4. La transition numérique à l'aune de Nikos Kazantzaki
16 décembre 2021
Ce Liberté ou la mort a été un magnifique moment de lecture. L'amateur éclairé qui a numérisé le livre est à saluer (si vous voulez la version en question, je me ferais un plaisir de vous la procurer discrètement). Près de 600 pages dévorées en quelques jours seulement, le format numérique ne change rien, quand le livre est excellent, l'accès et le plaisir du texte reste absolument le même qu'avec l'imprimé. Sincèrement j'ai beau chercher...
Après l'imprimé en grand format, la version numérique, maintenant le poche dans ce nouveau billet autour des livres de Nikos Kazantzaki que j'ai entrepris de lire dans leur totalité. Pour ce troisième livre, une pause dans l'œuvre romanesque avec le Rapport au Greco, rédigé un an avant la mort de Kazantzaki, et qui retrace son parcours intellectuel. Dans la traduction de Michel Saunier parue dans les années 50, j'ai choisi le format poche chez Actes Sud dans la collection Babel. Je n'ai pas jugé satisfaisante la version numérique que j'ai trouvé, de nombreuses fautes, elle n'a pas été soigneusement relue, la version grand format chez Cambourakis trop chère et surtout trop volumineuse pour mes étagères déjà bien remplies. Je n'ai jamais été un grand amateur du format de poche, très peu de livres lus dans ce format finalement au fil des années. Ma mère libraire sans doute, qui m'a donné le goût des beaux livres, le poche n'était absolument rien pour elle, aucun à la maison. J'ai toujours privilégié les livres parus en grand format, hormis quelques exceptions, je pense aux collections inévitables comme Idées, L'Imaginaire chez Gallimard, l'Évolution de l'Humanité chez Albin Michel, 10-18 bien sûr, aux Jack London chez Libretto et puis des collections de livres de fantastique et de science-fiction quand j'étais plus jeune. Beaucoup ont été donné, prêtés et pas rendus, ou se sont perdus au fil des déménagements; une juste situation pour des livres que je n'ai jamais vraiment compté garder dans ma bibliothèque, déjà bien trop remplie.
Bon, je ne vais pas vous faire des tartines sur la lecture de livres de poche. Un bémol cependant, les caractères un peu petits de temps en temps, surtout pour de gros volumes ce qui est le cas ici. Certains auront un peu de mal, le format numérique possède un grand avantage.
Le format numérique, c'est un format qui se rapproche beaucoup du format poche. L'accès par le prix bien sûr, mais aussi une typographie relativement normalisée, des marges réduites, une proximité sur les dimensions de l'écran des liseuses, moins de prégnance de l'objet avec une qualité plus faible de l'imprimé. Des livres plus communs, destinés à être aussi plus facilement partagés. Je pense que les lecteurs l'ont bien perçu quand on voit le succès du format numérique chez les grands lecteurs de collections populaires en poche, je pense aux amateurs de romance, de polars, de thrillers, de fantasy, d'érotisme, traditionnellement de grands lecteurs au format de poche. Les études l'ont déjà montrées, le numérique a été adopté par les grands lecteurs, beaucoup partagent largement numérique et poche aujourd'hui. Parler du livre de poche, c'est rappeler le vecteur extraordinaire qu'il a représenté pour des générations de lecteurs depuis les années 60. Un accès très large avec des petits prix, des collections populaires auprès des plus jeunes qui sont devenus grands. Le phénomène se poursuit aujourd'hui, démultiplié avec les facilités pour trouver des livres d'occasion encore moins chers, les sites internet, les vide-greniers.
Aborder le format de poche, c'est reparler de la politique du poche par rapport au format numérique depuis dix ans. C'était la grande peur des éditeurs (des groupes), que le format poche décroche par rapport au format numérique. Pas question de ne pas pratiquer une politique ultra-défensive, tant le format poche est rentable avec des couts de composition et de fabrication réduits, des droits d'auteurs réduits eux-aussi, des tirages importants, des réimpressions elles-aussi courtes et rentables. Alors les éditeurs de poche s'y sont employés avec une entente (qui n'est pas dite bien sûr) sur la question, des prix du numérique au mieux alignés sur les prix des poches (comme Folio), avec un différentiel de 20% supérieur chez Editis, Hachette et d'autres, voire au pire un prix du numérique qui reste identique au prix quand la nouveauté grand format est parue. Comment ne pas comprendre l'incompréhension des lecteurs? On pensait qu'il s'agissait d'un phénomène transitoire d'adaptation. Dix ans après la situation est la même. Bien sûr les éditeurs se sont engouffrés dans les promotions possibles écoutant les sirènes d'Amazon, les lecteurs réduits à fouiller de tant en tant pour trouver leur bonheur comme dans les solderies en quelque sorte.
Dix ans après, la situation du poche est toujours très bonne comme l'on révélé les derniers chiffres du secteur. Le poche aurait-il "décroché" sans cette politique de prix des éditeurs? Il est certain que cela aurait rendu le format numérique plus attractif mais cela n'aurait sans doute changé fondamentalement la donne. Le poche dispose d'une attractivité inhérente et surtout d'une visibilité, d'une présence très importante dans les librairies (sans parler des relais de gares et des grandes surfaces bien sûr). Quand on regarde les rayons des libraires justement - même de premier niveau-, le constat est là. Il y a encore quelques années, de nombreux livres de fonds, des classiques étaient toujours proposés en grand format. C'est fini désormais, le poche envahit tout. Le grand format, quand il n'est pas nouveauté, quitte les librairies, il n'y reviendra pas je pense, la cause est entendue (il partira pilon, stock, à la demande plus sûrement demain). Des rayons entiers sont plus des pochothèques qu'autre chose, regardez bien. Avec des prix de ports réévalués à la hausse bientôt sur internet, l'attractivité du poche va rester très importante dans les librairies, le présence du poche va sans doute encore se renforcer. Avec les problématiques de rotation plus importante, de marges réduites. Un casse-tête je pense. Et puis à l'heure d'une plus-value réelle du libraire, quel intérêt pour un lecteur finalement, de découvrir des poches en librairie? Excepté les nouveautés, plus que des poches demain dans les librairies? Côté éditeurs des problématiques aussi. Pour les plus petits, comment être visibles par rapport aux mastodontes et leurs politiques agressives pour conquérir les tables? Les livres de poche sont aussi des livres qui se dégradent vite dans les stocks, ils ne peuvent devenir des livres de fonds, des contraintes sur les tirages et la rotation. Une impression à court tirage sans doute, mais à la demande guère envisageable pour l'instant, demain peut-être. En tout cas le frottement entre le poche et le numérique va devenir plus intense sur des livres plus confidentiels, est-ce un mal?
Je continuerais à développer d'autres aspects du poche par rapport au numérique dans des prochains billets, notamment du côté de la chronologie du média et de l'achat groupé. Mes lectures de Kazantzaki se poursuivent, avec le même bonheur, grand format, numérique, poche...
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