Prologue

 

 

Ah ! on remet le « Voyage » en route. Ça me fait un effet.

Il s’est passé beaucoup de choses depuis quatorze ans…

Si j’étais pas tellement contraint, obligé pour gagner ma vie, je vous le dis tout de suite, je supprimerais tout. Je laisserais pas passer plus une ligne.

Tout est mal pris. J’ai trop fait naître de malfaisances.

Regardez un peu le nombre des morts, des haines autour… ces perfidies… le genre de cloaque que ça donne… ces monstres…

Ah, il faut être aveugle et sourd !

Vous me direz : mais c’est pas le « Voyage » ! Vos crimes là que vous en crevez, c’est rien à faire ! c’est votre malédiction vous-même ! votre « Bagatelles » ! vos ignominies pataquès ! votre scélératesse imageuse, boutonneuse ! La justice vous arquinque ? garrotte ? Eh foutre, que plaignez ? Zigoto !

Ah mille grâces ! mille grâces ! Je m’enfure ! fuerie ! pantèle ! bomine ! Tartufes ! Salsifis ! Vous n’errerez pas ! C’est pour le « Voyage » qu’on me cherche ! Sous la hache, je l’hurle ! c’est le compte entre moi et « Eux » ! au tout profond… pas racontable… On est en pétard de Mystique ! Quelle histoire !

Si j’étais pas tellement contraint, obligé pour gagner ma vie, je vous le dis tout de suite, je supprimerais tout.

J’ai fait un hommage aux chacals !… Je veux !…

Aimable !… Le don d’avance… « Denier à Dieu » !… Je me suis débarrassé de la Chance… dès 36… aux bourrelles ! Procures ! Roblots !… Un, deux, trois livres admirables à m’égorger ! Et que je geigne ! J’ai fait le don ! J’ai été charitable, voilà !

Le monde des intentions m’amuse… m’amusait… il ne m’amuse plus.

Si j’étais pas tellement astreint, contraint, je supprimerais tout… surtout le « Voyage »… Le seul livre vraiment méchant de tous mes livres c’est le « Voyage »… Je me comprends… Le fonds sensible…

Tout va reprendre ! Ce Sarabbath ! Vous entendrez siffler d’en haut, de loin, de lieux sans noms : des mots, des ordres…

Vous verrez un peu ces manèges !… Vous médirez..

Ah, n’allez pas croire que je joue ! Je ne joue plus, je suis même plus aimable.

Si j’étais pas là tout astreint, comme debout, le dos contre quelque chose… je supprimerais tout.

 

Louis-Ferdinand Céline

Prologue à une réédition du Voyage au bout de la nuit