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Au douzième jour de leur sortie, l’un d’eux s’échappa. Ça n’était encore jamais arrivé. Il s’agissait d’un ancien détenu nommé Danny Murdock, le quatrième modèle qu’ils aient pris depuis le début du voyage. Sur son avant-bras droit, il avait un tatouage représentant deux serpents écailleux entortillés autour d’une pierre tombale, et Carl pensa qu’il en ferait quelque chose de spécial une fois qu’ils l’auraient liquidé. Ils avaient roulé tout l’après-midi à boire des bières et à se partager un énorme sac de couennes de porc, pour qu’il se sente à l’aise. Ils trouvèrent à se garer le long d’un lac étroit, à un kilomètre, ou un peu plus, à l’intérieur de la Sumter National Forest. Dès que Sandy coupa le moteur, Danny ouvrit la portière à la volée et sortit. Il s’étira et bâilla, puis commença à marcher tranquillement vers le lac, se débarrassant de ses vêtements au fur et à mesure. « Qu’est-ce que vous faites ? » cria Carl.

Danny jeta sa chemise sur le sol, et se retourna pour les regarder. « Hé, ça me pose pas de problème de baiser votre nana, mais d’abord laissez-moi me laver, dit-il en quittant son slip. Mais je vous avertis, mon vieux, elle se contentera plus jamais de votre cul.

— Mince, il a une grande gueule, hein ? » dit Sandy en faisant le tour du break. Elle s’appuya contre le pare-chocs, et regarda l’homme sauter à l’eau.

Carl posa l’appareil sur le capot et sourit. « Pas pour longtemps, tu vas voir. » Ils partagèrent une autre bière et le regardèrent nager, pompant des bras et battant des pieds, jusqu’au milieu du lac, puis se mettre sur le dos.

« Je dois dire que ça paraît amusant », dit Sandy. Elle quitta ses sandales et étendit la couverture sur l’herbe.

« Merde, difficile de dire ce qu’il y a au fond de cette mare de boue », dit Carl. Il ouvrit une autre bière, essaya de profiter de ces quelques instants passés hors de la puanteur de la voiture. Mais il finit par s’impatienter contre le nageur. Ça faisait plus d’une heure qu’il s’amusait comme ça. Il s’approcha de la berge et commença à crier et à faire des gestes pour que Danny revienne, et à chaque fois que l’homme plongeait et réapparaissait en éclaboussant et en criant comme un écolier, Carl était de plus en plus agacé. Quand Danny sortit enfin du lac, avec un grand sourire, et la bite qui lui tombait à mi-genoux, le soleil du soir étincelant sur son corps mouillé, Carl sortit le pistolet de sa poche et dit : « Alors, vous êtes assez propre, maintenant ?

— Qu’est-ce qui se passe ? » dit l’homme.

Carl fit un geste avec le pistolet. « Nom de Dieu, venez vous mettre sur cette couverture, comme on l’avait dit. Merde, il va plus y avoir assez de lumière. » Il se tourna vers Sandy et secoua la tête. Elle passa ses mains derrière sa tête, et commença à dénouer sa queue de cheval.

Carl entendit l’homme crier : « Allez vous faire foutre. »

Le temps qu’il réalise ce qui se passait, Danny Murdock fonçait déjà dans les bois, de l’autre côté de la route. Carl tira deux fois au hasard et se précipita derrière lui. Glissant et trébuchant, il s’enfonça profondément dans la forêt jusqu’au moment où il craignit de ne plus retrouver le chemin de la voiture. Il s’arrêta et tendit l’oreille, mais il n’entendait rien, sauf le son de sa propre respiration rauque. Il était trop gras et trop lent pour poursuivre qui que ce soit, et encore moins un connard aux longues jambes qui avait passé l’après-midi à se vanter d’avoir, la semaine précédente, semé en courant trois voitures de patrouille à travers le centre de Spartanburg. À ce moment-là, la nuit tombait, et Carl réalisa soudain que l’homme avait pu revenir à son point de départ jusqu’à l’endroit où Sandy attendait, près de la voiture. Mais même avec des balles à blanc dans son arme, il aurait entendu un coup de feu, enfin, sauf si cet enfoiré l’avait eue par surprise. Nom de Dieu, espèce de putain de sournois. L’idée de revenir les mains vides à la voiture lui déplaisait. Sandy en parlerait pendant des siècles. Il hésita une seconde, puis pointa le pistolet en l’air et tira deux fois.

Quand il émergea des broussailles, le visage cramoisi, à bout de souffle, elle était debout près de la portière ouverte, côté conducteur, le .22 dans les mains. « Il faut qu’on se tire d’ici », hurla-t-il. Il attrapa au vol la couverture qu’ils avaient étalée sur le sol, se précipita pour ramasser dans l’herbe les vêtements de l’homme et ses chaussures, jeta le tout sur le siège arrière et monta à l’avant.

« Seigneur, Carl, que s’est-il passé ? demanda Sandy en démarrant.

— T’inquiète pas, j’ai eu ce salopard. Je lui en ai collé deux dans sa stupide caboche. »

Elle leva les yeux sur lui. « T’as descendu ce fils de pute ? »

Il perçut le doute dans sa voix. « Tais-toi une minute, dit-il. Il faut que je réfléchisse. » Il étala une carte routière qu’il étudia pendant quelques instants, en suivant le tracé du doigt. « À mon avis, on est à une quinzaine de kilomètres de la frontière. Fais demi-tour, tourne à gauche là où on est arrivés, et on va filer par cette route.

— Je ne te crois pas, dit-elle.

— Quoi ?

— Ce type a filé comme un chevreuil. T’as pas pu le rattraper. »

Carl respira plusieurs fois à fond. « Il se cachait sous un tronc. J’ai failli lui marcher dessus.

— Alors pourquoi se précipiter ? On peut retourner là-bas, pour prendre quelques photos. »

Carl posa le .38 sur le tableau de bord, remonta sa chemise, essuya la sueur sur son visage. Son cœur battait toujours la chamade. « Contente-toi de conduire cette putain de voiture, d’accord, Sandy ?

— Il s’est tiré, c’est ça ? »

Il regarda par la vitre les bois qui devenaient sombres. « Ouais, ce salopard s’est tiré. »

Elle enclencha une vitesse. « Ne me mens plus jamais, Carl, dit-elle. Et autre chose, tant qu’on est sur ce sujet. Si j’entends encore une fois dire que tu as fricoté avec cette petite connasse du White Cow, tu le regretteras. » Puis elle appuya sur l’accélérateur et vingt minutes plus tard ils traversaient la frontière de l’État de Géorgie.