2. La transition numérique à l'aune de Nikos Kazantzaki
4. La transition numérique à l'aune de Nikos Kazantzaki

3. La transition numérique à l'aune de Nikos Kazantzaki

LbmortSecond livre de Nikos Kazantzaki que j'ai décidé de lire, La Liberté ou la mort, publié quelques années après Alexis Zorba, en 1950, un roman historique imposant de plus de 600 pages. Le seul roman qui est disponible au format numérique, Le Jardin des Rochers, est dans le fond Fenixx de réédition numérique (pourquoi pas les autres?), signe du désintérêt complet des Éditions Plon, nous y reviendrons. Rien dans les bibliothèques autour de chez moi, avant de me procurer une version de poche, regardons dans les offres numériques "alternatives" comme on dit. Depuis la mésaventure du groupe de piratage TAZ épinglé et traduit en justice cette année, les aficionados de la numérisation se sont faits beaucoup plus discrets. Les groupes francophones se sont organisés en serveurs distants, en sites miroirs, etc. Je ne vous dirais pas ici comment les trouver (je ne vous dit pas comment vous procurer vos livres neufs ou d'occasion par exemple). Nous sommes en 2021, les informations abondent sur le web, vous trouverez aisément si vous le souhaitez. Personnellement je pars du principe que si l'offre légale n'existe pas, que si les offres imprimées d'occasion pullulent sur les sites à bas prix et dans les bibliothèques, l'offre illégale devient légitime en quelque sorte. Ce n'est qu'une question de temps. C'était ma conviction à l'époque, elle n'a pas varié aujourd'hui. D'autant plus pour un auteur décédé en 1957, vous en conviendrez. J'en parlais à l'époque avec certains groupes assez vertueux en la matière, qui se fixaient comme règle de retirer l'offre illégale si une offre légale apparaissait chez l'éditeur.

J'ai trouvé La Liberté ou la mort, une excellente numérisation réalisée en 2015. Un coup d'œil sur la traduction, celle de Gisèle Prassinos et Pierre Fridas proposée dans les années 50 chez Plon et reprise chez Cambourakis il y a quelques années. On se rend compte rapidement au bout de quelques pages si le texte proposé a été soigneusement relu ou pas. La numérisation, même si elle a beaucoup progressé en qualité depuis quelques années pour des amateurs non-professionnels, n'exempte pas la relecture pour chasser les coquilles inévitables. C'est le cas ici, bravo. Alors banco, avec les petites corrections habituelles pour me la rendre agréable, couverture, rectifications de quelques balises...

Smartphone, tablette ou liseuse... Éternel débat qui prend moins de sens aujourd'hui, les pratiques sont désormais bien connues, à chacun de lire comme il en a envie. Si les liseuses ont lancé le marché à l'époque, les smartphones ultra-majoritaires se sont faits une place dans les pratiques de lecture pour certains, qui préfèrent l'outil unique et le nomadisme. Les dernières études réalisées montrent bien que les supports de lecture sont désormais bien compris par les lecteurs qui ont pu largement les appréhender. Personnellement ma pratique reste exclusivement sur liseuse. J'ai essayé smartphone et tablette (pas renouvelée, on ne pas tout acheter), entre la fatigue de l'écran rétroéclairé dans le temps long, la gestion de la batterie et les notifications qui captent sans cesse l'attention, je n'ai pas trouvé l'intérêt de changer. L'aspect pratique en mobilité dans la balance ne compense pas je trouve. Pour moi, la liseuse est restée au fil des années le support idéal.

Lire au format numérique, c'est désormais 2 livres sur 3 pour moi. La relecture de toute la Recherche de Proust, de Cervantès, d'Homère, de Bouquins entiers, sans parler de tant de romans américains il y a quelques années, restent des souvenirs importants. Quand je démarre un livre sur ma liseuse, je me pose de temps en temps la question de savoir ce qui change pour moi par rapport à l'imprimé. On évacuera rapidement ces histoires d'odeur du papier, franchement l'odeur des poches ne m'a jamais attiré plus que cela... Le papier du poche, j'en sais quelque chose, est par nature un papier de qualité très moyenne, qui va jaunir très vite, les tranches, puis le bord des marges, le reste au fil des années. Attention de ne pas les laisser trop au soleil, le phénomène va s'accélérer très rapidement. Par nature, le livre de poche n'a pas vocation à être gardé. Si vous voulez conserver un livre dans votre bibliothèque, vous vous tournerez rapidement vers des livres de meilleure qualité. Le problème du papier, c'est aussi le cas de beaucoup de livres en grand format chez les éditeurs. Certains groupes ont généralisé l'emploi des papiers "traces de bois". Ce n'est plus des traces, c'est de la sciure... Certains ne franchissent même plus les éclairages des présentoirs des libraires pendant quelques semaines seulement, observez les tranches notamment. Quand on vend un livre au-delà de 20€, avoir au moins la décence de proposer un papier décent...

Alors bien sûr, reste la spatialisation dans l'objet-livre, la couverture, la maquette, la typographie choisie par l'éditeur, le rapport aux lignes dans la page, à la matérialisation du début de chapitre à venir, au marque-page, à ce qui nous reste à lire... Autant d'éléments qui comptent certes - surtout pour des beaux livres où un soin a été apporté par l'éditeur-, mais qui se distendent avec la pratique je pense, surtout comparativement au poche et avec des fonctionnalités pour le numérique qui les compensent, je pense à la recherche, au grossissement des caractères, à l'éclairage, à des dictionnaires embarqués, etc. Très sincèrement je passe d'aussi bons moments à lire de bons livres en imprimé comme en numérique. Et de mauvais livres, n'en parlons même pas...

Le format numérique permet d'évacuer la forme, se consacrer au seul texte. Très sincèrement, au fil des années, la pratique m'est devenue complètement naturelle. Passer de l'imprimé au numérique devient une pratique identique à celle de passer du grand format à un poche... J'observe ce qui se disait au début de l'expansion du format poche dans les années 60, personne n'évoquait même cette différence dix ou quinze ans plus tard, cela serait même passer comme ridicule pour des lecteurs de ma génération vingt ans après. Je pense qu'il en est de même du format numérique. Pour preuve ces auteurs qui s'affichaient "défenseurs de la cause du papier" il y a dix ans, ils seraient sérieusement ringardisés aujourd'hui, alors qu'ils s'affichent en pagaille sur les réseaux. On ne peut éternellement s'étendre sur une chose et son contraire, les pratiques de lectures "hors-livre" du côté de la presse notamment se sont très largement développées depuis dix ans. Le livre a suivi ce mouvement, je ne vois pas trop où est le problème. Imprimé, numérique, les lecteurs choisissent, vont de l'un à l'autre, en fonction des moments, des types de livres, de leurs désirs de les garder ou pas pour leurs bibliothèques. J'en parle même avec des grands lecteurs au format numérique qui me disent qu'ils lisent bien plus depuis qu'ils ont découvert ce format. Où sont les grands lecteurs aujourd'hui, ce serait l'objet d'une étude intéressante je pense...

[Tous les billets de cette chronique sont ici].

PS: à lire en complément une excellente critique du livre de Kazantzaki sur le blog DesLivresRances.

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