33.

Dès le premier jour, j’ai senti qu’on allait déguster, en CM1. La sœur Mary Gabriel ressemblait à un gros crapaud centenaire. Une monstruosité déformait sa joue gauche : un énorme furoncle violet. Lorsqu’on est entrés, elle se tenait devant le tableau, brandissant sa baguette. À peine étions-nous assis qu’elle l’a fait claquer sur son bureau comme un fouet.

— SILENCE ! BANDE DE DEMEURÉS, JE VAIS EN PRENDRE UN POUR TAPER SUR L’AUTRE !

Putain qu’elle était acariâtre, cette conne ! Mais Butchie Slipkowski s’en foutait ; il était plié en deux. C’était l’accent de la sœur qui le faisait marrer.

Le rire s’est répandu dans la classe comme un incendie de forêt. Même certaines filles n’ont pas pu résister.

La religieuse était folle de rage. Elle tremblait et trépignait, le visage rouge betterave. Elle a fouetté une nouvelle fois le bureau. Puis elle s’est ramassée sur elle-même pour bondir comme un serpent à sonnette sur Butchie, son arme dirigée sur lui.

Le premier coup l’a envoyé à terre. Il s’est couvert la tête de ses mains et a rampé sous sa table, puis s’est carapaté sur le linoléum, échappant de justesse à la salve suivante.

Il s’est relevé et s’est enfui à toutes jambes. Il sautait par-dessus les bureaux et les chaises, mais la Mary Gabriel l’a acculé contre un mur, hurlant de plus belle.

— J’ai rien fait ! J’ai rien fait ! bramait Butchie.

Cette démonstration de force nous a fait l’effet d’une douche froide, surtout venant de cette vieille peau ratatinée. On l’a bouclée, et fissa.

Elle a assené une ultime série de coups à Butchie pour faire bonne mesure. C’était la première fois que je le voyais capituler devant une nonne. Elle l’avait écrasé, annihilé – pourtant, il serait le premier d’entre nous à se retrouver en prison. Cette Mary Gabriel ne s’en laissait conter par personne.

L’ordre était rétabli.

— Ouvrez vos livres, a-t-elle grondé.

Nous avons commencé par une leçon de religion…