Chaque jour après le boulot, je rentrais pouilleux. C’était devenu un rituel : je m’épouillais à l’instant où je franchissais le portail. C’était humiliant de devoir se déshabiller dans le garage avant de pénétrer dans la maison, mais seule la désinfection mettait un terme à mes démangeaisons.
Je n’avais plus peur du ghetto. Même si je préférais encore tondre la pelouse, je m’étais habitué à nettoyer ces bouges désertés. À présent que Bayer avait constaté qu’on pouvait me faire confiance, il avait décidé qu’il ne tenait pas particulièrement à s’attarder là et me laissait souvent livré à moi-même. Ce qui m’a contraint à apprivoiser rapidement le furet, car les locataires autour de Battle Monument se plaignaient que leurs toilettes étaient bouchées trois, quatre ou cinq fois par jour.
Dans ces taudis, j’ai découvert le vrai désespoir. Il suffisait de regarder ce qui traînait : la vaisselle sale… les cadavres de bouteilles… les tas de mégots… les aiguilles et les cuillères… les pièges à rat avec leurs appâts…
L’animosité terne dans les yeux de ces gens n’avait rien d’étonnant. Mais ils reflétaient surtout le vide – le néant. Quand le présent n’est qu’une coquille creuse, on n’a plus rien à attendre de la vie. Je voyais ça dans mon propre quartier, mais les habitants d’Iowa Avenue avaient encore quelques illusions. Je ne sais pas ce qui est le pire, se bercer de chimères ou ne plus en avoir. Être totalement privé d’espoir est une étrange condition – en fait, ce n’est pas une vie…
La jeune femme qui chaque jour sortait la tête de l’appartement 6 avait attiré mon attention. Elle était aussi noire qu’une Éthiopienne, mais ses cheveux étaient longs et raides. Dans l’ombre, elle m’observait de ses grands yeux liquides où on lisait quelque chose qui ressemblait à du désir. Elle marchait pieds nus et portait toujours des robes moulantes dont ses seins semblaient vouloir s’échapper. Elle était sacrément bien roulée et j’avais l’impression qu’elle se sentait très seule. En dehors de ça, je ne savais pas quoi en penser, petit merdeux que j’étais.
Un jour, vers la fin de l’été, elle réclame le furet. Je me rends donc dans son appartement déprimant où résonne la voix de Billie Holiday et je plonge l’instrument dans la cuvette. Elle me regarde travailler depuis le seuil. Comme je m’apprête à partir, elle me fait signe de la rejoindre sur le canapé bosselé.
— Viens. Tes pauvres pieds ont besoin d’un peu de repos.
Il fait si sombre dans cette satanée piaule que je n’y vois presque rien, mais son accent velouté du Sud me fait l’effet d’une caresse. En m’approchant, je remarque qu’elle tient un verre. L’odeur est puissante, du whisky ou du bourbon. Sous mes yeux, elle remonte sa jupe pour se toucher. Elle écarte les lèvres épaisses de sa chatte. C’est rose et violet à l’intérieur, comme un morceau de viande saignante.
Et moi, je suis censé faire quoi ? Mon cœur bat à toute berzingue. Elle tapote la place vide à côté d’elle, alors je m’assois.
Elle passe le bras autour de mon cou et m’embrasse partout… elle fourre sa langue dans mon oreille… sa main descend, ouvre ma braguette, sort ma bite et joue avec pendant un moment. Puis elle se penche pour la lécher et la sucer.
— Mets-y tes doigts, murmure-t-elle. Vas-y, n’aie pas peur.
Elle est dans tous ses états, elle geint, elle grogne. J’obéis et je m’active, mais je suis déboussolé. À l’intérieur, ça a la consistance du foie tiède, et l’odeur me rappelle les bâtonnets de poisson que nous sert Bash.
Elle semble apprécier mes efforts, malgré tout. On ne lui voit plus que le blanc des yeux.
— Oooh… Ooooh… Ooooooohhh !
Elle produit toutes sortes de bruits étranges, comme si elle allait avoir une crise de nerfs. Il y a certaines choses que je suis incapable de faire, malheureusement, mais elle se débrouille pour que je garde les doigts à l’intérieur et n’arrête pas de m’appeler « beau gosse ».
— J’aime bien ta petite saucisse, chéri, elle va devenir une belle grosse queue, un de ces jours…
Elle tortille son cul dans les coussins. Mon sexe est douloureux à force d’être dur. Je jouis, mais rien ne sort. Et je reste aussi rigide qu’une barre d’acier.
La femme délire totalement à présent, elle murmure le prénom d’un certain Rodney. Elle remonte sa robe et la passe par-dessus sa tête. Puis elle baisse mon short et m’attire sur elle. Comme elle va me guider à l’intérieur, on frappe à la porte.
— Est-ce que le gamin est ici ? Allez, Max, viens ! Je sais que t’es là ! Ramène ton furet ! Je te file pas cinquante cents de l’heure pour que tu t’envoies en l’air, je te paie pour travailler !
Comment ce fichu Bayer m’a-t-il trouvé ? Je me relève maladroitement et je récupère mon short.
Tandis que je me dirige vers la sortie, elle se rallonge pour se terminer. Sa tête se balance d’avant en arrière. Elle mord sa lèvre inférieure jusqu’au sang, gémit comme si elle avait mal et enfonce presque tout son poing.
C’est fini. Des larmes brillent dans ses yeux. Elle me sourit… et me fait un signe d’adieu.
Le patron tambourine toujours contre la porte en hurlant mon nom. J’empoigne le furet.
— C’est bon ! J’arrive !