Je me suis relevé, j’ai épousseté mes vêtements et j’ai traversé le terrain. Au coin de Princeton Avenue, j’ai jeté un regard vers l’avenir : les fast-foods, les centres de lavage auto, la grande surface en construction à côté du vieux marché paysan. J’ai décidé de tenter ma chance une dernière fois avant de rentrer.
Le Jack-In-The-Box n’embauchait pas. À Capital Car Wash, c’étaient les Portoricains qui passaient la peau de chamois. J’étais trop jeune pour la station-service. Restait le fast-food Gino’s : à seize heures, les clients faisaient la queue jusqu’à la porte vitrée.
J’ai fait le tour du bâtiment et j’ai frappé à l’entrée du personnel. De l’autre côté, on entendait toute sorte de bruits, des rires, des sifflements, du soul Motown. J’ai cogné jusqu’à ce qu’on entrouvre le battant.
La femme était noire. Elle avait un torchon graisseux à la main.
— Est-ce que le responsable est ici ?
Elle m’a examiné de la tête aux pieds.
— Quint ! Ya un gosse pour toi !
Elle m’a fait entrer. Je suis passé devant la réserve… les fours du sol au plafond… Les coupe-frites… Les cuves d’huile… Le gril… La chambre froide. À chaque étape se trouvait un Noir, un Portoricain ou un petit Blanc crève-la-faim comme moi.
La fille m’a conduit à un bureau d’où l’on voyait tous les postes de travail. La plaque annonçait James A. Quinto, Gérant.
Quinto en personne était assis là. Un gars corpulent vêtu d’une chemise blanche tachée et d’une cravate. Ses yeux étaient vifs derrière ses lunettes graisseuses. Ses doigts boudinés dansaient sur les touches d’une calculette.
— Oui ? a-t-il marmonné sans me regarder.
— Euh… Je me demandais si vous aviez besoin de quelqu’un.
— Ici ? On est au complet pour l’instant, tu vois bien.
— Tant pis, merci, ai-je répondu en battant en retraite.
— Minute ! Tu t’appelles comment ?
Je lui ai donné mon nom.
— Tu habites où ?
— À trois rues d’ici, dans Iowa Avenue.
— Donc, tu pourrais venir au travail rapidement ?
— Oui.
— Tu es disponible quels jours ? Quels horaires ?
— Quand ça vous arrange.
Le gérant s’est interrompu pour regarder l’arrière-train d’une employée qui passait.
— Tu serais prêt à commencer dans la matinée ?
— Demain matin ?
— Ouais. J’ai une ou deux personnes à virer. Alors, oui ou non ?
C’était tout réfléchi. Est-ce que j’avais le choix ? Où est-ce que j’aurais pu aller ?
— D’accord. Présente-toi demain matin à sept heures trente pétantes. Et pas de retard. Les tire-au-flanc, ils prennent la porte. L’uniforme, c’est une chemise à manches courtes blanche, un pantalon noir, des chaussures en cuir noir. Chez Gino’s, le personnel apporte sa tenue. On fournit les accessoires : le nœud papillon et la calotte. Compris ?
Il a ouvert un tiroir et en a sorti un formulaire de demande d’embauche.
— Tiens. Remplis ça et rapporte-le demain.