Les Chutes du Niagara, qui comprennent les American Falls, la Bridal Veil et les gigantesques Horseshoe Falls, exercent sur une partie de la population, qui atteint peut-être les quarante pour cent (d’adultes), un effet mystérieux dit hydracropsychique. On a vu cet état morbide miner temporairement jusqu’à la volonté d’hommes actifs et robustes dans la fleur de leur âge, comme s’ils se trouvaient sous le charme d’un hypnotiseur malveillant. Ces individus, attirés par les rapides turbulents en amont des Chutes, peuvent passer de longues minutes à les contempler, comme paralysés. Parlez-leur du ton le plus ferme, ils ne vous entendront pas. Touchez-les, ou tentez de les retenir, il se peut qu’ils repoussent votre main avec colère. Les yeux de la victime envoûtée sont fixes et dilatés. Il existe peut-être une mystérieuse attirance biologique pour la force tonnante de la Nature représentée par les Chutes – qualifiées trompeusement par romantisme de « magnifiques », « grandioses », « divines » – de sorte que l’infortunée victime se précipite à sa perte si elle n’en est empêchée.
Avançons une hypothèse : sous le charme des Chutes, le malheureux individu cesse d’exister tout en souhaitant devenir immortel. Une nouvelle naissance, non sans rapport avec la promesse chrétienne de la Résurrection des corps, est peut-être le plus cruel des espoirs. Silencieusement, la victime déclare aux Chutes : « Oui, vous avez tué des milliers d’hommes et de femmes mais vous ne pouvez pas me tuer. Parce que je suis moi. »
Dr Moses Blaine,
Journal d’un médecin de Niagara Falls 1879-1905
En 1900, à la consternation de ses habitants et des promoteurs d’une industrie touristique florissante, Niagara Falls avait acquis la réputation de « Paradis du suicide ».