6

C’étaient des moments de bonheur. Ariah savait.

Au printemps, lorsqu’il faisait bon, elle sortait se promener avec Royall. À Luna Park, Prospect Park, et au bord des gorges brumeuses du Niagara qui semblait jeter l’enfant dans un ravissement sans fin. Déjà, à l’âge de dix mois, il savait « marcher » si Ariah le tenait fermement par la main. Ils faisaient fièrement le tour du pavillon victorien qui occupait le centre de Luna Park ; le petit garçon potelé aux cheveux filasse titubait, trébuchait et hurlait d’excitation à côté de sa mère qui ne cessait de lui murmurer des mots d’encouragement. « Oui, mon chéri. Comme ça. Très bien. Oups ! Allez, on se relève, Royall. Royall est un grand garçon, il sait bien marcher. » Le regard de Royall s’éclairait – sans exagération – lorsqu’un observateur le récompensait de ses efforts par des applaudissements et des éloges.

Très vite les autres mères et les bonnes d’enfants de Luna Park connurent Royall par son nom.

Royall, le beau petit Burnaby béni des dieux.

Ariah avait le cœur gonflé d’amour pour son enfant. Maintenant qu’il était sorti de sa petite enfance pénible, maintenant qu’il acquérait une personnalité distincte, elle éprouvait pour lui une tendresse qu’elle n’avait jamais vraiment ressentie pour son frère aîné. Alors que Chandler avait paru se rétracter face au monde, comme accablé par sa profusion, Royall regardait, clignait les yeux, riait et en redemandait.

Il impressionnait Ariah. Cet enfant semblait savoir que le monde lui était bienveillant. L’adorait. Lui offrirait toujours davantage.

Lorsqu’elle quittait la maison avec Royall pour leurs expéditions matinales, Ariah entendait parfois Chandler demander : « Maman ? Je peux venir, moi aussi ? » Elle avait oublié que c’était l’été et que Chandler n’avait plus école. Ou elle avait oublié qu’il était à la maison. Elle éprouvait un pincement de culpabilité et disait aussitôt : « Bien sûr, mon chéri. Nous ne pensions pas que cela t’intéresserait. Tu pourras pousser la voiture. » Aussi longtemps que Royall en avait la force, il marchait à côté d’Ariah ; lorsqu’il se fatiguait, Ariah l’attachait dans la poussette et poussait. À moins d’avoir une leçon de piano prévue, elle n’était pas pressée de rentrer au 7, Luna Park. Si le téléphone ou la sonnette retentissaient en son absence, quelle importance ?

Dirk se plaignait d’avoir parfois du mal à joindre Ariah. Elle avait décidé qu’elle ne voulait personne pour l’« aider ». Pas même une nurse pour Royall, non merci. Ariah était la seule nurse dont Royall ait besoin.

Un jour d’automne froid et éclatant, Ariah se sentit attirée vers Prospect Park. Elle se promenait avec ce petit chien fou de Royall qui se précipitait en avant et devait être retenu ; devait être porté par les bras musclés d’Ariah quand ils traversaient des rues et dans les montées, pendant que Chandler poussait la poussette avec compétence. C’étaient maman et ses deux fils. Manquaient papa et la petite fille.

Juliet, voilà le nom que lui donnerait Ariah. Y a-t-il jamais eu plus beau prénom que Juliet ?

Au lycée, Ariah était convaincue que sa vie avait commencé à aller de travers quand ses parents l’avaient affublée de ce prénom ridicule. Celui d’une tante célibataire de son père, morte depuis longtemps.

Ils n’avaient pas marché une demi-heure qu’Ariah sentit des ampoules se former à ses deux talons. Zut ! elle n’avait pas mis les chaussures qu’il fallait. Dans l’herbe, elle pouvait marcher pieds nus ; sur les trottoirs, elle se méfiait des mégots de cigarette encore fumants, des cailloux et des bouts de verre. Et il y avait de telles nuées de touristes près des garde-fous donnant sur le fleuve qu’elle risquait de se faire marcher sur les pieds. Ariah s’assit donc à une table de pique-nique avec Royall, tandis que Chandler courait leur acheter des root beers. C’était leur habitude pendant ces expéditions. Ils étaient près des rapides du cours supérieur du Niagara, à côté du pont pour piétons de Goat Island. Des nouveaux mariés se faisaient photographier sur le pont. Une famille d’individus massifs comme des moissonneuses- batteuses passa en riant et en parlant avec l’accent du Midwest. Ariah eut envie de leur dire de ne pas sous-estimer les Chutes simplement parce qu’il était midi et qu’il y avait du bruit. Sous ce bruit, on entendait quelque chose de plus subtil, comme une vibration. Si l’on regardait bien, on voyait des arcs-en-ciel fantômes clignoter et chatoyer au-dessus du fleuve. Ariah frissonna, et sourit. Le grondement des American Falls, tout proche, semblait pénétrer son âme.

C’est ton moment de bonheur. Trente-neuf ans. Tu n’auras pas toujours ces jeunes enfants ravissants.

(Dieu avait-il parlé à Ariah, cette fois ? Elle le pensait. Mais elle ne pouvait en être sûre.)

Quoi qu’il en soit, c’était vrai. Les enfants grandissaient vite. Presque tous les gens qu’Ariah rencontrait en société, les amis et associés de Dirk, avaient des enfants beaucoup plus vieux que ceux des Burnaby. Certains de ces enfants étaient presque adultes.

Ariah imagina la désapprobation de ces gens, la répugnance qu’ils éprouveraient pour la femme excentrique de Dirk Burnaby s’ils savaient à quel point elle désirait un autre bébé. Oh ! encore un autre !

Chandler revint avec leurs root beers fraîches. Mais Royall était trop surexcité pour boire plus de quelques gorgées. Débordant d’énergie, il se mit à courir en rond dans l’herbe, cria et trébucha et tomba et se releva, puis décrivit un autre cercle, infatigable. Ses fins cheveux filasse brillaient dans la lumière pâle du soleil. Ses petits bras potelés, parfaits, s’agitaient, l’aidant à conserver son équilibre précaire. Cet enfant était pur instinct, fascinant à regarder. La flamme de la vie semblait toujours à la surface de son être ; sa peau était colorée par la course soutenue et ferme de son sang. Personne ne pouvait le prendre pour une petite fille, en dépit de ses cheveux bouclés. Ariah se rappela le bain du soir qu’elle lui avait donné, la veille ; il l’avait taquinée en faisant gicler de l’eau sur le sol, et sur elle. Tandis qu’elle le lavait, elle s’était surprise – ce n’était pas la première fois – à contempler rêveusement son petit pénis qui flottait dans l’eau savonneuse. Si net, parfaitement formé. Et les minuscules sacs de chair qui lui servaient de coussins. (Étaient-ce ces sacs qui, chez l’adulte mâle, contenaient la semence… le sperme ? Ariah n’en savait pas assez sur l’anatomie masculine. Elle aurait pu poser la question à Dirk, à une époque.) Étrange que Royall eût le pouvoir de troubler sa mère, alors que Chandler ne l’avait pas eu. C’est que le sexe de Chandler n’était qu’un appendice de son corps maigre et gauche, un corps qui rappelait à Ariah le sien propre, tandis que, chez Royall, le sexe était le centre de son petit corps compact. Le sexe était sa raison d’être, ou le serait un jour. La virilité de son père, ressuscitée. Mais étrange et dérangeante chez un garçon aussi petit.

« Royall ! Tu vas attraper la fièvre. »

Royall se lassa enfin de courir en rond et d’aboyer comme un chiot fou mais, toujours agité, il repoussa Ariah lorsqu’elle voulut le prendre dans ses bras pour qu’il fasse un somme à côté d’elle sur le banc. Non, non ! Royall n’était pas prêt à dormir. Chandler proposa donc de le promener en poussette dans le parc, et Ariah l’attacha dans la voiture et ajusta sa petite casquette de base-ball à visière, car, comme son papa, Royall attrapait facilement des coups de soleil ; Ariah recommanda à Chandler de ne pas pousser son frère trop vite, de ne pas aller trop loin et, surtout, de ne prendre aucune descente. « Et ne te perds pas, cria- t-elle encore. Tu m’entends ? » Mais le grondement des Chutes, vers lesquelles se dirigeait Chandler, était si fort qu’il était déjà hors de portée de voix.

En quelques secondes, Chandler et la poussette avaient disparu au milieu d’un troupeau de touristes bardés d’appareils photo qui se rendaient au ponton du Maid of the Mist. Non loin d’Ariah, un drapeau américain haut perché claquait dans le vent au bord des gorges.

Grâce à Dieu, ces bénédictions.

Ariah soupira, bâilla, s’étira au soleil comme un gros chat paresseux et s’allongea sur le banc. Remua ses orteils blancs et nus. Oh ! c’était divin. Elle méritait ce moment. Si fatiguée ! De comètes dansaient derrière ses paupières closes.

L’allée cimentée longeant le fleuve était humide d’embruns. Mais il y avait des garde-fous, bien sûr. Mêlés à des familles de touristes, Chandler et la poussette sembleraient des leurs. Personne ne verrait en lui un enfant solitaire de neuf ans promenant son frère cadet dans une poussette, sans maman à proximité. Les réglementations du parc ne s’appliquaient pas à un enfant mûr et rusé comme l’était Chandler.

Ariah se sentit glisser dans un sommeil léger. Elle descendait le fleuve en canoë, dans un courant modérément rapide. De temps à autre, elle entendait des gens passer, des voix et des rires. Une langue qu’elle ne put identifier, du français ? (Ces inconnus la regardaient-ils ? Faisaient-ils sur elle des remarques grossières ? Une femme rousse au visage tavelé et aux traits austères qui semblait mince et jeune jusqu’à ce que, en s’approchant, on voie ses cheveux striés de gris et les fines rides blanches de son visage. Les tendons sur son cou blanc. Et pourtant cette femme souriait, non ?) Pensant à ce jour, combien d’années auparavant, plus de neuf, où, jeune mariée naïve et confiante, elle avait été amenée à Niagara Falls. Ne sachant rien de l’amour, de la sexualité. Ne sachant rien des hommes.

Depuis ce jour, depuis la mort de son premier mari qu’elle ne pouvait plus – et ne souhaitait pas – se rappeler avec précision, Ariah avait reçu plusieurs lettres de sa mère, Mme Edna Erskine. Ariah n’avait pas répondu à ces lettres. À sa grande honte, elle ne les avait même pas ouvertes. Elle n’avait pas osé. La dernière, reçue lorsqu’elle était enceinte de Royall, l’avait tellement effrayée – comme une missive envoyée par les morts – qu’elle avait écrit sur l’enveloppe en majuscules N’HABITE PAS À L’ADRESSE INDIQUÉE et l’avait jetée dans une boîte aux lettres.

Elle n’avait rien dit à Dirk bien entendu. Comme toutes les épouses, elle vivait sa vie secrète, silencieuse, inconnue aussi bien de son mari que de ses enfants.

Son mari ! Dirk Burnaby était son mari, pas l’autre.

Il y avait pourtant des moments comme celui-ci, quand elle glissait irrésistiblement dans le sommeil, où Ariah ne semblait pas très bien savoir qui était le mari.

Non, son mari était assurément Dirk Burnaby. Un homme beaucoup plus réel qu’Ariah elle-même, si l’on mesurait sa taille, son embonpoint, sa position dans le monde.

Ariah n’avait pas parlé à Dirk de la terrible visite de Claudine. Pas même pour expliquer son agitation. L’état de stupeur alcoolique dans lequel il l’avait trouvée. Elle n’avait pas non plus parlé des accusations de Claudine. À savoir que Dirk lui devait de l’argent, qu’il jouait, qu’il avait eu des maîtresses pour qui il avait fallu prendre des « arrangements médicaux »… Une fille. Donne-moi une fille avant qu’il soit trop tard.

Dans les bras forts et charnus de Dirk, la nuit précédente. Elle avait veillé pour l’attendre. Oh ! il était rentré tard : après minuit. Et il avait bu. Ariah savait, et Ariah pardonnait. Quelque chose préoccupait son mari, et Ariah trouvait réconfortant de savoir qu’il ne l’y mêlerait pas. Car Dirk Burnaby aussi devait avoir sa vie privée. Sa vie secrète. Et son travail d’avocat, qui avait fort peu d’intérêt pour Ariah, constituait une grande partie de cette vie-là. Elle n’était pas la femme qu’il aurait dû épouser, manifestement. Elle avait vu son expression lorsque, en compagnie de ses amis et de leurs épouses, elle, Mme Burnaby, faisait une de ses remarques énigmatiques ou, plus déroutant encore, ne parlait pas du tout. Ariah était capable de passer tout un dîner à regarder dans le vide en tambourinant sur la table (en fait, elle faisait des exercices de piano, sur un clavier invisible) pendant que les conversations tournoyaient autour d’elle. Au Country Club de l’Isle Grand, la dernière fois qu’elle y était allée, Ariah avait laissé les autres à leur soirée et trouvé un piano dans une salle de bal sur lequel elle avait joué doucement, rêveusement, les morceaux qu’elle avait aimés dans sa jeunesse et pour lesquels on l’avait complimentée avec outrance, le premier mouvement de la Sonate au clair de lune, un menuet du jeune Mozart, des mazurkas sublimes de Chopin, et Ariah se perdit si bien qu’elle oublia où elle était ; et fut rudement réveillée par les applaudissements moqueurs des amis de Dirk, Wenn et Howell, qui se tenaient debout derrière elle, un sourire railleur aux lèvres. Par chance, Dirk entra lui aussi dans la pièce à ce moment-là. Blessée, humiliée, Ariah s’était tout bonnement enfuie. Mais je me vengerai. Un jour.

La veille, elle était d’humeur pleureuse. Pas malheureuse, juste pleureuse. Elle savait par les autres mères du parc (beaucoup plus jeunes qu’Ariah pour la plupart) que tout le monde avait envie de pleurer de temps en temps, lorsqu’on est une femme, c’est permis. En fait, Ariah était heureuse. Dans les bras de Dirk, elle pleura de pur bonheur. Pourquoi ? Leurs fils étaient de si beaux enfants. Personne ne mérite d’aussi beaux enfants. « Mais, chéri, murmura Ariah, en pressant son visage contre le col du pyjama en flanelle de Dirk, il nous faut aussi une fille. Une petite fille. Oh ! nous ne pouvons pas renoncer. Il nous faut une fille pour que notre famille soit complète. » Raide, tâchant de ne pas trembler, Ariah attendit la réponse de Dirk. Car ils avaient souvent discuté de cette question. En prélude à des étreintes très différentes de celles des premières années de leur mariage, où elles avaient été spontanées, ludiques, ardentes. À présent, lorsqu’ils faisaient l’amour, Ariah s’accrochait à Dirk avec un air de détermination, de désespoir. Son visage tendu laissait voir l’ossature sous la peau. Sa bouche était anxieuse, ses yeux se révulsaient. Dans ces moments-là, Dirk semblait presque avoir peur d’elle. Un homme effrayé par une femme qui se trouvait être son épouse. Il avait soupiré et caressé le front brûlant d’Ariah comme pour l’apaiser. Si profondément amoureux d’Ariah qu’il parvenait à peine à la voir ; comme on est incapable de voir son propre reflet dans un miroir, tenu trop près. « J’aimerais beaucoup avoir une fille, moi aussi. Mais crois-tu qu’il soit sage d’essayer ? À notre âge ? Et si nous avions un autre fils ? » Ariah se figea. Ariah rit. « À mon âge, tu veux dire. » Le ton léger, pour dissimuler qu’elle était blessée.

Au matin, elle dirait, en l’embrassant avec ardeur : « Un autre fils, pourquoi pas ? On formera une équipe de basket. »

Ariah souriait, dérivant au fil de l’eau sous le soleil. Pensant à cela.

Car ils avaient fait l’amour, en fin de compte. Elle, la femme, résolue à concevoir, avait eu gain de cause une fois encore.

Une fille ! Prends mes fils et donne-moi une fille à leur place, je ne Te demanderai jamais plus rien, mon Dieu, je le jure.

 

« Madame ? Réveillez-vous, madame. »

Une voix âpre, insistante. Qui était-ce ?

Ariah était réveillée mais, bizarrement, elle avait les yeux fermés. Comme son cœur peinait tandis qu’elle s’efforçait de gravir les parois de granit verticales, lisses et luisantes, des gorges! Quelqu’un lui parlait, d’une voix forte.

« Madame ? S’il vous plaît. »

Ariah sentit qu’on lui touchait l’épaule. Comment ! Un inconnu osait la toucher dans cet endroit public où elle était allongée sur un banc, sans défense. Ses yeux s’ouvrirent tout grands.

Elle bégaya, affolée : « Que… qu’y a-t-il ? Qui êtes-vous ? »

C’est arrivé. Et maintenant.

Un inconnu lui parlait avec sérieux, tandis qu’elle parvenait à se redresser, à se lever. (Mais pourquoi était-elle pieds nus ? Où étaient ses chaussures ?) Hâtivement elle rajusta sa tenue et passa les deux mains dans ses cheveux en broussaille. Un homme assez jeune en uniforme vert foncé, un gardien de parc, lui parlait avec sévérité, ce qu’elle trouvait très impoli, il était plus jeune qu’elle. « Madame ? Ce sont vos enfants ? Ils étaient sur Goat Island, sans surveillance. »

Chandler se glissa près de sa mère, l’épaule basse, la mine piteuse. Et dans la poussette, ceinture attachée, petite casquette de base-ball de travers, il y avait le bébé. Oh ! comment s’appelait-il : Royall. Un nom que j’ai choisi dans le journal parce que sa sonorité m’a frappée. Royall Mansion, un pur-sang primé. Ariah dévisagea ses enfants comme si elle ne les avait pas vus depuis longtemps. Mais où étaient-ils allés traîner ? Combien de temps s’était-il écoulé ? Pourquoi Ariah, l’épouse de Dirk Burnaby, était-elle pieds nus dans ce lieu public en train de se faire réprimander par un inconnu impertinent ? « Oui, bien sûr que ce sont mes enfants, dit-elle avec feu. Où étais-tu passé, Chandler ? Je me suis fait un sang d’encre. Je t’avais dit de ne pas t’éloigner. »

Chandler marmotta des excuses, tandis que le gardien les regardait d’un air dubitatif. À le voir, on avait presque l’impression qu’il ne croyait pas qu’Ariah était la mère de ces garçons. La chemise écossaise rouge mal boutonnée de Chandler et son pantalon kaki étaient mouillés d’embruns. On aurait dit un gamin des rues, et non le fils de Dirk Burnaby de Luna Park ! Ariah avait envie de le secouer comme un prunier. Et Royall ne ressemblait pas à Royall mais à n’importe quel bébé, le nez luisant de morve et la bouche baveuse. Son visage était une pâte à pain molle qui avait perdu sa forme. Son énergie de petit démon semblait l’avoir quitté, il était groggy, abruti, avait du mal à garder les yeux ouverts.

Oh ! mon Dieu. Malgré la protection de la casquette, le petit nez retroussé de Royall semblait avoir pris un coup de soleil.

Ariah grondait Chandler. Il lui avait encore désobéi, il s’était éloigné. Impossible de lui faire confiance ! Le gardien écoutait avec un air exaspérant de sévérité, et secouait la tête. Pour qui se prenait-il, pour le FBI ? Ariah en conclut que, s’il avait eu le pouvoir de l’arrêter ou de l’assigner à comparaître, il l’aurait déjà fait, ce qui était réconfortant. Royall se réveilla de sa transe et se mit à crier : « Ma-man ! Ma-man ! »

Ariah s’agenouilla aussitôt près de lui et le prit dans ses bras.

« Maman est ici, chéri. »

Et c’était le cas.

 

Maman et Chandler poussèrent ensemble la poussette jusqu’à Luna Park, en chantant la berceuse « Little Baby Bunting ». Épuisé à force de pleurer, Royall dormait.