Jamais Royall n’oubliera : ce doux après-midi du 21 septembre où, lorsqu’il gare sa voiture le long du trottoir délabré, devant le 1703, Baltic, il voit Ariah qui attend avec Juliet sur la véranda. Comme le lycéen qu’il croit, qu’il sait ne plus être, Royall s’exclame tout haut : « Nom de Dieu. »
Plus tard, il demandera à Juliet pourquoi elle ne l’a pas prévenu. Pourquoi elle ne lui a pas téléphoné. Et Juliet répondra : Mais je ne savais pas, en fait. Jusqu’au dernier moment je ne savais pas que maman allait venir. Je t’assure.
Ariah Burnaby, qui n’est pas vêtue de noir, ni même de bleu foncé ou de gris sombre, mais porte une robe-chemisier de coton blanc, brodée de boutons de rose et ceinturée d’un ruban de soie rose, un modèle à la mode dans les années 50, et un large chapeau de paille, des gants de dentelle blanche, des chaussures vernies blanches. On a beau être officiellement en automne d’après le calendrier, il fait chaud ce jour-là à Niagara Falls, un temps ensoleillé, estival, si bien que la tenue excentrique d’Ariah n’est pas inappropriée. (La robe a-t-elle été achetée au dépôt-vente Second Time Round, ou trouvée au fond de l’armoire encombrée d’Ariah ?) Et Ariah a si bien maquillé son visage de petite fille d’âge mûr, avec ses pâles taches de rousseur, qu’elle paraît presque robuste, et glamour ; et Ariah a fait couper par un coiffeur professionnel ses cheveux roux fané, honteusement négligés, une coupe au carré sophistiquée qui stupéfie ses enfants.
Trop étonné pour faire preuve de tact ou pour se soucier de ce que les voisins risquent d’entendre, Royall s’écrie : « Maman ? Tu viens avec nous ? »
Dans la voiture, assise à côté de lui, Ariah dit sèchement, avec dignité : « Bien sûr que je viens avec vous. Le contraire ferait vraiment trop excentrique. »