Onze ans avec Lou - n°62
24 juin 2012
La chronique dominicale de Thierry avec aujourd'hui "Onze ans avec Lou" de Bernard Chapuis aux Editions Stock:
«Jour après jour, Dulac s'était accoutumé à tout ce que Paris faisait de gris. Les chaussées, les immeubles, les toits, les gouttières, les pigeons, les fidèles nuages, les surprenantes éclaircies gris clair, sans omettre toutes ces nuances de gris qu'aimait porter la population élégante.»
Nous sommes en 1953 à Paris. L’église Sainte-Jeanne-de-Chantal est encore en travaux: victime d’une bombe alliée en 1944. La guerre c’était juste hier... Le p’tit Dulac a 8 ans. Il aura 23 ans en mai 68. La famille Dulac vient de s’installer dans le quartier Saint-Cloud. Manou la maman, Lou le papa, Flossie la soeur, Sony le basset et le p’tit Dulac.
C’est la guerre froide.
«Tu sais ce que c’est la guerre froide? Non? Eh bien, si une guerre atomique se déclenche, tout le monde sera effacé de la carte. Les vainqueurs seront les vaincus, les vaincus seront les vainqueurs. Ca, c’est la guerre atomique. La guerre froide, c’est l’art d’éviter la guerre atomique, tout en conservant les moyens.» explique le père à son fils.
Paris n’est pas encore Paris.
«Terrain vague, dont les creux et les bosses avaient donné accueil à toutes les plantes, buissons et arbustes d’espèces nomades qui prenaient racine dans les zones que la ville n’avait pas encore domestiquées.»
La famille Dulac rentre de Singapour où Lou, le père, était attaché naval depuis trois ans. 22 jours de traversée à bord du «Félix Roussel» des Messageries Maritimes. Pour le p’tit Dulac Paris est un nouveau monde. A l’école on le surnomme «l’Angliche» ou «Racho» comme rachitique.
Ce roman joliment écrit raconte, avec élégance et sensibilité, les tribulations du nouveau p’tit parisien entrecoupées de souvenirs de la maison blanche de Bukit Timah à Singapour. A Paris c’est le temps des places de cinéma à cinq cents francs, des films de Jean Renoir avant la Nouvelle Vague. A Singapour c’est le souvenir des fakirs et des charmeurs de serpent, de l’air moite, des bananiers et des lourds parfums.
C’est un livre très émouvant, triste et amusant, qui sait parler de l’enfance et faire parler les enfants. Un exercice souvent périlleux. Ici parfaitement réussi. C’est aussi un livre de notre Histoire de France. Celle de la France des années cinquante. La France des années du président Coty et des 4CV. Le p’tit Dulac aura vécu onze ans avec son père. Onze ans avec Lou. Un beau voyage dans le temps, mélancolique juste comme il faut, assez pour verser une larme à la fin.
Ce livre a obtenu le Prix Jean-Freustié 2012.
Lu dans le cadre du Club des Lecteurs Numériques.