23

Ils nous attendent quand nous rentrons enfin à la maison. Les policiers. Je m’étais dit qu’ils seraient là.

Il est trois heures de l’après-midi, maintenant, la journée est fichue. C’était impossible de trouver un avocat ce matin, un dimanche matin, alors finalement, vers les dix heures, j’ai appelé la police d’État pour leur demander où était le tribunal, et ils m’ont donné une adresse et un numéro de téléphone, j’ai appelé le tribunal, et parlé à une femme qui était déterminée à n’être rien d’autre qu’efficace, à ne pas laisser affleurer le moindre vestige d’individualité ou de personnalité. J’imagine que ça peut être une bonne stratégie, quand on assure l’accueil téléphonique du tribunal pour gagner sa vie.

Je n’arrêtais pas d’expliquer mon problème à cette femme, et elle n’arrêtait pas de ne me donner absolument aucune aide, aucun conseil, rien, et puis tout d’un coup elle m’a demandé si, par hasard, moi ou l’accusé remplissions les conditions requises pour avoir droit à un avocat commis d’office.

Ça ne m’était même pas venu à l’idée. De pareilles choses n’arrivent pas aux gens comme moi. J’ai dit : « Je suis sans emploi depuis deux ans. Je suis en fin de droits. Je n’ai pas de revenus.

— Vous auriez dû le dire avant », a-t-elle dit en faisant la désagréable.

Je ne me suis pas donné la peine de lui répondre que je n’avais pas l’habitude de mettre mon échec en avant, et elle m’a indiqué un autre numéro où appeler.

Ce que j’ai fait, et cette fois-ci, la personne que j’ai eue au bout du fil avait l’air d’être une adolescente et l’était peut-être. Je lui ai raconté la situation, expliqué que le tribunal m’avait donné ce numéro, elle a noté beaucoup de renseignements – ou du moins m’a demandé beaucoup de renseignements – et a dit que quelqu’un m’appellerait bientôt.

Ensuite une heure s’est écoulée, pendant laquelle il ne s’est rien passé. Billy était censé être traduit en justice dans la matinée. Drôle d’expression. Traduit en justice. On dirait une torture. C’est une torture. Mais ils ne procéderaient à la torture qu’une fois Billy représenté par un avocat, donc tant que je n’en aurais pas trouvé, il resterait dans cette cellule jaune clair, ou peut-être ailleurs, dans une cellule encore pire.

Alors au bout d’une heure j’ai rappelé le dernier numéro, et cette fois l’adolescente m’a fait calmement remarquer qu’il était difficile de trouver un avocat le dimanche, et j’ai dit que je le savais, et elle a dit que quelqu’un m’appellerait. Ainsi rembarré, j’ai raccroché.

À douze heures quinze, le téléphone a sonné. À ce stade, Marjorie et moi étions dans tous nos états, ne sachant pas quoi faire d’autre, qui appeler d’autre, comment nous faire aider, comment mettre en route tout ce processus. Nous faisions tous les deux les cent pas dans la maison, comme des lions affamés. Mais alors le téléphone a sonné, à douze heures quinze, et c’était un homme assez âgé, à la voix pâteuse. Je me suis dit qu’il avait sans doute bu.

« J’ai parlé au juge, a-t-il dit. Avez-vous une caution à offrir pour la liberté conditionnelle ?

— La maison, ai-je répondu.

— Apportez le titre de propriété ou le prêt, ou ce que vous arriverez à trouver comme papiers. Je me rends bien compte que c’est difficile, un dimanche.

— Je trouverai quelque chose, ai-je promis.

— Je vous verrai au tribunal. Je m’appelle Porculey. J’aurai un costume lie-de-vin. »

Un costume lie-de-vin ? Il parle d’une voix pâteuse comme s’il avait bu, il portera un costume lie-de-vin, et ça va être ça, l’avocat de mon fils.

D’un autre côté, il avait déjà parlé au juge, et il était clair d’après ce qu’il avait dit que la libération sous caution serait décidée, donc ça c’était bien.

Il y a dans mon classeur un dossier marqué « maison », et je l’ai carrément emporté tout entier, avec le certificat de naissance de Billy et nos passeports à Marjorie et moi comme pièces d’identité. Je ne voulais pas qu’il me manque un seul papier.

Lorsque la machine s’est enfin mise en route, tout s’est déroulé très rapidement. D’abord nous avons rencontré Porculey, qui s’est révélé beaucoup plus âgé que ne le l’indiquait sa voix au téléphone, au moins soixante-dix ans, et que j’ai soupçonné, à ses paupières lourdes et ses joues pendantes, d’avoir fait une ou plusieurs attaques, ce qui expliquait sa voix pâteuse. Il est vrai qu’il portait un costume lie-de-vin, une chose horrible, à rayures, néanmoins, bien que ce fût une épave, c’était l’épave d’un avocat qui avait été bon. Et ce qu’il en restait suffisait pour sortir Billy d’ici, le sortir de leurs griffes, le ramener à la maison avec sa mère et son père, là où est sa place.

C’était quasiment comme d’assister à un office d’une autre religion que la vôtre. Vous regardez les autres fidèles, vous faites comme eux, vous suivez le rituel du mieux que vous le pouvez, sans rien y comprendre, mais en gardant toujours présent à l’esprit qu’eux, ils le prennent au sérieux. Qu’ils y croient, eux.

Bizarrement, Billy avait l’air plus en forme qu’hier soir, lorsque nous l’avons enfin vu, dans la salle d’audience ensoleillée, aux bancs et à l’autel d’érable blond. Je sais qu’ils n’appellent pas ça l’autel, l’endroit où le juge et ses bedeaux accomplissent leurs sacrements, mais c’est ce que c’est.

Au début, Billy n’était pas là. Porculey nous a menés à un banc vers l’avant de la salle pour attendre, puis il est sorti, par une porte latérale, avec tous nos papiers, faire je ne sais quoi. Au bout d’un moment, il est revenu dans la salle d’audience, nous a adressé un hochement de tête rassurant, et s’est assis devant, à la table de l’avocat, avec quelques autres personnes aussi peu séduisantes que lui-même.

Puis on a fait entrer Billy, pas rasé, chiffonné, épuisé, mais l’air moins détruit, moins angoissé. Je l’ai regardé pendant qu’on l’emmenait à sa place, à l’avant, je l’ai vu essayer de fouiller la salle des yeux sans tourner la tête, je l’ai vu nous voir, et je lui ai souri pour l’encourager, et il m’a rendu un petit sourire effrayé.

Le rituel se déroulait principalement en anglais, mais ne semblait pas avoir beaucoup de signification littérale. C’était entièrement dans le code de cette église. Porculey et Billy se sont tenus un bref instant devant le juge, comme si on devait les marier. Le juge, un homme chauve et mécontent, qui paraissait avoir la tête trop lourde pour la tenir droite, a écouté, parlé, regardé des papiers et passé des papiers au bedeau du petit bureau à sa droite.

Ensuite on nous a fait avancer, Marjorie et moi, et Marjorie a un peu pleuré, Billy aussi, ce qui a fait plaisir au juge qui a décidé d’une remise aux parents pour Billy, en faisant pour de vrai le truc du coup de marteau sur le bloc de bois. Religieux jusqu’au trognon.

Bien sûr, nous n’en avions pas encore fini. À un bureau sur le côté de la salle, j’ai dû signer un tas de formulaires, et à un moment donné j’ai dû lever la main et prêter serment, je ne sais pas trop pourquoi.

Billy n’était plus avec nous à ce stade, mais Porculey était resté à nos côtés. Il avait l’air de connaître la plupart des employés du tribunal, y compris le juge. Je dirais que tous l’aimaient bien et qu’ils étaient contents de le voir, mais qu’ils ne le prenaient pas au sérieux. Et je dirais qu’il le savait mais qu’il s’en fichait, du moment qu’il pouvait continuer à participer au jeu.

J’imagine qu’il vit vraiment pour les dimanches, où les avocats sont durs à trouver.

Quand enfin ils en ont eu fini avec nous, Porculey a serré la main de Marjorie puis la mienne, nous a dit quel couloir prendre pour récupérer notre fils – « Vous devrez leur montrer ce papier » – et a promis de nous tenir au courant de la date de comparution. Ensuite il s’en est allé, portant une mallette marron très neuve, que je le voyais bien avoir reçue en cadeau d’un petit-fils tout fier à Noël dernier, et nous avons descendu le couloir jusqu’à un homme au regard froid, en uniforme marron, qui a regardé notre bout de papier avec mépris, s’en est allé, puis est revenu quelque temps plus tard pour nous remettre notre fils avec mépris.

Dans la voiture Billy se taisait, penaud, honteux et craintif. Nous avons fait à peu près la moitié du trajet de retour, tous les trois silencieux, et j’ai alors dit : « Billy, ça ne m’étonnerait pas que la police vienne, très bientôt, avec un mandat de perquisition. »

Il était à l’arrière, Marjorie à l’avant à côté de moi. Son regard surpris s’est concentré sur mon reflet dans le rétroviseur. « Un mandat de perquisition ? Pourquoi ?

— Ils aimeraient pouvoir élucider tous ces autres cambriolages, ai-je dit. Ils aimeraient trouver quelque chose qui montre que tu es déjà entré dans ce magasin par effraction. »

Maintenant il avait l’air d’avoir vraiment peur. Il s’est tapé la tête avec le poing, et il a dit : « Papa, Papa, je… Écoute…

— Ça va », lui ai-je répondu. Je ne veux pas excuser, et je ne veux pas encourager, mais il fallait qu’il sache au moins ça. « Tout va bien », lui ai-je dit.

« Papa, non, écoute… »

Il ne comprenait toujours pas, alors Marjorie s’est retournée sur le siège passager et lui a dit : « Billy, c’est arrangé. Ton père a arrangé les choses. »

Alors il a pigé ; le regard qu’il m’a adressé était mortifié et honteux, et il a dit : « Je suis désolé, je suis vraiment désolé. C’était tellement stupide, je ne referai plus jamais une chose pareille, je le jure.

— Bien sûr que tu ne le referas pas, a dit Marjorie. Ça arrive à tout le monde de faire une erreur, Billy, ce n’est pas grave. Ça ne se reproduira pas.

— Je sais que vous n’avez pas les moyens », a-t-il dit. Il s’est tu et a détourné le regard, par la vitre. Il se remettait à pleurer.

Eh bien, c’est vrai. Tout cela n’est pas dans mes moyens. L’avocat va bien nous coûter quelque chose. Toute cette histoire va coûter de l’argent que nous n’avons pas. Et du temps. Du temps que je n’ai pas non plus. Mais quand on doit faire quelque chose, on le fait.

« Nous allons nous en sortir et c’est tout, Billy, ai-je dit, et après ce sera fini et oublié. »

Il a hoché la tête mais il n’a pas essayé de parler, et il a continué de regarder par la fenêtre les quartiers qui défilaient, et un peu plus tard nous avons tourné dans notre allée, et la fourgonnette de police était là, devant la maison. Quand ils nous ont vus, cinq policiers en uniforme en sont descendus. Des flics de la police locale, en bleu.

*

Eh bien, il n’y a rien à trouver. J’ai fait beaucoup de ménage la nuit dernière, encore plus que ne le sait Marjorie. Quand nous sommes rentrés de ce lointain centre commercial, elle m’a aidé à sortir le bloc d’étagères du placard de Billy – vide comme ça là-dedans, c’était trop suggestif – et nous l’avons trimballé jusqu’au garage, où j’y ai empilé quelques pots de peinture et vieux chiffons, de sorte qu’il a l’air d’être là depuis des années. Ensuite, pendant que Marjorie passait à la salle de bains avant de retourner se coucher, j’ai sorti le Luger du tiroir du bas de mon classeur et je l’ai mis sous la banquette arrière de la Voyager ; plus exactement à l’intérieur de la banquette. Sous Billy, pendant notre trajet de retour.

Et maintenant nous attendons, dans notre salon, pendant que les policiers taciturnes fouillent notre maison. Il n’y a rien à trouver. Ils peuvent même fourrer leurs pattes dans la chemise de C.V. qui est dans mon bureau, s’ils veulent. Qu’est-ce que ça pourrait leur apprendre ? Rien.

Assis là à attendre, je recommence à penser à cette histoire de compression de personnel, à la façon dont cela affecte les familles, à la suffisance et à l’aveuglement dont j’avais fait preuve en pensant que ça n’affecterait pas ma famille à moi. D’abord Marjorie, maintenant Billy ; cela fait dérailler nos vies.

Betsy n’est pas avec nous et maintenant, pour la première fois, je dois penser à elle, également. Elle a l’air si bien, si normale, l’air d’accepter notre changement de vie, de ne pas en être affectée ; est-ce le cas, cependant ?

Bien sûr, nous lui avons dit ce matin ce qui était arrivé à Billy, et elle voulait rester avec nous, venir avec nous au tribunal, mais je n’ai pas voulu. Je ne voulais pas qu’elle garde ce genre de souvenir de Billy, pour le restant de ses jours.

Betsy fait son premier cycle dans une fac qui est à une soixantaine de kilomètres d’ici. Elle devrait y aller en voiture, mais nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir une seconde voiture, alors une autre étudiante, une fille qu’elle connaît depuis l’école primaire, l’emmène tous les jours. Il était prévu qu’elle aille à une réunion d’un groupe de théâtre cet après-midi. Elle voulait se décommander, mais Marjorie et moi avons insisté pour qu’elle y aille, et je suis content que nous l’ayons fait. Elle n’a pas à être ici, à regarder les policiers fourrer leurs pattes dans ses affaires, chercher des marchandises volées.

Tout d’un coup je me rappelle Edwards Ricks, mon C.V. du Massachusetts. Je me rappelle comment sa fille, Junie, s’était mise à fréquenter un homme beaucoup plus âgé, professeur à sa faculté, et comment cela avait provoqué le quiproquo qui m’avait contraint à tuer aussi sa mère. À cette époque je me sentais tellement supérieur à ces gens-là, avec leur fille qui était tout le contraire de ma fille à moi. J’avais simplement supposé que Junie était une traînée ordinaire, sournoise et faiseuse d’embrouilles.

Maintenant je me demande. Junie était-elle une victime, elle aussi ? Si Papa n’avait pas perdu son boulot, Junie se serait-elle mise à fréquenter cet autre type, cet inacceptable substitut paternel ? Comment s’appelait-il… Ringer.

Ringer avait-il été, lui aussi, victime des compressions de personnel ?

Comme cela se propage. Et maintenant les policiers, sans un mot, s’en vont. Qu’ils pourrissent en enfer.