Un jour, en rentrant du lycée, Lenora s’arrêta à l’Église du Saint-Esprit Sanctifié de Coal Creek. La porte de devant était grande ouverte, et la minable voiture de sports anglaise du pasteur Teagardin – un cadeau de sa mère quand il était entré à Heavenly Reach – était garée à l’ombre, comme la veille et l’avant-veille. C’était une chaude après-midi de la mi-mai. Elle avait semé Arvin, regardé depuis une fenêtre du lycée jusqu’à ce qu’elle l’ait vu renoncer à l’attendre et partir sans elle. Elle entra dans l’église et laissa ses yeux s’habituer à la pénombre. Le nouveau pasteur était assis sur l’un des bancs, à mi-chemin de l’allée centrale. On aurait dit qu’il priait. Elle attendit de l’avoir entendu dire « Amen », puis commença à avancer lentement.
Teagardin sentit sa présence. Ça faisait maintenant trois semaines qu’il attendait patiemment Lenora. Presque chaque jour, il venait à l’église et en ouvrait la porte à peu près au moment de la sortie des classes. La plupart du temps, il la voyait assise dans cette Bel Air de merde avec son demi-frère, ou peu importe qui c’était, mais une fois ou deux il l’avait vue rentrer chez elle toute seule. Il entendit ses pas légers sur le plancher rugueux. Lorsqu’elle s’approcha, il sentit son haleine parfumée au Juicy Fruit. Quand il s’agissait des jeunes filles et de leurs différentes odeurs, il avait l’odorat d’un chien de chasse. « Qui est là ? demanda-t-il en levant la tête.
— Lenora Laferty, pasteur Teagardin. »
Il se signa et se tourna vers elle en souriant. « Eh bien, quelle surprise », dit-il. Puis il l’observa de plus près. « On dirait que vous avez pleuré, ma fille.
— Ce n’est rien, dit-elle en secouant la tête. C’est juste des gamins, à l’école. Ils aiment taquiner les autres. »
Il regarda un moment dans le vague, à la recherche d’une réponse adaptée. « Je pense que c’est juste de la jalousie, dit-il. L’envie a tendance à susciter le pire chez les gens, en particulier chez les plus jeunes.
— Je doute que ce soit ça.
— Quel âge avez-vous, Lenora ?
— Presque dix-sept ans.
— Je me souviens quand j’avais cet âge. J’étais là, habité par le Seigneur, et les autres gamins se moquaient de moi jour et nuit. C’était terrible, toutes les idées horribles qui me passaient dans la tête. »
Elle acquiesça et s’assit sur le banc en face de lui. « Et qu’est-ce que vous faisiez ? »
Il ignora sa question, donna l’impression d’être plongé dans ses pensées. « Oui, ça a été une époque pénible, dit-il enfin avec un long soupir. Dieu merci, c’est fini. » Puis il sourit à nouveau. « Vous êtes attendue quelque part, pendant les deux heures qui viennent ?
— Non, pas vraiment », dit-elle.
Teagardin se leva, lui prit la main. « Alors, je pense qu’il est temps qu’on aille faire un tour, tous les deux. »
Vingt minutes plus tard, ils étaient garés sur un vieux chemin d’accès à une ferme, qu’il surveillait depuis son arrivée à Coal Creek. Autrefois, le chemin menait à un champ de foin, à un kilomètre environ à l’écart de la route, mais maintenant le terrain était couvert de sorgho d’Alep et d’épais buissons. Les traces de ses pneus étaient les seules qu’il ait vues depuis deux semaines. C’était un lieu sans risques pour y amener quelqu’un. Quand il coupa le moteur, il prononça une petite prière, puis posa sa chaude main charnue sur le genou de Lenora et lui dit ce qu’elle avait envie d’entendre. De toute façon, elles voulaient toutes entendre à peu près la même chose, même celles qui en avaient plein la bouche de Jésus. Il aurait aimé qu’elle résiste un peu plus, mais elle était facile, comme il l’avait prévu. Même ainsi, aussi souvent qu’il ait fait ça, tout le temps qu’il lui retirait ses vêtements il entendait le moindre oiseau, le moindre insecte, le moindre animal se déplaçant dans la forêt sur ce qui semblait des kilomètres. La première fois avec une nouvelle, c’était toujours comme ça.
Quand il eut terminé, Preston se pencha pour ramasser la culotte grise douteuse sur le plancher de la voiture. Il en essuya le sang lui-même, et la lui tendit. Il écarta une mouche qui bourdonnait autour de son entrejambe, puis prit son pantalon marron et boutonna sa chemise blanche tout en la regardant batailler pour remettre sa longue robe. « Tu n’en parleras à personne, n’est-ce pas ? » dit-il. Il regrettait déjà de ne pas être resté chez lui à lire son manuel de psychologie, peut-être même à essayer de couper l’herbe avec la tondeuse qu’Albert leur avait fait passer après que Cynthia eut marché sur un serpent noir lové devant les toilettes. Malheureusement, il n’avait jamais été de ces hommes adeptes des travaux physiques. Le seul fait de s’imaginer poussant cette tondeuse à travers ce jardin caillouteux lui donnait la nausée.
« Non, dit-elle. Je n’en parlerai jamais, promis.
— C’est bien. Certaines personnes pourraient ne pas comprendre. Et je suis sincèrement persuadé que la relation de quelqu’un avec son pasteur doit rester une affaire privée.
— Ce que vous avez dit, vous le pensiez vraiment ? » demanda-t-elle timidement.
Il s’efforça de se rappeler quelle phrase idiote il avait prononcée. « Évidemment. » Il avait la gorge sèche. Il roulerait peut-être jusqu’à Lewisburg pour prendre une bière fraîche afin de célébrer l’« ouverture » d’une nouvelle vierge. « Dans quelques temps, ces gamins de ton lycée ne pourront pas détacher leurs yeux de toi, dit-il. Il y a des filles à qui il suffit de franchir le pas, c’est tout. Mais je peux te dire qu’il y en a une qui deviendra de plus en plus belle au fur et à mesure qu’elle vieillira. Tu devrais en remercier le Seigneur. Oui, tu as de bien belles années devant toi, Miss Lenora Laferty. »