Après une nuit de sommeil agité, Sherman atteignit Pierce & Pierce à 8 heures. Il était épuisé, et la journée n’avait pas encore commencé. La salle des obligations avait l’apparence d’une hallucination. La lumière aveuglante du côté du port… les silhouettes courbées… Les chiffres vert radium qui couraient sur les visages d’un nombre infini d’écrans d’ordinateur… les jeunes Maîtres de l’Univers, si complètement ignorants, aboyant après leurs beignets électroniques :
— Je paye deux !
— Ouais, d’accord, et pour la date d’émission, hein ?
— Deux ticks en dessous !
— De la merde, oui ! On n’peut pas éteindre un fusible !
Même Rawlie, ce pauvre écervelé de Rawlie, était debout, son téléphone collé à l’oreille, les lèvres remuant à cinq cents à l’heure, pianotant à toute vitesse sur son bureau avec un crayon. Le jeune Arguello, seigneur des pampas, était vautré dans son fauteuil, les cuisses croisées, le téléphone rivé à l’oreille, ses bretelles moirées lançant des éclairs et un grand sourire aplati sur sa petite gueule de gigolo. Il avait réussi un coup d’éclat la veille au Japon avec les bons du Trésor. Toute la salle des obligations ne parlait que de ça. Sourire, sourire, sourire, la tête de gomina paressait après son triomphe.
Sherman mourait d’envie d’aller au Yale Club prendre un bain de vapeur et s’allonger sur une de ces tables couvertes de cuir pour un massage à la dure, avant de dormir enfin.
Sur son bureau il y avait un message, marqué urgent, lui disant d’appeler Bernard à Paris.
Quatre terminaux d’ordinateur plus loin, Félix cirait la chaussure droite d’un jeune type dégingandé et antipathique nommé Ahlstrom, sorti de Wharton il y avait à peine deux ans. Ahlstrom était au téléphone. Ta gueule, ta gueule, ta gueule, hein, M. Ahlstrom ? Félix – le City Light. Il allait être près de son stand à cette heure. Il voulait le voir, et il mourait de peur de le voir.
À peine conscient de ce qu’il faisait, Sherman se colla le téléphone à l’oreille et appela le numéro de Trader T à Paris. Il se pencha au-dessus de son bureau et se cala sur ses deux coudes. Dès que Félix en aurait fini avec le jeune et bouillant Ahlstrom, il l’appellerait. Une partie seulement de son cerveau écoutait quand le beignet français, Bernard Lévy, dit :
— Sherman, après notre conversation d’hier, j’en ai parlé avec New York, et tout le monde est d’accord. Inutile d’attendre.
Dieu merci !
— Mais, continua Bernard, on ne peut pas aller à quatre-vingt-seize !
— Comment ?
Il entendait des phrases primordiales… et pourtant il ne parvenait pas à se concentrer… Les journaux du matin, le Times, le Post, le Daily News, qu’il avait lus dans le taxi qui l’amenait en bas de la ville, contenaient des reliquats de l’histoire du City Light, plus quelques déclarations de ce noir, le Révérend Bacon. De féroces dénonciations de l’hôpital où le garçon était toujours dans le coma. Pendant un moment, Sherman avait repris du poil de la bête. Ils collaient tout sur le dos de l’hôpital ! Puis il s’était rendu compte qu’il s’illusionnait. Ils allaient fondre sur… C’était elle qui conduisait. S’ils les coinçaient, en fin de compte, si tout le reste échouait c’était quand même elle qui conduisait. Il s’accrochait à cela.
— Non, 96 est hors de question, disait Bernard, mais nous sommes prêts à 93.
— Quatre-vingt-treize !
Sherman se redressa sur son fauteuil. Ce ne pouvait être vrai. Certainement, dans les secondes qui suivaient, Bernard allait lui dire que sa langue avait fourché. Il avait dit 95 au pire. Sherman avait payé 94. Six cent millions d’obligations à 94 ! À 93, Pierce & Pierce allait perdre 6 millions de $ !
— Tu n’as pas dit 93, n’est-ce pas ?
— 93, Sherman. Nous pensons que c’est un prix très honnête. De toute façon, c’est l’offre.
— Jésus tout-puissant… Il faut que je réfléchisse une seconde. Écoute, je te rappelle. Tu seras là ?
— Bien sûr.
— Très bien. Je te rappelle tout de suite.
Il raccrocha et se frotta les yeux. Dieu ! Il doit y avoir un moyen de se sortir de là. Il s’était laissé rouler par Bernard la veille ! Fatal ! Bernard avait détecté la panique dans sa voix et avait fait marche arrière. Reprends-toi ! Rassemble tes forces ! Trouve une issue ! Tu n’as aucun moyen de laisser les choses s’effondrer après tout ça ! Rappelle-le et sois toi-même, le meilleur de Pierce & Pierce ! – Maître de… Il se mit à trembler. Plus il essayait de se reprendre, plus il devenait nerveux. Il regarda sa montre. Il regarda Félix. Félix venait de quitter les chaussures du jeune loup, Ahlstrom. Il lui fit signe de venir. Il sortit sa pince à billets de sa poche de pantalon, se rassit, la cacha entre ses genoux, en sortit un billet de 5 $ et le glissa dans une enveloppe du courrier interne, puis se releva au moment où Félix s’approchait.
— Félix, il y a 5 $ là-dedans. Descends m’acheter le City Light, s’il te plaît ? Et garde la monnaie.
Félix le regarda avec un sourire bizarre et dit :
— Ouais, okay, mais vous savez, la dernière fois ils m’ont fait poireauter au kiosque, et l’ascenseur ne vient pas, et je perds des heures. Hé, y’a cinquante étages jusqu’en bas. Ça me coûte plein de temps.
Il ne bougea pas.
C’était outrageant ! Il osait affirmer que 5 $ pour aller acheter un journal à 35 cents diminuait sa marge de profit en tant que cireur de chaussures ! Il avait le culot de lui tenir tête – Ahhhhhhh… C’était trop. Une sorte de radar de la vie des rues lui dit que s’il cachait le journal dans une enveloppe, alors c’était de la contrebande. C’était de la fraude. C’était du désespoir, et les gens désespérés payent toujours le maximum.
À peine capable de contenir sa fureur, Sherman remit la main à la poche et en sortit une autre coupure de 5 $ qu’il tendit au noir, qui la prit, lui lança un regard fastidieux et fatigué et s’en alla avec l’enveloppe.
Il rappela Paris.
— Bernard ?
— Oui ?
— Sherman. Je travaille toujours dessus. Donne-moi quinze ou vingt minutes de plus.
Un silence. Puis :
— Très bien.
Sherman raccrocha et regarda vers l’immense fenêtre. Les silhouettes remuaient et dansaient selon des figures insensées. S’il était désireux de monter à 95… En un rien de temps le noir était de retour. Il lui tendit l’enveloppe sans un mot ni aucune expression pénétrable.
L’enveloppe était épaisse à cause du journal plié dedans. C’était comme s’il y avait quelque chose de vivant à l’intérieur. Il la mit sous son bureau et elle commença à grincer des dents et à s’agiter en tous sens !
S’il engageait une partie de son profit dedans… Il commença à jeter ses calculs sur une feuille de papier. Rien que de les voir – aucun sens ! Rattachés à rien ! Il pouvait entendre sa propre respiration. Il ramassa l’enveloppe et se dirigea vers les toilettes pour hommes.
Dans le cabinet, les pantalons de son costume à 2 000 $ de Savile Row honorant le siège nu des toilettes, ses nouvelles chaussures de chez New & Lingwood ramenées tout contre le socle de la cuvette, Sherman ouvrit l’enveloppe et en retira le journal. Chaque froissement du papier l’accusait. La une… LE SCANDALE DES ÉLECTEURS FANTÔMES DE CHINATOWN… aucun intérêt, aucun… Il ouvrit… Page 2… Page 3… la photo d’un propriétaire de restaurant chinois… C’était en bas de page :
LISTING SECRET DANS
LE DÉLIT DE FUITE DU BRONX
Au-dessus du titre, en plus petites lettres blanches sur fond noir : Une nouvelle bombe dans l’affaire Lamb. Sous le titre, dans une autre barre noire, cela disait : Une exclusivité du City Light. L’histoire était du même Peter Fallow :
Déclarant : « J’en ai marre des traîne-savates », une source dans la Division des Véhicules automobiles a fourni au City Light un listing d’ordinateur réduisant à 124 le nombre de véhicules pouvant être impliqués dans l’affaire du délit de fuite de la semaine dernière qui a sévèrement blessé le jeune et honorable étudiant Henry Lamb.
Notre source, qui a travaillé avec la police dans le passé sur des affaires similaires, affirme : « Ils peuvent vérifier 124 voitures en quelques jours. Mais d’abord il faut qu’ils veuillent faire transpirer les bonshommes ! Quand la victime sort des Cités ils n’y tiennent pas toujours. »
Lamb, qui vit avec sa mère, veuve, dans la Cité Edgar Allan Poe, un projet de réhabilitation urbaine du Bronx, est toujours dans ce qui semble un coma irréversible. Avant de perdre conscience il a pu donner à sa mère la première lettre – R – et cinq possibilités pour la seconde lettre – E, F, B, R, P – de la plaque d’immatriculation de la luxueuse mercedes Benz qui lui a roulé dessus sur Bruckner Boulevard avant de disparaître à toute vitesse.
La Police et le Bureau du Procureur du Bronx avaient objecté qu’il y a plus de 500 mercedes Benz enregistrées dans l’État de New York avec des plaques commençant par ces lettres, trop pour justifier une vérification véhicule par véhicule dans une affaire où le seul témoin connu, Lamb lui-même, peut ne jamais reprendre conscience.
Mais notre source répond : « Bien sûr il y a 500 possibilités, mais seulement 124 qui tiennent. Bruckner Boulevard, où ce jeune homme a été renversé, n’est pas exactement un lieu pour touristes. Il paraît raisonnable que le véhicule appartienne à quelqu’un habitant New York ou Westchester. Si on se base sur cette hypothèse – et j’ai vu les flics le faire dans d’autres affaires – cela réduit le nombre à 124. »
Cette révélation a suscité une nouvelle exigence du leader noir, le Révérend Reginald Bacon, pour une véritable enquête sur cet accident.
« Si la Police et le procureur général ne la font pas, nous la ferons nous-mêmes, dit-il. Le pouvoir en place laisse détruire la vie de ce brillant jeune homme et ne fait que bayer aux corneilles. Mais nous n’allons pas en rester là. Nous avons ce listing maintenant et nous allons rechercher ces voitures nous-mêmes s’il le faut. »
Le cœur de Sherman bondit dans sa poitrine.
Le voisinage immédiat de Lamb dans le Bronx a été décrit comme « en armes » et « bouillant de colère » sur la manière dont ont été traitées ses blessures et la réticence visible des autorités à bouger dans cette affaire.
Un porte-parole de l’Administration de la Santé et des Hôpitaux affirme qu’une « enquête interne est en cours ». La Police et le Bureau du procureur Abe Weiss disent que leur enquête « se poursuit ». Ils refusent de commenter cette réduction du nombre de véhicules, mais un porte-parole du Département des Véhicules Motorisés, Ruth Berkowitz, a déclaré : « La révélation sans autorisation d’informations sur la propriété dans une affaire aussi délicate que celle-ci crée un précédent grave et inadmissible dans la police départementale. »
C’était tout. Sherman était assis sur les toilettes, fixant le bloc de caractères. L’étau se resserre ! Mais la police n’avait pas l’air de trop y prêter attention… Oui, mais suppose que ce… ce Bacon… et une bande de noirs fous de rage, en armes, commencent à vérifier les voitures eux-mêmes… Il essaya de se brosser ce tableau… Trop grossier pour son imagination… Il regarda la porte gris-beige du cabinet… La porte d’entrée des toilettes pour hommes venait de s’ouvrir. Puis une porte s’ouvrit à quelques cabinets de lui. Lentement Sherman referma le journal, le replia et le glissa dans l’enveloppe du courrier interne. Toujours aussi lentement il se releva. Toujours aussi calmement il ouvrit la porte du cabinet. Et toujours aussi furtivement, il traversa les toilettes pour hommes, tandis que son cœur courait en avant de lui.
Une fois revenu dans la salle des obligations, il décrocha son téléphone. Faut appeler Bernard. Faut appeler Maria. Les appels personnels passés de la salle des obligations de Pierce & Pierce faisaient beaucoup froncer les sourcils. Il appela son appartement sur la Cinquième Avenue. Une femme avec un accent espagnol répondit que Mme Ruskin n’était pas à la maison. Il appela la cachette, s’appliquant sérieusement pour composer le numéro. Pas de réponse. Il s’appuya sur le dossier de sa chaise. Ses yeux faisaient le point sur le lointain… La lumière, les silhouettes qui s’agitaient, le rugissement…
Le bruit de quelqu’un claquant des doigts au-dessus de sa tête… Il leva le nez. C’était Rawlie, claquant ses doigts.
— Réveille-toi. Il est interdit de penser ici…
— J’étais juste…
Il n’eut pas à terminer, parce que Rawlie était déjà parti.
Il se pencha sur son bureau et regarda les chiffres vert radium qui cavalaient à travers l’écran.
Juste comme ça, il décida d’aller voir Freddy Button.
Que dirait-il à Muriel, l’assistante de vente ? Il lui dirait qu’il allait voir Mel Troutman chez Polsek & Fragner au sujet de l’émission des Medicart Fleet… Voilà ce qu’il lui dirait… Et cela le rendit malade. Une des maximes du Lion était : « Un mensonge peut tromper quelqu’un, mais il vous dit la vérité : vous êtes faible. »
Il se ne rappelait pas le numéro de téléphone de Freddy Button. Il y avait très longtemps qu’il ne l’avait pas appelé. Il regarda dans son carnet d’adresses.
— C’est Sherman McCoy. J’aimerais parler à M. Button.
— Je suis désolée, M. McCoy, il est avec un client. Peut-il vous rappeler ?
Sherman hésita :
— Dites-lui que c’est urgent.
La secrétaire hésita :
— Ne quittez pas.
Sherman était courbé sur son bureau. Il regardait à ses pieds… l’enveloppe avec le journal… Non ! Suppose qu’elle appelle Freddy par un interphone et qu’un autre avocat, quelqu’un qui connaissait son père, l’entende dire… « Sherman McCoy, très urgent »…
— Excusez-moi ! Attendez une seconde ! Peu importe… vous êtes là ? Allô ?
Il criait dans le téléphone. Elle n’était pas en ligne.
Il regarda l’enveloppe. Il gribouilla quelques chiffres et lettres sur un morceau de papier pour avoir l’air occupé et en pleine affaire. Quelques secondes plus tard il entendit la voix toujours suave et toujours nasale de Freddy Button.
— Sherman ? Comment ça va ? Qu’est-ce qu’il y a ?
En sortant, Sherman dit son mensonge à Muriel et se sentit minable, sordide et faible.
Comme beaucoup d’autres vieilles familles protestantes bien établies à Manhattan, les McCoy s’étaient toujours assurés que seuls d’autres protestants gèrent leurs affaires privées et leurs corps. De nos jours, cela devenait difficile. Dentistes et conseillers fiscaux protestants étaient des créatures rares, et les médecins protestants n’étaient pas faciles à trouver.
Il y avait pourtant encore plein d’avocats protestants, au moins à Wall Street, et Sherman était devenu client de Freddy Button de la même façon qu’il avait adhéré aux Knickerbocker Greys, le corps de jeunes cadets, étant enfant. Son père avait tout arrangé. Quand Sherman était senior à Yale, le Lion avait pensé qu’il était temps pour lui de faire un testament, car cela faisait partie de ce qu’on devait faire, par prudence, en grandissant. Donc il l’avait envoyé chez Freddy, qui était alors un jeune et nouvel associé chez Dunning Sponget. Sherman n’avait jamais eu à se soucier de savoir si Freddy était un bon avocat ou pas. Il était allé à lui par souci d’ordre : pour les testaments, quand il avait épousé Judy et quand Campbell était née, pour des contrats quand il avait acheté l’appartement sur Park Avenue et la maison à Southampton. L’achat de l’appartement avait fait réfléchir Sherman à deux fois. Freddy savait qu’il avait emprunté 1,8 million de $ pour l’acheter, et c’était plus que ce qu’il voulait que son père (techniquement associé de Freddy) sache. Freddy avait gardé le secret. Mais dans une affaire aussi obscène que celle-ci, avec les hurlements des journaux, existait-il une raison – une procédure quelconque – une habitude de la firme – quelque chose qui ferait que l’affaire circule entre les autres associés – pour parvenir jusqu’au Lion lui-même ?
Dunning Sponget & Leach occupaient quatre étages d’un gratte-ciel sur Wall Street, à trois blocs de Pierce & Pierce. Lorsqu’il avait été construit, c’était la dernière mode du Modern’ Style des années 20, mais maintenant il avait la mélancolie encrassée typique de Wall Street. Les bureaux de Dunning Sponget ressemblaient à ceux de Pierce & Pierce. Dans les deux cas, des intérieurs modernes avaient été alternés avec des lambris anglais XVIIIe et emplis de meubles anglais XVIIIe. Toutefois, Sherman n’y prêtait aucune attention. Pour lui, tout ce qui était Dunning Sponget était aussi vénérable que son père.
À son grand soulagement, la réceptionniste ne le reconnut pas, même de nom. Bien sûr, maintenant, le Lion n’était plus qu’un des vieux associés ridés qui infestaient les couloirs quelques heures par jour. Sherman venait de prendre un fauteuil quand la secrétaire de Freddy Button, Mlle Zilitsky, arriva. C’était une de ces femmes qui paraissent la cinquantaine et loyales. Elle le conduisit à travers un hall silencieux.
Freddy, grand, élégant, charmant, une cigarette aux lèvres, se tenait à la porte de son bureau pour l’accueillir.
— Sal-lut, Sherman !
Un panache de fumée de cigarette, un sourire magnifique, une chaleureuse poignée de main, un charmant étalage du simple plaisir de voir Sherman McCoy.
— Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu… Comment vas-tu ? Prends un siège. Tu veux du café ? Mlle Zilitsky !
— Non, merci. Pas pour moi.
— Comment va Judy ?
— Bien.
— Et Campbell ?
Il se souvenait toujours du nom de Campbell, ce que Sherman appréciait, même en l’état présent.
— Oh, elle est en pleine forme.
— Elle est à Taliaferro maintenant, non ?
— Oui. Comment sais-tu ? Mon père t’en a parlé ?
— Non. C’est Sally, ma fille. Elle est sortie de Taliaferro il y a deux ans. Elle a absolument adoré. Imbattable, cette école. Elle est à Brown, maintenant.
— Et elle aime Brown ?
Dieu Tout-Puissant ! pourquoi est-ce que je me soucie de cela ?
Mais il savait pourquoi. Le charme de Freddy, charme épais, rapide et anodin vous submergeait toujours. Terrassé, vous disiez ce genre de banalités.
C’était une erreur, Freddy partit immédiatement dans une anecdote sur Brown et sur les pensions mixtes. Sherman n’écoutait même pas. Pour accentuer un point, Freddy levait ses longues mains en l’air dans une attitude languide et efféminée. Il parlait toujours de familles, sa famille, votre famille, les familles des autres, et il était homosexuel. Aucun doute à ce sujet. Freddy avait environ cinquante ans, un mètre quatre-vingt-cinq ou plus, mince, bizarrement fichu, mais élégamment habillé dans le style « drap anglais ». Ses cheveux blonds et mous, ternis aujourd’hui d’une marée de gris, étaient ramenés en arrière à la mode des années 30. Avec nonchalance, il s’installa dans son fauteuil, de l’autre côté du bureau, face à Sherman, tout en parlant, et en fumant. Il aspira une longue bouffée de sa cigarette et laissa la fumée sortir en courbes et en volutes de sa bouche puis l’attira vers ses narines en deux grosses colonnes. À une époque, on appelait cela fumer « à la française », et Freddy Button, le dernier des Grands Fumeurs, connaissait très bien, lui. Il savait faire des ronds de fumée. Il inhalait « à la française » et soufflait de larges ronds de fumée puis projetait de rapides petits ronds à travers les grands. De temps en temps, il tenait sa cigarette, non pas entre l’index et le majeur, mais entre le pouce et l’index, droite, comme une chandelle. Pourquoi les homosexuels fumaient-ils tant ? Peut-être parce qu’ils avaient tendance à s’autodétruire. Mais le mot s’autodétruire était la limite (comme de la cinquième dimension) de la familiarité de Sherman avec la pensée psychanalytique, et donc son regard commença à dériver dans la pièce. Le bureau de Freddy était agencé, au sens où Judy parlait d’agencer un appartement. Il ressemblait à quelque chose sorti d’un de ces abominables magazines… velours bordeaux, cuir sang-de-bœuf, bois robuste, cuivre et bibelots en argent… Tout d’un coup, Freddy et son charme et son goût étaient suprêmement ennuyeux.
Freddy devait avoir perçu son irritation, car il interrompit brusquement son histoire et dit :
— Eh bien… tu disais qu’il t’était arrivé quelque chose avec ta voiture ?
— Malheureusement, tu peux même le lire, Freddy, dit Sherman.
Sherman ouvrit son attaché-case et en sortit l’enveloppe de Pierce & Pierce, puis en retira l’exemplaire du City Light, le plia en page trois et le tendit au-dessus du bureau.
— C’est en bas de la page 3.
Freddy prit le journal de la main gauche et, de la droite, il mit sa cigarette dans un cendrier Lalique avec une tête de lion sculptée sur la tranche. Il alla chercher un carré de soie blanc qui dépassait négligemment de la pochette de sa veste et sortit une paire de lunettes cerclées de corne. Puis il étala le journal et mit les lunettes en place de ses deux mains. De sa poche intérieure il sortit un étui à cigarettes ivoire et argent, l’ouvrit et prit une cigarette de sous une barrette d’argent. Il la tapa sur le couvercle de son étui, l’alluma avec un mince briquet d’argent massif, puis prit le journal et commença à lire ; ou à lire et à fumer. Les yeux toujours fixés sur le journal, il amena la cigarette à ses lèvres en position de chandelle, entre son pouce et son index, prit une profonde bouffée, tourna les doigts et – bingo ! – la cigarette réapparut soudain entre les phalanges de son index et de son majeur. Sherman était fasciné. Comment avait-il fait ? Puis il se sentit furieux. Il fait l’acrobate tabagique – au beau milieu de mon drame !
Freddy finit l’article et posa la cigarette dans le cendrier Lalique avec grand soin, puis il prit ses lunettes et les replia dans le carré de soie brillant avant de reprendre sa cigarette et d’en tirer une autre longue bouffée.
Sherman, crachant ses mots :
— C’est l’histoire de ma voiture que tu viens de lire !
La colère dans sa voix surprit Freddy. Avec moult précautions, comme sur la pointe des pieds, il dit :
— Tu as une mercedes avec une plaque qui commence par R ? R quelque chose ?
— Exactement, siffla Sherman entre ses dents.
Freddy, déboussolé :
— Eh bien… pourquoi ne me racontes-tu pas ce qui s’est passé ?
Jusqu’à ce que Freddy prononce ces mots, Sherman ne s’était pas rendu compte qu’il… en mourait d’envie ! Il mourait d’envie de se confesser – à quelqu’un ! N’importe qui ! Même à ce Turnvereiner1 à la nicotine, ce bellâtre homosexuel qui était l’un des associés de son père ! Il n’avait jamais vu Freddy avec autant de clarté. Il pouvait le voir. Freddy était le genre de baguette magique à laquelle la Branche Wall Street de Dunning Sponget envoyait se raccrocher toutes les veuves et les éplorés, comme lui, qui étaient censés avoir plus d’argent que de problèmes. Pourtant, il était le seul confesseur disponible.
— J’ai une amie, Maria Ruskin, dit-il. C’est la femme d’Arthur Ruskin, qui a gagné beaucoup d’argent en faisant Dieu sait quoi.
— J’ai entendu parler de lui, acquiesça Freddy.
— J’ai… – Sherman s’arrêta. Il ne savait pas trop bien comment présenter la chose. – J’ai beaucoup vu Mme Ruskin.
Il serra les lèvres et fixa Freddy. Le message inaudible était le suivant : Oui, précisément, c’est l’habituelle affaire de lit sordide.
Freddy hocha la tête.
Sherman hésita à nouveau, puis plongea dans les détails du trajet en voiture dans le Bronx. Il étudiait le visage de Freddy, guettant des signes de désapprobation ou – pire ! – de joie ! Il ne détectait rien d’autre qu’une sympathie soucieuse ponctuée de ronds de fumée. Sherman ne lui en voulait plus, pourtant. Un tel soulagement ! Le vil poison s’écoulait au-dehors ! Mon confesseur !
Tout en racontant son histoire il éprouva quelque chose d’autre : une joie irrationnelle. Il était le personnage principal d’une excitante histoire. Tout du long, il se sentit fier – fierté stupide ! – d’avoir combattu dans la jungle et d’avoir triomphé. Il était sur scène. Il était la star ! L’expression de Freddy était passée de l’intérêt bienveillant… à une vraie transe !
— Et voilà où j’en suis, dit finalement Sherman. Je ne sais pas quoi faire. J’aimerais être allé voir directement la police quand c’est arrivé.
Freddy se recula dans son fauteuil, regarda vers le lointain, tira une bouffée de sa cigarette puis tourna la tête et lança à Sherman un sourire rassurant.
— Eh bien, d’après tout ce que tu m’as raconté, tu n’es pas responsable de la blessure infligée à ce jeune homme…
Tout en parlant, de la fumée sortait de sa bouche en nuages diffus. Sherman n’avait pas vu quelqu’un faire ça depuis des années.
— Tu peux avoir certaines obligations, en tant que propriétaire de la voiture, notamment de déclarer l’accident, et il y aura peut-être ce problème d’avoir quitté les lieux. Il faudrait que je relise le code pénal. Je suppose qu’ils pourraient développer une inculpation de coups et blessures, pour avoir lancé le pneu, mais je ne crois pas que ça tiendrait, puisque tu avais parfaitement raison de penser que ta vie était en danger. En fait, ce sont des circontances beaucoup moins inhabituelles que tu le penses. Tu connais Clinton Danforth ?
— Non.
— C’est le président de Danco. Je l’ai représenté contre le triple A2. En fait, je crois que la véritable entité c’était l’Automobile Club de New York. Lui et sa femme – tu n’as jamais vu Clinton ?
Vu ?
— Non…
— Très smart. Il ressemble à un de ces capitalistes que les caricaturistes dessinaient dans le temps, avec le haut de forme. Bref, une nuit Clinton et sa femme rentraient chez eux…
Et maintenant il repartait sur une autre histoire à propos de la voiture de son illustre client tombant en panne dans Ozone Park, dans Queens. Sherman passait les mots au crible, espérant tomber sur une petite pépite d’espoir. Puis il lui vint soudain à l’esprit qu’il ne s’agissait que du réflexe charmeur de Freddy au travail. L’essence du charmeur social était d’avoir une histoire toute prête pour chaque circonstance, si possible avec des noms bien Gras dedans. En un quart de siècle de pratique de la loi, c’était peut-être la première fois que Freddy s’occupait d’une affaire qui touchait aux rues de New York.
— … un noir avec un chien policier en laisse…
— Freddy, siffla Sherman entre ses dents. Je me fous de ton gros Danforth.
— Pardon ? dit Freddy, déboussolé et choqué.
— Je n’ai pas le temps. J’ai un vrai problème.
— Oh, écoute. S’il te plaît excuse-moi, dit Freddy doucement, prudemment et tristement aussi, comme vous parleriez à un dingue qui s’énerve tout seul. Vraiment, je voulais juste te montrer…
— Inutile de me montrer. Écrase cette cigarette et dis-moi ce que tu en penses.
Sans quitter Sherman des yeux, Freddy écrasa sa cigarette dans le cendrier Lalique.
— Très bien, je vais te dire exactement ce que je pense.
— Je veux pas avoir l’air brutal, Freddy, mais bon Dieu…
— Je sais, Sherman.
— Je t’en prie, fume si tu veux, mais occupons-nous de mon histoire !
Les mains de Freddy s’agitèrent en l’air pour indiquer que fumer n’était pas important.
— Très bien, dit Freddy, voilà comment je vois les choses. Je crois que tu es tranquille en ce qui concerne le plus grave, qui est les coups et blessures. Il est concevable que tu sois poursuivi pour délit de fuite parce que tu es parti sans avertir la police. Comme je te disais, je vais faire des recherches là-dessus. Mais je crois que ce ne sera pas très sérieux, à condition que nous puissions établir la suite des événements comme tu viens de me les raconter.
— Qu’entends-tu par « établir » ?
— Eh bien, la chose qui m’inquiète dans cette histoire du journal, c’est que c’est très très loin des faits tels que tu me les as exposés.
— Oh ça, je le sais ! dit Sherman. Ils ne mentionnent pas l’autre, l’autre type, celui qui s’est approché de moi le premier. Il n’y a pas un mot sur la barricade ni même sur la rampe ! Ils disent que cela s’est produit sur Bruckner Boulevard. Cela ne s’est pas produit sur Bruckner Boulevard, ni sur aucun boulevard. Ils ont inventé que ce garçon, ce… cet honorable étudiant… ce saint noir… traversait la rue, vaquant à ses affaires, et qu’un fanatique blanc dans une « voiture de luxe » est passé et l’a écrasé avant de s’enfuir. C’est de la folie pure ! Ils n’arrêtent pas de dire « voiture de luxe », alors que ce n’est qu’une mercedes. Bon Dieu, une mercedes, c’est comme la buick de maintenant !
Les sourcils de Freddy dirent : pas précisément, mais Sherman continua.
— Laisse-moi te poser une question, Freddy. Est-ce que le fait que – il allait dire Maria Ruskin, mais ne voulut pas avoir l’air anxieux de se débarrasser de la faute – le fait que je ne conduisais pas quand le garçon a été touché, est-ce que cela me lave, légalement ?
— En ce qui concerne les blessures infligées au jeune homme, oui, il me semble. Je te répète qu’il faut que je vérifie les textes. Mais je voudrais te demander quelque chose. Quelle est la version de ton amie, Mme Ruskin ?
— Sa version ?
— Oui. Comment raconte-t-elle que le garçon a été touché ? Est-ce qu’elle dit qu’elle conduisait ?
— Comment ça « est-ce qu’elle dit qu’elle conduisait » ? Elle conduisait !
— Oui, mais suppose qu’elle s’aperçoive qu’il existe une possibilité d’inculpation grave si elle dit qu’elle conduisait ?
Sherman demeura silencieux quelques instants.
— Eh bien, je ne peux pas imaginer qu’elle pourrait…
Mentir était le mot qu’il voulait dire, mais il ne le prononça pas, car en fait, ce n’était pas complètement au-delà du royaume de l’imaginaire. La notion le choquait.
— Eh bien… tout ce que je peux te dire, c’est qu’à chaque fois que nous en avons parlé, elle a dit la même chose. Elle a toujours employé la même expression : « Après tout, c’était moi qui conduisais. » La première fois que j’ai suggéré d’aller voir la police, juste après l’accident, c’est ce qu’elle a dit. « C’était moi qui conduisais, donc c’est à moi de décider. » Je veux dire, je pense qu’il pourrait se passer n’importe quoi mais… Oh, Dieu Tout-Puissant…
— Je n’essaie pas de semer le doute, Sherman. Je veux juste être certain que tu saches qu’elle est sans doute la seule personne qui puisse corroborer ta version de cette histoire – et à ses risques et périls.
Sherman coula dans son fauteuil. Cette voluptueuse guerrière qui avait combattu à son côté dans la jungle et qui, étincelante, avait fait l’amour avec lui sur le plancher…
— Donc, si je vais à la police maintenant, dit-il, et que je leur dis ce qui s’est passé et qu’elle ne me soutient pas, je suis encore plus dans le pétrin que maintenant ?
— C’est une possibilité. Écoute, je ne suggère pas qu’elle ne va pas te soutenir. Je veux juste que tu saches… où tu vas.
— Qu’est-ce que tu crois que je devrais faire, Freddy ?
— À qui as-tu parlé de tout ça ?
— À personne. Juste à toi.
— Et Judy ?
— Non. Surtout pas à Judy, si tu veux savoir la vérité.
— Bon, pour l’instant tu devrais n’en parler à personne, et probablement pas même à Judy, sauf si tu sens que tu ne peux pas t’en empêcher. Et même dans ce cas-là, tu devrais insister fortement sur la nécessité d’en dire le moins possible à qui que ce soit. Tu serais étonné de la manière dont les choses que tu dis peuvent être décortiquées et utilisées contre toi, si quelqu’un le désire. Je l’ai vu trop souvent.
Sherman en doutait, mais il hocha légèrement la tête.
— En attendant, avec ta permission, je vais parler de cette situation avec un autre avocat que je connais, un type qui travaille dans ce secteur tout le temps.
— Pas quelqu’un d’ici, chez Dunning Sponget…
— Non.
— Parce que je n’aimerais pas que cette histoire rebondisse sur les murs de ces bureaux…
— Ne t’inquiète pas, c’est un autre cabinet.
— Quel cabinet ?
— Ça s’appelle Dershkin, Bellavita, Fishbein & Schlossel.
Ce torrent de syllabes était comme un relent de mauvaise odeur.
— Quel genre de cabinet est-ce ?
— Oh, ils font un peu de tout, mais ils sont surtout connus pour leurs travaux dans les affaires criminelles.
— Criminelles ?
Freddy sourit un petit peu.
— Oh, ne t’inquiète pas, les avocats criminels aident des gens qui ne sont pas forcément des criminels. Nous avons fait appel à ce type, ici, déjà. Il s’appelle Thomas Killian. Il est très brillant. Il a à peu près ton âge. Il a été à Yale, tiens, justement, ou du moins à la faculté de droit, je ne sais plus. C’est le seul Irlandais diplômé de l’école de droit de Yale, et c’est le seul diplômé de l’école de droit de Yale qui pratique le pénal. J’exagère, bien sûr.
Sherman s’enfonça à nouveau dans son fauteuil et essaya d’admettre le terme « pénal ». Voyant qu’il était redevenu l’Avocat avec un grand A, Freddy prit son étui à cigarettes argent et ivoire, sortit une Senior Service de sous la barrette d’argent, la tapota sur le couvercle, l’alluma et inhala avec une satisfaction profonde.
— Je veux savoir ce qu’il en pense, dit Freddy, particulièrement parce que, si on en juge par cette histoire dans le journal, cette affaire prend une tournure politique. Tommy Killian peut nous donner une bien meilleure lecture de ça que moi.
— Dershkin. Quelque chose et Schloffel ?
— Dershkin, Bellavita, Fishbein & Schlossel, dit Freddy. Trois juifs et un Italien, et Tommy Killian est irlandais. Je vais te dire quelque chose, Sherman, la pratique du droit se spécialise de plus en plus à New York. C’est comme s’il y avait plein de petits… clans… de trolls… je vais te donner un exemple. Si j’étais poursuivi dans une affaire de négligence automobile, je ne m’adresserais jamais à Dunning Sponget pour me représenter. J’irais voir un de ces avocats en bas de Broadway qui ne font que ça. Ils sont le fond du tonneau de la profession. Ce sont tous des Bellavita et des Schlossel. Ils sont crus, vulgaires, visqueux, et pas ragoûtants – tu ne peux même pas imaginer à quoi ils ressemblent. Mais c’est là que j’irais. Ils connaissent tous les juges, tous les greffiers, les autres avocats – ils savent comment traiter avec eux. Si quelqu’un nommé Bradshaw ou Farnsworth débarquait de chez Dunning Sponget & Leach, ils le glaceraient sur place. Ils le saboteraient. C’est pareil pour les affaires criminelles. Les avocats du pénal ne sont pas exactement des boute-en-train3 non plus, mais dans certains cas, il faut faire appel à eux. Étant donné la situation, Tommy Killian est un très bon choix.
— Dieu du Ciel, dit Sherman.
De tout ce que Freddy avait dit, seul le mot criminel était passé.
— Ne prends pas cet air lugubre, Sherman !
La criminelle.
Quand il revint dans la salle des obligations de Pierce & Pierce, l’assistante, Muriel, le fusilla du regard.
— Où étiez-vous Sherman ? J’ai essayé de vous joindre.
— J’étais…
Il commença à répéter son mensonge, avec des améliorations, mais l’expression sur son visage lui fit comprendre qu’il ne faisait qu’envenimer les choses.
— Très bien. Qu’est-ce qui ne va pas ?
— Juste après votre départ, il y a eu une émission, 200 millions de Fidélité Mutuelle. Donc j’ai appelé Polsek et Fragner, mais vous n’y étiez pas, et ils ont dit qu’ils ne vous attendaient pas. Arnold n’est pas content, Sherman. Il veut vous voir.
— Je vais y aller.
Il se détourna et commença à marcher vers son bureau.
— Attendez une seconde, dit Muriel. Ce type de Paris a essayé de vous joindre aussi. Il a appelé au moins quatre fois. M. Lévy. Il a dit que vous étiez censé le rappeler. Il a dit de vous dire que c’était 93, point final. Il a dit que vous sauriez ce que ça signifie.