61.

C’est Izydor qui annonce à Venski que nous avons perdu Paul Werton au sommet de la montagne. Vous n’allez pas y croire, jure-t-il, mais à un croisement, alors qu’on s’apprêtait à suivre la balise rouge, on a soudain remarqué qu’il avait disparu. Envolé. On a longtemps cherché dans la forêt, mais on a dû renoncer. On est redescendus, parce qu’on ne savait pas quoi faire. Mais on s’est dit que grâce aux exercices de survie du lundi soir, Werton retrouverait son chemin tout seul.

Venski se gratte la tête. Il tapote son ventre blanc. Il semble un peu égaré, au début, comme s’il se réveillait d’un profond sommeil, ce qui est peut-être le cas. Mais il finit par capter ce qu’Izydor est en train de lui raconter.

— Vous l’avez vu quand pour la dernière fois ?

— Au moins deux heures avant d’entamer la redescente, répond Izydor, l’air de réfléchir. Vers treize heures, treize heures trente…

Venski se retire dans sa tente et il en ressort au bout d’un instant en grande tenue d’apparat. Il conduit Ricky. Izydor et JJ au quartier général du camp. Quelques minutes plus tard, le hurlement d’une sirène retentit.

Ils reviennent escortés du directeur, Mr. Smith. Tout le monde a l’air grave : à l’évidence, il n’est jamais rien arrivé de tel à Pahaquarra. Pour la première fois, Izydor, JJ et Ricky paraissent un peu mal à l’aise…

Mr. Smith entreprend de nous cuisiner.

— Que s’est-il passé exactement au sommet ? Je veux la vérité, maintenant !

Les grands fusillent les plus jeunes du regard. Alors, on ment effrontément. Personne ne dévie de la version officielle ni ne commet la moindre gaffe, malgré la pression.

Ensuite, tous les scouts de Pahaquarra sont tirés de leur sac de couchage pour partir à la recherche de Paul Werton. Une armée gargantuesque. En quinze minutes à peine, la lumière des lampes de poche, des torches et des lanternes embrase la rive est du Delaware.

Heureusement, la troupe 7 est autorisée à rester au camp – il faut dire qu’on ne tient plus debout.

— Dormez un peu, les gars, nous fait Venski. On aura peut-être besoin de vous demain matin…

Bientôt, une étrange mélopée s’élève de la forêt.

— Paul ! Paul Werton ! Où es-tu ? Appelle et on viendra te chercher, Paul Werton ! Où que tu sois, on te trouvera ! Paul… Paul Werton… Où es-tu ?

La litanie se transforme bientôt en chanson. Mais Werton ne répond toujours pas. Et pour cause. C’est triste de penser à tous ces scouts ensommeillés qui dépensent autant d’énergie pour rien – un cadavre. Ils pourraient crier jusqu’à la fin des temps sans résultat.

Frankie et moi, on écrase nos cigarettes et on se glisse dans nos sacs de couchage. On est trop exténués pour se sentir coupables, quand bien même on serait complices de meurtre. Quelques secondes plus tard, je roupille…

Ils ne rentrent au camp qu’à l’aube. Leur chant lugubre résonne encore dans mes oreilles : « Paul… Paul Werton, où es-tu ? » Est-ce que je dors ? Je l’espère, et surtout j’aimerais découvrir que les événements de la veille ne sont qu’un mauvais rêve.

Mais ce serait trop beau. À sept heures, l’annonce officielle tombe : en dépit de la pluie battante au sommet, on a retrouvé le corps. Les bêtes sauvages ont déjà commencé à festoyer sur la chair de la Sangsue. Apparemment, il a trébuché. Quant à la raison pour laquelle sa chute est passée inaperçue du reste de la troupe, cela restera un mystère…