Un an plus tard, jour pour jour, l’article suivant parut en page 1 de la rubrique Nouvelles Locales du New York Times.
un financier inculpé
après la mort
d’un brillant étudiant
par OVERTON HOLMES, JR.
Ancien financier de Wall Street, Sherman McCoy a été amené, menottes aux poignets, hier dans le Bronx et inculpé d’homicide après la mort de Henry Lamb, un jeune étudiant noir de 19 ans qui avait été la fierté d’une cité rénovée du South Bronx.
M. Lamb est mort lundi soir à l’hôpital Lincoln, des suites de la commotion cérébrale dont il avait été victime lorsqu’il avait été renversé par le coupé mercedes de M. McCoy sur Bruckner Boulevard, dans le Bronx, treize mois auparavant. Il n’avait jamais repris conscience.
Des manifestations de Solidarité de Tous les Peuples et d’autres organisations, scandaient « meurtrier de Wall Street », « tueur capitaliste » et « Justice, enfin » alors que des inspecteurs, conduisaient M. McCoy vers le Tribunal Correctionnel du Bronx sur la 161e Rue. Le rôle présumé de McCoy dans les préjudices subis par M. Lamb était devenu l’an dernier le centre d’une tempête politique.
Une figure patricienne
Quand des journalistes lui ont demandé de commenter le contraste entre son passé sur Park Avenue et à Wall Street, et sa situation actuelle, M. McCoy s’est écrié : « Je n’ai rien à voir avec Wall Street et Park Avenue. Je suis un accusé professionnel. La justice me harcèle depuis un an et j’en ai encore peut-être pour entre 8 et 25. »
C’était apparemment une allusion à la sentence qui serait prononcée contre lui s’il était reconnu coupable de cette nouvelle accusation. Le procureur général du Bronx, Richard A. Weiss, aurait préparé un réquisitoire de 50 pages à présenter au grand jury. La persévérance tenace de M. Weiss dans cette affaire est considérée, semble-t-il, comme la clé de sa réélection de novembre.
Figure éminente, patricienne, fils d’un grand avocat de Wall Street, John Campbell McCoy, issu de l’école St Paul et de Yale, M. McCoy, 39 ans, était vêtu d’une chemise à col ouvert, d’un pantalon kaki et de chaussures de sport. Quel contraste avec les costumes anglais à 2000 $ qui faisaient la renommée de celui qui fut le légendaire « roi de l’obligation » à 1 million de $ par an chez Pierce & Pierce. Tandis qu’on le faisait pénétrer dans le Sommier Central du Bronx, à la question d’un journaliste, M. McCoy a répondu : « Je vous ai dit que j’étais un accusé professionnel. Je m’habille maintenant pour la prison, même si je n’ai encore été condamné pour aucun crime. »
Un train de vie diminué
Lors de sa comparution, six heures plus tard, M. McCoy est passé devant le juge Samuel Auerbach, avec une légère enflure du côté gauche de la mâchoire et des écorchures aux phalanges des deux mains. Questionné à ce sujet par le juge Auerbach, il a répondu en serrant les poings : « Ne vous inquiétez pas, M. le juge. C’est quelque chose dont je m’occuperai moi-même. »
Selon les officiels de la police, M. McCoy a été impliqué avec deux autres prisonniers en cellule de détention provisoire, dans une « dispute » qui a dégénéré en bagarre, et il a refusé tout traitement médical.
Quand le juge lui a demandé ce qu’il plaidait, M. McCoy a répondu d’une voix forte : « Absolument innocent ». Refusant les conseils du juge, il a tenu à assurer lui-même sa défense lors de la comparution et a indiqué qu’il ferait de même lors de son futur procès.
Une source proche de M. McCoy, dont la fortune a été estimée un jour à plus de 8 000 000 de $, a affirmé qu’après un an de tracasseries et de frais légaux extraordinaires, il arrivait à peine à payer un loyer. Ancien propriétaire d’un appartement de très grand standing estimé à 3 200 000 $ au 816 Park Avenue, il loue maintenant un modeste deux-pièces dans une tour d’après guerre sur la 34e Rue près de la Première Avenue.
La précédente charge retenue contre M. McCoy, conduite dangereuse, a été rejetée en juin dernier durant une audience tumultueuse devant l’ancien président de la Cour Suprême, Myron Kovitsky. Lors de la tempête de protestations qui s’ensuivit dans la communauté noire, M. Weiss avait ramené l’affaire devant un second grand jury et obtenu une nouvelle inculpation.
La fédération démocrate du Bronx, en réponse aux exigences de la communauté, avait refusé la réinvestiture du juge Kovitsky qui subit un échec retentissant lorsqu’il tenta de se représenter aux élections de novembre. Il fut remplacé par le vétéran de la justice, Jérôme Meldnick. Le procès de M. McCoy, en février dernier, s’était terminé par un jury bloqué, car les trois jurés blancs et l’unique juré hispanique demandaient l’acquittement.
Il y a deux mois, un jury du Bronx a attribué à M. Lamb 12 000 000 de $ lors d’une action en partie civile à l’encontre de M. McCoy, qui a fait appel. Récemment, l’avocat Albert Vogel, plaidant pour M. Lamb, a accusé M. McCoy d’avoir dissimulé des fonds afin d’échapper au jugement. Les fonds en question, provenant de la vente de son appartement de Park Avenue et de sa maison de Southampton, Long Island, qu’il avait essayé de mettre au nom de sa femme Judy, dont il est séparé, et de leur fille Campbell âgée de sept ans. En attendant la décision en appel pour dommages et intérêts, la cour a bloqué les fonds en question ainsi que le reste des titres et tous les biens personnels de M. McCoy.
Mme McCoy et sa fille auraient déménagé pour le Midwest, mais Mme McCoy se trouvait dans la salle d’audience hier, parmi les manifestants noirs et blancs qui occupaient bruyamment la plupart des sièges et qui, apparemment, ne l’ont pas reconnue. À un moment donne, M. McCoy a regardé vers sa femme et lui a fait un léger sourire en levant la main gauche, poing fermé. La signification de ce geste est demeurée obscure. Mme McCoy a refusé de répondre aux journalistes.
Un nid d’amour à loyer bloqué
Le mariage de M. McCoy avait été ébranlé par la révélation que Maria Ruskin-Chirazzi, héritière de la fortune Ruskin (charters aériens) était dans la voiture avec M. McCoy lorsque M. Lamb s’est fait renverser. On apprit par la suite que le couple entretenait une liaison secrète dans un appartement surnommé ultérieurement « le nid d’amour à loyer bloqué ».
Le mari d’alors de Mme Ruskin-Chirazzi, Arthur Ruskin, est mort d’une attaque cardiaque peu avant l’implication de sa femme dans l’affaire.
Le procureur Weiss se préparait à entamer un nouveau procès sous l’accusation de conduite dangereuse quand M. Lamb est décédé, exposant M. McCoy à une inculpation d’homicide beaucoup plus sérieuse. M. Weiss a déjà annoncé que le substitut Raymond I. Andriutti menèrait l’accusation. À cause de développements inattendus, M. Weiss a été contraint de remplacer le substitut précédent, Lawrence Kramer, quand on a découvert que M. Kramer avait intercédé auprès d’un propriétaire pour louer le ci-devant nommé « nid d’amour » pour une amie, Shelly Thomas, une rédactrice de publicité. M. Kramer, qui est marié, avait rencontré Mlle Thomas alors qu’elle était juré dans une affaire qu’il menait, sans lien avec celle-ci. L’accusé de cette affaire, Herbert (Herbert 92 X) Cantrell, a obtenu une révision de sa condamnation pour meurtre au premier degré, sur la base d’un « vice de forme ».
M. Andriutti a déclaré hier qu’il ferait citer Mme Chirazzi comme témoin de l’accusation lors du nouveau procès de M. McCoy malgré le fait qu’il avait existé une controverse sur son témoignage devant un grand jury, controverse qui avait amené le juge Kovitsky à prononcer un non-lieu pour la première inculpation. Elle n’avait pas témoigné lors du premier procès.
Propriétés à la mode
Les problèmes légaux de M. McCoy ont été multipliés hier lorsque l’employée d’une agence immobilière, Sally Rawthrote, a porté plainte contre lui devant le tribunal civil de Manhattan, réclamant 500 000 $. Mme Rawthrote avait reçu une commission de 192 000 $ pour la vente de l’appartement de M. McCoy pour 2 300 000 $. Mais M. Lamb, par l’intermédiaire de M. Vogel, l’a poursuivie, réclamant ces 192 000 $, en faisant remarquer que cet argent devrait servir à payer les 12 000 000 $ de dommages et intérêts auxquels M. McCoy avait été condamné. La plainte de Mme Rawthrote contre M. McCoy fait état de vente abusive de biens bloqués.
Dans une déclaration, elle affirme qu’elle « ne compte pas trop revoir l’argent de sa commission, pourtant due », et en fait elle souhaite bonne chance à M. McCoy.
Comment M. McCoy va pouvoir se débrouiller avec ceci et ses autres problèmes légaux très complexes, reste très incertain. Interrogé à son domicile de Long Island, l’ancien avocat de M. McCoy Thomas Killian a déclaré qu’il ne représentait plus M. McCoy car M. McCoy n’avait pas les fonds nécessaires pour organiser sa défense.
M. Killian lui-même fait face à un tir de barrage de plaintes de ses nouveaux voisins de la résidence à la mode North Shore de Lattingtown. Il a acheté récemment la propriété Phipps, 40 hectares, et a engagé l’architecte néo-Shingle Hudnall Stallworth, pour concevoir un vaste agrandissement de la maison originelle, qui est classée monument historique. Les défenseurs locaux refusent toute altération de ce célèbre bâtiment géorgien.
M. Killian ne cache pourtant pas son soutien à M. McCoy. Dans une déclaration avant un déjeuner privé, hier, il a qualifié cette accusation de meurtre d’un adjectif scatologico-bovin et on cite cette phrase de lui : « Si cette affaire était jugée en toute âme et conscience, les accusés seraient Abe Weiss, Reginald Bacon et Peter Fallow, du City Light. »
Milton Lubell, porte-parole de M. Weiss, a déclaré que le procureur ne répondrait pas à des « débilités » émises par « quelqu’un qui n’est plus impliqué dans l’affaire ». Il a ajouté : « Seuls des traitements de faveur de la part de certains éléments du système judiciaire ont préservé jusqu’ici M. McCoy de la loi. Il est tragique qu’il faille la mort de Henry Lamb, qui représentait les plus grands idéaux de notre ville, pour voir la justice enfin rendue dans cette affaire. »
Buck Jones, porte-parole de la Solidarité de Tous les Peuples de M. Bacon, a rejeté l’accusation de M. Killian, comme étant « le double discours raciste habituel, bavé par un raciste en faveur d’un capitaliste raciste », qui cherche à « éviter de payer sa dette pour la destruction raciste d’un jeune homme brillant ».
M. Fallow, lauréat du prix Pulitzer pour sa couverture de l’affaire McCoy, n’a pas pu être joint pour donner son avis. Selon nos informations, il serait en croisière sur un trois-mâts dans la mer Égée, avec la jeune femme qu’il a épousée il y a quinze jours, Lady Evelyn, fille de Sir Gerald Steiner, l’éditeur et financier.