8 notes dans la catégorie "Transition numérique Kazantzaki"

8. La transition numérique à l'aune de Nikos Kazantzaki

Nikos-kazantzakiHuitième et dernier billet de cette chronique aujourd'hui. La lecture des livres de Nikos Kazantzaki m'aura accompagné ces deux derniers mois, pour parler aussi de la transition numérique du livre depuis dix ans. Il me reste quelques livres récemment parus aux Editions Cambourakis dont un inédit L'Ascension qui parait ce mois-ci (comment ne pas leur rendre hommage avec de magnifiques grands formats et poches), aussi Le Pauvre d'Assise, les volumes de récits de voyages et de théâtre, jamais réédités depuis plus de 30 ans. Immense écrivain, pour moi l'un des tout premiers du XXème siècle, bien oublié aujourd'hui dans notre pays. Allez voir, vous ne serez jamais déçu, sincèrement autre chose que Houellebecq vous pouvez me croire...

Nikos Kazantzaki est bien symptomatique du désœuvrement de l'édition littéraire française où des pans entiers de fonds d'éditeurs ne sont plus réédités (surtout en littérature étrangère d'ailleurs); le seul marché de l'occasion encore pour un temps en bouée de sauvetage, jusqu'à quand d'ailleurs entre la dégradation des livres et les spéculations au fur et à mesure à renfort de robots automatisés chez certains acteurs prédateurs... L'espoir du format numérique pour pérenniser des catalogues sera resté un vœu pieu. Entre le désherbage des imprimés et le numérique absent pour cause de modèle réellement satisfaisant, le constat est là aujourd'hui dans les bibliothèques. Pour Kazantzaki il faudra sans doute attendre 2028 et son entrée dans le domaine public pour voir une édition de ses œuvres complètes; mais pour tant d'autres.

Tous ces livres lus sous trois formats de manière à peu près égale à l'arrivée, entre grand format, poche et numérique. L'offre numérique aurait été plus présente, je l'aurais sans doute privilégié par rapport au poche. C'est bien la liberté du lecteur de choisir comment il souhaite accéder à un texte, neuf, occasion, bibliothèque, imprimé, grand format, poche, audio, numérique. J'ai trop vu toutes ces années un débat manichéen, binaire, que j'ai toujours jugé complètement stérile. Rajouter le format numérique n'a pas tué quoi que ce soit, il aura donc fallu attendre dix ans pour s'en rendre compte; les grands discours lyriques, enflammés, sur le thème de "sauver le livre" se sont révélés d'aimables âneries, enfouis désormais dans les limbes des bibliothèques et archives audio-visuelles.

Cette petite chronique m'aura permis d'explorer la situation aujourd'hui d'un livre numérique qui reste en jachère sur beaucoup de points que je peux synthétiser ainsi:

une offre commerciale des nouveautés qui, si elle est désormais bien ancrée, reste insatisfaisante sur la question des DRM et des prix élevés. Rien n'a bougé en dix ans. Les seuls acteurs GAFA restent les grands vainqueurs dans leurs environnements propriétaires respectifs. La mutualisation des libraires espérée n'a pas fonctionné, ces derniers jugeant sans doute que les priorités étaient ailleurs. C'est un peu la situation du poche que l'on revit, les libraires ont mis de nombreuses années avant de considérer ce format comme étant digne d'être accueilli sur leurs tables et leurs rayonnages. C'est du côté de l'offre couplée qu'il serait nécessaire d'avancer, avec de réelles opportunités pour les librairies indépendantes. Imprimé et numérique dans leur complémentarité mérite aujourd'hui d'être considéré.

— une offre en streaming qui, je pense, ne risque pas beaucoup d'évoluer sur la littérature générale. On sait bien que ce sont les nouveautés qui sont indispensables pour susciter le réel intérêt des lecteurs. Un acteur français Youboox racheté il y a quelques semaines par un groupe étranger, des opérateurs qui suivent de près, les acteurs GAFA eux-aussi à l'affut évidemment qui pourraient joindre l'offre à leurs abonnements respectifs. Bref, une situation qui écarterait encore plus les acteurs indépendants. On le voit dans la bande dessinée numérique.

— une offre en bibliothèque très insatisfaisante, c'est là je trouve que les déceptions sont les plus grandes. Les fonds Gallica et Relire restent complétement invisibles dans les bibliothèques. D'autre part, les modèles économiques ne conviennent pas pour les collectivités, impossible de constituer un fonds suffisant de livres numériques avec une masse critique suffisante pour les lecteurs. On le voit à l'échelle du Québec ou de la Belgique, le maître-mot reste la mutualisation de l'offre.

Je ne voudrais pas rester sur un constat trop négatif. Les lecteurs attendent des promos, se débrouillent comme ils peuvent, contournent les difficultés. Le format numérique avance malgré les barrières qu'on lui met, preuve de sa réelle nécessité aujourd'hui dans les usages de lecture (les mois de confinement à répétition ces dernières années l'on aussi montré). Dans un temps long qui est celui du livre, il aura finalement progressé très vite en dix ans, c'est paradoxalement bon nombre de professionnels qui ont du mal à suivre dans cette complémentarité évidente aujourd'hui.

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P.S. : A signaler, vous pourrez trouver tous les livres de Nikos Kazantzaki sur Library Genesis/ LibraryZ.

Kazan


7. La transition numérique à l'aune de Nikos Kazantzaki

CoverSeuls deux livres de Nikos Kazantzaki sont disponibles dans l'offre numérique légale, Ascèse et Le Jardin des rochers, tous les deux au travers du dispositif de numérisation des livres indisponibles Fenixx/Relire. Ces deux titres ont été publiés directement en français par l'auteur, sans traducteurs. Ils ont sans doute été autorisés par les ayant-droits de Kazantzaki. Les autres livres de l'auteur sont écartés du dispositif comme tous les auteurs étrangers. Au moment de les lire tous les deux, c'est l'occasion de revenir sur ce dispositif Relire tant décrié à sa sortie et mesurer la situation aujourd'hui.

Créé à partir de 2014, ce dispositif se proposait de numériser et proposer chez les revendeurs des livres parus avant le 1er janvier 2001 et qui n'étaient plus commercialisés chez les éditeurs. Les auteurs et ayant-droits pouvaient s'opposer à tout moment, les livres finalement retenus entrants dans le cadre d'une gestion collective. Porté par la BnF, la numérisation a concerné plus de 200.000 livres, qui sont aujourd'hui disponibles sur les plate-formes. Les numérisations ont été arrêtées, seule la maintenance continue: "Suite à la décision du Conseil d’État du 7 juin 2017 au sujet du dispositif de réédition électronique des œuvres indisponibles du XXe siècle, la BnF n’assure plus désormais que la maintenance du registre ReLIRE. Ce dernier signale l’ensemble des œuvres en gestion collective et permet notamment l’identification des œuvres faisant l’objet de licences d'exploitation délivrées par la Sofia." On a tellement craché sur ce dispositif (comme sur tant de dispositifs interprofessionnels d'ailleurs, sans jamais sourciller sur les GAFA, bizarre non?) que je n'y reviendrais pas ici, le dossier est clos.

Aujourd'hui, c'est le seul marché de l'occasion dérégulé qui permet de garder une trace de ces livres. Depuis 5 ans maintenant, celui-ci s'est considérablement fortifié avec l'arrivée d'acteurs "industriels" qui ont mis en place de nouvelles méthodes de massification, de spéculations inédites avec notamment des robots comparateurs de prix. Tous les acteurs historiques du livre d'occasion reconnaissent que la concurrence s'avère déloyale désormais sur les plate-formes, les excluant de facto du marché en ligne. Quand on rajoute le désherbage massif en bibliothèques de ces livres, il devient difficile de se les procurer, aussi bien en bibliothèque que sur les réseaux, ils sont bien souvent à des prix de plus en plus prohibitifs. Et la situation risque évidemment de ne pas s'améliorer dans les années à venir, quand vous rajouter également la faible qualité du papier pour quasiment la totalité d'entre eux. Le temps fait son œuvre...

Il est certain qu'à moyen terme (une décennie, deux?), l'accès va devenir très difficile, voire impossible pour nombre d'entre eux. Ils disparaitront sans doute complètement de notre patrimoine éditorial, à moins bien sûr que des éditeurs ne s'intéressent à certains. Mais combien, une petite dizaine par an? Le rapport est bien dérisoire. C'est bien peu à l'échelle de la production éditoriale de la fin de XXème siècle. C'est aussi un véritable désastre pour des catalogues entiers d'éditeurs qui ont disparus, la liste des défaillances est considérable du côté de l'édition indépendante, notamment littéraire.

À l'heure où l'on parle de réguler le marché du livre d'occasion, il est dommage qu'une véritable alternative comme celle-ci n'ai pas eu vocation à durer dans le temps. Pour preuve ces deux petites perles de Kazantzaki, auquel il convient de rajouter une excellente biographie "Nikos Kazantzaki, sa vie, son œuvre" de Colette Janiaud-Lust, parue chez François Maspéro en janvier 1970. Je vous invite à les découvrir chez vos libraires numériques...

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6. La transition numérique à l'aune de Nikos Kazantzaki

La-Derniere-TentationLes semaines passées j'ai beaucoup lu la version numérique plutôt que la version ancienne imprimée de mon dernier livre de Nikos Kazantzaki. La raison en est ma mobilité durant cette période de fêtes, mais aussi les caractères trop petits. Ce dernier élément qui ne saurait être négligé assurément, le format numérique permet ce confort-là pour beaucoup je pense, une raison de plus pour souhaiter l'offre couplée un jour, qui sait.

En ce début d'année je poursuis mes lectures des livres de Nikos Kazantzaki, le cinquième donc, avec La Dernière Tentation. Paru en 1954 avec le scandale qu'il a soulevé à l'époque, c'est ce livre qui aura sans doute à la fois assuré la renommée internationale de Kazantzaki mais aussi sa condamnation définitive pour le Prix Nobel de littérature. Après le format numérique, je reviens à l'édition de poche parue dans la collection Babel il y a quelques années.

Avec ce livre de Kazantzaki qui a engendré tant de débats passionnés à sa sortie, comme à la sortie en salle du film de Martin Scorsese dans les années 80, c'est aussi l'occasion de revenir dix ans après sur ces fameux "livres enrichis", "livres augmentés", une terminologie que l'on a vu apparaître avec l'essor de l'iPad à sa sortie en 2010. Que cela nous parait loin aujourd'hui... La Dernière Tentation aurait évidemment pu faire partie de ceux-là. "Enrichir", "augmenter" les livres avec des appareils critiques, des photos, des illustrations, des extraits vidéos ou sonores, c'était le frémissement de ce nouveau marché à l'époque qui n'était pas sans rappeler celui des CD-Rom de la fin du siècle dernier, un nouvel eldorado potentiel qui s'ouvrait aux éditeurs. On connait la fortune des CD-Rom qui ont été balayés il y a une vingtaine d'années par l'essor très large du web.

Dix après, le constat est cruel, la mayonnaise n'a pas pris. Pourquoi les livres enrichis n'ont-ils pas eu le succès escompté? Ce n'est pas du côté des supports qu'il faut chercher tant l'offre des tablettes a été florissante, au moins pendant quelques années. Apple, puis Google avec l'environnement Android, ont largement développé l'offre, dans la continuité de celle des smartphones. Quelques éditeurs et groupes se sont lancés à l'époque en pionniers, tant dans la littérature jeunesse, les beaux-livres que dans les documentaires illustrés. Mais à l'inverse d'un livre numérisé ou décliné homothétiquement, les frais de tels livres sont importants, avec des savoir-faire qui ne sont pas chez les éditeurs.

Deux formats sont rapidement entré en concurrence, celui des applications avec des développements qui permettaient beaucoup de chose, celui du format ePub dans sa version 3 naissante qui a été porté exclusivement par Apple à ses débuts. Le désintérêt de Google a été criant au fil des années, les éditeurs comptant évidemment sur ce marché important. Autre acteur important, Amazon, qui avec un essai malheureux du côté des smartphones et tablettes, a rapidement jeter l'éponge, en est resté à son seul Kindle. Autre désillusion, du côté des prix publics. Là où un CDRom à l'époque pouvait être vendu sur un support physique 30€ voire plus, les prix ont été tirés rapidement vers le bas pour ces nouveaux livres. Impossible de vendre plus de 10€ et encore je suis généreux, c'est plutôt 5/7€ qui était le prix cible sur les stores. Avec une TVA à 20% et une commission de 30% à Apple, je vous laisse imaginer la rentabilité pour les éditeurs. Si elle est possible pour des bases de données du côté de l'édition professionnelle, elle était impossible en littérature générale qui repose sur une offre aux titres. Quand en plus, il était impossible de proposer des vitrines un peu présentables sur ces mêmes stores et qu'il fallait faire un sav permanent du catalogue pour suivre les évolutions techniques, la messe était dite. Exit les livres enrichis.

C'est bien dommage car il y avait aussi des pistes à explorer du côté de textes enrichis complémentaires, tous ces textes que l'éditeur ne peut pas intégrer dans des versions imprimées. C'était la proposition évoquée par Robert Darnton dans son excellent livre Apologie du Livre, paru en 2012, que je vous conseille, il n'a pas vieilli.

Est-ce que la situation pourrait changer dans les années à venir? Je ne pense pas. De l'eau à coulé sous ponts, l'offre vidéo est pléthorique aujourd'hui aussi bien du côté du gratuit sur le web que de l'offre streamée payante. En plus les tablettes sont devenues un peu has-been, le renouvellement du matériel ne se fait plus, les pratiques ont évoluées du côté des smartphones. Là où le livre avait un rôle à jouer dans la complémentarité, c'est fini. Les réflexes sont pris maintenant, le livre enrichi pour les éditeurs de littérature générale est resté sur le quai, l'histoire ne repassera pas les plats. C'est du côté de l'éducation désormais que les regards se tournent pour la suite...

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5. La transition numérique à l'aune de Nikos Kazantzaki

ChristPoursuite de mes lectures de l'œuvre de Nikos Kazantzaki avec Le Christ recrucifié publié en 1954. Après le succès de Zorba, d'autres traductions de ses livres ont suivi en France avec succès, repris de nombreuses fois en poche au fil des années. Puis les éditions se sont arrêtés, allez donc comprendre. En remettant le nez dans des cartons récemment je me suis même rendu compte que ce Christ recrucifié figurait dans un polycopié de livres à lire, de mon professeur de français en classe de seconde. Onze titres de littérature étrangère seulement, je vous les donne: Constantin-Meyer, Un homme se penche sur son passé; Cronin, Les Clés du Royaume; Greene, La Puissance et la gloire; Hemingway, Pour qui sonne le glas; Kazantzaki, Le Christ recrucifié; Miller, Les Sorcières de Salem; Paton, Pleure ô payas bien-aimé; Remarque, A l'ouest rien de nouveau; Sienkiewicz, Quo vadis?; Steinbeck; Les Raisins de la colère; Wells, La Guerre des mondes. C'est dire si Kazantzaki entrait dans les classiques du XXème siècle à l'époque.

Lecture moitié en numérique (la version récupérée semble de qualité), moitié en imprimé avec une édition d'époque, les caractères très petits, équivalent à une Pléiade. Entre mobilité et mon domicile, observer au cours de sa lecture, ce qui change de lire en numérique. La perte des repères spatiaux certes mais ils s'effacent peu à peu, ils prennent moins d'importance, la concentration sur le texte seul, l'essentiel. Est-ce que leur perte est essentielle? Une écume, des petits apartés qui font appel à notre mémoire spatiale, sans trop grande conséquence je pense sincèrement, le bonheur du texte s'accroche à bien autre chose dans notre cerveau.

Confronter imprimé et numérique, c'est l'occasion de revenir sur une proposition au point mort depuis dix ans. Celle de pouvoir disposer d'une version numérique à petit prix quand on achète la version imprimée. Une proposition logique pour des lecteurs à la fois attachés à l'imprimé et souhaitant disposer d'une version numérique pour partir en vacances ou plus globalement dans les transports. Aussi l'occasion de ne pas abimer le livre imprimé, tout le monde aura fait l'expérience d'une édition grand format qui aura souffert de lectures nomades. L'occasion aussi de donner un vrai coup de pouce aux librairies physiques, tant le numérique est impossible à incarner dans l'espace physique. On se rappelle du naufrage des bornes, que cela parait loin derrière nous aujourd'hui.

En 2011 comme aujourd'hui, impossible de proposer cette offre couplée, la loi sur le prix unique ne le permet pas. Impossible de vendre la version numérique à un prix réduit si elle est liée à l'achat d'un autre livre. La seule solution serait que les éditeurs proposent dans leurs catalogues une autre version couplée (imprimée et numérique), un nouveau produit, un nouvel ISBN avec un autre prix. Bien lourd, bien difficile à mettre en place. J'en avais parlé à l'époque avec Hervé Gaymard, le député qui avait porté la loi sur le livre numérique. Il pensait que c'était l'adaptation suivante de la loi, accompagner au plus proche les évolutions technologiques et aussi porter le marché dans les librairies physiques. Depuis rien n'a bougé...

La gestion de l'offre couplée, c'est aussi le symptôme de l'échec complet des réflexions interprofessionnelles sur le sujet du numérique, le suivisme des grands acteurs GAFA, sans plus, le service minimum proposé par les éditeurs. Est-ce que l'offre couplée est définitivement condamnée? Il y a eu quelques adaptations pour les dictionnaires notamment, où la version numérique est proposée gratuitement avec l'imprimé, une suite logique du CD ou de la clé USB, mais ce sont des propositions très à la marge. Je pense que l'offre couplée est définitivement condamnée, elle ne sera jamais porté par les libraires indépendants, c'était eux qui étaient les plus à même de la revendiquer en complément d'un livre imprimé vendu, une possibilité supplémentaire de revenus associés. Peut-être reste-t-il un semblant d'ouverture possible avec le livre audio? J'en doute fortement.

Aujourd'hui nous commençons à entendre parler d'offres d'abonnement en streaming plus ou moins étendues, la fracture avec l'imprimé semble bien définitivement consommée. Imprimé et numérique, chacun de son côté, en être réduit quand on achète le livre imprimé de pirater son avatar numérique pour ne pas avoir à le racheter une deuxième fois au prix fort, avec toujours les mêmes restrictions d'usage évidemment...

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4. La transition numérique à l'aune de Nikos Kazantzaki

Rapport-au-GrecoCe Liberté ou la mort a été un magnifique moment de lecture. L'amateur éclairé qui a numérisé le livre est à saluer (si vous voulez la version en question, je me ferais un plaisir de vous la procurer discrètement). Près de 600 pages dévorées en quelques jours seulement, le format numérique ne change rien, quand le livre est excellent, l'accès et le plaisir du texte reste absolument le même qu'avec l'imprimé. Sincèrement j'ai beau chercher...

Après l'imprimé en grand format, la version numérique, maintenant le poche dans ce nouveau billet autour des livres de Nikos Kazantzaki que j'ai entrepris de lire dans leur totalité. Pour ce troisième livre, une pause dans l'œuvre romanesque avec le Rapport au Greco, rédigé un an avant la mort de Kazantzaki, et qui retrace son parcours intellectuel. Dans la traduction de Michel Saunier parue dans les années 50, j'ai choisi le format poche chez Actes Sud dans la collection Babel. Je n'ai pas jugé satisfaisante la version numérique que j'ai trouvé, de nombreuses fautes, elle n'a pas été soigneusement relue, la version grand format chez Cambourakis trop chère et surtout trop volumineuse pour mes étagères déjà bien remplies. Je n'ai jamais été un grand amateur du format de poche, très peu de livres lus dans ce format finalement au fil des années. Ma mère libraire sans doute, qui m'a donné le goût des beaux livres, le poche n'était absolument rien pour elle, aucun à la maison. J'ai toujours privilégié les livres parus en grand format, hormis quelques exceptions, je pense aux collections inévitables comme Idées, L'Imaginaire chez Gallimard, l'Évolution de l'Humanité chez Albin Michel, 10-18 bien sûr, aux Jack London chez Libretto et puis des collections de livres de fantastique et de science-fiction quand j'étais plus jeune. Beaucoup ont été donné, prêtés et pas rendus, ou se sont perdus au fil des déménagements; une juste situation pour des livres que je n'ai jamais vraiment compté garder dans ma bibliothèque, déjà bien trop remplie.

Bon, je ne vais pas vous faire des tartines sur la lecture de livres de poche. Un bémol cependant, les caractères un peu petits de temps en temps, surtout pour de gros volumes ce qui est le cas ici. Certains auront un peu de mal, le format numérique possède un grand avantage.

Le format numérique, c'est un format qui se rapproche beaucoup du format poche. L'accès par le prix bien sûr, mais aussi une typographie relativement normalisée, des marges réduites, une proximité sur les dimensions de l'écran des liseuses, moins de prégnance de l'objet avec une qualité plus faible de l'imprimé. Des livres plus communs, destinés à être aussi plus facilement partagés. Je pense que les lecteurs l'ont bien perçu quand on voit le succès du format numérique chez les grands lecteurs de collections populaires en poche, je pense aux amateurs de romance, de polars, de thrillers, de fantasy, d'érotisme, traditionnellement de grands lecteurs au format de poche. Les études l'ont déjà montrées, le numérique a été adopté par les grands lecteurs, beaucoup partagent largement numérique et poche aujourd'hui. Parler du livre de poche, c'est rappeler le vecteur extraordinaire qu'il a représenté pour des générations de lecteurs depuis les années 60. Un accès très large avec des petits prix, des collections populaires auprès des plus jeunes qui sont devenus grands. Le phénomène se poursuit aujourd'hui, démultiplié avec les facilités pour trouver des livres d'occasion encore moins chers, les sites internet, les vide-greniers.

Aborder le format de poche, c'est reparler de la politique du poche par rapport au format numérique depuis dix ans. C'était la grande peur des éditeurs (des groupes), que le format poche décroche par rapport au format numérique. Pas question de ne pas pratiquer une politique ultra-défensive, tant le format poche est rentable avec des couts de composition et de fabrication réduits, des droits d'auteurs réduits eux-aussi, des tirages importants, des réimpressions elles-aussi courtes et rentables. Alors les éditeurs de poche s'y sont employés avec une entente (qui n'est pas dite bien sûr) sur la question, des prix du numérique au mieux alignés sur les prix des poches (comme Folio), avec un différentiel de 20% supérieur chez Editis, Hachette et d'autres, voire au pire un prix du numérique qui reste identique au prix quand la nouveauté grand format est parue. Comment ne pas comprendre l'incompréhension des lecteurs? On pensait qu'il s'agissait d'un phénomène transitoire d'adaptation. Dix ans après la situation est la même. Bien sûr les éditeurs se sont engouffrés dans les promotions possibles écoutant les sirènes d'Amazon, les lecteurs réduits à fouiller de tant en tant pour trouver leur bonheur comme dans les solderies en quelque sorte.

Dix ans après, la situation du poche est toujours très bonne comme l'on révélé les derniers chiffres du secteur. Le poche aurait-il "décroché" sans cette politique de prix des éditeurs? Il est certain que cela aurait rendu le format numérique plus attractif mais cela n'aurait sans doute changé fondamentalement la donne. Le poche dispose d'une attractivité inhérente et surtout d'une visibilité, d'une présence très importante dans les librairies (sans parler des relais de gares et des grandes surfaces bien sûr). Quand on regarde les rayons des libraires justement - même de premier niveau-, le constat est là. Il y a encore quelques années, de nombreux livres de fonds, des classiques étaient toujours proposés en grand format. C'est fini désormais, le poche envahit tout. Le grand format, quand il n'est pas nouveauté, quitte les librairies, il n'y reviendra pas je pense, la cause est entendue (il partira pilon, stock, à la demande plus sûrement demain). Des rayons entiers sont plus des pochothèques qu'autre chose, regardez bien. Avec des prix de ports réévalués à la hausse bientôt sur internet, l'attractivité du poche va rester très importante dans les librairies, le présence du poche va sans doute encore se renforcer. Avec les problématiques de rotation plus importante, de marges réduites. Un casse-tête je pense. Et puis à l'heure d'une plus-value réelle du libraire, quel intérêt pour un lecteur finalement, de découvrir des poches en librairie? Excepté les nouveautés, plus que des poches demain dans les librairies? Côté éditeurs des problématiques aussi. Pour les plus petits, comment être visibles par rapport aux mastodontes et leurs politiques agressives pour conquérir les tables? Les livres de poche sont aussi des livres qui se dégradent vite dans les stocks, ils ne peuvent devenir des livres de fonds, des contraintes sur les tirages et la rotation. Une impression à court tirage sans doute, mais à la demande guère envisageable pour l'instant, demain peut-être. En tout cas le frottement entre le poche et le numérique va devenir plus intense sur des livres plus confidentiels, est-ce un mal?

Je continuerais à développer d'autres aspects du poche par rapport au numérique dans des prochains billets, notamment du côté de la chronologie du média et de l'achat groupé. Mes lectures de Kazantzaki se poursuivent, avec le même bonheur, grand format, numérique, poche...

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3. La transition numérique à l'aune de Nikos Kazantzaki

LbmortSecond livre de Nikos Kazantzaki que j'ai décidé de lire, La Liberté ou la mort, publié quelques années après Alexis Zorba, en 1950, un roman historique imposant de plus de 600 pages. Le seul roman qui est disponible au format numérique, Le Jardin des Rochers, est dans le fond Fenixx de réédition numérique (pourquoi pas les autres?), signe du désintérêt complet des Éditions Plon, nous y reviendrons. Rien dans les bibliothèques autour de chez moi, avant de me procurer une version de poche, regardons dans les offres numériques "alternatives" comme on dit. Depuis la mésaventure du groupe de piratage TAZ épinglé et traduit en justice cette année, les aficionados de la numérisation se sont faits beaucoup plus discrets. Les groupes francophones se sont organisés en serveurs distants, en sites miroirs, etc. Je ne vous dirais pas ici comment les trouver (je ne vous dit pas comment vous procurer vos livres neufs ou d'occasion par exemple). Nous sommes en 2021, les informations abondent sur le web, vous trouverez aisément si vous le souhaitez. Personnellement je pars du principe que si l'offre légale n'existe pas, que si les offres imprimées d'occasion pullulent sur les sites à bas prix et dans les bibliothèques, l'offre illégale devient légitime en quelque sorte. Ce n'est qu'une question de temps. C'était ma conviction à l'époque, elle n'a pas varié aujourd'hui. D'autant plus pour un auteur décédé en 1957, vous en conviendrez. J'en parlais à l'époque avec certains groupes assez vertueux en la matière, qui se fixaient comme règle de retirer l'offre illégale si une offre légale apparaissait chez l'éditeur.

J'ai trouvé La Liberté ou la mort, une excellente numérisation réalisée en 2015. Un coup d'œil sur la traduction, celle de Gisèle Prassinos et Pierre Fridas proposée dans les années 50 chez Plon et reprise chez Cambourakis il y a quelques années. On se rend compte rapidement au bout de quelques pages si le texte proposé a été soigneusement relu ou pas. La numérisation, même si elle a beaucoup progressé en qualité depuis quelques années pour des amateurs non-professionnels, n'exempte pas la relecture pour chasser les coquilles inévitables. C'est le cas ici, bravo. Alors banco, avec les petites corrections habituelles pour me la rendre agréable, couverture, rectifications de quelques balises...

Smartphone, tablette ou liseuse... Éternel débat qui prend moins de sens aujourd'hui, les pratiques sont désormais bien connues, à chacun de lire comme il en a envie. Si les liseuses ont lancé le marché à l'époque, les smartphones ultra-majoritaires se sont faits une place dans les pratiques de lecture pour certains, qui préfèrent l'outil unique et le nomadisme. Les dernières études réalisées montrent bien que les supports de lecture sont désormais bien compris par les lecteurs qui ont pu largement les appréhender. Personnellement ma pratique reste exclusivement sur liseuse. J'ai essayé smartphone et tablette (pas renouvelée, on ne pas tout acheter), entre la fatigue de l'écran rétroéclairé dans le temps long, la gestion de la batterie et les notifications qui captent sans cesse l'attention, je n'ai pas trouvé l'intérêt de changer. L'aspect pratique en mobilité dans la balance ne compense pas je trouve. Pour moi, la liseuse est restée au fil des années le support idéal.

Lire au format numérique, c'est désormais 2 livres sur 3 pour moi. La relecture de toute la Recherche de Proust, de Cervantès, d'Homère, de Bouquins entiers, sans parler de tant de romans américains il y a quelques années, restent des souvenirs importants. Quand je démarre un livre sur ma liseuse, je me pose de temps en temps la question de savoir ce qui change pour moi par rapport à l'imprimé. On évacuera rapidement ces histoires d'odeur du papier, franchement l'odeur des poches ne m'a jamais attiré plus que cela... Le papier du poche, j'en sais quelque chose, est par nature un papier de qualité très moyenne, qui va jaunir très vite, les tranches, puis le bord des marges, le reste au fil des années. Attention de ne pas les laisser trop au soleil, le phénomène va s'accélérer très rapidement. Par nature, le livre de poche n'a pas vocation à être gardé. Si vous voulez conserver un livre dans votre bibliothèque, vous vous tournerez rapidement vers des livres de meilleure qualité. Le problème du papier, c'est aussi le cas de beaucoup de livres en grand format chez les éditeurs. Certains groupes ont généralisé l'emploi des papiers "traces de bois". Ce n'est plus des traces, c'est de la sciure... Certains ne franchissent même plus les éclairages des présentoirs des libraires pendant quelques semaines seulement, observez les tranches notamment. Quand on vend un livre au-delà de 20€, avoir au moins la décence de proposer un papier décent...

Alors bien sûr, reste la spatialisation dans l'objet-livre, la couverture, la maquette, la typographie choisie par l'éditeur, le rapport aux lignes dans la page, à la matérialisation du début de chapitre à venir, au marque-page, à ce qui nous reste à lire... Autant d'éléments qui comptent certes - surtout pour des beaux livres où un soin a été apporté par l'éditeur-, mais qui se distendent avec la pratique je pense, surtout comparativement au poche et avec des fonctionnalités pour le numérique qui les compensent, je pense à la recherche, au grossissement des caractères, à l'éclairage, à des dictionnaires embarqués, etc. Très sincèrement je passe d'aussi bons moments à lire de bons livres en imprimé comme en numérique. Et de mauvais livres, n'en parlons même pas...

Le format numérique permet d'évacuer la forme, se consacrer au seul texte. Très sincèrement, au fil des années, la pratique m'est devenue complètement naturelle. Passer de l'imprimé au numérique devient une pratique identique à celle de passer du grand format à un poche... J'observe ce qui se disait au début de l'expansion du format poche dans les années 60, personne n'évoquait même cette différence dix ou quinze ans plus tard, cela serait même passer comme ridicule pour des lecteurs de ma génération vingt ans après. Je pense qu'il en est de même du format numérique. Pour preuve ces auteurs qui s'affichaient "défenseurs de la cause du papier" il y a dix ans, ils seraient sérieusement ringardisés aujourd'hui, alors qu'ils s'affichent en pagaille sur les réseaux. On ne peut éternellement s'étendre sur une chose et son contraire, les pratiques de lectures "hors-livre" du côté de la presse notamment se sont très largement développées depuis dix ans. Le livre a suivi ce mouvement, je ne vois pas trop où est le problème. Imprimé, numérique, les lecteurs choisissent, vont de l'un à l'autre, en fonction des moments, des types de livres, de leurs désirs de les garder ou pas pour leurs bibliothèques. J'en parle même avec des grands lecteurs au format numérique qui me disent qu'ils lisent bien plus depuis qu'ils ont découvert ce format. Où sont les grands lecteurs aujourd'hui, ce serait l'objet d'une étude intéressante je pense...

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PS: à lire en complément une excellente critique du livre de Kazantzaki sur le blog DesLivresRances.


2. La transition numérique à l'aune de Nikos Kazantzaki

ZorbaCommencer le voyage en compagnie de Nikos Kazantzaki, c'est le faire avec son livre le plus célèbre, Alexis Zorba bien sûr, élu meilleur livre étranger en 1954. D'abord je vous déconseille le film hollywoodien très surévalué qui l'a rendu si populaire. Alexis Zorba, c'est un livre absolument formidable, je l'avais lu à 20 ans, je l'ai relu à 40, je l'ai relu encore le week-end dernier avec le même plaisir. Dans ces billets il ne sera pas question de vous donner des critiques sur les livres eux-mêmes, un exercice que je laisse à bien meilleur que moi. Bien entendu si je vous donne envie de relire Kazantzaki ce sera un plus évidemment. Au travers des livres de Kazantzaki je compte mettre en lumière les pratiques de lectures aujourd'hui, ce que le numérique a changé (ou pas) depuis dix ans.

Mettre en lumière un auteur, c'est d'abord un choix éditorial, faut-il le rappeler. Depuis la Renaissance (pour ne remonter que jusque-là) rien n'a changer ou très peu à la marge. Dix ans d'auto-publication n'ont rien bouleversé à cette donne, elle est là surtout pour repérer de temps en temps des auteurs avant-coureurs, pour le champ de l'édition traditionnelle. Les lecteurs l'ont bien compris. Saluer au passage le regretté André Schiffrin, décédé en 2013, anniversaire il y a quelques jours. Lire Kazantzaki aujourd'hui c'est saluer le magnifique travail qu'ont entrepris les Éditions Cambourakis, à partir de 2015, pour le rééditer. Un chantier important avec des traductions inédites ou révisées, dix livres à ce jour. Les livres sont repris au fur et à mesure au format de poche dans la collection Babel chez Actes-Sud (cinq actuellement), nous y reviendrons. Grand format, passage en poche ensuite, schéma classique. Pas de format numérique, c'est bien dommage. Il y a toujours quelques réfractaires au numérique chez les éditeurs, Cambourakis en font partie... Pourquoi ce refus? Celui par conviction de l'ayant-droit, de l'éditeur? Cela ne semble pas le cas de l'ayant-droit puisque les livres de Kazantzaki en grec, en anglais, en espagnol, en italien, en allemand, en japonais même, sont proposés au format numérique. Refus de l'éditeur d'origine, Plon? Peut-on ignorer aujourd'hui la frange des lecteurs, même réduite, qui sont intéressés par le format numérique. Partir en Crête à la manière de Jacques Lacarrière avec les livres dans le sac à dos? Peut-être mais convenez que c'est plus pratique. Sans parler bien sûr de tous les lecteurs de l'espace francophone qui ont du mal à se procurer les versions imprimées, des universitaires et chercheurs qui travaillent sur Kazantzaki, qui souhaitent bénéficier des avantages de la recherche dans les versions numérisées.

Deux ans, cinq ans encore cette résistance? Depuis dix ans des écrivains importants (ou leurs ayants-droits) qui refusaient le format numérique comme par exemple Garcia-Marquez, Kundera pour ne citer que ces deux-là, sont finalement revenu sur leurs positions. Je pense qu'un écrivain comme Nikos Kazantzaki, avec toute son œuvre résolument tournée vers l'universel, aurait salué la diffusion de ses propres textes de la manière la plus large possible. Le format numérique va dans ce sens; c'est assez incompréhensible pour moi aujourd'hui mais passons.

Le hasard a fait que j'ai trouvé dans une boite d'un bouquiniste l'été dernier pour quelques euros cet Alexis Zorba, qui a inauguré chez Cambourakis la série. Un exemplaire un peu défraichi, les mors passés, le dos un peu fendu en bas mais propre à l'intérieur. Il était évident que je n'allais pas le laisser passer. Ah, cette fameuse sérendipité, cet anglicisme qui désigne la capacité, l'aptitude à faire par hasard une découverte inattendue et à en saisir l'utilité (scientifique, pratique). Pratique qui accompagne les avatars du livre depuis des millénaires sans doute, que ce soit sur les ânes, les carrioles du colportage ou les chameaux des voyageurs itinérants, puis les échoppes et les tapis des libraires ensuite... En ce XXIème siècle, la pratique continue, c'est même la caractéristique essentielle de la librairie, vous le savez. Vous rentrez avec une idée en tête, au bout de quelques minutes, vous dénichez des livres dont vous n'aviez pas même soupçonné l'existence... Sur le web la pratique est moins évidente. Le moteur de recherche vous dirige, adieu la sérendipidité, il vous faudra le concours d'un conseil critique ou plus insidieusement d'un robot pour arriver à un nouveau livre.

Vingt-cinq ans d'internet et nos plus belles trouvailles restent sans doute dans les découvertes faites par hasard dans les librairies physiques. C'est en tout cas mon cas. Neuf ou d'occasion, pourquoi le faire venir à vous, vous l'avez dans les mains. La future loi sur le port va d'ailleurs réglementer un tarif minimum qui va encadrer le dumping qui existe encore chez certains. En plus pour des livres défraîchis très peu chers, le prix du port représente souvent plus que la valeur affichée du livre. Rajouter encore que ce n'est pas bon pour la planète, bref oublions... Alors oui vous me direz, les industrieux Momox, Recyclivre et autres qui faussent le marché avec des prix toujours parmi les plus bas, le port bientôt les rappellera à l'ordre avec la prochaine loi. Il en faut un peu d'ordre, c'est pas plus mal pour tout le monde, les plus petits compris. Et puis, quelle sérendipidité chez eux? Amusez-vous à faire défiler leurs rayons virtuels, c'est d'un ennui... Je pense que les libraires doivent s'emparer du livre d'occasion, en mode raisonné et choisi bien sûr. C'est un débat depuis longtemps dans la profession, peut-être va t-il vraiment évoluer avec la nouvelle génération de libraires, qui sait.

Lecture très agréable que ce livre, la préface et la traduction révisée de René Bouchet est excellente. Édition soignée, rabats de couverture, papier de qualité, belle typo. Dix années de lectures numériques ne m'ont pas détourné de l'imprimé, vous pensez bien. Alors oui, le livre imprimé en grand format est moins pratique en mobilité entre le poids et la crainte de l'abimer. Bien sûr, l'exemplaire ne sera pas du plus bel effet dans ma bibliothèque, défraîchi comme il est, mais je le passerais plus volontiers autour de moi.

Bref, continuez à fouiller les boîtes dans l'espace urbain et celles des librairies d'occasion, les brocantes, les solderies, passez les livres autour de vous même défraîchis, cela durera encore des millénaires sans doute, et le numérique n'y fera rien. Peut-être même que ce dernier évoluera encore dans les échanges entre particuliers pour des livres en troc ou pour quelques menus euros, à suivre...

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1. La transition numérique à l'aune de Nikos Kazantzaki

KazanDix années de format numérique en cette année 2021 qui s'achève... C'est sans doute le moment de faire un point d'étape. Basculement, transition, effet de mode, coup marketing, il a été raconté beaucoup de bêtises pendant ces dix années, cela n'est pas la peine d'y revenir, laissons dans les limbes. C'est évidemment dans le temps long que se mesurent les frottements entre l'imprimé et le numérique. Nous étions convaincus de cela pour les plus lucides d'entre nous, nous étions évidemment dans le vrai.

Pour terminer cette année, j'ai souhaité mettre en évidence mes propres pratiques de lectures, elles ont beaucoup changé depuis dix ans c'est certain. Les livres imprimés neufs et d'occasions se trouvent désormais sur les tables et à portée de clics, disponibles, pas disponibles ; le format numérique reste quant à lui d'un accès plus discutable et confidentiel, nous y reviendrons. Plutôt que de gloser sans fin sur le sujet (certains se risquent à l'exercice), je me suis dit qu'il était peut-être plus intéressant de prendre un exemple très concret. Relire toute l'œuvre d'un écrivain dans les semaines qui viennent (allez je me donne deux mois), cela nous permettra de balayer bien des aspects sur nos pratiques de lectures en cette fin d'année 2021.

J'ai choisi Nikos Kazantzaki (1883-1957), cet immense écrivain dont la célébrité après sa mort (alors qu'il méritait le prix Nobel haut la main), n'a tenu qu'à un objet de folklore hollywoodien. Si vous voulez trois raisons de relire Kazantzaki, Hubert Prolongeau nous les donne ici. Cela tombait bien, au-delà de mon envie personnelle, les livres de Kazantzaki vont nous permettre d'aborder pas mal de choses, vous verrez...

Pour lire Kazantzaki dans notre langue, c'est déjà il faut bien le dire un immense scandale. Passer votre chemin, pas de Pléiade, pas de Quarto, pas de Bouquins, pas d'Omnibus (un seul publié dans les années 1990 - regroupant trois romans-, épuisé depuis bien longtemps)... Mort en 1957, il faudra sans doute attendre son entrée dans le domaine public en 2028 pour voir quelque chose, comme pour George Orwell par exemple. Il était l'un des phares de la célèbre collection Feux Croisés chez Plon, l'éditeur n'a plus jugé bon de le maintenir dans son catalogue.

C'est parti pour un grand voyage dans Kazantzaki. Je publierais, au fil de mes lectures, mes réflexions sur mes pratiques de lecteur, sans nul doute elles feront échos aux vôtres si vous me lisez.

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