Un jour, on m’a convoqué avec d’autres élèves. La mère supérieure nous a expliqué qu’on nous avait choisis pour être enfants de chœur. C’était un privilège. Elle espérait que nous en étions reconnaissants et que nous saurions nous en montrer dignes.
Je ne comprenais pas. Pourquoi moi ? J’étais plutôt calme et sage en cours, mais toutes les prières qu’on nous obligeait à réciter m’assommaient. J’en ai finalement conclu que je comptais au nombre des élus parce que les Zajack habitaient à proximité de l’église. Ça n’avait aucun rapport avec d’éventuelles dispositions spirituelles.
Après la classe, on nous imposait un entraînement rigoureux, avec en prime des répétitions générales en grand tralala. Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, je me présentais tous les matins à l’appel. On célébrait la messe à sept heures, sept heures trente et huit heures, du lundi au vendredi. Pareil le samedi, plus un ou deux mariages par saison. Le dimanche, la cérémonie s’éternisait. Ce jour-là, nous étions censés porter des surplis ruchés, comme des filles.
À présent, j’aurais pu réciter les prières en latin, même en dormant. Ad Deum qui laetificat juventutem meam… Je les connaissais en polonais également. Je n’ai pas tardé à me familiariser avec tout le bastringue, qu’il s’agisse de moucher les candélabres ou de verser le vin sacramentel sur les doigts du prêtre. On savait aussi qui se contentait d’un dé à coudre et qui aimait se flanquer une culotte dès potron-minet. Monseigneur Lipchinski et le père Raymond buvaient comme des outres. On pouvait remplir le calice à ras bord, ce n’était pas eux qui allaient nous arrêter. À huit heures du matin, ils titubaient autour du sanctuaire. Parfois, ils étaient complètement schlass, les yeux vitreux, l’haleine fétide. Ils pillaient même les réserves dans la sacristie…
Tous les gestes sacrés – tenir la patène qui renfermait les hosties, agiter l’encensoir, porter le crucifix –, je les exécutais avec une trique monstrueuse. J’avais remarqué que ma queue dessinait une courbe descendante lorsque je bandais, comme un sabre inversé. Était-ce bon ou mauvais signe ? normal ou anormal ? Je continuais de me branler partout où je le pouvais, même si je tirais toujours à blanc. Et quand j’étais pas occupé à me faire reluire, j’en rêvais…