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Lew Ringer s’est suicidé ! Qui l’eût cru ?

Nous sommes maintenant lundi, quatre jours après ma terrible expérience chez les Ricks, Marjorie et moi regardons le journal de dix-huit heures, et ceci vient d’être annoncé. Lew Ringer s’est pendu dans son garage, pendant la nuit. Lew Ringer est mort.

La police dit qu’avec ça, l’affaire est quasiment close. Ils étaient presque certains que Lew Ringer était leur homme, dès le départ, mais ils n’avaient pas assez de preuves matérielles solides pour lui mettre le crime sur le dos, et en l’absence de ces preuves matérielles solides, ils n’avaient pas eu d’autre choix que de laisser Ringer repartir samedi après-midi, quand son avocat l’avait exigé.

La principale pièce à conviction qu’ils n’avaient toujours pas était l’arme utilisée par Ringer. C’était un neuf millimètres, ils savaient déjà ça, mais ils n’avaient pas encore retrouvé ni le pistolet ni le marchand à qui Ringer avait dû l’acheter. La thèse des autorités, maintenant, était qu’il se l’était procuré depuis déjà un moment, sans doute dans un État du Sud, en se servant d’une fausse identité, et qu’il l’avait jeté après avoir commis le double meurtre, dans une rivière ou un lac des environs.

Toujours est-il qu’en l’absence de l’arme ou de toute autre pièce rattachant Ringer au crime, et avec le foin qu’avait fait son avocat, la police avait dû finalement le relâcher samedi, mais il avait fait l’objet d’une étroite surveillance, notamment la présence d’une voiture de police garée vingt-quatre heures sur vingt-quatre devant sa maison. (Cela en partie aussi pour tenir à distance les foules de curieux.)

Une maison vide, comme on allait le découvrir. Lorsque Ringer y arriva samedi après-midi, sa femme était déjà partie dans la matinée, après avoir annoncé aux médias dans une larmoyante conférence de presse vendredi soir qu’elle rentrait chez ses parents dans l’Ohio, où elle entamerait une procédure de divorce.

La théorie de la police était qu’avec le départ de sa femme, June Ricks qui se retournait nettement contre lui (elle avait dit à plusieurs journalistes qu’elle pensait que Ringer avait tué ses parents par amour pour elle, et qu’il l’aimait véritablement mais qu’il était allé trop loin), la police qui remontait sa piste avec une telle vigueur, et la connaissance effroyable des crimes qu’il avait commis, il n’avait tout simplement plus été en mesure d’affronter le monde, et c’est pourquoi il s’était pendu, auparavant dans son garage, à la place qu’occupait la nuit dernière la voiture de sa femme.

Quand je regarde ce sujet aux infos, que j’observe les visages, que j’écoute les mots, j’ai l’impression que personne ne regrette la mort de Ringer. Tout le monde est content que ça se soit fini de cette façon, je suppose, parce que ça fait moins de travail pour tout le monde et moins de doute dans l’esprit de tout un chacun. Il était accusé d’avoir tué Mr et Mrs Ricks, les parents de sa dulcinée, et il s’est suicidé. CQFD.

Ces quatre derniers jours, j’ai continué de ne rien faire, de ne pas même penser à quoi que ce soit. L’abattement et le découragement me tiennent et m’étouffent. Je suis allé si loin, et pourtant je n’arrive tout bonnement pas à faire un pas de plus. Je suis vidé de mon élan.

Mais il y a quelque chose dans le suicide de Ringer qui produit un changement en moi, je le sens. Quelque chose dans l’allégresse et le soulagement de toutes les personnes associées à cette affaire, du porte-parole de la police à la journaliste blonde, de la maligne et sournoise Junie au présentateur télé à son bureau. L’affaire Ricks est terminée, et tout le monde est content. Plus d’enquête, pas de recherche de l’arme, pas de quête de témoins, pas d’autre mobile à envisager. Au bout du compte, je ne les ai pas tués !

Après les nouvelles, pendant que Marjorie va dans la cuisine préparer le dîner, je retourne à mon bureau pour la première fois depuis jeudi. Je m’assieds à ma table, j’ouvre le classeur, je sors la chemise avec les C.V. restants. Je les étudie, et il m’apparaît que la meilleure chose que j’aie à faire, maintenant, est d’éloigner mon activité le plus possible, géographiquement parlant, des deux premiers incidents.

Le voici, dans le centre-nord de l’État de New York. C’est bien, encore un État différent, même si je ne peux pas faire cela à chaque fois.

Lichgate se trouve, d’après mon atlas routier, au nord d’Utica, à probablement cinq cents kilomètres d’ici. Ce qui la met à quatre cent kilomètres d’Arcadia, un trajet trop long à faire tous les jours, en revanche un déménagement serait chose facile. L’homme demeure une menace.

Je pourrais y aller jeudi matin. Cinq ou six heures de route. Passer la nuit là-bas. Voir si l’occasion se présente.