Au bout de quelques semaines, je m’ennuyais comme un rat mort chez Korvette’s. Travailler du matin au soir comme une bête de somme, les journées qui n’en finissaient pas, les faces ingrates des innombrables clients : tout cela m’usait. Un jour, je suis quand même tombé sur un ancien copain de classe, Pete Niemec, alors que je traversais d’un pas traînant la quincaillerie pour rejoindre le rayon homme, après ma pause déjeuner. Je ne l’avais pas beaucoup vu depuis que j’avais quitté l’école. Niemec était un brave gars, tranquille, pas le genre à chercher des noises à quiconque. Il commandait quelques pots de peinture pour la terrasse de la résidence familiale, en banlieue, à Lawrenceville. Son père avait lâché les assurances vie pour l’industrie navale. Il se rendait à New York cinq fois par semaine, sur les quais du West Side. Le boulot n’était pas dépourvu d’avantages. Au cours des deux années passées, les frères aînés de Pete avaient sillonné toutes les mers du globe et transporté des cargaisons pour des destinations exotiques en Polynésie, en Australie, en Afrique et aux Antilles…
C’est le principe du népotisme. On se soucie d’abord du bien-être de ses proches. Selon Pete, partout où ils allaient, ses frangins n’avaient que l’embarras du choix en matière de prostituées. On pouvait acheter ce qu’on voulait pour une misère, en particulier en Afrique. Il fallait se méfier des maladies, mais le risque en valait la chandelle. Comment résister quand une fille te prenait la main et se la fourrait directement dans sa fente juteuse ? Par-dessus le marché, les frères Niemec recevaient des salaires indécents pour ce job d’été : plus de mille dollars par semaine, exonérés de charges. Sans compter que c’était une occasion unique pour découvrir le monde.
Cette année, Pete recevrait son baptême de la mer. Il était accepté dans une université catholique de seconde zone, sur la côte pennsylvanienne : ses résultats aux examens d’admission n’avaient pas été aussi brillants qu’escomptés, mais puisque son statut d’étudiant lui offrait un sursis, autant en profiter pour effectuer ce voyage en Afrique qui lui permettrait de gagner un peu d’argent et d’élargir son horizon.
— Il reste une place à bord, maintenant que j’y pense. Elle est à toi si tu veux, Max. Ça me dérangerait pas d’avoir un copain avec moi.
J’y ai réfléchi pendant trois bonnes secondes. S’embarquer pour une destination lointaine… le rêve. C’était quand même plus séduisant que de se retrouver coincé dans un grand magasin durant tout un long et poisseux été. En plus, le père de Pete était assez influent, je pourrais donc facilement entrer au syndicat. Je n’avais qu’à dire oui.
Plus j’y pensais, plus je me rendais compte que ce qui m’attirait, c’était moins de voir du pays que la perspective de toutes ces chattes en folie.
Au dîner, j’ai mentionné cette conversation d’un air détaché. Le paternel a démarré au quart de tour.
— Quoi ? Si tu rejoins un syndicat, tu ne remets pas les pieds ici ! C’est rien qu’une planque pour les tire-au-flanc !
Il écumait. Ses yeux étaient ceux d’un dément.
— Je ne veux plus entendre parler de l’Australie ! ni de l’Amérique du Sud ! et encore moins de l’Afrique, nom de Dieu ! On a toute l’Afrique que tu veux, à Trenton !
L’affaire était classée.