Encres de Loire, dossier livre numérique
Kindle: alors, ce "Minitel écrasé" ?

Encres de Loire, article (suite et fin)

C’est au cœur de cette réflexion sur ces nouveaux usages qu’est né le projet Abicia à la fin de l’année dernière. Au départ, il s’agissait à travers la rédaction d’une thèse de fin d’études à l’Ecole des Mines de Nantes (mastère spécialisé entrepreneuriat et technologies de l’information entrepris fin 2005) d’explorer le champ des nouvelles possibilités sur internet en matière d’édition et de contenus. La volonté aussi de mener à bien un projet d’installation sur la région nantaise, qui puisse s’insérer au cœur des évolutions de l’édition et du web. Mon expérience dans l’édition et une formation complémentaire dans l’internet indispensable pour affuter mes compétences et mon expertise. Après de nombreuses années de travail sur Paris, je souhaitais personnellement m’installer dans un autre cadre de vie, une façon de mûrir de cette façon là aussi, c’est aussi une grande force de l’internet de ne pas être obligé de mener un tel projet depuis quelques arrondissements dans Paris… Au travers de l’Ecole des Mines de Nantes, j’ai pu rencontrer les compétences nécessaires pour développer un projet de création d’entreprise, trouver les bonnes personnes et les bons réseaux. Pour revenir rapidement à l’édition et internet, je dirais que le monde du livre, comme celui de la presse d’ailleurs, a longtemps eu une certaine défiance vis-à-vis de l’internet. Le spectre de la musique en ligne hante, je pense, les esprits; depuis de nombreuses années certains prédicateurs font peser de sombres menaces en assurant que le processus est en route. Mais c’est vrai aussi que depuis deux ans environ, avec l’extension de l’internet dans notre société, de nouveaux champs d’exploration se développent sur internet autour des livres, des initiatives de librairies, d’éditeurs, de sites d’incitation à la lecture, aux échanges de critiques. Parallèlement, et comme beaucoup d’observateurs, je considère que la librairie en ligne, je veux dire la librairie sur internet qui puisse proposer au domicile de l’internaute les livres physiques que ce soit en neuf ou en occasion, et cela au meilleur prix, est un domaine qui a été définitivement gagné par Amazon. Même si d’autres librairies existent, Amazon a eu l’intelligence de rallier à travers son Marketplace un grand nombre de librairies d’occasion qui écoulent des livres épuisés mais aussi des services de presse qui repassent aisément dans le circuit via internet. Quand vous interrogez des lecteurs familiers du Quartier Latin, ils vous diront tous qu’ils vont régulièrement chez Gibert, parce que chez Gibert, on trouve à la fois des livres neufs et des livres d’occasion. Ce que Gibert a fait dans le Quartier Latin, Amazon l’a fait à l’échelle d’internet. Récemment un libraire de livres d’occasion me confiait qu’il réalisait près de 40% de son chiffre d’affaires sur internet, remettant sérieusement en question sa présence dans un local de centre ville qui lui coûte bien cher. Si Amazon a gagné la bataille du livre physique, un éditeur ne pouvant refuser de vendre à Amazon qui est un libraire comme un autre, il n’est pas dit qu’Amazon gagne la bataille du livre numérique, car la balle est d’abord dans le camp des éditeurs et de leurs choix par rapport à l’ensemble de leurs partenaires. En observant attentivement Amazon, je me suis rendu compte que ce sur quoi, ils butaient malgré leurs efforts depuis quelques années, c’était sur le programme «au cœur des livres», c'est-à-dire la mise en ligne des premières pages des livres avec l’accord des éditeurs. Google, conjointement, a la même politique, en proposant des espaces pour les éditeurs, entre des modèles quelques pages et des modèles à l’intégralité des pages, choisis par certains. A coté de ces deux alternatives américaines, rien du tout. Entre des ebooks au prix élevés et des ebooks «gratuits», je me suis demandé si il n’existait pas un espace qui permettrait à la fois aux éditeurs de bouger sur la question et aux internautes de pouvoir accéder à des débuts de livres autrement que les cinq pages réglementaires proposés sur les sites des éditeurs.

C’est en menant conjointement mes investigations sur le web et ma pratique du livrel que le projet de construire un site qui propose des débuts de livres a mûri. Tout d’abord, pourquoi ne pas aller au-delà de quelques pages, en proposant quelques chapitres, une trentaine de pages pour rentrer un peu plus dans la lecture de tel ou tel livre. C’est très frustrant de ne découvrir que cinq pages d’un livre, même pas le premier chapitre! Des nouveautés très médiatiques bien sûr, mais aussi des livres de fonds qui «dorment» sur les catalogues d’éditeurs. Abicia, c’est d’abord le site que j’aurais souhaité trouver pour commencer avec ce nouveau support qui allie à la fois découverte de nouveaux livres et un prix modique d’accès. Les nombreux échanges avec des professionnels du secteur m’ont convaincu qu’il y avait un espace, notamment les libraires dont je me suis rapproché très tôt dans le projet, au travers du Syndicat des Libraires de France. Au proposant des débuts de livres, nous nous devions évidemment d’orienter les lecteurs vers un livre complet. Nous ne souhaitions pas pointer une nouvelle fois vers telle ou telle librairie en ligne mais proposer une alternative près de chez soi. Le Syndicat nous a ouvert son réseau auprès de plus 600 librairies en France, nous mettons en ligne les coordonnées et des liens sur une carte de France, phénomène qui s’est développé sur internet avec des liens pour des services près de chez soi. Nous allons bien évidemment étendre notre partenariat à d’autres réseaux. Pour démarrer avec une offre de livres, il était indispensable de proposer des titres incontournables, que l’on puisse trouver dans toute bonne libraire, je veux dire une sélection de livres classiques. Même si ces livres ne représentaient une grande attractivité, il était nécessaire de commencer avec cela. Après une petite analyse de ce que l’on trouvait dans le domaine du gratuit sur internet, nous nous sommes vite rendu à l’évidence que l’on ne pouvait se fier à rien du tout, qu’à nous même en l’espèce, sur la qualité de ce que nous mettrions en ligne. Accueillant des éditeurs sur le portail, nous nous devions une certaine exigence sur la qualité des fonds y compris sur ceux libres de droits, cela va de soi. C’est pourquoi, nous avons entrepris la numérisation professionnelle d’une sélection de plus de 500 titres libres de droits en collaboration avec une entreprise spécialisée. Nous nous sommes rapprochés d’éditeurs qui ont été intéressés par le projet. Au fur et à mesure des partenariats que nous passerons, nous commencerons les mises en ligne dans le courant du mois de septembre. Nous avons aussi choisi une voie différente que les traditionnelles vignettes de couvertures de livres pour accéder aux livres. Nous orientant vers le domaine de la littérature générale, nous avons pensé que le portrait d’écrivain était un accès intéressant, plus intéressant qu’une petite vignette illisible, la couverture d’un livre étant essentielle à l’objet physique mais assez accessoire sur le web. C’est aussi un élément complètement absent des sites en ligne traditionnels mais bien présents sur les sites d’éditeurs qui communiquent sur les auteurs en renforçant une proximité avec le lecteur (avec des éléments connexes, blogs, vidéos, conférences), bref renforcer cette proximité de l’écrivain. Nous avons choisis de mettre en scène les portraits d’écrivains en passant des accords avec des agences spécialisées. Un accès très simple des auteurs classés par rubriques, par éditeurs, par époques, puis des livres, puis des pages de livres, c’est le principe que nous avons retenu pour la construction de notre site avec des vitrines dynamiques qui changeront par éditeurs, par thèmes. Une sorte de cabinet de lecture sur internet et les nouveaux livres électroniques qui vont arriver dans les prochains mois, avec un prix unique d’accès de 2.99€ pour accéder à 300 pages au choix sur notre catalogue qui permettent une juste rémunération des auteurs et des éditeurs partenaires. Le succès d’Abicia ne dépendra bien entendu aussi que de l’offre aussi large que possible que nous pourrons présenter dans les mois qui viennent en fédérant le plus d’éditeurs sur le concept. Nous pensons également nous rapprocher de fabricants de livres électroniques pour proposer des offres sur le site. Le marché de la lecture en ligne ne fait que commencer, même si quelques acteurs sont présents depuis quelques années, c’est un nouveau secteur qui s’ouvre pour découvrir de nouveaux livres, de nouvelles lectures potentielles pour les écrivains d’hier et d’aujourd’hui. C’est une grande chance pour l’édition, je pense. C’est tout le pari d’Abicia d’ouvrir les pages des livres et d’être au cœur de ces nouvelles offres de lecture.

 

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