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Chroniques de lecture - 8

Plume Voici le 8ème article.
Bon dimanche! Thierry

Le Censeur de Baudelaire
de Alexandre Najjar

téléchargé au format epub 6,50€ sur librairie.immateriel

 «La censure, quelle qu'elle soit, me paraît une monstruosité, une chose pire que l'homicide; l'attentat contre la pensée est un crime de lèse-âme.» Gustave Flaubert

Alexandre Najjar nous livre la biographie de Pierre Ernest Pinard, arriviste procureur, tristement célèbre et richement récompensé par un fauteuil de Ministre de l'Intérieur et une Légion d'Honneur, pour avoir poursuivi en justice Flaubert, Baudelaire et Eugène Sue!

Flaubert est acquitté.
Ha! La fameuse «scandaleuse» scène du fiacre dans «Madame Bovary»!
Comment? Vous n'avez pas encore lu «Madame Bovary»?

Flaubert, avant son procès, écrit cette lettre savoureuse à un ami: «Je vous annonce que demain 24 janvier, j'honore de ma présence le banc des escrocs, 6ème chambre de police correctionnelle, 10 heures du matin. Les dames sont admises; une tenue décente et de bon goût est de rigueur. Je ne compte sur aucune justice. Je serai condamné et au maximum peut-être, douce récompense de mes travaux, noble encouragement donné à la littérature!... Vous aurez peut-être, un jour ou l'autre, l'occasion d'entretenir l'Empereur de ces matières. Vous pourrez, en matière d'exemple, citer mon procès comme une des turpitudes les plus ineptes qui se passent sous son régime. Je déplais aux jésuites de robe courte et aux jésuites de robes longues; mes métaphores irritent les premiers; ma franchise scandalise les seconds.»

Medium Un extrait du réquisitoire d'Ernest Pinard qui accuse Flaubert de «réalisme vulgaire et souvent choquant de la peinture des caractères»
«Cette morale stigmatise la littérature réaliste, non pas parce qu'elle peint les passions: la haine, la vengeance, l'amour; le monde ne vit que là-dessus, et l'art doit les peindre; mais quand elle les peint sans frein, sans mesure. L'art sans règle n'est plus l'art; c'est comme une femme qui quitterait tout vêtement. Imposer à l'art l'unique règle de la décence publique, ce n'est pas l'asservir, mais l'honorer. On ne grandit qu'avec une règle. Voilà, messieurs, les principes que nous professons, voilà une doctrine que nous défendons avec conscience.»

Le ténébreux Baudelaire accusé d'être «un défi jeté aux lois qui protègent la religion et la morale» est condamné à 300 francs d'amende avec interdiction de publication de certains poèmes de ses «Fleurs du Mal», poèmes sulfureux qui seront réhabilités en... 1949!!!
(il s'agit des poèmes Les Bijoux, Le Léthé, Lesbos, les Métamorphoses du vampire, Femmes damnées, À celle qui est trop gaie)

Les très émouvantes lettres de Flaubert et Baudelaire témoignent: ils sont surpris, inquiets et blessés face aux accusations.
Le lecteur curieux suivra pas à pas l'organisation de la défense, le procès avec ses accusations et ses plaidoiries. Très instructif!

Enfin, Pinard condamne «Les Mystères du Peuple ou Histoire d’une famille de prolétaires à travers les âges» d’Eugène Sue, mort depuis 3 ans... ce sont donc le propriétaire de l'œuvre, son éditeur et  son imprimeur qui sont sur le banc des accusés

Mais c'est surtout une «biographie» très documentée du Second Empire: la révolution de 1848, l'abdication de Louis Philippe, la proclamation de la République par Lamartine.

Un petit texte qui éclaire, souvent «drôlement» (en effet, cet Ernest Pinard est décidément, souvent, malgré lui, très risible!) la justice, les mœurs et la censure de cette époque... de notre époque aussi?

Un hommage à la littérature?
Celui qui écrit et celui qui lit seraient-ils dangereux?
Oui... l'histoire de la littérature le démontre... encore aujourd'hui!


« SHAKESPEARE AUSSI ÉTAIT UN TERRORISTE

"Words... words... words..." disait-il»
(Léo Ferré)


4ème de couverture
"Voilà une biographie à la fois inattendue, brillante et bienvenue.
(...) Ernest Pinard, qui en est l'objet, fut un procureur soumis en tous points à l'ordre social de son temps, un ministre de l'Intérieur somme toute médiocre, et sa postérité, à vrai dire, n'avait jamais encore interpellé quiconque. (...) On eût été tenté de rejeter d'emblée le souvenir d'un homme qui eut pour titre de gloire -ou, à tout le moins, pour chemin vers la notoriété- de faire condamner Flaubert, Baudelaire et Eugène Sue, qui s'opposa à l'érection des statues de Baudin et de Voltaire, et eut maille à partir avec Zola.
Excusez du peu! (...) Au travers du destin d'un homme, on traverse une époque, les yeux et les oreilles aux aguets. Nul ne pourra plus écrire sur le Second Empire sans tenir compte de la contribution d'Alexandre Najjar. C'est le témoignage à lui rendre".

Sur l'auteur
Avocat et écrivain, responsable du supplément L'Orient littéraire, Alexandre Najjar est né au Liban en 1967.
Passionné du XIXe siècle, il a à son actif plusieurs biographies, des romans (Le Roman de Beyrouth, Phénicia, Berlin 36) et des récits (L'Ecole de la guerre, Le Silence du ténor), traduits dans une douzaine de langues. Il a obtenu le Prix Méditerranée 2009 et le Prix Hervé Deluen de l'Académie française pour son action en faveur de la francophonie.

T.C.

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