Février
Le 11 : L’Intransigeant se fait, cette fois, l’écho de La Nouvelle Lanterne, une excellente revue littéraire qui paraît depuis 1927 et dont le directeur, René de Planhol, vient de consacrer un article de fond à Voyage au bout de la nuit. Son texte ignore la polémique qui se déroule depuis des semaines, et va d’emblée à l’essentiel :
« Le propre de la littérature en vogue depuis une douzaine d’années, c’est d’arranger des tableaux truqués et douceâtres qui fassent valoir à la créature humaine l’excellence de ses désirs, de ses mouvements spontanés. Ah ! certes, M. Céline n’est pas de cette école-là, et il ne trempe point dans ce multiple mensonge... Comment ne pas reconnaître aussi qu’il tranche sur l’insignifiance et la banalité du roman contemporain, qu’auprès de lui nos petits maîtres en renom paraissent bien pâles et fatigués, que, dans un genre peut-être affreux, il s’affirme singulièrement fort...
Il [Bardamu] nous incarne, avec une puissance où l’on n’avait peut-être pas atteint jusqu’à lui, le type même de l’animal humain, tel que le produit la nature, de cet être que possèdent son égoïsme, son indépendance absolue à tout ce qui n’est pas lui-même, son avidité de jouir bridée par la peur, sa lâcheté, son vœu dominant de sauver à tout prix sa peau. »
Certes, René de Planhol distingue bien les erreurs du livre : « Il y a trop d’ordures, trop de pages et dont beaucoup n’ont pas de raison d’être et qui pourraient ainsi se dérouler sans fin... » Mais, écrit-il, Céline est surtout « un moraliste, mais oui - un moraliste qui, à l’aune de notre siècle, continue notre lignée française, chez qui l’on discerne du La Rochefoucauld et du La Bruyère et qui nous dispense les réflexions les plus pénétrantes et savoureuses, - âpres, cruelles et parfois frémissantes de pitié. [...] C’est pourquoi ce livre de M. Céline, admirable et immonde, je ne le tiens pas pour malsain... »