Honte, honte. Ton nom !
Déjà au cours préparatoire les autres semblaient savoir. (Mais que savaient-ils ?) On aurait presque dit qu’ils savaient d’instinct. Leurs yeux suivant d’abord Juliet avec curiosité. Plus tard, avec méfiance. Plus tard, avec raillerie. Puis Royall alla au collège, dans un autre établissement, et Juliet resta à l’école primaire. Et seule. Une enfant étrange, rêveuse et bégayante, qui n’avait pas une mais deux cicatrices sur son petit visage pâle. Deux cicatrices ! Ses maîtres ne savaient que penser d’elle. Burnaby ? Est-elle apparentée à… ? Car elle faisait partie de ces enfants qui, parfois, bégayaient en classe ; à d’autres moments, elle parlait normalement, et de façon intelligente ; à d’autres encore, sans que ce fût prévisible, il leur semblait qu’elle marmottait avec maussaderie. Une petite fille déplaisante. Désagréable. Mais lorsqu’elle chantait, elle ne bégayait jamais. Lorsqu’elle chantait, sa voix était remarquablement pure, une voix ravissante quoique mal assurée, incertaine.
Burn-a-by. Burn-a-by. Hé !
Dans la cour de récréation, dans le quartier, il n’y avait pas de protocole concernant les enfants « bizarres ». Il n’y avait aucune sympathie, aucune pitié.
Celle-là. Burn-a-by. Honte !
On lui parlait, elle n’entendait pas. On était à côté d’elle, elle ne voyait pas. Son regard vous passait au travers, comme si elle écoutait quelque chose de lointain. Pour qu’elle fasse attention à vous, il fallait frapper dans ses mains tout près de son visage, la pincer, la pousser, lui tirer les cheveux à la faire crier. Burn-a-by. Ton père s’est jeté en voiture dans le fleuve, ton père devait aller en prison. Burn-a-by, honte-honte ! Des frères et des sœurs aînés devaient leur avoir parlé. Des adultes devaient avoir parlé à ces frères et ces sœurs aînés. (Mais en leur disant quoi ?)
Ainsi fut endurée l’enfance. Rétrospectivement elle se rappellerait ces années-là comme si elles avaient été vécues par quelqu’un d’autre, une petite fille courageuse, têtue, qu’elle ne connaissait pas.