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En classe, on ânonnait le Catéchisme de Baltimore depuis des mois, en prévision de la première communion et de la Confirmation. À part les cas désespérés comme Butchie Slipkowski et Boleslaw Klapienski, tout le monde était obligé d’apprendre par cœur les réponses aux grandes questions théologiques : « Qui t’a fait ? Qui a créé le Ciel et la Terre ? Qu’est-ce qu’un péché mortel ? »

C’était apparemment une affaire très sérieuse. Et on croyait tout ce qu’on nous racontait : à cet âge, on gobe n’importe quoi. Sous la houlette de la bonne sœur, on répétait pendant des heures, au point qu’on rêvait des réponses, la nuit…

*

Je m’étais fait des amis. Mon meilleur copain s’appelait Joey Zeff. Il vivait avec ses parents et sa grand-mère à quelques numéros de chez nous, dans une rangée de boîtes en briques jumelle de la nôtre. Nous avions le même âge à une semaine près. J’étais de Noël, lui du Nouvel An. Sa mère avait un sacré châssis. Une de ces voluptueuses blondes peroxydées, avec des nichons comme des obus et des cuisses affriolantes. Elle se baladait dans des jupes serrées et des pulls moulants, toujours à se trémousser – elle avait du sex-appeal et elle le savait.

Elle le chouchoutait son Joey, il fallait voir ça. C’était son bébé, son seul enfant. Il n’avait qu’à demander pour obtenir ce qu’il voulait. Tout le monde disait qu’il était pourri gâté.

Lorsqu’elle s’étendait sur le canapé, Mrs. Zeff nous offrait une vue imprenable sur sa motte. Bien sûr, j’étais encore trop jeune pour comprendre. Puis un jour, elle a disparu. On racontait qu’elle était malade – un truc qu’on appelait cancer. Ils lui ont coupé ses deux gros seins. Après ça, son état s’est rapidement dégradé.

Le jour de l’enterrement, Joey m’a invité chez lui. Dès que j’ai franchi la porte, il s’est précipité vers le tourne-disque pour passer un vinyle brillant tout neuf : « All Shook Up », d’Elvis.

— Écoute ça, mec ! glapissait-il, tressautant et se tortillant dans le salon tendu de crêpe. C’est le King !

Il avait appris les mouvements d’Elvis par cœur à force de le regarder à la télé. Comme il entamait le refrain pour la seconde fois, la grand-mère de Joey a bondi de son rocking-chair et remis en place le bras de l’électrophone avec un crissement retentissant.

— Ola Boga ! Tu as perdu la tête ? Ta matka nous a quittés il y a à peine trois jours ! Tu as donc pas le respect des morts ?

Elle a agité le poing dans notre direction. On s’est arrêtés de tournoyer illico. Une vraie rabat-joie.

— Va au diable, vieux chameau ! a crié Joey.

Il lui a fait un pied de nez. Sa grand-mère pouvait tonner et lui donner des ordres, cela ne lui faisait ni chaud ni froid. Dans cette maison, il était le Roi-Soleil.

J’étais impressionné. Joey a remis le disque et exécuté une petite danse, mais le cœur n’y était plus…