L’incroyable histoire des aventures d’Ernest Hemingway, chasseur d’espions et de sous-marins à Cuba durant la Seconde Guerre mondiale, que je raconte dans ce roman est – à mon humble avis – d’autant plus incroyable qu’elle est vraie à quatre-vingt-quinze pour cent.
Cela faisait déjà quelques années que j’avais envie d’écrire une version romanesque des aventures cubaines d’Hemingway, ayant remarqué la brièveté avec laquelle ses nombreux biographes traitaient la période allant de mai 1942 à avril 1943. Le discours qu’ils tenaient ressemblait en général à ceci : « Au cours de l’année qui suivit l’entrée en guerre de l’Amérique, Hemingway resta chez lui à Cuba alors que son épouse et ses amis se faisaient soldats ou correspondants de guerre. Durant cette époque, Hemingway organisa un réseau de contre-espionnage, baptisé l’Usine à forbans et composé de vieux camarades de la guerre d’Espagne, de barmans, de prostituées, de contrebandiers, de pêcheurs, de prêtres et autres amis. En outre, il persuada l’ambassadeur des États-Unis d’armer son bateau, le Pilar, dans le but d’attirer un sous-marin à la surface afin de l’attaquer à la grenade et aux armes à feu. Il ne réussit pas à couler un seul sous-marin allemand, et son réseau d’espions fut démantelé en 1943. »
Ce que les biographes ne disent pas, c’est que les activités d’Hemingway, intégrées au volumineux dossier que le FBI lui consacrait depuis les années 30, sont toujours classées secrètes. Ce que nous savons sur cette période, durant laquelle l’écrivain dirigea l’Usine à forbans et l’opération maritime baptisée Sans-ami, c’est que le FBI s’inquiétait des lièvres levés par Hemingway et ses amis, à savoir les opérations d’espionnage menées à Cuba et autour de Cuba, et plus précisément la corruption qui gangrenait le gouvernement cubain et la Police nationale. En outre, ce que les biographies – hormis les plus récentes – n’expliquent pas à propos de cette période, c’est qu’elle semble à l’origine de la violente paranoïa qui marqua les dernières années d’Hemingway – durant lesquelles l’écrivain était convaincu d’être surveillé par le FBI. Et la vérité, c’est qu’Hemingway était bel et bien surveillé par le FBI.
Ce livre est une exploration fictive de cette période et de ses secrets, qui nous restent encore inconnus, mais ce que nous en connaissons est déjà étonnant en soi. Voici quelques-uns des détails de l’intrigue basés sur des faits attestés :
J. Edgar Hoover et le FBI avaient été avertis de l’attaque japonaise sur Pearl Harbor, mais ils n’ont pas exploité cette information à cause de querelles intestines opposant les agences de renseignement américaines.
L’Usine à forbans d’Hemingway a mis au jour un véritable nid d’intrigue et de corruption à Cuba.
Le jeune Ian Fleming, qui devait plus tard créer le personnage de James Bond, se livrait à cette époque à des activités d’espionnage aux États-Unis et au Canada.
C’est durant cette période que se sont forgés de solides liens d’amitié entre Hemingway et des célébrités telles que Gary Cooper, Marlene Dietrich et Ingrid Bergman.
La quasi-totalité des espions et des activités d’espionnage décrits dans ce livre sont de véritables personnes et de véritables opérations – aussi absurde et aussi mélodramatique que cela puisse paraître.
Toutes les notes internes du FBI figurant dans ce livre sont authentiques et reproduites textuellement.
La surveillance exercée par le FBI sur le jeune lieutenant John F. Kennedy et sa maîtresse Inga Arvad, soupçonnée d’espionnage pour le compte des Allemands, est conforme à la vérité historique.
Les transcriptions de leurs conversations, enregistrées par le FBI lors de leurs rencontres et de leurs échanges téléphoniques, sont reproduites textuellement.
La surveillance illégale exercée par le FBI sur le vice-président des États-Unis et sur la Première Dame, Eleanor Roosevelt, est conforme à la vérité historique.
La Viking Fund – organisation philanthropique basée à New York dont le but était l’exploration des ruines incas – a bien existé, et le FBI a bien enquêté sur ses supposés liens avec les nazis.
Le Southern Cross, ce yacht de quatre-vingt-dix mètres équipé par un espion nazi et offert à la Viking Fund, a bien existé, et le FBI le soupçonnait de ravitailler des sous-marins allemands.
Les violentes querelles intestines opposant J. Edgar Hoover à des agences rivales telles que l’OSS et la BSC britannique – souvent aux dépens de l’effort de guerre – sont attestées, et ont conduit Hoover à arrêter des agents de l’OSS entrés par effraction dans l’ambassade d’Espagne à New York.
Les complots ourdis par Himmler et Heydrich, des services de renseignement nazis, dans le but de piéger et de discréditer l’amiral Canaris et son agence de l’Abwehr sont conformes à la vérité historique et ont eu pour conséquence le démantèlement de l’Abwehr par Hitler. Canaris fut en fin de compte torturé et exécuté. Le complot ourdi par la BSC dans le but d’assassiner Heydrich est conforme à la vérité historique et fut élaboré au Camp X. Le Camp X a bien existé.
Les détails de l’opération Sans-ami, montée par Hemingway dans le but de capturer et de couler un sous-marin allemand en faisant passer le Pilar pour un navire d’exploration du Muséum d’histoire naturelle, sont conformes à la vérité historique.
Les espions allemands opérant en Amérique du Sud mentionnés dans ce livre ont bien existé, et leur sort fut tel qu’il est décrit dans ces pages.
L’incident, digne des Marx Brothers, où l’on voit des agents nazis débarquer à Long Island et le FBI refuser de les prendre au sérieux alors même qu’ils tentent de se livrer à ses responsables, est conforme à la vérité historique et aussi délirant que je le raconte dans ces pages.
Les extraits du journal de bord du Pilar, rédigés lors de ses patrouilles en quête de sous-marins, sont reproduits textuellement.
La grande majorité des dialogues entre Hemingway et divers personnages historiques est basée sur des comptes rendus attestés, et tous les commentaires – adressés au personnage fictif de Joe Lucas – relatifs à l’écriture, à la guerre, à l’opposition fiction/réalité, et cetera, sont inspirés des propres commentaires et des propres écrits d’Hemingway.
L’incident au cours duquel Hemingway prit en chasse un sous-marin allemand est conforme à la vérité historique et décrit avec fidélité.
La description du fonctionnement de l’Usine à forbans est elle aussi fidèle à la réalité.
Les craintes bien réelles que le FBI inspirait à Hemingway durant ses dernières années et les détails de son suicide sont conformes à la vérité historique – ainsi que les raisons, en grande partie secrètes, de l’intérêt que lui manifestait encore le FBI. Ces faits récemment mis au jour ont été confirmés par des entretiens récents, de nouvelles informations biographiques et des documents internes du FBI portés à la connaissance du public grâce au Freedom of Information Act.
Bien que l’intrigue de ce livre soit en grande partie fictive, l’immense majorité de ses détails, de ses personnages, de ses incidents, de ses dialogues et des opérations de guerre qui y sont décrites est authentique. J’ai pris un grand plaisir à mêler ces faits d’apparence fictive à l’essence « plus vraie que nature » de la fiction pour créer ce livre, et j’espère que le lecteur aura pris autant de plaisir à le découvrir.
Dan Simmons
Colline du Gritche
Windwalker, Colorado