À l’occasion, ce C.V. attire une réponse, et pendant un court instant, j’ai le moral qui remonte. Je reçois une lettre ou un coup de téléphone, en général un coup de téléphone, et un rendez-vous est fixé. Le plus souvent c’est quelque part dans le nord-est, mais une fois c’était dans le Wisconsin et une autre dans le Kentucky. Où que ce soit, vous prenez vous-même en charge vos frais de transport. Vous voulez aller à ce rendez-vous.
Vous vous douchez minutieusement, vous vous habillez avec soin, vous essayez de trouver le bon équilibre entre assurance et cordialité naturelle. Vous ne voulez pas paraître imbu de vous-même, mais vous ne voulez pas être un flagorneur non plus. La rencontre a lieu et vous bavardez et discutez. Il se peut même que vous visitiez l’usine avec la personne qui vous a fait passer l’entretien, que vous lui montriez comme vous connaissez bien les machines, la ligne, le travail. Puis vous rentrez chez vous, et vous n’avez plus jamais aucune nouvelle.
De temps à autre, il pouvait y avoir un petit sujet dans Pulp ou The Paperman, quand une papeterie annonçait l’embauche d’untel pour tel ou tel poste de cadre supérieur, avec l’habituelle photo du veinard qui sourit d’un air suffisant. Et je lisais l’article, et je me rendais compte que c’était un poste pour lequel j’avais passé un entretien, et je ne pouvais pas m’en empêcher, il fallait que je scrute, que j’étudie le visage de ce type, ses yeux, son sourire, la cravate qu’il portait. Pourquoi lui ? Pourquoi pas moi ?
Parfois, c’était la photo d’une femme ou d’un Noir, et j’en concluais que c’était un coup pour les quotas ; ils avaient fait une embauche politique et non commerciale, et d’une drôle de façon, cela me rassérénait. Car alors, ce n’était pas mon échec. Si c’était une femme ou un Noir qu’ils voulaient, et s’ils ne faisaient que donner le change pour la forme avec les gens comme moi, je n’y pouvais rien, n’est-ce pas ? Donc, pas de culpabilité.
Mais d’autres fois, j’éprouvais de la culpabilité. Pourquoi lui, pourquoi ce type au sourire mou, ce type aux oreilles énormes, ce type à la coupe de cheveux ringarde ? Qu’avait-il dit ou fait ? Qu’y avait-il dans son C.V. qui n’était pas dans le mien ?
Ce fut le déclic pour moi, ce fut la première question. Qu’ont-ils dans leurs C.V. ? Quel atout de plus ? C’est ça qui m’a amené à passer ma petite annonce.