57.

Le jour du départ pour le camp, on était comme des prisonniers à la veille de la quille. On sentait la liberté toute proche et on avait le sang qui bouillait. À Pahaquarra, elle était partout autour de nous : dans les champs qui s’étendaient à perte de vue, le grand fleuve silencieux, les pistes et les ruisseaux qui serpentaient à travers la vaste forêt.

Une fois les parents repartis, il y avait une barbarie palpable dans l’air frais des montagnes. On était prêts à rejouer Sa Majesté des mouches – mais avant que nos instincts prennent le dessus, on nous a ordonné d’aller nous présenter à l’accueil, puis on nous a conduits à l’infirmerie, où un vieux toubib nous a demandé de baisser nos futals. Il a fourré ses doigts sous nos couilles et nous a fait tousser pour s’assurer qu’aucun de nous n’avait de hernie. Dégueulasse.

Le test de natation devait avoir lieu le lendemain. Les moniteurs nous ont menés au fleuve. Là, il a fallu se dépoiler et enfiler nos maillots dans les cabines en bois détrempées. Puis on nous a alignés sur les planches et on nous a forcés à sauter et à rejoindre l’autre ponton, en aval.

Lorsqu’on a appelé son numéro, la Sangsue a atterri sur son ventre flasque avec un claquement douloureux.

— AAAH ! JE SSS… SAIS PAS NAGER ! AU SECOURS ! AU SECOURS !

Il a mouliné des bras pendant quelques secondes, puis sa tête a disparu sous la surface une fois, deux fois, trois, avant que l’aigle – le plus haut rang chez les scouts – qui tenait la perche le remarque.

Sur la rive, JJ Shaffer a entonné une petite rengaine.

— Noyez la Sangsue ! Noyez la Sangsue ! Noyez la Sangsue ! NOYEZ-LE !

Grand éclat de rire. Tout le monde s’est joint à lui. Juste avant qu’il soit trop tard, le maître nageur lui a mis la perche devant la figure et l’a sorti de l’eau. Après cette humiliation, Werton a reçu un badge NE SAIT PAS NAGER.

C’était mon tour. Je déteste m’exhiber en public, surtout devant des crétins, mais j’ai sauté parce que je n’avais pas le choix. Quand t’es môme, t’es à la merci des salauds, et si tu n’obéis pas, tu paies le prix fort.

Le fleuve était glacé, mais j’ai serré les dents et j’y suis allé. J’ai mis le paquet et mes bras frappaient l’eau comme si ma vie en dépendait. J’étais seulement à quelques mètres de l’arrivée quand j’ai eu un coup de mou. Mes jambes m’ont lâché et la perche est apparue devant moi. C’était la honte de finir ainsi, mais si je ne la saisissais pas, je coulais.

— Hé, Zajack ! Ma grand-mère, elle nage mieux que toi !

Je n’ai pas vu qui avait parlé. J’ai fait celui qui n’avait rien entendu. J’ai obtenu un badge NAGEUR INTERMÉDIAIRE – pas si mal. Ç’aurait pu être bien pire. Il n’empêche. Ces deux semaines s’annonçaient rudes…