Analyse

par André Durand

 

Intérêt documentaire

 

Alors que Proust, le snob par excellence, avait été le peintre de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie, Céline, qui se veut l’anti-Proust, développe toute une critique sociale. « Voyage au bout de la nuit » est une virulente dénonciation des réalités qu’un certain ordre social a fait produire à l’époque et dont Louis-Ferdinand Destouches a fait l’expérience lui-même. Tout un demi-siècle passe à travers le corps de Bardamu, qui est, mais Robinson plus encore, un marginal par rapport à la société qui avait été, jusque-là, reflétée dans les œuvres littéraires. Toutes les formes d’inhumanité du début du XXe siècle sont dénoncées dans « Voyage au bout de la nuit » : les horreurs de la guerre, les iniquités tranquilles du système colonial, les nouveautés et étrangetés des villes américaines, la désespérance quotidienne de la vie en banlieue, les affres du métier de médecin, chaque continent incarnant un cercle de l’enfer de cette nouvelle « Divine comédie » : l’Europe, c’est la guerre, l’Afrique, c’est le colonialisme, l’Amérique, c’est le cauchemar de la déshumanisation, la France des banlieues, c’est la misère, l’injustice, la maladie, la mort.

 

LÀ GUERRE : C’est la dénonciation de la guerre qui est le premier objectif du « Voyage » qui s’inscrit alors dans un ensemble de témoignages : « Le feu » de Barbusse, « Les croix de bois » de Dorgelès, « À l’Ouest rien de nouveau » d’Erich-Maria Remarque.

L’héroïque frénésie de la guerre, « abattoir international en folie », est la première des violences auxquelles Bardamu a à faire face, et elle lui apporte la révélation de la nature profonde de toutes celles qu’il a subies avant elle et de toutes celles qu’il subira après elle. Il en tire un sens de la détresse humaine.

Destouches, engagé deux ans plus tôt, est entré dans la guerre en qualité de cuirassier. Il ne passa au front que quatre mois, ceux de la guerre de mouvement, avant d’en être sauvé par sa blessure à la tête à Poelkapelle, en Flandre, à la suite de laquelle il fut trépané et garda une main paralysée. Mais, jusqu’au bout, cette expérience resta l’ultime référence.

Il fait de Bardamu un naïf qui, après sa conversation avec Arthur Ganate, qui représente le patriote type à la Déroulède, où il a dénoncé le bourrage de crâne patriotique, s’engage pourtant paradoxalement, folie qui symbolise la facile entrée en guerre en 1914 de millions d’hommes, mystère qui reste pour Céline la pierre de touche de tout jugement.

Mais, « puceau de l’Horreur », il est vite dépucelé, tout de suite abasourdi par le bruit de la canonnade, effrayé par la menace, à tout instant, pour soi, d’une mort immédiate, brutale, sanglante, au point d’annihiler toute réaction humaine, vite frappé par cette atrocité majeure, par son absurdité. Il est scandalisé par le colonel qui se tient au milieu de la route, qui est un monstre parce qu’il est brave, et qui lui donne la vision du premier mort, le cavalier décapité dont le sang glougloute dans le cou coupé. Il est horrifié par la distribution de la viande dans un pré : elle le fait vomir. Robinson méprise le capitaine, se montre plus soucieux du pain qu’on doit lui apporter que des morts autour de lui. Lui et Bardamu sont ensuite condamnés aux errances dans la nuit à la lueur des villages qui brûlent.

Bardamu en arrive à croire que la guerre a des « fondements primitifs », qu’elle autorise et légitime un désir de meurtre qui vient des profondeurs, qui est invérifiable en dehors d’elle, tant la civilisation le blâme et le réprime. L’instinct de conservation, l’instinct de la vie, réveille l’égoïsme de chacun. La guerre, dont le souvenir contamine toute la suite est « la véritable réalisation de nos profonds tempéraments ».

Le grand crime, c’est de « collaborer avec la mort », comme le font le capitaine, l’adjudant qui est « Roi de la Mort », ces « fous vicieux devenus incapables soudain d’autre chose, autant qu’ils étaient, que de tuer et d’être étripés sans savoir pourquoi : « Tu vas crever, gentil militaire, tu vas crever.... C’est la guerre... Chacun sa vie..... Chacun son rôle... Chacun sa mort.... Nous avons l’air de partager ta détresse... Mais on ne partage la mort de personne... »

Ce sont les militaires de carrière dont les noms indiquent qu’ils sont souvent des aristocrates qui perpétuent la tradition de leur classe (le général des Entrayes, le lieutenant de Sainte-Engeance ). Mais les civils ne sont pas moins redoutables : l’affrontement avec les citoyens de Noirceur-sur-la-Lys, dont le maire les repousse, en est la preuve.

La rencontre de Robinson permet à Bardamu de constater qu’il n’est pas le seul à détester la guerre et de découvrir un moyen d’y échapper : la reddition pure et simple. Mais leurs efforts pour se faire prendre prisonniers sont vains. C’est que, derrière la guerre à mener contre les Allemands, il y l’autre guerre que les gendarmes mènent contre les soldats qui cherchent à échapper à la première.

Bardamu a quand même obtenu, non sans moquerie, la médaille militaire, la bravoure étant relative et souvent obligatoire.

Le retour à Paris permet les amours avec Lola et avec Musyne, grâce à la fréquentation, dans l’Impasse des Bérésinas, de la boutique de Mme Hérote, la maquerelle.

Surtout, il fait découvrir des réalités sociales et des comportements qui existaient déjà avant la guerre et qui n’en diffèrent pas totalement, mais qui sont accentués : égoïsme, avidité, insensibilité à la douleur d’autrui.

La peur et le refus de la guerre dont le souvenir le poursuit expliquent la crise nerveuse dont il est victime devant le Tir des Nations, qui lui permet de se réfugier dans la folie. Mais, comme les militaires des commissions de réforme, les médecins et infirmières, les civils qui jouent la comédie de la ferveur patriotique (le professeur Bestombes), n’ont qu’une hâte : renvoyer le militaire blessé au « casse-pipe » (titre d’un autre livre de Céline), il préférera partir en Afrique.

 

LÀ COLONIE :

Le tableau de la colonie est nourri du séjour que Louis-Ferdinand Destouches a fait au Cameroun de la mi-juin 1916 à avril 1917 où il était gérant d’une plantation à Bikomimbo. C’est un des plus accablants documents sur la décadence occidentale au XXe siècle. Il gagne aujourd’hui en justesse et en sévérité ce qu’il perd en cocasserie.

En se rendant en Afrique, Bardamu est apparemment passé du bon côté, celui des exploiteurs, mais il a appris une fois pour toutes à ne pas se fier aux apparences. D’ailleurs, la traversée lui rappelle la leçon de la guerre. En Afrique, il découvre les exactions pitoyables du colonialisme civilisateur et le racisme, celui-ci servant de caution à celui-là, la dureté exercée sur les indigènes, l’exploitation dont ils sont victimes. Cependant, sa qualité de Blanc a beau lui donner une supériorité sur les Noirs (il se rend compte que les colonisés sont « en somme tout comme les pauvres de chez nous », il a pleinement conscience que la ligne de partage ne passe pas entre eux et lui mais entre ceux qui profitent vraiment du système et les autres.

Il n’a d’autres armes que la moquerie à l’égard du burlesque de la vie coloniale car ce monde vit sous le signe de l’absurdité encore plus que de l’injustice ; d’où le comique du tableau : les Blancs qui ne vont au bordel que pour pincer les fesses de la patronne, les routes construites chaque année à la saison sèche sont effacées à la saison des pluies, les miliciens de Topo s’agitent dans le vide. Céline va jusqu’à la dénonciation des fraudes, de la tyrannie des grandes compagnies car les militaires ou les employés de « la Compagnie Pordurière » perdent leur santé pour le plus grand profit des actionnaires parisiens. Il proclame la brutalité et l’hypocrisie de ce système.

Cependant, il y a une ébauche d’analyse lorsqu’à travers les personnages de Grappa et d’Alcide, Céline distingue une colonisation de type militaire et une autre fondée sur le commerce et le fisc.

Mais, si la société est hostile, il constate aussi que, seul dans la forêt, l’homme perd tout intérêt pour la vie ; il a donc besoin de la société. Cependant, Ferdinand ne peut supporter celle d’aujourd’hui.

 

LES ÉTATS-UNIS :

L’arrivée aux États-Unis fait prendre conscience à Bardamu de la difficulté, pour un habitant d’un pays pauvre, de l’immigration dans un pays favorisé : les chiens sont mieux traités en Alaska que les immigrants à New York. Le prétendu « melting pot » est un leurre : le travail de nettoyeur de nuit de Robinson lui fait constater que ses compagnons n’ont appris en trente ans que deux mots (« exit » et « lavatory »).

Pour Bardamu, qui a peur des hommes, la ville est effrayante. La ville la plus effrayante, la plus inhumaine, est la métropole par excellence du monde moderne, New York, « une ville debout [...] raide à faire peur », « une torture architecturale gigantesque, inexpiable », dans laquelle se débat « la grande marmelade des hommes », où sortir dans la rue est « un petit suicide », « une ville aux aguets, monstre à surprise, visqueux de bitumes et de pluies ».

La satire des États-Unis pointe la grossièreté des mœurs (le crachat, « la caverne fécale ») ; le puritanisme incohérent, car la moralité simple et sévère des premiers colons laisse apparaître des instincts inavouables ; « l’indifférence absolue de vos semblables » qui rend l’Amérique entière « redoutable » car c’est la deuxième manière qu’ont les être humains de vous tuer en temps de paix ; le culte de l’argent (la banque vue comme une église) et du capitalisme qui connaît justement une crise financière et économique, déclenchée aux États-Unis et s’étendant progressivement à tous les pays d’Europe, au moment où Céline écrivait son roman. Le mot « crise » apparaît dans le texte mais toujours au passage, sans être jamais assez orchestré pour faire du roman une illustration plus particulière de ces années. C’est que, pour les pauvres, la crise est en réalité permanente.

Alors que les États-Unis jouissaient d’un énorme prestige en France parce qu’ils étaient censés être le pays de la richesse, la première vision qu’en a Bardamu est celle de « ces pauvres de partout » allant « au boulot sans doute, le nez en bas », victimes de l’exploitation, et il attiré ensuite par les quartiers pauvres.

 

DÉTROIT : Destouches avait visité les usines Ford en tant que membre d’une mission envoyée par la Section d’hygiène de la Société des Nations. Mais il choisit d’en placer le tableau dans son roman parce qu’on y produit en série l’automobile, qui est en train de devenir l’objet-fétiche du XXe siècle. Or cette production industrielle repose sur une organisation nouvelle du travail, le taylorisme qui, par souci d’efficacité, en pratique une division extrême en tâches élémentaires accomplies, chacune, toujours par le même ouvrier au long d’une chaîne, et provoque de ce fait l’abrutissement; « On cède au bruit comme on cède à la guerre », sinon la déshumanisation des ouvriers. La scène de l’embauche de sous-hommes malades ou diminués est une transposition par l’imaginaire célinien. Mais il est en prise sur les réalités profondes de son temps car le travail à la chaîne aboutit à faire des ouvriers des sous-hommes. Céline dénonce l’aliénation du peuple par le travail à Détroit ou à Rancy, le nivellement et la robotisation par l’industrie.

 

LÀ BANLIEUE OUVRIÈRE : 

La seconde moitié du roman est dominée par le spectacle quotidien et concentré de la turpitude et de la misère humaine moderne, matérielle et morale, perçues avec une compassion résignées par un médecin de banlieue. Cette réalité proche, permanente, ordinaire, quotidienne, est tout entière résumée dans le nom « Rancy », lieu d’une négation de la vie.

Entre Paris et la banlieue s’étend d’abord « la zone », terrains des anciennes fortifications de Paris, devenus une sorte de bidonville.

Au-delà commence l’urbanisation d’une ancienne campagne (d’où le nom de garenne) qui est quadrillée en rues à lotir, tracées à travers un terrain à diviser en lots où seront construites des maisons. Mais, souvent, ce ne sont que des « ébauches de rues ». Ces constructions sont anarchiques et la banlieue est « ce grand abandon mou qui entoure la ville, là où le mensonge de son luxe vient suinter et finir en pourriture ». Aussi regrette-t-il que le village de Vigny-sur-Seine se mue en banlieue.

 

LE MÉDECIN :

Bardamu est médecin en banlieue, mais il ne gagne pas mieux sa vie que ses malades. Il est en concurrence avec les autres médecins qui, eux aussi, sont intéressés, ce qui explique qu’il insiste sur ses rapports d’argent avec ses clients, son souci de toucher ses honoraires. Céline, à Meudon, était d’ailleurs considéré comme « le médecin fou » parce qu’il soignait trop souvent gratuitement.

L’univers petit-bourgeois que dépeint Céline respire la mesquinerie, la tristesse ; et l’homme vu par l’écrivain est nu, tel qu’il est, sans fioritures avec sa maladie de peau, ses entrailles et ses économies.

La médecine donne d’abord à Céline un regard tout à fait réaliste sur la nature humaine, sur « le bipède » : l’être humain ramené à son état d’animal marchant sur deux pattes. Il peut mesurer le dépérissement du corps humain car il sait bien, selon la formule du docteur Knock, que les gens bien portants ne sont que des malades qui s’ignorent et que ce qui empêche la guérison, c’est l’illusion de la santé.

Le livre était déjà dominé par l’affirmation de l’instinct de la vie mais se fait plus pertinent quand la médecine permet de confirmer son importance, c’est un réflexe du corps, la jouissance de la vie se poursuivant dans l’agonie. Il est marqué par une obsession du biologique : « principes biologiques simplistes » de Baryton – « aveu biologique » – « ignominies biologiques » pour opposer les servitudes physiologiques du corps à toute prétention spiritualiste – « révélations capitales au sens biologique » suggérées par le corps des Américaines – « la communion biologique » que les amies de Lola pourraient offrir à Bardamu.

Céline va jusqu’à évoquer l’intérieur du corps, « les tripes » (mot qu’on trouve quatorze fois dans le texte), les processus invisibles qu’enferme et cache l’enveloppe corporelle.

 

Le savoir médical vient enrichir son imagination concrète de la mort. Bardamu est alerté par des artères aux tempes qui « dessinaient des méandres » ou par des « yeux saillants et injectés » de quelqu’un que son foie « travaille ». Il craint le tréponème qui « à l’heure qu’il était leur limaillait déjà les artères », le « cancer qui nous monte déjà peut-être, méticuleux et saignotant du rectum » ou « la cellule au fond du rein [...] qui veut travailler bien pendant quarante-neuf heures, pas davantage, et puis qui laissera passer sa première albumine du retour à Dieu. »

Il combat la maladie, remédie aux aléas des amours clandestines (fausses couches et conséquences des avortements clandestins), se bute au scandale de la mort d’un enfant, fait face à différentes agonies : celle du vieux cancéreux, celle d’Henrouille, celle de Robinson. Sa compétence est peu sûre, la médecine étant encore « une science incertaine », les médecins, n’étant pas aussi spécialisés qu’aujourd’hui, devant souvent faire appel à leurs « instincts ».

Il est vrai que Bardamu n’est qu’un simple généraliste, mais il fréquente aussi l’Institut Bioduret qui est, en fait, une satire de l’Institut Pasteur, de la biologie pasteurienne représentée par Parapine. À l’égard des sciences, Céline est partagé entre son respect de l’esprit scientifique et son mépris du prétendu progrès qu’il engendrerait, la futilité de la recherche scientifique.

 

L’INTÉRÊT POUR LES PAUVRES : Ces différents aspects du siècle trouvent leur unité dans le point de vue commun d’où ils apparaissent, celui des victimes et des écrasés, « les miteux » (mot qui revient seize fois dans le roman), ce qui traduit un mélange d’exploitation, d’injustice et de malchance, les pauvres qui sont les premières victimes de la guerre. En dénonçant la puissance de la société sur les individus, le progrès du capitalisme, Céline montre l’absurdité du système pour le plus grand nombre de ceux qui croient en bénéficier : « Presque tous les désirs du pauvre sont punis de prison ». Il a donné une voix aux exclus de toute société, aux victimes de l’inégalité sociale. On peut donc croire qu’il prend la défense du peuple qui est timide, condamné à une vision naïve des choses, faute d’instruction et de l’habitude de penser par soi-même, toujours prêt à protester de son innocence, victime impuissante à travers l’indifférence de la société contemporaine.

Mais il est aussi sévère pour les exploités que pour les exploiteurs. Quand il parle de l’insensibilité, de l’égoïsme, de l’avidité, du plaisir de nuire, en un mot de « la vacherie » des êtres humains, de leur « lourdeur », il ne fait pas exception des pauvres et des exploités. Pire : il n’hésite pas à entrer dans le détail des formes particulières que prennent chez eux cette vacherie et cette lourdeur, à les trouver « haineux et dociles ». Dociles parce qu’ils sont obéissants, se laissent faire. Haineux parce qu’ils font tourner leur ressentiment en haine les uns contre les autres. Docilité et haine sont parfaitement intégrées par les Henrouille que leur souci d’économiser, d’avoir des comptes à jour fait trembler d’une peur généralisée, mais qui en viennent à faire tuer leur propre mère.

Cette dénonciation de l’époque, du système social, cette défense des pauvres, qui sont nées d’une expérience personnelle qui a été métamorphosée dans le roman, traduisent une pensée qui ne va pas sans une grande ambiguïté.

 

Intérêt psychologique

 

Le roman étant le discours du personnage-narrateur qu’est Bardamu, il est le seul personnage, les autres n’existent qu’à travers lui. C’est aussi la raison pour laquelle ils ne sont pas dépeints physiquement quoique leurs gestes et leurs propos soient d’une vérité étonnante. Mais Bardamu, comme les autres, surtout Robinson dont nous verrons qu’il est son double, présentent-ils un intérêt psychologique ?

Céline refuse toute analyse psychologique, méprise la psychologie moraliste qu’incarne La Bruyère et dont il n’est plus possible de se contenter de nos jours. Il se veut l’anti-Proust aussi parce qu’il trouve vain son attachement à une inépuisable psychologie de l’amour à l’encontre de laquelle il choisit de s’intéresser aux « rudes appétits, bêtes et précis » de ses personnages et à la manière dont ils arrivent à les satisfaire.

Cette importance primordiale accordée à la sexualité le rapproche de Freud et, en effet, pour lui, la psychanalyse a rendu la psychologie désuète ; il admire Freud, s’en déclare redevable car, selon lui, on ne saurait comprendre son roman sans référence au maître viennois auquel il renvoie quand il parle de ce qui monte des profondeurs, lorsqu’il fait dénoncer par Baryton, dans un dialogue où Bardamu apparaît au contraire comme leur défenseur, les « analyses superconscientes » dans lesquelles se complaisent ceux qui « s’ennuient dans le conscient ». Le roman porte la trace d’une attention aux phénomènes naguère sans lien les uns avec les autres, négligés ou censurés, que Freud a réunis en système et dont il a dégagé une signification.

Mais on ne peut retrouver dans ‘‘Voyage au bout de la nuit’’ tous les éléments de la théorie freudienne, d’autant moins que la connaissance que Céline en avait était assez restreinte. Il s’intéresse surtout chez Freud à ce que celui-ci a appelé la pulsion de mort, ces « instincts de la mort », à partir de névroses de guerre observées chez des combattants. C’est d’abord le désir de tuer et Freud, qui a écrit : « Dans nos désirs inconscients, nous supprimons journellement et à toute heure du jour tous ceux qui nous ont offensés ou lésés... C’est ainsi qu’à en juger par nos désirs et souhaits inconscients, nous ne sommes nous-mêmes qu’une bande d’assassins. », fit la même constatation que Céline : « Dans la vie courante, réfléchissons que cent individus au moins dans le cours d’une seule journée bien ordinaire désirent votre pauvre mort, par exemple tous ceux que vous gênez, pressés dans la queue derrière vous au métro, tous ceux encore qui passent devant votre appartement et qui n’en ont pas, tous ceux qui voudraient que vous ayez achevé de faire pipi pour en faire autant, enfin, vos enfants et bien d’autres. C’est incessant. On s’y fait. » : La pulsion de mort est encore le désir de se tuer qui animerait, selon Céline, les millions d’hommes qui se précipitent à la guerre.

Bardamu est devenu une des figures mythiques du XXe siècle, bien qu’il soit le type même du anti-héros, comme le définit son nom même : il est le porteur d’un barda qui est le poids même de la société, sous lequel il doit tout de même se mouvoir. Il est en butte à toutes les violences et ce qui le caractérise, c’est la peur qui est une véritable folie, une folie incurable, une maladie qui isole irrémédiablement ceux qui en sont atteints. Cette peur fondamentale est celle de la mort : Céline était, selon sa femme, Élisabeth Craig, la danseuse à laquelle il a dédicacé le livre, de ces gens pour qui les mécanismes protecteurs de la pensée de la mort ne fonctionnent pas et qui, contrairement à ceux qui « ne meurent qu’au dernier moment [...] s’y prennent vingt ans d’avance et parfois davantage. Ce sont les malheureux de la terre. ». Son imagination est nourrie de la certitude de l’aboutissement inéluctable et de l’indétermination des modalités : « Il faudra mourir [...] plus copieusement qu’un chien et on mettra mille minutes à crever et chaque minute sera neuve quand même et bordée d’assez d’angoisse pour vous faire oublier mille fois tout ce qu’on aurait pu avoir de plaisir à faire l’amour pendant mille ans auparavant. ».

 

On comprend que la guerre lui inspire la peur puisque la mort y est menaçante. Cette peur est fondée sur un attachement forcené à la vie : « J’avais tout le temps, en sourdine, la crainte d’être tué dans la guerre et la peur aussi de crever de faim dans la paix. »  - « Je ne pouvais m’empêcher d’être possédé par la crainte énorme qu’il se mette à m’assassiner là ». L’instinct de la vie et la hantise de la mort sont deux thèmes essentiels chez Céline.

Mais il apparaît ensuite que la peur est plus générale, plus profonde, c’est la peur de la foule, la peur viscérale des autres, qui apparaissent presque toujours comme des ennemis. Face aux êtres humains organisés, face à la société, Bardamu est constamment aux abois comme s’ils ne s’étaient groupés qu’afin de le condamner.

Cette peur des autres, il la ressent sur le bateau, devant cette société en réduction que forment les passagers dont il provoque l’agressivité par le phénomène bien connu de la victimisation devant ce tribunal symbolique que constituent les « quatre officiers subalternes »; dans la colonie; dans les villes qui rassemblent et écrasent les êtres : à New York, elle le paralyse, à Paris où Louis-Ferdinand a passé son enfance dans l’ambiance sombre et étouffante du passage Choiseul (le passage des Bérésinas comparé aux « beaux quartiers »).

Mais, étranger parmi les êtres humains, Bardamu ne pourrait-il pas, comme Jean-Jacques Rousseau, comme les romantiques, trouver un refuge dans la nature ? Non : elle aussi le cerne comme une puissance hostile, maladive et nocive. Il éprouve une véritable haine pour la campagne dont témoigne déjà son étonnement d’enfant. La forêt, en particulier, l’a toujours affolé : le Bois de Boulogne (« La nature est une chose effrayante »,la végétation exacerbée des tropiques. Il souffre de « cette crudité de verdure inouïe », de « la végétation bouffie des jardins », du « pays touffu au ras de l’eau là-bas, sorte de dessous de bras écrasé » ; il a peur de « l’infinie cathédrale de feuilles » de la forêt. La chaleur du jour, les moustiques, les termites, les tornades, font de la lutte pour la survivance une « guerre en douce ». Aussi sa conclusion est-elle nette : parlant de la nature, il déclare : « Je ne l’aimais décidément pas ».

Ainsi, le monde entier est un piège, l’agression contre l’être humain peut venir de toute part. Et cette peur, d’ailleurs chaque fois justifiée, autorise la lâcheté. 

Il ne s’agit pas pour Bardamu de se corriger de cette peur : il faut, au contraire, perdre l’ignorance dangereuse du début, se barder d’une méfiance générale et perpétuelle. Alors que le courage, c’est de l’inconscience, la peur est un moyen de connaissance. Elle est donc utile : elle permet à l’être humain de se découvrir, de s’étudier et, finalement, peut-être, de se dominer. La peur ressentie dans « la fourmilière américaine »  permet d’arriver à la conscience du « néant individuel », de vivre l’expérience existentielle fondamentale, au-delà de toute philosophie : voir les sarcasmes de Céline sur Sartre et son existentialisme de pacotille. La « certitude », la « tranquillité », qu’il semble envier aux Américains, il veut, en réalité, qu’elles soient atteintes, non en refusant de voir la peur, mais, au contraire, en la regardant en face, en l’exprimant : les instants d’inquiétude sont des instants de réflexion, de retour sur soi.

Le but du livre, c’est d’exposer cette peur, toute cette peur, de l’avouer pour la conjurer, pour l’exorciser. Ce que Céline n’a pas craint de faire lui-même en s’engageant dans une « direction d’inquiétude, il l’exige de tout le monde, dénonçant dans notre civilisation une tendance à la résignation qui lui apparaît comme le grand mal.

Chez un Bardamu déjà marqué par une grande ambivalence, la peur entraîne une dangereuse instabilité. L’ambivalence est indiquée dès le début par son paradoxal engagement, par son passage rapide (et non au terme d’une longue évolution, comme c’est le cas pour Candide) de la soumission défensive de l’homme du peuple à la révolte de l’affranchi anarchiste qui va dire, avant de « poser sa chique » et de « crever, jusqu’à quel point les hommes sont vaches ». En fait, il restera jusqu’au bout, jusqu’au moment où on pourrait croire que la vie n’a plus de secrets pour lui, un naïf découvrant le monde et compensant par un ton sentencieux la conscience de cette naïveté.

La peur explique la dangereuse instabilité qu’il se reconnaît, mais à laquelle il ne peut se soustraire : « Je me précipitai rempli de crainte et d’émotion vers d’autres aventures ». Est bientôt défini comme un besoin irrépressible d’infini, mais d’un infini sur lequel il ironise. Même Molly ne peut le retenir et, poussé invinciblement à ce départ, Bardamu se juge plus sévèrement encore qu’auparavant mais en vain. Il compare son agitation à l’immobilité de la mère Henrouille : c’est un vice, a-t-il dit, c’est maintenant « une sorte de maladie ». Mais le départ est cependant justifié. D’ailleurs, plus Bardamu a tendance à se fixer, plus le souci de l’évasion se fait pressant. Il s’agit d’échapper à l’angoisse à laquelle l’abbé Protiste, lui aussi, est désormais condamné, à la misère qui nous rattrape dès que nous nous arrêtons de marcher dans la nuit.

Le voyage, c’est aussi un symbole de la vie puisqu’il vient buter sur les morts : c’est la recherche de la vérité dans une enquête incessante auprès des êtres humains dans la nuit de l’ignorance où Bardamu a l’impression d’avoir maintenant dépassé les autres : la poursuite du bonheur toujours déçue et toujours recommencée et qui mène à la lassitude, le voyage se terminant avec l’abdication de l’imagination, l’affrontement avec la vie. On songe à Rimbaud dont Céline pouvait dire qu’il comprenait bien les raisons de son silence.

 

Bardamu souffre de ce que Paul Vandromme appelle « la grande maladie moderne : il ne tient pas en place. Il a la bougeotte parce qu’il fuit des fantasmes qui l’écrasent. Mais cette fuite qui le pousse ailleurs le ramène au point de départ : dans le labyrinthe de sa peur. Il ne  s’évade pas : il va au-devant de terreurs nouvelles. » L’espace dans lequel s’inscrivent les personnages est régulièrement remis en cause, non pas tant par condamnation de l’immobilité mais parce que se fixer, c’est donner aux autres la possibilité de vous connaître et donc, d’après Céline, de vous nuire. Là réside le principal mobile de la fuite en avant de ‘‘Voyage au bout de la nuit’’. Le tragique résulte de ce raisonnement : il faut bien être quelque part et ce quelque part est forcément source d’ennuis.

Ce dont, par contre, Bardamu n’a pas peur, c’est la femme. Il a le goût, l’admiration, la fascination, du corps féminin, il a « le vice des formes parfaites », pour lui, la beauté est une vérité qui ne ment pas. Il aime les belles filles et, plus spécialement, les danseuses qui, par leur corps svelte et haut, leurs jambes élancées atteignent la perfection esthétique féminine. Il allait régulièrement s’asseoir dans le cours de danse d’Élisabeth Craig pour admirer des jambes qu’à cette époque il était impossible de voir dans la rue. Dans le livre, on trouve toute une kyrielle de belles filles : Lola, Musyne, la fille de Mischief (« une beauté de chair en éclosion », les femmes de New York à propos desquelles il voit la Grèce qui recommence, les habitants de la Grèce antique étant considérés comme des modèles de beauté physique), Molly, Tania, Madelon, Sophie, chacune donnant à Bardamu, parfois à simplement la contempler, la force qu’il faut pour continuer à vivre. Chaque fois, son admiration va tout d’abord à la réussite d’une morphologie ou même d’une anatomie, plus encore, quand il peut en suivre le détail de la main : il « n’en a jamais assez de parcourir le corps de Lola » et, plus tard, celui de Sophie. Il affirme : « La véritable aristocratie humaine, on a beau dire, ce sont les jambes qui la confèrent, pas d’erreur. » Surtout, ces femmes, il apprécie de pouvoir s’unir à elles, de jouir par le plaisir sexuel, de donner et recevoir le plaisir. L’acte sexuel est le moment où, dans le corps, cette « pourriture en suspens », « la matière devient vie », c’est-à-dire le contraire d’elle-même. C’est bien « le plaisir à faire l’amour pendant mille ans auparavant » qu’il considère comme ce qui pourrait être le plus fort, mais ne l’est pas assez, contre la peur de la mort. Aussi ses hymnes à la gloire du corps féminin, son apologie du plaisir sexuel, ont-ils été jugés scandaleux par les bourgeois puritains, comme aujourd’hui par un certain féminisme qui n’est qu’un autre visage du puritanisme, par la pensée « politically correct ».

On a reproché à Céline de n’avoir de goût que pour la chair alors qu’il ne fut pas du tout un libertin, qu’il entretint de longues relations avec chaque fois une seule femme qui, vivant avec lui, en sembla très heureuse parce qu’elle avait elle-même le goût du plaisir physique. Au milieu du livre, c’est Molly, avec laquelle Bardamu devient intime « par le corps et par l’esprit », qui est le premier être humain qui « s’intéressait à moi, du dedans si j’ose dire, à mon égoïsme, se mettait à ma place à moi et pas seulement me jugeait de la sienne, comme tous les autres » ; mais, regrette-t-il, « il était trop tard pour me refaire une jeunesse. J’y croyais plus ! [...] Moi, j’étais parti dans une direction d’inquiétude [...] Je l’aimais bien, sûrement, mais j’aimais encore mieux mon vice, cette envie de m’enfuir de partout ». À la fin, c’est Sophie.

Ce goût du plaisir physique, beaucoup de femmes ne l’ont pas (nature ou culture ? culture chrétienne, puritaine), ou y cèdent et s’en sentent coupables (comme Madelon) et revendiquent l’amour courtois, platonique, l’amour sentimental, l’amour-passion que Bardamu, par contre, méprise. Il le définit comme « l’infini mis à la portée des caniches », il le montre en acte dans le dialogue entre Madelon et Robinson, qui la conduit à la jalousie et à la possessivité. L’amour-passion est attaqué de front dans la scène finale, nié par « toute la vie » et condamné à travers l’exigence de Madelon qui devient l’instrument de la Fatalité dont est victime Robinson, dont la destinée est encore plus indicatrice que celle de Bardamu.

Robinson : Nous avons montré le caractère étrange des rencontres entre Bardamu et Robinson qui fait pencher le roman vers le fantastique. Or nous constatons que Robinson est une sorte de Bardamu aux traits plus accusés, aux caractéristiques contradictoires et complémentaires. Il est plus animé que Bardamu du goût du voyage, il le précède en chaque endroit et peut d’abord lui donner des conseils. Il est plus impulsif. Il est plus insensible : face à son capitaine, il n’a aucune émotion devant sa souffrance, l’instinct de conservation réveillé a exagéré son égoïsme, tandis que Bardamu est devenu altruiste, médecin sensible à la douleur humaine, au scandale de la mort (en particulier, celle de Bébert). Il est plus amer, plus pessimiste, plus négatif, tandis qu’il y a chez Bardamu une lueur de positivité. Il est moins instruit que Bardamu, moins fier que lui, il accepte le déclasssement (son travail de balayeur de nuit). Il est plus inquiet, plus instable, il continue d’être traqué quand Bardamu ne l’est plus, il ne s’adapte à rien, il refuse la sécurité avec Madelon comme Bardamu avec Molly ; c’est lui qui se raccroche à Bardamu, empêtré par cette amitié encombrante. Mais il est aussi celui qui agit, qui commet des crimes pour se débrouiller, à qui sont donc attachés de mauvais souvenirs, tandis que Bardamu se contente d’être au courant et de laisser faire et voudrait pouvoir oublier. Surtout, il ose aller jusqu’au bout, jusqu’à la mort, parce qu’il s’est rempli d’une seule idée. Mais si Bardamu veut, lui aussi, faire de la vie une « entière idée [...] qui ferait tout marcher, les hommes et les choses depuis la Terre jusqu’au Ciel », cette idée en est une de courage, le courage qui a manqué à Robinson (qui n’est donc pas l’idéal de Bardamu).

 

En fait, Robinson ne voulait plus rien demander à la vie. Dans la seconde moitié du roman, il a joué pour Bardamu le rôle de sujet d’expérience chez qui se trouvent levées les inhibitions qui d’ordinaire retiennent les êtres humains ; il va plus loin que les autres dans « la vocation de meurtre » et dans la vocation analogue qui est celle du suicide puisque, à partir de son arrivée à Rancy, une recherche radicale le mène jusqu’au moment où il dit, dans le taxi, à Madelon, qu’il sait armée, les mots qu’il faut pour qu’elle le tue. À moins qu’il ne parle ainsi que parce qu’il prend du plaisir à l’irriter, qu’il a le goût du risque comme remède à l’ennui, ou par curiosité ou par indifférence. En définitive, il reste dans la nuit tandis que Bardamu atteint le « bout de la nuit », qui est aussi d’être débarrassé de Robinson, mauvais démon qui le hantait. La fin du livre est donc essentielle.

Vue sous cet angle, cette complicité est révélatrice : Bardamu a eu besoin de Robinson pour savoir jusqu’où va la misère, jusqu’où doit aller l’acceptation de la misère et du monde comme il est fait. Il lui a servi de guide, d’intercesseur, de bouc émissaire devenu trop pesant et qui doit se sacrifier pour que l’autre, libéré, puisse vivre enfin une vie sereine.

Avec ses deux personnages, Céline poursuit une double expérience de la vie et une double introspection. Ombre de Bardamu, sorte de Bardamu symbolique, Robinson ne peut pas ne pas apparaître comme son double, avec lequel il forme une seule et même personnalité. Les formules et les réflexions qui sont prêtées à l’un et à l’autre conviennent également à l’un et à l’autre, pourraient parfaitement passer de l’un à l’autre, mis à part quelques moments d’opposition superficielle.

 

 

Intérêt philosophique

 

Céline, même s’il s’est toujours défendu de vouloir passer un message dans ses oeuvres, prétendant n’écrire que pour gagner sa vie « parce que la médecine... », exprime en fait ses convictions sur un grand nombre de sujets. En témoignent toutes les maximes et tous les jugements de valeur que le livre contient. On peut distinguer une attitude politique, une pensée philosophique dont le pessimisme peut paraître total alors que des valeurs y échappent, en particulier un souci esthétique.

L’ambiguïté politique : ‘‘Voyage au bout de la nuit’’ est une formidable protestation qui tient à la diversité des facteurs d’écrasement contre lesquels elle s’élève. Il est possible d’y déceler des vues idéologiques, mais elles ne sont pas sans ambiguïté. Quelle est la position politique de Céline dans ce premier roman ?

Sa critique sociale vise tour à tour l’armée, les responsables de la colonisation, le pouvoir de l’argent, les patrons, la religion, jugée complice, en un mot l’ordre établi sous tous ses aspects. Serait-il anarchiste ?

Dès la première scène, Bardamu reprend le terme d’« anarchiste » dont Ganate vient de le qualifier par polémique (pour répondre à sa négation de l’amour). Chaque fois que le terme revient, il est mis dans la bouche d’adversaires, comme une injure. Car Céline n’est pas anarchiste, même si le roman a été bien accueilli par des journaux anarchistes comme ‘‘Le canard enchaîné’’ et ‘‘Le libertaire’’. Il rejette l’effort que font les anarchistes pour propager l’instruction dans laquelle il ne voit que le moyen donné aux gouvernants, par l’école puis par la presse, d’inculquer au peuple des idées de défense de la patrie contraire à ses intérêts. L’entrée en guerre de millions d’hommes en 1914 reste pour lui la pierre de touche de tout jugement.

 

Céline lance aussi des pointes contre le vote, mécanisme essentiel des démocraties représentatives, contre les moyens de protection sociale.

Si Céline n’est pas anarchiste, ‘‘Voyage au bout de la nuit’’ n’en est pas moins apparu comme un livre de gauche à une majorité de lecteurs en 1932. C’est qu’il dénonce, comme nous l’avons vu, la puissance de la société sur les individus, les inégalités sociales, le progrès du capitalisme, qu’il prend la défense des victimes et des écrasés, qu’il donne une voix aux exclus, qu’il montre beaucoup d’intérêt pour les pauvres.

Céline revendiqua, d’ailleurs, le mérite d’avoir écrit « le seul roman de communisme d’âme ». Il attendait du communisme une sorte de mise au point janséniste de la situation sociale. Et c’est ce souci d’exigence morale qui explique qu’il ait été aussi sévère pour les exploités que pour les exploiteurs. L’insensibilité, l’égoïsme, l’avidité, le plaisir de nuire, sont aussi le fait des pauvres et des exploités qu’il trouve « haineux et dociles ».

Céline n’est donc pas de gauche parce que toute position politique progressiste implique qu’on fasse confiance aux êtres humains et qu’on les croie capables de se transformer. Il ne croit pas à cette possibilité : il croit en une nature humaine immuable. D’ailleurs, à la parution du livre, les marxistes de stricte obédience sont restés sur leurs gardes car ils n’y trouvaient pas la moindre trace de leurs espérances révolutionnaires. Trotski l’a démystifié avec toute la rigueur de la dialectique marxiste : à ses yeux, puisque Céline rejette non seulement le réel mais aussi ce qui pourrait s’y substituer, il soutient « l’ordre social existant ». Gorki, dégoûté par ce qu’il voyait comme le nihilisme du désespoir, considéra Céline « mûr pour accepter le fascisme ». Paul Nizan a eu une lucidité prophétique : « Cette révolte pure peut le mener n’importe où : parmi nous, contre nous ou nulle part. » Or, si Céline s’est rendu en U.R.S.S., au retour il écrivit un pamphlet violemment anticommuniste, “Mea culpa” (1936).

Est-il alors de droite ? Non car, tandis que sa vision pessimiste de la nature humaine le sépare de la pensée de gauche, son refus radical de toute obéissance, de tout respect, de toute admiration, le sépare de la pensée de droite. Et celle-ci se caractérise encore, en particulier, par le racisme qui n’affleure dans “Voyage au bout de la nuit” que dans la qualification du jazz comme étant « une musique négro-judéo-saxonne ».

Cependant, Céline écrivit en 1937 un autre pamphlet “Bagatelles pour un massacre” qui révéla un antisémitisme névrotique. Avec “L’école des cadavres” (1938 ), autre pamphlet, il fit scandale par son pacifisme car, pour conjurer les menaces de la guerre, il réclamait l’alliance avec l’Allemagne. Après la défaite, dans “Les beaux draps”, dernier pamphlet, il affirma la justesse de ses prophéties, continua la dénonciation du long combat victorieux mené par la décadence contre l’instinct de l’espèce et en arriva à promouvoir la collaboration avec les Allemands. En 1944, il se replia avec eux à Sigmaringen puis alla se réfugier au Danemark où il fut emprisonné alors qu’en France il était condamné à mort par contumace. Il pourra y revenir en 1951 pour raconter son aventure allemande dans des livres au style de plus en plus haletant, et mourir en 1961.

En fait, politiquement, Céline reste ballotté entre gauche et droite. La même ambivalence se trouve sur le plan philosophique où il peut paraître d’un pessimisme intégral alors qu’il y a pourtant des valeurs auxquelles il croit.

 

La position philosophique : Les valeurs condamnées par Céline dans son roman sont si nombreuses qu’on peut se demander si son pessimisme n’est pas total.

 

Dénonciateur de l’injustice sociale mais aussi des universels égoïsme, malveillance, haine, homicide, renvoyant donc dos à dos les riches et les pauvres, les malades mais aussi les médecins (avant tout intéressés par les honoraires), Céline, on l’a vu, condamne, avant tout, la guerre et, surtout, le consentement à la guerre. Mais il se méfie aussi de la paix. Il rejette donc, apparemment, chaque chose et son contraire : il déteste la campagne mais aussi la ville et, en particulier, la métropole par excellence qu’est New York. Surtout, il méprise les valeurs sur lesquelles repose la société :

- la famille (sa mère résignée, les Henrouille) car même les familles « comme il faut » dissimulent d’effrayantes monstruosités.

- la patrie (le mépris pour « la race française », le discours patriotique étant disqualifié par sa simple citation (les tirades du professeur Bestombes, le discours de Princhard, par la condamnation de la guerre ;

- le travail (aliénation du peuple à Détroit, ou à Rancy.) ;

- la science discréditée par la satire de la biologie pasteurienne de Parapine : à l’égard des sciences, Céline est partagé entre son respect de l’esprit scientifique et son mépris du prétendu progrès qu’il engendre, la futilité de la recherche scientifique ;

- la philosophie et la littérature par la lecture d’une page de Montaigne ;

- la religion à travers l’abbé Protiste ;

- l’amour, défini comme « l’infini mis à la portée des caniches », est montré en acte dans le dialogue entre Madelon et Robinson, attaqué de front dans la scène finale : cet amour-passion est nié par « toute la vie » ;

- la bonté : celle d’Alcide émerveille Bardamu (« Que d’amour humain caché ! »), mais elle est achetée au prix d’une terrible cruauté.

Cependant, Bardamu ne se contente pas de déverser son fiel : en posant la grande question du mal dans l’être humain, Céline entend faire de son roman une interrogation sur la condition humaine. Le périple est aussi un voyage symbolique de la jeunesse et de l’illusion vers la connaissance désabusée et la mort : « La vie c’est ça, un bout de lumière qui finit dans la nuit. Et puis peut-être qu’on ne saurait jamais, qu’on ne trouverait rien. C’est ça, la mort. »

La vie lui apparaît dominée par les manifestations de l’instinct de mort, la pensée de la mort donnant à l’œuvre son unité et sa nécessité. Il constate l’omniprésence du besoin de tuer et d’être tué. Son obsession de la mort s’exprime dans des formules sans réplique, des maximes : « La vérité, c’est une agonie qui n’en finit pas. La vérité de ce monde, c’est la mort. », ce qui n’est pas chez lui une complaisance nihiliste mais la dénonciation d’un véritable scandale, patent surtout dans le cas de la mort d’un enfant, comme Bébert. La mort étant la grande réalité à laquelle toute chose se mesure et étant à tout instant d’ores et déjà présente, elle provoque la peur, l’angoisse, le sentiment tragique de la vie, mais aussi la nécessité d’une révolte et d’un combat. Céline est un homme aux aguets pour qui la vie est un complot dans lequel il ne faut pas se laisser absorber.

Il rompt ainsi avec tous ceux qui affirment leur foi en l’être humain, leur foi en la raison, leur foi en Dieu (l’espoir dans la vie future représenté par l’abbé Protiste, est ridiculisé). Il s’en prend à une vision optimiste, selon lui lénifiante et aliénante, de la vie et de l’être humain ; il s’y oppose à coups d’aphorismes et d’affirmations : « L’homme est nu, dépouillé de tout, même de sa foi en lui. C’est ça, mon livre. » (interview en 1932).

 

Son pessimisme est celui de quelqu’un qui refuse toute illusion, qui ne croit à rien de ce qui élève, qui ramène tout au ras du sol, qui n’arrive pas non plus à suffisamment dépaser les déceptions de son expérience pour miser sur l’être humain. Il est fait de ce sentiment de l’absurdité de l’existence qui touche tous ses personnages capables de quelque réflexion, c’est-à-dire d’inquiétude. La vie est absurde puisqu’elle ne débouche que sur la mort, qu’il n’y a de recours dans aucune valeur, et surtout pas en un au-delà qui est exclu.

Voilà qui fait de Céline un penseur proche des existentialistes, proche de Sartre, même s’il le méprise. Bardamu ressent, comme Roquentin, le héros de ‘‘La nausée’’, cette « déroute d’exister et de vivre » et Baryton aussi constate « tout le ridicule piteux de notre puérile et tragique nature ». Sartre a d’ailleurs placé en épigraphe une phrase de ‘‘L’Église’’, pièce que Céline publia en 1933 mais qu’il avait écrite avant ‘‘Voyage au bout de la nuit’’ dont elle constituait comme un brouillon : « C’est un garçon sans importance collective, c’est tout juste un individu. »). Le Meursault de ‘‘L’étranger’’, est, lui aussi, un frère cadet de Bardamu.

Pour l’existentialisme, qui refuse toute essence, l’être humain n’est que ce qu’il fait : ainsi Bonté, Amour, Méchanceté, vertus et vices n’existent pas en eux-mêmes ; c’est l’attitude entière d’un être humain qui seule pourrait permettre de le juger. Et l’existentialisme athée ne voit pas de recours dans la transcendance. Céline semble bien, lui aussi, interdire à l’être humain toute échappatoire, il examine et condamne les différents recours contre la condition tragique de l’être humain dont les Occidentaux ont longtemps pu profiter.

Pourtant, il en voit.

 

Un pessimisme qui n’est pas total : En fait, le pessimisme de Céline n’est pas du nihilisme mais un besoin d’écarter tous les faux-fuyants qui éviteraient un affrontement direct avec le tragique de la condition humaine.

D’abord, il faut dire que, s’il montre le désespoir, celui-ci est dépassé parce qu’il est nommé : « Nommer le désespoir, c’est le dépasser » (Camus). Ce qui s’est imposé tout de suite à Bardamu, c’est la nécessité de porter un témoignage, de faire un aveu, de tout dire, et l’exigence de cette mission est répétée tout au long du roman, même si : « On est retourné chacun dans sa guerre. Et puis il s’est passé des choses et encore des choses, qu’il n’est pas facile de raconter à présent, à cause que ceux d’aujourd’hui ne les comprendraient déjà plus. »

Ensuite, il faut constater que ce désespoir est atténué par le rire, par l’humour qui est « la politesse du désespoir » (Boris Vian). Il n’est pas de situation si insupportable ou si extrême  qui, chez Céline, ne fournisse malgré tout matière à rire, soit qu’elle soit en effet comique, soit que le comique soit créé par la manière dont il en parle.

Ce rire peut faire croire que Céline est méchant. Mais ne peut-on dire que cette méchanceté, qui camoufle mal les blessures que la vie lui a faites, est, en réalité, une bonté, qui a pour but de faire surgir la pitié : la seule chance de contraindre les humains à se prendre en pitié, c’est de leur inspirer l’horreur de ce qu’ils sont devenus. Pour Trotski, « l’intensité de son pessimisme comporte en soi son antidote ».

D’ailleurs, à ce voyage dans la nuit, il y a un bout. Il est atteint à travers l’agonie de Robinson face à laquelle Ferdinand regrette bien de ne pas avoir « ce qui ferait un homme plus grand que sa simple vie, l’amour de la vie des autres », ce qui rendrait l’être humain « grand comme la mort », « la grande idée humaine ». Ce seul regret de la fraternité, de la philanthropie, de l’amour réellement évangélique, suffit pour justifier Bardamu qui fait d’ailleurs preuve de compassion : « Je l’embrassai. Il n’y a plus que ça qu’on puisse faire sans se tromper dans ces cas-là », l’aide à mourir. Il s’exalte ensuite dans la vision d’un idéal : il souhaite avoir « une superbe pensée tout à fait plus forte que la mort », qui ferait que « la vie ne serait plus rien elle-même qu’une entière idée de courage qui ferait tout marcher, les hommes et les choses depuis la Terre jusqu’au Ciel. De l’amour on en aurait tellement , par la même occasion, par-dessus le marché, que la Mort en resterait enfermée dedans avec la tendresse et si bien dans son intérieur, si chaude qu’elle en jouirait enfin la garce, qu’elle en finirait par s’amuser d’amour aussi elle, avec tout le monde. C’est ça qui serait beau ! ». Ces dernières pages du livre sont d’un profond humanisme, aider à mourir étant pour Céline la tâche humaine par excellence.

D’autre part, Céline est constamment animé par le goût de la beauté : il évoque la Grèce devant la beauté des Américaines. Pour lui, la beauté est une vérité, une pureté intangible, elle ne ment pas, elle n’abuse pas notre entendement, elle ne spécule pas sur notre imagination. Si cette admiration correspond à une préoccupation sexuelle, elle est aussi un besoin mystique : c’est pourquoi il la qualifie d’« érotico-mystique ».

Et ce goût de la beauté conduit à l’art, en particulier la danse et, en particulier, la danse qu’est son propre art littéraire.

Contre l’abandon et la dérive, on peut faire l’effort de lutter par un mouvement de défi à la pesanteur, discipliné et harmonieux, la danse, qui est, pour Céline, le triomphe de la vie sur la matière : il s’agit de trouver assez de musique en soi pour « faire danser la vie ». Les Américains, à défaut de danser et de trouver la musique en eux, jouent au gramophone « cette espèce de musique où ils essaient de quitter eux aussi leur lourde accoutumance et la peine écrasante de faire tous les jours la même chose et avec laquelle ils se dandinent avec la vie qui n’a pas de sens, un peu, pendant que ça joue ».

Enfin, Céline ne se contente pas de porter un témoignage, de faire preuve d’humour. On l’a vu : s’il utilise la langue populaire, c’est pour créer un style et que, pour lui, « un style, c’est une émotion d’abord, avant tout, par dessus tout. »

Céline n’est donc pas le pessimiste radical qu’on veut voir en lui !

 

Destinée de l’œuvre

 

Céline avait promis, en apportant ‘‘Voyage au bout de la nuit’’ à l’éditeur, Denoël, « du pain pour un siècle entier de littérature ». Le succès fut immédiat. Un talent neuf se levait à l’horizon littéraire. D’emblée, Céline s’imposa comme l’un des écrivains majeurs de son temps.

Il ne laissa pas indifférent : encensé ou détesté, il déchaîna les passions et provoqua une polémique. La gauche, sensible à la véhémence subversive du livre, applaudit à ce gros pavé jeté dans la mare conformiste, éclaboussant les plastrons. Elle se reconnaissait dans le diagnostic de ce médecin de « la zone » qui avait, mieux que personne, enregistré la détresse du siècle grâce à une écriture dont la franchise, la violence, la verdeur rompaient avec des siècles de beau langage pour retrouver le français parlé. Elle voyait un des siens en cet anarchiste qui piétinait les plates-bandes, balayait les habitudes, lacérait les préjugés, détonait virilement dans le chœur asexué des académies. Il fut salué par Louis Aragon et Paul Nizan. Georges Bataille, le futur auteur de ‘‘La littérature et le mal’’, écrivit, dans ‘‘La critique sociale’’ de janvier 1933 : « Ce qui isole ce livre et lui donne sa signification humaine, c’est l’échange de vie pratiqué avec ceux que la misère rejette hors de l’humanité, échange de vie et de mort, de mort et de déchéance : une certaine déchéance étant à la base de la fraternité quand la fraternité consiste à renoncer à trop de revendications et à une conscience trop personnelle, afin de faire siennes les revendications et la conscience de la misère, c’est-à-dire de l’existence du plus grand nombre. » Claude Lévi-Strauss, à l’âge de vingt-cinq ans, dans ‘‘L’étudiant socialiste’’, a dit de ‘‘Voyage au bout de la nuit’’ qu’il offre « Ies pages les plus véridiques, les plus profondes et les plus implacables qui aient jamais été inspirées à un homme qui refuse d’accepter la guerre. » Dans un autre registre, l’historien de l’art Élie Faure osa une métaphore extrême : « Voici la grandeur de ce livre. Il est pur. Jésus en croix était malpropre, souillé de sang, de déjections, de pus, et qui fût passé par là se fût détourné de sa route pour vomir son dégoût. Mais ceux qui ont tenu dans leurs bras son cadavre visqueux en restent lavés pour des siècles. »

À droite, il fut applaudi aussi par Léon Daudet et Georges Bernanos. Mais Mauriac y vit « un livre asphyxiant dont il ne faut conseiller la lecture à personne ». Quant à Paul Valéry, il laissa tomber : « Livre de génie mais criminel ».

Pourtant, le livre n’obtint pas le prix Goncourt et dut se contenter du Renaudot. Ce non-couronnement a été un scandale : un roman superbement naturaliste à la Zola et désespérément subjectif à la Huysmans boudé par les légataires d’Edmond ! Parmi les Dix, Lucien Descaves, qui avait voté en incorruptible pour le “Voyage” avec Jean Ajalbert et Léon Daudet révélait le pot aux roses : « Je sais les moyens dont certains disposent pour imposer leur choix. Je sais la presse qui est vendue et ceux qui sont à vendre ; je n’y peux rien. » Dans cette querelle s’entredéchirèrent jurés et journalistes : le psychodrame littéraire avait trouvé cette année-là son chef-d’œuvre fondateur.

 

Pour Raymond Queneau, ‘‘Voyage au bout de la nuit’’ « a tout de même été un bouquin sensationnel […] le premier livre important où l’usage du français parlé ne soit pas limité au dialogue, mais aussi au narré ; le premier livre d’importance où pour la première fois le style oral marche à fond de train (et avec peu de goncourtise) de la première à la dernière page [...] Ici, enfin, on a le français parIé moderne, tel qu’il est, tel qu’il existe. »

Aujourd’hui, ‘‘Voyage au bout de la nuit’’ est considéré comme l’un des plus grands romans du XXe siècle.

En 2001, le bibliophile Pierre Berès qui possédait le manuscrit le vendit à la Bibliothèque nationale de France pour deux millions d’euros.

En 2003, Denis Podalydés en a enregistré l’intégralité, soit près de dix-sept heures de lecture, ce qui en faisait le plus long livre sonore de l’Histoire. Mais, au-delà de la performance, il a su donner vie à Bardamu et, surtout, restituer toute l’intensité du rythme célinien.

Ce roman, qui, dans l’épisode new-yorkais, contient quelques formidables pages sur le cinéma, est un des serpents de mer du septième art. Pourtant, dès 1933, une option fut donnée à Abel Gance. Céline, de son côté, se démena : il contacta un réalisateur allemand, Carl Junghans, puis demanda à sa maîtresse américaine, Elizabeth Craig, de sonder Hollywood. En vain. Peu avant sa mort, en 1960, un espoir, à nouveau, se dessina. Un scénario fut écrit pour Claude Autant-Lara. Mais celui-ci « se dégonfle pour des motifs pas très concluants », écrivit Céline à Roger Nimier, qui, chez Gallimard, était en quête d’un producteur. Il proposa Louis Malle, qui ne donna pas suite. Audiard, qui avait connu Céline, dont il était un disciple fervent, reprit le flambeau en 1964. Bardamu aurait été joué par Belmondo, qui amena Jean-Luc Godard dans le projet. Audiard envisageait un film de quatre heures. Belmondo déclara forfait : « C’est le seul film que je regrette de ne pas avoir fait. C’est mon livre de chevet. »

Aujourd’hui, le livre est en cours d’adaptation par François Dupeyron, cinéaste intéressé par la Première Guerre mondiale (dans ‘‘La chambre des officiers’’). Pour l’heure, il a achevé une première version du scénario, mais refuse de s’exprimer : « Tant que je n’aurai pas terminé ce "Voyage", je n’existe pas. » Il sait aussi que d’autres, auparavant, ont renoncé avant la ligne d’arrivée.