je ne veux pas laisser vendre Tara.

— Pourquoi ne m’avez-vous pas dit cela sur-le-champ au lieu de vous attaquer à mon pauvre cœur sensible, toujours si faible quand il s’agit de jolies femmes ? Non, Scarlett, ne pleurez pas. Vous avez eu recours à toutes les ruses sauf à celle-ci. Ça ne prendrait pas. Je suis trop profondément ulcéré de constater que c’était à mon argent et non à ma charmante personne que vous en aviez. »

Scarlett se rappela qu’il disait souvent la vérité lorsqu’il avait le plus l’air de se moquer de lui-même ou des autres. L’avait-elle réellement blessé dans ses sentiments ? Avait-il vraiment de l’inclination pour elle ? Avait-il été sur le point de la demander en mariage ? ou bien avait-il eu simplement l’intention de lui renouveler l’ignoble proposition qu’il lui avait déjà faite deux fois auparavant ? S’il tenait à elle, elle trouverait peut-être le moyen de l’amener à composition. Cependant Rhett la fouillait du regard et il se mit à rire doucement.

« Ce genre de nantissement ne me plaît pas. Je ne suis pas un planteur. Qu’avez-vous d’autre à m’offrir ? » Allons, le moment était venu ! Scarlett poussa un profond soupir et regarda Rhett bien en face.

« Moi-même.

— Oui ? »

Elle serra les dents, ses yeux prirent une teinte d’émeraude.

« Vous vous souvenez de cette nuit sous la véranda de tante Pitty ? C’était pendant le siège. Vous m’avez dit… vous m’aviez dit que vous me désiriez… »

Rhett se renversa nonchalamment en arrière et, impassible, étudia le visage tendu de Scarlett. Au fond de ses yeux une petite flamme jaillit, mais il se tut.

« Vous m’avez dit que… que… vous n’aviez jamais désiré une femme autant que moi. Si vous me désirez encore, vous pouvez me prendre, Rhett, je ferai tout ce que vous voudrez, mais pour l’amour de Dieu, signez-moi une traite. Je tiendrai parole. Je vous le jure. Je ne me dédierai pas. Je vous signerai un écrit si vous y tenez. »

Il la regardait d’une manière étrange. Son visage demeurait impénétrable et Scarlett, tout en poursuivant, se demanda si elle l’amusait ou si elle l’écœurait. Si seulement il voulait dire quelque chose, n’importe quoi ! Elle avait les joues en feu.

« Il me faut cet argent le plus tôt possible, Rhett. Ils vont nous mettre dehors et ce maudit régisseur deviendra propriétaire de…

— Une minute ! Qu’est-ce qui vous fait croire que je vous désire encore ? Qu’est-ce qui vous fait croire que vous valez trois cents dollars ? La plupart des femmes n’ont pas de telles exigences. »

Scarlett rougit jusqu’à la racine des cheveux. Son humiliation était complète.

« Pourquoi faites-vous cela ? Pourquoi ne renoncez-vous pas à votre ferme et n’allez-vous pas vivre chez Mlle Pittypat ? Vous êtes copropriétaire de la maison.

— Au nom du Ciel, s’exclama Scarlett. Êtes-vous fou ? Je ne peux pas renoncer à Tara. C’est mon foyer. Je ne m’en dessaisirai pas tant qu’il me restera un souffle de vie.

— Les Irlandais, fit Rhett en retirant les mains de ses poches, c’est la pire des races. Ils attachent tant d’importance à des choses qui n’en valent pas la peine. La terre, par exemple. N’importe quel lopin de terre en vaut un autre. Maintenant, mettons les choses au point, Scarlett. Vous êtes venue me proposer une affaire, bon. Je vous donnerai trois cents dollars et vous deviendrez ma maîtresse.

— Oui. »

Maintenant que le mot répugnant était prononcé, elle se sentait un peu plus à l’aise et l’espoir lui revenait. Il avait dit : « Je vous donnerai. » Il y avait dans ses yeux une lueur diabolique comme si quelque chose l’amusait beaucoup.

« Et dire que lorsque j’ai eu l’imprudence de vous faire la même proposition, vous m’avez mis à la porte. Vous m’avez également traité d’un tas de noms malsonnants sans oublier de déclarer en passant que vous ne teniez pas à “avoir une nichée de marmots”. Non, ma chère, je ne m’arrête pas à ces considérations. Ce qui m’intéresse, ce sont les bizarreries de votre esprit. Vous ne vouliez pas être ma maîtresse, mais vous allez m’appartenir par nécessité ! Cela me renforce dans mon opinion que la vertu est uniquement une question de gros sous.

— Oh ! Rhett, comme vous y allez ! Si vous voulez m’insulter, ne vous gênez pas, mais donnez-moi l’argent. » Elle releva la tête : « Allez-vous me le donner ? » fit-elle.

Il la regarda et d’une voix à la fois douce et brutale :

« Non, je ne vous le donnerai pas. »

Pendant un instant, Scarlett eut du mal à comprendre sa réponse.

« Même si j’en avais envie, je ne pourrais pas vous le donner. Je n’ai pas un sou sur moi. Pas un sou à Atlanta. J’ai de l’argent, c’est exact, mais pas ici. Et je ne suis pas plus disposé à dire où il se trouve qu’à dire combien j’en ai. Mais si j’essayais de tirer une traite sur les sommes déposées à mon nom, les Yankees me sauteraient dessus comme un canard sur un hanneton et ni vous ni moi n’en verrions la couleur. Que pensez-vous de cela ? »

Scarlett blêmit, verdit, des taches de rousseur apparurent sur son nez et sa bouche se tordit comme celle de Gérald quand il avait un accès de colère meurtrière. Elle se dressa d’un bond en poussant un cri inarticulé qui interrompit brusquement le murmure des voix dans la pièce voisine. Vif comme une panthère, Rhett bondit sur Scarlett, lui plaqua sa lourde main contre la bouche et lui passa les bras autour de la taille. Elle se débattit comme une folle, essaya de le mordre, de lui donner des coups de pied dans les jambes, de hurler de rage, de désespoir, de haine et d’amour-propre blessé à mort. Elle se plia en deux, chercha par tous les moyens à échapper au bras de fer qui la serrait. Son cœur était près d’éclater, son corset lui coupait la respiration. Rhett la tenait si fort, si brutalement qu’il lui faisait mal et sa main qui la bâillonnait lui labourait cruellement le menton. Il avait pâli sous son hâle. Le regard dur et inquiet, il arracha Scarlett du sol, la ramena contre sa poitrine, se rassit et maintint sur ses genoux la jeune femme qui continuait à se démener.

« Chérie, pour l’amour de Dieu ! Arrêtez ! Taisez-vous ! Ne criez pas. Ils vont venir s’ils vous entendent. Calmez-vous. Vous voulez donc que les Yankees vous voient dans cet état-là ? »

Scarlett se souciait fort peu qu’on la vît. Elle n’éprouvait plus qu’un féroce désir de tuer Rhett, mais la tête se mettait à lui tourner. Elle ne pouvait plus respirer. La main de Rhett l’étouffait. Son corset la serrait de plus en plus fort. Elle avait beau se démener, le bras de Rhett la paralysait. Alors, tout devint trouble, s’effaça dans un brouillard de plus en plus dense… elle ne vit plus rien.

Lorsqu’elle revint à elle, elle se sentit brisée, morte de fatigue. Elle était nu-tête et Rhett, les yeux anxieusement fixés sur elle, lui tapotait le poignet. Le jeune et aimable capitaine s’efforçait de lui faire avaler un peu de cognac dont il lui avait versé quelques gouttes dans le cou. Les autres officiers tournaient autour d’elle, gesticulant et chuchotant.

« Je… je crois que j’ai dû m’évanouir, dit-elle, et le son de sa voix lui parut venir de si loin qu’elle en eut peur.

— Bois ceci », fit Rhett en prenant le verre et en l’introduisant entre ses lèvres.

Maintenant elle se rappelait confusément ce qui était arrivé et son œil s’alluma lorsqu’elle reconnut Rhett, mais elle était trop faible pour se remettre en colère.

« Je t’en prie, bois pour moi. »

Elle avala quelques gouttes, s’étrangla, se mit à tousser, mais Rhett ne se tint pas pour battu et revint à la charge. Elle but une longue gorgée et le liquide brûlant lui incendia brusquement le gosier.

« Je pense qu’elle va aller mieux, messieurs, dit Rhett. Je vous remercie beaucoup. Quand elle a su qu’on allait m’exécuter, c’en a été trop pour elle. »

Les officiers parurent fort gênés et finirent par se retirer. Le jeune capitaine s’arrêta sur le seuil de la pièce.

« S’il y a encore quelque chose que je puisse faire…

— Non, merci. »

Il referma la porte derrière lui.

« Buvez encore, dit Rhett.

— Non.

— Buvez. »

Scarlett avala une autre gorgée qui la réchauffa et redonna lentement des forces à ses jambes tremblantes. Elle repoussa le verre et essaya de se relever, mais Rhett la fit se rasseoir de force.

« Ne me touchez pas. Je m’en vais.

— Pas encore. Attendez un instant. Vous risqueriez de vous évanouir de nouveau.

— J’aime encore mieux tomber au milieu de la route que de rester ici avec vous.

— Je n’ai tout de même pas envie que vous vous évanouissiez au milieu de la route.

— Laissez-moi partir. Je vous hais. »

Rhett eut un léger sourire.

« Ça, ça vous ressemble davantage. Vous devez vous sentir mieux. »

Scarlett resta tranquille quelques minutes. Elle essaya de réveiller sa colère et de rallier ses forces. Mais elle était trop lasse, trop épuisée pour haïr ou pour se soucier de quoi que ce fût. La défaite l’écrasait comme une chape de plomb. Elle avait joué tout ce qu’elle avait à jouer et elle avait tout perdu. Il ne lui restait plus d’orgueil. C’était la ruine irrémédiable de son dernier espoir. C’était la fin de Tara, la fin pour eux tous. Pendant un long moment elle demeura ainsi appuyée au dossier de sa chaise. Elle avait fermé les yeux. Tout près d’elle elle entendait la respiration saccadée de Rhett. Petit à petit, le cognac lui communiquait une vigueur et une chaleur factices. Lorsqu’elle rouvrit enfin les yeux et vit Rhett en face d’elle, elle sentit de nouveau monter sa colère. Son front se plissa, elle fronça les sourcils et Rhett se mit à sourire comme il le faisait jadis.

« Allons, à en juger par votre mine renfrognée, ça doit aller mieux, maintenant.

— Naturellement, ça va très bien. Rhett Butler, vous êtes odieux, vous êtes un être ignoble, la dernière des crapules. Dès que j’ai ouvert la bouche, vous saviez très bien ce que j’allais dire et vous saviez que vous me refuseriez l’argent. Et vous m’avez laissée parler. Vous auriez pu m’épargner…

— C’est cela, vous arrêter en route et perdre une si belle occasion d’entendre tout ce que vous m’avez raconté ? Jamais de la vie ! J’ai si peu de distractions ici. Je ne me rappelle pas avoir jamais vécu une scène plus divertissante ! »

Il éclata de son rire ironique. Scarlett se leva d’un bond et s’empara de sa capote. Rhett la saisit brusquement par les épaules.

« Ce n’est pas encore fini. Vous sentez-vous assez bien pour me parler raisonnablement ?

— Laissez-moi partir.

— Bon, je vois, ça ira. Alors, répondez-moi. Étais-je la seule corde à votre arc ? »

Rhett ne lâchait pas Scarlett des yeux et guettait son moindre changement d’expression.

« Que voulez-vous dire ?

— Étais-je le seul homme auquel vous vous proposiez de jouer cette petite comédie ?

— Ça vous regarde ?

— Plus que vous ne le pensez. Avez-vous d’autres hommes en réserve ? Dites-le-moi.

— Non.

— Ça me dépasse. Non, non, je ne peux pas croire que vous n’en ayez pas cinq ou six sur lesquels vous avez jeté votre dévolu. J’en suis tellement persuadé que je m’en vais vous donner un petit conseil.

— Je n’ai pas besoin de vos conseils.

— Ça m’est égal, je passerai outre. J’ai l’impression qu’en ce moment je ne peux guère vous donner autre chose que des conseils. Écoutez celui-ci, il est bon. Quand vous essayez d’obtenir quelque chose d’un homme, ne découvrez pas vos batteries d’un seul coup comme vous l’avez fait avec moi. Essayez d’être plus subtile, plus enjôleuse. Ça donne de meilleurs résultats. Autrefois, vous étiez parfaite sur ce point. Mais aujourd’hui, lorsque vous m’avez offert votre… hum… votre nantissement, vous paraissiez dure comme la pierre. J’ai déjà vu des yeux comme les vôtres, à vingt pas de moi, dans un duel au pistolet, et ce n’est pas un spectacle bien réjouissant. Ça n’éveille aucune ardeur dans la poitrine d’un mâle. Ce n’est pas une façon de s’y prendre avec les hommes, ma chère, jadis vous sembliez promettre davantage.

— Je n’ai pas de conseils à recevoir de vous sur la façon de me conduire », fit Scarlett en remettant sa capote d’un geste las.

Elle se demandait comment Rhett pouvait avoir le cœur de plaisanter. Ça ne lui faisait donc rien de la voir réduite à une telle extrémité ? Ça lui était donc égal d’être pendu ? Elle ne remarqua même pas qu’il avait enfoncé les mains dans ses poches et qu’il serrait les poings comme pour dompter le sort contraire.

« Du courage, dit-il à Scarlett en nouant les brides de sa capote. Vous pourrez assister à mon supplice. Ça vous fera beaucoup de bien. Vous réglerez du même coup toutes vos vieilles dettes envers moi… même celle-ci. Et je ne vous oublierai pas dans mon testament.

— Merci, mais vous risquez d’être pendu quand il sera trop tard pour payer mes impôts », répondit Scarlett avec une ironie égale à celle de Rhett, et c’était bien le fond de sa pensée qu’elle exprimait ainsi.