1

« Je ne peux pas y prendre part. Ne m’y oblige pas. »

Cela ne ressemble pas à Ariah de supplier. Son fils Chandler la contemple avec incrédulité. Plus tard, il se sentira coupable. (La culpabilité semble si naturelle à un fils aîné dévoué d’Ariah Burnaby.) Lorsqu’il lui parle pour la première fois de la cérémonie que l’on prévoit d’organiser en l’honneur de Dirk Burnaby. Car, se dit Chandler, il faut bien que quelqu’un lui en parle : et vite.

Pauvre Ariah. Elle regarde Chandler comme s’il avait prononcé des mots incompréhensibles mais néanmoins terrifiants. Le visage d’une pâleur mortelle, elle cherche une chaise à tâtons. Les yeux hagards, vert vitreux, fixes.

« Je ne peux pas, Chandler. Je ne peux pas y prendre part. »

Et plus tard : « Si un seul d’entre vous m’aime, ne m’y obligez pas ! »

 

Pendant les semaines intermédiaires, alors que septembre approche, que les projets pour la cérémonie à la mémoire de Dirk Burnaby deviennent plus ambitieux et font l’objet d’articles dans la Niagara Gazette, Ariah ne veut pas en parler. Elle appréhende de parler du futur, de l’automne imminent.

Le téléphone sonne-t-il plus souvent au 1703, Baltic ? Ariah refuse de décrocher. Seuls ses élèves de piano retiennent son attention entière, intense et constante. Et son piano : sur lequel elle joue pendant de longues heures les morceaux, certains lugubres, certains vigoureux et passionnés, que ses doigts connaissent par cœur depuis longtemps.

Tu es parti. Tu m’as abandonnée. Je ne suis pas ta femme. Je ne suis pas ta veuve. Personne ne peut m’y obliger. Jamais !